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Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Jeudi 25 septembre 2014

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 04

Présidence de Mme Christiane Féral-Schuhl, coprésidente Et de M. Christian Paul, coprésident

– Audition de M. Patrick Eveno, spécialiste de l’histoire des médias sur le droit à l’information à l’ère numérique

–  Audition de M. William Bourdon, avocat, sur la question des lanceurs d’alerte et de l’habeas corpus numérique

COMMISSION DE RÉFLEXION ET DE PROPOSITIONS
SUR LE DROIT ET LES LIBERTÉS À L’ÂGE DU NUMÉRIQUE

Jeudi 25 septembre 2014

La séance est ouverte à huit heures quarante-cinq.

(Présidence de Mme Christiane Féral-Schuhl, co-présidente
et de M. Christian Paul, co-président)

——fpfp——

La Commission procède à l'audition de M. Patrick Eveno, spécialiste de l’histoire des médias, sur le droit à l’information à l’ère numérique

M. le coprésident Christian Paul. Nous accueillons Patrick Eveno, professeur à l’Université Paris 1, spécialiste de l’histoire des médias.

Monsieur Eveno, le cadre juridique de la liberté d’expression et, d’une façon générale de la presse et des médias, vous semble-t-il adapté à l’ère de la révolution numérique ? Quelles évolutions vous paraissent souhaitables ?

M. Patrick Eveno, spécialiste de l’histoire des médias. Je suis professeur à l’Université Panthéon Sorbonne et président de l’Observatoire de la déontologie de l’information.

En tant qu’historien, je voudrais rappeler que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme consacre la liberté d’expression, mais le socle qui s’applique à la presse est la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Lors des débats préparatoires à la loi à la Chambre des députés, le président de la commission, Émile de Girardin, qui voulait une loi simple, déclarait : « La presse sans l’impunité, ce n’est pas la presse libre, c’est la presse tolérée ayant pour juge l’arbitraire ». Et comme le proclamait Georges Clemenceau, dans une péroraison célèbre : « La République vit de liberté ; elle pourrait mourir de répression, comme tous les gouvernements qui l’ont précédée » ; il terminait en disant : « Répudier l’héritage de répression qu’on vous offre et, fidèles à votre principe, confiez-vous courageusement à la liberté ».

Toutes les institutions républicaines démocratiques sont installées à cette époque, et l’on veut la plus grande liberté. Dans le cadre des débats sur la provocation à commettre des délits ou des crimes, les républicains refusent catégoriquement toute limitation, considérant l’incitation et la provocation comme une œuvre de la pensée et que la loi ne doit punir que les actes. Cette position n’a pas été tenable très longtemps. Dès les années 1890, un certain nombre de restrictions sont instaurées face aux attentats anarchistes. En 1893-1894, sont votées les célèbres « lois scélérates » qui permettent de réprimer la provocation à la commission d’attentats, de meurtres, etc.

La loi sur la liberté de la presse a été amendée à de nombreuses reprises, souvent par des lois de circonstances. En 1951, une loi punit l’apologie de crime de guerre et le délit de collaboration, la loi Pleven de 1972 crée le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, et la loi Gayssot de 1990 sanctionne le négationnisme.

Toutes ces lois visent à protéger la République. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une tension entre république démocratique – qui ne peut vivre que de libertés – et volonté d’intervenir. La loi sur la liberté de la presse, qui s’applique peu ou prou à l’ensemble des médias, pose problème au regard des moyens technologiques modernes. Auparavant, il était aisé de délimiter quelques exceptions et de contrôler la presse car il y avait un imprimeur, un directeur de la publication, etc. Depuis la révolution numérique, les choses ont changé, on peut créer des sites miroirs, etc. Par conséquent, il me paraît évident de repenser l’arsenal législatif. Pour autant, la liberté est fondamentale, elle doit être la règle, c’est elle qui fonde nos sociétés démocratiques.

M. le coprésident Christian Paul. Pourriez-vous aller plus loin sur les conséquences de la révolution numérique sur les médias – économie, convergence, concentration – et nous proposer quelques pistes d’évolution juridique ?

M. Patrick Eveno. Je ne suis pas suffisamment compétent en droit pour vous proposer des pistes de réflexion législative. Les lois en la matière sont très rapidement obsolètes – on est toujours en retard d’une loi. La concentration n’est pas le problème majeur, car on assiste à des opérations de déconcentration, d’émiettement, etc. S’agissant de Google et des autres, la concentration du contenu n’est pas la concentration économique.

En réalité, nous sommes démunis face à l’évolution du numérique. Que faire face à des opérateurs ou des fournisseurs d’accès non coopératifs dans un système totalement mondialisé ? Je n’ai hélas, pas de kit de loi à vous proposer.

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. La convergence entre radiodiffusion audiovisuelle et Internet a conduit l’actuel président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à plaider pour un renforcement des pouvoirs de régulation de ce dernier sur les services audiovisuels numériques. Quel est votre avis sur ce sujet ? Est-il possible de réguler les médias en ligne comme les médias classiques ?

M. Patrick Eveno. L’existence du CSA trouve son origine dans la pénurie de fréquences ; il fallait donc les répartir. Depuis l’émergence du numérique, cette pénurie n’existe plus et, à la limite, le CSA n’a plus de légitimité.

Le CSA a une double casquette. D’une part, il est le régulateur du marché de l’audiovisuel – il délivre les autorisations de diffusion et attribue les fréquences. D’autre part, il tente de s’arroger deux domaines : la déontologie – qui n’est pas dans sa mission première, à savoir faire respecter l’honnêteté de l’information – et, surtout, Internet. Or je ne vois pas au nom de quoi il pourrait s’accaparer la régulation d’Internet, même si un grand nombre de chaînes de télévision et de radio ont un site. Les sites de presse et les pure players n’ont pas à dépendre de cette instance.

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. Faut-il réaffirmer le principe de la liberté d’expression, sur le modèle du Premier amendement de la constitution des États-Unis ?

M. Patrick Eveno. La grosse faille du système politique français est que l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme n’est pas suffisamment précis sur la liberté de communication. Le Premier amendement de la Constitution américaine, lui, parle de liberté de parole et de la presse – il établit un lien entre les deux. Par la suite, la Cour suprême a toujours tranché en assimilant la radio à la presse parlée, la télévision à la presse filmée, et aujourd’hui, il n’y a plus de procès, car on considère Internet comme de la presse en ligne. Ce serait une bonne chose d’intégrer cette dimension dans la Constitution française.

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. La liberté d’expression a évolué vers ce que l’on appelle le « droit à l’information ». Faut-il inscrire le droit à l’information quelque part et, si oui, où ?

M. Patrick Eveno. Il faut bien sûr l’inscrire – dans la Constitution ou ailleurs, je ne sais pas. Il n’y a pas de société démocratique sans droit du public à être informé. Eugène Pelletan, le rapporteur de la loi de 1881 sur la liberté de la presse déclarait au Sénat : « la liberté de la presse est une promesse tacite de la République au suffrage universel ».

