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Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité

Mardi 16 décembre 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. François Brottes, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique, sur le projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447)

–  Présences en réunion

La commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique, sur le projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447).

La réunion débute à dix-sept heures quarante.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir à cette première réunion de notre commission spéciale pour vous entendre sur le projet de loi pour la croissance et l’activité. Ce texte, qui combine envergure et quotidienneté, est très attendu par l’opinion, les formations politiques et les députés ; après le temps du Gouvernement et du Conseil d’État, voici venu celui du Parlement.

Cette séance nous tiendra lieu de discussion générale du projet de loi. À l’issue de votre propos liminaire, le rapporteur général – garant de la cohérence de nos travaux – prendra la parole au nom des huit rapporteurs thématiques. Après l’intervention des orateurs des groupes, vous pourrez apporter une première série de réponses, avant que d’autres membres de la Commission ne vous posent leurs questions.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique. Je suis heureux que le temps du Parlement commence. Alors qu’avant même d’être finalisé, ce texte faisait déjà l’objet de nombre d’interprétations, je voudrais ici en rappeler l’esprit, la philosophie d’ensemble et le cheminement. La cohérence de cette loi tient à sa volonté d’ouvrir des opportunités dans différents secteurs d’activité. Les équilibres juridiques, économiques et sociologiques étant ce qu’ils sont, redonner des droits à certains peut certes en inquiéter d’autres. Mais cette loi n’interdit rien ; en déverrouillant toutes les sphères économiques possibles, elle cherche à offrir des chances et des droits réels à chacun de nos concitoyens.

L’urgence de ce texte est dictée par l’urgence de notre situation économique et sociale : étant donné le niveau du chômage et l’anémie de plusieurs secteurs d’activité, il n’est plus possible de maintenir le statu quo ni de temporiser. Ce texte cherche, de manière concrète et pragmatique, à agir sur tous les leviers disponibles pour recréer de l’activité. Il ne s’agit ni d’une loi de petites choses – car l’économie est ainsi faite qu’il faut toucher à différents domaines pour prétendre à l’efficacité – ni d’un big bang qui viendrait déstabiliser un secteur ou une profession en revenant de manière inutile sur des situations acquises ou des équilibres existants. Pour y avoir longuement réfléchi, je ne crois pas à la grande réforme qui débloquerait l’économie française ; aussi ce texte cherche-t-il à déverrouiller le strict nécessaire. Sans prétendre résoudre du jour au lendemain tous les problèmes de l’économie française, il vise à redonner des perspectives et à recréer des sphères d’activité partout où cela est possible.

Cette loi se construit autour de trois axes : libérer et ouvrir, investir et innover, travailler. Il faut d’abord libérer l’accès à certains emplois et à certains secteurs, car la première égalité à restaurer est celle des chances économiques. Pour favoriser la mobilité sur le territoire et créer une nouvelle sphère d’activité, le texte propose d’ouvrir et de développer le secteur du transport par autocar, qui fait aujourd’hui l’objet de multiples autorisations préalables. Deux faits résument la situation : dans notre pays, la mobilité repose à 83 % sur des véhicules particuliers et à 17 % sur les transports collectifs ; seulement 110 000 voyageurs par an prennent l’autocar en France, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. La qualité du réseau SNCF n’y est pas étrangère, mais la fermeture du secteur compte également pour beaucoup dans cette réalité. Il est problématique de ne pouvoir compter que sur le train ou le véhicule particulier pour effectuer certains trajets – par exemple Nantes-Bordeaux ou Bordeaux-Lyon. Ouvrir l’exploitation de lignes d’autocars sur le territoire national permettra d’encourager la mobilité et de la rendre plus égalitaire, mais aussi de créer des opportunités pour l’activité ; la mobilisation, ces derniers jours, des acteurs économiques du secteur montre combien ils attendent ce signal. Alors que le transport routier de marchandises souffre d’un problème de surcapacité, organiser la reconversion des chauffeurs de poids lourds en chauffeurs d’autobus constituerait une réponse concrète pour lutter contre le chômage. L’intérêt public sera pleinement pris en compte : s’agissant des lignes infrarégionales, l’autorité organisatrice des transports (AOT) pourra interdire les lignes d’autocars qui feraient concurrence aux services publics de transport, après un avis conforme de la nouvelle Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), aux compétences élargies.

Favoriser la mobilité, c’est aussi faciliter l’obtention du permis de conduire – actuellement l’un des freins à la mobilité sur notre territoire, qui pénalise principalement les jeunes. En application des annonces faites par Bernard Cazeneuve l’été dernier, la réforme prévoit de recentrer les examinateurs sur le passage du permis B en confiant à des opérateurs agréés la surveillance de l’épreuve théorique et des épreuves pratiques de certains permis poids lourds. Cela permettra de réduire les délais d’attente, rendant le passage du permis plus rapide et moins cher. Au-delà de ce premier élément concret, le projet de loi mérite d’être enrichi par le débat parlementaire, car le coût – en moyenne 1 500 euros pour le permis normal et 1 100 pour la conduite accompagnée – et les délais actuels, très variables sur le territoire mais trop longs pour les jeunes comme pour tous ceux qui veulent accéder à un emploi, doivent nous conduire à nous montrer encore plus ambitieux sur cet élément clé de la mobilité.

Ouvrir, c’est également favoriser la concurrence et mieux réguler les situations de monopole. Dans le secteur de la grande distribution, le texte propose de donner à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle. Cette mesure – décidée pour l’outre-mer il y a quelque dix-huit mois – permettra à l’Autorité d’enjoindre aux opérateurs qui détiennent plus de 50 % du marché dans le commerce de détail et qui abusent de leur position dominante en pratiquant des prix qui ne se justifient pas par la situation géographique, de céder des surfaces commerciales. Le projet de loi confie également à la nouvelle ARAFER la régulation des concessions autoroutières. En effet, l’évolution des tarifs des péages depuis la privatisation, constatée tant par l’Autorité de la concurrence que par la Cour des comptes, justifie de renforcer la transparence et la pression sur ces opérateurs. Plusieurs travaux parlementaires, en particulier celui conduit sous l’autorité de Jean-Paul Chanteguet, proposent des pistes qui devraient permettre d’enrichir le texte sur ce point. Le débat devra notamment déterminer le domaine de compétences exact de l’ARAFER et le degré optimal de régulation des sociétés autoroutières. En tout état de cause, il faudra remettre à plat les contrats de concession, donner à l’ARAFER un pouvoir accru pour en maîtriser la profitabilité et créer des clauses de partage du profit beaucoup plus dynamiques pour l’État. Les voies possibles – baisse de tarifs, réversion ou travaux supplémentaires – devront être creusées lors du débat.

La loi entend également moderniser les professions du droit. Ce travail, que nous avons conduit avec Christiane Taubira, a été enrichi par la contribution de Richard Ferrand, mandaté par le Premier ministre, et par le rapport que Cécile Untermaier et Philippe Houillon rendront demain, à l’issue de la mission d’information qu’ils ont conduite sur les professions juridiques réglementées au nom de la Commission des lois. Il ne s’agit pas de casser ce qui fonctionne, et les fondamentaux de ces métiers seront préservés. Ainsi, le texte ne supprime aucune profession, maintient l’exclusivité de leurs missions, n’abolit aucune règle déontologique, ne réforme pas les ordres et n’envisage aucune baisse du niveau de qualification. La situation actuelle en matière d’accès, de tarifs et d’équilibre démographique de plusieurs professions doit néanmoins être aménagée. Aujourd’hui, 85 % des administrateurs judiciaires ont plus de 50 ans ; 70 % des notaires titulaires sont des hommes ; 80 % des notaires salariés, dont les revenus sont en moyenne cinq fois moins élevés, sont des femmes. Dès lors, la modernisation des sept professions du droit concernées nous apparaît comme une nécessité du point de vue de la justice et de l’efficacité économique.

Aux termes du projet de loi, les professions réglementées du droit pourront ouvrir leur capital à d’autres professionnels du même secteur ou de secteurs complémentaires, comme les professions du chiffre, les experts comptables ne pouvant obtenir plus de 33 % des droits de vote au sein d’une même structure. L’enjeu de cette réforme est d’aider les professionnels à se moderniser en partageant les coûts des investissements nécessaires, sans nier la spécificité des métiers ni des règles déontologiques. Pour faciliter l’accès à ces professions, le Gouvernement souhaite instaurer une liberté d’installation régulée. Le texte ne supprime aucune profession ni ne remet en cause leurs monopoles – ceux qui le souhaitent pourront ainsi continuer à vendre leurs structures en transmettant leur clientèle –, mais ouvre une deuxième possibilité : celle de s’installer en partant de zéro, sans clientèle, dans les zones où une autorité indépendante aura identifié des carences. Dans les autres zones, où l’implantation d’offices supplémentaires pourrait porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices déjà installés ou compromettre la qualité du service rendu, l’installation pourra être refusée par la garde des Sceaux. Cette liberté d’installation régulée ne modifie donc en rien l’exigence en matière d’études et de stages, ni l’honorabilité des professionnels. Enfin, prenant appui sur un rapport de l’Autorité de la concurrence, nous passerons en revue les tarifs réglementés de six professions – notaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers, commissaires-priseurs, administrateurs et mandataires judiciaires – afin de les orienter vers les coûts réels et de promouvoir une juste rémunération. Les mécanismes de péréquation seront maintenus dans les cas où ils se justifient ; les tarifs réglementés seront plafonnés, ce qui fera baisser les prix, mais un plancher sera également instauré. Les dispositifs spécifiques par profession pourront être abordés au cours de la discussion parlementaire.

Le deuxième pilier de ce texte, c’est investir et innover. Une philosophie de l’accès plus ouvert au capital doit permettre de renouer avec l’actionnariat salarié et l’épargne salariale. Il s’agit d’associer le plus largement possible les salariés au capital, au-delà des premiers cercles de dirigeants, et de mieux récompenser le risque, tout en étant intransigeant sur la rente. Le projet de loi propose trois mesures qui font système. Pour inciter les entreprises à distribuer des actions aux salariés performants, il simplifie le dispositif de taxation des attributions gratuites d’actions (AGA) en unifiant le régime fiscal des gains d’acquisition et de cession, ce qui implique d’adapter le régime social salarial. La contribution patronale sur les AGA sera alignée sur le régime de droit commun du forfait social applicable aux autres compléments de rémunération. Cette mesure apparaît importante tant pour les PME que pour certains de nos grands groupes aujourd’hui sortis des standards de compétitivité. Enfin, le projet de loi vise également à réformer les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE). En effet, beaucoup d’entreprises de la Silicon Valley abritent des Français – innovateurs et cadres performants – qui ne trouvent pas dans nos start-up de conditions de rémunération comparables. Pour inciter ces talents à rester dans notre pays, nous proposons de permettre aux start-up d’attribuer des BSPCE sur leurs propres titres à tous leurs salariés, y compris ceux de leurs filiales. C’est là un dispositif plus attractif et plus simple que celui actuellement en vigueur. Nous pourrons sans doute aller plus loin encore pour ce qui concerne les business angels ; les dispositions votées dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, portées par Mme Bernadette Laclais, ont permis de commencer à simplifier les formalités auxquelles ils sont soumis, mais il faut conforter davantage cet écosystème. Cela permettra de renforcer notre attractivité et de développer l’innovation et la créativité, qui doivent devenir l’un des moteurs de notre économie.

En même temps, le projet de loi prévoit une disposition technique sur les retraites chapeaux. Marisol Touraine, Michel Sapin et moi-même avons demandé un rapport sur ce sujet ; le travail, conduit par M. Jean-Michel Charpin et un de ses collègues de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), est en cours et pourra associer tous les parlementaires qui le souhaitent. Notons dès à présent que la réforme ne vise pas les mécanismes de retraite supplémentaire de droit commun dont bénéficient des millions de Français, mais le système de rente perpétuelle que s’aménagent certains cadres dirigeants et mandataires sociaux ; injustifiable aux yeux des salariés, ce salaire différé devrait être traité comme tel.

Au-delà de ces mécanismes, c’est l’épargne salariale – le meilleur moyen d’associer l’ensemble des salariés au capital – que nous souhaitons renforcer. Les travaux du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS), conduits sous la supervision de Christophe Castaner, sont aujourd’hui en discussion entre les partenaires sociaux. Le rapport, remis au Gouvernement le 26 novembre dernier, propose de remédier aux inégalités entre salariés, qui en voient huit sur dix bénéficier de l’épargne salariale dans les grandes entreprises, contre un sur dix dans les plus petites. Il semble important d’élargir et de simplifier ces mécanismes. Ensuite, sans oublier les contraintes qui pèsent sur les finances publiques, il nous faut trouver les moyens de restaurer l’attractivité au regard de ces dispositifs du forfait social, nous montrer plus incitatifs pour les PME et créer des mécanismes adaptés pour les investissements responsables. Le rapport du COPIESAS propose plusieurs pistes pour y parvenir.

L’État pourra céder certains de ses actifs afin de mettre en œuvre une stratégie de désendettement – quelque 4 milliards d’euros au titre du projet de loi de finances pour 2015 – et de réinvestissement. Ces deux objectifs doivent être réalisés à parité : l’État doit disposer de marges de manœuvre pour sauver des grands groupes en situation difficile – à l’instar de ce qui a été fait pour Alsthom ou PSA – et pour investir dans les projets prioritaires, tels que la transition énergétique ou les infrastructures publiques. Aussi le texte propose-t-il de mieux accompagner les projets industriels d’entreprises publiques et en particulier d’autoriser le Gouvernement à mettre en œuvre le rapprochement, annoncé le 1er juillet 2014 et porté par Jean-Yves Le Drian, entre l’entreprise française Nexter et l’allemande KMW, qui permettra de créer un leader européen de l’armement terrestre. Ce volet de la loi prévoit également l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques, notamment celui des aéroports de Nice et de Lyon, qui permettra à l’État de dégager des ressources financières pour les usages évoqués.

Le texte vise également à développer le logement, en particulier intermédiaire, et à favoriser l’investissement grâce à la simplification et à l’accélération des procédures, afin d’en augmenter la rentabilité. Ce développement, essentiel dans les zones tendues, est aujourd’hui entravé par des difficultés techniques liées à la réglementation, que cette loi propose de simplifier, et par les problèmes génériques que rencontre le secteur du logement : délais de délivrance des avis et accords périphériques au droit des sols trop long, complexité des régimes d’autorisation, volume trop important des études environnementales à produire. Les mesures pour y remédier, dont certaines ont été annoncées par le Premier ministre l’été dernier et préparées par Sylvia Pinel et Thierry Mandon, figureront dans le texte ou seront prises par ordonnances. Il s’agit notamment de permettre aux organismes HLM de construire, d’acquérir et de gérer des logements intermédiaires par le biais d’un mandat de gestion confié à une filiale. Les communes pourront délimiter, au sein de leurs documents d’urbanisme, des secteurs à l’intérieur desquels la réalisation des logements intermédiaires pourra bénéficier d’une majoration de constructibilité.

Au-delà des dispositions relatives au logement, la loi permettra de sécuriser des opérations d’importance majeure en étendant les expérimentations d’autorisation unique et de certificat de projet actuellement en cours, en particulier aux grands projets économiques de la région Île-de-France. Il s’agit notamment de permettre l’instruction coordonnée et la délivrance en un seul acte de l’ensemble des autorisations relevant de l’État et applicables à un projet industriel ou agricole. Cette mesure permettra d’accélérer les procédures et de déclencher non seulement les investissements, mais les travaux concrets qu’attendent beaucoup de secteurs. Le certificat de projet constitue, quant à lui, une réponse-garantie délivrée en deux mois par le préfet de département, qui permet aux acteurs économiques de bénéficier, pour une opération donnée, d’un interlocuteur unique, d’un engagement de l’administration sur les procédures nécessaires et sur ses délais d’instruction, et d’une sécurité juridique grâce à une cristallisation, sauf exceptions, du droit applicable pendant dix-huit mois à partir de la date de délivrance du certificat. Cet ensemble de dispositifs donnera plus de visibilité et de certitude aux acteurs économiques, permettant d’accélérer la réalisation des grands projets et de contribuer ainsi au retour de la croissance. La mission confiée par le Premier ministre à M. Jean-Pierre Duport aboutira à des propositions plus poussées sur toutes ces questions ; aussi le projet de loi prévoit-il la possibilité d’améliorer et de compléter ses dispositions par voie d’ordonnances.

