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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 24 novembre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 41

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition de M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, sur le recouvrement et le contrôle fiscal

–  Présences en réunion

La Commission entend M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, sur le recouvrement et le contrôle fiscal.

M. le président Gilles Carrez. Nous recevons aujourd’hui M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, qui est accompagné de M. Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal, pour un échange sur un sujet qui nous occupe régulièrement : le contrôle fiscal et le recouvrement.

Il est très souvent question ici du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), qui a permis ces dernières années de recouvrer environ 2 milliards d’euros par an
– j’aimerais d’ailleurs que vous nous donniez quelques détails sur la façon dont cette somme se compose, ainsi que sur les effets à long terme de cette activité, en termes d’intégration dans les assiettes notamment. Mais le STDR ne doit pas occulter le reste du travail de contrôle fiscal.

Dans son rapport du printemps dernier relatif à l’exécution du budget de l’État en 2014, la Cour des comptes relevait que le Gouvernement estimait, en novembre 2014, à 8 milliards d’euros les recouvrements issus des contrôles fiscaux pour cette année-là, alors qu’ils avaient été de 9 milliards d’euros en 2012 et de 10 milliards en 2013. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet ?

J’indique enfin à mes collègues qu’a été mis à leur disposition le rapport sur le contrôle fiscal des filiales à l’étranger récemment transmis au Parlement par le Gouvernement en application de l’article 136 de la loi de finances pour 2011.

Certaines questions porteront certainement aussi sur la fraude à la TVA, en particulier les fraudes de type « carrousel ».

M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le contrôle fiscal exige de l’équilibre, de l’adaptation, et une certaine distance.

Nous devons rechercher l’équilibre, car s’il faut pourchasser les vrais fraudeurs, les contrôles fiscaux servent aussi à rectifier des erreurs commises de bonne foi – la législation, vous le savez comme moi, est complexe et changeante, et tout le monde peut se tromper. Notre pugnacité vis-à-vis des fraudeurs patentés ne doit donc pas obérer notre relation avec les autres contribuables, personnes physiques ou entreprises : nous ne considérons pas chaque personne comme un fraudeur potentiel. C’est un travers qu’il est trop facile d’acquérir lorsque l’on traque les fraudes, mais ce n’est pas notre pratique. Il est donc pour nous essentiel de mener une politique d’anticipation, de prévention, de pédagogie, de sécurité juridique. Ainsi, nous développons les rescrits. Vous connaissez les engagements pris par le Gouvernement sur le comportement des agents lors de contrôles fiscaux ; vous savez que nous publions une liste des pratiques et montages abusifs. Encore une fois, la grande majorité des Français sont honnêtes.

Mais la fraude existe, et elle évolue : nous devons donc nous adapter. Le législateur nous a beaucoup aidés, par exemple en permettant la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale. En effet, si la fraude fiscale en bande organisée – si vous me permettez l’expression – était très rare il y a quinze ou vingt ans, elle fait maintenant partie de notre paysage : la police fiscale constitue à cet égard un progrès considérable. Nous devons nous montrer très réactifs, comme nous avons su le faire et comme nous le faisons encore pour contrer les logiciels permissifs. La vigilance est de mise, car le risque d’industrialisation de la fraude est réel.

Nous devons également développer la coopération entre les différents services, à l’intérieur de Bercy comme avec le reste de l’administration : la police, la justice, les douanes, Tracfin…

Nous devons encore nous adapter aux moyens et techniques du moment. Nous investissons notamment dans le data mining. Nous sommes très attentifs aux évolutions internationales, comme aux pratiques nouvelles de la société : le législateur nous a ainsi aidés face au problème de la vente à distance – nous mettons en œuvre actuellement le droit de communication non nominatif, créé l’an dernier par le législateur. Demain, nous aurons les déclarations pays par pays, les rulings et l’échange automatique des renseignements en matière d’information bancaire.

J’ouvre une parenthèse pour souligner que le STDR, que vous avez évoqué, monsieur le président, s’insère dans ce mouvement d’ensemble : son histoire nous montre d’abord que le comportement des contribuables est fortement influencé par le consensus international qui se dessine sur la lutte contre la fraude fiscale ; elle nous montre aussi, si j’ose le dire sans immodestie, la capacité de l’administration à se mobiliser rapidement pour recouvrer des sommes très importantes – un peu plus de 1,6 milliard de droits, et presque 300 millions d’euros de pénalités, en 2014.

Nos dispositifs de recoupement ont également bénéficié fortement de ces progrès techniques. L’administration moderne, ce sont des moyens humains, du renseignement, de la recherche, de l’innovation, mais aussi une forme d’industrialisation, même si aucune opération de contrôle fiscal n’est jamais complètement automatique : il y a toujours une intervention humaine. Ainsi, au XXe siècle, pour contrôler que les contribuables qui ne payaient pas la contribution à l’audiovisuel public n’avaient pas la télévision, nous allions frapper à leur porte… Ces méthodes sont encore utilisées, mais aujourd’hui les recoupements automatisés à l’aide des fichiers que nous obtenons, grâce à la loi, des différents commerçants, y compris de services audiovisuels, sont infiniment plus efficaces.

Nous devons adapter notre organisation territoriale. En effet, la fraude ne connaît pas plus nos frontières internes que les frontières des États ; souvent, la structuration départementale, qui possède certaines vertus, ne convient plus. Nous avons un grand chantier en cours, qui nous permettra de disposer d’une vision plus large.

Il nous faut enfin conserver une certaine distance vis-à-vis des débats médiatiques – dont l’écho dans votre commission est heureusement atténué. Nous appliquons la loi, c’est notre devoir et notre honneur. Nous le faisons sans jugement moral, sans antipathie ni sympathie à l’égard de qui que ce soit – personne, profession, territoire… Je me permets aussi de rappeler que les dossiers individuels sont traités sous la pleine et entière responsabilité de l’administration, et d’elle seule.

