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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 23 mars 2016

Séance de 10 heures 15

Compte rendu n° 67

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Table ronde sur la situation financière internationale avec M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis et Mme Esther Jeffers, maître de conférences à l’Université Paris 8

–  Présences en réunion

La commission entend M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, et Mme Esther Jeffers, maître de conférences à l’Université Paris 8, sur la situation financière internationale.

M. le président Gilles Carrez. Vous vous souvenez sans doute que notre commission a reçu successivement l’an dernier cinq spécialistes français venus traiter de la croissance économique de notre pays et ses perspectives. Le vif intérêt de ces auditions m’a fait souhaiter que la commission continue de recevoir des universitaires et des chercheurs afin de stimuler sa réflexion sur les sujets qui relèvent de sa compétence.

Cette année, notre bureau a souhaité l’organisation d’un cycle d’auditions relatives à la situation financière internationale. Étant donné les développements récents intervenus en Europe et en Chine, des inquiétudes se font jour : on se demande si une nouvelle crise financière comparable à celle de 2008 ne couve pas. Il est donc bon que nous puissions nourrir notre réflexion d’éléments apportés par d’autres que les seuls membres de notre commission ou de l’exécutif – les propos de ce dernier étant par nature rassurants. Ainsi, au cours de sa séance du 15 mars dernier, tenue sous la présidence du ministre des finances, le Haut Conseil de stabilité financière s’est félicité de « la résilience des acteurs français vis-à-vis des risques qui se sont manifestés récemment », a salué le caractère « globalement robuste » de la situation des sociétés non financières et n’a pas constaté, « à ce stade, de croissance excessive du crédit dans le système bancaire français qui pourrait être source de risques systémiques ».

Néanmoins, notre pays est exposé aux remous des marchés internationaux et la vigilance doit donc rester de mise, dans un contexte réglementaire européen qui a fortement évolué au cours des dernières années pour l’ensemble des institutions financières. Aussi avons-nous organisé deux tables rondes : avant d’accueillir mercredi prochain M. Michel Pébereau, M. Jean Pisani-Ferry et Mme Hélène Rey, je souhaite en votre nom la bienvenue à Mme Esther Jeffers, maître de conférences à l’Université Paris 8, et à M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis. M. Guntram Wolff, directeur du think tank Bruegel, qui devait nous rejoindre en provenance de Bruxelles en est malheureusement empêché en raison des graves événements que l’on sait.

Madame Jeffers, vous avez notamment écrit pour la revue Les Possibles, éditée par le mouvement Attac, un article intitulé « À quoi sert une banque centrale ? Que fait la BCE ? Que devrait-elle faire ? ». Quant à vous, monsieur Artus, vous avez publié dans l’hebdomadaire Le Point du 23 février dernier une chronique titrée « Quand les banques centrales déstabilisent l’économie mondiale ». Vos travaux récents montrent donc votre intérêt pour les sujets que nous voulons approfondir ans le cadre de ces tables rondes.

Mme Esther Jeffers, maître de conférences à l’Université Paris 8. Je vous remercie pour cette invitation. Étant donné la brièveté du temps qui m’est imparti pour traiter d’un sujet aussi vaste, mon exposé sera forcément ramassé.

La situation financière internationale se caractérise en premier lieu par la grande volatilité des cours boursiers, comme le montre l’évolution du Dow Jones et du CAC40 ; une succession de plongeons et de remontées, avec de brusques variations, entraînent une grande instabilité. Ainsi le CAC40 a-t-il perdu 21,3 % au cours des dix semaines écoulées entre novembre 2015 et le 11 février 2016 ; quant au Dow Jones, il a gagné 11,3 % entre août et novembre 2015 avant de les reperdre puis de remonter. Sans même parler de la chute de 40 % de la Bourse chinoise cet été, cette volatilité crée une grande incertitude.

Une autre caractéristique de la situation présente est l’abondance de liquidités, en raison de la politique suivie par les banques centrales. Mais, malheureusement, l’objectif assigné par la Banque centrale européenne (BCE) – que ces liquidités aillent vers l’économie réelle – n’a pas été atteint. Comme le constate le Haut Conseil de stabilité financière, le crédit bancaire n’a pas augmenté au point de présenter un risque systémique, mais le but de la politique monétaire suivie – faire repartir l’économie européenne – n’est pas atteint : l’économie réelle étant incapable d’offrir aux investisseurs la rentabilité à court terme que propose la sphère financière, c’est vers elle que les liquidités se dirigent. Il résulte donc de cette politique monétaire que l’inflation constatée n’est pas, contrairement à ce qui était escompté, celle du prix des biens et des services, que l’on souhaitait voir s’établir à 2 %, mais l’inflation des actifs financiers. C’est grave, car c’est le signe que des bulles se forment.

La situation financière internationale se caractérise aussi par la forte volatilité des capitaux. La liquidité abondante part vers les économies des marchés émergents lorsqu’elles sont en bonne santé et en repartent très brusquement lorsque la situation se détériore, accroissant la déstabilisation des économies considérées. Les sorties de capitaux des pays émergents ont ainsi été de 540 milliards de dollars en 2015.

On note encore la chute considérable du prix des matières premières : en trois ans, le prix du baril de pétrole a perdu les trois quarts de sa valeur et le prix des matières premières a suivi. Cette très forte instabilité entraîne celle des cours de change, des liquidités abondantes fuyant vers les marchés obligataires, considérés plus stables, où se forme une bulle.

Autre caractéristique encore : le ralentissement de la croissance en Chine et la dégradation des économies des pays émergents, tel le Brésil, mais aussi des pays développés, dont les États-Unis, où la croissance – qui s’était d’ailleurs construite sur la détérioration continue des conditions de travail – s’essouffle.

Les taux d’intérêt extrêmement bas et les liquidités injectées par l’assouplissement quantitatif – le quantitative easing – alimentent la bulle obligataire, qui continue de gonfler. La faiblesse des taux a aussi pour conséquence que les risques ne sont pas correctement valorisés par les marchés. La baisse des taux provoque par ailleurs la baisse des primes sur toutes les classes d’actifs.

La remontée des taux provoquerait des pertes colossales ; elles seraient portées par les investisseurs institutionnels et par les banques, ce qui aggraverait la situation.

Enfin, les dettes privées et publiques n’ont pas été apurées, et il existe encore des créances douteuses au bilan des institutions financières.

Parant au plus pressé, les banques centrales ont injecté énormément de liquidités dans l’économie, mais cette débauche de sparadrap n’a pas résolu la crise, et l’on n’est pas près de voir la situation changer. Les banques centrales ont même créé les conditions d’une nouvelle crise. Je ne saurais dire de manière catégorique s’il s’agit d’une nouvelle crise ou de la même qui n’en finit pas ; quoi qu’il en soit, les prémices d’un approfondissement ou d’un rebond de la crise sont, selon moi, réunies.

Quelles réflexions appellent cette situation ? Le constat s’impose d’abord que la politique monétaire ne peut à elle seule régler tous les problèmes. L’inflation des actifs financiers, prémices d’un nouveau krach, augmente le patrimoine des plus riches et accroît les inégalités sociales. Les salaires réels restant à un niveau bas, non seulement l’objectif d’une remontée de l’inflation n’est pas atteint mais celle-ci recule. C’est un constat d’échec des politiques monétaires appliquées aujourd’hui.

D’autre part, les politiques d’austérité menées en particulier par les gouvernements européens – elles ne sont pas conduites de la même manière aux États-Unis – sont contre-productives au sens littéral : elles ne permettent pas de sortir de la crise et elles mettent en contradiction la politique monétaire et la politique budgétaire. On ne marche pas sur les deux pieds en même temps.

