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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 26 novembre 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen de la proposition de loi constitutionnelle de MM. Éric Woerth, Damien Abad et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer un principe d’innovation responsable (n° 2293) (M. Éric Woerth, rapporteur)

– Examen de la proposition de loi de M. Philippe Meunier et plusieurs de ses collègues visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police (n° 996) (M. Philippe Meunier, rapporteur)

– Examen de la proposition de loi de M. Jean Leonetti et plusieurs de ses collègues visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui (n° 2277) (M. Jean Leonetti, rapporteur) 

– Examen de la proposition de résolution de MM. Christian Jacob, Éric Ciotti, Pierre Lellouche et Guillaume Larrivé et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes (n° 2240) (M. Alain Tourret, rapporteur)

– Suite de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile (n° 2182) (Mme Sandrine Mazetier, rapporteure)

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine la proposition de loi constitutionnelle de MM. Éric Woerth, Damien Abad et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer un principe d’innovation responsable (n° 2293) (M. Éric Woerth, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous allons examiner les propositions de loi déposées par le groupe UMP et inscrites à l’ordre du jour du 4 décembre prochain. Nous commencerons par la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable.

M. Éric Woerth, rapporteur. La présente proposition de loi constitutionnelle vise à substituer la notion d’innovation responsable à celle de principe de précaution. Le 28 février 2005, le Parlement réuni en Congrès adoptait la Charte de l’environnement et inscrivait en particulier dans la Constitution le fameux principe de précaution.

Cette inscription a fait l’objet d’intenses débats à l’époque ; la principale crainte alors exprimée par des parlementaires de la majorité comme de l’opposition portait sur le fait que l’application du principe de précaution par les autorités publiques pouvait entraîner un ralentissement, voire une paralysie de la recherche et de l’innovation. Force est de constater que cette crainte n’a pu être dissipée depuis, ainsi qu’en attestent les nombreux travaux parlementaires, débats et colloques sur le sujet.

Le texte que nous vous soumettons a pour but d’envoyer un signal fort en faveur de l’interprétation du principe de précaution comme un principe d’action favorable à l’innovation. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause ce principe établi dans notre ordre juridique.

En ce qui concerne le droit européen, je rappelle que le principe de précaution est mentionné par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement, et que, depuis, la jurisprudence l’a étendu à l’ensemble des politiques de l’Union. Il est par ailleurs largement mis en œuvre dans le droit dérivé.

Parallèlement à son affirmation au niveau européen, le principe de précaution a été reconnu en droit interne, d’abord au niveau législatif par la loi du 2 février 1995, dite « loi Barnier » ; il est actuellement codifié à l’article L. 110-1 du code de l’environnement qui en fait un des principes fondamentaux de la protection de l’environnement. Il a ensuite été hissé au rang de principe constitutionnel par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, dont l’article 5 dispose : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

L’objectif initial de l’inscription du principe de précaution dans la Constitution était évidemment louable, comme le montrent les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle. La volonté du constituant avait alors été d’en encadrer strictement l’application afin qu’il ne s’oppose pas à la recherche et à l’innovation. Cette volonté s’est traduite par la définition précise des conditions de mise en œuvre du principe de précaution ainsi que des obligations qu’il implique pour les autorités publiques. Trois conditions doivent ainsi être réunies : un risque incertain doit exister en l’état des connaissances scientifiques – si ce risque est certain, c’est le principe de prévention qui s’applique ; ce risque doit porter sur un dommage à l’environnement ; enfin, ce dommage doit lui-même être grave et irréversible. Ces conditions impliquent l’observation par les autorités publiques de deux obligations : évaluer les risques pour lever les incertitudes existantes et veiller à l’adoption de mesures provisoires, en raison de cette incertitude, et proportionnées aux risques éventuels.

La portée de l’article 5 de la Charte de l’environnement a été précisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 juin 2008 selon laquelle le principe de précaution s’impose directement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétences, sans qu’il soit besoin d’une loi pour le mettre en œuvre. Le Conseil a précisé qu’il lui revenait, dans le cadre de l’article 61 de la Constitution, de s’assurer que le législateur n’avait pas méconnu le principe de précaution, mais aussi qu’il avait organisé les conditions procédurales de sa mise en œuvre par les autorités publiques. Le Conseil ne s’est en revanche jamais prononcé sur la possible invocation de ce principe à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

L’application jurisprudentielle du principe de précaution s’est dans l’ensemble révélée mesurée : le juge administratif s’attache à vérifier chacune des conditions de mise en œuvre du principe et opère un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation s’agissant des mesures décidées par les autorités publiques. Une évolution jurisprudentielle a cependant pu être constatée dans le domaine sanitaire. Avant même l’adoption de la Charte de l’environnement, la jurisprudence s’est appuyée sur la notion d’obligations de précaution sans faire référence au principe de précaution lui-même. Depuis l’adoption de la Charte, dans sa jurisprudence relative aux antennes de téléphonie mobile et aux lignes de haute tension, le Conseil d’État a fait application du principe de précaution en tenant compte, outre les risques environnementaux, des risques de dommage en matière sanitaire. Cette évolution résulte de l’application croisée des articles 1er et 5 de la Charte de l’environnement, ce dernier visant en effet uniquement le risque d’un dommage grave et irréversible à l’environnement. Par ailleurs, le Conseil d’État a étendu le principe en question au domaine de l’urbanisme.

Enfin, certaines évolutions de la jurisprudence judiciaire ont suscité de nombreux commentaires et réactions, comme la décision du 4 février 2009 par laquelle la cour d’appel de Versailles a jugé que l’impossibilité de prouver l’absence de risque de l’implantation d’une antenne de téléphonie mobile créait un trouble anormal de voisinage pour les riverains, et, plus récemment, la décision – qui a fait du bruit – de la cour d’appel de Colmar du 14 mai 2014, relaxant une cinquantaine de faucheurs volontaires de plants de vigne génétiquement modifiés, jugeant que les autorités publiques avaient commis une erreur manifeste d’appréciation sur les risques de l’expérimentation en plein champ. Les responsables de douze organismes publics de recherche – dont le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) – ont exprimé leur vive inquiétude sur les conséquences de ce jugement pour la recherche française.

Au-delà de ces exemples, l’utilisation qui a été faite du principe de précaution depuis sa constitutionnalisation fait apparaître différentes dérives. Comme le relevaient en 2010 Alain Gest et Philippe Tourtelier dans leur rapport d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement, rédigé au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, l’application du principe de précaution a eu un impact fortement négatif sur la recherche française dans le secteur des biotechnologies dont les financements se sont largement taris. Plus globalement, les scientifiques et les entreprises expriment d’importantes craintes sur les conséquences de la pression sociale conduisant à une ambiance générale de précaution défavorable à la recherche et à l’innovation.

Cette atmosphère alimente une défiance inquiétante de la société vis-à-vis de la science et de la technologie. Qui plus est, il arrive que le principe de précaution soit utilisé pour justifier l’inversion de la charge de la preuve : les chercheurs et les entreprises doivent alors prouver l’absence de risque de leurs projets pour qu’ils soient autorisés. Il s’agit bien là d’un dévoiement du principe qui repose sur la notion de gestion des risques par des mesures proportionnées et non sur l’absence totale de risques. La recherche vaine du fameux « risque zéro » conduit alors à l’abandon de toute recherche et nie l’innovation qui comporte toujours, par principe, une part de risque.

La prudence – terme à mon sens préférable à celui de précaution – qui s’impose aux autorités publiques ne doit pas faire obstacle au développement des connaissances scientifiques, ni aux progrès technologiques, chacun en conviendra.

Enfin, le principe de précaution est devenu un principe d’émotion : il est souvent utilisé à mauvais escient, dans différentes situations de crise, dans un contexte d’exagération de la menace. Les autorités publiques peuvent être conduites à prendre des décisions irrationnelles pour répondre à la pression de l’opinion publique, mais aussi dans l’espoir de se prémunir de l’éventuelle mise en cause de leur responsabilité. Dès lors, ni la définition juridique du principe de précaution ni son application par les juges ne sont principalement en cause dans les dérives constatées.

La présente proposition de loi constitutionnelle ne vise donc pas à modifier la définition procédurale de ce principe par l’article 5 de la Charte de l’environnement, mais seulement à substituer aux termes « principe de précaution », ceux de « principes d’innovation responsable ». Elle représente un symbole fort qui dépasse son contenu juridique. Il est particulièrement important, sur ce sujet qui intéresse particulièrement nos concitoyens, que nous prenions cette initiative. Le texte s’inscrit dans la lignée de différentes réflexions récentes relatives à la nécessité d’affirmer un principe d’innovation qui équilibrerait le principe de précaution – c’est le cas du rapport de la commission « Innovation 2030 » présidée par Anne Lauvergeon. Il fait également écho à une autre proposition de loi constitutionnelle adoptée au mois de mai dernier par le Sénat, à l’initiative de Jean Bizet, qui vise à préciser que les autorités publiques, dans l’application du principe de précaution, encouragent la recherche et l’innovation.

Le changement de terminologie proposé constituerait un message important pour l’opinion et les autorités publiques, affirmant plus clairement que principe de précaution et innovation ne sont pas antinomiques. Le principe de précaution ne doit en effet pas être utilisé pour justifier des mesures conduisant à l’immobilisme scientifique et technologique, bien au contraire : l’innovation est nécessaire pour trouver des technologies de substitution quand celles qui existent comportent des risques – c’est par exemple le cas avec le bisphénol A.

Il s’agit donc d’en revenir à une lecture équilibrée de l’article 5 de la Charte de l’environnement, conforme aux intentions du constituant qui avait souhaité encadrer fortement le principe de précaution afin qu’il soit vraiment un principe d’action. Nous pouvons en effet rechercher simultanément la sécurité et le progrès. L’adjonction de l’adjectif « responsable » vise bien à exprimer la nécessaire conciliation entre protection de l’environnement et innovation, cette dernière incluant la gestion du risque. C’est du reste bien ce qui manque : nous ne savons pas « gérer » le risque. C’est une vision positive des choses, un marqueur positif, que nous opposons à une vision, un marqueur négatif, et qui s’adresse à l’ensemble de la société française.

Plus globalement, la présente proposition de loi constitutionnelle repose sur l’idée que protection de l’environnement et développement économique doivent être conciliés, comme l’affirme l’article 6 de la Charte de l’environnement, ces objectifs étant, avec le progrès social, les trois composantes du développement durable.

M. Christian Assaf. Le principe de précaution n’est pas une création ex nihilo du droit français, mais le fruit d’un long processus qui a accompagné l’importance croissante que nous avons accordée aux questions environnementales et donc au souci du monde que nous léguerons aux générations futures. Apparu dans le droit allemand à la fin des années 1960, le principe de précaution a surtout été pour la France un paradigme inspiré du droit international, un principe consacré dès 1972 par la Convention de Londres et confirmé en 1992 par la Déclaration de Rio qui l’a placé au quinzième rang des vingt-sept principes adoptés lors du sommet de la Terre. La même année, le Traité de Maastricht, approuvé par le peuple français par référendum, l’a fait entrer dans le droit européen : le principe de précaution est donc désormais une composante de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. La France, en ratifiant ces traités internationaux et européens, a contribué à l’émergence et à la concrétisation de ce principe.

C’est ainsi que sous la présidence de Jacques Chirac, tant en 1995 qu’en 2004, la majorité gouvernementale a choisi, à juste raison, de le faire entrer dans le droit français. Il apparaît donc pour le moins cocasse que la majorité devenue opposition en propose la suppression. Elle l’a d’ailleurs fait à quatre reprises depuis l’alternance de 2012. En 1995, le texte de loi défendu par Michel Barnier consacre le principe de précaution et l’introduit dans le code de l’environnement. En 2004, le choix est fait de l’inscrire dans la Charte de l’environnement et de lui donner, en même temps qu’elle, une valeur constitutionnelle.

La Charte définit tant le principe de précaution que les modalités de son application. Celle-ci précise même, dans son article 6, la nécessaire conciliation à opérer entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. De même que, dans son article 9, elle encourage la recherche et l’innovation.

Pour la quatrième fois depuis 2012, il nous est donc proposé de remettre en question l’équilibre et les acquis de cette Charte de l’environnement qui doit beaucoup à la volonté de Jacques Chirac et au travail de Roselyne Bachelot, ministre de l’Environnement du 6 mai 2002 au 31 mars 2004, de Serge Lepeltier, qui lui a succédé dans ces fonctions, de Dominique Perben, garde des Sceaux, qui l’avait défendue à l’Assemblée, ou de certains de nos collègues comme Mme Kosciusko-Morizet, qui en avait été rapporteure pour la commission des Lois.

La remise en question du principe de précaution proposée par cette proposition de loi constitutionnelle reviendrait donc à renier les engagements de la France au niveau international et à créer un flou juridique puisque, pour un même principe, nous aurions des mots différents aux niveaux national, européen et international. Une telle décision est-elle judicieuse alors que la proposition de loi, qui est de portée constitutionnelle, ne propose qu’un changement sémantique ? Permettez-moi d’ailleurs de m’étonner de cette récurrente volonté de l’UMP de modifier la Constitution sur ce point alors que, depuis le début de la législature, elle s’y est toujours opposée pour des droits tout aussi fondamentaux, préférant alors choisir des motivations politiques au détriment de la possibilité de faire évoluer ensemble notre patrimoine constitutionnel.

Une modification sémantique suffirait-elle à relancer la recherche, l’innovation, l’investissement et la croissance ? Substituer des mots à d’autres changerait-il le droit, son application et la jurisprudence ? Tout indique qu’elle ne changera en rien les perceptions de l’opinion publique tout comme il est difficilement envisageable que cette substitution de mots fasse évoluer la jurisprudence : les juges judiciaire, administratif et constitutionnel demeureront des interprètes de la Charte de l’environnement, de la conciliation entre les principes qu’elle proclame et les principes de portée constitutionnelle.

Parmi ceux-ci figure la liberté d’entreprendre, protégée par le Conseil constitutionnel depuis sa décision du 16 janvier 1982. Du reste, cette liberté d’entreprendre n’est en rien menacée par le principe de précaution. Comme l’a expliqué le professeur de droit Michel Prieur, dans les Cahiers du Conseil constitutionnel, on ne trouve aucun exemple d’utilisation abusive de ce principe du fait de sa valeur constitutionnelle ; l’exposé des motifs de la présente proposition de loi ne contient d’ailleurs aucun exemple de cette nature. Et si l’idée que le principe de précaution s’opposerait au développement économique de la France est présente en filigrane dans le rapport, rien ne vient la démontrer par des données et des exemples concrets : il est évident que le principe de précaution n’obère en rien l’innovation, la recherche, l’investissement ou le développement économique. Au contraire, il en est une composante et un moteur – à moins de penser que l’environnement et le respect que nous lui devons seraient inutiles à l’homme.

Nous pensons donc qu’il n’est ni judicieux, ni justifié d’opter pour ce glissement sémantique, mais que nous devons reprendre la Charte de l’environnement dans sa rédaction actuelle pour en expliquer de nouveau le sens et faire œuvre de pédagogie pour que la vocation première du principe de précaution soit réaffirmée et concrétisée.

Le groupe Socialiste, citoyen et républicain ne votera donc pas cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Nos sociétés ont sans aucun doute un problème avec la science. On en trouve un premier écho à l’Assemblée nationale et jusqu’au sein de cette Commission, où les scientifiques sont très peu nombreux. Plus sérieusement, on le mesure régulièrement à travers le choix des jeunes à l’issue de leur scolarité. L’échelle des salaires est encore une autre manière de l’illustrer. Or, le divorce entre la société et la science devrait tous nous mobiliser tant il représente une menace pour notre prospérité, pour notre vision collective de l’avenir.

C’est une raison forte, c’est une raison supplémentaire pour que nous ne nous perdions pas dans de vaines luttes. Car s’opposer au principe de précaution, c’est se tromper de combat, c’est confondre l’œuf et la poule : le principe de précaution n’est pas responsable de la défiance à l’encontre de la science et l’utilisation abusive de cette expression l’illustre assez ; c’est aussi tomber dans le piège de ceux qui utilisent les mots « principe de précaution » à tout propos et très souvent hors de propos. Certains voudraient en faire un totem et d’autres, tels les signataires du présent texte, un tabou ; ce qui revient à se placer sur le même mauvais terrain.

Enfin, dans ce mauvais combat, monsieur le rapporteur, vous choisissez un chemin étrange : garder le texte tout en en changeant les notions. Ou bien l’application de l’article 5 de la Charte pose problème et il faut tout supprimer, ou bien, comme je le crois, ce n’est pas le cas : dès lors, pourquoi en changer les termes, à supposer d’ailleurs que cela change quoi que ce soit ? Je voterai donc contre cette proposition de loi constitutionnelle et j’appelle nos collègues à agir de même.

Mme Cécile Untermaier. La proposition de loi constitutionnelle visant à remplacer le principe de précaution par un principe d’innovation responsable manifeste à mon sens l’hostilité d’une minorité de responsables politiques face à leurs obligations environnementales. Elle traduit aussi la volonté de certains responsables publics de substituer à la définition juridique du principe de précaution une définition politique caricaturale et sans rapport avec son sens juridique véritable. Ce texte nous paraît juridiquement erroné dans son approche, inutile et dangereuse.

Juridiquement erroné, parce qu’un principe n’a pas à être soumis à des modalités de mise en œuvre, comme le prévoyait d’ailleurs une précédente résolution votée par l’Assemblée, et encore moins contenir en son sein sa propre contradiction, laquelle doit être apportée par d’autres principes qui lui sont nécessairement extérieurs. Vouloir intégrer l’innovation au sein même du principe de précaution pour le contracter en un principe d’innovation responsable me paraît contraire à la définition même d’un principe de droit.