Quelles que soient les histoires que nous lisons dans la presse à propos de telle ou telle personnalité – et ce qu’on lit est souvent erroné – nous ne répondons jamais : le secret fiscal est à notre sens l’une des valeurs essentielles de la République, et nous nous en faisons les gardiens scrupuleux. Nous ne dérogeons en aucun cas à cette règle. Notre administration restera muette en toutes circonstances.

Quant aux résultats du contrôle fiscal, monsieur le président, je me permettrai d’insister sur l’importance de raisonner sur des séries longues. Les évolutions de quelques centaines de millions d’euros d’une année sur l’autre ont peu de sens – il ne serait justifié ni s’en attrister ou ni de s’en glorifier.

Les chiffres le plus souvent suivis en matière de contrôle fiscal sont ceux des droits nets. C’est effectivement une variable intéressante, mais en période de difficultés économiques, une partie de notre activité consiste à réduire des déficits – que, par définition, les droits nets ne prennent pas en compte. C’est pourtant là quelque chose d’essentiel : les réductions de déficit, c’est l’impôt de demain – ou d’après-demain. Les chiffres sont importants : de 2013 à 2014, les réductions de déficit suite à contrôle ont ainsi augmenté de 2 milliards d’euros – qu’il faut comparer à près de vingt milliards de droits nets et pénalités obtenus en général.

De plus, les résultats obtenus sont très concentrés sur les entreprises ; et les grandes entreprises sont souvent à l’origine de la moitié des sommes recouvrées par l’ensemble du contrôle fiscal – nous disposons d’ailleurs d’une direction spécialisée, la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). D’une année sur l’autre, quelques affaires seulement peuvent faire varier sensiblement le volume total des droits nets mis en recouvrement.

Il faut donc se montrer très vigilant dans l’interprétation des résultats du contrôle fiscal.

Nous sommes en train de passer un cap méthodologique. Les bénéfices de cette évolution seront progressifs – il n’y a pas, en contrôle fiscal, d’opération automatique ou de résultats immédiats, ne serait-ce que parce que les procédures doivent protéger les droits de chacun. Mais la création de la police fiscale, la coopération internationale – les Suisses, désormais, répondent –, une meilleure coordination des services, la rénovation de nos outils juridiques – solidarité face aux carrousels, droit de communication non nominatif – et l’innovation technologique nous rendent confiants sur la capacité de l’administration à demeurer performante. C’est d’ailleurs, si j’ose le dire devant vous, le jugement international généralement porté sur nous. Certes, nous avons toujours des progrès à faire ; mais je rentre de Belgique et si j’y ai vu des choses très intéressantes, je suis aussi en mesure de vous affirmer que nous n’avons pas à rougir de notre action.

M. Jean-Claude Buisine. Je vous adresse toutes mes félicitations pour les succès obtenus par votre administration. En particulier, la télédéclaration me paraît un véritable succès – dont d’autres administrations pourraient s’inspirer.

Vous avez parlé, à propos du contrôle fiscal externe, de réduction des déficits. À combien se monte aujourd’hui la différence entre les droits redressés et les droits recouvrés ? De même, s’agissant de contrôles sur pièces, notamment chez les particuliers, à combien se montent les sommes réellement obtenues par rapport aux droits rappelés ?

D’autre part, il est question d’une fusion entre le cadastre et l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Quelle incidence pourrait-elle avoir sur la gestion du foncier, et surtout sur la fiscalité directe locale ?

Mme Marie-Christine Dalloz. En matière de secret fiscal, vous êtes donc la grande muette… Il est d’ailleurs difficile de vous interroger, car nous nous voyons vite opposer le secret fiscal !

Les droits nets sont en effet le meilleur indicateur possible : il serait bien difficile de prendre en compte des droits qui ne sont pas entrés, ou même pas vraiment connus.

Pouvez-vous détailler l’origine des sommes recouvrées à la suite de contrôles fiscaux d’entreprises ? Combien d’entre elles sont concernées ?

Quant aux innovations techniques, peut-on interpréter vos propos en disant que vous mettez en place de plus en plus des procédures de plus en plus précises, pour chaque situation, sur le modèle des process de l’industrie ?

M. Alain Fauré. Il semble que la Belgique soit bien mieux outillée que nous pour le suivi des fraudes à la TVA. Qu’en est-il ? Combien coûte à notre pays la fraude à la TVA ? J’ai notamment été alerté sur de multiples fraudes lors de la vente de véhicules en Europe. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

L’administration fiscale est certainement la grande muette en matière de secret fiscal, mais nous, élus, n’avons pas droit à ce régime de faveur : nous devons déclarer notre patrimoine, et ainsi le mettre au grand jour…

Enfin, la Suisse et l’Allemagne ont signé un accord qui permet à l’Allemagne de récupérer régulièrement une part des sommes placées par les Allemands en Suisse. Que pensez-vous de cette formule ?

M. Charles de Courson. Lorsque la Suisse a proposé à la France un accord qui maintenait le secret bancaire tout en prévoyant une taxation forfaitaire, il nous avait été indiqué que les actifs français placés en Suisse et non déclarés s’élevaient à 83 milliards de francs suisses – contre, je le note au passage, 210 milliards pour les Allemands et 158 milliards pour les Italiens. Depuis, les choses ont changé, le secret bancaire a été levé, et vous avez laissé entendre que la coopération avec la Suisse se déroulait correctement : pouvez-vous le confirmer ? D’autre part, les régularisations intervenues depuis deux ans environ porteraient sur une vingtaine de milliards d’euros, ce qui laisse beaucoup d’argent dans la nature. La différence a-t-elle simplement filé ailleurs, dans d’autres paradis fiscaux ?