Si krach il y avait, il serait beaucoup plus dangereux qu’en 2007-2008, car les budgets des États ne permettraient pas les mêmes sauvetages que ceux qui ont eu lieu alors.

Les promesses de réforme des établissements bancaires et des marchés financiers n’ont pas été tenues. Faute d’avoir été menées à leur terme, elles n’ont pas permis de changements importants. Les banques doivent retrouver leur vrai métier, l’intermédiation. Paradoxalement, alors que la crise de 2008 a mis en évidence la notion de banques « trop grandes pour faire défaut » – too big to fail –, les banques sont aujourd’hui plus grosses et donc plus systémiques qu’elles ne l’étaient alors. La séparation des banques d’affaires et des banques de dépôt n’a pas été faite, si bien que le système bancaire continue d’être en danger.

Les crédits ne doivent pas être transformés en titres négociables ; en tout cas, les banques qui les ont émis doivent continuer d’assumer le risque auquel elles ont consenti.

Enfin, la réglementation micro-prudentielle engagée a concerné les banques mais rien n’a été fait au sujet des entités non bancaires – le shadow banking, dit aussi « finance parallèle ». Le principe devrait être adopté, au niveau européen, que la régulation doit être identique pour une activité donnée, que l’entité qui l’exerce soit une banque ou une « non-banque », puisque toutes sont interconnectées, ce qui est un danger en soi. De ce point de vue, la France se fait particulièrement remarquer par l’opacité de l’interconnexion entre les banques et la finance parallèle. La réglementation micro-prudentielle a fait un début de progrès, mais les non-banques y échappent entièrement et, en dépit de demandes répétées, on ne parvient pas à connaître leurs liens avec les établissements bancaires réglementés.

Il convient enfin de s’interroger sur le statut et la puissance de la BCE. Selon moi, une refondation totale de ses objectifs et de son fonctionnement s’impose. Puisque, jusqu’à présent, la réglementation a fait très peu au niveau macro-prudentiel pour améliorer la stabilité du système financier international, je considère notamment qu’il faut inclure dans son mandat la surveillance de l’évolution du prix des actifs financiers et non, seulement, celle des prix et des services.

Je le redis, c’est le couplage de la politique monétaire et de la politique budgétaire qui fait la force d’une politique économique. Pour l’instant, la politique monétaire a été beaucoup utilisée mais elle se trouve en échec. Il faut donc utiliser davantage la politique budgétaire, en décidant d’investissements correspondants davantage aux besoins écologiques et sociaux des populations, qui sont nombreux – mais c’est là votre domaine de compétence, non le mien.

M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis. Avant de vous dire comment j’analyse la situation financière internationale, en commençant par les problèmes de l’économie pour finir par les problèmes de politique monétaire et de marchés financiers, permettez-moi de remarquer qu’il faut se garder de toute confusion entre la situation que l’on connaît aujourd’hui et celle qui prévalait en 2008 au moment de la crise des subprimes ou en 2011-2012 lors de la crise de la zone euro. Je ne connais personne qui critique les banques centrales pour avoir, en ces périodes de crise de liquidités, créé beaucoup de monnaie et, en réalité, financé directement les agents économiques – les banques en 2009, les États européens en 2011 et 2012 – qui n’arrivaient plus à le faire. Le débat qui nous occupe porte sur les politiques récentes des banques centrales.

La situation actuelle est assez particulière, puisque l’on s’aperçoit que chaque région du monde a des problèmes structurels spécifiques. Il n’y a pas de crise de l’économie mondiale, avec un facteur unique de crise qui vaudrait pour tous les pays, mais autant de problèmes structurels que de régions considérées ; j’en donnerai une liste non exhaustive.

La Chine connaît un très gros problème de compétitivité-coût, associé à un excès de capacités, principalement dans l’industrie, si bien que le pays est en déflation. Dans la zone euro, le problème tient à l’insuffisante modernisation du capital : les investissements en innovation et la robotisation y sont très inférieurs à ce que l’on voit aux États-Unis, en Suède ou au Japon. Aux États-Unis, la crise est très largement due à celle du secteur de l’énergie et du pétrole de schiste, qui coûtera probablement plus d’un point de croissance à l’économie américaine cette année. Beaucoup de grands pays émergents, le Brésil et l’Afrique du Sud au premier chef, connaissent un problème d’offre ; parce qu’ils ont sous-investi dans les infrastructures publiques depuis très longtemps, il n’y a pas assez d’électricité, d’écoles et de moyens de transport collectifs et l’industrie s’est arrêtée de croître car il lui est difficile de le faire sans voies ferrées et sans électricité. Au Japon, on constate un très grave problème de partage des revenus ; les salaires baissent depuis vingt ans alors que la productivité augmente, et le Gouvernement ne parvient pas à convaincre les entreprises de distribuer les gains de productivité à leurs salariés.

Ces problèmes structurels sont donc sérieux et compliqués à résoudre ; quand on sait qu’il y a trois fois moins de robots par salarié dans l’industrie de la zone euro qu’en Suède ou au Japon, on comprend que la question ne se réglera pas en quelques trimestres. L’effet global de ces problèmes a été le ralentissement de la croissance, partout. La croissance mondiale, dont on avait l’habitude qu’elle soit de l’ordre de 5 % par an, est aujourd’hui officiellement de 3 % si l’on croit aux chiffres de croissance de la Chine et plutôt de 2 % si l’on n’y croit pas
– un niveau qui est donc extrêmement faible au regard de ce à quoi nous étions accoutumés.

L’économie mondiale actuelle se caractérise aussi par la disparition de l’inflation, sauf dans quelques pays tels que le Brésil ou la Russie, où il s’agit d’une inflation traditionnelle due à des goulots d’étranglement – l’insuffisance de salariés qualifiés et d’infrastructures. Dans les pays de l’OCDE, l’inflation corrigée des effets du prix du pétrole est de quelque 1 % et elle est très stable ; elle est du même ordre dans la zone euro et, corrigée des effets du prix du pétrole, varie très peu. On doit voir là une caractéristique structurelle, puisque cela vaut aux États-Unis, où il y a moins de 5 % de chômeurs, comme dans la zone euro, où le taux de chômage dépasse les 10 %.

Le phénomène tient à ce que l’on a introduit plus de concurrence dans les services et sur le marché du travail, avec des contrats de travail plus flexibles. Il est parfaitement naturel que si l’on déréglemente certains marchés du travail l’inflation soit, en régime normal, plus faible qu’auparavant. Dans la zone euro, l’inflation annuelle normale, jusqu’à la crise, était de l’ordre de 2 %. Depuis la crise, elle est de 1 %. Aujourd’hui, elle est nulle, mais c’est en raison du prix du pétrole ; s’il se normalisait, on reviendrait à une inflation de 1 % et l’on resterait à ce niveau.

Cela peut-il conduire à une crise financière, indépendamment de la réaction des banques centrales ? Dans les pays de l’OCDE, la croissance potentielle – celle que l’on sait faire à long terme – ralentit pour des raisons structurelles. On l’estime à 0,7 ou 0,8 % par an pour la France, à peu près autant pour la zone euro et à un peu moins de 2 %, sans doute, aux États-Unis. Avec une inflation moindre que précédemment, cet environnement peut-il créer une crise financière ? Comme 99,9 % des économistes n’avaient pas vu venir la crise des subprimes et que ceux qui l’avaient pronostiquée l’avaient fait pour de mauvaises raisons, ils sont incités à diagnostiquer les symptômes de la crise suivante et à anticiper ce qui pourrait mal tourner.