Enfin, nous proposons de réformer les procédures collectives, élément important pour la vitalité de notre économie et le volontarisme que nous voulons y insuffler. Aujourd’hui, je le constate toutes les semaines, de nombreuses procédures de redressement judiciaire révèlent que des entreprises en difficulté sont liquidées, vidées de leurs actifs, et leurs emplois détruits parce que les actionnaires n’ont pas la possibilité – ou la volonté – de financer leur sauvetage. Contrairement à l’Allemagne, notre droit consacre actuellement la primauté absolue de l’actionnariat, au nom de la protection du droit de propriété, même lorsque celle-ci conduit à la disparition de l’entreprise et de ses emplois, et à une atteinte aux droits des créanciers. C’est ce principe que nous proposons de revisiter : lorsque les dirigeants et les actionnaires ne pourront plus sauver leur entreprise, vouée de manière certaine à la liquidation, le tribunal pourra, en dernier recours, permettre à des créanciers ou à de nouveaux investisseurs d’en prendre le contrôle contre l’avis des actionnaires. En contrepartie, ils devront mettre en place et financer un plan offrant une nouvelle chance à l’entreprise pour maintenir l’activité et le plus d’emplois possible.

Travailler est le dernier pilier du projet de loi. Nous devons adopter une approche pragmatique du travail – valeur importante et nécessité vitale pour de nombreux Français. Alors que depuis trente ans, notre pays n’a pas connu de baisse massive et durable du chômage, l’amélioration de certains éléments du droit et du fonctionnement du marché du travail permettra de stimuler l’activité, de renforcer la sécurité des salariés et d’augmenter le nombre d’emplois. C’est l’objectif que poursuit la réforme relative au travail du dimanche. Considérée tantôt comme insuffisante, tantôt comme régressive, cette mesure cristallise bien des inquiétudes ; le texte cherche pourtant un équilibre pragmatique qui permettra de créer des emplois assortis de toutes les garanties nécessaires pour avancer sur la voie du progrès et de la justice.

Il s’agit avant tout de donner plus de liberté aux élus locaux, le maire pouvant octroyer douze – et non plus cinq – dimanches ouvrés dans l’année, cinq devant l’être de manière obligatoire. Cette mesure a suscité des réactions dans certaines zones où elle n’apparaît pas comme une nécessité ; mais en laissant aux élus locaux le soin de l’adapter à leur territoire, ce texte a voulu adopter une philosophie pragmatique et renoncer à tout réglementer depuis Paris. En revanche, pour les zones touristiques internationales à fort potentiel d’activité, il est de l’intérêt national d’ouvrir les commerces le dimanche et en soirée, car on est certain que cela générera un surcroît d’activité. Cette disposition concerne quelques zones touristiques dans Paris et en province, et une vingtaine de gares à forte activité que la SNCF a elle-même identifiées, la mesure représentant potentiellement mille emplois directs et mille emplois indirects. Pour ces zones, le projet de loi prévoit que l’exécutif reprenne la main pour en définir les contours après concertation avec les collectivités concernées. Un dernier élément conditionnera cependant la possibilité d’y ouvrir un commerce le dimanche et en soirée, un élément de progrès et de justice trop souvent oublié : le principe de la compensation que ce texte propose de fixer dans la loi. D’ores et déjà, 30 % des Français travaillent de manière occasionnelle ou régulière le dimanche, dans plus de 600 zones touristiques, sans garantie légale d’être compensés. Des compensations sont pratiquées là où des accords ont été trouvés mais, à la différence des zones commerciales, il n’existe pas d’obligation en ce sens. Le texte propose de simplifier la règle et d’en accroître l’ambition en posant que le principe de la compensation doit être toujours défini dans un accord de branche, d’entreprise ou de territoire, aucune ouverture dominicale ne pouvant se faire sans l’existence d’un tel accord. Le projet de loi prévoit un délai de trois ans pour permettre aux commerces aujourd’hui ouverts de s’adapter à la nouvelle disposition. Cette mesure, qui affirme la confiance dans le dialogue social, fait de ce texte un vecteur de progrès, générateur d’activité.

Cette loi porte également réforme de la justice prud’homale pour rendre celle-ci plus simple, plus rapide, plus prévisible et plus efficace. Aujourd’hui, les délais sont trop longs, atteignant vingt-sept mois en moyenne en cas de départage, la conciliation trop rare puisqu’elle ne concerne que 6 % des décisions, et les décisions trop fragiles : 71 % des dossiers frappés d’appel sont infirmés, soit beaucoup plus que la moyenne nationale des autres contentieux. Le texte propose de rendre obligatoire et d’améliorer la formation initiale et continue des conseillers prud’homaux, et de renforcer leurs obligations déontologiques. Il prévoit également de raccourcir considérablement les délais et de mieux encadrer la phase de conciliation, le bureau de jugement en formation restreinte devant statuer sous trois mois. Par ailleurs, la procédure pourra être notablement accélérée par le passage direct de la phase de conciliation à la formation de jugement présidée par un juge professionnel. Le regroupement des contentieux sera mis en œuvre lorsqu’il est de l’intérêt d’une bonne justice que des litiges pendants devant plusieurs conseils des prud’hommes situés dans le ressort d’une même cour d’appel soient jugés ensemble. Tous ces dispositifs permettront de resserrer les délais, mais il reste possible d’améliorer le texte en renforçant les justifications au moment de la conciliation et en donnant plus de visibilité à toutes les parties dès le début de la procédure prud’homale.

Nous devons également procéder à d’autres améliorations, en particulier en sécurisant les plans sociaux grâce au travail conduit par François Rebsamen. En effet, la loi de sécurisation de l’emploi avait mis en place une procédure de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) négocié, enserré dans des délais nécessaires à un aboutissement rapide ; pour respecter l’esprit de cette disposition, l’annulation de la décision de l’administration pour insuffisance de motivation n’entraînera plus l’invalidation du PSE et donc le versement d’une indemnité à la charge de l’employeur. Il est logique et conforme à l’intérêt de l’employeur et des salariés de ne pas faire porter les conséquences d’une erreur de l’administration à l’entreprise et de ne pas retarder inutilement le déroulement de la procédure. Les autres éléments qui viennent clarifier la loi de 2013 ont été préparés par François Rebsamen et ses équipes, et concertés avec les partenaires sociaux avant d’être proposés dans ce texte.

Le texte comporte des mesures de lutte contre la prestation de service internationale illégale de sorte à protéger les travailleurs, en particulier les moins qualifiés, et les petits employeurs des secteurs les plus soumis à cette concurrence déloyale. Le contrôle des entreprises sera renforcé. Aujourd’hui, en France, le nombre de travailleurs détachés non déclarés dans le secteur du bâtiment est supérieur à 50 % de leurs 210 000 homologues déclarés ; cela conduit à la perte de marchés et d’emplois, à l’instabilité et à la tension sociale et politique sur nos territoires. Le projet de loi propose d’aggraver la sanction administrative en cas de défaut de déclaration de détachement et de refuser des comportements inacceptables : le non-respect du salaire minimum légal, le dépassement des limites de durée maximale de travail, l’hébergement indigne des travailleurs salariés par l’employeur sont autant de manquements qui permettront à l’autorité administrative compétente d’enjoindre à un ou plusieurs employeurs établis à l’étranger et détachant des salariés de cesser leur activité.

Fruit d’un travail collégial de l’ensemble du Gouvernement, ce texte s’appuie sur beaucoup de travaux menés durant les derniers mois, voire les dernières années, dont ceux pilotés par des parlementaires. Les divers qualificatifs appliqués à ce projet de loi, le plus souvent sans doute par défaut de lecture, apparaissent paradoxaux : il ne saurait être à la fois un texte inexistant et fourre-tout, une révolution civilisationnelle et presque rien. Il constitue plutôt un élément de progrès – le plus concret et cohérent possible – qui cherche à déverrouiller notre économie à un moment où les Français attendent que nous soyons pragmatiques. Ce texte a vocation à être enrichi et je souhaite que le débat parlementaire lui donne encore plus de souffle en s’attachant, partout où c’est possible, à en renforcer l’efficacité pour simplifier l’accès de nos concitoyens à certaines professions et à la mobilité, améliorer et faciliter leur vie, et stimuler la création d’activité sur notre territoire.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, certains collègues craignent que notre commission ne manque de temps pour examiner ce texte avant son passage en séance le 26 janvier. Peut-être pourriez-vous en toucher deux mots à votre collègue chargé des relations avec le Parlement.

Je tiens à remercier le rapporteur général pour avoir synthétisé les questions des rapporteurs thématiques en une seule intervention afin de laisser à l’ensemble des députés qui le souhaitent le temps de s’exprimer.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le premier objectif de ce projet de loi est de développer l’activité en France afin de faciliter la vie aux jeunes, aux personnes privées d’emploi et à ceux qui voudraient investir. Cette volonté d’assouplir des rigidités, de simplifier les procédures et de créer des accès nouveaux à des professions ou à la mobilité passe par des mesures concrètes, par exemple en matière de transport par autocar. Le texte comporte également une réforme emblématique : la liberté d’installation régulée de certaines professions réglementées, qui ouvrira de nouvelles possibilités aux jeunes diplômés, mais aussi à des salariés aguerris. Faciliter l’activité, c’est aussi, tout en réaffirmant la règle du repos dominical, répondre à la demande des Français qui souhaitent profiter de plus de commerces ouverts le dimanche et permettre aux nombreux touristes qui viennent dans notre pays d’avoir accès à des magasins qui représentent l’excellence française. Enfin, un examen précis des participations publiques garantira l’utilisation efficace de l’argent public, et l’ouverture du capital de certaines sociétés permettra de développer l’outil industriel, d’élargir les perspectives d’emploi et d’encourager l’activité économique.

Ce texte se donne comme deuxième objectif transversal d’offrir plus de droits aux salariés et de mieux réguler l’activité économique en renforçant le rôle des autorités administratives indépendantes. Pour sécuriser la situation des salariés, il fait en sorte qu’à terme, tous ceux qui travaillent le dimanche dans un commerce de détail le fassent volontairement et en étant couverts par un accord collectif prévoyant de justes compensations. Il modernise également l’inspection du travail afin que les droits des salariés soient mieux protégés, crée un véritable statut du défenseur syndical au sein de la justice prud’homale et renforce la lutte contre la prestation de service internationale illégale. Plusieurs autorités indépendantes sont dotées de nouvelles compétences qui leur permettront de mieux réguler certaines activités économiques. Rénover la participation des salariés est un gage de leur implication dans le développement de leur entreprise puisque l’actionnariat salarié contribue à l’établissement d’un socle de financement stable et durable. L’élargissement et la simplification de l’épargne salariale sont souhaitables à tous égards.

Enfin, le troisième objectif transversal poursuivi par ce projet de loi est de simplifier et de moderniser les législations et réglementations en vigueur, cet effort devant permettre de faciliter l’activité de l’ensemble des acteurs économiques – entreprises, personnes publiques et salariés. En matière de droit de l’urbanisme et de l’environnement, cela passe par le développement des autorisations uniques ou l’allégement des obligations comptables des très petites entreprises (TPE) pendant leur période d’inactivité. Les tribunaux de commerce doivent pouvoir traiter de manière plus efficace et plus rapide les dossiers les plus complexes, présentant des enjeux économiques et sociaux de premier ordre. La modernisation passe aussi par la réforme de la justice prud’homale, attendue par tous les acteurs du système, l’objectif étant de raccourcir les délais de jugement.

L’économie étant par définition partout, ce projet de loi porte une vaste ambition et touche de nombreux secteurs. Monsieur le ministre, le Parlement entend exercer pleinement ses compétences et enrichir ce texte que vous portez. C’est pourquoi, au nom de mes collègues rapporteurs thématiques – Gilles Savary, Cécile Untermaier, Christophe Castaner, Clotilde Valter, Laurent Grandguillaume, Stéphane Travert et Denys Robiliard –, je souhaite d’ores et déjà vous interroger sur quelques points précis.

Le chapitre Ier du titre Ier du projet de loi prévoit d’étendre les compétences du régulateur ferroviaire qu’est l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) au transport public routier interurbain de voyageurs et au secteur autoroutier. L’ARAF deviendra ainsi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER. Actuellement, l’ARAF dispose de l’autonomie financière, et ses ressources sont précisées dans le code des transports. Elles proviennent d’un droit fixe dû par les entreprises ferroviaires en proportion du montant des redevances d’utilisation du réseau ferré national, qu’elles versent à Réseau ferré de France (RFF) dans la limite de cinq millièmes de ce montant. L’ARAF perçoit également, le cas échéant, des rémunérations pour services rendus. Á ce stade, le projet de loi ne prévoit aucune disposition concernant l’évolution des recettes de l’ARAFER au regard des nouvelles compétences que vous envisagez. Aussi, nous souhaiterions savoir si des amendements gouvernementaux sont prévus en ce sens, et si, le cas échéant, vous seriez favorable à ce que le droit fixe évoqué précédemment soit étendu, selon des modalités de calcul à déterminer, aux nouveaux bénéficiaires de la régulation de cette autorité, à savoir les entreprises de transport public routier interurbain de personnes et les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

L’article 21 du projet de loi, ensuite, prévoit d’habiliter le Gouvernement à créer par voie d’ordonnance la profession d’avocat en entreprise. Cette ordonnance devrait fixer les conditions dans lesquelles les personnes titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) ou celles exerçant les fonctions de juriste d’entreprise depuis au moins cinq ans pourraient être salariées par une entreprise afin de lui délivrer des prestations juridiques couvertes par le secret professionnel lié à la qualité d’avocat. Sans déflorer le rapport que rendront Mme Untermayer et M. Houillon, leurs conclusions et les miennes seront proches sur ce point : le statut des avocats, qui doivent exercer leurs fonctions en toute indépendance, est manifestement incompatible avec celui de salarié, subordonné à un employeur, qui se trouve aussi être son client. Par ailleurs, la pertinence économique d’une telle proposition ne saute pas aux yeux.

Il est vrai que, dans le contexte de concurrence économique internationale, il est très gênant que les juristes d’entreprise français ne puissent protéger par le secret leurs prestations juridiques. Ne pensez-vous pas qu’au lieu de créer une énième profession juridique, hybride et réglementée, il serait préférable de garantir par la loi le secret des correspondances des juristes d’entreprise ?

S’agissant de l’épargne salariale, les organisations représentatives des salariés et des employeurs sont en train de négocier pour arrêter une position commune sur l’association des salariés à la performance et à la création de valeur au sein de l’entreprise. Un accord se traduirait par des mesures reprenant pour partie celles issues des travaux du COPIESAS. Sous quelle forme et jusqu’à quel point comptez-vous intégrer les propositions issues de cette délibération, si elles étaient adoptées, conformément à la feuille de route de la grande conférence sociale ?

Pour une plus large diffusion des dispositifs d’association des salariés à la performance de l’entreprise, les partenaires sociaux souhaitent qu’en soit revu le cadre fiscal et social. En effet, l’alourdissement continu des charges sur l’épargne salariale peut avoir un effet dissuasif, et de nombreux partenaires sociaux demandent que le taux du forfait social soit ramené à 8 %. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

À l’article 28, partant du constat que les grands projets industriels et urbanistiques souffrent de délais de réalisation trop longs, vous sollicitez de l’Assemblée une habilitation pour mettre en œuvre, par voie d’ordonnance, les recommandations du préfet Jean-Pierre Duport. Pensez-vous que l’administration sera en mesure de faire face aux exigences posées par le permis environnemental unique, l’engagement d’une réponse sous deux mois, le certificat de projet, ou encore d’améliorer la procédure d’instruction des projets touristiques en montagne ?

La spécialisation des tribunaux de commerce, par ailleurs, ne risque-t-elle pas de fragiliser le maillage territorial qu’assure la présence de ces juridictions, et peut-on être assuré, pour garantir ce maillage, de la présence pérenne d’un tribunal de commerce par ressort de cour d’appel ?

De même, le Gouvernement envisage-t-il d’amender le projet dans le but de créer un statut juridique unique de l’entrepreneur individuel, statut qui est attendu ?

En ce qui concerne les contreparties pour les salariés privés de repos dominical, le projet de loi présente des avancées majeures puisqu’il procède à une quasi-généralisation de l’obligation de conclusion d’un accord collectif fixant ces contreparties, et propose des mesures visant à protéger le volontariat du salarié. Toutefois, il ne fixe pas de plancher pour la rémunération du travail le dimanche. Ne pourrait-on envisager de fixer un tel plancher dans la loi, le cas échéant en proposant d’en exonérer certains petits établissements indépendants, mais sans exclure les établissements franchisés dépendant d’autres entités ?

Le projet de loi propose de porter les dimanches dits « des maires » à douze, potentiellement, dont cinq pour lesquels l’ouverture serait de droit. Ce nombre peut paraître adapté à Paris et dans quelques autres grandes villes, mais il est sans doute excessif sur la plus grande partie du territoire, où les modes de vie sont différents, et les besoins et les demandes de la population moins importants. En cette phase de décentralisation, une évolution sur ce point ne serait-elle pas opportune, accordant davantage d’initiative et de compétences aux élus locaux en charge du développement économique – présidents de communautés de communes, présidents de métropoles ou maires?