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) s’est vu conférer des pouvoirs, notamment en matière de vérification des patrimoines qui lui ont été déclarés. À ce titre, elle coopère avec les services fiscaux. Pouvez-vous faire le point sur ces relations ? Avez-vous établi des règles, des accords… ? Quelques fuites sont en effet apparues dans la presse.

Enfin, comment s’articulent les contentieux communautaires et la lutte contre la fraude fiscale ? Il semble que certains contribuables aient réussi à faire annuler des condamnations par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ce qui est fâcheux. Faut-il envisager un toilettage du droit français pour éviter que de telles situations ne se reproduisent ?

M. Joël Giraud. Ma question porte sur les pays à fiscalité privilégiée, au sens de l’article 238 A du code général des impôts. En effet, l’article 136 de la loi de finances pour 2011 dispose qu’une liste de ces pays doit être publiée chaque année. Or il semble que la direction générale des finances publiques ne dispose simplement pas d’une telle liste ; il reviendrait donc à chaque entreprise multinationale de déterminer pour elle-même si elle s’est acquittée dans un pays de moins de la moitié de ce qu’elle aurait acquitté en France – ce seuil figurant dans l’article 238 A. Le rapport d’information que vous nous avez transmis dresse quant à lui, pour chaque dispositif, une liste des pays, ou des « principaux pays », concernés.

Disposez-vous d’une liste des pays à fiscalité privilégiée pour chaque dispositif de contrôle et de recouvrement ? C’est le cas au Royaume-Uni, depuis plusieurs années, les Britanniques s’autorisant même à traiter de façon différente les pays de l’Union européenne. Agissez-vous plutôt au cas par cas, ou bien enfin l’appréciation de ces critères revient-elle à la multinationale elle-même ?

Disposer d’une liste officielle permettrait de rendre plus efficace notre action. La liste des États non coopératifs, au sens de l’article 238-0 A, issu de la loi de finances rectificative pour 2009, se réduit en effet aujourd’hui comme peau de chagrin : ces paradis fiscaux ne sont plus que huit. Les mécanismes de recouvrement, mais également de transparence, comme la publication pays par pays des filiales bancaires prévue par l’article L. 511-45 du code monétaire et financier, seraient plus efficaces s’ils ne concernaient plus seulement les pays visés par l’article 238-0 A, mais aussi ceux visés par l’article 238 A. Nous engagerions ainsi un pas supplémentaire. Je note en outre que notre définition des paradis fiscaux n’est fondée que sur le critère de l’échange d’informations administratives, et non sur des critères fiscaux ou prudentiels.

M. Éric Alauzet. Nous connaissons bien les résultats du STDR. Le programme BEPS (Base erosion and profit shifting) va être progressivement mis en œuvre. À long terme, ce programme produira-t-il une recette fiscale significative ?

Le ministère des finances a largement contribué à la baisse des dépenses publiques. Les croisements de fichiers, et plus généralement les nouveaux moyens techniques dont vous disposez, suffisent-ils à compenser les baisses d’effectifs et à maintenir, voire à améliorer, l’efficacité de vos services ?

Enfin, quels sont les défis que vous pensez devoir affronter dans les années à venir ?

M. Pierre-Alain Muet. Mes questions porteront sur l’optimisation fiscale.

Le rapport au Parlement rédigé sur le fondement de l’article 136 de la loi de finances pour 2011 que vous venez de nous transmettre montre que c’est encore sur les prix de transfert que se font le plus grand nombre de rectifications ; les rehaussements en base ont été de 3,6 milliards d’euros en 2014, ce qui constitue une somme très importante. Qu’apporte le fait que la condition de dépendance ne soit plus requise quand un pays est considéré comme ayant une fiscalité privilégiée, ou a fortiori n’est pas coopératif ?

Les redressements se font-ils principalement sur les redevances, notamment relatives aux brevets, plutôt que sur les prix de transfert plus traditionnels ?

S’agissant des schémas d’optimisation, le ministère des finances n’a pas choisi de rendre obligatoire leur déclaration, comme cela se fait aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Vous avez préféré publier les schémas considérés comme contestables. Il est peut-être trop tôt pour vous demander une évaluation de cette méthode, mais avez-vous déjà une idée de la façon dont cette publication a été reçue et utilisée par les entreprises ?

Quels dispositifs utilisez-vous pour traiter les produits hybrides, c’est-à-dire des produits qui ne sont imposables dans aucun pays puisqu’ils apparaissent, par exemple, sous forme d’intérêts déductibles dans un pays et de dividendes non imposables dans un autre ?

Comment utilisez-vous enfin l’article 209 B du code général des impôts, notamment vis-à-vis des pays européens, puisqu’il ne peut dans ce cas s’appliquer qu’aux montages artificiels ?

Mme Véronique Louwagie. En matière de coopération européenne, y a-t-il des améliorations des procédures communes, déjà réalisées ou en cours ? Des échanges sur les normes européennes sont-ils organisés, des plateformes communes mises en place ?

Le rapport qui nous a été remis évoque « plus de 2 400 demandes […] adressées à ces nouveaux partenaires » que sont les États auparavant non coopératifs. Vous avez dit que les Suisses répondaient désormais à ces demandes : faut-il comprendre que les autres États ne le font pas tous ? Combien de réponses obtenez-vous ?

S’agissant enfin des différents types de fraude à la TVA, certains économistes prônent la suppression de la TVA inter-entreprises, dans le souci d’améliorer la trésorerie de celles-ci. Cela contribuerait aussi à réduire le risque de fraude. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Mme Arlette Grosskost. Permettez-moi de revenir à des questions plus terre à terre. Quelle est la fréquence moyenne des contrôles fiscaux dans les PME ?

Il arrive que des avis de contrôles fiscaux soient envoyés juste avant la fin du délai de prescription. Comment expliquer de tels envois ?