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) va de plus en plus loin pour affirmer le droit du public à l’information : même les paroles les plus dérangeantes doivent être conservées, autorisées. De la même manière, elle considère que les personnalités publiques ne sont pas des personnes privées comme les autres, comme en témoigne l’arrêt Von Hannover ou arrêt « Caroline de Monaco ».

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. Est-il possible de distinguer la liberté d’expression et le droit à l’information ? Quel est votre avis sur le droit à l’oubli ?

M. le coprésident Christian Paul. Autrement dit, pouvez-vous nous aider à clarifier les trois notions que sont la liberté d’expression, le droit à l’information et le droit de savoir ?

M. Patrick Eveno. Il me semble que droit à l’information et droit de savoir sont consubstantiellement liés. Je ne vois pas comment on peut faire autrement que de les mettre dans le même paquet juridique. Mais le droit de savoir ne veut pas dire, si l’on fait du lacanisme de bas étage, qu’on a forcément le droit de voir « ça » – c’est toute la question de savoir jusqu’où l’on peut regarder.

La liberté d’expression est un droit fondamental. Il faut aller le plus loin possible. À l’heure où nous vivons des moments douloureux, où s’exerce une pression de la part d’agents extérieurs et intérieurs qui essaient de prendre le pouvoir et de placer la démocratie face à ses propres contradictions, il faut réaffirmer que c’est la démocratie qui doit gagner, qui va gagner et qui gagnera.

Le droit à l’oubli a été imposé à Google par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), or l’arrêt renvoie au déréférencement non pas global, mais de noms particuliers. Les journaux britanniques, au premier rang desquels The Guardian, se sont élevés contre le droit à l’oubli, qui s’apparente à une forme de censure. Cela pose un problème évident, car le numérique permet une diffusion de la diffamation et de l’insulte quasiment sans limites. Je l’ai moi-même vécu lorsqu’une personne qui ne m’aimait pas a créé une page Wikipédia à mon nom comportant des phrases détachées de leur contexte – j’ai réussi à la faire modifier ensuite, mais cela a été compliqué. En définitive, le droit à l’oubli est illusoire car, à part les personnes condamnées ayant purgé leur peine ou quelques célébrités qui veulent voir retirer tel ou tel article, la plupart des gens ne peuvent rien faire contre le monstre Google.

M. Edwy Plenel. Vos travaux sur l’économie de la presse de 1880 à 1914 montrent qu’il s’agit d’abord de l’histoire la plus dynamique économiquement de ce secteur, des entreprises de presse indépendantes faisant fortune grâce à la liberté. C’est aussi le moment de la construction d’un espace public qui bouscule le monde établi des élites intellectuelles, académiques, politiques et littéraires, qui s’offusquent de « ce journalisme de fait, » « ce journalisme à l’américaine », « ce journalisme vulgaire », à leurs yeux contraire aux idées, à la littérature, à l’élévation du débat.

Ainsi, vous avez démontré, d’une part, que la liberté créait la liberté sans entraves – celle défendue lors des débats de 1881, qu’on pourrait relire aujourd’hui dans leur radicalité démocratique – et un secteur dynamique comme nous ne l’avons jamais connu, la saignée de 14-18 créant ensuite une presse plus corrompue, beaucoup plus fragile, cédant à toutes sortes de tentations. Vous avez démontré, d’autre part, que le compromis de l’aide étatique, issu de la Seconde guerre mondiale, loin d’avoir aidé le pluralisme, a accompagné son appauvrissement. Cette liberté a été accompagnée d’excès – notamment la parution de La libre parole sous-titrée La France aux Français, de M. Drumont, auteur de La France juive, publiée chez Flammarion. Cet espace public a néanmoins permis de s’élever contre ces horreurs.

Bien sûr, nous avons des problèmes, nous vivons une transition. Mais n’avons-nous pas besoin de cette radicalité démocratique pour, à la fois, libérer le dynamisme économique et tirer vers le haut un espace public qui trouvera de lui-même – et non par l’État – de nouveaux modes de régulation ?

M. Patrick Eveno. Je vous remercie d’avoir parfaitement résumé mes travaux.

Pour reprendre une phrase de Bakounine, je dirai que « la liberté des autres étend la mienne à l’infini » – à l’inverse de « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » ou autre bricole de ce genre. La liberté est le fondement même de la société démocratique. La loi de 1881 a été votée à la quasi-unanimité – quatre extrémistes de gauche seulement ne l’ont pas approuvée.

La plus grande liberté possible permet effectivement de voir fleurir des entreprises et de faire vivre la démocratie et la citoyenneté. Pourquoi ne pas refonder une « loi 1881 » en 2015 ?

M. le coprésident Christian Paul. Selon les travaux du Conseil national du numérique, les entraves à la neutralité du Net pourraient avoir des conséquences sur la liberté de communication et de la presse. Est-ce votre avis ?

M. Patrick Eveno. La neutralité du Net est une question très importante. D’un côté, tous les citoyens sont égaux devant la bande passante. De l’autre, un certain nombre d’entreprises commerciales se servent de la neutralité du Net pour ne pas payer – je pense à Netflix, qui occupe 40 % de la bande passante sans payer plus cher que le site Internet du marchand de fleurs du coin. Cela pose un véritable problème. Il faut défendre l’égalité d’accès pour tous, mais aussi – pourquoi pas ? – faire payer les gros consommateurs de la bande passante.

M. le coprésident Christian Paul. Dans une interview accordée au Monde avant-hier, la ministre de la culture a fort justement alerté contre le risque de confusion entre monétisation des réseaux et priorisation des contenus.

M. Philippe Aigrain. Deux visions existent sur la question de savoir qui possède la liberté d’expression sans entrave. L’une selon laquelle elle resterait l’apanage de personnes ou d’institutions estampillées – détenteurs d’une licence à émettre, porteurs d’une carte de presse, etc. L’autre, défendue par les gens immergés dans le monde numérique, présente tout individu comme un acteur ayant un rôle démocratique.

De la même façon, deux discours sont aux antipodes sur la question de la rectification des erreurs. L’un affirme qu’Internet permet un développement sans limite et sans entrave de l’erreur et de la diffamation, avec une très grande difficulté de rectification. À l’inverse, les acteurs immergés dans la pratique quotidienne du numérique, tout en reconnaissant une diffusion instantanée et massive d’informations possiblement fausses, voient dans les mécanismes de rectification sociétale extrêmement puissants une autre forme de droit de réponse. Sur ce point, j’aimerai connaître votre sentiment.

Enfin, se pose la question de la limite entre expression et acte, notamment au regard de la loi antiterroriste. Aux États-Unis, la liberté d’expression n’est pas absolue puisque, comme la Cour suprême l’a confirmé, un appel au meurtre peut être sanctionné s’il est suivi d’une tentative de meurtre. En France, le cadre législatif tend à faire dériver la limite entre expression et acte en quasiment l’inverse, à savoir que toute expression deviendrait un acte, que toute apologie de la haine équivaudrait à l’acte résultant de la haine. Selon vous, où doit être placée la limite entre expression et acte ?