Le projet prévoit encore d’habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance pour doter l’inspection du travail de nouveaux pouvoirs. Or le Parlement a longuement débattu de cette question à l’occasion du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, puis lors de l’adoption par la commission des affaires sociales d’une proposition de loi reprenant pour l’essentiel les termes de l’article 20 du projet de loi de Michel Sapin. Dès lors, nous pourrions peut-être discuter, à la faveur du présent projet, des pouvoirs de l’inspection de façon à ce que la réforme engagée par Michel Sapin puisse entrer rapidement en vigueur. Ce serait une manière d’optimiser le travail législatif.

Enfin, vous proposez une réforme de la procédure prud’homale visant notamment à accélérer les délais. Une partie de la réforme repose sur un recours plus rapide aux juges départiteurs. Ne prend-on pas le risque d’affaiblir un des piliers de cette juridiction, à savoir que l’on y est jugé par ses pairs ? Par ailleurs, est-on certain que la Chancellerie aura les moyens de créer les postes de juges départiteurs nécessaires pour atteindre l’objectif du projet de loi ?

M. Jean-Yves Caullet. Ce texte nous propose de relever un défi dans une France où, selon certains, il ne serait possible de progresser que de ruptures en grands soirs, de destructions de droits en constitutions de barricades. Je considère, moi, qu’il est possible de moderniser des dispositifs dans le sens à la fois de l’activité et de la garantie des droits. Il est possible également de simplifier les procédures sans renoncer à la sécurité juridique, ce qui semble souvent contradictoire. Vous nous proposez, monsieur le ministre, un texte de nature à redonner confiance dans notre capacité à évoluer, et à présenter tant à l’intérieur qu’à l’extérieur l’image d’un pays qui sait se prendre en main, qui sait à la fois protéger et s’ouvrir sur l’avenir. Nous devons relever ce défi ensemble.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous avez bien voulu, monsieur le président, transmettre au ministre l’inquiétude de la Commission quant au temps qui nous est imparti pour débattre, et je vous en remercie. Je sais que le rapporteur général est sous contrainte, mais, en nous annonçant cet après-midi à 14h50 le programme des auditions de la journée de demain, il ne facilite pas notre présence. Je le remercie d’avoir programmé cette journée, mais que l’on ne reproche pas ensuite à l’opposition de ne pas avoir assisté aux auditions, car nous avons une circonstance atténuante.

Votre présentation, monsieur le ministre, était très instructive. Vous avez évoqué l’anémie de l’économie française – constat que nous partageons –, puis vous nous avez invités au pragmatisme ; mais le niveau de détail dans lequel vous êtes entré aussitôt après indique suffisamment que votre projet de loi ne présente pas de réforme d’ampleur.

Si j’en crois les plus récents commentaires de certains organismes publics, redonner du souffle à l’économie française impliquerait d’adopter un grand projet fiscal, projet que, depuis l’annonce de Jean-Marc Ayrault, nous attendons toujours. Cela impliquerait également de conduire une action sur le coût du travail – ce que nous ne voyons pas non plus dans votre projet –, de revenir sur le financement de la protection sociale, en particulier pour les retraites, et d’engager des réformes de structure de la puissance publique. Aucun de ces quatre éléments ne figure dans votre projet ; là où il n’y a pas de réforme d’ampleur, il ne saurait pas davantage y avoir de résultats conséquents. Cela dit, nous pouvons faire nôtre le pragmatisme auquel vous nous invitez, et nous serons certainement amenés à soutenir, ponctuellement, certaines mesures de bon sens.

Vous regrettez que votre texte fasse l’objet d’interprétations paradoxales, mais c’est parce qu’il supporte plusieurs niveaux de lecture.

Il comporte, tout d’abord, des mesures d’une portée extrêmement différente, qui vont de la restructuration de professions entières et la correction d’erreurs matérielles dans la loi sur les taxis de 2014. Nous pouvons donc nous demander à quel niveau d’intervention il se situe.

Peuvent ensuite faire l’objet de plusieurs niveaux de lecture, ses intentions. S’agit-il d’une volonté de simplifier ou bien de venir à résipiscence sur certaines mesures votées par votre gouvernement il y a quelques mois, dont vous vous êtes rendu compte qu’elles n’étaient pas opérantes ? S’agit-il d’une volonté de pragmatisme ou bien d’une soumission aux impératifs de Bruxelles, avec qui vous auriez négocié un peu de déficit budgétaire supplémentaire contre un peu de dérégulation des professions réglementées, que Bruxelles n’aime pas ? S’agit-il d’une ouverture de l’accès à certaines professions ou bien plutôt d’une forme de déstructuration mortelle pour certains territoires et pour la ruralité ? S’agit-il de liberté supplémentaire ou, au contraire, de contraintes supplémentaires, notamment dans le domaine du travail dominical ?

Enfin, en dépit de la qualité de l’étude d’impact, la partie sur les professions réglementées ne fait pas mention des conséquences pour les territoires, non plus que celle sur le travail dominical s’agissant de la vie des salariés.

Si vous avez reçu ces critiques, c’est que votre texte n’est pas clair sur ses intentions ni sur sa portée. C’est pourquoi, sauf exception, nous le combattrons.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI partage le constat qu’il faut lever les blocages de notre société, mais ce texte n’aborde pas les sujets les plus importants : temps de travail, code du travail, pouvoir d’achat. Par ailleurs, les mesures concernant les professions réglementées nous laissent perplexes. Nous ne sommes pas persuadés que vos propositions conduiront à une amélioration. Ne risquent-elles pas, au contraire, de détruire des systèmes qui fonctionnent ? Ces professions, telle celle de notaire, ont un tarif, certes, mais elles font aussi des choses gratuitement ; si nous changeons le tarif, le risque est que ces choses gratuites deviennent payantes, et le système finalement globalement plus cher.

Nous avons auditionné ce matin quatre jeunes futurs notaires. J’ai commencé par leur demander combien d’entre eux étaient fils de notaire. C’était le cas d’un sur quatre ; on est loin des chiffres que vous avancez. Ils ont soulevé le très important sujet de la formation. Les écoles de formation sont financées par le notariat, et cela lui coûte 4 millions d’euros chaque année. Ne craignez-vous pas que les notaires se désengagent de la formation, de sorte que ce sera la société qui payera ? Les coûts de votre réforme sont peut-être beaucoup plus importants que vous ne l’imaginez.

Le groupe UDI aborde le débat sans hostilité mais non sans une certaine perplexité. Nous souhaitons faire des propositions, travailler à enrichir le texte pour parvenir à débloquer notre société.

Mme Michèle Bonneton. Ce texte, annoncé depuis plusieurs mois, couvre des thèmes très variés. Vous nous proposez de libérer l’activité, de favoriser l’investissement ou encore de soutenir le travail ; chacun ici s’accordera sur l’importance de ces objectifs. Toutefois, les moyens proposés et la vision de l’économie et de la société qui sous-tendent ces mesures suscitent l’interrogation du groupe écologiste.

Le recours, à des dizaines de reprises, à la procédure des ordonnances, parfois pour revenir sur les équilibres de textes ayant fait l’objet de longs débats parlementaires pendant cette législature, et tout juste promulgués, nous laisse un goût amer.

Dans le cadre du pacte de responsabilité, le gouvernement a lancé plusieurs vagues de simplification en ayant recours aux ordonnances. Nous avons exprimé hier, lors de la discussion du texte issu de la CMP sur le dernier projet de loi de simplification, nos réserves sur cette méthode. Trop souvent, simplification rime avec libéralisation, avec pour conséquence un recul social et moins de moyens pour les services publics, qui sont le patrimoine de tous les Français et contribuent à la stabilité sociale et juridique de notre pays, protégeant les plus faibles, ceux qui n’ont pas les moyens de recourir à une assistance privée.

Par ailleurs, quel type d’activités s’agit-il de développer ? Constitueront-elles, pour la France, un moteur d’activité à la fois socialement, environnementalement et économiquement responsable et durable ? Les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous alertent de façon de plus en plus pressante : le dérèglement climatique ne cesse de s’accélérer. Où sont, dans ce texte, les éléments mettant l’accent sur cette problématique ? La prospérité, dans les décennies à venir, reposera sur des activités compatibles avec la lutte contre le changement climatique. C’est d’un changement de modèle dans la durée dont nous avons besoin. L’empilement des mesures proposées est au mieux, à ce stade, un aménagement de l’existant.

Certaines mesures vont dans le bon sens, telles que le contrôle des sociétés autoroutières, la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État détient des participations, l’encouragement à l’innovation, le soutien aux jeunes créateurs d’entreprise, la simplification de l’accès au très haut débit dans les immeubles en copropriété.

D’autres sont plus problématiques. Ainsi, la réforme des professions réglementées risque d’aboutir à une concentration et à une désertification en milieu rural ainsi que dans les quartiers les moins riches, et donc de fragiliser le maillage territorial. La mise en concurrence du rail et de la route pour les liaisons interurbaines, alors même qu’est discutée au Parlement la loi sur la transition énergétique, est troublante. La simplification des procédures d’urbanisme par voie d’ordonnance nous inquiète également, ainsi que la démolition de bâtiments en infraction dans certaines zones seulement. Par ailleurs, nous sommes perplexes devant la remise en cause de pans entiers des équilibres de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), remise en cause dont l’objectif est essentiellement de soutenir les promoteurs immobiliers. Sans parler de l’extension du travail le dimanche – je rappelle que les petits commerçant dans leur grande majorité sont contre, ainsi que certains grands groupes – ni de la levée de certains garde-fous de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, de la modification de l’inspection du travail par ordonnance, de la privatisation d’aéroports rentables.

Vous l’aurez compris, pour les écologistes, il manque à ce texte des dimensions entières pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, et le débat parlementaire devra le faire évoluer en profondeur si vous souhaitez redonner de l’optimisme aux Français.

J’en viens à nos questions. Vous envisagez une réforme des professions réglementées, domaine dans lequel un maillage territorial est indispensable. N’existe-t-il pas un risque que les mesures proposées conduisent à une concentration excessive du secteur, avec pour conséquence la disparition de ces professionnels en milieu rural et dans les quartiers les moins favorisés ? Comment éliminer ce risque ?

Ensuite, la loi met en concurrence le rail avec la route pour les liaisons interurbaines. Quelles mesures d’accompagnement du rail entendez-vous prendre pour que celui-ci soit le transport de l’avenir ?

À l’article 26, vous proposez une procédure unique pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Quelle organisation envisagez-vous de mettre en place afin d’assurer une instruction qui permette une étude et un rendu différenciés dans les divers domaines concernés : eau, air, sols, biodiversité, sécurité des personnes, santé publique ?

Enfin, des parties significatives de la loi ALUR sont remises en cause, en matière de rapports entre locataires et bailleurs, par exemple. Il est difficilement acceptable qu’une loi dont l’équilibre résulte d’un débat parlementaire fructueux de huit mois, et qui a été votée par l’ensemble de la gauche, soit aujourd’hui remise en question par des ordonnances. S’il est intéressant d’encourager le logement intermédiaire, cela ne doit pas nuire au logement social, aux offices HLM et autres bailleurs sociaux. Que prévoyez-vous pour que le logement social ne soit pas délaissé au profit des logements intermédiaires ?

M. Alain Tourret. Entre l’économie administrée et l’économie de la créativité, il faut choisir, et vous avez choisi, monsieur le ministre. En économie aussi, il est possible d’être de gauche et novateur ; je crois l’avoir montré avec mes vingt propositions pour moderniser la fonction publique. Pour être novateur, il faut dresser un état des lieux, un état des blocages et des thromboses qui conduisent notre économie à l’embolie. Jacques Attali, avec son intelligence rayonnante, a répondu en son temps à la demande d’un ancien Président de la République ; ses propositions ne furent que peu suivies d’effet, et la société continua de démontrer son incapacité à se réformer.

Il est vrai que la tâche est difficile, car la France a oublié son souffle révolutionnaire pour assurer la pérennité des charges et des offices, un peu comme la France de l’Ancien Régime. Or des trésors de créativité ne demandent qu’à émerger. Il suffit de se rappeler que « small is beautiful ». On ne peut qu’être séduit par la créativité des start-up et des auto-entreprises. Chaque fois qu’un entrepreneur est un créateur, il faut l’aider, tant son pari peut paraître fou et risqué. Cet entrepreneur peut appartenir au secteur privé ou, et ce serait une nouveauté, à la fonction publique.

L’économie du risque est à l’opposé de l’économie administrée. Votre mérite, monsieur le ministre, sera d’avoir déclaré la guerre au système qui s’appuie sur les corporatismes, sur la complexité, sur la complication. Votre mérite sera d’avoir compris que le travail peut être épanouissant, que la valeur travail est de gauche. En son temps, M. Sarkozy a commis un hold-up en soutenant qu’il fallait travailler plus pour gagner plus, misant sur le souhait du travailleur de gagner plus pour améliorer son pouvoir d’achat. Il est temps de se rappeler qu’il vaut mieux travailler que ne pas travailler, que le travail est épanouissant, équilibrant, et pas simplement une source de pénibilité comme on veut nous le faire croire. Cette loi est portée par la gauche, par le radicalisme, car c’est une loi d’équilibre, une loi qui libère, qui n’interdit rien. J’espère que vos amis ne tailleront pas en pièces un texte de transparence et de simplification.

Permettez-moi quelques observations. Pour les professions réglementées, la libre installation doit être le principe, car elle assure la méritocratie républicaine. S’agissant des avocats, vous avez trouvé un juste équilibre sur la postulation, mais il ne faudra pas retenir l’avocat en entreprise, car être avocat c’est être libre, c’est ne pas dépendre d’un chef d’entreprise ni d’un seul client. Je sais que vous nous écouterez sur ce point.

S’agissant des tribunaux de commerce, vous proposez la création de tribunaux spécialisés. Il faudra le faire mais, à mon sens, à raison d’un tribunal par cour d’appel.

Vos propositions pour les entreprises en difficulté, avec des cessions d’actions ou d’obligations, sont courageuses, pour ne pas dire révolutionnaires. Elles s’attaquent au droit de propriété, mais le Conseil d’État reconnaît qu’elles sont conformes à l’intérêt général.

Enfin, en ce qui concerne les ouvertures du dimanche, il ne s’agit pas de passer de cinq à sept, ce qui serait une forme de libertinage, mais de faire confiance aux élus. Le chiffre de douze que vous proposez me semble parfait. Le tourisme est notre principale source de rentrées et de devises, et l’on ne voudrait pas le favoriser ? Ce serait incompréhensible !

Le texte a vocation à s’enrichir, mais à condition que les amendements renforcent sa modernité et prennent en considération la situation des individus. Avec cette loi, nous abordons un nouvel humanisme, un nouveau contrat social, une majorité d’idées. Vous avez bien compris, monsieur le ministre, que je ne mégotterai pas mon appui, tant je suis persuadé que l’économie ne reprendra son souffle qu’en faisant preuve d’audace, encore et toujours !

Mme Jacqueline Fraysse. Je commencerai par une remarque de méthode. La fixation du commencement des débats en séance au 26 janvier ne permet pas à notre commission de travailler dans de bonnes conditions. Je réitère donc notre observation de ce matin : il nous semble nécessaire de reculer la date d’examen en séance pour que la commission dispose de deux semaines de travail.

Sur le fond, j’entends souvent dire que ce texte est « fourre-tout ». Nous pensons, au contraire, que c’est un projet de loi structuré et parfaitement cohérent. Cohérent, parce qu’il répond aux injonctions de réformes structurelles libérales réclamées par Bruxelles, avec pour seuls maîtres mots : libéraliser et privatiser. Cohérent, parce qu’il s’inscrit directement dans votre ligne politique toujours plus dure pour nos concitoyens, appelés à accepter des reculs sociaux majeurs. C’est une ligne que nous avons combattue dans le cadre du projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la sécurisation de l’emploi, mais aussi lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de finances, une ligne fondée sur l’austérité budgétaire qui n’a donné, à ce jour, aucun résultat positif, au contraire.

Ce projet de loi est également structuré, parce que vous vous attaquez à des pans entiers de notre économie, pour la libéraliser, la privatiser ; au bout du bout, c’est notre modèle de société que vous mettez en cause. Quelques exemples suffiront à illustrer mon propos : la privatisation d’aéroports parfaitement rentables, qui prive l’État d’instruments d’aménagement et de développement du territoire pour offrir une rente de situation à des investisseurs privés, comme la droite l’a fait hier avec les autoroutes ; la libéralisation du transport en autocar, pour mieux le mettre en concurrence avec le train et justifier ainsi la privatisation à marche forcée des transports publics ; l’extension du travail dominical et de nuit, qui remet en cause la protection des salariés inscrite dans le code du travail, en l’espèce celle des salariés les plus vulnérables, notamment les femmes et les détenteurs de contrat précaire. Vous parlez de volontariat : c’est bien méconnaître la situation de ces salariés, à qui on dit qu’ils doivent être volontaires !