Enfin, d’où vient la différence entre les redressements notifiés et les redressements encaissés ?

M. le directeur général des finances publiques. Les droits recouvrés – les euros qui entrent effectivement dans les caisses de l’État – se sont élevés en 2014 à 10,4 milliards d’euros. Ce chiffre comprend l’activité du STDR.

La différence entre les droits notifiés et les droits recouvrés est due à plusieurs facteurs. Je citerai les principaux. Tout d’abord, les droits notifiés peuvent être contestés : quand ils présentent les garanties nécessaires, les contribuables n’acquittent les droits qu’une fois le contentieux purgé.

Ensuite, nous nous heurtons parfois à l’insolvabilité : la créance de l’État est certes privilégiée, mais il arrive, surtout par les temps qui courent, que les particuliers ou les entreprises ne puissent tout simplement pas payer. Vous savez d’ailleurs qu’il existe, en comptabilité publique, une série de dispositions qui permettent de constater, au bout d’un certain temps, que la dette, sans être complètement abandonnée, doit être passée en non-valeur : nous nous efforçons de recouvrer ce qu’il est possible de recouvrer, mais on ne tond pas les œufs, si vous me permettez cette expression. En période de difficultés économiques, ces situations sont évidemment plus fréquentes.

Enfin, certains redressements sont faits à bon droit, en pleine application de la loi, mais leurs perspectives de recouvrement sont ab initio ténues : c’est le cas des carrousels, plusieurs fois cités. Lorsqu’un tel mécanisme est bien conçu, nous n’avons plus personne sous la main à la fin de la chaîne : tout s’est évaporé… Contre qui nous retourner ?

Il est donc constant, et c’est le cas dans tous les pays, qu’il existe un écart significatif entre les droits mis en recouvrement et ceux effectivement recouvrés.

Nous ne restons pas pour autant les deux pieds dans le même sabot. Nous détenons d’importantes prérogatives de puissance publique, et les moyens que nous donne la loi sont nombreux : avis à tiers détenteur, qui permettent d’aller saisir chez un débiteur ou un employeur par exemple, saisies immobilières… Notre arsenal est relativement puissant, mais il ne suffit pas toujours.

On nous demande quelquefois à quoi peut bien servir d’opérer des contrôles si nous savons déjà que nous n’allons recouvrer qu’une fraction des sommes mises en recouvrement. Tout d’abord, bien sûr, nous ne savons pas à l’avance quels contrôles vont donner quels résultats – pardon de cette lapalissade. Mais surtout, la loi doit être la même pour tous : nous ne décidons pas d’opérer un contrôle parce que les chances de recouvrement sont élevées… Nous programmons les contrôles suivant un certain nombre de critères, sur lesquels je reviendrai, mais celui-ci n’en fait pas partie. Une telle manière de fonctionner ne serait d’ailleurs pas conforme à la loi.

Sur le cadastre et l’IGN, il n’est pas question de fusion organique entre les deux institutions mais d’un travail technique extrêmement intéressant, consistant à rapprocher la cartographie du cadastre, à très grande échelle, et celle de l’IGN, caractérisée par de nombreuses « couches ». L’objectif est d’améliorer le service rendu, notamment aux collectivités territoriales, en faisant en sorte que les cartes respectivement gérées par l’un et par l’autre soient strictement superposables, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour des raisons techniques. Ce travail de rapprochement, qui implique des algorithmes de déformation automatique des parcelles et qui prendra plusieurs années, permettra ensuite de joindre les cartes les unes aux autres et d’avoir la capacité, par exemple, de reconnaître de manière fine sur une zone donnée les parcelles et leurs propriétaires. Il y aura donc rapprochement-fusion des cartes mais non pas des entités qui les gèrent. En tout état de cause, c’est le résultat qui compte pour l’usager : le produit sera unifié, ce qui constitue un grand progrès.

S’agissant des process, le contrôle fiscal mêle plusieurs éléments et comporte notamment une dimension humaine importante. À cet égard, dans le contexte de réduction des effectifs qui s’impose à nous comme à d’autres, nous avons tenté le plus possible de sauvegarder les moyens consacrés au contrôle fiscal. Certes, celui-ci relève aussi beaucoup – et peut-être demain davantage encore – de ce que vous appelez des process c’est-à-dire de l’aide à la décision. Mais – la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) y veille avec soin – il importe que ces process, aussi automatisés et sophistiqués soient-ils, ne déclenchent pas sans intervention humaine quoi que ce soit faisant grief au contribuable. Le contrôle repose donc sur un mélange d’humain, de savoir-faire, de connaissance du tissu fiscal et de respect des procédures ainsi que sur de puissants moyens informatiques.

Le data mining, qui consiste à manipuler un nombre considérable de données pour essayer d’en tirer des enseignements, nous a d’ores et déjà permis de croiser des fichiers – avec l’autorisation de la CNIL – et de déterminer des indices afin de faire une meilleure programmation du contrôle fiscal. Après avoir procédé à un test sur mille dossiers identifiés par le procédé data mining dans la sphère de la TVA, nous avons constaté qu’un certain nombre de ces dossiers avaient déjà été décelés par l’intelligence humaine locale comme étant susceptibles de nous intéresser mais que ce n’était pas le cas de la totalité d’entre eux. Il y a donc une vraie complémentarité entre l’œil d’expert et cet outil très automatisé. Ce résultat nous a paru suffisamment intéressant pour qu’à l’intérieur même de nos process automatisés, certaines entreprises soient estampillées comme étant plus à risque que d’autres. Ainsi, en matière de remboursement de crédit de TVA, cela génère le basculement dans ce que nous appelons dans notre jargon la procédure longue c’est-à-dire un examen plus complet.