Or, on constate que les banques ont beaucoup plus de fonds propres qu’auparavant, que les taux d’endettement du secteur privé sont beaucoup plus bas qu’ils ne l’étaient en 2007-2008 et que la profitabilité des entreprises est élevée. Comme l’a souligné Mme Jeffers, les « non-banques » et certains fonds laissent dans une certaine incertitude, mais le phénomène ne doit pas être exagéré car les montants en jeu sont très faibles. Les hedge funds gèrent mondialement 1 700 milliards de dollars ; rapporté au montant des crédits bancaires, c’est anecdotique. On peut avoir quelques inquiétudes sur l’éventuelle crise de liquidités de certains fonds d’investissement, mais il n’y a plus ni titrisation, ni crédits subprimes. On a donc du mal à déceler ce qui pourrait déclencher une crise financière majeure dans cet environnement ; on est plutôt confronté à une crise de croissance faible de l’économie réelle, pour des raisons structurelles.

Qu’en est-il de la politique monétaire dans ce contexte ? Je redis que je ne parle pas de la réaction des banques centrales à la crise des subprimes, ni de la réaction de la BCE à la crise des périphériques en 2011 – elles étaient parfaitement légitimes et personne ne les conteste. Aujourd’hui, on assiste à deux évolutions. La première est que les banques centrales font une mauvaise estimation du niveau réel de la croissance potentielle. Elles ne croient pas que la croissance lente actuelle est une caractéristique normale des économies, compte tenu des problèmes structurels ; elles la jugent anormalement basse et devant être relancée. En gros, on veut une croissance de 2 % en Europe – mais on est absolument incapable d’y parvenir, sauf de manière très transitoire ; de façon régulière, on est capable d’atteindre un petit 1 %, pour les raisons que j’ai dites.

Faute d’une analyse rigoureuse, les banques centrales lancent des politiques expansionnistes qui doivent être menées pour relancer une croissance faible au regard de la croissance potentielle mais aucunement pour relancer la croissance potentielle. Le premier problème est donc la confusion qui est faite entre croissance et croissance potentielle.

Le deuxième problème est l’inflation. La BCE a de nombreux objectifs, dont celui de porter l’inflation à 2 %. Mais, je l’ai dit, si elle est de 1 % aujourd’hui, c’est en raison d’une évolution structurelle de l’économie. Favoriser l’émergence d’Uber pour faire chuter le prix des courses en taxis n’a rien à voir avec la politique monétaire. La BCE est confrontée à une inflation faible parce que davantage de concurrence a été introduite dans l’économie. Or, cette banque centrale dit aux États de faire des réformes structurelles pour accroître la concurrence et, d’un autre côté, elle se refuse à accepter la baisse de l’inflation ainsi provoquée. C’est une forme de schizophrénie patente : on ne peut vouloir dans un premier temps abaisser le coût des courses en taxi grâce à Uber pour dire ensuite que l’objectif visé – une inflation de 2 % – impose la création de monnaie pour faire remonter le prix des courses en taxi ! La contradiction est flagrante et la BCE doit procéder à une analyse beaucoup plus fine des raisons pour lesquelles l’inflation est à 1 %, et non à 2 %, dans la zone euro.

Tout cela a eu pour conséquence une séquence de bulles. Quand on se lance dans une politique monétaire extraordinairement expansionniste, on commence généralement par avoir une bulle sur les actions et une bulle sur l’immobilier. Mais les investisseurs ayant été échaudés dans le passé, ces bulles ont cessé assez rapidement, sauf au Royaume-Uni pour l’immobilier, et les liquidités ont été assez vite redirigées vers les obligations. Nous sommes donc face à une bulle obligataire. Tous les travaux universitaires donnent des estimations convergentes selon lesquelles l’État français devrait actuellement s’endetter à un taux compris entre 2 et 2,5 % ; or il s’endette à un taux légèrement supérieur à 0,5 %. Il y a donc là 200 points de base de bulle, c’est-à-dire d’anomalie de taux d’intérêt.

Autant nous nous sommes tous convaincus qu’une bulle immobilière est extrêmement grave parce que les individus finissent par ne plus rembourser leurs emprunts si bien qu’il s’ensuit une crise bancaire, autant la bulle obligatoire est perçue, collectivement, comme relativement peu dangereuse. On se dit au contraire : « C’est seulement que la banque centrale fait baisser les taux d’intérêt à long terme, si bien que l’on peut s’endetter à bon compte et que cela relance l’économie ». Il n’empêche : c’est une bulle. Quels en sont les dangers ?

Le premier danger d’une bulle est qu’elle éclate. Dans ce cas, tous ceux qui avaient acheté des obligations au taux courant seraient ruinés.

M. le président Gilles Carrez. Mais les détenteurs d’obligations ne perdent pas leur capital.

M. Patrick Artus. Admettez que vous soyez un assureur vie français ayant acheté une obligation de l’État français à dix ans à 0,5 % et que la bulle obligataire éclate ; en huit jours, les taux d’intérêt passeront à 2 %, et la valeur de l’obligation que vous avez en portefeuille baissera de 50, voire 70 %, comme baisse le prix des maisons lors de l’éclatement d’une bulle immobilière.

M. Marc Le Fur. Cela ne vaut pas pour ceux qui gardent leurs obligations.

M. Hervé Mariton. Qui n’a pas vendu n’a pas perdu.

M. le président Gilles Carrez. Veuillez préciser, monsieur Artus, en quoi précisément la bulle obligataire peut être dangereuse.

M. Patrick Artus. Elle est d’autant plus dangereuse que les taux d’intérêt ont été bas pendant longtemps. Si vous avez acheté des obligations à taux d’intérêt bas pendant six mois, elles ne constitueront qu’une petite partie de votre portefeuille. Mais, au Japon, les investisseurs – qui sont surtout les banques, alors qu’en Europe ce sont surtout les assureurs et les fonds de pension – ont acheté très longtemps des obligations servant des taux très bas. Imaginez que vous ayez acheté il y a deux ans une obligation qui vous paye un coupon de 50 points de base et que, soudainement, les taux d’intérêt passent à 2,5 %. L’impact économique de cette évolution peut être mesuré de deux manières. La première est de constater que la valeur de votre obligation chute instantanément de moitié ; vous avez donc perdu 50 % de la valeur de votre portefeuille d’obligations. La seconde, c’est de calculer que vous percevrez seulement 0,5 % chaque année pendant dix ans en rémunération de vos anciennes obligations, alors que vous auriez reçu 2,5 % par an pendant dix ans avec les nouvelles. En résumé, la perte se calcule soit comme une perte en capital instantanée, soit comme une perte de revenus de 2 % par an. Quel que soit le mode de calcul retenu, le résultat actuariel est le même, mais comme les assureurs valorisent leur portefeuille en valeur de marché, c’est la perte en capital instantanée qui apparaîtra dans leurs comptes. L’éclatement d’une bulle obligataire a donc pour conséquence une crise patrimoniale due à la chute de la valeur des actifs détenus.

La grande différence entre une bulle immobilière et une bulle obligataire est qu’une banque centrale peut empêcher l’éclatement d’une bulle obligataire. Si les individus pensent que leurs maisons sont surévaluées et se mettent à les vendre, il est peu probable qu’une banque centrale les rachète – encore qu’en 2009, le bruit avait couru que la Réserve fédérale s’apprêtait à acheter des voitures pour soutenir l’industrie automobile américaine… Mais, comme le montre l’exemple du Japon, les banques centrales peuvent acheter toutes les obligations que les autres vendent et, ce faisant, empêcher leur prix de baisser. Une bulle obligataire est donc dans les mains des banques centrales ; ce n’est pas le cas pour les autres bulles.

