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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 15 juin 2016

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 97

– Audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

– Information relative à la Commission.

Présidence de M. Dominique Raimbourg,

Président, puis de Mme Cécile Untermaier, Vice-présidente

La réunion commence à 11 heures 05.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

M. le président Dominique Raimbourg. Nous avons le plaisir de recevoir Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Je vous remercie, madame la Contrôleure générale, d’avoir accepté de venir nous présenter les résultats de vos travaux, notamment votre rapport d’activité 2015.

Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Je vous remercie d’avoir bien voulu procéder à mon audition. En vertu de la loi, le Contrôleur général remet son rapport d’activité annuel au Président de la République, au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat. Néanmoins, il me semble important que ce rapport fasse l’objet d’une présentation spécifique et donne lieu à un débat devant la commission des Lois de chaque assemblée.

Je commencerai mon exposé de la même manière que mon rapport d’activité annuel, par un préambule qui ne vous étonnera pas : certes, 2015 a été une année extrêmement lourde, difficile et grave pour l’ensemble de nos concitoyens – tel est également le cas de ce premier semestre de 2016 –, mais elle a aussi été une année extrêmement sombre pour les droits fondamentaux et les libertés individuelles. Quelle que soit la gravité de la situation à laquelle est confronté notre pays, il est des valeurs fondamentales sur lesquelles nous ne devons pas transiger. Tel sera le sens de mon intervention.

Comme chaque année, nous avons visité 150 établissements. Les contrôleurs sont en mission quinze jours par mois, tout au long de l’année, en immersion totale dans les établissements. J’ai choisi de vous résumer à gros traits les constats que nous avons faits au cours de l’année 2015 dans les principales catégories d’établissements que nous contrôlons.

En ce qui concerne les prisons, auxquelles se rapporte une grande partie de notre activité, le phénomène le plus important est la surpopulation carcérale. C’est même, selon moi, le fléau de la justice dans son ensemble.

Après avoir très légèrement baissé en 2014, la population carcérale a augmenté à nouveau d’environ 2 % en 2015. Au 1er avril 2016, 68 361 personnes étaient écrouées dans les prisons françaises, pour 58 787 places. Le nombre de détenus dépasse donc le nombre de places d’environ 10 000. Et, dans notre pays dit « des droits de l’homme », 1 900 détenus dorment par terre sur des matelas, ajoutés dans des cellules déjà suroccupées.

Le taux d’occupation des prisons françaises est, en moyenne, de 137 %. Au centre pénitentiaire de Fresnes, il atteint 198 %, avec 1 200 détenus installés comme troisième occupant dans des cellules prévues pour deux.

J’ajoute que les conditions de travail des personnels deviennent de plus en plus difficiles, voire anormales, ce qui a des conséquences sur les droits fondamentaux des détenus.

La France est pointée du doigt par le Conseil de l’Europe comme un des pays les plus problématiques en matière de surpopulation carcérale. Je le dis devant les élus de la Nation : les pouvoirs publics ont, semble-t-il, pris conscience de la gravité de la situation, mais ils ne se sont pas donné, à ce jour, les moyens suffisants pour y remédier.

La loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, dite « loi Taubira », que vous avez votée le 15 août 2014, a instauré un certain nombre de mesures alternatives à l’incarcération très intéressantes, mais elle produit, malheureusement, très peu d’effets. Il s’agit désormais d’en comprendre précisément les raisons. Le Gouvernement doit remettre un rapport d’évaluation de la loi dans les deux ans suivant sa promulgation, c’est-à-dire bientôt. Je vous suggère de l’examiner en détail.

Selon moi, d’autres solutions sont nécessaires. À ce stade, en tant que Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ainsi que je l’ai déjà dit dans cette enceinte, j’estime qu’il faut envisager une forme de régulation carcérale.

Non seulement la surpopulation carcérale rend les conditions de séjour et de prise en charge indignes dans les cellules, mais elle a aussi des conséquences en cascade dont il faut être pleinement conscient : compte tenu de cette surpopulation, les droits fondamentaux reconnus aux détenus ne sont pas respectés, qu’il s’agisse du droit à la santé – le nombre de médecins étant insuffisant par rapport au nombre de détenus –, du droit au maintien des liens familiaux – le nombre de parloirs étant trop faible – ou du droit au travail et à la formation professionnelle.

Par ailleurs, la situation des prisons reste très inquiétante en matière de sécurité, de salubrité et d’hygiène.

Enfin, la question des fouilles mérite, selon moi, une discussion spécifique. L’amendement que le Parlement a voté en la matière ne respecte pas les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Pour terminer, je signale que le nombre de suicides en prison a encore augmenté en 2015 et qu’il n’a jamais été aussi important. Selon l’Institut national d’études démographiques (INED), on se suicide sept fois plus en prison qu’au dehors.

Les centres de rétention administrative (CRA), quant à eux, sont encore dans un état indigne. Surtout, j’appelle l’attention du législateur sur le fait que, en 2015, des mesures de placement en centre de rétention ont été utilisées à des fins qui ne sont pas conformes à la loi : des personnes ont été transférées dans sept centres de rétention aux fins de gérer la situation de crise, certes très problématique, prévalant à Calais, et non à des fins d’expulsion, ainsi que le prévoit la loi. La plupart de ces personnes n’étaient pas expulsables, dans la mesure où elles venaient de pays tels que le Soudan, l’Érythrée et la Somalie. J’ai rendu un avis sur cette question.

Autre point problématique : alors que l’assignation à résidence doit être, aux termes de la loi, une mesure de substitution au placement en centre de rétention, nous nous apercevons que, trop souvent, dans la pratique, elle s’y ajoute, étant utilisée pour faciliter ce placement le lendemain ou dans les jours qui suivent.

Depuis sa création en 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonce – mon prédécesseur l’a fait et je le fais depuis deux ans – des atteintes extrêmement fortes au droit à la dignité humaine dans les locaux de garde à vue, qui sont environ 4 000. La situation ne s’améliore pas. Il s’agit non seulement de graves problèmes d’hygiène – couvertures sales, matelas défectueux, peintures non refaites –, ainsi que vous devez le constater vous-mêmes dans vos circonscriptions respectives, mais aussi d’atteintes importantes à la dignité. Comme vous le savez, il est possible de retirer les objets et accessoires – ceinture, lunettes, soutien-gorge, etc. – aux personnes gardées à vue, lorsqu’il y a des indices qui laissent supposer qu’il peut se passer quelque chose. Or, au nom d’un principe de précaution maximum, cela se fait de manière systématique, ce que nous dénonçons. Cela devrait se faire au cas par cas, en fonction des situations.

J’ai fait des hôpitaux psychiatriques une des priorités de mon mandat. Nous constatons une très grande disparité entre les hôpitaux en ce qui concerne la prise en charge des malades psychiatriques et le respect de leurs droits fondamentaux, non seulement d’un hôpital à l’autre, mais aussi d’un service à l’autre, voire d’un étage à l’autre. En matière de droits fondamentaux, nous nous intéressons notamment à la mesure d’isolement, au port obligatoire du pyjama et à l’interdiction de voir la famille pendant une certaine durée. Nous ne contestons pas que ces mesures peuvent être utiles, voire indispensables, au cas par cas, mais nous dénonçons, là encore, leur caractère systématique et, dès lors, attentatoire à la dignité humaine.