Vous prétendez également vouloir libérer les professions réglementées du droit et de la santé. Ces professionnels – nous les avons reçus – ne sont pas du tout hostiles à des évolutions en vue de se moderniser, mais vos propositions ne sont pas de l’ordre de la modernisation ; elles relèvent plutôt d’une hyper-concurrence entre ces professionnels, qui se retournera contre nos concitoyens. Si vous pensez qu’il y a des excès en matière de rémunération, il faut les corriger, mais cela ne justifie pas les mesures que vous proposez.

Vous vous attaquez, et ce n’est pas un hasard, au droit du travail, ainsi qu’aux instances de contrôle et aux juridictions du travail. Par ailleurs, beaucoup de dispositions feront l’objet d’ordonnances, nous privant ainsi d’un débat démocratique nécessaire.

Ce projet de loi n’est gouverné que par un seul principe : la marchandisation de la société, conduisant à son profond remodelage. Il s’agit de considérer les Français comme des sujets flexibles ou de simples consommateurs, et non plus d’abord comme des citoyens actifs, y compris le dimanche, et des travailleurs rémunérés correctement parce qu’ils apportent des compétences indispensables à la création de richesses.

Ce texte, non seulement ne peut répondre aux grands défis de notre temps – les études d’impact, quand elles existent, sont d’ailleurs loin d’être convaincantes –, mais il est extrêmement préoccupant pour l’organisation de notre société et son avenir. Il faudrait qu’il évolue fondamentalement, dans sa philosophie comme dans ses dispositions concrètes, pour que nous le votions.

Je poserai une seule question : quelles mesures envisagez-vous pour que l’encouragement de la construction de logements intermédiaires ne conduise pas à diminuer celle de logements sociaux, dont tant de nos concitoyens ont besoin compte tenu du montant des loyers ?

M. le ministre. Monsieur le rapporteur général, la mise en place de l’ARAFER aura lieu à la fin de l’année 2015. Il conviendra donc de prévoir les moyens dans la loi de finances pour 2016. Elle sera un régulateur de taille modeste. Des redéploiements au sein des administrations sont envisageables, puisqu’aujourd’hui c’est la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) qui est en charge du suivi des contrats de concession. Tout dépend de l’étendue des missions que nous déciderons in fine de confier à l’ARAFER. Si lui étaient confiées des missions comparables à celles de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), à savoir la vérification de l’équilibre des contrats et leur rentabilité, il faudrait alors prévoir des moyens en conséquence.

En ce qui concerne l’avocat en entreprise, je suis sensible aux arguments qui ont été avancés ; je comprends, notamment, le problème de la compatibilité avec la liberté de l’avocat. La question est celle du secret des informations, la Cour de justice de l’Union européenne ne reconnaissant pas le droit au secret des juristes. Il faut donc, pour assurer le secret, imposer une déontologie, surveillée par un ordre disciplinaire, et faire en sorte que cette déontologie permette l’indépendance. Aujourd’hui, plus d’une dizaine d’entreprises du CAC 40 ont choisi d’employer des avocats d’entreprise étrangers. La situation est donc problématique.

Je n’en fais toutefois pas un point dur. Nous pourrons essayer, dans le débat, de trouver une limite qui corresponde aux besoins des grands groupes internationaux ayant recours à ces professionnels étrangers, soit en définissant le statut tout en en limitant l’objet, ce qui permettra de rassurer certains avocats qui pensent que l’avocat en entreprise se substituera à eux, soit, si nous n’y parvenons pas, en traitant le problème de la confidentialité pour ces grands groupes. Pour ma part, je ne pense pas qu’en lui-même le salariat empêche l’indépendance et le respect de la déontologie ; certaines professions maintiennent une indépendance déontologique tout en étant sous régime de salariat.

Sur l’épargne salariale, M. le rapporteur général l’a rappelé, une discussion est en cours entre les partenaires sociaux sur la base du rapport du COPIESAS. Plusieurs propositions intéressantes devraient aboutir, parmi lesquelles la prime de partage du profit – débattue dans le cadre du PLFSS –, la modulation à la baisse du forfait social, en particulier pour les premiers contrats dans les PME, le fléchage par défaut de l’intéressement dans les plans d’épargne d’entreprise ou l’alignement des modalités techniques de l’intéressement et de la participation.

Comment rendre l’épargne salariale plus attractive ? Le taux du forfait social est passé de 8 à 20 %, et il n’est guère envisageable de le ramener à son niveau initial ; de nos travaux, du rapport du COPIESAS et des négociations entre les partenaires sociaux, il ressort que la modulation doit être proportionnée aux objectifs poursuivis afin d’éviter les risques juridiques. On peut revoir le taux légèrement à la baisse ou cibler le dispositif vers les premiers contrats ou vers des produits qui financent davantage l’économie : investissements dans les PME ou dans les projets sociaux responsables, par exemple. Le cadre des finances publiques est contraint mais, sur de tels sujets, nous devons avoir une approche dynamique : en favorisant l’accès à cet outil, on accroîtra aussi la base taxable. Je suis donc ouvert à un geste fort en ce domaine.

La réforme des tribunaux consulaires et le maillage territorial seront traités dans le cadre du projet sur la justice du XXIe siècle défendu par Christiane Taubira : je veux lever toute ambiguïté sur ce point. Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui ne supprime aucune juridiction : il tend seulement à créer neuf juridictions spécialisées pour les 150 affaires par an qui sont les plus importantes. Pour certaines restructurations lourdes, le fait que plusieurs tribunaux soient saisis, parfois le même jour, et rendent des décisions différentes est un facteur de déstabilisation – je pense, par exemple, à une affaire touchant à la nutrition animale, il y a quelques mois.

Pour ce qui concerne les entrepreneurs individuels, je suis favorable à un enrichissement du texte sur la base d’un consensus interministériel qui conviendrait aux professionnels. Laurent Grandguillaume a effectué un travail sur ce sujet et les parties prenantes attendent des résultats concrets, en particulier sur la simplification, conformément à l’engagement du Président de la République il y a quelques mois. La suggestion de M. Alain Tourret d’ouvrir le régime aux fonctionnaires – par exemple à des chercheurs – doit être regardée de près, notamment au regard des facilités accordées à ces derniers de quitter leur statut ou de l’aménager. Cette proposition est, en tout cas, conforme à l’esprit du projet de loi.

La question de la compensation pour le travail le dimanche est particulièrement sensible. Nous avions initialement envisagé le doublement des salaires dans les entreprises de plus de vingt salariés, mais ce mécanisme posait des problèmes d’effets de seuil, alors même que nous cherchons à y remédier par ailleurs. De plus, les enseignes s’arrangent toujours pour contourner le dispositif et rester en deçà des vingt salariés, y compris dans les grands magasins avec les corners. Il se trouve aussi que de nombreux commerces de centre-ville ne sont pas en mesure de doubler les salaires en cas d’activité dominicale, si bien que le risque est de fragiliser ces commerces par rapport aux grandes enseignes. Les accords de branche dans les professions accoutumées au travail le dimanche montrent d’ailleurs que la rémunération moyenne, pour ce travail, s’établit à 1,3 fois le salaire de base. Aussi avons-nous choisi de ne pas fixer de seuil, mais de renvoyer à des accords de branche et de territoire, accords auxquels sera conditionnée l’ouverture dominicale. De fait, l’hétérogénéité des situations rend difficile l’établissement d’un critère de compensation univoque.

Quant au nombre de dimanches décidés par les maires, nous proposons de passer de cinq à douze, dont cinq obligatoires : le rapport Bailly en préconisait sept à la main du maire et cinq sur décision des associations de commerçants, ce qui était, à nos yeux, susceptible de générer des tensions. La question se pose néanmoins du partage de la décision entre les maires et les présidents des intercommunalités.

Le Gouvernement a souhaité mettre en œuvre une réforme globale de l’inspection du travail, contenant deux volets : la mise en place, dès le 1er janvier 2015, d’une organisation plus collégiale qui permettra de mieux lutter contre la concurrence déloyale et le travail illégal ; l’efficience des sanctions, avec davantage de procédures administratives et moins de procédures pénales. À ce sujet, un projet de loi a été défendu par Michel Sapin et adopté par votre assemblée ; nous proposons de le reprendre par voie d’ordonnance, les partenaires sociaux ayant émis le souhait d’engager des discussions sur le sujet.

Quant aux procédures prud’homales, l’objectif est de réduire les délais et de donner davantage de lisibilité, en aucun cas de remettre en question le caractère paritaire de l’institution : en témoigne le rôle central accordé aux bureaux de conciliation et de jugement. La conciliation pourrait d’ailleurs faire l’objet de contraintes renforcées ; quant à la formation restreinte du bureau de jugement – un plus un –, c’est une novation qui permettra d’accélérer la procédure lorsque les parties le souhaitent ; dès lors le juge départiteur et ses assesseurs prud’homaux pourront être saisis à titre seulement complémentaire. Le texte repose néanmoins sur le pari que l’efficacité des bureaux de conciliation et de jugement permettra de limiter la saisine du juge départiteur et l’obstruction dilatoire.

Je remercie M. Jean-Yves Caullet pour son encouragement au pragmatisme. M. Jean-Frédéric Poisson, pour sa part, a prétendu que le texte ne contenait pas de réforme d’ampleur. Je récuse cette idée avec force. Le texte ne contient rien, nous objecte-t-on, sur le coût du travail, les retraites ou la puissance publique ; mais, que je sache, il ne s’agit pas d’une déclaration de politique générale : ces sujets sont traités par le crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE) et le pacte de responsabilité, la réforme des retraite et les 50 milliards d’économies réalisées loi de finances après loi de finances. On se fait donc plaisir avec de tels arguments. Les juridictions prud’homales et les professions réglementées n’ont jamais été réformées depuis plusieurs décennies pour les premières et depuis certaines ordonnances royales pour les secondes : si la présente réforme, comme d’autres que nous présentons en matière économique, ne sont pas des réformes d’ampleur, que n’ont-elles été engagées plus tôt ? Beaucoup ont échoué à le faire.

On a invoqué des impératifs bruxellois. Je ne défends aucune des présentes mesures pour complaire à qui que ce soit, mais parce qu’elles sont bonnes pour l’économie française, dont nous voyons bien qu’elle n’est pas en situation de force. L’idée d’un troc « pétrole contre nourriture » – en l’espèce, laxisme budgétaire contre réformes structurelles – avec Bruxelles n’a guère de sens au regard des traités. Il existe, sur le plan budgétaire, des procédures spécifiques qui interdisent ce genre d’approche. En prenant notre destin en main et en renforçant notre économie, nous devenons cependant plus crédibles à l’égard de nos partenaires ; nous pouvons nous montrer plus exigeants, demander davantage d’investissements et réorienter la politique européenne. Se recroqueviller sur soi et refuser les réformes n’est pas la meilleure façon de demander à l’Allemagne d’évoluer et à Bruxelles d’être plus ambitieux. Le projet de loi, en nous renforçant, a vocation à enrichir ce débat.

Nous ajouterons tous les éléments utiles en matière d’étude d’impact. De fait, nous devons, bien entendu, éviter tout effet négatif pour les territoires ou la vie des salariés. La liberté d’installation des notaires, par exemple, ne déstabilisera pas le maillage territorial puisqu’elle ne s’appliquera pas dans les zones saturées mais seulement dans celles où le manque est objectivement identifié. Bref, la réforme proposée est bien plutôt une réponse aux déserts territoriaux. La vie des salariés est également prise en compte, puisque le texte prévoit un dispositif de compensation qui n’existe pas aujourd’hui.

Je remercie le groupe UDI de sa volonté d’enrichir le texte. Pour ce qui concerne les tarifs des notaires, nous proposons en premier lieu un mécanisme d’appréciation des coûts réels, ce qui est normal pour tout secteur d’activité. Les systèmes de péréquation existants seront préservés, beaucoup d’actes étant tarifés en dessous de leur coût réel, notamment dans les territoires ruraux, et d’autres très au-dessus. Sauf à considérer que les notaires ont mis en place un dispositif caché pour assurer un équilibre entre les offices du boulevard Saint-Germain et ceux de la Lozère, les mécanismes de péréquation gagneront à la transparence ; d’où l’idée d’un corridor tarifaire, incluant un plafond et un plancher.

L’université forme beaucoup de notaires, et des dispositifs d’indemnisation sont prévus par le texte ; ils ne devraient cependant pas être nécessaires puisque l’équilibre de la profession sera préservé. En 2009, les notaires français s’étaient engagés à créer plusieurs centaines de postes ; ils ne l’ont pas fait. Il y a aujourd’hui, je le rappelle, 600 offices de moins qu’en 1980. La liberté d’installation est donc à la fois compatible avec la sécurité juridique, le maillage territorial et l’équilibre de la profession.

S’agissant des transports, la multimodalité est devenue la règle dans tous les pays. Je doute néanmoins que le texte conduise les usagers à se détourner massivement du train au profit des autocars : ceux qui en ont les moyens continueront de prendre le train ; les autres, le développement du covoiturage l’atteste, aspirent à se déplacer à moindres frais. L’ouverture du secteur des autocars leur donnera de nouvelles opportunités, y compris sur des trajets non couverts par le rail. Cela permettra également, sur les territoires, d’arbitrer entre le maintien d’une ligne de chemin de fer non rentable et l’autocar. C’est pourquoi nous avons proposé que l’autorité de régulation puisse se prononcer pour les transports infrarégionaux, quitte à refuser une ligne d’autocar quand la région a décidé d’investir dans le train ; à l’inverse, elle pourra aussi décider d’en ouvrir ou d’en compenser certaines. Moyennant cette régulation, le potentiel d’activité en ce domaine me semble important ; et si l’autocar doit se substituer à un autre mode de transport, ce sera bien plutôt au covoiturage qu’au train.

Aucune obligation ne sera levée s’agissant des installations classées : c’est la manière d’exercer ces obligations qui sera facilitée, afin de limiter les dépenses.

Quant aux relations entre locataires et bailleurs, le régime de la fin d’occupation de logements doit être clarifié dans certains cas particuliers, pour protéger les locataires. Afin de développer la mixité sociale, nous avons décidé de lever certains verrous. Dans beaucoup de zones tendues, le marché de logements intermédiaires est inexistant et le marché libre inaccessible pour beaucoup de ménages dont les ressources dépassent largement les plafonds d’éligibilité au logement social. Les investissements dans le logement social seront maintenus : la philosophie du texte est seulement d’améliorer la mobilité au sein de ce parc en développant le logement intermédiaire.

La simplification n’est pas forcément la dérégulation, au contraire : à chaque fois que l’on a simplifié, on a trouvé de nouveaux instruments de régulation.

Je remercie M. Alain Tourret d’être un avocat plus talentueux que je ne l’ai été du projet que je porte. Il a compris mon ouverture d’esprit sur les avocats d’entreprise ; quant à l’entreprenariat individuel dans la fonction publique, c’est une idée intéressante à verser au débat.

Plusieurs orateurs, parmi lesquels Mme Jacqueline Fraysse, ont évoqué les ordonnances. Il en existe de différentes sortes. La plupart de celles qui ont trait aux professions juridiques peuvent être intégrées telles quelles dans le texte : c’est d’ailleurs la solution que je proposerai – nous les avions seulement retranchées du projet de loi présenté au Conseil d’État pour raccourcir les délais. Le Parlement doit donner une direction, même si certaines de ces ordonnances nécessitent encore une concertation ; d’où l’habilitation sollicitée sur le permis de construire et l’aménagement, l’autorisation unique pour les installations classées, la carte d’identité virtuelle et l’inspection du travail. D’autres ordonnances, enfin, sont des transpositions de directives européennes, pour la communication à haut débit, les concessions et les commandes publiques. Certaines dispositions étant purement rédactionnelles, l’habilitation n’a d’autre but que d’alléger vos travaux dans le contexte des délais réduits que vous avez évoqué – je transmettrai d’ailleurs votre message à mon collègue chargé des relations avec le Parlement. Parmi les dispositions rédactionnelles, on peut citer la recodification suite à la création de l’ARAFER ou la recodification de l’ordonnance relative aux participations de l’État.