Il existe deux façons de poser le risque découlant de ce qu’une banque centrale maintient des taux longs très bas pendant très longtemps. La première est de dire que la bulle va éclater et ruiner les investisseurs. La deuxième est de considérer que la banque centrale ne pourra jamais assumer que la bulle éclate et qu’en conséquence elle est condamnée à maintenir les taux d’intérêt à ce qu’ils sont jusqu’à la fin des temps, et donc à acheter les obligations que les autres vendraient, créant ainsi une expansion monétaire colossale. Le bilan de la Banque du Japon représente ainsi 80 % du produit intérieur brut (PIB) du pays – celui de la BCE représente environ 20 % du PIB de la zone euro –, et elle est condamnée à ne jamais accepter la remontée des taux, qui ferait disparaître toutes les banques japonaises. Le véritable risque induit par la bulle obligataire est probablement celui de l’irréversibilité des taux d’intérêt quand ils sont installés depuis longtemps.

Ensuite peut se produire un autre risque, que l’on commence à voir apparaître au Japon : la vente accélérée des obligations de l’État par les banques et les assureurs. Ils s’en débarrassent, craignant qu’étant donné la taille extraordinaire du bilan de la banque centrale et l’énorme quantité de yens mise sur le marché, la valeur de la monnaie devienne douteuse. Déjà, de très nombreux investisseurs et banques vendent des yens pour acheter des euros ou des dollars. On ne peut donc exclure qu’à un certain moment l’irréversibilité de la bulle obligataire crée une crise de change ; on n’en est pas là, mais on en sent les prémices dans le comportement des investisseurs au Japon.

En conclusion, on peut bien sûr suggérer, comme l’a fait Mme Jeffers, que les banques centrales soient chargées de surveiller les prix mais, normalement, elles le font déjà : leur mission macro-prudentielle les oblige à surveiller les en-cours de crédits, les déficits extérieurs, le prix des actifs… Mais le mandat consistant pour la BCE à porter l’inflation à 2 % est rustique : quand l’inflation est de 1 % parce que la demande chute, il est légitime de lancer une politique monétaire expansionniste pour la redresser, comme ce fut fait en 2009 et en 2011. L’inflation peut aussi être de 1 % parce que le prix du pétrole baisse ; en ce cas, on comprend mal pourquoi ne pas accepter que les consommateurs en profitent, grâce à une inflation plus faible. L’inflation peut encore s’établir à 1 % parce que l’on a introduit de la concurrence dans l’économie – et pourquoi, une fois de plus, ne pas laisser les consommateurs en profiter ?

Une banque centrale dont l’objectif d’inflation n’est pas respecté doit au minimum s’interroger sur les raisons de la déviation et y apporter une réponse différente selon les causes. Auparavant, la déviation était à la hausse et le débat avec M. Jean-Claude Trichet était de savoir s’il fallait monter les taux parce que le pétrole était plus cher. Il pensait qu’il le fallait, mais la plupart des économistes étaient de l’avis contraire, parce que c’est un prix relatif et non un problème monétaire : ce n’est pas parce que l’on augmentera les taux en Europe que le prix du pétrole baissera. La question posée aujourd’hui à la BCE est autre : faut-il s’acharner à porter l’inflation à 2 % si elle est de 1 % parce que l’on a introduit plus de concurrence dans l’économie ? La réponse est « non ». Mais si cette faible inflation tenait à une chute de la demande, la réponse serait « oui ». La BCE se doit d’affiner considérablement son objectif d’inflation.

Les banques centrales peuvent-elles utiliser une bulle comme un instrument de politique monétaire ? Elles le font. Ainsi la Réserve fédérale a-t-elle dit presque explicitement que la bulle immobilière était la réponse à l’éclatement de la bulle des actions ; ce comportement est parfaitement déraisonnable. Aujourd’hui, on crée une bulle obligataire pour compenser l’explosion de la bulle immobilière, et c’est tout aussi déraisonnable.

Enfin, la politique monétaire devrait être contracyclique. À cet égard, M. Ben Bernanke est un très grand criminel, puisqu’avec un taux de chômage inférieur à 5 %, la Réserve fédérale, au bout de sept ans, n’a toujours pas haussé les taux directeurs, ou à peine : Mme Janet Yellen les a remontés de 25 points de base et les montera peut-être de 25 points supplémentaires en juin. Même M. Greenspan, qui n’était pas un génie, aurait sans doute, eût-il continué d’être aux commandes de la Réserve fédérale, porté les taux directeurs à 4 %, si bien que l’on pourrait maintenant les baisser pour réagir au ralentissement de l’économie américaine – ce que l’on ne peut faire parce que l’on a oublié de les remonter.

Une proposition de réforme de la Réserve fédérale, votée par la Chambre des représentants, est sur le bureau du Congrès. Certains parlementaires américains considèrent que la banque centrale des États-Unis devrait utiliser une règle mathématique pour former les taux directeurs, sans que ne lui soit donnée aucune faculté d’interprétation de cette règle. La proposition est extrêmement dangereuse car il peut y avoir des circonstances particulières, mais si elle avait été appliquée, la situation économique des États-Unis serait probablement meilleure : les taux directeurs seraient de 4 % et baisseraient.

En conclusion, le problème majeur est que le mandat des banques centrales n’est pas interprété avec la sophistication requise.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie tous deux pour ces propos très stimulants.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Quand l’argent ne vaut rien puisque le taux d’intérêt est à zéro, les investisseurs cherchent du rendement quelque part et, s’ils ne trouvent pas, ils le fabriquent, si bien que des bulles se créent. Où, selon vous, les flux d’argent se dirigent-ils aujourd’hui ? Qui fabrique des produits aux noms encore inconnus créant les bulles qui finiront par exploser ? Je suis moins optimiste que vous ne l’êtes, monsieur Artus, car personne n’a jamais su trouver une solution aux bulles obligataires. Vous défendez l’idée qu’une banque centrale peut intervenir, mais étant donné les montants en jeu, notamment pour les assureurs allemands qui doivent payer les pensions de retraite, je pense qu’un tsunami est devant nous que personne ne sait empêcher et qui emportera l’Europe, et au-delà.

Mme Karine Berger. Si je comprends bien, il faudrait pendre M. Mario Draghi haut et court ! Ce n’est pas exactement le sentiment des marchés financiers. Les taux directeurs de la BCE viennent d’être fixés à zéro ; surtout, le quantitative easing permet désormais à la BCE de racheter directement des obligations d’entreprises, ce qui ne s’était jamais fait. Par ces décisions, M. Draghi dit clairement que les entreprises européennes ont du mal à emprunter sur les marchés financiers. De fait, quelques intervenants de marché m’ont confirmé être régulièrement « collés » pour certaines demandes de levée de crédits ; la stratégie suivie par M. Draghi me paraît donc particulièrement pertinente. Vous l’avez d’ailleurs dit en creux : s’il s’agit d’un problème de liquidités majeur, seule la BCE peut intervenir. Mais cela a pour conséquence terrible qu’elle annule le prix des transactions privées des banques et des assurances, si bien que la déflation des prix d’actifs se double d’une déflation du prix du commerce d’actifs et que personne n’a plus intérêt à faire du « business » financier. Si cela se produit sur le marché obligataire, cela signifie qu’un jour ou l’autre nul n’aura plus intérêt à acheter des Bunds allemands pendant plusieurs heures ou plusieurs jours d’affilée. Je suis étonnée que ce mécanisme ne vous inquiète pas davantage, d’autant que vous avez circonscrit le shadow banking aux hedge funds ; pour ma part, j’y ajouterai l’intégralité des fonds de pension et des assurances. Alors, ce n’est pas de 1 700 milliards de dollars qu’il s’agit mais de 60 000 à 70 000 milliards de dollars d’actifs qui peuvent être « collés » du jour au lendemain par l’arrêt du commerce des obligations d’entreprise ou, pire, des obligations d’État. Quelle analyse faites-vous de ces phénomènes ?