D’une manière générale, nous observons un recours trop banalisé aux mesures de contrainte et d’isolement. Rappelons que nous contrôlons les placements sous contrainte dans les établissements psychiatriques, non les placements libres. Le placement sous contrainte, qu’il ait été ordonné par le préfet ou effectué à la demande d’un tiers, est une mesure extrêmement restrictive de la liberté de circulation. Elle est évidemment nécessaire dans certains cas. Mais, dans le cadre de cette restriction, il en existe une plus grave encore : le placement dans une chambre d’isolement, avec des mesures de contention – on attache le malade par les bras et également, parfois, par les pieds.

À partir de 2009, le Contrôleur général et certains parlementaires, notamment MM. Denys Robiliard et Jean-René Lecerf, ont dénoncé ces pratiques. Nous avons été entendus, puisque vous avez voté des dispositions à ce sujet dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Jusqu’à la promulgation de ce texte, ces mesures n’étaient encadrées ni par la loi ni par le règlement, et étaient appliquées sans formalité, presque de manière banale. Dans ce contexte, j’ai souhaité publier, le 25 mai dernier, un rapport thématique spécifique sur « l’isolement et la contention dans les établissements de santé mentale », dans lequel je demande que l’on assigne un certain nombre de limites à ces mesures : on ne doit les appliquer qu’en dernier recours, sur la décision d’un médecin, pour une durée extrêmement limitée.

Outre les quelque 150 rapports de visite annuels qu’il produit avec son équipe, le Contrôleur général peut émettre des recommandations en urgence et des avis de portée plus générale, qui sont publiés au Journal officiel.

En 2015, j’ai formulé à deux reprises des recommandations en urgence.

Les premières, datées du 13 avril 2015, concernaient la maison d’arrêt de Strasbourg. Lors d’une visite, nous y avions repéré des atteintes gravissimes aux droits fondamentaux, en sus de problèmes d’hygiène, de l’utilisation de la vidéosurveillance dans des lieux médicaux et d’une protection insuffisante des détenus. Concernant ce dernier point, un détenu avait prévenu le médecin et les autorités de l’établissement qu’il était menacé et avait demandé qu’on le change de cellule ; mais ce changement n’a pas été fait de manière suffisamment rapide, et il a été violé dans sa cellule la nuit suivante.

Les secondes recommandations en urgence que j’ai émises, le 13 novembre 2015, portaient sur les déplacements collectifs de personnes étrangères interpellées à Calais. Nous y avons dénoncé un traitement de masse des déplacements qui ne respectait pas la procédure de rétention, dans la mesure où il était justifié non pas par l’objectif d’éloignement, mais seulement par la volonté de désengorger la ville de Calais.

Nous avons publié trois avis en 2015.

Dans l’avis du 11 juin 2015 relatif à la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, j’ai pris position contre le regroupement des détenus dans des unités dédiées où devaient être mis en œuvre des programmes dits « de déradicalisation », désormais appelés « programmes de désengagement ». De premières unités dédiées ont été mises en place dans cinq établissements au cours du premier semestre de 2016. Nous les avons toutes visitées et avons rencontré tous les détenus concernés. Nous avons déjà remis notre rapport au ministre compétent et rendrons un avis public à ce sujet au début du mois de juillet.

Dans l’avis du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé, nous dénonçons le fait que, systématiquement, lors des extractions médicales vers les hôpitaux de proximité, les détenus sont examinés, voire subissent des opérations chirurgicales, en présence de surveillants, lorsqu’ils ne sont pas en outre menottés ou entravés. On ne tient pas compte du niveau de sécurité : même les détenus qui ne sont pas dangereux, auxquels on doit en principe appliquer le niveau 1, sont examinés en présence de surveillants, ce que nous considérons comme inacceptable. Dans notre pays, il arrive encore que des femmes accouchent en prison en présence d’une surveillante, parfois même en étant menottées, malgré l’interdiction formelle de telles pratiques par la loi de 2009, rappelée par une note de l’administration pénitentiaire.

Dans l’avis du 5 octobre 2015 relatif à la rétention de sûreté, j’ai demandé l’abrogation totale de cette mesure, car elle est contraire aux principes généraux du droit pénal français, dans la mesure où elle opère une séparation entre la culpabilité et la condamnation. Pour la première fois dans notre pays, il est permis, depuis la loi qui a instauré la rétention de sûreté, de retenir une personne condamnée qui a purgé sa peine.

Tels sont les points les plus saillants de mon rapport d’activité 2015.

M. le président Dominique Raimbourg. Nous vous remercions pour cet exposé. Je vais maintenant donner la parole à ceux qui souhaitent vous interroger.

Mme Cécile Untermaier.  Contrairement à ce qui a pu être dit depuis plusieurs années, nous constatons que la population carcérale augmente et qu’il n’y a pas de refus d’incarcération lorsque celle-ci s’impose. Mais nous souhaitons que l’incarcération permette une sortie limitant le risque de récidive.

Pour réduire la surpopulation carcérale, vous avez évoqué les mesures alternatives à l’incarcération, dont fait partie la contrainte pénale. Selon vous, quelles autres mesures alternatives pourrions-nous envisager de manière urgente et sans risque ? La résorption de la surpopulation carcérale passera aussi nécessairement par la construction de nouvelles prisons. Le Gouvernement a pris des engagements en ce sens.

Quelque 30 % des personnes incarcérées présenteraient des troubles du comportement, et 12 % seraient psychotiques. Sachant que vous visitez les établissements psychiatriques, quelles sont vos propositions s’agissant des soins en prison, des soins ambulatoires et des soins à la sortie de la prison ? Un protocole d’accord entre les ministères de la santé et de la justice serait peut-être utile, de manière à garantir la continuité des soins psychiatriques. Qu’en pensez-vous ?

Mme Colette Capdevielle. Il y a un an, jour pour jour, s’est tenue à l’Assemblée nationale une « conférence humanitaire pour la paix au Pays basque », au cours de laquelle se sont exprimés des élus de tous bords, des représentants de la société dans toute sa diversité et des juristes internationaux, dont l’ancien ministre Pierre Joxe. La question des prisonniers basques y est apparue comme l’un des sujets prioritaires. L’État français a, bien évidemment, un rôle particulier à jouer en la matière.

D’après nos informations, quatre-vingt-deux prisonniers basques, dont seize femmes, sont incarcérés en France. Ils sont dispersés sur l’ensemble du territoire dans vingt-huit établissements pénitentiaires. Soixante-treize d’entre eux sont incarcérés à plus de 400 kilomètres de leur lieu d’origine, alors même que les maisons d’arrêt de Mont-de-Marsan et de Lannemezan disposent de capacités d’accueil largement suffisantes, ainsi que j’ai pu le vérifier : leur taux de remplissage est, respectivement, de 87 % et de 70 %.

L’association Etxerat, qui regroupe les familles et les proches des prisonniers, a recensé, depuis le début de l’année, cinq accidents de la route dont ont été victimes des familles rendant visite à un proche en prison. Au fil des ans, ces accidents de la route auraient causé, au total, seize morts et des dizaines de blessés.

Depuis le début de mon mandat, je me suis également saisie de la question des conditions de détention et de rétention, qui engendrent régulièrement un mécontentement, des grèves de la faim et des protestations parmi les détenus. Enfin, on recense plusieurs prisonniers malades, certains très gravement, qui ont besoin d’un suivi médical spécifique.