Le logement intermédiaire, madame Fraysse, s’inscrira dans les programmes de logements sociaux, à hauteur de 25 %, conformément au dispositif expérimental mis en œuvre avec la Caisse des dépôts et consignations. Tournant le dos au pragmatisme, vous avez attaqué ce texte avec une certaine violence, en utilisant des arguments déjà bien connus. J’espère que l’examen du texte sur le travail dominical vous convaincra qu’il n’y a pas de recul social, surtout au vu des compensations prévues, dont certains salariés sont aujourd’hui privés. Si le recul d’une civilisation s’apprécie au nombre de dimanches travaillés, à l’ouverture d’aéroports de proximité ou des transports par autocar, alors notre civilisation tient à peu de choses. Mais je ne partage évidemment pas ce point de vue. Quant à l’« hyperconcurrence » dont pâtiraient les professions réglementées, je m’étonne de vous voir embrasser, dans une alliance baroque, la cause d’un nouveau genre de prolétariat ; mais le débat permettra sans doute d’aller plus loin. J’ai, pour ma part, reçu beaucoup de jeunes salariés de ces professions ; nous n’avons pas fait les réformes qu’ils ne demandaient pas, mais beaucoup d’entre eux soutiennent celles que nous vous présentons. Les Français attendent qu’on les traite comme des citoyens capables de choisir leur vie et leur modèle de société, sans qu’on leur impose des vues du XXe, sinon du XIXe siècle.

M. Philippe Houillon. Je me félicite, monsieur le ministre, de votre intervention auprès de votre collègue en charge des relations avec le Parlement, puisque vous partagez notre constat sur les conditions d’examen du texte : je ne doute pas que vous nous apportiez bientôt une bonne nouvelle en cette période de Noël…

Je me réjouis aussi que vous soyez disposé à abandonner les mesures visant les avocats en entreprise. Je m’étonne, en revanche, que ce ne soit pas la garde des Sceaux qui défende un texte sur les professions réglementées, qu’elle connaît mieux que vous de par sa fonction même.

Pour les notaires, le numerus clausus fera désormais place à la liberté d’installation : celle-ci devient la règle, et le refus ponctuel l’exception. C’est tellement vrai, d’ailleurs, qu’un système d’indemnisation est prévu : quel serait le sens de cette disposition, si vous ne craigniez pas la paupérisation de certains professionnels et la menace d’inconstitutionnalité ? Au reste, comment parler de liberté pour les professionnels nouvellement installés s’ils doivent, le cas échéant, indemniser ceux qui sont déjà installés ?

Vous souhaitez, par ailleurs, créer des commissaires de justice alors que les professions concernées sont pour deux d’entre elles exercées par des officiers ministériels et pas la troisième. Comment entendez-vous procéder ? Allez-vous supprimer deux offices ministériels ou en créer un troisième ?

Enfin, si je comprends bien, c’est le client qui se mettra d’accord avec le professionnel pour convenir d’un tarif compris dans le corridor. Quid des huissiers de justice ? Ils se mettront d’accord sur un tarif avec leur client, le créancier ; mais ce tarif sera-t-il alors imposé au débiteur, puisque c’est lui qui paie ? Des éclaircissements seraient pour le moins souhaitables sur certains aspects techniques.

Chacun est d’accord pour s’adapter, mais le risque, de toute évidence, est la paupérisation de ces professions. Les avocats sont au nombre de 60 000 ; leur revenu médian s’établit à 3 000 euros par mois, ce qui signifie que 30 000 d’entre eux gagnent moins. Ce n’est pas forcément bon pour le consommateur non plus.

M. Yves Blein. Merci, monsieur le ministre, d’avoir recontextualisé le projet de loi dans l’ensemble du quinquennat : votre texte est une brique supplémentaire pour moderniser l’économie française.

Comme vous nous y avez invités, je me propose d’enrichir le texte, par exemple sur le permis de conduire : une consolidation du cadre légal applicable aux auto-écoles sociales est-elle envisageable ? Ces établissements effectuent un travail remarquable pour permettre aux plus démunis d’obtenir le permis de conduire, souvent indispensable pour trouver un emploi.

Dans un tout autre domaine, la réglementation relative aux séismes grève les investissements de nombreuses entreprises : ne pourrait-on allonger la procédure dans le temps ? Je pense notamment aux entreprises du secteur de la chimie et de la pétrochimie. Dans une première version du texte, vous envisagiez d’ailleurs des mesures les concernant.

Enfin, peut-on imaginer des dispositions en faveur du secteur de l’économie sociale, dont les entreprises ont parfois besoin, elles aussi, de simplification ?

M. Gilles Lurton. Vous nous avez toujours indiqué, monsieur le ministre, que le projet de loi serait élaboré en concertation avec les professions réglementées. Or cette concertation n’a pas eu lieu : pourquoi, sinon, 30 000 personnes auraient-elles manifesté la semaine dernière dans les rues de Paris ? L’un des principaux représentants d’une organisation syndicale déclarait, il y a peu, que vous l’aviez à peine rencontré ; j’ai moi-même reçu une délégation d’avocats qui m’ont fait valoir que votre texte était contraire aux principes qui régissent leur profession : il dérégulerait les prestations du droit au bénéfice des tenants de la marchandisation et au détriment des justiciables et des usagers. Outre que la profession du droit est, par son caractère libéral, largement ouverte à la concurrence, il importe, rappellent ces avocats, de maintenir le maillage des 164 barreaux de France afin d’éviter des déserts judiciaires – et qui dit désert judiciaire dit encore, bien entendu, disparition de tribunaux.

L’inquiétude a aussi gagné les notaires, qui exercent une profession régalienne d’authentification des actes aujourd’hui dématérialisés, conservés sur le long terme, leur assurant ainsi une sécurité juridique optimale. Cette profession garantit souvent des recettes qu’elle est seule habilitée à percevoir, parmi lesquelles des recettes fiscales pour le compte de l’État.

Le temps qui nous est imparti pour examiner ce projet de loi est extrêmement court : comment pourrons-nous organiser la concertation avec l’ensemble de ces professions avant le 26 janvier, date prévue pour l’examen en séance ?

M. Arnaud Leroy. Parmi les mesures susceptibles d’enrichir encore le texte, celles qui touchent au capital-risque me tiennent tout particulièrement à cœur. La France, vous le savez, possède un savoir-faire dans ce secteur susceptible de protéger nos industries et de créer des emplois. Votre projet prévoit déjà des mesures en ce sens ; mais seriez-vous ouvert à des dispositions qui donneraient aux capitaux-risqueurs français les mêmes armes que leurs concurrents anglo-saxons ou luxembourgeois ?

Je fais mienne l’angoisse suscitée par la création du statut d’avocat en entreprise. Dix sociétés du Cac40, c’est peu au regard du territoire français, et nous devons être conscients de la différence entre un barreau comme celui de Paris, qui compte sur la scène internationale, et ceux de province.

Ce texte pourrait aussi être l’occasion de proposer des avancées sur la croissance verte et les éco-ETI (entreprises de taille intermédiaire). Seriez-vous ouvert à des amendements en ce domaine ?

M. Julien Aubert. L’article 26 du projet de loi, relatif à la généralisation d’expérimentations d’autorisation unique, est similaire à d’autres mesures votées dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique. J’ai cru y voir une redondance, mais me suis aperçu que vous entendiez en réalité toucher à l’ordonnance du 20 mars 2014 en généralisant le dispositif à tous les types d’installations – y compris les usines et les centres de déchets. Or l’étude d’impact ne contient aucune analyse des effets environnementaux d’une telle généralisation. Se pose aussi la question de la cohérence entre les textes qui nous sont soumis, parfois dans des délais restreints.

Pourquoi l’ouverture de capital des professions réglementées créerait-elle de l’emploi ou de l’activité ? Fragiliser ces professions par rapport à des acteurs internationaux – cabinets anglo-saxons ou banques – est-il un facteur de progrès ? Le sens économique de cette mesure m’échappe toujours.

M. Jean-Louis Roumegas. Je veux soulever un problème de vocabulaire, qui recèle un problème de fond. Avec ce projet de loi, vous entendez faire renouer la France avec une croissance durable ; or, pour nous, la durabilité est un modèle qui protège non seulement les ressources naturelles, mais aussi les hommes et les femmes. Votre projet de loi ignore la préoccupation environnementale, en contradiction avec les engagements pris, notamment, lors de la Conférence environnementale. L’article 28 tend ainsi à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour accélérer l’instruction et la délivrance de l’autorisation des projets de construction et d’aménagement en matière d’urbanisme. Quelles garanties aurons-nous que les motifs économiques ne primeront pas sur les enjeux environnementaux ?

De même, comment garantir, dans ce cadre, la participation des populations à l’élaboration des projets, conformément à la Convention d’Aarhus, que la France a signée ?

Dans un contexte de raréfaction des deniers publics, on voit aussi émerger beaucoup de projets inutiles ou surdimensionnés, qui font l’objet de contestations parfois violentes. Or les contentieux pourraient se multiplier en cas de procédures accélérées. Les Français sont sensibles à la dégradation de l’environnement, à son impact sur leur santé et celle de leurs enfants, ainsi qu’aux coûts induits pour la sécurité sociale. Bref, le moins-disant social et environnemental n’est pas compatible avec le mot « durable ».

Mme Corinne Erhel. Monsieur le ministre, vous avez souvent souligné votre volonté de favoriser les innovateurs et les créateurs, ce que j’approuve. Cela implique de remettre en cause les modèles existants et de porter une attention particulière à la transition, notamment à la gestion des compétences des salariés.

Par-delà les points forts du projet de loi que sont l’épargne salariale et l’actionnariat salarié, dans quelle dynamique se place le texte en matière de financement des jeunes pousses et des entreprises innovantes? Je salue les récentes avancées relatives au capital-investissement d’entreprise et aux investissements des grands groupes dans les jeunes pousses : comment le texte peut-il accélérer et amplifier leur financement, notamment en phase de post-amorçage et de développement – une des carences de notre système ? Nous devons faire grandir nos entreprises, notamment dans le domaine du numérique.

Vous prévoyez également d’ouvrir le capital d’entreprises publiques en vue de dégager des ressources financières destinées à la fois au désendettement et au réinvestissement. Vous avez évoqué la transition énergétique, mais on peut songer à d’autres secteurs, comme les nouvelles technologies et le numérique. Pouvez-vous nous préciser l’ambition stratégique de l’État en la matière ?

Je tiens, enfin, à souligner l’importance de l’innovation ouverte. Quel cadre légal adopter pour l’encourager davantage encore ? C’est une des clés de la croissance et de l’activité.

Mme Véronique Louwagie. Les professions réglementées sont inquiètes des conséquences du texte sur les territoires en matière de répartition et d’équilibre. Il ne faudrait pas qu’à la désertification médicale, qui frappe déjà certaines zones, s’ajoute une désertification juridique qui détruirait le maillage du territoire assuré aujourd’hui par les notaires et les huissiers.

Pour répondre à cette inquiétude, vous avez avancé une liberté d’installation régulée dans les zones lacunaires. Qu’en sera-t-il des conséquences du texte sur les engagements financiers que les professionnels ont pris pour acquérir leur charge ou leur office ? Vous avez, en effet, souligné que, si le projet de loi prévoit bien un système d’indemnisation, celui-ci n’aurait pas à être mis en œuvre. Oui ou non, envisagez-vous d’indemniser les professionnels titulaires de charges dont la valeur serait affectée par le projet de loi, à l’instar de ce qui avait été prévu pour les avoués ?

S’agissant du travail dominical, il existe aujourd’hui deux logiques : d’une part, des dérogations de plein droit, permanentes et sans contrepartie pour les salariés, qui concernent les commerces du secteur alimentaire ou de presse, les fleuristes et les commerces de détail situés en zone touristique ; d’autre part, des dérogations temporaires, qui exigent une autorisation administrative préalable et donnent lieu à des contreparties. Vous avez présenté comme un progrès les contreparties qui seront offertes aux salariés travaillant le dimanche. Or le projet de loi paraît surtout prévoir une mosaïque de situations, accompagnées de dispositifs très différents : repos compensateur a minima, rémunération doublée, absence totale de contrepartie minimale… Ne craignez-vous pas une éventuelle censure du Conseil constitutionnel pour rupture d’égalité entre les salariés travaillant le dimanche, certains étant payés le double et d’autres non, ce qui réduirait considérablement l’intérêt suscité par l’annonce de la compensation salariale que vous avez évoquée ?

Mme Monique Rabin. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir rappelé la cohérence globale du texte. Ce faisant, vous avez démontré le bien-fondé de celui-ci et souligné la manière choisie pour supprimer les blocages dont souffre le pays.

Des secteurs méritent toutefois toute notre vigilance et doivent être protégés. Je pense notamment à l’article 48 du texte, qui concerne le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies : si je comprends bien la logique qui consiste à améliorer l’efficacité des interventions de l’État dans divers organismes, je m’inquiète des conséquences de la modification des prises de participations publiques sur la préservation de la gratuité du don du sang ou le refus de marchandisation des produits sanguins, d’autant que l’étude d’impact n’évoque pas ce sujet. Une précision s’impose, monsieur le ministre.

M. le président François Brottes. Je pense ne pas me tromper en déclarant que nous sommes tous, ici, attachés au principe français de la gratuité du don du sang.

M. Jean-Louis Costes. Tous les députés présents partagent avec vous, monsieur le ministre,  les objectifs de croissance et de soutien à l’activité. Malheureusement votre texte se contente de viser quelques professions et secteurs, voire de désigner quelques boucs émissaires. L’absence de concertation les braque.

Le débat se cristallisera sur quelques mesures, comme celle relative au nombre de dimanches où les magasins pourront ouvrir : je ne pense pas que cette mesure suffira, à elle seule, à relancer la croissance et l’activité.

J’ai entendu votre réponse à M. Jean-Frédéric Poisson : sans faire une déclaration de politique générale, vous auriez pu inscrire dans le texte les principes essentiels permettant de relancer la croissance. Vous avez évoqué l’inspection du travail : pourquoi ne pas avoir inscrit dans le texte des dispositifs relatifs à la réforme du code du travail, à la baisse des charges des entreprises ou à la réforme de la fiscalité ?

Ce texte, qui est réducteur, aura pour conséquence de crisper des secteurs entiers d’activité sans pour autant supprimer les freins à la croissance. Ne soyez pas surpris par ses résultats : ils ne seront pas à la hauteur de vos attentes.

M. Gilles Savary. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre propos liminaire, qui a permis de donner un sens général à ce projet de loi : lever la marotte française de l’idéologie des moyens. Trop souvent, nous nous interdisons de viser des objectifs évidents, tels que la recherche d’emploi ou l’amélioration du pouvoir d’achat, parce que nous considérons que tel moyen est de droite et tel autre de gauche, et que le théâtre politique français interdit d’utiliser le moyen du camp d’en face. Le pragmatisme sur lequel repose votre texte nous donne beaucoup d’espoir. La France a besoin d’une loi anti-conservatrice.

Je ne partage pas, toutefois, votre point de vue relatif au financement de la future ARAFER : je vois mal comment celle-ci serait financée par le monde ferroviaire sans l’être par ses concurrents routiers. Aujourd’hui, l’ARAF est financée par un droit fixe prélevé sur le trafic ferroviaire : comment l’ARAFER ne le serait-elle pas également par le transport routier libéralisé ? Nous vous proposerons des amendements en ce sens, qu’il conviendra d’examiner avec discernement. Il ne s’agit pas de renvoyer le financement de l’ARAFER à une loi de finances et à des subventions publiques, c’est-à-dire, in fine, au contribuable.

S’il est bon de placer les autoroutes sous régulateur, il conviendrait toutefois de se monter plus audacieux s’agissant de l’architecture des contrats autoroutiers, qui sont très longs – l’un d’eux court jusqu’en 2079 ! Nous ne serons plus là pour le gérer. De tels contrats font fi de toutes les conjonctures. Pourquoi ne pas introduire un dispositif de renégociation permanente en vue d’éviter des excès de fortune via des contrats dont la validité va de soixante à quatre-vingts ans ? Ces excès sont insupportables, car ils engendrent des profits « déraisonnables », comme dirait le législateur européen, sur le domaine public de l’État. Il faudrait envisager, plutôt que le Grand Soir, une réforme de ces contrats longs.

M. Philippe Gosselin. S’agissant de la forme, le manque de concertation a déjà été évoqué. Quant à la Chancellerie, elle me paraît absente de la réforme des professions réglementées. La question du délai d’examen du texte a également été posée. Que faut-il, par ailleurs, penser du côté fourre-tout des 106 articles du projet de loi ? Pudiquement, le rapporteur général a évoqué des sujets transversaux : c’est le moins qu’on puisse dire. Le renvoi à des ordonnances a été, lui aussi, dénoncé, car c’est une forme de dessaisissement du Parlement. Enfin, en dépit de la nomination de huit rapporteurs thématiques, je regrette l’absence d’élus ultramarins au sein de la commission spéciale.