M. Alain Chrétien. Vous avez mentionné, madame Jeffers, les « deux jambes » de la politique économique que sont la politique monétaire et la politique budgétaire. J’ai retenu de votre démonstration que si la BCE ne parvient pas à faire remonter le taux d’inflation, c’est que l’argent qui déferle se dirige vers les actifs financiers plutôt que vers les investissements productifs et que la politique monétaire de la BCE devrait s’accompagner d’une politique budgétaire volontariste canalisant les ressources vers les dépenses publiques pour relancer l’investissement public. La BCE ne fait-elle pas preuve d’une autre forme de schizophrénie en inondant le marché d’argent tout en refusant aux États d’augmenter leur déficit pour réinvestir ? Comment surmonter cette contradiction ? Indépendamment du cadre fixé par le Traité de Maastricht, ne faut-il pas lâcher les vannes des déficits publics ?

M. Charles de Courson. Les taux d’intérêt très bas, voire négatifs, remonteront inévitablement. Cette hausse aura un effet sur le stock d’obligations, qui subiront une très forte baisse. Il me semble que, sur ce point, M. Artus n’est pas allé au bout de son raisonnement. La baisse des obligations produira un double effet : le premier, sur les ménages qui les détiennent directement ou par le biais de l’assurance vie. Les taux de ces dernières chutent continûment mais elles vivent encore sur un stock d’obligations avec des taux élevés ; s’ils poursuivent leur dégringolade, les taux pourraient, dans deux ou trois ans, plafonner à 1 ou 1,5 %. La baisse des obligations aura également un effet sur les fonds de pension – peu développés en France mais très importants au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux États-Unis – qui se répercutera sur les pensions – on ne pourra plus servir des pensions, on le voit déjà dans certains fonds de pension mal gérés aux États-Unis. La diminution des pensions aura à son tour des conséquences sur la consommation, soit directement, soit au travers de l’effet richesse – lorsque votre patrimoine s’amenuise, vous réduisez votre consommation.

La crise ne viendra-t-elle pas de là, voire des assureurs qui ne seront plus en mesure de servir les taux de rendement garantis ? La jurisprudence allemande oblige les assureurs à honorer leurs engagements et à payer le taux garanti.

Deuxième question : la BCE s’est lancée, dans une interprétation sympathique des traités, dans l’achat d’obligations d’État – les bons du Trésor – non pas à l’émission mais dans le marché « gris ». Il semble que la BCE détienne 15 à 20 % de la dette publique française. Pouvez-vous confirmer ces chiffres ?

M. Patrick Artus. Les chiffres sont un peu inférieurs.

M. Charles de Courson. D’après ce qui nous a été dit, la part détenue par la BCE est supérieure à 15 % et son montant croît très vite.

M. Patrick Artus. Il augmente de 20 % de 40 milliards d’euros par mois.

M. Charles de Courson. Sur les 60 à 70-75 milliards d’euros d’émissions mensuelles, la France représenterait 10 à 15 milliards.

M. Patrick Artus. Ces chiffres correspondent au poids des pays dans le capital de la BCE, en l’occurrence, pour la France, 18 %.

M. Charles de Courson. Il semblerait que l’on soit au-delà. Si le bilan de la BCE était transparent, nous pourrions le voir. Quoi qu’il en soit, si la BCE achète, n’est-ce pas une chance pour la France de se désendetter en rachetant au marché gris des obligations dont la valeur va chuter de près de la moitié ? Peut-on envisager un effet sur les trois ou quatre États les plus mauvais élèves de l’Union ?

Enfin, quelles sont les conséquences sur le plan économique des taux négatifs ? Alors que ces taux laminent les marges des banques, ces dernières cherchent à compenser leurs pertes sur le prix des services bancaires. Beaucoup d’observateurs s’inquiètent. Cette folie économique que sont les taux négatifs ne fait-elle pas indirectement peser un risque sur les banques ? Je considère qu’avec des taux négatifs, il n’y a plus d’avenir. C’est grave.

Mme Eva Sas. M. Mario Draghi a annoncé jeudi 10 mars une amplification de la politique de quantitative easing, avec un nouveau programme de rachat d’actifs de 20 milliards d’euros supplémentaires chaque mois et un nouvel abaissement des taux directeurs. Cette politique a pour but d’éviter la déflation en Europe et d’orienter les liquidités prioritairement vers l’économie réelle, les banques bénéficiant d’une prime pour les liquidités utilisées pour des prêts aux ménages et aux entreprises. Si on peut en partager les objectifs, cette politique comporte néanmoins des risques.

La politique monétaire expansive mise en place depuis 2012 semble peu efficace. Elle crée en revanche une trappe à liquidités. Ne pensez-vous que cette politique monétaire contracyclique a peu de chances de réussir sans un desserrement de la politique budgétaire ?

L’injection de nouvelles liquidités dans la sphère financière ne risque-t-elle pas d’alimenter des bulles spéculatives et de survaloriser certains actifs ? En dépit de vos propos rassurants monsieur Artus, certains signaux sont déjà au rouge, comme les encours notionnels de produits dérivés de la BNP qui atteignent aujourd’hui 48 000 milliards d’euros.

Quelle appréciation portez-vous sur la proposition, défendue par certains économistes, notamment par Alain Grandjean, de flécher le quantitative easing vers la transition écologique et de sortir l’endettement public correspondant du déficit maastrichtien ? Cette orientation de l’épargne, appelée « green quantitative easing », permettrait de créer un choc de relance de l’emploi tout en assurant la soutenabilité de cette relance.

Quelle est votre opinion sur les idées d’« helicopter money » ou de « quantitative easing for people » visant à apporter les liquidités directement aux ménages et aux entreprises plutôt qu’aux banques et aux investisseurs ?

M. Nicolas Sansu. Avec une croissance faible, des taux d’intérêt atones et une inflation quasi nulle, peut-être sommes-nous à la fin d’une histoire de la croissance mondiale. Peut-être avons-nous à écrire une nouvelle histoire fondée sur un modèle de développement plus vertueux à l’égard des ressources naturelles.

La politique de la BCE s’est affranchie des termes des traités en mettant en place le quantitative easing. Pour éviter la bulle obligataire, peut-on envisager, à l’instar des Japonais, d’exiger des ratios prudentiels plus élevés, sans revenir à un plancher du Trésor européen ?

Comment peut-on s’assurer que la politique monétaire est véritablement contracyclique et que les liquidités sont fléchées vers des projets d’investissement plus conséquents ?

Enfin, en référence à Joseph Stiglitz et à son livre Le Prix de l’inégalité, comment faire en sorte que l’« helicopter money » favorise la réduction des inégalités et profite à ceux qui peuvent soutenir la demande, et à travers elle, la croissance ?