M. Patrick Eveno. D’un côté, les médias institutionnels – avec carte de presse – sont placés en permanence sous le commentaire, la rectification. Cela est très bénéfique pour la sphère professionnelle – sites, journaux, télé. De l’autre, la libre expression peut amener à tout et n’importe quoi, des choses très intéressantes comme des choses pénibles.

Dans le cadre d’une réunion avec les directeurs de l’information de chaînes de télé et de radio, où était présente Michèle Léridon, nouvelle directrice de l’information de l’AFP, nous avons abordé la manière de diffuser les images diffusées par Daesh. Nous avons insisté sur la nécessité d’informer en permanence le public, mais aussi sur l’importance de la traçabilité de l’information et les limites de celle-ci – ne pas montrer les décapitations. C’est le travail des professionnels de l’information, qu’ils essaient de faire le mieux possible.

Par ailleurs, le numérique permet une diffusion mondiale des propos tenus au café du commerce. Nous avons tous dit n’importe quoi sur n’importe qui dans des circonstances plus ou moins privées ou publiques – il m’arrive moi-même de faire de mauvaises plaisanteries dans les amphithéâtres, que je demande de couper au montage. Cela me fait penser à l’expression « sans-dents » de François Hollande : c’est une boutade, ce n’est pas forcément révélateur. Le problème est que Twitter, Facebook et tous les autres permettent de mettre sur la place publique les propos cantonnés jusqu’à présent au café du commerce ou chez soi.

M. le coprésident Christian Paul. Entre des organes de presse traditionnels et, avec le passage au numérique, des pure players professionnels, d’une part, et une expression débridée ou incontrôlée, d’autre part, il existe un espace de production qui relève de l’information, de médias citoyens ou autres. La frontière doit-elle être maintenue ou abolie ? Faut-il faire évoluer le droit ?

M. Patrick Eveno. Le spectre est vaste entre le très professionnel et le très amateur. Il est demandé que toute une série de documents publics soit mise à disposition – c’est l’open data. Et chacun d’entre nous peut créer un site Internet, cela ne coûte pas cher. Il faut promouvoir ce développement, car cette liberté est fondamentale, elle permet d’avoir accès à l’information, à la connaissance, au savoir, au divertissement.

Le café du commerce n’est jamais que le dégât collatéral. Mais faut-il se priver de liberté à cause de quelques dégâts collatéraux ? Doit-on interdire les voitures parce qu’il y a des accidents de la route ? Il faut aller vers plus de liberté.

Dans les démocraties, tant qu’elle n’est pas suivie d’acte, la provocation est licite ; dans le cas contraire, on peut remonter à la provocation. C’est une affaire de législation plus ou moins contraignante selon les pays. Le négationnisme n’est pas un délit en Angleterre, il en est un en France.

M. le coprésident Christian Paul. Les délits de provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes sont sortis de la loi de 1881.

M. Cyril Zimmermann. Encadrer les professions de journaliste et d’éditeur, d’un côté, et prôner une totale liberté d’expression des individus, de l’autre, est pour le moins paradoxal. Il faut être cohérent : soit on libère tout, soit on assigne les mêmes règles à tout le monde.

M. Patrick Eveno. La carte de presse est un label : elle est attribuée à des professionnels qui respectent des règles professionnelles, éthiques, déontologiques. Depuis longtemps, je conseille au Syndicat national des journalistes (SNJ) de prévoir un sigle « CP » bleu blanc rouge à la fin d’un article ou lors d’une présentation TV par un journaliste. Par ailleurs, les citoyens peuvent raconter d’autres choses autrement.

M. Cyril Zimmermann. Ces citoyens peuvent produire de l’information avec des moyens différents, indépendamment d’une reconnaissance publique ou d’un label, mais parfois avec une qualité tout aussi louable que celle de journalistes professionnels.

M. Patrick Eveno. Le journalisme est un artisanat qui se pratique en collectivité, au sein d’une rédaction. Ce label renvoie à une information collectivement élaborée et traçable. Cela n’empêche pas d’autres gens de produire de l’information – vous devez être un certain nombre dans la salle dans ce cas. Moi-même, en tant que professeur à la Sorbonne, je peux dire que j’ai un label pour parler de l’histoire des médias, mais pas de l’épidémie d’Ebola, par exemple.

M. Cyril Zimmermann. Dans une certaine mesure, la publicité a permis la liberté de la presse. Étant moi-même un acteur de la publicité digitale, je constate à mon corps défendant que la publicité est en train d’absorber les médias. Cette situation entraîne un renversement de la hiérarchie des valeurs, avec un phénomène d’audience plutôt qu’une reconnaissance par des pairs ou une institution. Ainsi, l’encadrement de la liberté d’expression et de la liberté de la presse par l’État laisse place à un encadrement, parfois pernicieux, de ces libertés par des acteurs privés – vous citez Google, que vous qualifiez de « monstre », mais on peut aussi parler des annonceurs.

Comment appréhendez-vous ce changement de hiérarchie des valeurs, où le label de la carte de presse risque de ne pas tenir très longtemps ? Comment échapper à la menace sur la liberté de la presse émanant de la puissance publique, sans tomber sous la menace de celle d’un acteur privé hyper puissant comme on n’en a jamais vu jusqu’à présent et de celle des annonceurs ?

M. Patrick Eveno. Grâce à ses algorithmes obscurs, Google est effectivement un monstre. En historien, je vous réponds que tout empire périra. Celui-là mourra comme les autres. J’ignore quand, mais souvenez-vous du temps où IBM était surnommé « la pieuvre », Hachette la « pieuvre verte », etc.

Jusqu’à présent, l’Humanité n’a pas connu de démocratie en dehors de l’économie de marché. Démocratisation et expansion du capitalisme – et donc liberté de la presse – sont liées. Les pressions des acteurs privés trouvent leur origine dans la crise ou la restructuration que nous connaissons aujourd’hui, avec une perspective de croissance exponentielle des acteurs du numérique. Dans ce contexte, ceux qui détiennent l’argent – actionnaires, publicitaires – voient leur pouvoir accru. Mediapart et quelques autres misent sur la qualité et la fiabilité, mais en s’ouvrant à la publicité, ils pourraient doubler leur chiffre d’affaires ! D’autres le feront.

L’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) s’appuie sur des règles déontologiques. Bien sûr, nous sommes menacés par le native advertising et autres pratiques, mais on fait très rapidement la différence au vu du label – les blogs financés discrètement par des annonceurs ont un succès limité dans le temps. Je suis peut-être considéré comme un utopiste, mais je crois que la différence se fait sur la qualité. Cela étant dit, cette dernière est multiforme : les gens désireux de se distraire ne demandent pas la même qualité que ceux qui veulent s’informer.

Mme Myriam Quemener. Que pensez-vous de l’allongement à un an du délai de prescription pour certains délits, compte tenu notamment de l’effet démultiplicateur d’Internet ?

M. Patrick Eveno. Au regard de l’étendue du Web – plus d’un milliard de sites – je ne suis pas sûr de l’utilité de cet allongement de trois mois à un an.