Inutile, car l’innovation, rappelons-le, est bien présente dans la Charte de l’environnement en son article 9 qui dispose que « la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement ». Loin de constituer un principe d’inertie, le principe de précaution suppose l’action des pouvoirs publics et stimule l’innovation dans le domaine de la protection de l’environnement et de la santé publique. Il constitue un principe d’ouverture de la science au débat démocratique. Inutile enfin car les juges constitutionnels, administratifs et judiciaires, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, n’ont pas donné au principe de précaution la portée caricaturale que le discours politique voudrait lui attribuer.

Dangereuse, car cette proposition vise à rompre un consensus tant sur la nécessité d’un tel principe dans notre société technologique et industrielle dominée par les risques environnementaux, que sur le sens qu’il convient de lui donner.

En conclusion, le principe de précaution est un principe d’action qui impose à l’autorité publique un rôle actif dans l’évaluation des risques. La réduction du risque à un niveau acceptable, voire son élimination, réside dans l’information et la participation de citoyens associés à la réflexion en la matière. Remettre en cause ce principe, c’est déresponsabiliser les pouvoirs publics. L’émotion qui l’entourerait, à vous entendre, monsieur le rapporteur, ne doit pas nous conduire à remettre en cause un principe fondateur.

M. Bertrand Pancher. La discussion de cette proposition de loi constitutionnelle illustre la difficulté pour certains de nos collègues mais aussi pour nombre de responsables économiques, voire pour certains chercheurs, d’être en phase avec la métamorphose du monde. C’est un peu le débat entre le XXe et le XXIe siècles : devons-nous continuer à poursuivre des objectifs de développement sans nous poser la question de leurs conséquences sur l’environnement, sur la santé humaine, sur notre équilibre social, voire sur les conditions mêmes de la poursuite apaisée du développement économique ? La réponse est évidemment non. C’est pourquoi, depuis une trentaine d’années, on constate un profond mouvement, sur le plan international avec la conférence de Rio, sur le plan européen avec les traités d’Amsterdam, et sur le plan national avec la loi Barnier puis l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution. Continuons-nous à faire en sorte que le développement économique soit compatible avec l’équilibre de la société et qu’offrons-nous aux générations actuelles et futures ?

La remise en cause du principe de précaution telle que la prévoit le présent texte est incompréhensible : ou bien l’on tranche – et pourquoi pas si, du fait d’une grave crise, l’on entend donner la priorité au seul développement économique –, ou bien on continue à rêver d’un monde équilibré ; auquel cas, on cherche plutôt à améliorer le principe de précaution, voire à élargir son champ. Si les inquiétudes, notamment dans le domaine de la recherche, sont compréhensibles, si l’application du principe de précaution est incertaine – et le restera sans doute toujours : après tout, lire dans l’avenir n’est pas à la portée de l’Assemblée –, il serait sage d’engager un débat apaisé sur le sujet en se rappelant que la commission Coppens a réfléchi pendant quatre ans sur une proposition qui paraissait consensuelle. On ne voit pas comment, en effet, un texte débattu dans des délais aussi courts pourrait recueillir un tel consensus.

De nombreux groupes de réflexion ont examiné la question de l’élargissement éventuel du principe de précaution et cherché à en améliorer la portée, qu’il s’agisse d’organismes extérieurs au Parlement ou bien du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, en 2010, qui avait montré la nécessité de conserver ce principe en organisant mieux son application. Nos collègues Gest et Tourtelier s’y sont essayés il y a trois ans, et contrairement à ce que vous soutenez, monsieur le rapporteur, jamais ils n’ont songé à le remettre en cause puisqu’ils ont rappelé qu’à aucun moment il n’était souhaitable de faire machine arrière. Leurs suggestions auraient d’ailleurs pu être reprises à leur compte par les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle, comme la nécessité de travailler sur la transparence dans l’évaluation de la valeur relative des expertises, la nécessité d’une meilleure compréhension du périmètre des risques relevant du principe de précaution – nos collègues souhaitaient ainsi élargir ce dernier à la santé.

Ne faudrait-il pas même l’élargir à l’économie ? En 2008, en effet, les banques se sont-elles montrées précautionneuses ? Les conséquences de leurs placements hasardeux ont-elles toujours été bien mesurées ? Je n’en suis pas certain, au vu des dégâts très importants qui en ont résulté.

Le débat public n’est pas suffisamment organisé. Réfléchissons aussi sur l’absence, et sur les raisons de cette absence, de référent unique et clairement identifié, porteur de procédures jusqu’à la prise de décision.

Faute de ces éléments, à titre personnel – mais j’imagine que je serai suivi par nombre de mes collègues –, je m’opposerai résolument à cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Françoise Guégot. Je salue l’initiative de notre collègue Éric Woerth de rouvrir le débat sur le principe de précaution. Nathalie Kosciusko-Morizet a rappelé que nous étions peu de scientifiques ici. J’en fais partie, et je ne suis donc pas une spécialiste du droit. Reste que les mots ont un sens et, pour moi, passer du principe de précaution à l’innovation responsable a bel et bien un sens.

Les exemples du gaz de schiste ou des OGM ont confirmé que le principe de précaution tel qu’établi a pris une place disproportionnée par rapport à celui de la liberté d’entreprendre. L’innovation technique et scientifique ne peut se concevoir avec un risque zéro ; la prise de risque est un élément essentiel de la compétitivité et nécessaire à toute recherche, à tout travail intellectuel. Or la jurisprudence a progressivement privilégié une interprétation maximaliste de ce principe éloignée de la volonté de ceux qui l’ont fait inscrire dans la Constitution en 2005.

S’il est important que l’autorité publique garde la possibilité de prendre des mesures appropriées en cas de découverte d’un risque, elle devrait le faire plutôt a posteriori qu’a priori. Dans cet esprit, mettre l’accent sur la responsabilité est plus conforme à l’innovation et peut ne pas être perçu comme un obstacle au progrès et à la croissance.

Je crois très sincèrement que nous avons besoin de donner des signes de confiance à nos chercheurs et, pour constater le nombre de ceux qui partent exercer leur talent à l’étranger, donner un signe à travers deux mots importants, innovation et responsabilité, me paraît essentiel. Je soutiendrai donc cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Dominique Bussereau. J’ai écouté le rapporteur avec une grande attention mais je partage totalement l’argumentation développée par Nathalie Kosciusko-Morizet. Faire de la Charte de l’environnement une annexe de nos textes constitutionnels a été un moment important. En outre, il faut être cohérent : j’étais pour ma part membre du Gouvernement à ce moment-là, j’ai approuvé cette initiative et je ne vais pas, dix ans après, prendre une position différente.

M. Bernard Gérard. Je ne suis pas de l’avis exprimé par nos collègues Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Bussereau ou d’autres. Ainsi que l’indique clairement cette proposition de loi constitutionnelle, le principe de précaution n’est en rien supprimé : il est englobé dans un principe plus large, celui d’innovation responsable. C’est le vrai défi de nos entreprises. On m’a confié la mission de présider le groupe d’études sur le textile et les industries de main-d’œuvre. Lors d’une récente réunion, les représentants d’une cinquantaine d’entreprises nous ont fait part de leurs préoccupations, quel que soit leur secteur d’activité – objets connectés, biotechnologies, nanotechnologies… Était également présent le professeur Cabanis, membre de l’Académie de médecine, pour nous détailler les enjeux de la médecine de demain, mais également tous les freins qui, en France, entravaient les recherches utiles. Nous avons également appris que le souci, pour nombre d’entreprises du textile ou d’ailleurs, était d’embaucher les agrégés de mathématiques dont elles avaient grand besoin : c’est le cas, par exemple, de l’entreprise Babolat, une charcuterie à l’origine, dans laquelle on a eu l’idée de se servir des boyaux pour fabriquer les cordes de ces raquettes de tennis aujourd’hui mondialement connues. Si donc nous voulons que nos entreprises s’adaptent aux enjeux de demain dans des domaines où elles disposent de vrais savoir-faire, il faut défendre ce principe simple et explicite d’innovation responsable. Cela d’autant plus que la proposition de loi constitutionnelle précise bien, je le répète, que le principe de précaution n’est pas supprimé, mais devient un élément d’un principe plus large. Éric Woerth a donc une vraie vision d’avenir en nous proposant un texte équilibré, respectueux, notamment, de l’environnement et de la santé humaine. Il faut savoir être de son temps, ce qui n’est pas antinomique avec le respect des grands principes qui fondent notre République. Voilà pourquoi je dis bravo à Éric Woerth dont je soutiens totalement la proposition de loi constitutionnelle.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Ce texte a été examiné hier par la commission du Développement durable qui a appelé l’attention des députés sur le fait que le principe juridique de précaution n’avait rien à voir avec le principe médiatique de précaution employé à tort et à travers, et sur le fait que le principe de précaution, loin de s’y opposer, intègre l’innovation : la Charte de l’environnement précise sans ambiguïté que le principe de précaution appelle « la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques ». En situation d’incertitude scientifique, le principe de précaution ne suppose pas moins de science mais davantage.

La Commission a en outre appelé l’attention sur le fait que l’idée de créer un principe d’innovation responsable et de l’inscrire dans la Constitution revenait à appeler l’État à définir l’innovation responsable, par opposition à l’innovation irresponsable, autrement dit à distinguer la bonne innovation et la mauvaise – et pourquoi pas la bonne science et la mauvaise science ! Paradoxalement, nous sommes invités à décider ce que doit être la recherche. Est-ce à l’État de dire par avance en quoi doit consister l’innovation, la création ou l’invention ?

Troisième point relevé par la Commission : remplacer les mots « principe de précaution » par les mots « principe d’innovation responsable » est source de confusion. Concrètement, un même contenu s’appellera « principe de précaution » en droit international, en droit communautaire et dans la loi française mais, curieusement, s’appellera « principe d’innovation responsable » dans la Charte de l’environnement adossée à notre Constitution… Cette façon de faire bousculera la hiérarchie des normes et suscitera d’interminables débats en séance ou devant le juge pour savoir si ce changement d’appellation induit un changement de sens et si l’appellation « principe de précaution » se concilie ou non avec l’appellation « principe d’innovation responsable ».

En quatrième et dernier lieu, il est faux de prétendre que ce changement de nom permettrait de clarifier l’interprétation du principe de précaution. La lecture attentive de la jurisprudence du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou des décisions du Conseil constitutionnel permet de se convaincre qu’un tel risque n’existe pas. Deux cas sont fréquemment cités. Un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles du 4 février 2009 est souvent cité par les opposants au principe de précaution. Certes, dans cette affaire, les parties au procès avaient beaucoup écrit du principe de précaution, mais ce n’est pas sur ce fondement que la cour d’appel a ordonné l’enlèvement de l’antenne-relais litigieuse, mais bien parce que l’opérateur avait promis de respecter certaines normes d’émission et de distance pour l’implantation de son antenne-relais, et qu’il n’a pas tenu sa promesse.

Second cas de figure : récemment, par une décision du 11 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle la société Schuepbach contestait la conformité au principe constitutionnel de précaution, de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Pour cette société, soucieuse de pouvoir rechercher et exploiter des hydrocarbures non conventionnels, le législateur avait utilisé à tort le principe de précaution en en faisant un principe d’interdiction – ici de la fracturation hydraulique. Or, le Conseil constitutionnel a considéré à très juste titre que cet argument était inopérant. En effet, la loi du 13 juillet 2011 relative à l’interdiction de la fracturation hydraulique, grâce notamment à l’intervention du président Chanteguet, n’est pas fondée sur le principe de précaution, mais sur le principe de prévention.

Voilà les raisons pour lesquelles la commission du Développement durable a décidé d’adopter un amendement de suppression de l’article.

M. Éric Ciotti. J’apporte naturellement mon soutien à cette proposition de loi constitutionnelle puisque j’en suis cosignataire. Je ne serais pas cohérent si je ne défendais pas ce texte courageux, pertinent et opportun.

Pour commencer, il n’est pas question de supprimer le principe de précaution de la hiérarchie des normes, mais seulement d’en modifier la place : dès lors qu’il ne sera plus placé au sommet, Éric Woerth l’a rappelé, il ne paralysera pas l’esprit d’innovation qui doit être au cœur de toute politique publique et qui doit animer un grand pays comme le nôtre.

Le constat du déclin industriel de la France a déjà été dressé : la part de l’industrie dans la production intérieure brute s’est effondrée depuis 1981. Nous sommes dans un monde ouvert et il n’est pas question de le contester : il faut s’adapter à la compétition internationale. Or, on a l’impression que la France dispute un cent-mètres ou un marathon avec des boulets qu’elle s’est elle-même fixés aux pieds. Il faut rompre avec cet état d’esprit qui, il faut bien le constater, ne lui permet pas d’aller de l’avant dans cette compétition.

Mon expérience de président d’un exécutif local montre qu’il est de plus en plus difficile d’investir, prisonniers que nous sommes de ces a priori : réaliser un collège ou un projet d’intérêt général relève du parcours du combattant à cause des contraintes que nous nous sommes imposées. Une multitude de commissions sans aucune légitimité démocratique se substituent à la volonté du peuple représenté par les élus. Nous sommes par conséquent de plus en plus paralysés pour entreprendre. C’est vrai pour les collectivités locales, c’est vrai pour l’État et c’est vrai pour l’entreprise.

Cette proposition de loi constitutionnelle fixe donc un nouvel objectif plus audacieux et indispensable pour relever le pays de la situation dans laquelle il s’enfonce.

Mme Marie-Jo Zimmermann. En inscrivant dans la Constitution le principe de précaution, nous avons fait preuve d’audace. Aujourd’hui, il est dur d’entendre certains collègues soutenir qu’en le remplaçant par le principe d’innovation responsable, nous permettrions à nos chercheurs d’être plus compétitifs. Lorsque, dans ma circonscription, le groupe PSA a conçu son nouveau moteur diesel, c’était en respectant le principe de précaution et non je ne sais quel principe d’innovation responsable. Nous tournons autour du pot. (Sourires.) Ces sourires m’attristent, chers collègues : chacun a le droit de défendre ici une autre idée que la vôtre sans se faire tacler, à plus forte raison lorsqu’on a en tête l’avenir de nos enfants !

Lorsque le principe de précaution a été adossé à la Constitution, l’idée était également d’amener à une réflexion intelligente. Or, ce n’est pas parce qu’on emploiera les mots « innovation responsable » qu’on fera un travail plus intelligent. Le respect du principe de précaution impose tout autant de réfléchir sur le plan scientifique, mais également de nous interroger, comme c’est notre devoir, sur l’avenir de ceux qui vont nous succéder ; autrement dit, nous faisions œuvre d’avenir. J’ai le sentiment que, sur ce point, cette proposition de loi constitutionnelle nous conduirait à un recul.

M. Paul Molac. Je me félicite d’une certaine unanimité, de la position du groupe SRC – M. Assaf a rappelé la genèse du principe de précaution – et des prises de positions de plusieurs membres du groupe UMP.

J’avoue ne pas très bien comprendre quelle traduction législative pourrait recevoir le principe d’innovation responsable. Le principe de précaution, lui, est clair : il s’agit de protéger l’environnement et, au-delà, l’homme – ce qui est tout de même l’essentiel. Je vous rappelle que nous avons parfois tardé à prendre des décisions : c’est ce qui s’est produit avec l’amiante, et qui s’est traduit par des maladies pour un certain nombre de nos concitoyens.

M. Bernard Accoyer. Le principe de précaution et le principe de prévention n’ont rien à voir !

M. Paul Molac. Nous avons légiféré sur les perturbateurs endocriniens dont on sait très bien qu’ils ont des conséquences sur la santé. Cette proposition de loi constitutionnelle va d’autant moins dans le bon sens que nous venons de voter la loi sur les lanceurs d’alerte. Comment l’innovation pourrait-elle aller à l’encontre de la protection de l’homme ?

Nous voterons contre cette proposition de loi constitutionnelle. J’ai bien entendu que nos concitoyens étaient de plus en plus frileux : nous le constatons à chaque fois qu’est proposé un projet des plus basiques, qu’il s’agisse d’une unité de méthanisation ou d’une éolienne… Mais cela n’a rien à voir avec le principe de précaution.

Il faut donc rassurer nos concitoyens en leur rappelant que nous sommes comptables de leur santé et que nous avons la charge de la protéger. Ce serait un très mauvais signe que d’adopter ce texte.

M. Bernard Accoyer. J’ai eu un rôle probablement décisif au sein du groupe majoritaire lorsque fut prise la décision d’inscrire le principe de précaution dans la Constitution. Or, nonobstant ce qui a été dit par d’éminents membres du groupe UMP avant moi, j’entends vous livrer en conscience l’état de mes réflexions : il n’y a pas de mois, il n’y a pas de jour où je ne regrette cette inscription expéditive. Nous avons omis d’adjoindre au texte le principe d’une loi organique qui, à l’époque, avait été prévu.

M. Christian Assaf. Le père tue l’enfant !

M. Bernard Accoyer. Et comme nous n’avons pas prévu de dispositif organique, nous sommes dans une situation dont je ne peux que déplorer la gravité.

La proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise s’inscrit dans une réflexion générale sur la place de la science, de la culture scientifique dans la société, dans la haute fonction publique, dans les médias et au sein du personnel politique. Or, objectivement, cette place, depuis quelques décennies, a diminué de façon dramatique. Ce texte s’inscrit également dans un débat philosophique opposant d’un côté l’objectivité, la rationalité – héritage de la philosophie des Lumières qui ont contribué comme on sait au progrès de l’humanité – et, de l’autre, le relativisme.

La France est le seul pays à avoir, à trois niveaux, un principe de précaution : au niveau européen, au niveau constitutionnel et au niveau législatif avec la loi Barnier. Or, les effets du principe de précaution sont difficilement contestables, qu’il s’agisse des effets sur la recherche sectorielle – biotechnologies, hydrocarbures non conventionnels, recherche biomédicale… –, sur les filières industrielles et d’avenir qui dépendent de ces secteurs – je pense au défi alimentaire, au défi en eau, au défi énergétique –, ou des effets sur ces jeunes qui veulent se consacrer à la recherche : plus aucun jeune chercheur en France ne se forme désormais dans le secteur de la biogénétique végétale. Avant que les faucheurs volontaires ne se mettent en action, il y avait une centaine de cultures en plein champ d’organismes végétaux génétiquement modifiés ; il n’y en a plus une seule aujourd’hui. Avec ces cultures biogénétiques, ce sont les chercheurs qui ont été fauchés et la recherche elle-même !