M. Alain Rodet. Monsieur Artus, il fut un temps où vous souhaitiez pendre M. Trichet par les pieds à un lampadaire. Seriez-vous aujourd’hui tentés d’ériger une statue équestre pour M. Draghi ?

Vous affirmez que la titrisation est terminée aux États-Unis. Êtes-vous sûr qu’on ne continue pas à transformer les prêts hypothécaires en titres négociables ?

Mme Claudine Schmid. Madame Jeffers, vous dressez un constat réaliste mais alarmant sur la politique monétaire. Quelles sont les pistes pour éviter la création de bulles que vous redoutez ?

M. Michel Vergnier. Pouvez-vous préciser vos propos qui suggèrent un comportement coupable des banques à l’égard du shadow banking, la finance parallèle ?

Quelle appréciation portez-vous sur les plans imposés aux pays en difficulté, comme la Grèce ? Quelle est selon vous l’influence sur l’économie des efforts qui leur sont demandés ?

M. Éric Alauzet. Vos propos sont toniques mais un peu désespérants : depuis des années, on tente plein de choses mais rien ne marche. L’opinion partage ce sentiment de manière un peu confuse que le politique est impuissant.

Je préférerais moi aussi une politique budgétaire permettant de relancer l’investissement, à condition que celle-ci soit sélective pour en éviter les effets délétères. Depuis 1975, la France a connu cinq périodes de relance – la dépense a augmenté, mais les recettes n’ont pas crû en proportion et le déficit a été comblé par la dette. C’est la preuve que la dépense budgétaire qu’on nous fait miroiter peut aussi aggraver les problèmes.

Devons-nous nous habituer à une croissance plus faible à moyen terme ? Parallèlement, on observe un accaparement des richesses par une minorité et des effets de la croissance néfastes, qui occasionnent des coûts de réparation sociale – le chômage –, sanitaire – la maladie – et environnementale.

La solution ne se trouve-t-elle pas dans la régulation nationale, européenne et internationale ? Cette vision est un peu utopique. Mais, sans une meilleure répartition des richesses et sans des choix d’investissement plus pertinents, on ne pourra pas éviter les dégâts que cause la croissance actuelle.

M. Patrick Hetzel. Nous avons interrogé il y a quinze jours le gouverneur de la Banque de France sur le risque d’une nouvelle crise – Mme Jeffers a rappelé le débat sur la nature de cette crise, nouvelle ou prolongement de la crise de 2008. Celui-ci considère que les conditions sont très différentes de 2008 et que le risque de crises mondiales doit être écarté, en s’appuyant sur un argument principal : le système bancaire a été consolidé. Partagez-vous cette analyse ? Il semblerait que non. Quels sont les éléments qui justifient votre prédiction d’une nouvelle crise ? Quelle est la probabilité qu’elle se réalise ?

Mme Véronique Louwagie. Vous n’avez pas évoqué la crise financière chinoise alors que les indicateurs de la deuxième puissance économique mondiale sont préoccupants : le taux de croissance s’établit à 6,9 %, les exportations ont chuté de 15 %, la dette privée est passée de 125 % du PIB en 2007 à 207 % en 2015 et les investissements sont incontrôlés. Les seules réponses qui ont été apportées à cette crise ont été financières, avec un accroissement du crédit et de la création monétaire, sans s’attaquer aux causes profondes. Quelle est votre analyse des effets et des risques pour l’économie mondiale de la crise financière chinoise ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Quels risques fait courir la maîtrise des taux directeurs ? Comment peut-on ajuster cette maîtrise pour parer au risque d’irréversibilité des taux ? Dans quel délai voyez-vous advenir ce risque ?

Les hedge funds représentent 1 700 milliards d’euros mais l’ensemble du shadow banking constitue un risque bien plus grand. Comment analysez-vous ce risque ?

La France se trouve a priori dans une situation plutôt profitable : elle bénéficie de l’effondrement des taux d’intérêt qui lui offre des facilités pour emprunter et de la bienveillance des autorités bruxelloises. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

M. Marc Le Fur. Dans une phase de croissance faible, du fait des évolutions technologiques et de la baisse, peut-être durable, du prix des matières premières, la faiblesse des taux d’intérêt me semble logique ; elle n’est pas seulement liée aux décisions de la BCE.

S’agissant de la bulle obligataire, si les taux des obligations sont demain plus élevés, la valeur de celles qui ont été souscrites à des taux faibles s’effondrera, dites-vous. Je ne suis pas sûr de comprendre, car je pensais que le terme de l’obligation contribuait à atténuer la baisse puisqu’on sait qu’au terme du délai, le propriétaire récupérera son patrimoine. Suis-je dans l’erreur ?

Si les taux d’intérêt devaient remonter, les conséquences pour la France seraient graves : notre pays ne saurait probablement plus comment payer ses déficits. La situation actuelle, malgré toutes les difficultés qu’elle comporte, est, de notre point de vue égoïste de pays emprunteur, un peu moins défavorable. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel Piron. Avec les taux d’intérêt négatifs, ne sommes-nous pas entrés en terra incognita ?

Face à l’impression d’une impossible régulation illustrée par le « too big to fail », de quelle gouvernance peut-on rêver ?

Comment peut-on articuler la réflexion sur la situation des BRICS et des autres pays dont l’énorme demande n’est malheureusement pas solvable et sur la crise des pays développés ?

Mme Esther Jeffers. Je considère que le risque d’une nouvelle crise existe.

Je suis d’accord avec M. Artus : lors de la dernière crise, il fallait sauver les banques et l’ensemble du système financier. Agir autrement eût été irresponsable car toute la société aurait subi les conséquences d’un effondrement. Cela étant, mes critiques n’en sont pas moins très importantes. Elles ne portent pas sur la nécessité du sauvetage mais sur la manière dont il a été conduit : aucune contrepartie n’a été exigée, en dépit de l’aléa moral. Le système financier est en grande partie responsable du poids que fait peser sur la société la crise de l’endettement des États. Sans laisser les banques se noyer, il fallait leur demander des contreparties et trouver les moyens d’éviter que les dérives se reproduisent.

Les promesses de réforme profonde du système bancaire n’ont pas été tenues : je le répète car cela me tient à cœur, le problème du « too big to fail » n’est pas résolu, les entités sont devenues plus grandes qu’avant la crise et plus systémiques ; la séparation des banques d’affaires et des banques de dépôt a fait l’objet d’une réforme a minima qui n’est pas satisfaisante ; les liquidités n’ont pas été transmises à l’économie réelle.

Au début des opérations de refinancement, la BCE faisait valoir, face aux critiques, qu’il n’était pas possible de faire autrement. Or, la deuxième génération de long term refinancing operations (LTRO) a montré que c’était possible puisque ces opérations étaient ciblées. Toutefois, ce ciblage n’a pas eu de conséquences, ce qui montre les limites de la politique monétaire.

S’agissant de l’interconnexion entre les banques et le shadow banking, contrairement à ce que dit M. Artus, ce dernier existe et se porte très bien. Je vous recommande à ce sujet la lecture de deux papiers, l’un du FMI, l’autre du Financial stability board. Le shadow banking existe. Mais, puisque certains pensent qu’il n’existe pas, il nous faut désormais trouver des indicateurs qui permettent d’appréhender l’interconnexion avec les banques. Je plaide pour une plus grande transparence dans les liens entre les banques et les non-banques, notamment parce qu’une partie des activités de ces dernières sont logées à l’intérieur même des banques, notamment françaises du fait du modèle de banque universelle. J’ajoute que des créances douteuses demeurent dans le bilan des banques. Il suffit de voir comment la Société générale ou d’autres banques françaises sont chahutées.