Sur le fond, nous voulons absolument éviter qu’après les déserts médicaux ne surgissent des déserts juridiques, sans compter de possibles déserts pharmaceutiques – nous examinerons la question dans le cadre du projet de loi relatif à la santé publique. Ne prenons pas le risque de déstabiliser les professions de notaire ou d’huissier : ces derniers rendent de grands services à la population, sous la forme, parfois, du bénévolat, voire de l’apostolat.

Le texte prend également le risque de s’attaquer à la propriété privée sans une « juste et préalable indemnisation », comme le prévoit la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. N’avez-vous pas en mémoire certaines décisions du Conseil constitutionnel liées aux lois de nationalisation du début de l’ère Mitterrand ? Il faudra revenir sur ces points de manière sérieuse et approfondie.

Quant à la libéralisation du travail le dimanche, elle aggravera les difficultés des commerces des centres-villes, qui ont déjà bien du mal à survivre. Une nouvelle loi n’est pas nécessaire pour briser la résistance des élus de Paris, puisque c’est elle que vise essentiellement cette disposition du texte. La loi Mallié a déjà réglé le problème pour les zones touristiques, en instaurant un équilibre satisfaisant.

Vous avez évoqué la simplification : je ne la vois pas dans la création de nouvelles autorités administratives indépendantes, alors qu’il aurait été possible d’adosser de nouvelles compétences à des autorités déjà existantes. Multiplier les organes multipliera les personnels, les responsabilités et donc les indemnités des uns et des autres, ce qui ne va pas dans le sens de réelles économies.

Le titre est évidemment alléchant : « projet de loi pour la croissance et l’activité ». Qui pourrait refuser la lutte contre les blocages ? Je crains toutefois qu’il ne s’agisse davantage d’un texte de circonstance que d’un texte de croissance, d’un prétexte, pour tout dire.

Mme Bernadette Laclais. Vous ne serez pas surpris que j’évoque devant vous les réseaux d’investisseurs providentiels – business angels en anglais –, de trop nombreuses contraintes pesant encore sur ces sociétés d’investissement. Il s’agit évidemment d’éviter tout effet d’aubaine tout en favorisant ces investisseurs accompagnateurs de proximité qui investissent dans des entreprises innovantes à fort potentiel. Confirmez-vous être ouvert à toute nouvelle discussion sur le sujet ? Si le projet de loi de finances rectificative pour 2014 a déjà permis de supprimer bien des contraintes, d’autres pourraient encore être levées en vue de dynamiser les territoires qui en ont bien besoin.

Il faut également prendre en considération la diversité des territoires, notamment des territoires de montagne. De nombreux collègues ont déjà fait part de leurs inquiétudes relatives à leur maillage. Les critères devront prendre en compte le fait, par exemple, qu’une grande station de sport d’hiver n’est pas qu’un territoire isolé ayant seulement des activités saisonnières.

Je vous remercie, enfin, pour votre confiance dans les élus. Les centres-villes sont fragiles. Les élus doivent souvent faire preuve d’une grande détermination pour soutenir l’activité commerciale. Il ne faut prendre aucun risque en la matière. C’est pourquoi il serait bon de prévoir, pour l’ouverture des magasins le dimanche, un double effet de cliquet qui consisterait, en sus de l’accord de l’agglomération, à accorder au maire de la ville centre un droit de véto. En effet, les centres commerciaux sont le plus souvent situés dans les zones périphériques des agglomérations. Cette double autorisation ne remettrait pas en cause la compétence économique de l’agglomération.

M. Michel Heinrich. Le conseil d’administration de Villes de France, qui a succédé à la Fédération des villes moyennes, s’est réuni la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Les élus de toutes sensibilités ont exprimé leurs inquiétudes, s’agissant notamment de l’aménagement du territoire. Les professions réglementées participent très largement par leurs activités à l’économie de ces villes où elles créent de nombreux emplois. Or la postulation étendue du tribunal de grande instance au ressort de la cour d’appel risque de conduire à terme à une concentration des avocats au siège de la cour d’appel ou dans les villes universitaires, au détriment des villes dites moyennes. La libre installation des notaires a également été évoquée : elle risque de conduire à l’effet inverse de celui que vous recherchez, comme l’ont montré les pays qui s’y sont essayés.

Par ailleurs, la possibilité d’ouvrir les commerces douze dimanches inquiète les commerçants des centres-villes, dont la situation est fragile. Le rapporteur général vous a posé une question relative au passage du dimanche du maire au dimanche du président de l’EPCI : qu’en sera-t-il exactement ?

Enfin, l’Autorité de la concurrence pourra se saisir d’office en matière d’urbanisme commercial pour les questions relevant du schéma de cohérence territoriale (SCOT), du plan local d’urbanisme (PLU) et du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) : quid alors de la libre administration des collectivités territoriales ?

M. Christophe Castaner. Il ne faut pas oublier que certains sujets du texte, notamment l’épargne salariale, dont M. le ministre a indiqué qu’elle faisait actuellement l’objet de négociations, relèvent par nature du dialogue social. En conserver l’état d’esprit me paraît très important.

Si l’ouverture des commerces le dimanche peut avoir un effet économique majeur dans certaines zones, et donc bénéficier à l’emploi, peut-être faudrait-il également s’intéresser à ces salariés qui doivent travailler cinquante-deux dimanches par an du fait du caractère alimentaire de la plupart des petites et moyennes surfaces. Ne conviendrait-il pas de faire évoluer la réglementation qui les régit ? Cette ouverture, en effet, n’est pas créatrice de richesses : les courses sont faites tout au long de la semaine. Ne pourrions-nous pas veiller à ce que la nouvelle réglementation s’applique à l’ensemble des petites et moyennes surfaces alimentaires supérieures à 1 000 mètres carrés ? Cela nous permettrait de faire passer un message politique fort de défense des commerces de proximité auprès de ces salariés qui peuvent avoir envie, eux aussi, de se libérer des dimanches.

M. Francis Vercamer. Monsieur le ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises la simplification. Or, alors que celle-ci repose tout d’abord sur une bonne compréhension du cap suivi par le Gouvernement, le texte que vous nous présentez ne donne pas l’exemple en matière de coordination et de cohérence.

C’est ainsi que le Gouvernement, il y a deux semaines, a fait adopter par le Parlement un texte l’autorisant à modifier par voie d’ordonnance le mode de désignation des conseillers prud’hommes. Or le présent texte prévoit une autre réforme des prud’hommes. Le moins qu’on puisse dire est que la réforme à la découpe n’offre pas un cap clair.

Deuxième exemple : l’Assemblée nationale a travaillé en commission sur un texte relatif à la réforme de l’inspection du travail, dont l’examen en séance publique a été ajourné. Votre texte arrive : les dispositions qu’il prévoit remplacent-elles ou complètent-elles celles du précédent texte ? Que deviendra celui-ci ? Nous n’avons aucune information à ce sujet.

Si l’on ajoute à ce manque de clarté le recours à la procédure accélérée après deux ans et demi de pouvoir, et le souhait de recourir aux ordonnances – sur lequel, il est vrai, vous semblez être revenu –, il ne faut pas s’étonner de l’inquiétude de nombreux professionnels quant à leur avenir.

S’agissant des propositions relatives au travail du dimanche, je tiens à souligner la volte-face politique des membres du Gouvernement. Je me rappelle notamment les propos de M. Christian Eckert, porte-parole du groupe socialiste, qui pourfendaient dans l’hémicycle le travail le dimanche lors de l’examen de la loi Mallié : comme Mme Marisol Touraine ou M. Alain Vidalies, il a fait sa mutation politique, ce dont je me réjouis fort.

Me confirmez-vous que c’est l’élu local qui décidera du périmètre de l’ouverture des magasins le dimanche et des conditions dans lesquelles elle s’effectuera ? Cet élu sera-t-il bien l’élu de l’agglomération ? Quelle sera la part du maire dans la décision ?

Le salarié travaillera-t-il bien sur la base du volontariat ?

Enfin, vous n’avez pas évoqué les zones transfrontalières. Je suis élu dans une circonscription voisine d’une Belgique qui travaille le dimanche : de nombreux salariés français passent la frontière. Comment le texte prend-il en considération leur situation ? Des négociations se déroulent-elles au plan européen pour harmoniser les dispositions relatives au travail le dimanche ?

M. le président François Brottes. Je vous invite à prendre connaissance de l’évolution des ventes en ligne depuis le débat sur la loi Mallié.

Mme Colette Capdevielle. Le projet de loi ne parle pas des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Or ces avocats ont le statut d’officiers ministériels : seriez-vous favorable, monsieur le ministre, à la suppression des charges d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, sachant qu’ils sont soixante en France, tout en maintenant un barreau spécialisé et en organisant un concours d’accès ?

L’article 13 du projet de loi prévoit la suppression du contrôle a priori de l’ouverture des cabinets secondaires d’avocat : avez-vous mesuré les risques réels de cette suppression en termes d’activité effective de ces cabinets d’avocats et de fraude fiscale ? Je pense notamment au risque d’ouverture de cabinets fictifs en zone touristique.

Enfin, s’agissant de la simplification de la procédure devant les prud’hommes, la première phase de conciliation, chacun le sait, le plus souvent, n’aboutit pas, ce qui, comme vous l’avez souligné, fait perdre plusieurs mois. Ne serait-il pas plus simple de supprimer cette première phase, sachant que, si elle doit avoir lieu, la conciliation se fera dès la phase de jugement sur le fond ? Par ailleurs, en facilitant le recours au juge départiteur, le texte ne risque-t-il pas, d’une part, d’attenter au principe de la parité prud’homale, voire de la prud’homie, et, d’autre part, compte tenu de la pénurie de magistrats du siège, d’aboutir au renvoi des affaires ?

M. Philippe Vitel. L’article 47 de cette caverne d’Ali Baba ou de cette hotte du Père Noël qu’est le projet de loi autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de l’entreprise publique française d’armement Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales – Nexter –, avec pour objectif la création d’une nouvelle structure appartenant à parts égales à la France et la famille Wegmann, propriétaire de l’entreprise allemande KMW. Le dessein est vertueux : créer une grosse entreprise européenne générant 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires, qui pourrait concurrencer Rheinmetall, qui pèse 1,5 milliard, sans toutefois menacer BAE Systems, qui pèse 3,5 milliards, ou General Dynamics, qui pèse plus de 6 milliards d’euros.

Or ce projet ne fait pas l’unanimité en Allemagne : votre homologue, M. Sigmar Gabriel, est réticent, parce que l’Allemagne pratique une politique restrictive en matière d’exportation d’armement, laquelle peut freiner nos propres capacités à l’export. La nouvelle organisation privera la France de son libre-arbitre.

De plus, cette entreprise aura son siège aux Pays-Bas et sera de droit néerlandais. Les syndicats s’inquiètent d’un choix, peut-être guidé par un souci d’optimisation fiscale et par la volonté de contourner les choix politiques d’attribution des marchés, mais qui risque surtout d’affaiblir la démocratie sociale à l’intérieur de l’entreprise.

Quels éclaircissements, monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter sur tous ces points ?

Mme Françoise Dumas. Supprimer des freins à l’activité, redonner des chances, recréer des droits réels ou simplifier les règles : voilà autant d’objectifs autour desquels nous pouvons tous nous retrouver. Si la croissance est principalement générée par l’activité économique des entreprises, une part non négligeable, bien que moindre, est le fruit de l’activité des quelque 1,3 million d’associations françaises en activité. Le récent rapport de la commission d’enquête parlementaire chargée d’étudier les difficultés du monde associatif, dont j’ai été rapporteure, estime à 3,2 % du PIB le poids du secteur associatif. Depuis 2006, son poids économique croît en moyenne de 2,5 % par an, à savoir plus vite que le PIB. Les associations sont donc un formidable levier de croissance et d’activité : elles ont besoin de peu pour faire beaucoup. Elles ont donc toute leur place dans ce texte.

J’ai entendu votre ouverture aux évolutions que le débat parlementaire pourrait apporter au projet de loi, et je m’en réjouis. Il pourrait être l’occasion de lever certains freins à l’activité du monde associatif, par exemple, en autorisant les associations à dégager des excédents de trésorerie raisonnables afin de consolider leurs fonds propres pour réaliser des investissements ; en modernisant le cadre global de l’appel à la générosité du public, qui ne faiblit pas, et en l’adaptant aux nouvelles technologies et à l’économie d’aujourd’hui – les dons en nature ou par SMS sont une pratique courante à l’étranger ; ou encore en adaptant aux PME le cadre fiscal du mécénat.

Comment les associations pourraient-elles profiter de la simplification et de la croissance économique que nous appelons tous de nos vœux ?

Mme Chantal Guittet. Votre pragmatisme, monsieur le ministre, doit s’appliquer aux entreprises qui forment la structure de notre économie, à savoir aux 90 % de TPE et de PME qui, trop souvent, ne parviennent pas à obtenir des fonds, du fait que les banques ne font pas leur travail – je vous invite à le vérifier dans ma circonscription.

Les lignes d’autocar, quant à elles, ne traverseront pas les communes rurales, insuffisamment rentables. Le texte ne réglera donc pas le problème du maillage du territoire en termes de transports.

Vous avez évoqué les travailleurs détachés : Gilles Savary, Richard Ferrand et moi-même avons œuvré à l’adoption d’une proposition de loi sur le sujet, très attendue par les secteurs du bâtiment et de l’agroalimentaire. Or ses décrets d’application ne sont toujours pas sortis. Avant d’ajouter de nouvelles dispositions sur le sujet, ne conviendrait-il pas déjà de faire appliquer celles qui ont été adoptées ? L’inspection du travail joue un rôle fondamental dans notre texte. Il est dommage de perdre autant de temps en revenant sans cesse sur les mêmes sujets dans des textes successifs. La carte professionnelle que vous prévoyez, nous l’avions déjà étudiée : elle ne fera, à mon sens, qu’ajouter de nouveaux blocages.

S’agissant, enfin, du travail du dimanche, je ne pense pas que ce soit appartenir au XIXe siècle de penser qu’on peut faire autre chose le dimanche que de consommer, d’autant que les associations culturelles et sportives profitent de ce jour-là pour créer de l’activité et de la valeur. Permettre l’ouverture des magasins un nombre supplémentaire de dimanches ne créera ni emplois ni activité. J’assume ma position, même si elle peut paraître rétrograde aux yeux de certains.

M. le rapporteur général. Je tiens à dire à ceux de nos collègues qui ont évoqué l’absence ou l’insuffisance de concertation avec les professions réglementées ou la crainte que le texte ne casse ce qui fonctionne ou ne crée des déserts, qu’il faut remettre les choses à l’endroit. Comment peut-on affirmer que le texte n’a fait l’objet d’aucune concertation, alors qu’une mission de la commission des lois a procédé à de nombreuses auditions et que j’ai moi-même eu l’occasion de recevoir l’ensemble ou presque des professions concernées ? Je vous rappelle également que c’est le Conseil supérieur du notariat qui demande la création de 300 charges et de 1 000 postes, il est vrai, assortie d’un délai raisonnable. Du reste, les déserts existent déjà : sinon, comment expliquer qu’il y ait un notaire pour 4 500 habitants dans l’Aveyron et un pour 17 000 en Seine-Saint-Denis ? Le territoire est donc insuffisamment aménagé. Vouloir améliorer le maillage ne revient pas à le détruire.

N’utilisons pas le ressort de la peur ! Personne ne souhaite recommencer l’expérience de la liberté d’installation des médecins, qui a conduit à la création parallèle de zones surdenses et de déserts médicaux. Forts de cette expérience, les rédacteurs du texte proposent l’inverse, à l’instar du rapport que j’ai remis sur les professions réglementées du droit et de la santé.

S’agissant de la postulation, je tiens à rappeler que le barreau de Paris représente à lui seul 40 % des avocats. Dans un premier temps, le barreau de Paris était favorable à une déterritorialisation de la postulation au plan national. Une solution médiane a été trouvée. Quant à la création de la profession unique de commissaire de justice, je vous rappelle que ce sont les huissiers qui soutiennent avec une grande vigueur cette proposition : ne disons pas que les professionnels concernés n’ont pas été consultés, même s’il est vrai que les mandataires judiciaires, d’une part, et les commissaires-priseurs judiciaires ou les huissiers, d’autre part, sont des professions distinctes.

Ne faisons pas peur non plus aux pharmaciens, qui demandent une plus grande souplesse dans leur capacité de mobilité. C’est ce que la loi relative à la santé publique leur proposera, sans chercher à les affaiblir.

Je ne crois pas qu’il soit d’utilité publique d’aborder ces sujets complexes en agitant des peurs ou en évoquant des risques que l’adoption du texte ne saurait vérifier. Ne nous enlisons pas dans de fausses querelles ou dans de fausses peurs.