Que pouvez-vous dire de la situation des prisonniers basques au regard du respect de leurs droits et de leur dignité ? Pourriez-vous, dans votre prochain rapport, aborder spécifiquement la question des prisonniers basques en vue d’obtenir une étude détaillée et indépendante les concernant ? De notre point de vue, celle-ci constitue un préalable nécessaire à la mise en place d’un dialogue entre les États français et espagnol et l’organisation ETA – Euskadi ta Askatasuna.

Mme Marietta Karamanli. Dans votre rapport d’activité 2015 figure un tableau récapitulatif des recommandations que vous avez émises. Comment le suivi de ces recommandations est-il effectué dans le temps ? Quel bilan d’ensemble peut-on tirer de ce suivi et de l’application de vos recommandations ?

Dans ce même rapport, vous mettez en évidence la grande hétérogénéité des pratiques en matière de fouilles dans les établissements pénitentiaires. Dans vos recommandations, vous demandez que le ministre évalue ces pratiques et élabore des directives. Quelle est votre position sur ce qui serait le plus efficace et le plus conforme aux droits des détenus en la matière ?

Sur ce sujet ou sur d’autres, avez-vous des échanges, au niveau européen ou international, avec d’autres autorités administratives traitant des mêmes sujets que vous ? Quels enseignements en tirez-vous ?

Mme Adeline Hazan. Madame Untermaier, ainsi que je l’ai indiqué, je m’interroge sur les motifs du faible recours aux mesures alternatives à l’incarcération que vous avez votées dans le cadre de la loi du 15 août 2014, qu’il s’agisse de la contrainte pénale ou d’autres dispositions. Je sais que vous allez vous pencher sur la question.

Compte tenu de l’état du parc pénitentiaire, il est évidemment nécessaire de créer un certain nombre de places de prison, mais ce n’est pas, loin s’en faut, la seule solution. Mme Taubira avait annoncé le chiffre de 6 000 places ; M. Urvoas a annoncé celui de 12 000 places d’ici à 2025. Je ne crois pas que cette course à l’inflation carcérale soit une bonne solution. Il faut travailler d’abord sur les mesures alternatives à la prison.

D’une part, il faudrait que les pouvoirs publics et le législateur aient, un jour, le courage de mener une véritable réflexion – cela n’a jamais été fait – sur l’opportunité des courtes peines d’emprisonnement, c’est-à-dire celles de quelques mois. Outre qu’elles contribuent à la surpopulation carcérale, elles ont très peu de sens : la durée de ces peines est trop courte pour préparer un projet de sortie, mais elle est suffisamment longue pour avoir des conséquences désastreuses telles que la perte du travail ou du logement.

D’autre part, il faudrait avoir le courage de généraliser ce que j’appelle la « régulation carcérale », qui se fait déjà dans le ressort de certains tribunaux ou établissements pénitentiaires. Dès lors que le taux d’occupation devient inacceptable dans une prison – on n’accepte pas, par exemple, qu’il y ait des matelas installés par terre –, une concertation a lieu entre le directeur de l’établissement et les magistrats afin de reporter l’exécution de certaines peines, notamment les plus courtes – toutefois, le report ne doit pas être trop important car, sinon, la peine perd de son sens –, ou de faire sortir, avec un aménagement de peine, des détenus dont la peine approche de son terme. M. Raimbourg avait d’ailleurs fait, il y a quelque temps, des propositions en ce sens. Nous n’arriverons pas à réduire la surpopulation carcérale si nous n’avons pas ce courage.

En ce qui concerne les détenus présentant des troubles psychiatriques, les chiffres sont beaucoup plus importants que ceux que vous avez cités. Le problème est que l’on ne dispose pas de chiffres précis, dans la mesure où aucune étude épidémiologique n’a été conduite depuis une dizaine d’années. Mais, de façon empirique, l’ensemble des professionnels estiment qu’environ 70 % des détenus présentent des troubles psychiatriques au sens large – en intégrant les troubles anxio-dépressifs – et environ 25 % sont atteints de troubles graves tels que la psychose.

Un progrès a été réalisé avec la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), où les détenus peuvent être mieux soignés qu’ils ne l’étaient au sein de la prison. Mais il n’y a pas encore suffisamment d’UHSA.

Vous avez tout à fait raison : l’articulation entre les soins en prison et les soins au dehors n’est pas suffisante. Je souscris tout à fait à votre idée d’un protocole entre les ministères de la justice et de la santé afin d’assurer une continuité des soins. Au centre hospitalier Sainte-Anne, il existe une consultation spécifique pour les personnes sortant de prison. Il serait intéressant de dupliquer cette expérience, pour l’instant assez isolée.

Madame Capdevielle, nous sommes très souvent saisis sur la question des prisonniers basques. C’est une de nos préoccupations. Je ne me prononcerai pas sur leur revendication principale, à savoir le statut de prisonnier politique, car cela ne relève pas de ma compétence.

Actuellement, il y a en effet quatre-vingt-trois détenus basques, dont seize femmes, dans les prisons françaises. Ainsi que vous l’avez indiqué, le problème le plus important est la distance entre leur lieu de détention et leur lieu d’origine. Ceux qui sont en détention provisoire sont, pour la plupart, regroupés en région parisienne, où se trouve le pôle antiterroriste. Les autres sont répartis dans vingt-quatre établissements, les femmes étant encore plus désavantagées que les hommes, dans la mesure où il n’existe pas d’établissement pour peine accueillant des femmes dans le sud de la France. Les familles font en moyenne sept heures et demie de trajet pour rendre visite à leurs proches en prison, ce qui pose d’importants problèmes.

La doctrine du Contrôleur général en la matière est la suivante : du fait de la distance, il faut absolument assouplir les modalités des visites afin de garantir le maintien des liens familiaux, notamment en accordant des parloirs prolongés – il arrive que tel soit le cas, mais pas assez souvent – et, surtout, en donnant un accès assez large aux parloirs familiaux et aux unités de vie familiale (UVF). Il n’est pas acceptable que des familles qui font sept heures et demie de route à l’aller et autant au retour ne puissent voir leurs proches que pendant une heure.

Nous demandons également que les retards soient gérés de manière un peu plus souple. Nous avons été saisis par des familles qui avaient fait sept heures et demie de route, étaient arrivées en retard de dix minutes et n’avaient pas été acceptées au parloir. Ce n’est pas admissible.

Les autres motifs de récrimination des prisonniers basques concernent le recours à des moyens de contrainte jugés trop importants. Rappelons qu’ils font partie des détenus particulièrement signalés (DPS). À cet égard, nos recommandations sont les mêmes que pour l’ensemble des détenus très surveillés, notamment de limiter le recours aux moyens de contrainte lors des extractions médicales – ce qui n’est pas le cas actuellement, ainsi que je l’ai relevé dans mon avis du 16 juin 2015 – et de ne pas réveiller ces détenus quatre ou cinq fois par nuit. Nous avons interpellé la direction de l’administration pénitentiaire sur cette dernière pratique. Nous pensons qu’il y a d’autres moyens de surveiller les détenus.