Il est faux de dire que la titrisation n’existe plus. J’en veux pour preuve la présentation d’un plan de relance de la titrisation par l’autorité bancaire européenne, qui vise à créer un marché des capitaux unique et à substituer la titrisation à l’intermédiation bancaire.

Il ressort de l’enquête trimestrielle de la Banque de France auprès des entreprises sur leur accès au financement bancaire que, pour le quatrième trimestre 2015, « 94 % des PME obtiennent les crédits d’investissement souhaités ». Le déficit d’investissement n’est donc pas imputable à un manque de crédit mais à la situation économique, qui n’incite pas à produire et à investir. Les entreprises font autre chose de leurs profits qu’investir dans l’appareil productif. Avec un taux de croissance aussi faible, il n’est pas possible de servir une rentabilité par l’activité productive. La sphère réelle n’est pas en mesure aujourd’hui d’offrir la même rentabilité à court terme que la sphère financière. C’est la raison pour laquelle les capitaux vont vers la sphère financière.

Dans les trois dernières opérations de refinancement de la BCE, aucune condition n’est imposée, aucune sanction n’est prévue. Si les banques n’atteignent pas leurs objectifs de financement de l’économie réelle, elles n’ont qu’à rembourser leurs prêts, sans encourir la moindre sanction.

Les risques demeurent, notamment à cause de l’absence de réglementation du shadow banking.

Associer politique monétaire expansionniste et politique budgétaire restrictive me semble porter une contradiction. Il ne faut pas se priver de l’outil de la politique budgétaire. D’autres modèles de croissance ou d’autres investissements doivent être soutenus face à la nécessaire transition écologique. Un programme de relance pourrait satisfaire les besoins de cette transition mais aussi les besoins sociaux – hôpitaux, accueil de la petite enfance et prise en charge de la dépendance –, autant d’activités qui ne sont pas délocalisables.

Je laisse M. Artus évoquer la Chine car je sais que ce sujet le passionne.

M. Patrick Artus. Plusieurs questions portent sur ce qu’on pourrait appeler un quantitative easing ciblé, qui ne correspond pas à la pratique actuelle de la BCE : celle-ci achète des obligations et donne de la monnaie au vendeur de l’obligation qu’elle ne choisit pas. Toutefois, une partie importante du quantitative easing est ciblée sur l’investissement puisque la BCE achète les obligations de la Banque européenne d’investissement. Environ un quart du « plan Juncker » est financé par la création monétaire.

Il faut arrêter d’appeler de ses vœux un « helicopter money » puisque le quantitative easing répond déjà à cette demande. Les déficits publics financent des transferts publics – la hausse des déficits n’a pas financé une hausse de l’investissement puisque, au contraire, les investissements publics ont baissé depuis la crise –, ces déficits donnent lieu à une émission d’obligations par l’État, lesquelles sont achetées par la BCE qui crée de la monnaie ; si on simplifie l’opération, on peut considérer que la BCE crée de la monnaie qui finance les transferts publics : c’est de l’« helicopter money ». On peut reprocher à l’État de ne pas effectuer les bons transferts publics mais ces transferts sont financés par la création monétaire.

Si vous achetez une obligation qui vous rapporte 0,5 % par an et que les nouvelles obligations rapportent désormais 3 % par an, ces deux obligations seront remboursées à 100 mais celle qui rapporte 0,5 % vaut aujourd’hui moins de 100 parce qu’elle ne rapporte que 0,5 % jusqu’à son terme, là où l’autre va rapporter 3 %. Si vous détenez une obligation pour une durée de quinze ans – le calcul de tête n’est pas évident –, disons que vous allez perdre une bonne moitié. C’est monstrueux. Plus la durée est longue, plus c’est grave.

En réponse aux questions sur le shadow banking, dans sa définition la plus large, le secteur des non-banques comprend les caisses de retraite, les assureurs, les SICAV, soit un secteur gigantesque. L’assurance vie représente aujourd’hui en France 70 % du PIB.

Le shadow banking recouvre la partie de ce secteur qui est peu régulée – les assureurs sont très régulés, avec Solvabilité II, de même que les fonds de pension, et les OPCVM. Cela correspond donc à un certain nombre de fonds d’investissement, de hedge funds. Je n’ai pas dit que cette petite partie du secteur ne posait pas problème. Je prends un exemple : BlackRock, qui est l’une des institutions qui fait le plus de crédit en Europe, n’est pas une banque ; c’est un fonds d’investissement qui n’a pas de fonds propres et qui n’est pas soumis à la régulation bancaire. Ce biais de concurrence est terrible pour les banques. Les assureurs allemands, eux aussi, font du crédit sans avoir à se plier aux règles qui s’appliquent aux banques. Le sujet préoccupant, ce sont les opérations de crédit réalisées par des fonds qui ne sont pas soumis aux exigences de la réglementation bancaire – BlackRock n’est pas soumis aux ratios de Bâle.

Mme Berger a posé une question pragmatique : où placer son argent dans ces circonstances ? Cette question intéressante en appelle une autre : doit-on craindre la réaction de la finance aux taux d’intérêt nuls ?

La finance cherche à obtenir des rendements. Aujourd’hui, on constate que les flux se déplacent vers le « non coté » pour échapper à la volatilité actuelle du « coté ». On assiste au développement de la finance non cotée : private equity, fonds d’infrastructures, tout ce qui est valorisé à dire d’experts mais n’est pas sur les marchés. Est-ce dangereux ? C’est dangereux si les experts ne font pas bien leur métier, si la valorisation n’est pas correcte. Mais quoi de plus normal pour un assureur que d’investir dans un fonds d’infrastructures sans cotation en bourse, donc sans variation quotidienne, avec un rendement relativement régulier et des risques connus – si vous financez un hôpital, une autoroute ou un port, vous n’êtes pas exposés à des risques de marché ? On note donc un intérêt massif pour le financement des infrastructures. Cette évolution me semble plutôt vertueuse.

La BCE, avec le quantitative easing, veut faire repartir le financement de l’économie. Mais on est en droit de se poser la question suivante : la faible croissance de l’Europe vient-elle d’un problème de financement de l’économie ? Bizarrement, cela ne semble pas être le cas. La BCE elle-même mène des enquêtes sur d’éventuelles restrictions de crédit de la part des banques : en France, l’encours de crédit aux entreprises a augmenté de plus de 5 % sur un an. Les observateurs s’interrogent plutôt sur les raisons de la rapidité de cette hausse du crédit. On sait que les entreprises n’utilisent pas le crédit pour investir car l’investissement ne suit pas ; elles font des réserves de cash, ce qui n’est pas complètement rassurant.

Dans cette logique, douteuse si on considère que notre problème n’est pas de cette nature, la BCE essaie de pousser les investisseurs et les banques vers le financement de l’économie. Pour ce faire, elle achète des actifs sans risque, espérant ainsi contraindre les autres investisseurs à acheter des actifs risqués qui financent l’économie. Mais cela ne marche pas car la très grande volatilité sur les actifs risqués décourage les investisseurs. Tout le monde finit par acheter les actifs sans risque.

La titrisation est un mécanisme très intelligent qui permet de transformer des crédits en obligations, ce qui permet aux assureurs d’acheter des crédits. Il ne faut pas rejeter cette technique très positive pour l’économie dès lors que la transparence est assurée sur le risque des crédits. La BCE voudrait développer la titrisation mais cela ne marche pas ; la titrisation recule car elle ne permet pas de déconsolider les bilans des banques : les crédits titrisés restent dans le bilan des banques, ils n’aident donc pas ces dernières à faire maigrir leur bilan.