M. le ministre. Pour répondre à M. Philippe Houillon, je tiens à souligner que le texte est soutenu par le gouvernement en son entier ; le Premier ministre a eu l’occasion de le rappeler. Les prérogatives de la garde des Sceaux sont respectées. Elle disposera seule du droit d’opposition à l’installation et recueillera l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui aura établi une cartographie. Je le répète : il ne s’agira que d’un avis, il n’y a aucune ambiguïté en la matière.

La question de l’indemnisation a également été soulevée : après expertise juridique, il nous a semblé nécessaire d’ouvrir ce principe dans la loi, même si, d’après notre analyse, il ne sera pas automatiquement activé. Un décret de 1971 prévoit une indemnisation pour les notaires et un décret de 1975 pour les huissiers : ils n’ont jamais été utilisés. Pourquoi ? Alors qu’il appartient à l’heure actuelle à la Commission de localisation des offices de notaires (CLON) d’ouvrir, insuffisamment à nos yeux, de nouveaux offices, ce ne sont pas toujours les territoires les plus dépourvus de notaires qui bénéficient de ces ouvertures. Or il n’y a jamais eu de recours en indemnisation des professionnels concernés.

Il nous faut trouver un équilibre permettant de préserver la stabilité de la profession, ce qui, de facto, rendra sans objet toute requête des professionnels. À cette fin, il ne convient plus de laisser aux seuls professionnels le soin de gérer les installations dans le cadre de la CLON, cette consanguinité ayant conduit ces dernières années à un comportement de fermeture. La régulation des installations doit reposer sur une base objective. À partir du moment où sera autorisée la libre installation dans des zones où des besoins ont été identifiés, aucun professionnel ne sera lésé. Et quand bien même certains le seraient, il leur faudra, compte tenu des jurisprudences constantes du Conseil constitutionnel, établir l’existence du préjudice et identifier son montant. De plus, les dispositions du texte ne sauraient être comparées à celles qui ont abouti à la disparition de la profession d’avoué. Si nous avions décidé de supprimer le monopole de l’acte authentique, vraisemblablement, nous aurions dû verser des indemnisations. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, compte tenu des éléments de régulation apportés dans le texte.

En aucun cas la liberté d’installation ne s’exercera dans des zones où le besoin est satisfait.

S’agissant de la profession unique de commissaire de justice, aucune profession ne sera supprimée. La loi permet un rapprochement progressif et il conviendra, soit par ordonnance, soit dans le cadre du débat parlementaire, auquel va ma préférence, de prévoir un rapprochement progressif des professions concernées, qui garderont, dans un premier temps, leur spécificité déontologique et dont on devra, par la suite, rationaliser la formation. Il existe déjà à l’heure actuelle une grande proximité dans leur formation initiale, et parfois complémentaire. Il s’agit d’organiser la transition en vue d’offrir le choix, sur le terrain, entre un plus grand nombre de professionnels. Alors que les mandataires judiciaires n’ont pas, à proprement parler, l’exclusivité de certains actes, qu’ils l’aient de fait sur le terrain, notamment dans les contacts avec le tribunal de commerce, pose des problèmes, parfois de conflits d’intérêts. Augmenter le nombre des professionnels concernés par ces procédures me paraît donc souhaitable : il faut toutefois procéder à cette augmentation au rythme adéquat, en conservant les spécificités déontologiques nécessaires durant le temps de la transition.

Enfin, il n’est objectivement pas raisonnable d’évoquer une paupérisation de ces professions, compte tenu des critères prévus et du caractère régulé de la liberté d’installation. Leur situation ne saurait être comparable à celle des avocats. Le texte vise seulement à donner la possibilité à des notaires de créer des offices. Les notaires salariés pourront le rester ; il en est de même des notaires associés. Le caractère objectif de la régulation et la garantie finale de la garde des Sceaux interdiront toute déstabilisation massive de la profession.

Monsieur Blein, le Gouvernement est très intéressé par vos propositions relatives aux auto-écoles sociales, qui permettront d’enrichir le texte. Il en est de même des éléments de simplification que vous avez évoqués et de la question de l’économie sociale et solidaire. Étant pragmatique, je suis preneur de tous les dispositifs qui peuvent aider au développement de l’activité dans ce secteur. Ce texte a pour objectif de déverrouiller l’économie : ce secteur fait bien partie de l’économie et participe à la création d’emplois, le plus souvent, du reste, au bénéfice des plus jeunes.

Monsieur Lurton, j’ignore qui vous avez reçu, mais, comme vient de le rappeler le rapporteur général, la concertation a bien eu lieu. Des réunions tripartites se sont tenues entre tous les professionnels, la garde des Sceaux et moi-même, place Vendôme. Nos cabinets ont également travaillé de manière tripartite avec ces professionnels autant qu’il a été nécessaire, et je les ai revus en bilatéral chaque fois qu’ils me l’ont demandé. Je me suis rendu auprès d’eux, y compris après la présentation du texte mercredi dernier : j’ai rencontré les huissiers le mercredi soir et les avocats le vendredi.

Invoquer le manque de concertation n’est donc pas un bon argument. Que certains refusent tout changement, parce que le changement ne doit concerner que les autres, n’exprime qu’un point de blocage. C’est simplement un refus du changement, l’expression totalement légitime d’un conservatisme qui a trouvé, si j’en crois l’actualité du jour, des relais décidés à poursuivre une concertation extraparlementaire.

Il ne sert à rien d’agiter les peurs au sujet des avocats. Deux réformes sont en voie d’être menées sur ce point. Pour ce qui est de l’avocat en entreprise, je veux que l’on puisse faire preuve de pragmatisme. Quant à la postulation territoriale, elle a vocation à disparaître, dans la mesure où la valeur ajoutée de cet acte justifie peu les frais auxquels il donne lieu. D’ailleurs, quand la numérisation de la transmission sera complètement mise en œuvre, la postulation territoriale n’aura plus qu’à disparaître totalement, du moins à ne plus subsister qu’au niveau de la Cour d’appel, puisque tel est le choix que nous avons fait. Une telle mesure nous paraît être en totale cohérence avec la réforme ayant conduit à supprimer les avoués. Aujourd’hui, qui peut comprendre que, dans un dossier de divorce entre Annecy et Chambéry, il soit nécessaire de faire intervenir un avocat postulant pour déposer une deuxième fois le même dossier ?

Je regrette, comme Mme la garde des Sceaux, que nous n’ayons jamais obtenu les chiffres sur cette question. Les petits barreaux sont nombreux à nous dire qu’il y a là un élément de déstabilisation économique pour la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), mais aucun n’a pu nous préciser ce que représentait la postulation en termes de revenus. Le problème est soulevé au moment même où il est demandé aux avocats d’être davantage présents, notamment avec l’aide juridictionnelle. Je vous invite à faire en sorte de recueillir, avant le débat parlementaire, des éléments d’information sur cette question des revenus – mais je ne doute pas que Mme Cécile Untermaier se soit employée à les obtenir dans le cadre de son rapport.

Peut-être convient-il de procéder à la suppression de la postulation territoriale selon des modalités particulières, en commençant par la faire disparaître pour les particuliers par exemple, tout en la conservant pour certains professionnels, tels les assurances ou les banques, qui représentent une part importante du chiffre d’affaires pour certains petits barreaux. En tout état de cause, nous avons besoin d’éléments d’information chiffrés. Je n’admettrai pas que l’on vienne me reprocher une absence de concertation, car il y a eu une concertation constante à tous les niveaux : les professionnels concernés ont été reçus à de nombreuses reprises par le Gouvernement, les cabinets ministériels et les parlementaires – je pense notamment aux députés Richard Ferrand, Cécile Untermaier et Philippe Houillon.

Pour ce qui est du capital-risque, monsieur Leroy, je pense effectivement qu’il s’agit d’une bonne idée, et nous sommes tout à fait disposés à enrichir le texte sur ce point. J’ai déjà répondu à la question de l’avocat en entreprise et, pour ce qui est de la croissance verte, nous devrons pouvoir rajouter les éléments qui s’y rapportent.

M. Julien Aubert a évoqué les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Sur ce point, je m’assurerai de la cohérence et de la synergie du texte relatif à la transition énergétique et de celui que nous évoquons aujourd’hui. Il s’agit de généraliser l’autorisation unique pour les projets majeurs, c’est-à-dire ce que l’ordonnance de mars 2014, relative aux éoliennes et installations classées, permettait de faire. Si une étude d’impact n’est pas jointe au présent texte, c’est qu’il n’y en a pas d’autre que celle réalisée antérieurement, qui prévoyait la généralisation. Ce qui est prévu, c’est d’unifier en une seule étude tous les aspects environnementaux, avec un gain d’intégration de tous les enjeux permettant un meilleur contrôle administratif. Tous les aspects de la réforme ne sont pas réglés, c’est pourquoi il est proposé que l’ordonnance soit soumise à la concertation et qu’un délai de respiration soit instauré, afin de prendre en compte tous les éléments de concertation et les amendements qui pourront en résulter. Quoi qu’il en soit, je prends acte de votre souci de cohérence – vous obtiendrez sur ce point des éléments d’information complémentaires. Selon les principes que le législateur aura définis, il faudra pouvoir travailler à cette ordonnance, qui fera l’objet d’une étude d’impact spécifique avant d’être soumise à ratification.

Le délai final de la procédure serait de dix mois, mais une procédure plus bornée est la garantie d’un meilleur débat démocratique. J’en profite pour souligner que notre volonté de raccourcir les délais, d’aboutir à des procédures rationalisées, de regrouper les actes, n’entre nullement en contradiction avec la volonté d’une concertation démocratique où le citoyen a toute sa place : nous cherchons simplement à rationaliser les délais, afin que la procrastination ne constitue plus jamais la seule réponse apportée à toute forme de projet, contrairement à ce qui arrive parfois aujourd’hui.

Pour ce qui est de l’ouverture du capital des professions réglementées, c’est dans la situation actuelle que les petits cabinets vivent dans la menace de se faire manger par les grands, qui ont les moyens de se développer. Ce qu’offre le texte, c’est la possibilité pour un professionnel d’ouvrir son capital à d’autres professionnels. Personne ne sera jamais obligé de le faire, en particulier à des financiers ; il ne s’agit que d’ouvrir son capital aux professionnels de son choix : jeunes confrontés à des problèmes d’accès à certaines structures faute de posséder le capital suffisant, qui pourraient ainsi monter progressivement dans la structure capitalistique ; autres professionnels du droit ou du chiffre, avec une limitation des droits de vote entre droit et chiffre à 33 %. Pourquoi, sur un territoire donné, un notaire devrait-il être empêché de se rapprocher d’un avocat, voire d’un huissier, afin de procéder à une mutualisation des frais et de parvenir à une modernisation plus rapide du matériel utilisé ? Il semble, au contraire, tout à fait souhaitable de permettre à des professionnels indépendants, qui garderont leur propre déontologie, de partager des coûts fixes avec d’autres professionnels du droit et du chiffre en vue d’apporter une meilleure offre au client et de dégager une rentabilité supérieure. Les plus petits cabinets trouveront là, me semble-t-il, une occasion de s’organiser pour mieux résister à la concurrence des structures plus importantes.

Pour ce qui est de la durabilité de la croissance qu’est susceptible de permettre ce texte, les affirmations de M. Jean-Louis Roumegas me semblent excessives : à aucun moment, nous ne supprimons des procédures de type environnemental ou relatives à la démocratie participative. Au contraire, il est proposé que les mesures d’autorisation administrative puissent être regroupées, simplifiées et synchronisées afin d’éviter que certains projets ne se trouvent freinés par l’accumulation de délais. C’est là justement l’un des facteurs s’opposant au bon fonctionnement de notre démocratie participative : la participation des citoyens intervient parfois trop tard, quand l’avancement de tel ou tel projet a déjà conduit certains acteurs à engager des coûts ou quand la réalisation d’un projet s’est faite de façon trop déconnectée du point d’arrivée en raison de la perte de temps engendrée par la multiplication des autorisations à obtenir. Mieux vaut organiser de vrais débats, à un rythme défini par avance et avec des procédures administratives resserrées. Nous nous efforçons toujours de faire prévaloir la même philosophie : quand l’administration peut être plus efficace, c’est l’ensemble de nos concitoyens qui en bénéficie – sans parler de l’administration elle-même –, et en aucun cas il n’est à redouter un moins-disant social ou environnemental. J’ajoute que, dans le mandat qui a été confié par le Premier ministre au préfet Duport, la place du débat public a été pleinement prise en compte et devra être intégrée à la réflexion à mener.

Pour répondre à Mme Corinne Erhel, je suis tout à fait favorable à l’amélioration du texte au sujet des start-up. Tout ce qui relève des attributions gratuites d’actions, des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ou encore des sociétés d’investissement de business angels (SIBA) est important pour la croissance des entreprises. Si, grâce à certaines mesures de simplification, on peut aller encore plus loin que les mesures très concrètes du texte que sont le soutien à la French Tech, les labellisations et l’accompagnement constant de ces écosystèmes essentiels pour notre économie et nos territoires, j’y suis totalement favorable. Il en est de même pour l’innovation ouverte, qui me paraît de nature à encourager les start-up et les PME à aller plus loin, notamment grâce à des dispositifs de garantie ou d’aide.

Quant à la stratégie de l’État actionnaire, la doctrine en ce domaine a été présentée au début de l’année 2014 : ce projet de loi en traduit la double volonté de renouveler le cadre juridique, en proposant de ratifier l’ordonnance de modernisation qui permet à l’État d’aller plus vite, et de mieux s’organiser de manière très concrète, avec l’autorisation d’opérations spécifiques. Notre volonté est de pouvoir faire preuve d’une plus grande mobilité, c’est-à-dire de pouvoir redéployer du capital sur d’autres priorités – j’en ai cité quelques-unes, mais je pense que le débat sera l’occasion d’en définir d’autres. Je suis ainsi très ouvert à ce que l’on rationalise la politique de l’État actionnaire en matière énergétique, dans le numérique, dans la transition énergétique et dans le secteur industriel, afin de mieux utiliser le capital ; il y a là un vrai débat économique et politique.

Pour ce qui est des questions posées par Mme Véronique Louwagie, je ne reviendrai pas sur l’indemnisation, à laquelle j’ai déjà répondu. Quant au travail du dimanche, les dérogations évoquées concernent principalement le droit existant : ce que nous proposons, c’est de simplifier le régime grâce à un mécanisme d’accord, au niveau du territoire, de la branche ou de l’entreprise, comme condition de définition de l’ouverture nouvelle et des mécanismes de compensation.

Mme Monique Rabin a soulevé une question importante au sujet du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), une entreprise qui est l’un des fleurons français du secteur très sensible de la transfusion sanguine et de la recherche scientifique dans ce domaine, et qui entretient des relations privilégiées avec l’Établissement français du sang (EFS). Il ne s’agit en aucun cas de remettre en question le fonctionnement de cet écosystème. Peut-être le projet de loi n’est-il pas suffisamment clair sur ce point mais, en tout état de cause, il a uniquement pour objet d’inscrire le LFB dans le droit commun des participations publiques en ouvrant la possibilité à d’autres acteurs publics que l’État d’en être actionnaires – en particulier d’autoriser la Banque publique d’investissement (BPI) à le faire. En effet, notre volonté est d’aider le LFB dans son développement – je pense notamment à l’une de ses filiales, extrêmement compétitive, dédiée aux biotechnologies et basée aux États-Unis. Peut-être conviendra-il de modifier la rédaction du texte sur ce point afin que nos intentions apparaissent plus clairement.

Je conteste l’affirmation de M. Jean-Louis Costes selon laquelle certains secteurs d’activité joueraient le rôle de boucs émissaires : je n’ai jamais stigmatisé une profession et, en tout état de cause, ce n’est pas parce que l’on propose de réformer une profession qu’on la foule aux pieds – un tel principe paralyserait toute idée de réforme. Je suis catégorique : on ne saurait reprocher à cette réforme de prendre les notaires comme boucs émissaires.

Pour ce qui est des baisses de charges et de fiscalité, même si la politique économique ne se réduit pas à cela, je souligne qu’aucun gouvernement n’a porté, au cours des trente dernières années, un programme aussi ambitieux de baisse des charges visant à restaurer les marges des entreprises en faveur de l’investissement et de l’emploi, qui plus est dans un contexte de finances publiques dont on connaît les contraintes. Je m’étonne donc d’entendre des réflexions du genre de celles qui ont été faites, ce qui m’amène à m’interroger sur l’existence d’un problème plus vaste de compréhension de l’action aujourd’hui menée par le gouvernement.