Madame Karamanli, j’ai terminé mon rapport d’activité 2015 en indiquant qu’il était inadmissible qu’un certain nombre de recommandations n’aient pas été suivies d’effet, en particulier certaines recommandations très importantes relatives aux droits fondamentaux formulées de manière répétée depuis 2008.

Nous avons décidé de nous doter d’un véritable tableau de bord pour suivre l’application de nos recommandations. Auparavant, nous faisions seulement un bilan sur la mise en œuvre de certaines préconisations, d’un rapport annuel à l’autre. Désormais, nous disposerons d’un recueil compilant, pour chaque type d’établissement, tous les constats de dysfonctionnement, ainsi que toutes nos recommandations et propositions, quelle que soit leur importance, qu’elles aient un caractère très concret ou, au contraire, transversal et fondamental, impliquant le cas échéant une modification de la loi. Sur cette base, nous aurons des discussions avec les ministres concernés et leurs cabinets : nous leur demanderons, pour chaque mesure que nous avons recommandée, si elle a été suivie d’effet, à quelle date et, dans la négative, pourquoi elle ne l’a pas été.

Après de nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 a encadré les fouilles dans les établissements pénitentiaires en définissant un certain nombre de critères et de conditions. Dans mon rapport d’activité 2015, j’ai interpellé le Gouvernement sur le fait que ces dispositions n’étaient pas appliquées de façon suffisamment homogène : nous avons constaté qu’elles l’étaient dans certains établissements, mais que, dans beaucoup d’autres, les fouilles restaient trop systématiques. J’ai donc demandé au Gouvernement de procéder à des évaluations et de donner des instructions pour que l’article 57 de la loi de 2009 soit mieux respecté.

Je dois dire que je n’ai pas été vraiment entendue, puisque c’est le contraire qui s’est produit : en 2016, le Parlement a voté un amendement du Gouvernement à l’article 57 de la loi de 2009 disposant que, dès lors qu’il existe un risque d’introduction d’objets interdits dans l’établissement pénitentiaire, des fouilles aléatoires peuvent être pratiquées, pendant une période déterminée, indépendamment de la personnalité des détenus. À mon sens, en dépit de certaines précautions de style, ce nouvel alinéa n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, car le fait de poser le risque d’introduction d’objets illicites comme seul critère permet de rétablir des fouilles quasi systématiques. En effet, je défie quiconque de trouver un établissement pénitentiaire où ce risque n’existe pas.

J’avais d’ailleurs adressé une lettre aux présidents des commissions des Lois du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi qu’à tous les membres de la commission mixte paritaire, pour les alerter sur le recul extrêmement grave que constituait cette disposition en termes de droits fondamentaux.

Nous avons évidemment des échanges avec d’autres autorités administratives indépendantes, notamment avec le Comité européen pour la prévention de la torture, qui condamne, lui aussi, les fouilles systématiques.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente

M. Guy Geoffroy. Merci, madame la Contrôleure générale, pour votre exposé et vos premières réponses.

Ma première observation sera, je le pense, partagée par tous : le moins que l’on puisse dire est que la situation n’est pas brillante. Elle ne l’était déjà probablement pas les années précédentes, et tout, dans votre propos, indique qu’elle se serait dégradée en 2015, ce qui n’est bon ni pour les libertés publiques ni pour un État de droit tel que le nôtre.

Je ne suis pas un fanatique de l’incarcération : j’ai toujours pensé qu’elle n’était pas une fin en soi, mais je pense aussi qu’elle est, malheureusement, indispensable dans certaines situations et pour répondre à certaines problématiques, que ce soit pour maintenir l’ordre public ou pour apporter une réponse aux victimes. Quelquefois, elle est dans l’intérêt de l’auteur de l’infraction lui-même.

Il y a deux questions en matière d’incarcération. La première, c’est le choix que fait le juge de prononcer une peine d’incarcération ou bien une peine alternative à l’incarcération, en utilisant tout le dispositif législatif à sa disposition. Vous avez indiqué que les mesures prévues par la loi du 15 août 2014 étaient très peu appliquées. Cela renforce la position que certains d’entre nous et moi-même avions défendue, à savoir que la contrainte pénale n’était pas un « bon produit » pour répondre à ce que vous avez appelé la « surpopulation carcérale ».

La deuxième question, c’est le fait que la peine prononcée par le magistrat – alors même qu’il disposait d’autres outils au cas où il aurait souhaité ne pas priver totalement de sa liberté l’auteur de l’infraction – n’est pas exécutée. À cet égard, je me permets une observation à propos des expressions « inflation pénitentiaire » et « surpopulation carcérale » que vous avez employées. À mon avis, on les utilise un peu trop et, surtout, mal à propos. Car, si l’on parle de « surpopulation carcérale », cela signifie que le nombre de places de prison est suffisant, mais qu’il y a trop de détenus et qu’un certain nombre d’entre eux ne devraient pas être en prison. Or, aujourd’hui, le nombre de places de prison est insuffisant, avec des personnes condamnées qui devraient être détenues mais ne le sont pas, car les peines de prison ferme prononcées par les tribunaux ne sont pas appliquées. Pour le reste, j’ai bien entendu ce que vous avez dit à propos des peines courtes, qui devraient quelquefois bénéficier d’aménagements de la part du juge d’application des peines, à condition que ceux-ci soient compris par la société, en particulier par les victimes – c’est une vraie question.

Selon moi, plutôt que de parler d’« inflation pénitentiaire » et de « surpopulation carcérale », il faudrait que nous nous mettions d’accord une fois pour toutes, majorité et opposition, comme cela se fait dans de nombreuses démocraties analogues à la nôtre, sur le niveau qu’il convient d’atteindre en termes de places de privation de liberté dignes en milieu carcéral, afin que nous menions une politique de construction, d’entretien et d’adaptation des locaux pénitentiaires sur la longue durée – d’un Gouvernement à l’autre, d’une législature à l’autre, d’un Contrôleur général à l’autre –, plutôt que de nous livrer à ce yoyo dévastateur qui consiste à être, selon les moments, pour puis contre le « tout carcéral », ces deux positions n’ayant aucune justification intellectuelle et rationnelle. On perd du temps au détriment des libertés publiques, des victimes qui n’y comprennent rien, des personnes qui sont incarcérées, de celles qui devraient l’être mais ne le sont pas et se trouvent, dès lors, dans une situation insoluble, bref, de la société tout entière.

Ces observations appelleront peut-être des réactions de votre part. En tout cas, je vous serais reconnaissant des précisions que vous pourriez apporter concernant votre ligne en la matière en tant que Contrôleure générale.

Je ne suis pas, je l’ai dit, un fanatique de l’incarcération et du « tout carcéral ». J’ai fait partie de ceux qui ont soutenu la création des centres éducatifs fermés, au point de demander au ministre de la justice de l’époque, M. Dominique Perben, l’installation d’un de ces centres dans ma commune. Ces centres ont connu des difficultés au début, mais en connaissent beaucoup moins aujourd’hui. Le centre éducatif fermé situé dans ma commune a fêté ses dix ans il y a quelques jours, et c’est un succès : les ambitions ont été bien définies ; le dispositif est adapté au public concerné ; c’est une solution alternative à l’incarcération, qui, sinon, serait quasi obligatoire. Vous n’avez pas évoqué les centres éducatifs fermés dans votre propos, ce qui suggère peut-être que, globalement, vous n’avez pas d’interrogation fondamentale sur le fonctionnement de ces établissements, en particulier sur les modalités de la privation de liberté appliquées aux jeunes confiés à ces centres. Pouvez-vous nous donner des éléments d’appréciation à ce sujet ?