La Belgique est-elle mieux outillée que nous ? Une certaine entreprise a popularisé l’idée que la France avait fait un mauvais choix – il est vrai qu’elle n’était pas dénuée d’intérêts dans ce débat puisque l’administration belge avait eu recours à ses services pour monter son procédé de data mining. Je me suis rendu en Belgique il y a trois semaines pour rencontrer mes homologues et évoquer notamment ce sujet. La France, en effet, a fait le choix de monter avec ses statisticiens son propre système, qui inclut quelques bouts de progiciels de marché. Je le dis sans triomphalisme : au vu des résultats, il n’y a pas à rougir du choix qui a été fait. Tout cela a fait un peu de bruit parce qu’une entreprise a mené une action vigoureuse et, finalement, efficace. Elle a joué sa partition pour expliquer que nous étions particulièrement nuls puisque nous ne l’avions pas choisie. Ce sont des situations auxquelles nous sommes parfois confrontés. Pour autant, cela ne signifie pas que les Belges sont mal outillés – il ne s’agit pas non plus de renverser le raisonnement. Cela montre au contraire que, par des voies diverses, nous arrivons à peu près, méthodologiquement, aux mêmes conclusions. De même, en matière de logiciels permissifs, nous avons suivi des voies parallèles mais pour aboutir au même résultat, qui consiste à prendre le mal à la racine.

J’en viens aux ventes de véhicules, très vieux sujet de fraude intracommunautaire à la TVA. En ce domaine comme dans d’autres, il nous faut faire preuve d’humilité. Cela fait des années que nous luttons contre ce phénomène difficile à combattre, d’abord parce qu’il s’agit d’une myriade d’opérations ponctuelles et ensuite, parce que sur le fond, nous n’étions peut-être pas suffisamment outillés. Nous utilisons désormais un nouveau dispositif dans le cadre duquel le fameux quitus, qui permet d’immatriculer un véhicule sur le territoire national, doit, pour être délivré, obéir à des formalités beaucoup plus exigeantes que par le passé : en gros, il faut pouvoir attester que la TVA a été acquittée en amont. Nous sommes en train de mettre en œuvre ce nouveau dispositif législatif et continuons à travailler avec les administrations sœurs, car la vente de véhicules dits d’occasion se fait dans tous les sens, si j’ose dire. Il s’agit souvent de flottes de véhicules relativement neufs vendus par des loueurs pour ensuite passer par des mécanismes compliqués via parfois deux ou trois États puis de nouveau la France.

Concernant la Suisse, j’avoue très humblement que j’ignorais complètement le chiffre de 83 milliards de francs suisses d’actifs. Je ne sais qui l’a cité à l’époque – ce ne pouvait être la France – et j’ai du mal à reconstituer intellectuellement devant vous la façon dont il a pu être « concocté ».

M. Charles de Courson. Ce sont les Suisses qui ont fourni différents chiffres à l’Allemagne, à la France, à l’Italie et au Royaume-Uni.

M. le directeur général des finances publiques. Alors je comprends mieux !

M. Alain Fauré. Peu importe la somme en cause. La question porte sur les intérêts perçus. De mémoire, l’Allemagne et la Suisse ont signé un accord qui fut quelque peu remis en cause avant que ces pays ne reviennent dessus. Où en sont-ils actuellement ?

M. le directeur général des finances publiques. J’ignorais ce chiffre de 83 milliards annoncé par les Suisses en des circonstances où ils trouvaient intérêt à plaider la signature d’un accord. Tout cela a été balayé par l’Histoire.

Vous me demandez combien de patrimoines sont concernés par le STDR. Une précision tout d’abord : lorsqu’on régularise fiscalement la situation d’une personne s’étant présentée au STDR, celle-ci n’a pas obligation de rapatrier les fonds. Mais cela a des effets – que je ne sais chiffrer – en termes d’assiette récurrente. Cela peut par exemple grossir un patrimoine et éventuellement faire franchir le seuil d’assujettissement à l’impôt de solidarité sur la fortune. Cela peut produire, peu ou prou, des revenus – en consultant les dossiers, on s’aperçoit en effet que certains de nos compatriotes qui plaçaient leur argent en Suisse n’étaient pas toujours rémunérés dans des proportions extrêmement avantageuses, pour dire les choses pudiquement ; ils y trouvaient d’autres intérêts. En tout état de cause, l’assiette ne peut que tendanciellement s’améliorer : que l’argent reste en Suisse ou soit rapatrié dans la territorialité, la personne demeure un résident français assujetti à l’impôt français.

S’agissant du patrimoine en question, le chiffre que j’ai à l’esprit ne peut être que partiel car les quelque 40 000 dossiers de régularisation que nous avons reçus – et nous continuons d’en recevoir – n’ont pas tous encore été traités. Ce chiffre, que je vous demande de prendre avec une certaine distance, et qui correspond au montant des avoirs sur un certain nombre de demandes reçues à une certaine date est de 25 milliards d’euros. Il ne doit pas forcément être comparé aux 83 milliards de francs suisses précités car l’histoire n’est pas finie et qu’il y a pu avoir quelques fuites dans le dispositif. D’ailleurs, certains banquiers ne cachent pas que certains détenteurs d’avoirs ont pu choisir de quitter la Suisse pour d’autres cieux plus cléments, même s’ils sont de moins en moins nombreux. Ce n’est cependant en aucun cas, selon moi, ce qui explique l’écart entre les 25 milliards dont j’ai dit le statut transitoire et ces 83 milliards. Je le répète, de nombreux dossiers n’ont pas encore été suffisamment explorés pour que nous en connaissions les patrimoines sous-jacents. Je rappelle que la plupart des redevables commencent par rédiger une lettre d’intention dans laquelle, bien souvent, ils n’indiquent ni la banque ni le montant concernés mais uniquement qu’ils détiennent un compte à l’étranger, qu’ils souhaitent régulariser leur situation et qu’ils vont rassembler les pièces à produire. La suite au prochain numéro, si j’ose dire.