M. Winston Maxwell. Aux États-Unis, la jurisprudence tend à reconnaître à Internet le même régime que la presse écrite au regard de la liberté d’expression. La loi sur l’audiovisuel est beaucoup plus contraignante, en particulier parce que l’audiovisuel est réputé avoir un impact considérable sur les populations. Pour certains, Internet n’est plus la « feuille de chou », mais s’apparente progressivement à l’audiovisuel à cause de cet impact. Qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Eveno. Nous sommes à l’ère de la convergence : Internet permet d’accéder à la presse, aux radios et télés. L’audiovisuel est beaucoup plus encadré, non parce qu’il s’invite chez les gens, mais parce que le contrôle des images est beaucoup plus important que les écrits. Cette situation remonte au XIXe siècle, où les élites politiques considéraient les gens sachant lire et écrire plus accessibles au raisonnement et moins enclins à se révolter, contrairement aux pauvres, analphabètes et influençables par la propagande des images. D’où la législation restrictive sur les caricatures, le dessin, la photo, puis sur le cinéma, et enfin la télévision. Il fallait donc un encadrement pour le peuple, alors que les élites avaient droit à plus de liberté. Cette situation est en passe d’être abolie grâce au numérique. Internet va-t-il permettre d’abolir la lutte des classes ?...

Le CSA donne des directives sur les images choquantes, blessantes, etc., diffusées à la télévision. La question est de savoir s’il faut s’orienter vers un contrôle total d’Internet, qui diffuse de plus en plus d’images, qu’elles soient animées ou fixes.

M. Philippe Aigrain. Je ne suis pas sûr de l’existence de l’espace intermédiaire dont vous parlez : l’expression sur Twitter s’exerce dans un contexte collectif. De ce point de vue, les institutions patrimoniales ont certainement des choses à nous apprendre, en particulier sur le dépôt légal du web. Avec des moyens très insuffisants, beaucoup plus faibles qu’Internet Archive, par exemple, elles ont commencé à attribuer des ISSN (numéro international normalisé des publications en série) à des blogs individuels, notamment dans le champ littéraire. Ainsi, il existe d’autres formes de labels, d’où une continuité de pratique qui permet au public de procéder à des rectifications.

M. Patrick Eveno. L’Institut national de l’audiovisuel (INA) et la Bibliothèque nationale de France (BNF) procèdent à un archivage du Net, mais qui est très partiel. Toute l’histoire du Net se trouve dans les serveurs de Google, mais il ne nous la fournira pas…

M. Cyril Zimmermann. Les excès de la sphère financière des dernières années ont montré le danger du laisser-faire. Je trouve étonnant de se dire que Google représente une menace par sa puissance en ayant la possibilité de prendre des décisions unilatérales sur l’information et les libertés publiques, tout en affirmant que cette situation n’est pas grave puisqu’elle prendra fin. Je ne suis pas sûr que cela s’arrêtera. Car les empires se succèdent mais sont à chaque fois plus puissants et, quand bien même leur durée est limitée, celle-ci est suffisamment longue pour imprimer des choses dans nos esprits, changer les habitudes et in fine influer sur l’évolution de la société.

Selon vous, est-il réellement inutile de faire une fixation sur Google, ou une réflexion s’impose-t-elle sur l’encadrement, la régulation, de ces nouvelles puissances ?

M. Patrick Eveno. L’économie de marché n’est pas synonyme de laisser-faire total, de loi de la jungle. Il faut réguler, certes, mais tout en veillant à ne pas créer d’effets pervers.

L’influence de Google est réelle, mais cette société disparaîtra comme les autres. Si la Standard Oil n’avait pas existé, nous ne posséderions pas tous aujourd’hui une voiture, et pourtant cet empire a disparu.

Le gouvernement américain devrait se préoccuper de Google. Il commence à le faire par le biais des impôts, car cette société n’en paie quasiment pas. Mais peut-on imposer à Google de révéler ses algorithmes ?

M. Cyril Zimmermann. La Standard Oil a disparu car les pouvoirs publics ont pris l’initiative de la faire démanteler.

M. Patrick Eveno. Les Américains peuvent alors s’inspirer du Sherman Antitrust Act et décider de casser le monopole, s’ils estiment qu’il y a monopole.

M. Daniel Le Métayer. J’aimerais avoir votre éclairage d’historien sur l’évolution des relations compliquées entre protection de la vie privée et liberté d’expression.

M. Patrick Eveno. L’expansion des industries culturelles – médias, cinéma, livre, etc. – a été possible grâce à la standardisation, qui a engendré la baisse considérable des coûts et l’individualisation des consommations. La massification des productions et l’individualisation des consommations, à l’œuvre depuis deux ou trois siècles, constituent un point fondamental de l’histoire de l’humanité.

Dorénavant, on considère que les institutions sont incarnées par des hommes et des femmes, et que le respect de leur vie privée peut se heurter au droit d’information du public. Closer a eu doublement raison de révéler la liaison de notre Président avec une actrice connue, car non seulement cela fait partie de ce que l’on a le droit de savoir, mais il n’y a pas eu de photographie par le trou de la serrure – on n’a pas vu « ça », pour faire référence à ce que j’ai dit tout à l’heure. J’ai conseillé à Closer, qui a été condamné, de déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, car la France serait alors condamnée pour atteinte à la liberté d’expression.

Ce propos ne constitue en aucun cas une attaque contre le Président – ma position aurait été la même pour un autre. La sphère privée des personnes publiques est plus restreinte au nom du droit de savoir.

M. Daniel Le Métayer. Auriez-vous la même position pour des propos tenus dans le sanctuaire de la vie privée, à savoir le domicile ?

M. Patrick Eveno. Je vois une double ou une triple faute déontologique de la part d’une journaliste qui ne se présente pas comme telle, mais comme la compagne d’un puissant, et se croit en reportage à l’Élysée, ce qui me semble relever d’un conflit d’intérêts majeur. Et elle travaille avec un micro caché ou une caméra cachée, ce qui est formellement proscrit. Au fond, cet ouvrage dévoile une Cosette de douze ans qui lit mal Harlequin !

M. le coprésident Christian Paul. Merci beaucoup, monsieur Eveno, de votre contribution.

La Commission procède ensuite à l'audition de M. William Bourdon, avocat, sur la question des lanceurs d’alerte et de l’habeas corpus numérique.

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. Nous avons le plaisir d’accueillir maître William Bourdon pour l’entendre sur la question des lanceurs d’alerte et de l’habeas corpus numérique. Spécialiste en droit des médias, droit pénal et droit international, vous avez été pendant plusieurs années secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Vous êtes également l’auteur du Petit manuel de désobéissance citoyenne, paru récemment, dans lequel vous appelez au renforcement de la protection des lanceurs d’alerte en suggérant notamment la création d’une autorité administrative indépendante.