Et où sont partis les chercheurs dans le domaine des hydrocarbures non conventionnels ? Dans d’autres filières ou à l’étranger.

On sait ce qu’il en est advenu avec la quatrième génération du nucléaire où la France, il y a vingt ans, avait une avance de vingt ans sur le reste du monde, alors qu’aujourd’hui nos chercheurs sont en Inde pour développer la filière qu’un jour nous lui rachèterons !

Je n’ai pas encore mentionné les effets du principe de précaution sur l’investissement. La France est considérée comme un pays où l’utilisation à tort et à travers de ce principe empêche ce moment indispensable qui accompagne le progrès en tous domaines : le saut technologique. Oui, un saut technologique comporte une part d’incertitude, une part de doute, une part de risque. Or, l’usage à tout propos et à tout bout de champ du principe de précaution a, sur le plan psychologique, profondément marqué la France. C’est ainsi que nous sommes devenus un pays gagné par la peur, le pessimisme, le doute, un pays qui remet sans cesse en cause ses réussites, un pays où l’inaction est en train de l’emporter sur l’action.

L’inaction est toujours plus dangereuse que l’action. Nous ne pouvons rester immobiles. C’est précisément pour cette raison qu’a été votée, en 2012, une résolution particulièrement bien calibrée à l’issue d’un travail préparatoire approfondi, avec un rapporteur de droite, Alain Gest et un rapporteur de gauche, Philippe Tourtelier, et que je vous invite à relire attentivement.

Tout récemment, l’Académie des sciences a consacré une de ses séances aux travaux de l’un de nos plus illustres chercheurs, un de ceux que le monde nous envie : le professeur Alain Carpentier, celui qui inventé le système de cœur artificiel CARMAT. Eh bien, sachez qu’il s’en est fallu de très peu qu’à cause du principe de précaution, à cause de ces peurs, la société CARMAT aille s’installer dans un autre pays !

Cette proposition de loi constitutionnelle, je l’ai évoqué, ouvre ce débat qui, parce que difficile et complexe, sera long. Bien sûr, je la soutiens, même si je ne pense pas que ce soit absolument ce qu’il faille faire. Nous commençons seulement un long travail, et celui-ci ne pourra déboucher que si nous savons dépasser les postures, les clivages, les préjugés. Il en va, j’en suis convaincu, de l’avenir de notre pays. Débattons donc de l’adjonction de quelques mots, dans la Constitution, tout en prévoyant une loi organique – ce dont nous avons le plus grand besoin pour éviter l’usage particulièrement préoccupant qui est désormais fait du principe de précaution.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Tout le monde est bien conscient de la nécessité de protéger l’environnement et tous ceux qui se trouvent à la tête d’une collectivité locale savent qu’aucun projet ne peut voir le jour s’il n’est pas jugé « écologiquement correct » par une préfecture, par une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ou par une direction départementale du territoire (DDT).

L’idée d’introduire le principe de précaution dans la Constitution était louable, bonne, mais elle a été dévoyée : il s’agissait de prendre toutes les précautions pour faire, non d’interdire l’action. Aujourd’hui, la précaution a tué le travail : c’est aussi ce qui explique que nous ayons plus de 5 millions de précaires et de sans-travail.

Le coût du travail est certes très élevé et si d’autres pays, où il est presque au même niveau, s’en sortent, c’est qu’ils n’ont pas le même code du travail que nous. Tout le monde sait et reconnaît, y compris à gauche, que ce code est un peu lourd, et personne n’ose y toucher. Mais il n’y aura bientôt plus grand-chose à craindre du code du travail : avec le code de l’environnement et nos normes environnementales franco-françaises excessives, on ne peut plus construire d’usines ! Des permis de construire d’usines en zone industrielle sont annulés parce qu’on est obligé d’aller négocier des hectares de biodiversité dans des zones pourtant classées zones industrielles. Qui peut me dire où l’on pourrait aujourd’hui reconstruire l’usine PSA d’Aulnay ? Quand les services de la préfecture ont considéré qu’on ne pouvait pas construire la nouvelle maison d’arrêt d’Angers parce qu’elle se situerait sur une trame verte, le préfet a répondu : mais qui vous a dit qu’on ne pouvait pas construire sur une trame verte ? Le droit est toujours interprété à l’excès. Et pourtant, une maison d’arrêt est systématiquement entourée d’une couronne de prairie de cinquante mètres… Comment une couronne de prairie pourrait-elle rompre la continuité d’une trame verte ?

Ne parlons pas des « zadistes » de Notre-Dame-des-Landes qui menacent les cabinets d’étude environnementale des Pays-de-la-Loire pour qu’ils ne répondent pas positivement aux appels d’offres – et il y a déjà eu des exactions commises contre les domiciles des salariés et des responsables de ces agences. C’est la fin de l’État de droit !

Je me souviens d’un dîner à l’Hôtel de Lassay : nous étions un certain nombre de députés invités par le président Accoyer pour rencontrer des scientifiques, parmi lesquels le prix Nobel de médecine. Je me trouvais à côté de Mme Fioraso, alors députée de l’opposition. Elle a pris la parole pour faire valoir qu’inscrire le principe de précaution dans la Constitution conduirait l’État à renoncer à sa recherche scientifique et à s’engager dans la voie de la décadence, de la décroissance économique. Mme Fioraso est aujourd’hui ministre de la Recherche… qui ne pourra plus faire de recherche !

On a peine à imaginer tous les blocages créés par le principe de précaution, dont on s’est peu à peu servi pour culpabiliser par avance l’entrepreneur désireux d’entreprendre, le chercheur voulant chercher. N’oubliez pas que c’est le travail qui crée l’emploi, qui crée les richesses nécessaires pour financer toutes les lois de solidarité sociale que vous vous plaisez à voter. Ne l’oubliez pas, car lorsqu’on ne créera plus de richesses en France, on n’aura même plus besoin de revenir parler du principe de précaution !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Ce débat est intéressant et utile, car nous commençons à mettre des mots concrets sur des choses jusque-là évanescentes. Mais je ne comprends pas pourquoi cette proposition de loi constitutionnelle veut substituer au principe de précaution celui d’innovation, comme si les deux n’étaient pas complémentaires. On assiste à une dérive des mots : la haute fonction publique tente, vaille que vaille, de passer de la notion de précaution à celle de prévention, comme l’a relevé le Conseil constitutionnel ; de la même façon, on utilise désormais systématiquement le mot « innovation » pour ne plus employer le mot « invention ». Autrement dit, on efface la capacité de l’homme à inventer en lui substituant la capacité de la société à innover ; on a transformé la capacité d’une société à prendre des précautions par la capacité des hauts fonctionnaires à gérer la prévention…

Cela nous ramène à une question essentielle en politique : le concept de responsabilité : responsabilité individuelle des élus, responsabilité collective à l’égard du corps social et de son économie, responsabilité de la collectivité nationale à l’égard de notre environnement, de nos paysages, de notre avenir. Je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait à supprimer le principe de précaution pour le remplacer par celui d’innovation responsable : dans mon esprit, précaution et innovation ne sont pas incompatibles, loin s’en faut.

M. Jean-Christophe Fromantin. Un élément revient souvent dans nos échanges : la corrélation entre la compétitivité et le principe de précaution.

Le principe de précaution est-il réellement un handicap qui plomberait nos entreprises, ou un atout qui nous pousse à aller plus avant dans la recherche et l’innovation au point d’en faire un marqueur fort pour notre économie ? Il est bien difficile de répondre à cette question, même si, dans bien des secteurs, la façon dont nous l’appliquons dans notre réglementation apparaît de plus en plus en décalage par rapport à la norme que s’imposent d’autres pays. Nous rapproche-t-elle ou nous éloigne-t-elle de la compétitivité ? Il me semble qu’elle nous en éloigne. Il faut donc nous demander si, au sein d’une économie mondiale et interconnectée, le principe de précaution, tel que se l’applique la France, nous isole en nous éloignant des enjeux de l’exportation, du développement international et de la compétitivité, ou si, au contraire, d’autres pays suivent notre exemple, ce qui serait de nature à avantager nos entreprises.

À l’instar de Bernard Accoyer, je me demande si l’introduction de la notion de responsabilité n’introduirait pas une certaine souplesse entre les principes très rigides que nous nous imposons et notre capacité à développer notre économie. Faute de quoi, le principe constitutionnel de précaution, très rigide, entraîne toute une série d’effets collatéraux préjudiciables. Dans ces conditions, je suis plutôt favorable à l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Chacun se souvient du contexte qui a présidé à l’adoption du principe de précaution en 2005 ; personne à l’époque n’en mesurait les conséquences. En revanche, chacun avait conscience d’inscrire dans la loi constitutionnelle quelque chose dont l’objet était de protéger des générations de demain. Cette réalité est toujours présente. Ce n’est pas le principe de précaution qui pose problème, mais sa mise en œuvre. L’inscription de ce principe dans la Constitution a constitué un garde-fou qui concerne autant les responsables d’aujourd’hui que ceux qui, demain, viendront nous demander des comptes. Personne, à l’époque, n’imaginait comment il se traduirait réellement dans la vie de notre pays, dans le domaine juridique, dans le domaine industriel, dans le domaine économique, dans le domaine environnemental. Nous sommes toujours dans la construction de ce principe.

Si évidemment on ramène le principe de précaution à une construction purement jurisprudentielle, on se heurte à une difficulté majeure. C’est pourquoi je soutiens qu’il doit être intégré par tous les acteurs qui participent à notre développement économique, scientifique, environnemental. Pour ce qui est du gaz de schiste, par exemple, le principe de précaution me paraît heureux : même s’il peut poser d’énormes problèmes en termes de développement, il a l’immense mérite d’empêcher de commettre ce qui demain ne pourrait pas être réparé. En revanche, il reste à construire, sur le plan intellectuel, politique, économique, juridique comme dans la dimension industrielle, des chemins dans lesquels on retrouvera le principe de précaution comme un garde-fou sans affaiblir pour autant notre capacité de progrès et d’innovation. Le progrès, ce n’est pas ce qui nous arrange aujourd’hui ; c’est ce qui servira également nos enfants et nos petits-enfants. Voilà en quoi le principe de précaution a une réalité, une force que nous-mêmes n’imaginions pas lorsque nous l’avons adopté à Versailles, voilà pourquoi il doit rester inscrit au fronton de toute la démarche de notre société.

M. Éric Woerth, rapporteur. Ce débat vaut la peine car chacun d’entre nous souhaite la même chose : que la France progresse au bon sens du terme sans pour autant que la croissance se fasse à n’importe quel prix au mépris de la plus élémentaire prudence. Nous savons aussi que cette croissance ne peut être le fruit que de l’innovation et de l’invention dans le domaine économique, dans le domaine social, et plus encore dans le domaine scientifique et technique.

Cela étant posé, que veut-on affirmer ? Car les mots ont un sens, à commencer par celui de précaution ; vouloir le remplacer par un autre terme n’est pas neutre. Cela ne signifie pas pour autant que l’on chamboule tout, mais seulement que l’on veut modifier la hiérarchie des facteurs. Veut-on une société de protection qui permet l’innovation ou une société d’innovation qui n’exclut pas la protection ? Par cette proposition de loi constitutionnelle, nous disons que nous souhaitons une société qui affiche sa volonté d’innovation, dans un esprit de responsabilité évidemment. La façon dont la précaution est utilisée aujourd’hui entrave le développement de la société française, contribue à son blocage. Le blocage d’un projet d’implantation d’antenne relais ou d’éolienne n’a rien à voir, nous assure-t-on, avec le principe de précaution ; c’est peut-être, et même certainement, vrai sur le plan juridique, pas sur le plan culturel. Car le principe de précaution s’est immiscé dans la société française au point de devenir une attitude culturelle ; or cette attitude, il faut la combattre, car il faut aller de l’avant, et elle entrave le mouvement.

Sur le plan juridique, la proposition de loi n’a, au fond, d’autre but que de déconstitutionnaliser le principe de précaution qui ne devrait plus être un principe d’action pour la société tout entière, mais un simple garde-fou, qui existe déjà dans les traités européens ainsi que dans le droit civil et administratif. Qui pourrait d’ailleurs croire que la responsabilité ne s’exerce pas ? Des personnalités aussi éminentes que Louis Gallois, Anne Lauvergeon, ou nombre de responsables d’organismes de recherche dénoncent le danger qui se cache derrière le principe de précaution. Nos équipes de recherche dans le domaine des OGM quittent la France. L’extraction du gaz de schiste, en l’état actuel des connaissances, est peut-être une erreur ; mais ne vaut-il pas mieux permettre aux recherches de se poursuivre plutôt que l’interdire ? Autant de questions qui renvoient à une conception de la société que nous cherchons à exprimer à travers ce texte. Tout ne peut pas être ramené au droit : souvent les principes juridiques rejoignent les énoncés médiatiques. C’est en ce sens que le principe de précaution est devenu un facteur limitant au lieu de nous aider à progresser. Pour nous, la civilisation, c’est le progrès, et le progrès, c’est l’innovation. Mais l’innovation, ce n’est pas d’abord la précaution, même si l’innovation ne va pas sans de la précaution. Voilà ce que nous voulons dire dans cette proposition de loi constitutionnelle.

La Commission passe à l’examen de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.

Article unique : Substitution du principe d’innovation responsable au principe de précaution dans l’article 5 de la Charte de l’environnement.

La Commission adopte les amendements de suppression CL2 de M. Molac, CL3 de M. Assaf et CL4 de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire.

En conséquence, l’article unique est supprimé, l’amendement CL1 tombe et la proposition de loi constitutionnelle est rejetée.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le texte de la proposition de loi constitutionnelle sera examiné en séance le 4 décembre prochain.

*

* *

La Commission examine ensuite la proposition de loi de M. Philippe Meunier et plusieurs de ses collègues visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police (n° 996) (M. Philippe Meunier, rapporteur).

M. Philippe Meunier, rapporteur. Cette proposition de loi vise à sanctionner les Français, je dis bien les Français, qui ont fait le choix de combattre la France, en prenant les armes, directement ou indirectement, contre les forces armées et de sécurité françaises, c’est le cas notamment au Mali ou en Irak.

Telle qu’elle est rédigée, cette proposition de loi vise donc à déchoir de la nationalité française les binationaux qui ont acquis la nationalité française dès lors qu’ils auront été arrêtés, surpris ou identifiés pour de tels faits.

Cette mesure serait prise par le Gouvernement par décret, après avis simple du Conseil d’État, sauf si la déchéance a pour résultat de rendre cette personne apatride. Elle pourrait être prononcée à tout moment, car l’article unique de la proposition de loi prévoit d’écarter l’application du premier alinéa de l’article 25-1 du code civil, qui limite les cas de déchéance de nationalité à des faits accomplis avant l’acquisition de la nationalité ou de ceux commis dans un délai de dix ou quinze ans à compter de la date de cette acquisition.

Cependant, il convient d’améliorer la rédaction de ce texte loi pour la renforcer dans son objectif.

Tous les Français qui prennent les armes contre nos armées ou nos forces de sécurité doivent être gravement sanctionnés, quelle que soit la cause de leur rébellion, qu’ils soient nés français ou qu’ils aient acquis la nationalité française. Il est en effet scandaleux que de tels individus continuent à jouir des bienfaits de notre République alors qu’ils trahissent notre pays. Peu importe l’idéologie qu’ils poursuivent : aujourd’hui le djihadisme est concerné, mais rien ne dit que demain d’autres Français ne prendront pas les armes contre notre pays pour d’autres motifs. Je vous proposerai donc deux amendements visant, d’une part, à prononcer la perte de nationalité à l’égard de tout Français binational et, d’autre part, à instaurer un crime d’indignité nationale accompagné d’une peine de dégradation nationale à l’encontre de tout autre Français auteur de tels faits, puisque notre État ne peut les rendre apatrides en vertu de nos accords internationaux.

L’instauration d’un mécanisme de perte de nationalité à la place de la déchéance de nationalité.

Cette procédure présente trois avantages. Premièrement, la perte de nationalité concerne tout Français binational, qu’il soit né Français ou qu’il ait acquis la nationalité française d’une manière ou d’une autre, contrairement à la déchéance qui ne vise que ceux qui ont acquis la nationalité française. Deuxièmement, la perte de nationalité n’est pas encadrée dans des limites temporelles pour sanctionner les faits reprochés contrairement à la procédure de déchéance, enserrée dans un délai de dix à quinze ans. Troisièmement, la perte de nationalité peut être prononcée par décret après avis simple du Conseil d’État, et non après avis conforme. S’il est négatif, le Gouvernement peut le surmonter en adoptant le décret en conseil des ministres : cela suppose que ce décret soit signé par le président de la République et le Premier ministre.

Par ailleurs, je vous propose de préciser le champ géographique des faits sanctionnés par la perte de nationalité. Ils devront s’être produits sur un théâtre d’opération extérieure où la France est engagée ou, sur le territoire français, au profit d’un État ou d’une organisation étrangère contre lequel la France est engagée militairement.

Enfin, je souhaite que l’individu, devenu étranger à la suite de la perte de nationalité française puisse faire l’objet, à la discrétion du Gouvernement, d’une mesure d’expulsion lorsqu’il est présent sur le territoire national, ou d’une interdiction administrative de territoire lorsqu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national.

Ces mesures administratives complémentaires sont justifiées par le fait que la présence en France de cet individu constituerait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France. Elles ne pourraient être prises qu’après épuisement des voies de recours contentieuses dont l’individu dispose pour contester le décret de perte de nationalité devant le Conseil d’État.

Je reviens à mon amendement qui vous propose de rétablir un crime d’indignité nationale, assorti d’une peine d’indignité nationale.