Conformément à la loi, nous sommes en relation étroite avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui nous transmet des informations portées à sa connaissance par les parlementaires, notamment, mais aussi par certaines personnalités et certains fonctionnaires – dont je fais partie. Comme cela a été prévu dans les débats et dans les textes, cette autorité s’appuie considérablement sur l’administration fiscale, même si elle se fait aussi sa propre opinion. Si vous me demandez implicitement ce que nous faisons des discordances qui pourraient apparaître à cette occasion, je vous répondrai sans gêne aucune que nous faisons notre métier. D’ailleurs, si nous faisions semblant de ne pas voir, on pourrait légitimement nous en faire grief. Vous avez fait également allusion à quelques épisodes extrêmement malheureux, des éléments ayant été porté à la connaissance de la presse dans des conditions anormales et scandaleuses. Je le dis avec force et sans grandiloquence : c’est une souffrance pour la collectivité professionnelle que j’ai l’honneur de diriger lorsque le secret fiscal est galvaudé. Le sujet est extrêmement sérieux lorsque l’on voit ce que sont devenus d’autres secrets, pourtant aussi fortement protégés que le secret fiscal. Tout petit coup d’épingle est un scandale en soi. Comme d’habitude dans ce genre de circonstances, il est extrêmement difficile de savoir ce qui s’est passé.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je suis rapporteure spéciale pour les crédits de la mission Direction de l’action du Gouvernement, ce qui inclut les autorités administratives indépendantes. Ayant donc eu l’occasion d’auditionner le président de cette nouvelle instance, j’ai soulevé devant lui le problème de la diffusion de certaines informations dans la presse. Sa réponse a été très claire : « Les fuites qui ont été opérées ne viennent absolument pas de chez nous ».

M. le directeur général des finances publiques. Comme la loi nous y oblige, nous travaillons main dans la main avec la HATVP. En ces circonstances de fuite malheureuse, nous avons évidemment été en contact. Je lui ai fait la même affirmation car rien ne permet de démontrer, ni de près ni de loin – surtout compte tenu de notre culture interne –, que cela puisse sortir de chez nous. Personne ne saura probablement jamais ce qui s’est passé. La direction générale des finances publiques – qui, comme toute institution humaine, a ses qualités et ses défauts – a une certaine tradition de contrôle interne. Nous y consacrons d’ailleurs des forces considérables, ce qui, au demeurant, n’est pas illégitime compte tenu du fait que nous manions des deniers publics. Nous continuons à avoir cette tradition de contrôle interne extrêmement puissant sans même parler des contrôles provenant d’institutions externes. Nous le faisons sérieusement et chaque fois que nécessaire ; nous procédons à des enquêtes approfondies et non de complaisance. Ma conviction personnelle est que l’administration fiscale n’est pas à l’origine de ces fuites. Le président Nadal a évidemment la même conviction s’agissant de la HATVP.

Nous révisons en permanence nos process. Ainsi, lorsque des dossiers sont susceptibles d’intéresser l’opinion publique, ils suivent des circuits et des modes de conservation spécifiques. Je le confirme une fois encore : nous travaillons très bien avec la Haute Autorité, nous répondons à ses demandes et nous nous trouvons avec le président Nadal sur le même bateau, concourant à l’application de la loi récente. Cela vaut pour les parlementaires comme pour les ministres – avec une exigence encore plus élevée pour ces derniers.

Quant à savoir si le programme BEPS et les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) permettront de produire des recettes significatives, l’objectif global est de localiser les assiettes en cohérence avec le lieu où se produit la valeur ajoutée. Si le système fonctionne bien, ce n’est pas dans le ressort du contrôle fiscal que les recettes s’accroîtront mais bien dans l’assiette normale d’entreprises payant leurs impôts. Nous avons l’espoir que cela génère des recettes supplémentaires mais quant à savoir où elles seront situées, c’est tout l’enjeu de la compétition et de la rivalité que BEPS essaie de cantonner – compétition fiscale que certains pays, y compris européens, n’étaient pas les derniers à pratiquer. Je défie quiconque de parvenir à estimer cette recette supplémentaire d’autant que dans nombre de situations, nous n’avons pas complètement déterminé la manière d’appréhender avec précision l’endroit où taxer et sur quelles bases : je pense à toute l’économie de l’internet, sujet compliqué. Mais j’ai bon espoir que nous y parvenions progressivement.

L’échange automatique de renseignements sera en place demain, dès 2017, ou en 2018 pour les pays les moins précoces. En outre, la France joue un rôle particulier à l’OCDE dans l’installation du système informatique, assez complexe, qui permettra des échanges d’informations multilatéraux. Mais une fois le système en place, encore faudra-t-il que les banques des quatre-vingt-dix pays concernés soient toutes au rendez-vous. Si tout cela est donc positif, je n’escompte cependant pas d’effets tangibles, et encore moins chiffrables, à court ou à tout moyen terme.

M. Joël Giraud. Ma question était plutôt de savoir si, conformément aux dispositions de l’article 238 A, vous disposiez d’une liste des États à fiscalité privilégiée au regard de chaque dispositif de contrôle et de recouvrement, à l’image du Royaume-Uni, ou si nous étions toujours dans la logique selon laquelle c’est la multinationale qui apprécie en premier lieu ce qui relève de la fameuse barrière des 50 %.

M. Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal. Nous n’avons pas de liste des pays relevant de l’article 238 A – le critère retenu supposant de déterminer si ces pays ont une fiscalité inférieure de 50 % à la fiscalité française. Cela peut s’apprécier soit de façon globale, en fonction du niveau d’imposition sur les sociétés dans tel ou tel pays, soit par opération – par exemple, en matière financière ou de régime fiscal des brevets. C’est complexe et évolutif puisque les législations des autres pays changent avec le temps.