Alors qu’on assiste à une multiplication des sites incitant à alerter, la notion de whistleblower suscite beaucoup de réactions : le lanceur d’alerte est-il un dénonciateur et quelle place faut-il lui réserver ? Quelle est, selon vous, la pertinence de la législation actuelle en cette matière ? Faut-il l’adapter et le cas échéant dans quel sens ? Quel est par ailleurs l’état de vos réflexions sur la reconnaissance éventuelle d’un habeas corpus numérique ? Nous vous remercions de partager avec notre Commission votre expérience et votre regard sur ces questions.

M. William Bourdon, avocat. Le hasard de ma trajectoire professionnelle et citoyenne m’a mis sur le chemin des lanceurs d’alerte. J’ai ainsi défendu le commandant de police Philippe Pichon auquel la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient, il y a quelques jours, de donner raison. Le droit européen est venu à son secours tardivement. Pour dénoncer l’illégalisme des fichiers de police français – notamment le système de traitement des infractions constatées (STIC) –, après avoir vainement tiré la sonnette d’alarme, après avoir subi représailles, vexations et intimidations, il avait, en dernier recours – ce droit d’appel ultime qu’évoque Hannah Arendt pour désigner la désobéissance citoyenne –, exfiltré deux fiches du STIC pour les livrer aux médias. La dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris a rendu une décision de principe qui ouvre la voie à une forme d’exception de citoyenneté que j’appelle de mes vœux. Quand un citoyen, face à une grave atteinte à l’intérêt général, se trouve dépourvu de tout instrument d’action autre que la transgression, il doit bénéficier d’une bienveillance. Cette jurisprudence – qui implique le désintéressement de la démarche – est promise à un bel avenir.

J’ai également l’honneur d’être l’avocat français d’Edward Snowden. S’il n’est pas question d’évoquer ici notre action en sa faveur, son cas montre que la célébrité et la légitimité mondiale des lanceurs d’alerte reposent sur leur dénonciation de l’instrumentalisation des secrets à d’autres fins que ceux pour lesquels ils étaient prévus. Traîtres ou saints, hypercitoyens ou hypercriminels, les lanceurs d’alerte renvoient à des hyperdilemmes, notamment à celui entre la sécurité des citoyens – grave défi vu les faits cruels et complexes auxquels nous faisons face en Algérie et ailleurs – et la protection de la vie privée. Célébrée et sanctifiée comme jamais, celle-ci se voit pourtant aujourd’hui menacée par l’exceptionnelle exhibition dont elle fait l’objet – volontairement ou non.

Durant sa campagne électorale, le Président de la République s’était engagé à légiférer dans ce domaine, souhaitant faire de la France un pionnier de ces questions. En effet, le droit européen reste en cette matière balbutiant ; quant au droit international, son impuissance à protéger les citoyens via des normes contraignantes ne fait que renforcer la responsabilité du législateur national.

La France devrait également se distinguer par une loi exemplaire en matière d’habeas corpus numérique – proposition que j’avais formulée dans le cadre de la campagne présidentielle où je m’étais occupé du pôle des droits de l’homme et des libertés publiques. Dans sa décision rendue le 18 septembre 2014, la CEDH dit que la France « a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière, le régime de conservation des fiches dans le STIC, tel qu’il a été appliqué au requérant, ne traduisant pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. » Le juge européen sanctionne donc la France au visa de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais – et on ne peut que le regretter – non de l’article 13 qui affirme que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont été violés doit bénéficier d’un recours effectif devant une instance nationale. Cette décision rend d’autant plus nécessaire d’organiser un bouclier légal contre le risque d’arbitraire.

L’habeas corpus numérique – nom qui, pourtant porteur d’une symbolique forte, ne fait pas l’unanimité au sein du Gouvernement – doit avant tout prévoir la possibilité, pour un citoyen auquel l’administration refuse de communiquer sa fiche personnelle contenue dans un fichier de sécurité, de saisir le juge, y compris en référé. Plusieurs modalités pourraient être envisagées pour organiser ce droit de contrôle, pour l’instant limité, mais il faut absolument l’institutionnaliser car les citoyens doivent pouvoir quereller des décisions qui produisent des dégâts d’autant plus sournois qu’ils sont invisibles. Le STIC, principal fichier de police, contient des fiches concernant plus de 33 millions de Français, dont 80 % comportent des informations inexactes ou non actualisées. Nombre de personnes postulant pour des emplois publics se les sont ainsi vu refuser parce que leur fiche mentionnait une condamnation depuis réhabilitée ou prescrite. Les citoyens ne disposent d’aucun recours sur ces décisions et il apparaît d’autant plus urgent d’y remédier que la question des fichiers de sûreté et de sécurité est laissée de côté par la directive européenne de 1995.

Cette année, les fichiers d’Orange ont à trois reprises fait l’objet d’une intrusion. En janvier, l’incident a touché 300 000 personnes, en avril, 1,3 million ; en août, l’opérateur s’est vu infliger un avertissement par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), mais la charte de protection des données personnelles que Stéphane Richard a solennellement annoncé avoir signée apparaît comme un tigre de papier. Cette irresponsabilité juridique des opérateurs pose question ; ils devraient être obligés de sanctuariser dans une sécurité totale les fichiers de plus en plus volumineux, complexes et massifs de leurs clients, même si cela leur coûte cher. En cas de défaillance, la loi doit prévoir des sanctions.

En France, cinq lois différentes encadrent la protection des lanceurs d’alerte, cet éparpillement brouillant la lisibilité et la visibilité de la règle. Il faut aller vers une loi unique instaurant un mécanisme de protection universel, éventuellement décliné en dispositions particulières selon les secteurs, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe. Si elle fait un pas important en direction de cette universalité, la loi du 6 décembre 2013 ne protège les lanceurs d’alerte que lorsque ces derniers veulent révéler une situation qui s’apparente à un crime ou à un délit. Il existe pourtant des violations de la morale des affaires ou de l’éthique plus graves que bien des délits. Ainsi James Dunne – dont je suis l’avocat – a-t-il dénoncé les conditions dans lesquelles l’entreprise Qosmos a livré du matériel de surveillance au régime de Bachar el-Assad, ces livraisons rendant possibles des tortures de masse. Ayant alerté sur quelque chose qui ne relève ni d’un crime ni d’un délit – mais qui a conduit à des milliers de crimes –, cet homme ne bénéficie aujourd’hui d’aucune protection dans la loi française. Il s’agit d’une anomalie ; outre la nécessaire harmonisation de la loi, il faudra donc étendre la protection à ceux qui dénoncent des atteintes graves à l’intérêt général.

Enfin il faut créer, pour les lanceurs d’alerte, un canal d’information sécurisé. Le bilan de la loi du 22 novembre 2007 – la première à instaurer la protection des lanceurs d’alerte dans le domaine de la corruption – dressé par M. Lionel Benaïche, secrétaire général du Service central de prévention de la corruption, montre que la loi reste lettre morte parce que la crainte des représailles s’avère plus forte que les garanties offertes par la loi. Dans un contexte de crise économique et de chômage élevé, les possibilités indirectes et sournoises d’intimidation dont disposent les employeurs – y compris l’administration – conduisent les gens à céder, à se résigner et à renoncer à donner l’alerte. Il faut donc prévoir un mécanisme de circulation de l’information via un canal sécurisé, l’anonymat devant être réservé à des situations exceptionnelles.