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le Général de Gaulle édicta l’ordonnance du 26 août 1944 instituant un crime d’indignité nationale sanctionné par une peine de dégradation nationale pour punir sévèrement les Français ayant collaboré avec l’ennemi. Elle fut abrogée par la loi d’amnistie du 5 janvier 1951.

Je crois qu’il convient aujourd’hui de s’inspirer de ces sanctions pénales à l’encontre des ressortissants français qui trahissent notre pays en portant les armes contre nos militaires et nos forces de sécurité.

Je vous propose donc d’inscrire dans le code pénal, au sein du chapitre relatif à la trahison et à l’espionnage, un crime d’indignité nationale qui serait puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende. Cette peine serait donc équivalente à celle encourue pour avoir entretenu des intelligences avec une puissance étrangère en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, telle que prévue par l’article 411-4 du code pénal.

La dégradation nationale serait une peine qui pourrait être prononcée à titre complémentaire par le juge à titre définitif, ou par décision spécialement motivée, pour une durée de trente ans au plus. Elle emporterait un certain nombre d’interdictions pour le condamné telles que la privation de tous ses droits civiques et politiques, la privation de ses droits publics, diverses interdictions professionnelles dans le secteur public et privé et l’impossibilité de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction.

Je vous proposerai enfin de modifier le titre de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pour tirer les conséquences des modifications que je viens de vous soumettre.

M. Gilbert Collard. Il va de soi que cette proposition de loi m’agrée…

M. Patrick Mennucci. Ça, on s’en doutait !

M. Gilbert Collard. J’ai même l’impression qu’elle a été prise dans ma poche… C’est à croire que des pickpockets législatifs rôdent ! La seule chose qui me préoccupe, sur le plan juridique, c’est la création de cette peine complémentaire pour crime l’indignité nationale. Pour commencer, quelle juridiction sera amenée à la prononcer ? Ensuite, si l’intéressé a porté les armes contre la France à l’étranger, faut-il l’appréhender, le traduire devant une juridiction afin de pouvoir juger, sur le territoire français, qu’il a commis une infraction, auquel cas, la peine complémentaire pourrait être prononcée ? Tout porte à croire qu’on aura le plus grand mal à obtenir son extradition. Il conviendrait donc d’établir une procédure plus fine afin de pouvoir prononcer la déchéance de la nationalité.

M. Jacques Bompard. À l’heure où la France est confrontée à une menace islamiste à la fois sur son sol et à travers ses ressortissants à l’étranger, je ne peux que me féliciter de l’initiative de notre collègue Meunier qui vise à déchoir de la nationalité française tout ressortissant reconnu comme français ayant participé directement ou indirectement à des opérations armées contre nos forces armées ou de police. L’actualité nous en fournit un exemple tragique en montrant ce millier de Français et plus qui sont partis combattre aux côtés de l’État islamique et exécutent des otages étrangers ou des prisonniers syriens. Le même type d’individus combat l’armée française au Mali, l’armée du pays qui les a élevés. Comment concevoir que ces traîtres à leur pays puissent bénéficier des droits résultant de la qualité de citoyen français alors même, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, qu’ils bafouent les devoirs les plus élémentaires dus à sa patrie ?

Force est de constater qu’en Europe et en France, la notion de devoir est totalement désincarnée tant elle n’est plus corrélée à la notion de droit. Notre système juridique consacre de façon exponentielle les droits, alors que les devoirs ont disparu. Il n’est dès lors pas étonnant que le climat social dégénère : les citoyens n’assument plus leurs devoirs, mais ils ont tous les droits. Ainsi des individus trahissent leur patrie tout en conservant le bénéfice de leur nationalité. La question posée par ces Français qui luttent aux côtés d’organisations islamistes est celle de la haine que voue l’islamisme radical à notre pays et à ses traditions. L’expansion de ce terrorisme dans notre pays illustre avant toute chose l’impérieuse nécessité de défendre l’identité propre de la France, seul contre-feu devant le risque de dissolution de notre nationalité.

M. Patrick Mennucci. Mon groupe se prononcera contre cette proposition de loi pour de nombreuses raisons.

Pour commencer, elle pose de sérieuses questions juridiques, et même un problème de constitutionnalité. Vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le rapporteur, les amendements que vous avez déposés pour tenter d’y échapper le prouvent. La déchéance de la nationalité ne concernant que ceux qui l’ont acquise, et non tous les Français, il pourrait y avoir une rupture d’égalité entre ressortissants français. Certes, dans une décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a jugé que, bien qu’elle rompe l’égalité entre ressortissants français, la déchéance de la nationalité n’est pas contraire à la Constitution ; cependant, il a entouré cette sanction de garanties en décidant que l’autorité administrative ne peut retirer la nationalité que pour une durée limitée. L’article 25-1 du code civil prévoit : « La déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’intéressé et visés à l’article 25 se sont produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition ». Ce délai est porté à quinze ans en cas de délit, de crime ou de terrorisme. Or, votre texte ne prévoit aucune marge de temps.

Le Conseil constitutionnel a été saisi, ces derniers jours, d’une question préalable de constitutionnalité sur la déchéance de la nationalité par un individu déchu par un décret du 28 mai 2014 après avoir été condamné définitivement par le tribunal de grande instance de Paris pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste. Si besoin était, cela prouve que la déchéance de la nationalité existe en France. Le moyen pris par le requérant est que les articles 25 et 25-1 du Code civil méconnaissent le principe d’égalité. Le Conseil d’État a considéré que la question présentait un caractère sérieux et méritait d’être tranchée par le Conseil constitutionnel. Personne ne sait encore quand celui-ci rendra sa décision. Quoi qu’il en soit, cela doit nous inciter à attendre qu’il statue, sous peine de nous retrouver avec une proposition de loi qui risquerait d’être en contradiction avec la décision du juge constitutionnel.

Remarquons que, dans trois cas sur les quatre prévus en l’état actuel du droit, la déchéance est prononcée sur fondement d’une condamnation. Dans le quatrième cas, qui sanctionne le fait de s’être livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France, la déchéance ne nécessite pas de jugement définitif ; les actes sont appréciés par l’administration, mais sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir. Aucune garantie de ce genre ne figure dans le texte que vous proposez.

D’une manière générale, votre proposition de loi apparaît mal rédigée, comme le montrent les amendements que vous avez été contraint de déposer, qui en modifient profondément l’économie.

En fait, les propos de nos collègues Collard et Bompard en témoignent, votre initiative est fondée sur des préjugés défendus par une partie de l’UMP – un courant du reste très minoritaire, si j’en juge aux effectifs venus vous soutenir. Votre proposition de loi ne correspond pas à la réalité et n’a d’autres buts que d’envoyer des signaux – de très gros clins d’œil – au Front national. La déchéance de nationalité ne peut être prononcée qu’à l’encontre des binationaux, le droit international interdisant de fabriquer des apatrides. À croire que les signataires de cette proposition de loi ne considèrent les jeunes partants faire le djihad que comme des binationaux, baignés depuis leur plus jeune âge dans la religion musulmane, dont les parents algériens auraient obtenu un peu par hasard la nationalité française… Voilà l’histoire que vous vous racontez !

M. le rapporteur. C’est une histoire marseillaise !

M. Patrick Mennucci. C’est tout votre problème : on sait ce que vous visez ; reste à savoir si cela correspond à la réalité…

Nous aurons, dans les mois à venir, dans le cadre de commission d’enquête que notre collègue Ciotti propose de créer, l’occasion de vérifier ces éléments de façon sérieuse. Nous savons, malheureusement, que parmi ces jeunes, binationaux ou non, combattants de Daech et de ceux qui se livrent au djihad, il y a des Français dont les familles ont obtenu la double nationalité il y a cinq cents ans. Et Daech le met en avant à des fins de propagande. Il est peu probable que le jeune Maxime Hauchard, qui s’est livré aux horreurs que nous connaissons, ait rencontré beaucoup de binationaux dans son petit village de l’Eure… à moins de considérer qu’il y ait une nationalité normande !

M. Alain Tourret. Je veux bien qu’il en soit déchu !

M. Patrick Mennucci. Grâce au travail de l’État, de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et d’associations, nous savons que, sur un panel de 120 familles dont les enfants sont partis faire le djihad avec le Daech, 70 % sont athées et 80 % n’ont aucun lien, récents ou lointains, avec l’immigration. Le plus souvent, les candidats au départ sont des enfants de professeurs, de fonctionnaires, d’avocats, parfois des jeunes issus de quartiers populaires ; en aucun cas, on ne peut dire que la majorité de ceux qui partent pour le djihad sont des binationaux. Sur les 650 appels qu’a reçus le numéro vert ces six derniers mois – autrement dit depuis sa création – 55 % émanent de familles de culture arabo-musulmanes, 45 % de familles d’autres cultures et d’autres religions.

Les députés UMP se sont rendu compte qu’ils étaient allés un peu vite en besogne en découvrant que bon nombre de ces jeunes partis en Syrie ou ailleurs étaient de purs Français ; je crois pouvoir affirmer que, pour 99 % d’entre eux, sinon 100 %, ils ne sont pas concernés par votre proposition de loi. Votre création de crime d’indignité nationale punie de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende serait tout à fait inopérante, parce qu’inapplicable.

Enfin, la réforme proposée ne cherche qu’à hystériser l’opinion publique : il n’est qu’à voir la réaction de l’extrême droite dans cette salle… Elle rappelle fortement un débat lancé par M. Jean-François Copé sur le voile intégral ou les questions de M. Nicolas Sarkozy sur la nationalité. Il s’agit de sujets qui ne concernent qu’une très petite minorité, mais qui ont une forte propension à polariser le débat public. Les enjeux sont présentés de façon simpliste et sous le seul angle répressif. Il n’y a aucune volonté d’apporter une réponse à ce phénomène de radicalisation qui pousse de jeunes Français à participer au djihad. En revanche, l’honnêteté pousse à reconnaître que la proposition de résolution de M. Ciotti, tendant à créer une commission d’enquête, elle, pose le problème bien différemment en abordant la vraie question : comment faire pour éviter que ces jeunes partent et comment faire, lorsqu’ils reviennent, pour les déprogrammer ? C’est du reste la raison pour laquelle nous la soutiendrons.

Ce texte n’est qu’une tentative, assez piteuse, de reprendre la main dans le domaine de la sécurité. Enfermé dans l’idéologie que vous trimballez sans cesse, vous répétez que les socialistes sont des laxistes, que le Gouvernement se fiche bien de tout cela. Ce faisant, vous vous inscrivez dans la logique d’une droite très ancienne. Mais, malheureusement pour vous, il y a un gouvernement qui se bat, aux côtés d’autres forces armées, contre Daech, un gouvernement intransigeant sur ces questions, mais tout aussi rigoureux sur les principes de constitutionnalité. Voilà pourquoi nous repousserons cette proposition de loi.

M. Éric Ciotti. Au risque de déplaire à mon collègue Mennucci, je voterai pour cette proposition de loi. Les questions qu’elle pose sont opportunes et ouvrent un débat intéressant sur la possibilité de déchoir de leur nationalité française les ressortissants binationaux français partis combattre à l’étranger dans le cadre d’actions terroristes. C’est à la loi du 21 décembre 2012, relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, que nous devons cette incrimination qui permet aux magistrats antiterroristes de placer systématiquement en détention provisoire les jihadistes qui reviennent sur le territoire national.

Quel traitement convient-il de réserver à ces personnes qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de notre nation, combattent nos valeurs fondamentales et s’engagent dans des actions contraires à tout principe d’humanité, qui témoignent d’une barbarie contemporaine insupportable ?

Ainsi, la question de la réponse à apporter, et donc de la déchéance de la nationalité, n’est pas un mauvais débat, bien au contraire. Mais si je comprends et partage l’esprit qui anime Philippe Meunier, j’ai tendance à penser, et lui-même l’a reconnu, que sa proposition de loi est satisfaite : de fait, l’article 25 du code civil sanctionne déjà les atteintes aux intérêts supérieurs de la nation, les crimes et, bien entendu, les actes de terrorisme. Il est donc d’ores et déjà possible de prononcer la déchéance de la nationalité, pour peu que cela n’ait pas pour effet de rendre l’intéressé apatride. Reste nous ne nous sommes encore jamais aventurés sur ce terrain alors que la Grande-Bretagne a, depuis un an, engagé des procédures de déchéance à l’encontre d’une vingtaine de terroristes coupables de faits similaires à celle évoquées par le rapporteur. J’ai du reste appelé l’attention du Gouvernement sur ce point à l’occasion de l’examen en séance publique de la dernière loi contre le terrorisme, que j’ai du reste votée car elle contenait des dispositions utiles. Le Gouvernement doit avoir la volonté d’engager ces procédures, notre droit le lui permet et nous devons utiliser toutes les armes juridiques dont nous disposons dans ce combat contre le terrorisme et la barbarie.

M. Olivier Marleix. En réponse à M. Collard, je tiens à relever la constance de Philippe Meunier qui, au cours de la législature précédente, avait à plusieurs reprises présenté des amendements allant dans le sens de sa proposition de loi. Il n’a donc aucun droit d’auteur à reverser…

La France est généreuse dans les conditions d’attribution de la nationalité ; cela emporte des contreparties évidentes, que notre droit de la nationalité présuppose, et en premier lieu le respect des valeurs de la République. Nous sommes confrontés à des faits d’une inqualifiable violence qui nous ramènent au temps des guerres de religion. La République doit se donner tous les moyens pour mettre le holà à ces dérives qui n’inspirent que le dégoût. J’observe que le texte qui nous est proposé a pris en compte les enseignements du Conseil constitutionnel en excluant les cas où l’application de la mesure créerait des apatrides, et que le rapporteur a déposé plusieurs amendements qui préviennent quelques difficultés susceptibles d’être rencontrées.

Nous nous trouvons au final en présence d’un texte assez satisfaisant, qui devrait rencontrer un large soutien dans notre assemblée. C’est ce qui s’est produit lorsque le ministre de l’Intérieur, M. Cazeneuve, a proposé un texte visant à lutter contre le djihadisme ; je regrette que cette proposition de loi ne recueille pas le même assentiment. Ce qui me paraît de nature à créer l’hystérie, monsieur Mennucci, c’est plutôt l’attitude de déni d’un parti socialiste qui refuse de voir la vérité en face. Je ne sais si cette proposition de loi est parfaitement rédigée ou non, mais vous auriez tout loisir d’en améliorer la rédaction d’ici à son examen en séance ; la République aurait tout à gagner si nous présentions un front uni sur un tel sujet.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Monsieur Collard, je rappelle que cette proposition de loi a été déposée il y a déjà plusieurs mois ; je sais qu’un grand nombre de parlementaires, quel que soit leur bord politique, s’inquiètent des menaces auxquelles sont confrontés notre pays et nos soldats depuis plusieurs années. Et je vous confirme que, pour incarcérer un individu, il faut effectivement l’avoir interpellé auparavant…

Vous aurez remarqué, monsieur Bompard, que si mes amendements sont adoptés par la commission, le texte ne prévoira plus la déchéance, mais la perte de la nationalité. Son champ sera donc beaucoup plus large et ne se limitera pas dans le temps alors que la déchéance ne s’applique qu’aux Français ayant acquis la nationalité depuis moins de dix ans, voire quinze ans.

Je précise ensuite que cette proposition de loi vise exclusivement nos compatriotes qui portent les armes contre nos soldats sur les terrains où ceux-ci sont engagés. Ainsi, la Syrie n’est pas concernée, à la différence de l’Irak, du Mali et de la Centrafrique. Le but est de rappeler que, lorsque l’on est un Français, on ne saurait tirer contre un soldat de la République sans conséquences.

Monsieur Mennucci, je salue votre performance et la cohérence qui vous caractérise : mais justement, si vous adoptez mes amendements, vous lèverez tout problème de constitutionnalité. Nous avons su prendre nos responsabilités en soutenant le ministre de l’Intérieur en votant son projet de loi renforçant l’arsenal des moyens de lutte contre le terrorisme ; je vous demande de prendre les vôtres également. Le sujet ne prête pas à l’amusement, voire à la rigolade : il s’agit de nos soldats français qui se font tirer dessus par des Français.

Je rappelle à cette occasion que la proposition de loi ne parle pas d’étrangers ayant la nationalité française mais bien de Français. Certes, nous ne pouvons pas faire d’un individu un apatride, mais nous ne pouvons pas ne rien faire. Il s’agit donc de viser les Français binationaux et de leur retirer la nationalité, pour les autres, de leur appliquer le crime d’indignité nationale car ils doivent être tout autant sanctionnés.

Monsieur Ciotti, ma proposition de loi n’est qu’en partie satisfaite par le 4° de l’article 25 du code civil : pour être déchu de la nationalité française, sans avoir été préalablement condamné pénalement, il faut avoir agi pour le compte d’un État étranger. Or les gens que nous visons agissent pour le compte d’un groupe terroriste, ce qui n’est pour l’heure pas pris en compte par cette disposition.

Je veux enfin insister sur le fait que cette proposition de loi est un texte de portée générale : il ne s’agit pas de se braquer sur un problème particulier – en l’occurrence, le djihadisme –, mais bien de défendre nos soldats en rappelant qu’un Français ne peut pas tirer sur un Français, quelles que soient les motivations de ceux qui prennent les armes contre les armées de la République.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi

Article unique

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL4 de M. Coronado

M. Sergio Coronado. Nous n’allons pas refaire le débat, d’autant moins que la commission des Lois est déjà saisie d’un texte sur l’accueil des demandeurs d’asile, qu’elle a commencé à examiner hier soir, et que la question de la déchéance de la nationalité agite la droite depuis des années. Et comme l’ont fait remarquer nos collègues Bompard et Collard, la droite républicaine ne gagnera rien à courir derrière le Front national.