S’agissant des grandes tendances en matière de prix de transfert, il y a évidemment des rappels classiques d’évaluation du prix par rapport à la concurrence. Car même si la fiscalité est normale dans l’autre pays, il n’en demeure pas moins que ce sont des résultats qui auraient dû être déclarés en France. Il est donc normal de les y faire revenir.

En matière d’évasion fiscale, la question des redevances de marque reste prégnante. Il suffit de localiser des marques dans des pays à fiscalité relevant de l’article 238 A pour bénéficier d’avantages.

Nous surveillons également le business restructuring qui consiste à transférer une partie des fonctions d’une société dans des pays ayant une fiscalité privilégiée alors que dans la réalité, ces fonctions n’ont pas été transférées.

M. le directeur général des finances publiques. Il arrive aussi que le transfert de ces fonctions soit effectif mais que ces dernières soient facturées à la filiale française à un prix qui n’est pas de saine concurrence.

M. le chef du service du contrôle fiscal. Une autre question qui se pose est celle de l’existence, ou non, d’un établissement stable. Je fais ici référence aux grandes sociétés du secteur numérique qui nous font croire qu’elles n’ont pas d’activités imposables à l’impôt sur les sociétés en France.

Je citerai aussi ce qui relève des charges financières. Un peu comme pour les marques, certains montages permettent en effet de grever les résultats des entreprises françaises par des charges financières artificielles, indues ou facturées depuis des pays ayant une fiscalité privilégiée.

Je terminerai par l’article 209 B dans son application au sein de l’Union européenne : on ne peut recourir à cet article dans l’Union que pour des sociétés n’ayant quasiment aucune substance, par exemple lorsque des activités financières sont localisées en Belgique ou au Luxembourg. Autrement, cet article est très difficile à utiliser dans l’Union.

M. le directeur général des finances publiques. Je ferai un petit ajout en lien avec ce qu’Olivier Sivieude vient de vous dire et en rapport avec les outils dont nous disposons. Concrètement, nous faisons une perquisition pour déterminer l’existence d’un établissement stable. Cela veut dire que nous perquisitionnons désormais sur un segment économique dont les entreprises, du fait de leur taille, n’étaient jamais l’objet il y a vingt ou trente ans de perquisitions – outil tout de même assez intrusif auquel nous ne recourons qu’avec l’autorisation du juge. Je le souligne car on entend dire parfois que le contrôle fiscal s’est durci : cela s’explique notamment par le fait qu’il nous arrive désormais d’utiliser, y compris à l’égard de grandes entreprises, des outils juridiques qu’elles n’avaient pas l’habitude de nous voir utiliser à leur endroit. Mais il est difficile de démontrer l’existence d’un établissement stable sans faire une perquisition fiscale.

S’agissant de l’Europe, nous coopérons entre collègues des administrations européennes mais de façon insuffisante, à mon avis – et j’en prends ma part. C’est une question de culture et d’habitudes. Nous arrivons néanmoins à réaliser des opérations qui, petit à petit, porteront leurs fruits. Avec les Belges, par exemple, nous menons des opérations de contrôle dit conjoint c’est-à-dire que, simultanément de part et d’autre de la frontière, nous allons voir des entreprises liées les unes aux autres. Ce n’est pas encore une pratique largement diffusée mais nous nous efforçons de développer de telles méthodes. Fonctionnent par ailleurs plutôt bien les dispositifs d’alerte et de circulation d’informations, notamment en matière de TVA intracommunautaire. Pour autant, il est vrai que dans l’idéal, la coopération entre administrations fiscales européennes doit progresser – raison de mon déplacement récent en Belgique.

La question du rythme des contrôles suivant les catégories d’entreprises visées est complexe. Elle a bien entendu un sens du point de vue arithmétique. Mais je veux rappeler ici que la programmation du contrôle fiscal ne prend pas systématiquement – et encore moins exclusivement – en compte le rythme. Si l’on contrôle l’entreprise A plutôt que l’entreprise B, c’est que des clignotants s’allument dans nos dossiers, que nous y constatons des curiosités, des différences ou des événements tels que nous jugeons utile de nous y intéresser. Il nous arrive aussi de nous dire qu’il faudrait contrôler telle ou telle entreprise parce qu’elle n’a pas été vue depuis vingt ans. Mais c’est là un critère assez résiduel. Compte tenu du contexte et de ce que nous avons dit aujourd’hui, nous essayons de faire porter nos contrôles là où sont les enjeux tout en couvrant le tissu fiscal dans sa pluralité.

Je m’explique. Certes, je vous l’ai dit, la richesse fiscale étant concentrée, les résultats le sont aussi. Il nous paraît cependant important d’avoir une présence relativement significative sur l’ensemble de l’échelle des contribuables, en l’occurrence les PME, parce que le contrôle a aussi une fonction dissuasive. C’est en quelque sorte le bon côté de la crainte du gendarme. Il y a aussi l’idée d’une certaine égalité devant le contrôle fiscal. La saine concurrence consiste aussi à avoir une présence relativement étale tout en tenant compte des enjeux. Pour ces raisons, je suis incapable de vous dire ce qu’il en est du rythme de contrôle des PME – je m’en excuse et vous ferai parvenir cette information.