Imaginons que demain, en raison de l’aggravation des risques, l’on demande à un agent de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et à un agent d’Orange qui sous-traite la mise en œuvre des écoutes administratives de manquer gravement à l’éthique au nom de la lutte contre le terrorisme. S’ils donnent l’alerte, ces agents – l’un public, l’autre privé – seront poursuivis pour violation du secret défense. À cette situation – qui ne manquera pas de se poser – la loi n’apporte actuellement aucune réponse. Arbitrer ce dilemme ne relève pas du ressort du juge ; pour combler ce vide, je propose plutôt d’imiter la solution canadienne en créant une haute autorité administrative indépendante, composée de grandes consciences qui, dans un dialogue confidentiel, arbitreraient et le cas échéant offriraient une forme d’immunité aux lanceurs d’alerte lorsque la transgression serait considérée comme proportionnelle à la gravité de l’atteinte à l’intérêt général dénoncée.

L’habeas corpus numérique devrait enfin prévoir le renversement de la charge de la preuve. Le législateur français et européen s’y est en effet résolu en matière de blanchiment en raison de la complexité et de l’opacité des infractions dans ce domaine ; or l’opacité n’est pas moindre en matière de graves atteintes à la vie privée. Le citoyen qui demain voudrait exercer son droit de contrôle sur une fiche personnelle du STIC pourrait alors se fonder sur l’obligation pour l’administration de prouver que la fiche est normale. Cette proposition viole certains principes de droit ; mais des dérogations s’avèrent parfois nécessaires. Ces questions complexes et difficiles s’inscrivent dans un débat de civilisation.

M. le coprésident Christian Paul. Vos propos dessinent deux pistes concernant les contours d’un éventuel habeas corpus – ou habeas data – numérique : le droit d’accès des citoyens aux fichiers de sécurité et la sanctuarisation des données personnelles par les opérateurs. Devrait-il également traiter le problème des interceptions régaliennes que vous avez évoqué à propos des lanceurs d’alerte ? Quelles devraient être les principales rubriques de cet habeas corpus numérique – question qui se pose aujourd’hui à l’échelle européenne ?

M. William Bourdon. Le Conseil de l’Europe s’est penché tant sur la question de l’habeas corpus numérique que sur celle de la protection des lanceurs d’alerte. On considère souvent que les informations qui se trouvent au cœur des fonctions régaliennes de l’État doivent faire l’objet d’un traitement dérogatoire en matière de droit d’accès des citoyens ou de protection du lanceur d’alerte. Ainsi la législation américaine, pourtant une des plus protectrices des lanceurs d’alerte, n’est-elle d’aucun secours pour Edward Snowden parce qu’elle ne s’applique pas aux agents des services de sécurité comme la NSA ou la CIA.

Il faut universaliser et homogénéiser le plus possible le droit d’accès des citoyens à leurs données personnelles contenues dans des fichiers privés et publics. Ce droit existe, mais reste insuffisant. L’étendre suppose de renforcer fortement les moyens de la CNIL dont la haute autorité administrative que je propose de créer pourrait être une émanation. Comment, dans une démocratie, arbitrer entre le respect des missions les plus régaliennes – et donc les plus secrètes – de l’État et le droit du citoyen de contester ou de révéler une information gravement attentatoire à la vie privée ou à la présomption d’innocence ? Légiférer dans ce périmètre sanctuarisé apparaît difficile ; il faudra pourtant s’y résoudre car on ne saurait le laisser hors d’atteinte du regard citoyen. Je ne vois guère d’autres solutions que de confier cet arbitrage délicat à une haute autorité constituée de consciences irréprochables, hors de tout soupçon, qui pourrait par exemple conclure que dans telle affaire, la lutte contre le terrorisme ne justifie pas que le ministère de l’intérieur, au nom de la sûreté de l’État, conserve dans une totale opacité des fiches dont l’examen montre qu’elles portent gravement atteinte à la vie privée ou à l’intimité ou aux droits les plus fondamentaux des citoyens.

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. Pour concevoir cette loi, peut-on s’inspirer d’exemples étrangers ?

M. William Bourdon. Dans le cadre des recherches rapides que j’ai effectuées pour rédiger mon petit guide, je n’en ai pas trouvé. La mise en place d’une institution qui viendrait se poser en bouclier contre l’arbitraire dans ce périmètre des informations secrètes hors d’atteinte du regard des citoyens et du juge représente pour les démocraties une question des plus modernes.

M. Philippe Aigrain. La démarche des lanceurs d’alerte intervient souvent au terme d’une dérive dont les étapes précoces sont ponctuées par des avertissements formulés dans un autre cadre. Ainsi dans l’affaire Snowden, de hauts responsables de la NSA avaient-ils alerté l’opinion publique dès l’adoption du Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978 Amendments Act of 2008. On touche ici à la question du devoir de réserve ; or si en matière de protection des lanceurs d’alerte, nous ne pouvons en effet nous inspirer d’aucun exemple étranger, la définition du devoir de réserve a fait l’objet d’une décision intéressante du médiateur européen qui a autorisé la quasi-totalité des fonctionnaires européens à exprimer leur désaccord avec une politique conduite à condition de le faire à titre d’opinion personnelle. Ce n’est qu’à partir du niveau de directeur général de la Commission européenne que le devoir de réserve doit s’appliquer. Dans le cadre du rapport « Vers une société de la connaissance ouverte » rédigé en 2007, Godefroy Beauvallet avait pour sa part recommandé de substituer au devoir de réserve des fonctionnaires un « devoir de participation ». Il serait utile de situer le cas extrême des lanceurs d’alerte et des territoires d’action régalienne qui jouissent de protections légitimes dans un contexte plus large, car dans bien des dysfonctionnements, l’ampleur des dégâts – causés par l’amiante, le tabac ou certains médicaments – est liée au défaut d’une parole précoce.

M. William Bourdon. L’article 40 du code de procédure pénale que vous évoquez – modifié à la marge à l’occasion de la loi du 6 décembre 2013 – est massivement sous-utilisé par les fonctionnaires français, tant pour des raisons culturelles et corporatistes que par crainte des représailles. Mme Marylise Lebranchu a plusieurs fois affirmé qu’à l’occasion de la révision de la loi sur les droits et les devoirs des fonctionnaires, il conviendrait de le revisiter. Il faudra en profiter pour unifier l’ensemble des dispositions législatives sur la protection des lanceurs d’alerte.

J’ai rencontré des fonctionnaires partagés entre la colère et la résignation, l’envie de mettre en œuvre une action citoyenne et la peur de sortir de l’obscurité. La presse a par exemple récemment fait état de flux financiers transférés vers des destinations offshore via l’Agence française de développement (AFD) ; des agents publics qui y ont travaillé connaissent les faits, mais ne trouvent aucun moyen de les divulguer sans se retrouver marginalisés. Notons toutefois que dans l’affaire Philippe Pichon, le magistrat a reconnu la légitimité de l’alerte, considérant que ce droit prévalait sur le devoir de réserve.