Comme beaucoup de mes collègues, je m’efforce de visiter régulièrement des centres pénitentiaires. J’ai souhaité me rendre à celui de Clairvaux, qui me semblait être un lieu à connaître, tant elle suscite de commentaires et occupe une place particulière dans l’imaginaire collectif. À l’issue de la visite très complète que j’y ai faite avec M. Nicolas Dhuicq, député de la circonscription, et de l’entretien très long que j’ai eu avec le directeur et les surveillants, j’ai eu le sentiment que, en dépit du caractère très particulier et historiquement très connoté des locaux, cet établissement pour longue peine accueillait les détenus dans des conditions qui ne semblaient pas indignes. Aucun des détenus que j’ai rencontrés ne m’a fait part du sentiment de vivre dans l’indignité complète. Or nous venons d’apprendre que la prison de Clairvaux serait fermée. Avez-vous une opinion à ce sujet ? Pour toutes les raisons évoquées par mon collègue Nicolas Dhuicq et par l’ensemble des personnels, qui connaissent bien la situation, il me semblerait très dommage que l’on en vînt à fermer cet établissement si cette fermeture ne s’impose pas. Dans le contexte de manque de places que vous avez évoqué, il ne serait pas inutile de conserver, pendant tout le temps où cela sera nécessaire, les places de Clairvaux, qui semblent dans un état globalement convenable au regard de la situation générale.

Mme Adeline Hazan. Merci, monsieur le député, pour vos questions. La première est très vaste.

Je vous rejoins tout à fait lorsque vous indiquez que la position totalement « antiprison » et la position totalement « pour la prison » ne sont ni l’une ni l’autre satisfaisantes. Pour ma part, en tant que Contrôleure générale, je pense que la prison doit être le dernier recours, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de courtes peines. Je regrette que cette conviction ou cette culture ne soit pas toujours suffisamment ancrée, notamment chez les magistrats : ils prononcent parfois des peines de prison alors qu’ils pourraient prononcer des peines alternatives à la détention. D’autant qu’ils peuvent désormais aménager la peine au moment du prononcé, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. Souvent, ils ne le font pas, et la question est renvoyée au juge d’application des peines. On perd alors du temps sur l’aménagement de la peine.

Quant aux peines non exécutées dont vous parlez, il s’agit en général de peines très courtes. Peu de peines d’une durée moyenne ne sont pas exécutées.

Selon vous, monsieur le député, il n’y aurait pas véritablement de « surpopulation carcérale », et la création de places de prison supplémentaires, actuellement en nombre insuffisant, permettrait de régler le problème. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous : ainsi que je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, je pense qu’il faut créer des places, mais il ne faut pas penser que c’est la seule solution. Nous ne devons pas courir derrière un nombre de places toujours plus important. D’une part, cela peut inciter les magistrats à ne pas observer le minimum de précautions nécessaires au regard de la surpopulation dans la maison d’arrêt de leur ressort. D’autre part, ainsi que l’histoire l’a prouvé – je revêts ma casquette de magistrate –, chaque fois que l’on a créé un nombre important de places de prison supplémentaires, elles ont très vite été remplies.

Il m’est difficile de vous répondre sur le nombre de places qu’il faudrait créer. Mme Taubira avait parlé de 6000 places en 2014 et cela me semblait assez raisonnable. Je ne suis pas sûre que le fait de construire 12 000 places d’ici à 2025 soit la bonne solution. Compte tenu du budget actuel de la justice, j’ignore où le garde des Sceaux trouvera les crédits nécessaires.

Vous avez bien fait de m’interroger sur les centres éducatifs fermés. Je ne les ai pas évoqués dans mon propos liminaire faute de temps. Vous avez raison : on ne constate pas, dans ces centres, des problèmes aussi graves que dans les établissements psychiatriques ou pénitentiaires. Vous avez la chance, semble-t-il, d’avoir un centre qui fonctionne bien dans votre circonscription. Il y a, heureusement, de tels centres. Toutefois, on relève un certain nombre de problèmes généraux dans les centres éducatifs fermés. Les observations faites au cours des dernières années concordent toutes sur ce point – la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a fait un certain nombre d’inspections ; l’inspection générale des services judiciaires et l’inspection générale des affaires sociales ont effectué une mission conjointe il y a un peu moins d’un an ; nous travaillons nous-mêmes actuellement à un rapport sur les mineurs privés de liberté.

Premier problème : on ne trouve pas de personnes pour diriger les centres éducatifs fermés, les fonctionnaires de la DPJJ étant par principe contre les établissements de cette nature. Dès lors, ces centres, qui gèrent des mineurs par hypothèse difficiles, sont souvent dirigés par des personnes très jeunes, notamment des femmes, dont c’est le premier poste, ce qui est source d’un certain nombre de difficultés. Dans de nombreux centres, les équipes sont en crise. D’autant que les membres du personnel sont souvent titulaires d’un contrat à durée déterminée et ignorent s’ils seront encore là dans six mois. Tel est notamment le cas des numéros deux de ces centres.

Autre écueil : dans ces centres, à la différence de ce qui se passe dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, on propose très peu d’activités aux jeunes, qui sont, dès lors, fréquemment livrés à eux-mêmes.

Dernier problème : les jeunes sont souvent placés dans des centres très éloignés du lieu où vit leur famille, ce qui rend difficile le maintien des liens avec les parents.

Donc, globalement, le bilan n’est pas suffisamment satisfaisant. J’entrevois néanmoins une lueur d’espoir : tout le monde est conscient de cette situation, et la DPJJ a fait connaître un certain nombre d’orientations qui vont tout à fait dans le sens tant des recommandations issues des diverses inspections que des préconisations du Contrôleur général.

Je ne me suis pas rendue à Clairvaux depuis un certain temps. Le rapport que nous avions établi à l’issue de notre dernière visite, en 2009, n’était pas absolument catastrophique, mais nous avions tout de même considéré que les conditions de prise en charge des détenus n’étaient pas bonnes, notamment du fait d’un aménagement intérieur assez spécial lié à l’histoire de l’établissement. Depuis 2009, il semble – et c’est logique – que ces conditions se soient beaucoup dégradées. Quoi qu’il en soit, il ne m’appartient pas de porter un jugement sur l’opportunité de fermer Clairvaux ou non.

La décision prise de construire un très gros établissement pénitentiaire aux environs de Troyes peut susciter certaines inquiétudes. Car les très gros établissements, tout le monde en convient, ne paraissent pas une solution satisfaisante : certes, les locaux seront mieux adaptés, mais les relations humaines entre les surveillants et les détenus risquent d’être moins bonnes. Si ce projet de construction est engagé, il faudra veiller à ce que l’établissement ne soit pas d’une trop grande ampleur et à ce qu’il soit desservi par des moyens de transport.