Aujourd’hui, il n’existe aucune liquidité de marché. Quand vous avez acheté un actif financier, vous allez devoir vivre avec car il est presque invendable, à l’exception des grandes dettes publiques comme celles de la France ou de l’Allemagne. En revanche, la liquidité monétaire est gigantesque. L’action de la BCE a pour conséquence de réduire la liquidité de marché puisqu’elle achète tout. Il ne reste aucun marché obligataire puisque celui-ci est cannibalisé par la BCE. C’est ainsi qu’elle a tué le marché des covered bonds, les obligations sécurisées des banques. Comme ce ne sont pas des dettes publiques, la BCE les achète de surcroît à l’émission, elle n’a pas besoin d’attendre qu’elles soient sur le marché secondaire. Un des inconvénients majeurs du quantitative easing est la disparition de la liquidité de marché. Vous pouvez considérer que ce n’est pas grave car les investisseurs n’ont qu’à conserver ce qu’ils ont acheté.

Les assureurs allemands sont en mauvaise posture. En moyenne, les contrats d’assurance vie servent aujourd’hui des taux garantis à 3,2 %, qui, en outre, se perpétuent : si vous abondez un contrat, vous conservez le taux en vigueur à l’ouverture du contrat. Dans un pays dans lequel l’État se finance à 0 %, il est compliqué de payer 3,2 %. Je ne sais pas comment cela va se terminer. On sait comment cela s’est terminé au Japon : vos collègues de la Diète, dans leur clairvoyance, ont en 1998 annulé les taux garantis de manière rétroactive.

Ce qui est profondément choquant, ce ne sont pas les taux d’intérêt négatifs mais les taux d’intérêt plus faibles que les taux de croissance. Que vaut une action ? Elle vaut la somme actualisée au taux d’intérêt des profits futurs de l’entreprise ; ces profits évoluent normalement comme la croissance ; si les taux d’intérêt sont inférieurs au taux de croissance, la somme est égale à plus l’infini : les actions valent l’infini. On ne sait plus faire de calcul actuariel, on ne sait plus valoriser les actifs financiers, ce qui est une cause majeure de perturbation aujourd’hui.

Les taux négatifs constituent un problème très secondaire. Ce n’est un problème que parce qu’il existe des formes d’épargne rémunérée à 0 %. Si on veut des taux d’intérêt négatifs, il faut supprimer la rémunération des dépôts à vue à 0 % et interdire l’utilisation des billets. Il faut passer à de la monnaie électronique, ce qu’ont fait les Finlandais. La Bundesbank s’est livrée à un calcul très amusant : il montre que le coût d’opportunité de détention de l’épargne en billets – le coût de location du coffre-fort – est de 20 points de base. Si vous supprimez les billets de 500 euros, ce coût passe à 40 points de base. Les taux d’intérêt négatifs ne sont pas un problème. Ce qui déstabilise totalement les marchés financiers, ce sont les taux d’intérêt inférieurs à la croissance future. C’est monstrueux puisqu’on n’est plus capable de faire de la valorisation financière.

Concernant la Grèce, nous n’avons pas avancé d’un pouce. Il est écrit dans un formidable papier du FMI de 2014, en forme d’autocritique sur sa gestion de la crise grecque, qu’une crise de solvabilité ne se traite pas comme une crise de liquidité – on devrait le répéter aujourd’hui puisque les leçons n’ont pas été retenues. Quand un pays ou une entreprise est insolvable, il ne sert à rien de lui prêter plus. On rejoint là une autre fiction selon laquelle les dettes souveraines de la zone euro sont sans risque. Si vous tuez cette fiction, vous tuez la capacité de la BCE de les acheter car les Allemands n’accepteront jamais que la BCE mette des dettes risquées dans son bilan. D’où l’acharnement de la BCE à faire croire que toutes les dettes publiques de la zone euro sont sans risque et le refus de réduire la dette grecque. Cette situation est ridicule : chaque fois qu’une échéance de remboursement se présente, il faut prêter aux Grecs l’intégralité du montant. Sachant que l’échéancier de la dette grecque court jusqu’en 2054, le problème n’est pas près d’être résolu. La seule solution raisonnable serait d’annuler la dette grecque, d’autant qu’elle l’est déjà – c’est le cas lorsque l’emprunteur rembourse uniquement avec l’argent que vous lui donnez pour rembourser. Les taux d’intérêt sur la dette grecque sont proches de zéro, après avoir été révisés sans arrêt. En réalité, il n’y a plus de dette grecque. Parce qu’on fait semblant qu’il y en a une, on crée une perturbation majeure chaque fois qu’il faut prêter de nouveau aux Grecs, avec un psychodrame sur la réforme des retraites ou la taille du secteur public…

Il serait préférable de supprimer la totalité de la dette grecque. Cela ne coûterait rien aux prêteurs puisque cette dette ne leur sera jamais remboursée et que les taux sont nuls. Cela éviterait cette perturbation mais cela tuerait le mythe que les dettes souveraines sont sans risque, ce qu’on ne veut pas faire.

Le problème de la Chine n’est pas financier. Rappelez-vous que les banques sont publiques. La Chine n’a pas supprimé le bailout, c’est même une industrie. Le Gouvernement chinois recapitalise en permanence toutes les institutions financières qui en ont besoin. Il n’y aura donc pas de crise bancaire en Chine.

Dans les chiffres de la dette que vous citez, vous incorporez la dette des collectivités locales – cela correspond environ à deux années de PIB. Mais il s’agit d’une dette du secteur public vis-à-vis des banques d’État, il faut donc relativiser la gravité du problème. Si vous établissez le compte consolidé de l’État en Chine, il n’y a pas de dette puisque c’est de l’argent que l’État se doit à lui-même.

Le problème de la Chine aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus de croissance. La croissance s’établit, plutôt qu’à 6,9 %, autour de 3 %, ce qui n’est pas si mal pour un si grand pays. Ce qui est ennuyeux, c’est l’effondrement complet de l’industrie chinoise. Celle-ci est restée bloquée en milieu de gamme, avec des niveaux de coût qui ne lui permettent pas de fonctionner. Les exportations de la Chine ont baissé d’un quart en un an ; il faut se rendre compte de ce que cela signifie : un effondrement total du secteur industriel.

La construction d’infrastructures financée par les déficits publics et les services sont encore des secteurs en croissance. Mais l’industrie chinoise est en chute libre. Or, la solution du problème aggrave ce dernier : lorsque, pour soutenir l’économie, une banque publique prête à une entreprise industrielle publique qui investit dans un secteur déjà en surcapacité, cela n’arrange pas la situation. Le président chinois a visiblement décidé de prolonger ce vieux modèle autant que possible et de ne pas mettre en place un modèle nouveau dans lequel les entreprises privées auraient accès aux banques.

M. le président Gilles Carrez. Nous vous remercions pour cet échange passionnant et très utile à notre réflexion.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 23 mars 2016 à 10 heures 15

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Pascal Cherki, M. Alain Chrétien, M. Alain Claeys, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Joël Giraud, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Razzy Hammadi, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, Mme Claudine Schmid, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Olivier Carré, M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Pierre Gorges, M. Patrick Lebreton, M. Victorin Lurel, M. Laurent Marcangeli, M. Pierre-Alain Muet, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez

Assistaient également à la réunion. - M. Michel Ménard, M. Michel Piron

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