M. Philippe Aigrain. Louis Joinet prépare actuellement un livre sur la désobéissance civile au sein de l’appareil d’État, qui viendra compléter le vôtre.

M. Edwy Plenel. L’apport de maître Bourdon à nos débats me paraît essentiel ; il prolonge nos discussions sur la question du droit de l’information et vient confirmer que la révolution numérique doit devenir un levier pour rehausser notre culture démocratique. Nous vivons dans une société à la fois ouverte et sécuritaire ; plus qu’un simple dilemme entre sécurité et liberté, la révolution numérique crée une nouvelle horizontalité sans frontières où l’information circule en temps immédiat et, simultanément, démultiplie les moyens de surveillance, d’espionnage et d’accumulation de données. Dans ce contexte, l’enjeu se résume à la question suivante : qui surveillera les gardiens ? Qui garantira que ceux-ci ne feront pas à la fois les questions et les réponses, se transformant en juges hors de la justice ? Plutôt que de nous fier au seul pouvoir judiciaire ou policier, il nous faut aller vers un système démocratique plus complexe dans lequel la société elle-même disposerait de moyens de contrôle renforcés.

L’article 40 est sous-utilisé parce que la fonction publique de notre pays est gangrenée par la culture du secret, du silence et de l’opacité. Si le commandant Pichon gagne aujourd’hui devant la CEDH, il a commencé par perdre devant son administration qui l’a stigmatisé, exclu, brimé, qui a brisé sa carrière. Nous journalistes connaissons mille exemples de ce genre de drames humains. Loin de se résumer au seul droit de savoir, le problème renvoie à la culture démocratique de notre pays. En tant que citoyen, je suis marri de constater que les journalistes constituent le seul recours des lanceurs d’alerte, un recours bien fragile tant que les mesures réclamées par maître Bourdon ne sont pas mises en œuvre. La fragilité du contre-pouvoir que représente la presse tient à deux évolutions qui ont accompagné la révolution numérique, génératrice de peurs et de bouleversements économiques : d’une part, nous avons assisté à une extension permanente du domaine du secret, le secret défense se voyant notamment étendu dans le cadre de la lutte contre le terrorisme alors que la promesse de revoir la loi qui prévoit une exception permettant de porter atteinte au secret des sources n’a toujours pas été tenue ; d’autre part, le système médiatique, toujours moins autonome, a de plus en plus de mal à résister aux pressions. Tout plaide donc en faveur d’une loi fondamentale qui fasse de la France un modèle en matière d’accélération des libertés sans mettre en cause les préoccupations légitimes de sécurité.

Je terminerai par une anecdote révélatrice. L’un des quatre ex-otages français en Syrie, le photographe free-lance Pierre Torres, a publiquement dénoncé la façon dont leur témoignage sur leur gardien, Mehdi Nemmouche – auteur présumé des crimes antisémites de Bruxelles –, a été utilisé dans l’agenda politique alors qu’il était couvert par le secret défense. Le même Pierre Torres, parti au Royaume-Uni pour réaliser un reportage sur le référendum écossais, a découvert, à l’occasion d’une demande de renouvellement du passeport auprès du consulat français, qu’il était inscrit dans les fichiers de police parce que son frère faisait partie des personnes qui avaient été indûment espionnées dans le cadre de l’affaire de Tarnac. À côté du journaliste et de ses sources, le lanceur d’alerte relève d’une nouvelle catégorie d’acteurs qui doit démultiplier notre droit de regard sur ce qui se fait en notre nom.

M. Jean Dionis du Séjour. Le plaidoyer en faveur d’une liberté d’information totale que nous a livré Patrick Eveno m’a paru marqué par un optimisme étonnant, la main invisible du débat démocratique étant censée parer à tous les maux. Cette vision libérale-libertaire mériterait d’être débattue ; ainsi, lors de l’examen de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), un consensus s’était dégagé parmi la représentation nationale pour considérer certains contenus – tels que la pédophilie – comme manifestement scandaleux.

Au-delà des cas les plus médiatiques, les lanceurs d’alerte existent à tous les niveaux. Ils peuvent être des héros, mais aussi des affabulateurs ou des manipulateurs. Quel équilibre faut-il prévoir entre leur protection et leur responsabilité ? De quoi doivent-ils répondre en cas de faux témoignage ou de diffamation ? Comment concilier toutes ces exigences au sein de la loi que vous appelez de vos vœux ? L’ère du numérique donne de nouveaux pouvoirs au citoyen ; comment sanctionner les comportements délictueux ?

M. Daniel Le Métayer. Quel devrait être le fonctionnement de cette autorité administrative que vous proposez de créer ? Si l’objectif est de rassurer les lanceurs d’alerte potentiels, plutôt que de les obliger à s’adresser directement à une entité tierce, elle-même pouvant porter l’affaire devant la justice, ne serait-il pas utile d’instaurer un niveau intermédiaire pour les phases préliminaires de l’action, à l’intérieur même de l’entreprise, afin que l’individu n’ait pas l’impression d’être d’emblée déloyal ? On pourrait s’inspirer des correspondants informatique et libertés de la CNIL, ces interlocuteurs privilégiés devant évidemment être eux-mêmes protégés par un statut qui permette aux lanceurs d’alerte potentiels de se sentir en confiance.

M. William Bourdon. Après la publication, l’année dernière, d’un de mes articles dans Le Monde, un sénateur a déclaré : « Avec maître Bourdon, c’est Vichy qui revient ». Si annoncer la dictature de la transparence revient à caricaturer nos ambitions communes, il serait naïf de refuser le débat car tous ceux qui demain revêtiront les habits de la vertu pour diffuser du fiel, régler les comptes et semer la discorde représenteront en effet un véritable poison. Pour y faire face, la loi du 6 décembre 2013 a instauré le critère de la bonne foi qui conditionne la protection du lanceur d’alerte. Si l’absence de décisions judiciaires en cette matière ne nous permet pas encore de savoir quel périmètre exact les juges donneront à ce critère essentiel, la notion bénéficie en France d’un corpus juridique important. Ceux qui demain manipuleront la loi protectrice des lanceurs d’alerte pourront être poursuivis au titre des articles sur la dénonciation calomnieuse ou sur la divulgation des fausses nouvelles. On peut d’ailleurs prévoir qu’en cas de dénonciation calomnieuse, rechercher l’immunité de la loi protectrice des lanceurs d’alerte constitue une circonstance aggravante qui renforce la sévérité de la sanction.

Pourquoi est-il si important de légiférer sur ces questions ? En tant qu’avocat, je constate que l’exaspération de certains de nos concitoyens les amène à des comportements pathologiques. Le sentiment de déni et d’impuissance qu’éprouvent les personnes indignées qui souhaitent mais n’ont pas les moyens de donner l’alerte les conduit vers une radicalisation qui en fait parfois leurs pires ennemis. On ne mesure pas assez les effets pathogènes de ce ressenti qui ronge de plus en plus de citoyens.