M. Joaquim Pueyo. Dans votre rapport d’enquête du 11 juin 2015 sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, vous vous êtes prononcée contre les unités dédiées, en soulignant que « certains risques ne paraissaient pas avoir été pris en compte, notamment la cohabitation de personnes détenues présentant des niveaux d’ancrage très disparates dans le processus de radicalisation. Les difficultés d’identification des personnes visées ne sont pas résolues, malgré une réévaluation des outils engagée récemment par l’administration pénitentiaire. » Vous indiquiez même que ces unités posaient un problème quant à leur absence de fondement légal.

Je tiens à souligner que ce n’est pas la première fois que l’on crée des unités dédiées dans les prisons françaises : cela a été fait, par exemple, pour les détenus les plus fragiles psychologiquement ou encore pour ceux qui ont été condamnés pour des faits de mœurs, afin de les protéger des autres détenus. Je rappelle également que l’administration pénitentiaire peut, dans certains cas, recourir à l’isolement, qui est bien encadré juridiquement.

J’ai moi-même visité les unités dédiées au centre pénitentiaire de Fresnes et rencontré les détenus individuellement dans leur cellule. Aucun d’entre eux n’a formulé de reproche sur les conditions de détention, qui sont presque les mêmes que celles des autres détenus, à ceci près qu’ils ont l’avantage d’être seuls dans leur cellule, contre deux ou trois pour les autres.

Il est vrai que la surpopulation carcérale favorise l’émergence du prosélytisme et permet à certains détenus d’exercer une influence sur d’autres. Tant que la question de l’encellulement individuel ne sera pas réglée, nous aurons beaucoup de difficultés. La surpopulation est le mal endémique des prisons françaises, avec des conséquences que l’on n’imagine pas nécessairement, sur les conditions de détention des détenus les plus fragiles, mais aussi sur les conditions de travail des personnels. Vous avez probablement pu observer que le nombre de violences, d’insultes et de menaces à l’égard des personnels est en recrudescence. Il s’agit d’un problème majeur.

Dans votre rapport d’activité 2015, vous indiquez que l’« on ne peut réduire la surpopulation carcérale que par la révision de certaines pratiques pénales, notamment en recherchant le développement des alternatives à l’incarcération telles que la surveillance électronique, le placement extérieur ou la semi-liberté ». Je suis d’accord avec vous, mais vous savez très bien que ces décisions sont prises par l’autorité judiciaire, et non par l’administration pénitentiaire, qui a très peu de marge de manœuvre. Dès lors que l’on respecte l’autorité judiciaire, l’administration doit mettre en œuvre tous les moyens pour que les décisions de justice soient appliquées.

Or il y a une autre méthode pour réduire la surpopulation pénale : la construction de nouvelles places. Depuis vingt ans, on estime qu’il ne faut pas trop en construire, et l’on construit par phases. Et, pendant ce temps, on entasse les détenus à deux ou trois par cellule, le cas échéant sur des matelas. Selon moi, madame la Contrôleure générale, il faut effectivement construire de nouvelles prisons. J’avais proposé 10 000 places ; le garde des Sceaux en a annoncé 12 000. C’est indispensable si l’on veut que la peine ait un sens.

Certes, il faut faire comprendre aux Français qu’il n’y a pas que la prison, et vous avez évoqué à juste titre les mesures alternatives à l’incarcération. Rappelons néanmoins que beaucoup plus de condamnés sont suivis en milieu ouvert qu’en milieu fermé – on compte notamment plus de 130 000 personnes condamnées à des peines assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve. Il faudra évaluer ce point.

En tout cas, le débat a trop perduré : il faut construire de nouvelles places si l’on veut garantir la dignité humaine aux détenus, mais aussi des conditions de travail dignes aux personnels. Lorsqu’un surveillant ouvre la porte d’une cellule et qu’il se trouve face à quatre détenus au lieu de deux, il a très peu d’autorité, et il lui est difficile de remplir sa mission d’observation, qui est fondamentale, y compris pour lutter contre le prosélytisme islamique radical.

Dans votre rapport d’activité, vous avez également indiqué que les rondes constituaient « un traitement inhumain et dégradant », ce qui m’a un peu surpris. Vous ne semblez envisager les rondes que du point de vue de la sécurité. Or les rondes supplémentaires, qui peuvent en effet poser des problèmes aux détenus, visent aussi à assurer leur protection, notamment à prévenir les suicides. Je l’ai constaté moi-même : lorsque les rondes ne sont pas faites scrupuleusement, cela peut avoir des conséquences graves, des détenus pouvant en agresser d’autres dans les cellules. Le passage régulier des surveillants est une garantie pour certains détenus fragiles, en particulier lorsque les cellules sont surchargées.

Mme Adeline Hazan. Merci, monsieur Pueyo, pour votre importante question sur la radicalisation. Je vous rejoins tout à fait lorsque vous indiquez que la surpopulation carcérale est un des facteurs – pas le seul, bien sûr – qui favorise la radicalisation, notamment à travers des phénomènes de caïdat ou des pressions diverses. Néanmoins, il faut relativiser : ainsi que je l’ai rappelé dans mon avis du 11 juin 2015, seulement 16 % des personnes condamnées pour des faits de terrorisme ont déjà fait un passage par la prison, ce qui signifie que les 84 % restants ne se sont pas radicalisés en prison.

J’ai en effet commis, en juin 2015, un rapport d’enquête sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral. Après les terribles attentats de janvier 2015 et le plan annoncé par le Premier ministre le 21 janvier, lequel prévoyait notamment de dupliquer la formule employée de façon empirique par le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes, j’ai souhaité me rendre dans cet établissement pour voir comment cela se passait. J’ai moi aussi rencontré les autorités de la prison, tous les professionnels et chacun des détenus concernés. Ainsi que je l’ai écrit dans mon rapport, il m’a semblé qu’on ne réglerait pas le problème en regroupant dans des unités dédiées des personnes présentant des niveaux d’ancrage extrêmement différents dans la radicalisation. Même si les détenus concernés sont désormais seuls dans leur cellule – tel n’était pas le cas à l’époque –, ils vont en promenade et font certaines activités ensemble. Cela met les « moins ancrés » au contact des « plus ancrés » dans le terrorisme, ce qui me paraît dangereux.

Quant aux programmes de désengagement – appelés, à l’époque, « de déradicalisation » –, on n’en était alors qu’au stade de la réflexion, et j’avais indiqué qu’il faudrait les examiner le moment venu.

Ainsi que je l’ai évoqué tout à l’heure, nous avons visité toutes les unités dédiées existantes entre mars et mai 2016. Nous nous sommes entretenus avec tous les personnels, tous les partenaires et tous les détenus concernés. Mon rapport sera rendu public dans quelques semaines. J’y précise ce que je pense de la pratique des unités dédiées, un an après leur mise en place.

Je tiens à dire – cela figure dans mon rapport – que personne, ni en France ni dans les pays voisins, n’a la solution au problème de la radicalisation. Tout le monde réfléchit au fil de l’eau, tâtonne, avance en marchant. C’est une tâche extrêmement difficile. L’administration pénitentiaire, sous l’autorité du garde des Sceaux, se trouve confrontée à une situation absolument inédite, et il est bien normal qu’elle ait du mal à y faire face. Bien loin de moi l’idée de dire ce qu’il faudrait faire. J’exerce ma mission, qui consiste à établir si ces mesures sont conformes aux droits fondamentaux des personnes.

Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas faire de rondes : il est tout à fait normal qu’il y en ait. Mais je ne suis pas sûre que le fait d’accomplir des rondes en allumant cinq ou six fois par nuit la lumière dans les cellules, en réveillant systématiquement les détenus et en leur demandant, parfois, de lever le bras ou la jambe pour montrer qu’ils sont bien vivants, soit la meilleure solution à l’égard des détenus les plus fragiles, notamment de ceux qui sont dans un état anxieux ou dépressif, voire présentent des signes suicidaires. Cela constitue une atteinte à leur intégrité morale et physique. Il y a d’autres façons – par exemple avec des veilleuses – de vérifier, le cas échéant plusieurs fois par nuit, que quelqu’un est dans sa cellule.

M. Jacques Bompard. Vous vous êtes exprimée à plusieurs reprises, Madame la Contrôleure générale, sur la situation des femmes en détention. C’est un sujet d’importance. Pouvez-vous évoquer les dispositions prises pour améliorer leur sort ?

Je voudrais aussi connaître votre opinion sur le rapport publié par notre collègue Dominique Raimbourg au sujet de l’encellulement individuel. À titre personnel, je pense que c’est un objectif intéressant et nécessaire, qui implique la construction de nouvelles prisons. Cependant, l’Institut pour la justice s’interrogeait dans ces termes dans une note à ce sujet : « Mais, plus largement, penser la prison comme un “lieu de transition”, signifie que la seule vraie fonction de celle-ci devrait être de préparer la réinsertion du condamné. Et quelle meilleure manière, finalement, de préparer cette réinsertion qu’en “désinsérant” le moins possible la “personne détenue” ? Les auteurs du rapport Raimbourg préconisent ainsi de “favoriser la socialisation”, de “concevoir des espaces de socialisation pour permettre aux personnes détenues de sortir de leur cellule”, de “rendre possible les repas en commun dans les unités de vie”, de “permettre la mixité des publics”, mais aussi de “faire des nécessités de demain les standards d’aujourd’hui – téléphonie en cellule, écran interactif en cellule, etc. » Ne craignez-vous pas que la prison du XXIe siècle ne se soit trop éloignée de sa mission de réparation de l’ordre brisé au profit d’un service individuel au seul bénéfice du condamné ?

M. Lionel Tardy. Le ministre de la justice a pris, le 9 juin dernier, un arrêté portant création de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention. Avez-vous été consultée sur cet arrêté ? Vous paraît-il adapté ? Encadre-t-il de manière satisfaisante la mise sous vidéosurveillance de certains détenus particulièrement dangereux ou suicidaires ?

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé hier une table ronde sur le brouillage, au cours de laquelle un représentant de l’administration pénitentiaire a confirmé que plus de 31 000 téléphones portables avaient été saisis en prison l’an dernier. Le brouillage étant complexe, il a affirmé qu’il y avait de multiples raisons de continuer à interdire les portables en prison. Pourquoi défendez-vous la position inverse, sachant que, pour préparer sa sortie ou pour contacter sa famille, un détenu peut déjà avoir accès à la téléphonie filaire ?

Mme Adeline Hazan. Monsieur Bompard, j’ai en effet rendu un avis relatif à la situation des femmes privées de liberté, publié au Journal officiel le 18 février dernier. Les femmes représentent 3,2 % des détenus. On pourrait penser que, dès lors, il est plus facile de les prendre en charge et de faire respecter leurs droits fondamentaux. Or, malheureusement, il n’en est rien : on constate au contraire que, du fait de leur faible nombre, elles sont un peu le « parent pauvre » de la détention. Les quartiers pour femmes sont souvent localisés au fin fond de la prison. Beaucoup moins d’activités sont proposées aux femmes. Dès qu’une femme détenue se rend à l’unité sanitaire ou dans un atelier, on bloque les mouvements de l’ensemble des détenus, ce qui est très compliqué. Il faudrait que l’administration pénitentiaire mène une réflexion sur cette pratique car, de ce fait, on limite de plus en plus les mouvements des femmes.

J’ai formulé un certain nombre de préconisations. D’abord, il faut que les femmes soient considérées comme aussi prioritaires que les hommes. Ensuite, surtout, il faut essayer d’instaurer une forme de mixité, ainsi que cela se fait dans certains établissements. Par exemple, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan a mis en place un atelier mixte, que nous avons visité. Au départ, cela a un peu perturbé les surveillants de l’établissement, mais cela se passe très bien. Je souhaite que les expériences de cette nature soient dupliquées, sinon généralisées, de façon à ce que les femmes ne pâtissent pas de leur faible nombre.

Par ailleurs, une question structurelle se pose : s’il y a, un peu partout en France, des quartiers pour femmes qui accueillent les femmes en détention provisoire, il n’y a aucun établissement pour peine prenant en charge des femmes dans le sud de la France, comme je l’ai indiqué à propos des détenus basques. Ainsi une femme habitant Marseille et placée en détention provisoire dans cette ville sera-t-elle envoyée, par exemple, à Rennes à partir du moment où elle sera condamnée. Dans la mesure où il est question de construire de nouveaux établissements pénitentiaires, il est urgent, à mon sens, de créer un établissement pour peine pouvant accueillir des femmes dans la partie sud de la France.

Je partage totalement les conclusions du rapport de M. Raimbourg sur l’encellulement individuel.

L’encellulement individuel est une obligation en vertu de la loi. Je regrette que sa mise en œuvre ait été reportée de moratoire en moratoire. Le dernier moratoire voté par le Parlement l’a reportée à 2019. Ma crainte est que rien ne soit fait d’ici à l’expiration de ce moratoire et que, de même qu’en 2014, dans les six mois précédent l’échéance, on constate que l’on n’est pas en mesure de pratiquer l’encellulement individuel, et que l’on adopte un nouveau moratoire. Ce serait très problématique.

Pour aboutir à l’encellulement individuel, je ne pense pas que la solution soit de construire 15 000 ou 20 000 places de prison supplémentaires. Certes, il faut en construire un certain nombre, mais, encore une fois, je ne crois pas que la réponse doive être uniquement celle-là. À cet égard, je vous renvoie à mes propos précédents sur les mesures alternatives à l’incarcération et sur la régulation carcérale.

Je suis tout à fait d’accord avec les propositions de M. Raimbourg concernant la mixité, la prise des repas en commun et la création d’espaces de socialisation. En revanche, je ne suis pas d’accord avec votre conclusion, monsieur le député : vous demandez, en substance, si l’on n’en fait pas trop pour les détenus en mettant en place pour eux un service individualisé au détriment du maintien de l’ordre public. Je répondrais non à cette question, car plus les détenus seront traités conformément à leurs droits fondamentaux et, surtout, plus on préparera leur sortie dans des conditions satisfaisantes, moins il y a aura de risque de récidive – toutes les études le prouvent – et mieux la société sera protégée. Tout le monde a donc à y gagner.

Monsieur Tardy, je n’ai pas été consultée sur l’arrêté du 9 juin 2016 pris par le garde des Sceaux. Pour ma part, de même que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), je parle d’ailleurs non pas de « vidéoprotection », mais de « vidéosurveillance ».