Je ne reviendrai pas non plus sur les raisons qui ont conduit notre collègue Mennucci à exprimer son opposition à ce texte ; il a fait notamment référence à la rupture d’égalité. Si le Conseil constitutionnel a, en 1996, autorisé la déchéance de la nationalité pour fait de terrorisme, il a insisté sur le caractère exceptionnel d’une telle sanction en rappelant notamment que, au regard du droit de la nationalité, les personnes auxquelles la nationalité a été attribuée à leur naissance étaient dans la même situation que n’importe quel autre citoyen.

Ce qui me gêne particulièrement, mais qui ne me surprend pas outre mesure, dans ce que sous-tend cette proposition de loi, c’est l’idée, très ancienne pour l’extrême droite, qu’il y aurait des vrais Français, des Français de naissance, et des Français en sursis ou des Français de papier. Du reste, les exposés des motifs parlent de « ressortisssants officiellement reconnus comme Français » ou de « personnes ayant acquis la nationalité française ». Cela n’est pas recevable : dès lors qu’on a la nationalité française, on est français devant la loi, au même titre que son voisin.

Ce texte procède d’une autre conception de la République ; contrairement à son objet revendiqué, il ne s’attaque ni aux jihadistes ni aux crimes commis contre l’armée française, même si l’amendement portant article additionnel vise à se démarquer de ce qui aurait pu n’être qu’un copier-coller des propositions de l’extrême droite.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Gardez vos leçons de morale, monsieur Coronado : nous ne courons pas après le Front national pour défendre la France, pas plus que nous ne courons après les Verts pour défendre notre environnement. Vos attaques sont d’un niveau assez déplorable… Il n’y a pas pour nous plusieurs catégories de citoyens, mais il y a des Français qui portent les armes contre d’autres Français. Les traités internationaux nous interdisant de fabriquer des apatrides, notre proposition de loi vise à déchoir de la nationalité française les seuls binationaux. Mais comme il n’est pas question de viser les seuls Français titulaires d’une nationalité étrangère – je le répète, mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre –, je propose de rétablir le crime d’indignité nationale à l’encontre des nationaux sans double nationalité que nous ne pouvons pas rendre apatrides, mais qu’il nous faut sanctionner. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à l’adoption de cet amendement.

M. Patrick Mennucci. Le groupe socialiste votera en faveur de l’amendement de M. Coronado pour la raison indiquée par M. Ciotti qui estime cette proposition de loi satisfaite, ce que vous avez contesté, monsieur le rapporteur, en affirmant que la loi ne visait que ceux qui prennent fait et cause pour un État étranger. Pourtant, dans le cas que je vous ai rapporté tout à l’heure, un individu a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris au motif qu’il avait participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste ; nulle part il n’était fait référence à un État étranger. Autrement dit, sur ce point également, votre proposition de loi est satisfaite. Voilà pourquoi nous soutiendrons l’amendement de suppression de l’article.

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans le domaine du droit international, les actes terroristes sont le plus souvent dirigés contre un État, ce qui m’amène à rejoindre l’avis du rapporteur : l’état actuel du droit et de la jurisprudence ne permet pas de répondre totalement au problème rencontré. L’argument de notre collègue Mennucci, ne me paraît donc pas recevable.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les amendements CL1, CL5, CL7, CL10 et CL14 tombent.

Après l’article unique

La Commission examine ensuite les amendements identiques CL3 du rapporteur et CL9 de M. Jean-Frédéric Poisson, portant article additionnel après l’article unique.

M. Philippe Meunier, rapporteur. Le présent amendement vise à rétablir le crime d’indignité nationale assorti d’une peine de dégradation nationale, instauré par l’ordonnance du 26 août 1944 pour sanctionner sévèrement le comportement des Français ayant collaboré avec l’ennemi pendant la seconde guerre mondiale.

Le rétablissement de ces peines viserait les ressortissants français qui trahissent notre pays en portant les armes ou en se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations menées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises, soit sur un théâtre d’opération extérieure où la France est engagée, soit, sur le territoire français, au profit d’un État ou d’une organisation que la France combat à l’étranger.

Le crime d’indignité nationale serait puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende, à l’instar de la peine encourue pour avoir entretenu des intelligences avec une puissance étrangère, une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, en application de l’article 411-4 du code pénal.

La dégradation nationale serait une peine qui pourrait être prononcée à titre complémentaire par le juge à titre définitif, ou par décision spécialement motivée, pour une durée de trente ans. Elle emporte un certain nombre d’interdictions pour le condamné : privation de tous ses droits civiques et politiques ; privation de ses droits publics ; diverses interdictions professionnelles dans le secteur public et privé ; impossibilité de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mon amendement CL9 est identique et M. le rapporteur en a très précisément détaillé les motivations.

M. Alain Tourret. Si mes souvenirs sont bons, le crime d’indignité nationale n’entraînait pas de détention : il était en lui-même une sanction. Or, vos amendements en font un crime puni de trente ans de détention… Je ne comprends plus. De mémoire, dans la Grèce antique, l’indignité nationale s’appelait l’ostracisme : le condamné était exclu de la communauté nationale. C’est ce qui arriva à Alcibiade, qui fut chassé d’Athènes. Votre peine de trente ans de détention me paraît contraire au principe même de l’indignité.

M. Patrick Mennucci. Je remercie notre collègue Tourret de ce moment de culture et de cette remarque tout à fait intéressante. Le groupe socialiste repoussera cet amendement de « rattrapage aux branches » d’une proposition de loi rédigée sous la pression d’une idéologie qui voudrait désigner à la vindicte publique une partie de la population française.

La Commission rejette ces amendements.

Les amendements CL2, CL6, CL8, CL11 et CL15 tendant à modifier le titre de la proposition de loi deviennent sans objet.

La Commission ayant rejeté l’article unique de la proposition et les amendements portant article additionnel, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

*

* *

Puis la Commission examine la proposition de loi de M. Jean Leonetti et plusieurs de ses collègues visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui (n° 2277) (M. Jean Leonetti, rapporteur).

M. Jean Leonetti, rapporteur. En 2011, à l’occasion du débat sur les lois de bioéthique, les députés ont rejeté à une large majorité l’autorisation de la gestation pour autrui (GPA). Néanmoins, un décret du ministère de la Justice a autorisé en 2013 la transcription dans l’état civil français des actes de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger. Plus grave encore, en juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France contre les époux Mennesson pour avoir refusé d’inscrire à l’état civil la naissance de leurs enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger.

Dans ce contexte juridique ambigu, le recours à une mère porteuse à l’étranger devient une pratique envisageable pour nos concitoyens, ce qui a incité Jacques Delors, Lionel Jospin, Yvette Roudy et plusieurs autres personnalités à signer dans Libération, en juillet 2014, une lettre ouverte au président de la République, lui demandant de mettre un terme à une pratique considérée comme de nature à altérer profondément la dignité de la personne, car elle contrevient au principe de l’indisponibilité du corps humain, et s’apparente à une forme de marchandisation en mettant le ventre de la femme en location.

À ceux, de gauche comme de droite, qui s’émouvaient de cette situation, le Premier ministre a répondu, de manière forte et claire dans la presse écrite, au travers d’un entretien à La Croix, qu’il considérait la GPA comme une pratique intolérable. Nous nous sommes accordés, avec Laurence Rossignol, la secrétaire d’État chargée de la famille, sur le fait qu’il fallait trouver des solutions pour empêcher les Français d’avoir recours à la GPA à l’étranger, puisque l’arrêt de la CEDH battait en brèche la décision française de ne pas reconnaître les naissances par GPA à l’étranger, qui constituait jusqu’alors un rempart assez dissuasif.

Il fallait donc réviser notre droit et, puisque notre droit civil est défaillant, renforcer notre droit pénal qui, en l’état, punit d’une peine de prison la GPA pratiquée en France. Malheureusement, cette disposition n’est guère efficace dans la mesure où nos compatriotes partent à l’étranger et où aucune infraction n’a dernièrement été constatée sur le sol français : il n’existe aucune jurisprudence sur les sanctions prononcées à l’égard de Français s’étant prêtés à une gestation pour autrui. Ajoutons qu’au regard de la gravité des faits, on peut considérer les sanctions comme très mineures. Voilà pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi propose d’accroître les sanctions. Cela n’est néanmoins pas suffisant dans la mesure où les sanctions actuelles, très légères, n’étant pas appliquées, on ne voit pas pourquoi le fait de les durcir ferait qu’elles le soient davantage. Nous avons donc créé une nouvelle infraction caractérisée par le fait d’effectuer des démarches en vue d’avoir recours à la GPA, en France ou à l’étranger. Enfin, pour renforcer encore l’efficacité du dispositif, je vous propose un amendement visant à rendre la loi pénale française applicable aux délits commis à l’étranger par des ressortissants français ou des personnes résidant habituellement en France.

Le Conseil d’État, le Comité consultatif national d’éthique ainsi que tous les rapports auxquels ont donné lieu les lois de bioéthique ont condamné sans ambiguïté le recours aux mères porteuses, et je pense que notre démarche peut rencontrer l’approbation de tous ceux qui, sur nos bancs, sont hostiles à la GPA.

Si l’on y est favorable en revanche, il ne faut toucher à rien, car notre droit est suffisamment hypocrite pour prévoir des sanctions qui ne sont jamais appliquées : la France a choisi, en la matière, de pratiquer la politique de l’autruche en ne sanctionnant que les délits commis sur son territoire, mais en autorisant, voire en favorisant la GPA dès lors qu’elle a lieu à l’étranger : pourquoi sinon le Gouvernement se serait-il abstenu de faire appel de la décision de la CEDH, alors qu’il en avait les moyens juridiques ?

Pour ma part, je considère que les trois mesures portées par cette proposition de loi – l’aggravation des sanctions, la pénalisation des démarches effectuées en vue d’avoir recours à la GPA et surtout la pénalisation des actes délictueux commis à l’étranger par des Français ou des personnes résidant habituellement sur le sol français – constitueront un arsenal juridique propre à dissuader nos concitoyens d’avoir recours à une pratique qui est la négation même du respect de la dignité inaliénable de la personne : pas plus que les corps ne sont à louer, les enfants ne sont pas à vendre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis heureux que le groupe UMP ait choisi d’inscrire cette proposition de loi dans la niche parlementaire ad hoc. Je partage totalement les orientations proposées par Jean Leonetti, y compris dans ses amendements.

La première question que nous devons nous poser face à la gestation pour autrui est de savoir si nous considérons que le recours à une mère porteuse heurte le principe de la dignité inaliénable des personnes, au sens où l’une des définitions de cette dignité consiste à ne jamais considérer la personne comme un moyen, mais uniquement comme une fin. Or la GPA constitue à l’évidence une forme d’instrumentalisation de la personne humaine et heurte violemment, dans son principe même, le respect de la dignité des personnes.

Il faut également se demander, comme nous l’avons fait de manière récurrente lors des débats autour du mariage pour tous, jusqu’à quel point il est possible de bouleverser l’ordre symbolique du droit pour donner satisfaction à quelques revendications, aussi nobles et légitimes soient-elles, notamment en matière de filiation.

Je considère pour ma part que force doit rester à la loi, dans toute sa dimension symbolique, lorsqu’elle pose des principes aussi essentiels que ceux que remet en cause la gestation pour autrui. Je m’oppose en cela à ceux qui considèrent que la satisfaction de quelques revendications individuelles peut conduire à faire évoluer les principes du droit.

C’est la raison pour laquelle je voterai cette proposition de loi, non sans avoir interrogé le rapporteur sur le sort qu’il entend réserver à l’amendement que j’ai déposé avec Dominique Tian et qui vise à faire en sorte que toutes les formes de GPA, que celle-ci soit pratiquée à titre onéreux ou gratuit, soient sanctionnées : une telle distinction ne me paraît pas conforme aux principes que nous défendons.

M. Jacques Bompard. Cette proposition de loi vient confirmer que l’inquiétude suscitée par la GPA n’était pas superfétatoire. Il en va de ce sujet comme d’autres : le « prêt-à-penser » voudrait nous faire ignorer que la France est tenue par un droit cohérent et des engagements internationaux qui sont faits pour organiser de fait le glissement vers la promotion de la GPA. C’est d’ailleurs l’effet bien compris de la circulaire défendue par Mme Taubira et que nous réprouvons, ce qui nous a valu insultes et anathèmes de la part des adeptes d’un corps réduit à l’état de marchandise.

Dans La Revue parlementaire, le psychanalyste Jean-Pierre Winter écrit : « Derrière la souffrance des couples qui ne voient d’autre solution pour enfanter que la gestation pour autrui, il est impossible en effet de ne pas relever la survalorisation de la génétique. » Mais, plus intéressant encore que cette survalorisation de la génétique est le retournement de la grande union des libéraux et des libertaires pour réduire l’homme à un produit mondialisé et la femme à son annexe, dont les caractéristiques naturelles ne cessent d’être niées.

Je n’ai qu’un regret concernant cette proposition de loi, c’est qu’elle limite comme elle le fait les amendes et les peines de prison encourues par les personnes ayant eu recours à la GPA. Quand on voit que le refus de s’affilier à la sécurité sociale est passible de deux ans de prison, on se demande si la traite des gestatrices et la commercialisation des nouveau-nés ne mériteraient pas une plus grande sévérité !

J’en terminerai par une nouvelle citation de l’article de Jean-Pierre Winter : « La grossesse n’est pas un simple portage, c’est une expérience fondamentale qui façonne les deux protagonistes : la future mère et l’enfant en gestation. » Voilà une bien belle remise en cause de la banalisation de la GPA et finalement de l’ensemble de ces mornes tables de la loi du progrès qui n’en finissent plus de briser l’ordre naturel.

M. Guillaume Larrivé. Avec cette proposition de loi, Jean Leonetti essaie de dégager une voie consensuelle et efficace pour lutter contre la gestation pour autrui, en mobilisant l’outil pénal, insuffisamment sollicité, afin de dissuader et de réprimer un certain nombre de comportements qui portent atteinte à des principes auxquels nous pouvons tous croire : l’indisponibilité du corps humain, sa non-marchandisation, l’égalité entre les femmes et les hommes, le respect du corps des femmes.

Le Gouvernement s’est montré, ces derniers mois, pour le moins ambigu sur la question de la GPA. La circulaire de Christiane Taubira, au début de l’année 2013, a d’abord eu, sinon pour objet direct, à tout le moins pour effet de faciliter la transcription dans l’état civil français des actes d’état civil d’enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger, ce qui ouvre, qu’on le veuille ou non, une voie de contournement de l’interdiction de la GPA inscrite dans notre droit interne.

Je regrette par ailleurs que le Gouvernement n’ait pas fait usage de la faculté qu’il tient de la Convention des droits de l’homme de faire appel d’un arrêt pris par sept membres seulement de la CEDH. C’est une faculté souveraine, qui permet de porter devant la Grande Chambre des questions qui méritent un débat plus solennel que l’examen par une chambre simple.

J’informe enfin notre Commission que vendredi prochain, le rapporteur public du Conseil d’État rendra ses conclusions au sujet de la requête que plusieurs d’entre nous, à mon initiative et à celle de Daniel Fasquelle, avions formée en février 2013 contre la circulaire de Mme Taubira. Le Conseil sera certes obligé, dans le cadre du dialogue des juges, de tenir compte de la décision de la CEDH, mais il ne lui est pas subordonné, et il lui appartiendra de juger et d’éclairer notre assemblée sur la légalité ou non de la funeste circulaire prise par la ministre de la Justice.

M. Philippe Gosselin. J’espère que cette proposition de loi permettra de lever les ambiguïtés qui entourent la gestation pour autrui depuis les débats sur le mariage dit « pour tous », au cours desquels nous avions été nombreux à soulever les conséquences qu’emportait le vote de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, à savoir une banalisation de la procréation médicalement assistée (PMA) et le risque de voir se développer la GPA.

La garde des Sceaux a du reste contribué à installer dans le paysage juridique français cette ambiguïté qu’alimente encore un récent avis de la Cour de cassation, en signant une circulaire visant à faciliter l’obtention d’un certificat de nationalité française pour les enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse. À cela s’ajoutent les deux arrêts de la CEDH qui rappellent la France à l’ordre, et les propos du Défenseur des droits. Jusqu’au Premier ministre qui, fort opportunément, à l’avant-veille de la manifestation du 5 octobre dernier, a déclaré dans la presse être très opposé à la GPA, tout en expliquant que les arrêts de la CEDH ne seraient appliqués qu’au cas par cas… Je ne vois pas très bien ce que cela signifie : ou il y a un bloc, ou il n’y en a pas. Depuis, c’est le silence radio. Je regrette évidemment que le Gouvernement n’ait pas fait appel de la décision de la CEDH : même si les chances de succès étaient peut-être limitées, cela aurait au moins témoigné d’une volonté de défendre nos positions.

J’avais du reste déposé en septembre 2013 une proposition de loi constitutionnelle qui visait à introduire le principe d’indisponibilité du corps humain dans la Constitution. Il faut en effet éviter la banalisation de ce type de trafic, à l’heure où un véritable marché a vu le jour : certaines officines américaines vous proposent « en kit » l’assistance juridique, la mère porteuse et l’organisation de votre voyage : il vous en coûtera environ 150 000 dollars, soit 120 000 euros, pour acquérir un bébé américain. Sans parler des filières ukrainiennes ou indiennes, qui participent d’un véritable dumping éthique. Pour combattre cette marchandisation des corps, il faut donc employer l’instrument pénal, et cette proposition de loi aurait pu aller plus loin, contre les parents qui ont recours à la GPA et contre ceux qui font la promotion de ce trafic.

En marge de cette proposition de loi, la France pourrait prendre la tête d’un grand mouvement abolitionniste mondial visant à prohiber la GPA dans le monde. Ce serait à l’honneur de notre pays, qui défend le principe de l’indisponibilité du corps humain et réaffirme, dans une décision du Conseil constitutionnel de 1994, le principe de la dignité de la personne humaine. Nous serions ainsi fidèles à notre tradition de défense des droits de l’homme, car c’est bien, à mon sens, ce dont il s’agit : les enfants ne sont pas à vendre. Il n’existe pas de droit à l’enfant mais des droits de l’enfant.