Le Parlement doit affirmer sa souveraineté absolue sur la création, le contenu et la modification de tous les fichiers, sous peine de laisser subsister la possibilité de fichiers secrets. Or comment un citoyen peut-il exercer le moindre contrôle sur un fichier dont il ignore l’existence ?

La question de l’introduction des échelons intermédiaires pour les lanceurs d’alerte est difficile car le comportement des acteurs privés – dans ce domaine comme dans celui de la responsabilité sociale ou environnementale – n’a jamais été aussi hétérogène. Certaines entreprises ont mis en place en leur sein des mécanismes qui permettent réellement aux lanceurs d’alerte de s’exprimer sans crainte, alors que dans d’autres, leurs interlocuteurs internes sont là pour les piéger. Ainsi, aucun lanceur d’alerte souhaitant dénoncer une opération de blanchiment au sein d’une grande banque internationale ne peut espérer trouver une écoute favorable à ce niveau. Par conséquent, s’il faut encourager les mécanismes intermédiaires, ceux-ci ne doivent pas devenir une contrainte pour les lanceurs d’alerte car le remède peut être pire que le mal.

Mme Valérie-Laure Benabou. La puissance publique peut parfois se voir transférer des fichiers privés. Ainsi en 2003, aux États-Unis, Acxiom – la plus grande entreprise de collecte de données personnelles – avait-elle transmis au Pentagone des informations sur des millions de citoyens. Certes, la loi informatique et libertés évite en principe ce genre d’action, mais ces fichiers privés – que les pouvoirs publics peuvent se procurer à travers une cession ou un accord – représentent un gisement d’information très important. Comment encadrer ces pratiques qui de surcroît ne se passent pas nécessairement en France ?

M. William Bourdon. Cette question a été débattue lors de l’examen de la dernière loi de programmation militaire. Jean-Jacques Urvoas a publié une tribune pour défendre son article 20, à laquelle Jacques Attali a répondu en dénonçant la dictature de la transparence ; je pense pour ma part qu’il faut plutôt dénoncer celle de l’instrumentalisation des secrets. En effet, cet article a, de façon scandaleuse, introduit la possibilité pour les services secrets français d’accéder aux fichiers sans aucun contrôle du juge. Nous débattons donc actuellement d’une loi qui irait à rebours de ce qui a déjà été acté il y a quelques mois par le Parlement français.

Vous soulevez un autre problème qui rend cette ambition législative essentielle : celui de l’interconnexion entre le monde de l’argent et de la sécurité, entre la finance et les services de renseignement. Le législateur devra demain revenir sur les conditions dans lesquelles, au nom de leurs missions régaliennes, les services de l’État peuvent avoir accès, sans contrôle et de façon illimitée, aux données personnelles contenues dans les grands fichiers commerciaux des opérateurs. Snowden a montré qu’en matière de mutualisation du commercial et du sécuritaire, les Américains ont pris une très mauvaise direction ; il faudra demain que la loi s’empare de ce sujet pour éviter une dérive incontrôlée.

M. Edwy Plenel. Le problème apparaît d’autant plus aigu que ces opérateurs téléphoniques sont aujourd’hui des acteurs médiatiques – diffuseurs de contenus, voire propriétaires de journaux.

M. le coprésident Christian Paul. En débattant de la loi sur le terrorisme et notamment de son article 15 – qui concerne la conservation des contenus, entre autres à des fins de traduction –, nous avons été plusieurs à demander que la question des interceptions régaliennes soit rapidement remise sur le métier dans le cadre d’une véritable loi sur le renseignement.

À la même occasion, nous avons constaté que le saut technologique de la révolution numérique influait sur la sévérité du législateur. Alors que le passage du livre à la radio ou de la radio à la télévision n’avait pas eu de conséquences similaires, on considère aujourd’hui l’effet d’amplification de l’Internet comme une circonstance aggravante. Ne retrouve-t-on pas la même idée dans les lois concernant les lanceurs d’alerte ou pouvant être invoquées contre eux ? Portées par des supports plus modestes, les révélations de Snowden ne lui auraient valu ni le même succès ni les mêmes poursuites que ceux qu’il a rencontrés dans le contexte de diffusion mondiale de ces informations ; il en va de même pour WikiLeaks. Comment abordez-vous le lien entre la légitime défense des lanceurs d’alerte et cet effet d’amplification qui change radicalement tant leurs facultés que la volonté des États de les sanctionner ?

M. William Bourdon. Ce sont l’universalisation et la massification des informations qui fabriquent des lanceurs d’alerte universels. Plus l’information est modeste et anonyme, plus l’est également le lanceur d’alerte. Le succès de Snowden – qui l’a dépassé et qu’il revendique avec beaucoup de dignité – est lié au caractère massif et universel des données dont la surveillance est pour la première fois de l’histoire de l’humanité organisée à l’échelle planétaire. Au-delà de la future loi française, votre question doit nous amener à réfléchir à une éventuelle loi européenne, voire à une convention internationale protectrice des lanceurs d’alerte. Lorsque le Président de la République m’avait fait l’honneur de m’inviter, parmi d’autres représentants de la société civile, à la veille du G20 de Saint-Pétersbourg, je lui ai suggéré de mettre cette question à l’agenda du sommet. Si les chances de succès étaient minces avec Vladimir Poutine, le problème devra, un jour ou l’autre, être abordé par le G20 et le G8. La protection des lanceurs d’alerte exigera demain un corpus juridique européen et international.

M. le coprésident Christian Paul. Il ne nous reste qu’à regretter que ce soit Poutine qui héberge Snowden.

M. William Bourdon. Pour imparfait qu’il soit, ce refuge – qui ne disqualifie pas l’action de mon client – a le mérite d’exister ; les avocats de M. Snowden réfléchissent à la façon de mettre un terme à cette situation provisoire.

Mme la coprésidente Christiane Féral-Schuhl. Afin de construire une définition officielle du lanceur d’alerte – aujourd’hui inexistante –, ne convient-il pas de prévoir des distinctions selon la nature du contenu dévoilé ? Ainsi, l’atteinte à la sûreté de l’État n’équivaut pas aux propos diffamatoires. Que pensez-vous de cette piste ?

M. William Bourdon. Nous faisons face à un double éparpillement, la définition du lanceur d’alerte comme celle de l’alerte elle-même restant aujourd’hui fragmentées. Je me permets néanmoins de vous renvoyer aux tentatives de définition données par les deux rapports successifs du Conseil de l’Europe ; très pertinents, ils ouvrent de nombreuses pistes à explorer.

Au cœur de l’action du lanceur d’alerte se trouve la menace grave pour l’intérêt général, dont le périmètre va au-delà du crime et du délit. À partir de ce noyau, chaque loi nationale devra prévoir des modalités pour filtrer la bonne et la mauvaise foi des personnes concernées.

M. le coprésident Christian Paul. Merci, maître, pour ces précisions.

La séance est levée à dix heures cinquante.

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