Je fais, là encore, un préambule. Nous sommes dans un contexte exceptionnel : le phénomène terroriste – nous l’avons encore vécu il y a quelques jours – est un problème dramatique et extrêmement difficile à gérer pour notre pays. Cependant, même dans des situations exceptionnelles et dramatiques, nous devons préserver nos valeurs démocratiques et respecter les droits fondamentaux des personnes. Telle est la mission du Contrôleur général. Il ne s’agit pas d’une positon angéliste : même dans les situations les plus graves, il faut trouver le point d’équilibre – c’est ce que nous cherchons à faire – entre les nécessaires mesures de sécurité qui doivent être prises par les pouvoirs publics et que l’opinion publique attend – en ce moment, celle-ci ne sait d’ailleurs plus très bien quoi en penser – et le respect des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques. Certes, c’est très difficile.

Pour en revenir à l’arrêté du 9 juin 2016, je pense qu’il vise un trop grand nombre de situations. Il a vocation à s’appliquer aux personnes en détention provisoire « dont l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et l’impact de celles-ci sur l’opinion publique ». Cette définition est trop large. En outre, cela me choque un peu que l’on affirme prendre ces mesures parce que l’évasion ou le suicide d’une personne en détention provisoire pourrait produire un trouble dans l’opinion publique. Lorsqu’il s’agit de protéger une personne, qu’elle soit en détention provisoire ou non, l’objectif premier doit être la protection de cette personne en tant que telle, et non la prévention d’un éventuel trouble dans l’opinion. Je pense que la formule est maladroite, même si nous sommes tous conscients qu’il s’agit d’un arrêté sui generis pris pour une personne en particulier, M. Salah Abdeslam, dont tout le monde souhaite le procès.

Je note que, à la suite de l’avis de la CNIL, le champ de cette disposition a été restreint aux personnes en détention faisant l’objet d’un mandat de dépôt criminel ; le décret ne s’appliquera donc pas aux personnes condamnées. Cependant, le problème est que, dans les affaires de terrorisme, les mandats de dépôt criminel vont probablement durer très longtemps : trois, quatre, cinq ou six ans. Or, si l’on peut comprendre qu’une personne en détention provisoire soit placée sous vidéosurveillance pendant une période très brève au début de sa détention – rappelons que l’arrêté prévoit une durée de trois mois renouvelables –, la prolongation de la vidéosurveillance, de trois mois en trois mois, jusqu’à une durée de trois, quatre, cinq ou six ans constituerait, selon moi, une atteinte très grave à l’intégrité physique et à l’intimité de la personne. Le point d’équilibre entre les nécessaires mesures de sécurité et le respect des droits fondamentaux ne serait pas préservé.

L’arrêté vise les terroristes, mais, en réalité, il pourra être appliqué à tous les DPS, ainsi que dans toute une série d’affaires. Je pense en particulier aux affaires de pédophilie, qui troublent énormément – à juste titre – l’opinion publique. Si une personne en détention provisoire impliquée dans une telle affaire se suicide, cela crée, de toute évidence, un trouble dans l’opinion publique. Dès lors, va-t-on utiliser la vidéosurveillance dans les affaires de ce type ? J’ignore si cela a été envisagé, mais c’est bien la preuve que le critère retenu dans l’arrêté du 9 juin est beaucoup trop vague.

En novembre 2015, après les terribles attentats qui ont frappé notre pays, le Gouvernement a averti, ainsi qu’il en a le droit, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme qu’« un certain nombre de mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence » étaient « susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ». À ce moment-là, il n’a pas évoqué de mesure de ce type. Or la vidéosurveillance déroge au droit à l’intimité, protégé par la Convention.

À titre personnel, du point de vue de l’État de droit, même s’il était légal de procéder par voie d’arrêté – la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés le prévoit –, je pense qu’une mesure aussi intrusive et attentatoire à la liberté de circulation et, surtout, au droit à l’image et à l’intimité aurait dû être débattue et votée par le législateur. Il aurait été possible d’intégrer ces dispositions dans le projet de loi présenté par M. Urvoas – de nombreux amendements n’ayant rien à voir avec l’objet initial de ce projet ont été adoptés – ou dans un autre texte de loi.

Selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, 30 000 à 35 000 téléphones portables entrent en effet chaque année en prison. Je précise néanmoins que tous les professionnels et partenaires des établissements pénitentiaires – y compris les syndicats de surveillants, qui sont contre les téléphones portables en prison – nous indiquent, lors des visites que nous effectuons, qu’environ 80 % de ces téléphones servent uniquement à communiquer avec la famille et les proches – et non à organiser des infractions, voire des crimes terroristes.

On ne pourra pas continuer à les interdire indéfiniment. Le débat et le clivage sont un peu les mêmes que ceux que nous avons connus il y a vingt ans sur les téléviseurs en prison. Contrairement à ce que certains ont affirmé, je ne prône pas l’autorisation des téléphones portables tels que vous et moi en avons. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’exposer devant vous, je propose d’autoriser des téléphones portables qui ne pourront être achetés que dans l’établissement pénitentiaire et dont l’utilisation sera bridée, de la même manière que celle des points téléphoniques l’est actuellement : le détenu ne pourra appeler que les numéros dont il a fourni la liste à son arrivée dans l’établissement. J’ai vérifié : c’est techniquement possible. Je sais que cette proposition divise, mais je maintiens que c’est la solution. Actuellement, dans certains établissements, l’administration pénitentiaire expérimente le téléphone mural dans les cellules, ce qui est déjà un plus.

Il faut savoir que les détenus ne bénéficient d’aucune intimité lorsqu’ils utilisent les points téléphoniques qui se trouvent dans les cours de promenade ou dans les coursives. Surtout, ils ne peuvent pas les utiliser au-delà de 17 ou 18 heures, ce qui limite les communications avec leurs proches. Enfin, cela leur coûte très cher, ce qui les incite à recourir aux téléphones portables. Tout bien pesé, je pense que, tant du point de vue de la gestion de la population carcérale que du point de vue du respect des droits fondamentaux, il y aurait plus d’avantages que d’inconvénients à autoriser les téléphones portables dans les conditions que je viens d’indiquer, avec, évidemment, une surveillance. Car il faut savoir aussi que la confiscation des téléphones portables représente actuellement une charge énorme pour l’administration pénitentiaire. Celle-ci transmet des paquets de portables à la police judiciaire, qui n’a absolument pas le temps de les exploiter.

Mme Cécile Untermaier, présidente. Nous vous remercions, madame la Contrôleure générale, d’être venue nous présenter votre rapport d’activité 2015. Nous avons tous beaucoup apprécié que vous vous exprimiez très librement, sans langue de bois. Vos préconisations sont très intéressantes. Nous souhaiterions que l’on formalise davantage les conditions dans lesquelles l’administration doit y répondre, en particulier lorsqu’il s’agit d’un établissement que vous venez de visiter.

La réunion s’achève à 12 heures 35.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné Mme Cécile Untermaier rapporteure sur la proposition de loi tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires (sous réserve de sa transmission).

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jacques Bompard, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, M. Frédéric Cuvillier, M. Patrick Devedjian, Mme Sophie Dion, M. Marc Dolez, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gosselin, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Paul Molac, M. Edouard Philippe,
M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, Mme Pascale Crozon, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Laurence Dumont, M. Georges Fenech, M. Yves Goasdoué, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Sandrine Mazetier, M. Rémi Pauvros, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jacques Valax

Assistaient également à la réunion. - M. Luc Belot, M. Michel Ménard, M. Lionel Tardy, M. François Vannson