M. Olivier Marleix. La proposition de loi défendue par Jean Leonetti veut mettre un terme à la politique de l’autruche que pratique le Gouvernement, notamment lorsqu’il accepte la décision de la CEDH. C’est une question de cohérence, mais également de sécurité juridique pour les personnes concernées qui reçoivent des signaux juridiques contradictoires. À la circulaire complaisante de la ministre de la Justice et à la décision de la CEDH, qui semblent leur donner raison, s’oppose la position de la Cour de cassation, qui continue à dire ce qu’est notre droit.

Cette ambiguïté fut au cœur de nos débats sur le mariage pour tous et je regrette que, depuis deux ans, le Gouvernement n’ait pas pris l’initiative de la lever – je ne reviendrai pas sur les propos invraisemblables tenus par le Premier ministre au journal La Croix. Il est urgent d’en sortir. La seule lecture des catalogues de mères porteuses mis en ligne sur Internet devrait convaincre toutes les femmes et tous les hommes de cette assemblée de l’indignité de cette situation. Je remercie vivement Jean Leonetti d’avoir, dans sa sagesse, présenté ce texte.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Les sujets de société sont par nature complexes car ils font se croiser des habitudes, des traditions parfois, et des pratiques nouvelles. De fait, ils viennent se frotter à notre propre conception de la vie en société, comme citoyen et comme responsable politique. Notre débat du jour est de ceux-ci. Mais, bien que complexe, il n’en répond pas moins à deux principes simples : celui de la conformité de nos propositions au droit, celui de l’efficacité politique. Sur ces deux points, la proposition de loi débattue fait fausse route.

Fausse route sur le plan juridique : cette proposition est arrivée après les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme de juin 2014. Beaucoup les ont commentées, peu les ont analysées, d’où des excès de langage qui ont blessé et heurté des concitoyens : n’oublions pas que notre sujet est incarné par des espoirs, des doutes, des souffrances.

L’article 2, sur le plan juridique, nous envoie dans le mur. L’infraction telle qu’elle est définie n’implique pas la preuve de l’intention de recourir à une GPA mais seulement le fait de se renseigner. Qui plus est, la pénalisation en France d’agences opérant depuis l’étranger est purement hypothétique, à tel point que la peine peut être qualifiée d’affichage puisque non suivie d’effets. Enfin, elle ne reprend pas la définition pénale de la GPA, mais procède par allusion à la notion civile. Ces imprécisions juridiques dessinent déjà la position qui s’impose.

Fausse route également sur le plan politique : la proposition de loi cible les parents, pas les entremetteurs. Ce n’est pas respectueux des personnes, alors que le respect doit être la condition première de toute action politique. Cibler les parents en allant jusqu’à vouloir les mettre en prison est une erreur évidente : ce n’est ni efficace ni opportun. Renforcer la pénalisation est un réflexe habituel à droite, ce n’est en aucun cas un gage d’efficacité.

Permettez-moi enfin de remettre cette proposition de loi dans son contexte : les qualités de M. Leonetti ne sauraient nous faire oublier que l’objectif de ce texte relève avant tout de l’affichage politique visant à entretenir une triste flamme, celle de la division et non du rassemblement. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter contre cette proposition de loi. L’état actuel du droit est satisfaisant en ce sens où il n’oblige pas à légiférer : la GPA est interdite en France, ce que l’arrêt Mennesson de la CEDH, qui fait reconnaître la filiation de l’enfant au nom de l’intérêt de l’enfant que nous avons tous à cœur, ne remet nullement en cause. Le droit civil comme le droit pénal sont très clairs l’un et l’autre sur ce point. Et, pour être plus claire encore : le groupe SRC est contre la GPA, et il n’y a aucun projet, sauf à fantasmer, tendant à la légaliser.

M. Erwann Binet. Cette question sensible mérite autre chose que des débats caricaturaux ou des procès d’intention. Si le groupe SRC vote contre ce texte, il est pour autant, dans sa très grande majorité, favorable au maintien de l’interdiction de la GPA et considère comme nulles les conventions qui l’autorisent. Nous considérons également qu’il faut pénaliser les agences qui font office d’intermédiaires. Mais nous ne nous retrouvons pas sur la méthode.

Tout d’abord, monsieur le rapporteur, vous motivez votre démarche par l’existence d’un décret de la ministre de la Justice. Or il ne s’agit pas d’un décret, mais d’une circulaire, ce qui emporte une différence de taille : le décret est créateur de droits, pas la circulaire. En l’espèce, comme le confirmera probablement le Conseil d’État d’ici quelques semaines, la circulaire Taubira se borne à rappeler aux tribunaux le droit existant, en l’occurrence l’obligation d’appliquer l’article 47 du code civil, lequel dispose que les actes établis à l’étranger sont aussi valables dans notre pays. Si un acte d’état civil étranger établit la paternité d’un Français, alors son enfant est français, au titre de la loi de la République. Et je m’étonne que, tout en condamnant des Français qui ne respectent pas la loi, vous reprochiez dans le même temps à la garde des Sceaux de vouloir la faire appliquer.

Ajoutons que votre texte ne règle rien. L’arrêt de la CEDH, pris dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une GPA, s’impose à nous. Il est probable même qu’il fera évoluer la jurisprudence de la Cour de cassation dans des affaires aujourd’hui pendantes.

Le renforcement des mesures répressives visant à lutter contre la GPA n’aura aucun effet dissuasif sur les agences, pour la plupart installées à l’étranger et donc hors de portée de notre droit. Sera-t-il propre à dissuader les parents ? J’en doute, si l’on considère que le parcours du combattant terrible qu’ils doivent déjà affronter ne suffit pas à les faire reculer : j’ai dans ma circonscription l’exemple d’un couple hétérosexuel dont l’un des conjoints n’a pas hésité à séjourner pendant un an en Inde avant de pouvoir ramener leur enfant en France.

M. Philippe Gosselin. Vous voulez leur faciliter le parcours ?

M. Erwann Binet. Pas du tout. Et je condamne, comme vous, la façon dont est pratiquée la GPA dans ce pays.

Le rapporteur propose enfin de substituer par amendement au principe de territorialité le principe de personnalité active pour juger du recours à la GPA. Ce faisant, il place ce délit au même rang que le viol, l’atteinte ou l’agression sexuelle sur mineur et la pédopornographie, autant de faits que notre droit punit y compris lorsqu’ils ont été commis à l’étranger. Je ne suis pas certain que le recours à la GPA relève de la même catégorie que ces crimes ou délits sexuels, unanimement condamnés par toutes les sociétés humaines.

Ces débats juridiques ne doivent pas nous faire oublier les enfants, dont je regrette que l’on parle si peu et auxquels la Cour de cassation a refusé, dans un arrêt de septembre 2013, tout lien de parenté avec leurs parents biologiques. Ils ne doivent pas masquer non plus la diversité des situations. Il n’y a rien de commun entre l’Inde ou l’Ukraine et les États-Unis, le Canada ou même la Grèce, qui vient d’assouplir sa législation sur la GPA pour l’ouvrir aux étrangers : au sein même de l’Union européenne, les cliniques de Thessalonique pourront désormais accueillir sans restriction des Français souhaitant recourir à des mères porteuses.

En définitive, cette proposition de loi ne lève en rien l’hypocrisie qu’a formellement condamnée la CEDH et qui consiste à admettre la reconnaissance d’actes d’état civil dressés à l’étranger tout en refusant de les transcrire dans notre droit français.

Les sénateurs viennent d’ouvrir une mission d’information conduite par Catherine Tasca et Yves Détraigne sur le thème : « PMA et GPA : le droit français face aux évolutions jurisprudentielles ». J’espère que ses travaux déboucheront sur un rapport qui nous permettra de mener sur la GPA une réflexion mesurée.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. À l’instar d’un certain nombre de députés du groupe SRC, je me suis exprimée hier dans la presse pour dire clairement que j’étais totalement opposée à la GPA, tout en étant favorable à la PMA. La GPA n’est pas la PMA et la confusion des sigles a conduit à la confusion des réalités : qu’on le veuille ou non, les réalités ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes. La GPA est une violence faite aux femmes dont le ventre devient une usine à produire, quels que soient les risques encourus – je vous renvoie ici au reportage diffusé par Arte sur les Lebensborn indiens, où les femmes sont systématiquement accouchées par césarienne. Dans le cas de la PMA, les femmes accouchent de leur propre enfant : c’est très différent.

On peut avancer que la GPA est une réponse à l’infertilité des couples, hétérosexuels ou homosexuels ; mais elle est parfois envisagée, ce qui est beaucoup plus grave, comme une solution par des couples parfaitement fertiles qui ne veulent pas s’encombrer d’une grossesse.

Saisi, le Comité consultatif national d’éthique a annoncé qu’il se prononcerait l’an prochain. Il serait pertinent d’attendre son avis. Je ne vois pas l’intérêt de légiférer en amont, soit pour influencer sa décision, soit pour qu’il contredise ensuite nos choix.

M. Philippe Gosselin. Le législateur peut envoyer des signaux.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Mais le Parlement est aussi là pour écouter le peuple, et le comité d’éthique en fait partie.

Nous ne pouvons nous cacher le fait que, au-delà de notre territoire national, certains pays pratiquent légalement la GPA – autrement dit considèrent les femmes comme des usines. C’est la raison pour laquelle le ministre des Affaires étrangères s’est vu confier la mission de réfléchir à l’organisation d’un cadre international permettant de concilier cet état de fait complexe avec l’interdiction de la GPA inscrite dans notre droit.

Sur le plan scientifique et humain ensuite, je ne crois pas qu’il faille confondre la biologie et la génétique, qui n’est qu’une toute petite partie de la biologie. Considérer que seul le lien génétique établit la paternité ou la maternité serait lourd de conséquences sur notre appréhension de l’adoption, de l’accouchement sous X et de ce qui, globalement, définit pour un enfant sa filiation.

Je pense moi aussi que le Gouvernement aurait dû faire appel devant la Grande Chambre de la décision de la CEDH. Quoi qu’il en soit, et même si je réaffirme mon opposition à la GPA, cette proposition de loi ne me paraît ni opportun, ni à la hauteur des enjeux : qu’est-ce qu’une pénalité de 15 000 euros, quand l’achat d’un enfant aux États-Unis en coûte entre 50 000 et 100 000 ? Ce n’est jamais qu’une contravention…

Je ne mets pas en cause la souffrance et la douleur des parents qui ne peuvent pas avoir d’enfants, mais donnerait-on un œil à quelqu’un qui en aurait besoin ? La greffe de vif à vif ne se pratique qu’en cas de danger de mort. Ne pas avoir d’enfant est une souffrance, une infirmité, ce n’est en aucun cas une question de vie ou de mort au point de devoir la compenser par une attaque biologique lourde, et qui plus est au corps d’une autre.

J’entends des voix moqueuses sur ma gauche…

M. Philippe Gosselin. La gauche est souvent moqueuse !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je les assume, mais je ne les reconnais pas. Je maintiens que nous devrions attendre sagement de connaître la position du comité d’éthique avant de prendre position. Pour ma part, je suis fondamentalement contre ce que je considère comme une infamie et je le réaffirmerai. Je m’abstiendrai néanmoins sur cette proposition de loi, qui demeure en deçà des questions éthiques et sociales que pose la GPA : que sont capables de faire la science et la biologie pour ou contre la vie ? On touche là à l’âme de l’humanité ; or la femme, c’est la moitié de l’humanité. Enfin, je ne vois pas beaucoup de femmes riches prêter leur ventre à une femme pauvre… On est aussi dans une logique de lutte des classes, ne l’oublions pas !

M. Jean Leonetti, rapporteur. À ceux qui, à gauche, m’opposent que cette proposition de loi va soit trop loin soit pas assez et qu’il est urgent de ne rien faire, je répondrai qu’on ne peut arguer de la faiblesse juridique de son article 1er, puisque les dispositions qu’il comporte existent déjà ! Il se borne à doubler les peines encourues par les personnes ayant recours à la GPA. Si vous considérez que c’est insuffisant, déposez un amendement pour les tripler, nous vous suivrons.

Si la prison vous semble une peine horrible pour les parents, supprimez cette sanction, qui figure déjà dans notre droit positif. Mais peut-on se contenter de sanctions financières contre une pratique que le Premier ministre lui-même a qualifiée d’intolérable, l’assimilant à une commercialisation des êtres humains et à une marchandisation des corps ? Comme vient de le faire remarquer ma collègue à l’instant, dissuadera-t-on les gens d’aller à l’étranger par une petite amende supplémentaire ? Et comme l’ont écrit Jacques Delors et Lionel Jospin – qui ne sont pas des hommes de droite – dans leur lettre ouverte au président de la République, « comment allez-vous expliquer aux Françaises et aux Français que, s’ils ont de l’argent, ils pourront aller acheter un bébé à l’étranger et le faire inscrire comme leur fils ou leur fille sur l’état civil français tandis que, s’ils ne sont pas assez fortunés, ils devront subir l’interdiction qui demeurerait en droit français applicable aux contrats de mère porteuse réalisés en France ? » Vous nous renvoyez au comité d’éthique, mais il s’est déjà prononcé en 2011, tout comme le Conseil d’État. Les députés n’ont-ils pas le droit de prendre l’initiative en la matière ?

Je maintiens que la circulaire Taubira témoigne d’un état d’esprit du Gouvernement, qu’il a confirmé par sa décision de ne pas déposer de recours contre la décision de la CEDH. Et si le Premier ministre pensait vraiment ce qu’il disait, pourquoi n’a-t-il pas fait appel d’une décision qui n’est conforme ni à notre droit ni à notre éthique et contraire à toute la jurisprudence de la Cour de cassation ou du Conseil d’État ?

M. Binet a évoqué le triste parcours du combattant des familles candidates à la GPA. C’est montrer beaucoup de compassion pour les riches qui vont en Inde louer des utérus. Car il faut avoir les moyens de se payer un an de séjour en Inde ! Ce genre d’argumentaire me paraît assez pitoyable.

M. Erwann Binet. Vous caricaturez mes propos !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je ne cherche pas à accrocher une proposition de loi de plus à mon tableau ni à celui des députés UMP. Essayons de réfléchir ensemble d’ici à la séance publique et d’admettre au moins qu’il faut pouvoir appliquer les sanctions prévues par notre droit aux faits délictueux commis à l’étranger. Ce serait le minimum, qui nous permettrait de mettre nos actes en conformité avec nos paroles et de ne pas nous borner à opposer un droit d’une pauvreté insigne, un petit tigre de papier à un délit qui relève de ce qui se fait de pire en matière de marchandisation du corps humain. Je vous invite donc à mettre un terme à l’impunité dont jouit une pratique ignoble.

Enfin, pour ce qui est du reproche qu’on nous fait de ne pas nous soucier des enfants, je vous renverrai aux propos du Premier ministre : « Il est incohérent de désigner comme parents des personnes ayant eu recours à une technique clairement prohibée… tout en affirmant qu’ils sont responsables de l’éducation des enfants, c’est-à-dire chargés de la transmission de nos droits et de nos devoirs. »

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. 227-12 du code pénal) : Renforcement des sanctions pénales encourues pour les délits de provocation à l’abandon d’enfant et d’entremise en vue d’une gestation pour le compte d’autrui

La Commission examine l’amendement CL4 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. S’appuyant sur des études comparatives et des exemples chiffrés, un rapport sénatorial de 2008, auquel avaient d’ailleurs contribué plusieurs parlementaires de l’UMP, plaidait pour l’encadrement d’une GPA éthique, à l’instar d’Élisabeth Badinter qui, loin de prendre pour argent comptant les arguments sur la marchandisation et l’indisponibilité du corps humain, défend depuis plusieurs années une approche plus rationnelle de la question. J’aurais souhaité que nous nous en inspirions pour mener nos débats.

J’admets, cela étant, que cette proposition de loi s’inscrit dans l’espace que lui ont ouvert les atermoiements et les changements de pied de l’exécutif, et il serait cruel de rapprocher les propos tenus par Manuel Valls à La Croix de ceux qu’il tenait, il n’y a pas si longtemps encore, sur la GPA et la PMA. L’ambiguïté dont fait preuve l’exécutif dans la conduite des affaires ne peut qu’inciter tout un chacun à avancer ses pions.

Je suis pour ma part opposé à l’approche répressive et je suggère à ceux qui prônent un alourdissement des peines d’en revenir au droit de l’Ancien Régime, qui punissait de dix ans de prison la supposition d’enfant. La gestation pour autrui en effet n’a pas attendu les progrès de la science et la mondialisation des échanges pour exister : la supposition d’enfant existait déjà sous l’Ancien Régime, où elle était sévèrement réprimée. Inutile cependant de remonter si loin : il suffit de s’arrêter à l’arrêt de 1991 de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui ne condamnait pas la GPA au motif qu’elle constituait une marchandisation du corps humain mais dénonçait y compris les conventions passées à titre gratuit. C’était une époque où, en France, des associations comme Les Cigognes ou Alma Mater organisaient des réseaux permettant à des femmes de mettre en place des conventions de GPA sans échange marchand ni exploitation du corps des femmes par les hommes.

Nous sommes face à une question autrement plus complexe que veut bien le laisser croire cette proposition de loi. D’une part, sur le plan international, la situation est très contrastée selon les pays ; d’autre part, contrairement à ce qui est prétendu, la GPA est interdite en France par le droit civil comme par le droit pénal. L’administration ne facilite guère le parcours des candidats à la GPA, même si je n’irai pas jusqu’à le qualifier de parcours du combattant. Mais en tant que député des Français de l’étranger, je suis bien placé pour savoir que nos consulats à l’étranger ne facilitent pas le contournement de la loi.

Enfin, je pense que la France a eu raison de ne pas faire appel de la décision de la CEDH. Nous devons respecter nos engagements internationaux, comme nous devons respecter la circulaire du 16 janvier 2013, qui réaffirme que les enfants ne peuvent être tenus pour responsables de la manière dont ils ont été conçus.

Pour toutes ces raisons, je propose la suppression de l’article 1er.