Le rythme moyen de contrôle est extrêmement faible car s’il y a 4 millions d’entreprises en France, ayez à l’esprit qu’en contrôle fiscal externe, nous vérifions un peu moins de 50 000 entreprises par an – ce qui ne veut pas dire que nous ne contrôlions pas du tout les autres puisque nos services exercent par ailleurs un contrôle sur pièces. Pour autant, je ne suis pas sûr qu’il faille s’émouvoir de la faiblesse de ce rythme. Car encore une fois, chaque jour qui passe, nous essayons d’améliorer nos techniques de programmation et de faire diminuer le nombre de situations dans lesquelles nous allons en entreprise sans rien y trouver. Il est normal que cela se produise de temps en temps : cela reflète le fait que la majorité des contribuables sont grosso modo dans les clous. Mais dans l’absolu, pour que les moyens qui nous sont alloués soient utilisés le plus efficacement possible, nous cherchons tout de même à concentrer nos forces là où nous avons le plus de chances de trouver des recouvrements à effectuer. Nous avons donc un équilibre à trouver entre enjeux et techniques de programmation. Globalement, il reste que les chiffres, si je pouvais les citer, vous paraîtraient sans doute faibles. De ce point de vue, la France ne se singularise pas : nous sommes même plutôt plus présents dans les entreprises que certains autres pays comparables.

S’agissant des délais de prescription, le fait que vous soulevez n’est pas toujours à notre gloire mais « arrêter le compteur » pour éviter la prescription relève peut-être de notre sens des finances publiques. Cela fait des années que nous essayons d’améliorer ces situations. Mais dans la pratique, lorsque que, quelques jours avant la prescription, l’envoi d’un document officiel permet d’arrêter celle-ci, c’est-à-dire de sauvegarder les droits du Trésor, l’alternative qui nous est offerte est assez simple : soit nous laissons perdre ces droits, soit nous envoyons ce document à une date qui, objectivement, n’est pas idéale. Nos process internes visent à assurer un suivi du rythme auquel les contrôles se concluent. Il n’empêche que, je le reconnais, il arrive encore dans certains cas que nous envoyions des documents en limite de prescription. Mais encore une fois, c’est un arbitrage entre l’optimum de relations publiques, si j’ose dire, et l’optimum de conservation de l’intérêt des finances de l’État. Et nous avons tendance à privilégier ce dernier.

Dans un autre ordre d’idées, et là c’est non pas la prescription mais notre process parfois industrialisé qui joue – même si j’ai insisté sur la part de l’humain dans notre tâche –, il arrive que des documents soient envoyés au domicile des contribuables pendant les vacances d’été, ce qui pose problème dans les relations que nous entretenons avec eux. On sait qu’au mois d’août, la France est plus généralement en vacances qu’au travail. Les personnes qui ont la chance de prendre un mois de vacances ne peuvent alors aller retirer le pli recommandé qu’elles ont reçu. Nous réfléchissons donc actuellement aux améliorations à apporter pour éviter cela. Je n’en fais pas une affaire considérable. Cela montre que nous avons conscience que des progrès restent à accomplir. Je ne voudrais pas que vous reteniez de mon propos une vision béate de ma propre administration : nous savons tous les progrès qu’il nous reste encore à faire.

M. Pierre-Alain Muet. Je reviens sur une question que j’ai posée à propos des schémas d’optimisation : vous avez publié en avril 2015 des fiches très bien conçues dans lesquelles vous expliquez quels schémas d’optimisation sont contestables – information très utile aux entreprises. Or, toutes ces fiches se terminent par les mots : « les personnes qui ont réalisé de telles opérations peuvent prendre contact avec l’administration fiscale pour régulariser leur situation ». Comment cela fonctionne-t-il ? Avez-vous déjà obtenu des réponses ?

M. le directeur général des finances publiques. Pardonnez-moi, monsieur le député, de ne pas avoir répondu spontanément à votre question. Je formulerai deux observations. D’une part, en termes de procédure, le seul fait de publier ces éléments et de les porter à la connaissance des contribuables n’a pas de conséquences mécaniques. Nous l’avons indiqué de la manière la plus claire qui soit. Dans notre jargon, découvrir ex post qu’une entreprise a recouru à un dispositif ressemblant à un tel montage ne déclenche pas systématiquement des pénalités pour manquement délibéré.

Quant à savoir, d’autre part, si cette publication a déclenché si ce n’est un raz-de-marée, du moins un mouvement positif de régularisations spontanées, la réponse est objectivement négative. Cela étant, cette opération est assez jeune puisqu’elle ne date que de quelques mois. Elle a d’ailleurs suscité de nombreux débats dans le monde des conseils d’entreprises – qui se sont interrogés sur cet objet. Certains mêmes en ont contesté la pertinence. Si l’idée nous est venue, c’est que dans nombre de cas, la fiscalité est tellement compliquée et l’inventivité des opérateurs, tellement grande, qu’il nous arrive de tomber sur des choses nouvelles – que nous considérons être interdites par la loi et que nous redressons. Le premier réflexe de l’entreprise est alors de nous dire qu’elle ne savait pas que le montage en question était interdit, qu’il n’y a pas de jurisprudence en la matière, que nous n’avions jamais procédé à ce type de redressement. Nous avons donc pris en quelque sorte les entreprises au mot. Nous portons désormais à la connaissance de toutes que nous procéderons à un redressement lorsque nous tomberons sur l’un des montages en question. Voilà pourquoi nous mettons en ligne ces montages. L’objectif d’obtenir des régularisations n’est pas visible. Est-ce à dire que ces montages sont rares et qu’il n’y a pas matière à régularisation ? J’avoue que je n’en sais rien.

M. le président Gilles Carrez. Nous vous remercions, monsieur le directeur général, pour cette audition fort intéressante. J’ai beaucoup apprécié le climat dans lequel elle s’est déroulée. Nous poursuivons les mêmes objectifs que vous.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 24 novembre 2015 à 16 h 15

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Jean-Marie Beffara, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Joël Giraud, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Régis Juanico, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Étienne Blanc, M. Alain Claeys, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Fruteau, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra, M. Pascal Terrasse

Assistait également à la réunion. - M. Paul Molac

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