M. Jean Leonetti, rapporteur. En toute cohérence, M. Coronado étant favorable à la GPA, il entend supprimer cet article qui veut l’interdire. Qu’il dépose donc une proposition de loi visant à faire disparaître toute sanction, que l’article 1er ne fait que doubler. Avis défavorable.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé, et l’amendement CL6 n’a plus d’objet.

Article 2 (art. 511-14 du code pénal) : Création d’un délit de démarches en vue de recourir à la gestation pour le compte d’autrui et d’un délit de recours à une telle gestation, susceptibles d’être poursuivis quel que soit le lieu de leur commission

Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement de suppression CL5 de M. Sergio Coronado.

En conséquence, l’article 2 est supprimé, et les amendements CL3, CL2, CL7 et CL1 n’ont plus d’objet.

En conséquence de la suppression de tous ses articles, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

*

* *

Puis la Commission examine la proposition de résolution de MM. Christian Jacob, Éric Ciotti, Pierre Lellouche et Guillaume Larrivé et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes (n° 2240) (M. Alain Tourret, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant de donner la parole au rapporteur, je vous informe que le groupe Écologiste ayant demandé, dans le cadre de son « droit de tirage », la création d’une commission d’enquête relative aux missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, dont le champ recoupe en partie celui de la mission d’information sur les forces mobiles de sécurité créée par notre Commission le 22 octobre dernier, M. Jean-Frédéric Poisson et moi-même, qui en sommes les rapporteurs, vous proposons de mettre un terme aux travaux de cette dernière. Dans un souci de simplification parlementaire, il s’agit d’éviter de convoquer à l’Assemblée les mêmes interlocuteurs et de rédiger ensuite des rapports quasiment identiques.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis tout à fait d’accord et suis certain que le groupe Écologiste saura gré à la Commission de cette bonne manière.

La Commission approuve qu’il soit mis un terme aux travaux de la mission d’information sur les forces mobiles de sécurité conduite par MM. Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La tradition de la Commission est de ne pas toujours faire rapporter les propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête par des députés membres des groupes qui sont à l’origine des demandes. Des députés des groupes SRC et UMP ont ainsi été rapporteurs de telles propositions par le passé. Je cède la parole à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret, rapporteur. En application du deuxième alinéa de l’article 141 de notre Règlement, plusieurs députés du groupe UMP ont déposé, le 3 octobre dernier, une proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Aux termes de l’article 140 de ce même Règlement, il revient à notre Commission de se prononcer, d’une part, sur la recevabilité juridique de la proposition de résolution, et, d’autre part, sur l’opportunité de la création d’une telle commission d’enquête.

Nous le savons, même lorsqu’elle est demandée par un groupe d’opposition ou minoritaire dans le cadre du « droit de tirage », la création d’une commission d’enquête est soumise à plusieurs conditions de recevabilité. Elles sont actuellement au nombre de trois.

En premier lieu, la proposition de résolution doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. En l’espèce, cet impératif est satisfait tant par l’intitulé de la commission d’enquête que par l’article unique de la proposition de résolution.

En deuxième lieu, la commission d’enquête dont la création est demandée ne peut avoir le même objet qu’une commission d’enquête ou qu’une mission ayant bénéficié des mêmes pouvoirs, dès lors que celles-ci auraient conclu leurs travaux moins de douze mois auparavant. La présente proposition de résolution remplit, stricto sensu, ce critère de recevabilité.

En troisième et dernier lieu, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si des poursuites judiciaires portant sur les mêmes faits ont été engagées. Interrogée par le M. le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 de notre Règlement, Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a fait savoir que le périmètre de la commission d’enquête envisagée, par son caractère très général, ne recouvrait pas celui des enquêtes et informations judiciaires actuellement en cours.

D’un strict point de vue juridique, la création de la commission d’enquête que plusieurs députés UMP appellent de leurs vœux est donc recevable. En revanche, l’opportunité de la création d’une telle commission d’enquête me paraît être tout sauf évidente.

Il est vrai que depuis plusieurs mois, le nombre de Français qui se rendent en Syrie et en Irak pour participer au djihad augmente de manière inquiétante. L’actualité récente, marquée par le massacre de plusieurs soldats syriens et d’un travailleur humanitaire américain, auquel auraient participé deux Français, en est une nouvelle illustration tragique. D’après le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, M. François Molins, 1 132 Français seraient, à ce jour, impliqués dans des filières djihadistes et 376 seraient présents en Syrie et en Irak, dont au moins 88 femmes et 10 mineurs.

Face à l’ampleur de ce phénomène, la nécessité d’un renforcement de la surveillance des filières et des individus djihadistes ne saurait être contestée tant la menace qu’ils représentent pour la sécurité nationale est réelle. Nous le savons, certains individus présentent, à leur retour en France, un risque sérieux de passage à l’acte terroriste, et nous ne remercierons jamais assez nos services pour leur action efficace.

Toutefois, la création de cette commission d’enquête est-elle nécessaire pour prolonger la réflexion ? Je me pose de sérieuses questions à ce sujet.

Tout d’abord, le champ de ses investigations serait très proche de celui de plusieurs autres travaux parlementaires conclus récemment ou même encore en cours. En effet, notre Commission s’est déjà penchée sur la thématique du renseignement puisqu’elle a créé une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, dont le rapport, fort de plusieurs propositions intéressantes, a été publié le 14 mai 2013, soit il y a à peine un an et demi.

L’Assemblée nationale a par ailleurs examiné de façon approfondie la question des mouvements djihadistes dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés. Le président de notre Commission en était le rapporteur et son rapport a été publié le 24 mai 2013. Je remarque qu’à l’occasion de l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à créer cette commission d’enquête, le rapporteur, M. Dominique Raimbourg, soulignait déjà son caractère « superfétatoire » en raison, notamment, de la mise en place, quelques mois plus tôt, de la mission d’information que je viens d’évoquer et de l’existence de la délégation parlementaire au renseignement, chargée de contrôler l’action du gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine. Je ne peux aujourd’hui que faire miennes les remarques formulées alors par notre collègue Dominique Raimbourg.

Mieux encore, le Sénat a créé, le 9 octobre dernier, une commission d’enquête portant sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Est-il véritablement judicieux que notre assemblée crée une commission d’enquête dont le champ d’investigation s’avérerait être quasiment le même que celui de la commission d’enquête sénatoriale et dont les conclusions seraient rendues quelque temps après celles de cette dernière ?

Ensuite, il me faut rappeler que les pouvoirs de la commission d’enquête seront restreints par le secret de la défense nationale auquel sont soumis les services de renseignement. Les personnes que la commission d’enquête souhaitera entendre seront certes tenues de déférer à ses convocations, mais elles ne pourront en revanche lui communiquer des informations couvertes par le secret de la défense nationale sans risquer d’être punies des peines prévues aux articles 413-10 et suivants du code pénal, qui répriment le fait de porter ce type d’informations à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée. Ajoutons que, si les rapporteurs des commissions d’enquête sont en principe « habilités à se faire communiquer tous documents de service », ce droit ne s’étend pas aux documents « revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État ».

Enfin, il me semble qu’il serait pertinent que l’évaluation de l’efficacité des moyens de surveillance des filières et des individus djihadistes intervienne après que la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme aura pu produire ses effets. Je pense notamment à l’article 1er qui, dans le but d’endiguer les départs à l’étranger des candidats au djihad, a créé une interdiction administrative de sortie du territoire, et à l’article 12, qui a ouvert à l’autorité administrative la faculté de demander aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) le blocage des sites Internet dont le contenu s’apparenterait à de la provocation à la commission d’actes de terrorisme ou à leur apologie.

Pour l’ensemble de ces raisons, la création de la commission d’enquête sur laquelle il nous revient de nous prononcer, quoique juridiquement recevable, ne m’apparaît pas totalement pertinente. Je ne peux donc me résoudre à appeler les membres de notre Commission à voter la présente résolution, et je m’en remets, dès lors, à leur très grande sagesse.

M. Patrick Mennucci et M. Jean-Frédéric Poisson. Nous savions que M. Tourret était radical ! (Sourires.)

M. Jacques Bompard. Face à la mutation du terrorisme islamiste à laquelle doit répondre notre pays, le temps des discours déconnectés du réel me semble dépassé. À force de ne pas vouloir se confronter à la réalité, le Gouvernement se montre inefficace en laissant la situation se cancériser, ce qui met d’ores et déjà gravement en danger la sécurité de nos concitoyens, qu’ils se trouvent sur le territoire national ou à l’étranger – l’assassinat sauvage d’Hervé Gourdel ne sait que trop bien nous le rappeler.

Mais il est déjà trop tard pour prendre des mesures de prévention du radicalisme islamique en France lorsque l’on sait que les Français sont devenus le premier contingent de djihadistes avec 900 candidats sur près de 3 000 Européens concernés – encore ces chiffres sont-ils certainement dépassés aujourd’hui. Dans de telles conditions, le problème de la sécurité en France doit devenir prioritaire. La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est insuffisante, notamment en ce qu’elle ne traite pas la question du retour en France des individus partis faire le djihad, se bornant à mettre en place un dispositif visant à les empêcher de partir.

C’est pourquoi je soutiens cette initiative qui vise à créer une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Les menaces portant sur la sécurité des Français doivent nous amener à étudier les éventuelles lacunes de nos systèmes de contrôle anti-djihadistes, qu’il s’agisse des services de gendarmerie, de la police des frontières, des agents de nos ambassades ou des postes à l’étranger. Nous savons parfaitement que nos frontières sont des passoires et qu’en la matière, l’inefficacité est la règle.

S’il est certain que tous les musulmans ne sont pas islamistes, encore faudrait-il que le Gouvernement comprenne que l’islam radical mène systématiquement au terrorisme. Lorsqu’il acceptera enfin la réalité qui veut que les terroristes islamistes commettent leurs attentats au nom d’un islam radical, il sera en mesure de tenter de mettre en place tous les moyens nécessaires pour prévenir, détecter et surveiller les radicaux susceptibles de se livrer à des entreprises terroristes sur notre sol.

Combien de Mohammed Merah et de Medhi Nemmouche faudra-t-il avant que le Gouvernement ne se décide à protéger les Français et qu’il prenne les mesures nécessaires et efficaces pour lutter contre le terrorisme dans notre pays ? Un numéro vert anti-djihad et une interdiction administrative de sortie du territoire sont des moyens bien illusoires face à la menace des jeunes fous solitaires. On sait, à partir de l’expérience des djihads passés, qu’une partie de ces combattants ultra-radicalisés et formés au maniement des armes et des explosifs tenteront de se livrer à leur retour à des actes terroristes en France.

Par ailleurs, la difficulté n’est pas tant d’empêcher ceux qui veulent faire le djihad de quitter la France, mais bien de faire cesser le développement d’une haine contre notre pays, ses habitants, leurs traditions, leurs coutumes et leur religion. La question du terrorisme islamiste en France révèle avant tout la nécessité de défendre l’identité propre de la France et l’amour que l’on doit bien normalement et naturellement avoir pour son pays et ses traditions.

M. Patrick Mennucci. Certains propos pourraient nous inciter à considérer que la commission d’enquête dont nous débattons ne doit pas être créée. Si M. Jacques Bompard avait voulu l’enterrer, il ne s’y serait pas pris autrement. Mais nous ne tomberons pas dans le panneau…

En effet, le groupe socialiste approuve la proposition de création de la commission d’enquête souhaitée par des députés du groupe UMP. Le rapporteur a parfaitement traité l’aspect juridique du problème ; je n’y reviendrai pas. Il reste qu’une question de fond est posée par la proposition de résolution : comment la République fait-elle pour répondre aux jeunes qui partent faire le djihad ? Et surtout, comment faisons-nous quand ils reviennent ? Comment les « déprogrammer » et contrer la folie contractée sur le terrain où ils sont allés combattre, en Syrie ou en Irak ? Doit-on les envoyer en prison, dans des centres fermés, dans des unités de « déradicalisation » sur le modèle danois, ou dans des camps inspirés de Guantánamo ? Qui doit intervenir auprès d’eux ? Autant de questions sur lesquelles, nous semble-t-il, la future commission devra centrer son travail.

Nous pouvons toujours discuter de savoir si le renseignement français fait bien son travail, mais ce qui nous intéresse, c’est surtout de mettre fin au problème. Or les missions d’information achevées ou en cours n’abordent pas la question : comment faire changer d’avis ceux qui sont candidats au départ ? Tout est encore à défricher ; nous découvrons la violence d’une nouvelle forme de délinquance. Et il me semble qu’il revient bien à l’Assemblée nationale de débattre du sujet et de créer les conditions permettant de trouver une solution.

J’ajoute qu’il serait politiquement absurde de refuser la proposition de résolution présentée par l’UMP. Ce choix serait immédiatement utilisé contre nous, alors même que nous voulons agir et avancer, comme nous l’avons dit ce matin en examinant la proposition de loi présentée par M. Philippe Meunier, visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police.

Il n’y a pas de difficulté juridique. Il y a une volonté politique de notre groupe d’avancer, et de tendre la main à ceux qui sont dans le même état d’esprit. Sur les questions de renseignements, j’ai expliqué notre position. Dans ces conditions, le groupe SRC votera en faveur de la création de la commission d’enquête.

M. Jean-Frédéric Poisson. Après avoir assisté à la brillante qualification de notre collègue Patrick Mennucci aux épreuves olympiques d’aviron… (Sourires.)

M. Patrick Mennucci. À Marseille, nous utilisons plutôt les rames !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas incompatible : vous venez de nous en faire l’éclatante démonstration ! C’était tout à fait plaisant !

Notre groupe apporte son soutien massif et déterminé à la création de cette commission d’enquête. Il est important d’examiner de près des systèmes que nous avons en partie mis en place, afin de savoir s’ils fonctionnent ou pas.

La lecture de l’exposé des motifs de la proposition de résolution m’inspire deux remarques. Il relève l’importance de la présence, dans les pays étrangers, de nos agents qui sont en mesure de faire remonter des informations jusqu’en France. Il fait par ailleurs mention de la Turquie, qui mérite d’être citée en raison de ses positions parfois ambiguës. Une commission d’enquête peut être l’occasion de clarifier un peu tout cela ; ce serait fort utile.

M. Éric Ciotti. Permettez-moi de dire quelques mots des motivations qui m’ont conduit à proposer la création de cette commission d’enquête. La menace terroriste a atteint un degré maximal en France. Elle est forte non seulement pour les habitants du territoire national mais aussi pour les Français installés dans des pays ou des zones directement exposés au terrorisme – nous en avons malheureusement fait l’expérience avec l’assassinat dans des conditions horribles de notre compatriote Hervé Gourdel.

Une mobilisation générale et une union nationale s’imposent : la création de cette commission d’enquête s’inscrit dans cette démarche de responsabilité et d’unité nationale. Si cette commission d’enquête est créée, j’entends que nous apportions des réponses concrètes aux Français. Dans un moment de crise, d’inquiétude et de menaces, c’est la mission et l’honneur du Parlement de contribuer à fournir des solutions aux côtés de l’exécutif. Je n’ignore pas que la responsabilité régalienne de la sécurité lui revient, et qu’il s’agit probablement de sa première mission mais, en tant que parlementaires, il est de notre devoir de participer à cette tâche.

Je souhaite tout d’abord que nous recensions de la façon la plus exhaustive possible les difficultés que rencontre notre système de lutte contre le terrorisme, et que nous fassions également le bilan de ses points forts. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai voté les deux projets de loi portés par les gouvernements et la majorité en place au nom de ce qui constitue pour moi un impératif d’unité nationale. Cet état des lieux ne sera pas fait dans un esprit critique mais plutôt de façon très responsable pour évaluer les failles éventuelles. La commission d’enquête visera ensuite à trouver les moyens de réagir face au retour des djihadistes sur le territoire de la République, qui constitue aujourd’hui un enjeu majeur, comme l’a rappelé M. Patrick Mennucci.

Le rapporteur a rappelé que la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête répondait aux critères de recevabilité juridique. Je suis certain qu’elle sera d’autant plus utile qu’elle s’inscrira dans un état d’esprit de grande responsabilité et d’unité nationale face à la menace terroriste.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chacun aura noté que la majorité, une fois de plus, ne s’oppose pas au souhait des groupes d’opposition de créer des commissions d’enquête. Elle anticipe ainsi la modification du Règlement que vous avez bien voulu adopter la semaine dernière selon laquelle la création d’une commission d’enquête au titre du « droit de tirage » serait désormais totalement de droit.

Je me permets d’appeler votre attention sur un point soulevé par l’exposé des motifs de la proposition de résolution, car je crains que certains raccourcis ne soient préjudiciables à l’intérêt des services. Ce qui s’est produit lors du retour de Turquie de trois présumés djihadistes français ne constitue en aucun cas un exemple des lacunes des moyens d’action du renseignement français ou de la police nationale – à vrai dire, cette affaire est exclusivement liée aux difficultés des relations avec les services turcs. La délégation parlementaire au renseignement dont je suis actuellement le président a travaillé sur le sujet : elle a validé la totalité des procédures mises en œuvre dans cette affaire et n’a, à aucun moment, constaté la moindre faute imputable à nos services.

La Commission passe à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Article unique

La Commission adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

*

* *

Puis la Commission en vient à la suite de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile (n° 2182) (Mme Sandrine Mazetier, rapporteure).

Article 15 (art. L. 744-1 à L. 744-10 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditions d’accueil des demandeurs d’asile

La Commission est saisie de l’amendement CL144 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il vise à préciser que les conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile lui sont proposées « dès » l’enregistrement de sa demande.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je suggère le retrait de l’amendement au profit de l’amendement CL422 du Gouvernement que nous examinerons dans un instant. Les conditions de l’enregistrement de la demande sont par ailleurs déjà sécurisées : nous avons adopté hier mon amendement CL371 à l’article 12, qui précise, conformément à la directive européenne « procédure », du 26 juin 2013, que « l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande à l’autorité administrative compétente […] ».

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL173 de Mme Jeanine Dubié.

M. Alain Tourret. Il est défendu.

Mme la rapporteure. Je demande son retrait pour des raisons semblables à celles que je viens d’exposer.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL422 du Gouvernement.

Mme la rapporteure. Je suis très favorable à cet amendement qui donne la possibilité à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de déléguer à des personnes morales, comme les associations, la délivrance de certaines des prestations d’accueil, d’information et d’accompagnement des demandeurs d’asile, pendant la période d’instruction de leur demande.

Certains ont proposé de réintroduire dans le projet de loi les plates-formes d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) ce qui, à mon sens, n’est pas souhaitable. Cet amendement du Gouvernement répond aux légitimes interrogations des élus et des associations.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL247 de Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Le groupe SRC considère que cet amendement est central dans son approche de la réforme. L’hébergement directif ne doit pas être vécu seulement comme une contrainte mais aussi comme une protection en ce qu’il permet de rompre les filières et de garantir l’accès aux droits.

Mme la rapporteure. Je suggère le retrait de cet amendement qui vise, d’une part, à faire du schéma national d’hébergement le schéma national d’accueil afin qu’il fixe également les conditions d’accès au dispositif de premier accueil sur le territoire national, et, d’autre part, à prévoir que ce schéma fait l’objet d’un avis du ministre des Affaires sociales.

Je partage le souhait des auteurs de l’amendement sur ce dernier point ; en revanche, si je suis favorable à ce que le texte mentionne le premier accueil des demandeurs d’asile, je m’oppose à ce qu’il soit inclus dans le schéma national. Cela figerait les choses alors que le Gouvernement va s’efforcer de mettre en place des guichets uniques sur l’ensemble du territoire au cours des mois qui suivront la promulgation de la loi issue de nos travaux. L’amendement CL422 que nous venons d’adopter permet à l’OFII de déléguer à des personnes morales la possibilité d’assurer certaines prestations d’accueil, ce qui me paraît plus souple et donc préférable. Votre amendement est donc en partie satisfait.

Mme Pascale Crozon. Je retire l’amendement, mais il sera déposé sous une autre forme en séance publique.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL145 et CL146, tous deux de M. Sergio Coronado, et CL384 de la rapporteure.

M. Sergio Coronado. Mes amendements visent à ce que le ministre chargé du logement et celui chargé des affaires sociales soient associés à l’élaboration du schéma national d’hébergement.

Mme la rapporteure. Je retire mon amendement CL384 car il est satisfait, par l’amendement CL146, qui permet de soumettre le schéma national à l’avis simple du ministère des Affaires sociales, et plus précisément de consulter la direction générale de la cohésion sociale.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, il me semble qu’il n’appartient pas au législateur de préciser quel ministre doit être consulté par tel autre. Le Gouvernement est un ; nous n’avons pas à nous immiscer dans le fonctionnement interne de l’administration et à surcharger la loi de précisions inutiles.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cet argument peut s’entendre.

Mme la rapporteure. Monsieur le député, c’est le Gouvernement qui invite le Parlement à s’immiscer, puisque le projet de loi précise que le schéma national d’hébergement est « arrêté par le ministre chargé de l’asile après avis du ministère chargé du logement ».

Par ailleurs, au vu des désagréments qu’il a pu rencontrer par le passé, il me semble utile que le législateur prenne parfois certaines précautions. Le schéma national constituant l’un des piliers du projet de loi, j’estime que la curiosité des parlementaires est très bien placée !

Les amendements CL384 et CL 145 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement CL146.

Elle en vient à l’amendement CL385 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Je propose que le schéma national d’hébergement des demandeurs d’asile soit transmis pour information au Parlement.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL248 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Les lieux d’hébergements des demandeurs d’asile sont aujourd’hui concentrés dans certaines régions, voire dans leurs villes centres. Le schéma national de l’hébergement élaboré par le ministère de l’Intérieur sera décliné en schémas régionaux par les préfets. Nous souhaitons que le schéma régional soit arrêté après avis de la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) concernée afin qu’il profite de l’expertise des élus locaux et des collectivités territoriales. Cela devrait permettre de mieux répartir les hébergements au sein d’une même région.

Mme la rapporteure. Je suis très favorable à cet excellent amendement.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL296 de M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Les gestionnaires des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile (CADA), mais aussi les usagers – j’ai appris à l’occasion des auditions qu’ils étaient organisés en groupements –, devront être consultés lors de l’établissement du schéma régional.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. La formulation de l’amendement qui désigne les « unions, fédérations et regroupements représentatifs des usagers et des gestionnaires de ces établissements et services » est trop vague pour être inscrite dans la loi, même en renvoyant le soin au pouvoir réglementaire de préciser qui devrait être consulté.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL65 de Mme Audrey Linkenheld.

M. Denys Robiliard. Il s’agit cette fois de consulter les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’habitat pour les territoires qui les concernent.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement est satisfait par l’amendement CL248 que nous venons d’adopter.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL249 et CL263, tous deux de M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Nous proposons que les décisions d’admission dans un lieu d’hébergement pour demandeurs d’asile, de sortie et de changement de lieu soient prises « après consultation du directeur » du lieu.

Mme la rapporteure. Je préfère la consultation à l’avis, et je suis en conséquence favorable à l’amendement CL249.

L’amendement CL263 est retiré.

Puis la Commission adopte l’amendement CL249.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL386 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Comme le souhaitent tous les groupes de la majorité, il faut que les décisions d’admission, de sortie et de changement de lieu soient prises par l’OFII sur la base du schéma régional « et en tenant compte de la situation du demandeur » dont il convient de prendre en considération la situation personnelle, familiale, sanitaire, etc.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL69 de Mme Audrey Linkenheld.

M. Denys Robiliard. Même si les CADA ne permettent de loger aujourd’hui qu’un tiers des demandeurs d’asile – nous avons conscience que la situation ne changera pas du jour au lendemain –, cet amendement a pour objectif d’affirmer que l’orientation vers ces centres constitue une priorité.

Dans les structures relevant du dispositif d’hébergement d’urgence, qui accueillent un autre tiers des demandeurs d’asile, ces derniers doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement qui pose deux problèmes. Tout d’abord, l’hébergement des demandeurs d’asile, même l’hébergement d’urgence, doit toujours avoir lieu dans des lieux dédiés, et non dans l’hébergement d’urgence de droit commun. Ensuite, certains demandeurs d’asile, par exemple les « dublinés », c’est-à-dire ceux dont la demande d’asile relève de la responsabilité d’un autre État de l’Union européenne, n’ont pas vocation à être hébergés en CADA.

Pour ce qui concerne l’accompagnement des personnes accueillies par le dispositif d’urgence pour demandeurs d’asile, nous examinerons dans quelques instants un amendement du Gouvernement qui vous donnera satisfaction.

M. Denys Robiliard. Je retire l’amendement même si je considère, contrairement à la rapporteure, que tous les demandeurs d’asile ont vocation à être hébergés en CADA, y compris les « dublinés ».

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL423 du Gouvernement, qui fait l’objet d’un sous-amendement CL425 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’amendement du Gouvernement introduit un nouvel alinéa après l’alinéa 12, précisant que : « Les demandeurs d’asile accueillis dans les lieux d’hébergement mentionnés aux deux alinéas précédents peuvent bénéficier d’un accompagnement juridique et social. » Il nous appartient de préciser que les demandeurs d’asile « bénéficient » de cet accompagnement : c’est l’objet de mon sous-amendement.

Mme Pascale Crozon. Le groupe socialiste votera avec une grande satisfaction le sous-amendement et l’amendement.

La Commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement sous-amendé.

Elle en vient ensuite aux amendements identiques CL147 de M. Sergio Coronado, et CL251 de M. Denys Robiliard.

M. Sergio Coronado. Il n’est pas normal que l’OFII « s’assure de la présence dans les centres des personnes qui y ont été orientées pour la durée de la procédure ». Nous souhaitons la suppression de cette mission qui ne correspond pas aux compétences de l’Office.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de ces amendements car la suppression qu’ils proposent porterait, in fine, préjudice aux demandeurs d’asile. En effet, si l’OFII s’assure que les places sont bien occupées, c’est uniquement pour que les demandeurs en attente puissent avoir accès aux places inoccupées. Une place attribuée doit être une place effectivement occupée : aucune place en CADA ne doit rester vide. La régionalisation de l’asile voulue par la précédente majorité est à l’origine d’une véritable opacité qui empêche de mettre en commun les places libérées.

M. Denys Robiliard. La rédaction de la dernière phrase de l’alinéa 13 nous fait plutôt penser à la mise en place d’un dispositif de surveillance et de contrôle qu’à un système de gestion des places. D’autres amendements, que nous devons encore examiner, visent à permettre que les CADA informent l’OFII des libérations de places afin que ces dernières soient réaffectées. De tels dispositifs me paraissent plus fonctionnels, d’autant que l’OFII dont les missions vont être de plus en plus lourdes n’aura pas immédiatement les moyens d’organiser un contrôle de la présence dans les lieux d’hébergements. En conséquence, je ne retirerai pas mon amendement.

Mme la rapporteure. Monsieur Robiliard, l’exposé sommaire de votre amendement montre que vous souhaitez supprimer la dernière phrase de l’alinéa 13 pour mettre fin à l’obligation faite aux demandeurs d’asile d’obtenir une autorisation administrative d’absence s’ils veulent sortir de leur lieu d’hébergement. Malheureusement, l’adoption de votre amendement reviendrait aussi à supprimer l’autorité de l’OFII sur les CADA, ce qui ne peut être envisagé. Je vous invite en conséquence à nouveau à retirer votre amendement sachant que, sur le fond, vous obtiendrez satisfaction grâce à un amendement que nous examinerons ultérieurement.

M. Denys Robiliard. Je vais le retirer afin d’en proposer une nouvelle rédaction.

Les amendements sont retirés.

La Commission est saisie de l’amendement CL250 de Mme Maud Olivier.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Une étude publiée en 2008, intitulée Violence à l’égard des femmes migrantes et réfugiées dans la région euro-méditerranéenne, fait état d’une forte fréquence des cas de violences envers les femmes hébergées en centres d’accueil en France.

Cet amendement vise à répondre à cette situation en chargeant l’OFII, responsable du dispositif d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile, de prendre les mesures appropriées pour prévenir la violence et les actes d’agression.

Mme la rapporteure. Je souhaite le retrait de l’amendement. Juridiquement, les dispositions proposées sont du domaine réglementaire ; en pratique, elles relèvent de l’action menée sur le terrain par les gestionnaires de ces lieux d’hébergement, et non par l’OFII.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL252 de Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. L’obligation pour les responsables de l’accueil des demandeurs d’asile de prévenir l’autorité compétente « en cas d’absence injustifiée » des personnes orientées se suffit à elle-même. Il nous semble inutile de préciser que cette absence doit aussi être « prolongée ».

Mme la rapporteure. Si cet amendement n’était pas retiré, j’y serais défavorable. Vous demandez que l’autorité administrative compétente soit systématiquement alertée de toute absence injustifiée quelle qu’en soit la durée alors que le projet de loi ne rend ce signalement obligatoire qu’en cas d’absence prolongée. Pourtant, toutes les absences injustifiées de courte durée – vingt-quatre ou quarante-huit heures – ne méritent pas d’être signalées.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je ne suis pas certaine qu’il faille renforcer le dispositif.

Mme la rapporteure. C’est au contraire votre amendement qui le rend plus strict !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mme Chapdelaine estime que l’obligation d’un signalement en cas d’absence injustifiée se suffit à elle-même…

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, votre désaccord manifeste sur le sens de l’amendement montre que quelque chose n’est probablement pas clair. Peut-être pourrez-vous réfléchir d’ici à la séance publique…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL25 de Mme Chaynesse Khirouni.

M. Denys Robiliard. L’alinéa 20 propose d’appliquer une procédure exorbitante du droit commun des expulsions en autorisant le préfet, selon une procédure en référé porté devant le tribunal administratif, à procéder à la remise à la rue immédiate des demandeurs d’asile qui se maintiennent dans les lieux d’hébergement après la décision définitive de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Aujourd’hui deux conceptions s’affrontent quant aux juridictions compétentes : pour certains, il ne peut s’agir que du juge administratif parce que l’hébergement des demandeurs d’asile s’apparente à un service public ; pour d’autres, l’existence d’un rapport de droit privé entre les occupants et les associations relevant de la loi de 1901, gestionnaires des CADA, implique l’intervention du juge civil. À ma connaissance, les deux pratiques existent selon les départements. Pour des raisons de proximité, et parce que les associations gestionnaires sont de droit privé, j’estime que ce contentieux doit revenir au tribunal d’instance compétent. C’est le sens de l’amendement.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Le fait que les deux solutions coexistent aujourd’hui crée une certaine confusion et contribue à allonger les délais de façon injustifiée. La procédure d’expulsion locative que vous préconisez permet à une personne qui n’a plus sa place en CADA de s’y maintenir pendant deux ans au détriment d’un demandeur d’asile qui ne sera ni accompagné ni mis à l’abri.

Je partage l’option forte choisie par le Gouvernement qui fait du tribunal administratif la seule juridiction compétente en référé pour les procédures d’expulsion des CADA, consacrant ainsi la jurisprudence de plusieurs tribunaux administratifs.

Ce choix se fonde sur des arguments juridiques solides : le CADA agit pour le compte de l’État dans le cadre d’une mission de service public ; le contrat de séjour conclu entre le gestionnaire et l’occupant est un contrat exorbitant du droit commun reprenant les stipulations de la convention de droit public signée entre l’État et le gestionnaire du centre, qui ne saurait être assimilé à un bail de location privée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL148 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il semble absurde de supprimer une condition d’urgence pour une procédure de référé.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL387 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il vise à supprimer un mécanisme d’astreinte inefficace et inutile.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL184 de M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Je suis favorable à une concentration des acteurs – à mon sens, il ne devrait d’ailleurs y avoir qu’un juge de l’asile : la CNDA. Cet amendement vise à ce que l’OFPRA soit seul en charge d’évaluer la vulnérabilité et les besoins des demandeurs car il dispose, plus que l’OFII, de l’expertise nécessaire.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL254 de M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. L’OFII doit informer le demandeur de la possibilité de réaliser un bilan de santé et social.

Mme la rapporteure. Monsieur Robiliard, je vous suggère un retrait au profit de mon amendement CL390 qui modifiera l’alinéa 24 et devrait vous donner satisfaction. Nous devrions l’examiner dans quelques instants.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements de précision CL388 et CL389, tous deux de la rapporteure.

Puis, elle examine l’amendement CL255 de Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Il vise à transposer la liste des situations de vulnérabilité que l’OFII est tenu d’identifier dans le cadre de l’évaluation des besoins.

Son inscription dans le texte de la loi est de nature à mieux informer ces personnes sur leur droit à ce que soit prise en compte leur situation pour l’évaluation de leurs besoins, et permet d’indiquer à l’OFII quelles sont les situations qu’il est tenu de communiquer à l’OFPRA lorsqu’il les détecte.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL390 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit de l’amendement relatif à l’examen de santé gratuit pour les demandeurs d’asile au profit duquel M. Robiliard a bien voulu retirer son amendement CL254 il y a un instant.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite un amendement de précision CL391 de la rapporteure.

Puis elle est saisie d’un amendement CL392 du même auteur.

Mme la rapporteure. L’examen de la vulnérabilité par l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne préjuge pas de l’appréciation par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides de la vulnérabilité du demandeur ou du bien-fondé de sa demande. Cette précision me paraît très importante afin d’éviter un certain nombre de confusions.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL177 de Mme Jeanine Dubié.

M. Alain Tourret. Il convient de protéger la confidentialité des informations recueillies au cours de l’entretien avec le demandeur d’asile pour établir les situations particulières de vulnérabilité.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise, en fait, à exclure du traitement automatisé les informations protégées par la confidentialité de la procédure d’examen de la demande d’asile. Il est satisfait car le traitement automatisé ne comportera que des informations relatives à la vulnérabilité recueillies par l’OFII, et non des informations relatives à la procédure d’examen de la demande d’asile, qui ne relève que de l’OFPRA.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL256 de Mme Maud Olivier.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il s’agit de rappeler, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), que les enfants de demandeurs d’asile et les demandeurs mineurs bénéficient du droit commun en matière d’éducation. Il a été constaté dans plusieurs villes que les communes tardaient à inscrire les enfants, voire refusaient l’inscription pour ceux de moins de six ans. Le groupe SRC tient beaucoup à cet amendement.

Mme la rapporteure. Si votre préoccupation est parfaitement légitime, l’adoption de cet amendement risquerait d’avoir des conséquences très fâcheuses. En effet, l’obligation de scolarisation de tous les enfants a, dans notre droit, une portée universelle qu’une lecture a contrario de l’amendement pourrait restreindre laissant supposer que les enfants de certaines catégories d’étrangers disposeraient de moins de droits que ceux des demandeurs d’asile. Je ne peux en conséquence que vous suggérer de le retirer.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient enfin à l’amendement CL149 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Autant l’idée du schéma national d’hébergement m’a convaincu, autant il me semble difficile de faire de l’acceptation d’un hébergement donné, la condition préalable à tout accès aux droits pour le demandeur d’asile. L’hébergement directif a suscité des réactions chez de nombreux acteurs qui les accompagnent dans leurs démarches. Cet amendement supprime en conséquence la section de l’article 15 consacrée à l’orientation des demandeurs.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La suite de la discussion aura lieu lors de notre prochaine réunion cet après-midi.

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La séance est levée à 13 heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean Leonetti, M. Bernard Lesterlin, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Philippe Meunier, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Jean-Luc Warsmann, M. Éric Woerth, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Michel Clément, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Laurence Dumont, M. Edouard Philippe, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Bernard Accoyer, Mme Sabine Buis, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Laure de La Raudière, M. Bertrand Pancher, M. Christophe Premat, M. Denys Robiliard, M. Martial Saddier, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. François Vannson, M. Michel Zumkeller