En ce qui concerne l’ARAFER, j’entends votre point de vue, monsieur Savary, et je ne suis pas en désaccord sur les modalités de financement, au sujet desquelles j’ai apporté une précision calendaire. Je pense que les moyens supplémentaires devront et pourront être limités. Quant à votre question implicite, consistant à savoir si des taxations affectées – à tout le moins, l’idée d’un secteur finançant sa régulation – sont envisageables, elle devra être posée dans le cadre du débat.

Par ailleurs, je pense que donner un maximum de pouvoir à cette autorité de régulation est un élément important pour une meilleure régulation des contrats – sur ce point, j’ai établi une comparaison avec la CRE. On peut aller beaucoup plus loin que ce que le texte prévoit, en donnant la possibilité à l’ARAFER, sur la base de taux de rentabilité cible définis par les contrats, de réguler les aspects économiques de ces contrats, par exemple à travers des clauses de partage de profits à intervalles réguliers, sans que les équilibres contractuels se trouvent pour autant remis en cause et sans qu’il soit question de nationalisations.

Pour répondre à M. Philippe Gosselin, nous ne créons aucunement de nouvelles autorités. En ce qui concerne les concessions autoroutières, nous étendons les compétences d’une autorité existante, l’ARAFER. Pour ce qui est des professions réglementées, nous proposons de créer un collège de l’Autorité de la concurrence qui établira une cartographie et aura vocation à se substituer à de nombreuses commissions existantes, lesquelles disparaîtront puisque leur travail de cogestion des professions concernées ne repose pas sur une base objective – la garde des Sceaux et ses services continuant à jouer le rôle de garant in fine. Il s’agit donc plutôt d’une extension de la compétence d’une autorité existante et d’une rationalisation du paysage, plutôt que de la création d’une nouvelle autorité.

En ce qui concerne les ordonnances, je crois avoir répondu en disant que celles concernant les professions du droit peuvent être intégrées dans le texte. Certaines ordonnances se justifient lorsqu’elles ont pour objet de transcrire des dispositions européennes ou lorsqu’elles nécessitent une concertation avec les professionnels. Le recours aux ordonnances ne me paraît donc pas excessif.

Pour ce qui est des centres-villes, le texte a justement la préoccupation de donner plus de responsabilités aux élus locaux. De ce point de vue, il ne faut pas confondre les zones touristiques internationales (ZTI), qui ne concernent que certaines villes, dont Paris, et le reste de la France, où nous proposons de laisser la main aux décideurs politiques locaux qui joueront le rôle de régulateurs de l’ouverture dominicale. Dans ce domaine, une bonne régulation doit se faire sur le terrain. Les principes mêmes de la compensation prévus par le texte, qui renvoient à des accords de branche, d’entreprise ou de territoire, constituent la garantie d’une meilleure préservation des centres-villes : si nous avions des objectifs trop ambitieux – tels le doublement – en termes de compensation par la loi, les centres-villes seraient les premiers à être sacrifiés.

Enfin, pour ce qui est de l’absence d’élus ultramarins, je n’ai pas vocation à me substituer au président de cette commission. Je me bornerai à dire que, dans le cadre de la préparation de ce texte, j’ai constamment associé tous les élus ultramarins aux concertations qui ont eu lieu, car dans notre république, l’intérêt général est défendu par tous les députés.

M. le président François Brottes. Je rappelle que ce sont les présidents de groupe qui fournissent les noms des députés ayant fait acte de candidature au sein de leur propre groupe pour être membres de cette commission – le président de la commission est désigné par ses pairs comme ils l’ont été eux-mêmes, et n’a aucunement le pouvoir de présélectionner certains députés. Peut-être y a-t-il eu un problème au niveau des dépôts de candidature, cela reste à vérifier. En tout état de cause, il n’y a rien d’intentionnel dans aucun groupe.

M. Philippe Gosselin. Je n’ai jamais dit que c’était intentionnel, monsieur le président – et en tant qu’élus de la nation, nous n’en avons jamais douté. Cependant, l’équilibre géographique des territoires peut aussi avoir son importance.

M. le ministre. Je serai très vigilant à ce que l’intérêt des outre-mer soit pris en compte, et à ce que notre texte soit enrichi sur ce point par des éléments utiles à chaque fois que cela sera possible.

M. le président François Brottes. J’ajoute que nous avons voté, en début de législature, un texte contre la vie chère en outre-mer, qui peut, dans une certaine mesure, être vu comme la loi « croissance » des territoires d’outre-mer, dont la configuration économique n’est pas tout à fait celle de la métropole. Avec ce texte instaurant des régulations spécifiques et d’autres types de partenariat que ceux existant déjà, les ultramarins nous ont, en quelque sorte, devancés, ce qui fait qu’ils ont peut-être considéré que ce texte avait déjà répondu à un certain nombre de leurs attentes.

M. le ministre. À titre d’exemple, l’injonction structurelle de notre texte n’est autre qu’une extension du dispositif figurant dans la loi relative aux outre-mer. D’une manière générale, chaque territoire doit être envisagé dans ses spécificités propres, et nous devons trouver le bon levier pour chaque situation, ce qui implique de renvoyer à des accords de territoire à chaque fois que cela est possible, plutôt que d’élaborer une loi trop compliquée et assortie de codicilles : donner de la respiration à l’organisation territoriale me paraît relever d’une philosophie correspondant pleinement à l’objectif de simplification que nous partageons tous.

Nous sommes tout à fait disposés, madame Laclais, à intégrer au texte tout dispositif permettant d’aller plus loin dans le soutien aux business angels. Par ailleurs, les maires et les EPCI ont vocation à jouer un rôle essentiel dans la définition des ouvertures dominicales, sauf dans les zones touristiques internationales ; il ne saurait y avoir d’ouvertures supplémentaires sans accord d’entreprise, de branche ou de territoire. Exiger une nouvelle autorisation de la commune en ce qui concerne les zones touristiques représenterait, me semble-t-il, un facteur supplémentaire de complexité – étant précisé que l’élu conserve, en tout état de cause, la prérogative de proposer une ouverture le dimanche.

Mme Chantal Guittet. Il y a bien cinq ouvertures obligatoires ?

M. le ministre. Le texte permet effectivement aux maires d’autoriser le travail dominical, dans les commerces dont il choisit le positionnement, douze dimanches dans l’année, dont cinq de droit.

Monsieur Heinrich, je pense avoir répondu à vos inquiétudes relatives à la profession d’avocat en évoquant la postulation territoriale. Pour ce qui est de la libre installation, elle se fera dans les zones situées sous la moyenne, mais pas dans celles où il y a déjà suffisamment de notaires : elle ne sera donc pas un facteur de concentration ou de création de déserts notariaux ; idem pour les huissiers. En ce qui concerne l’ouverture des commerces le dimanche, l’initiative revient aujourd’hui aux maires et aux présidents d’EPCI pour les zones touristiques, et les communes concernées se verront demander leur avis avant que la décision ne soit prise s’agissant des zones touristiques internationales.

Enfin, vous soulevez la question importante du rôle de l’Autorité de la concurrence. Il s’agit simplement, dans le cadre du contrôle de légalité, d’un avis pouvant être demandé par le préfet ou par l’Autorité autosaisie sur les textes d’urbanisme mentionnés. J’insiste sur le fait que ce n’est qu’un avis destiné à éclairer le contrôle de légalité, dont l’existence se justifie par le caractère extraordinairement malthusien de certains textes d’urbanisme, qui ne permettent l’ouverture d’aucun nouveau commerce. Plutôt que de rouvrir le dossier bien connu des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) et de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), récemment traité par la loi, il a semblé préférable de mettre en œuvre un examen plus approfondi des documents d’urbanisme dans le strict respect de la libre administration des collectivités territoriales.

Monsieur Castaner, vous avez souligné l’importance du dialogue social, ce à quoi je souscris pleinement, notamment pour ce qui est des travaux du COPIESAS, qui nous permettront certainement d’améliorer notre texte. Vous avez également mentionné la compensation pour les commerces alimentaires, actuellement ouverts de droit jusqu’à 13 heures. Dans le cas général, la compensation n’est pas prévue par le texte, et elle n’est d’ailleurs pas souhaitée par les professionnels, souvent couverts par des accords de branche existant depuis très longtemps – car il est dans les gènes de ces professions, notamment les commerces de bouche, de travailler le dimanche – et prévoyant des compensations salariales de l’ordre de 1,2 ou 1,3. Étendre la compensation pourrait faire courir un risque économique à certaines entreprises. En tout état de cause, nous avons décidé de ne pas rouvrir ce dossier concernant des commerces très spécifiques. Peut-être jugerez-vous opportun, dans un objectif de simplification, de tout ramener à un accord de branche, d’entreprise ou de territoire, mais je précise que nous n’avons pas concerté sur ce point. Il a seulement donné lieu à des discussions avec Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, et l’ensemble des professionnels concernés, qui ont tous déclaré préférer en rester au statu quo.

M. Francis Vercamer a fait au texte le reproche d’un manque de cohérence, ce que je ne peux accepter. Ce qui est proposé avec la réforme du conseiller prud’homal n’est qu’un élément de représentation et de simplification : la suppression des élections constitue une réforme de structure complémentaire. Sur l’inspection du travail, c’est le même texte qui servira de base à la concertation.

Pour ce qui est du travail du dimanche, je n’ai pas d’élément de réponse au sujet des aspects transfrontaliers. La diversité des situations évoquée par M. Francis Vercamer me conforte dans l’idée qu’il faut donner plus de flexibilité aux territoires : en effet, une commune frontalière peut avoir, contrairement à des communes situées en d’autres points du territoire, un intérêt à passer de cinq à douze dimanches d’ouverture. J’y vois un exemple concret du besoin de respiration territoriale pour ce qui est de l’ouverture le dimanche, et de notre volonté de donner le maximum de latitude aux élus locaux, hormis dans les zones touristiques internationales, dont le périmètre est toutefois extrêmement réduit.

Vous avez raison, madame Capdevielle, d’évoquer la question des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dont le projet de loi ne fait pas mention, mais au sujet de laquelle le rapport de Mme Cécile Untermaier apporte des éléments de réflexion. Il me semble que cette commission doit se saisir de la question et s’interroger sur les voies et moyens de moderniser cette profession de manière méritocratique, conformément à l’objectif poursuivi par l’ensemble des réformes que nous entendons mener au moyen de ce projet de loi. Il est important de le faire en préservant la qualité des avis rendus et, sur ce point, je reste ouvert à vos suggestions.

Pour ce qui est des bureaux secondaires, je pense qu’il faut prévoir une simple déclaration avec contrôle a posteriori du bureau local sur la réalité de l’activité, afin d’éviter les avocats hors sol. Il est important de faciliter l’installation de ces bureaux afin de prendre en compte le maillage territorial, ce qui passe par une inscription dans le texte.

Deux voies sont envisageables pour la réforme des prud’hommes. La première consiste à croire en la phase de conciliation et à lui donner le plus de substance possible, en accroissant les conditions de motivation et en déjudiciarisant cette phase autant que faire se peut, afin d’éviter que ce qui est dit durant la conciliation puisse être retenu contre les parties ultérieurement. Cette façon de procéder – celle que nous avons choisie, sans peut-être aller suffisamment loin – est fondée sur le paritarisme, puisque le bureau de conciliation est une structure paritaire. La deuxième consiste à supprimer la phase de conciliation et équivaut à un constat d’échec, puisque ce faisant, on renonce à un principe se trouvant au cœur même de la justice prud’homale. Elle entraîne une confrontation à une logique de moyens, car on s’oriente alors beaucoup plus vite vers le juge départiteur, ce qui implique de recourir à des juges professionnels – je n’irai pas jusqu’à parler d’échevinage, mais chacun aura compris ce que je veux dire.

Je suis très favorable à ce que nous ayons des discussions techniques approfondies sur cette question pour déterminer quelle solution est préférable en termes d’efficacité mais aussi de philosophie, afin de préserver le principe de paritarisme et de limiter les contraintes et incidences sur les finances publiques. On peut toujours se faire plaisir en instaurant des délais courts dans les textes de loi, mais cela ne sert à rien si l’on ne crée pas ensuite les postes de magistrats permettant de les respecter. Je partage vos aspirations et suis bien conscient des limites du texte, qui n’y répond qu’imparfaitement mais, en tout état de cause, nous aurons à choisir entre ces deux solutions inspirées de deux philosophies distinctes.

Pour ce qui est du sujet important qu’est le sort de Nexter, je veux d’abord dire, monsieur Vitel, que ce n’est pas une privatisation qui est envisagée, mais une ouverture de capital en vue d’un rapprochement avec l’entreprise allemande KMW. Nous avons choisi d’inscrire cette opération dans le texte qui vous est soumis pour mettre fin à un mouvement circulaire qui se poursuit depuis plusieurs mois : faute de dispositif légal adapté, les Allemands nous reprochent de ne pas être en situation d’avancer ; quant à notre entreprise française, elle ne parvient pas, à elle seule, à faire progresser les négociations. Je suis parfaitement conscient des réticences de mon homologue allemand, Sigmar Gabriel, au sujet des exportations d’armes, et des discussions politiques et techniques sont en cours entre nos pays respectifs afin de trouver des réponses. Si, aujourd’hui, les Allemands ne changent pas leur attitude de repli, même en deçà des textes des accords Debré-Schmidt, nous aurions un problème non seulement pour le rapprochement entre Nexter et KMW, mais aussi pour certaines activités d’EADS.

Au-delà des sensibilités politiques, chacun est parfaitement conscient de la nécessité de trouver une sortie par le haut, et l’ouverture de capital qui est proposée est l’une des conditions nécessaires pour cela. Enfin, les syndicats verront leurs préoccupations parfaitement prises en compte : comme c’est souvent le cas lors de telles opérations de rapprochement, on crée une holding – la plupart du temps basée aux Pays-Bas pour des raisons de gouvernance ; c’est ce qui a été fait notamment pour EADS et pour l’alliance Renault-Nissan. Cela dit, les structures opérationnelles ne seront en aucun cas vidées de leur contenu, et nous devons d’ailleurs attendre de voir comment les opérations se déroulent : en l’état actuel, nous sommes très loin de disposer d’une solution réglant l’ensemble du problème. Notre première préoccupation doit être de permettre l’ouverture du capital, de mettre en place une vraie négociation, actuellement très loin d’aboutir, sur nos valeurs communes, ainsi qu’une discussion sur les accords Debré-Schmidt – purger cette question est pour nous une condition essentielle à la poursuite du processus de rapprochement.

Madame Dumas, vous avez évoqué les associations, un sujet important, comme je l’ai dit dans le cadre de l’examen de la loi relative à l’économie sociale et solidaire. Sur ce point, notre texte peut et doit être enrichi, car les associations représentent un levier d’activité participant pleinement à l’activité et à la croissance du pays ; elles sont souvent aussi, et de plus en plus fréquemment, un élément de transition dans la carrière des salariés. Il convient donc de déverrouiller les accès aux associations, et je suis tout à fait favorable à ce que l’on puisse enrichir le texte de dispositions sur ce point.

Madame Guittet, j’ai pris note de votre scepticisme et de vos interrogations. Pour ce qui est des lignes d’autocar, j’ai envie de vous donner ce simple conseil : ne vous compliquez pas la vie ! Il n’y a pas à craindre que l’on réduise le service public des lignes d’autocar, puisqu’il n’existe pas à l’heure actuelle – sauf dans le cadre de certains groupements mis en place par des collectivités locales. Ce que nous proposons, c’est simplement d’ouvrir ce secteur. Il y aura des lignes rentables – ce qui est une bonne chose, car l’exploitation d’une affaire rentable, c’est le principe même de l’économie –, qui vont permettre de créer de l’activité, donc de l’emploi, dans le secteur marchand. Les lignes ne seront pas rentables partout et, là où elles ne le seront pas, la question se posera de savoir s’il est opportun de les créer tout de même au moyen de subventions publiques. De même, quand les investissements nécessaires n’auront pas été réalisés, il faudra se demander s’il n’est pas plus judicieux pour la collectivité et l’argent public d’aider à la création d’une ligne d’autocar plutôt qu’à celle d’une ligne de train. En tout état de cause, nous protégerons d’une concurrence sauvage des autocars les lignes de train ayant bénéficié d’investissements compensés – c’est l’objet de l’avis préalable de l’Autorité de régulation pour l’ouverture infrarégionale. Pour le reste, de grâce, laissons respirer l’activité en permettant l’émergence de nouveaux modes de transport et de nouvelles formes d’activité !

Pour ce qui est des travailleurs détachés, nous sommes tout à fait d’accord. Sur ce point, les dispositions du texte sont celles que vous aviez déjà travaillées et qui n’avaient pas pu être intégrées aux précédents textes : on reprend quasiment mot pour mot ce qui se trouvait dans votre rapport, en renforçant les conditions de sanction. La carte dans le BTP, préparée par François Rebsamen et annoncée par le Premier ministre, répond à une demande forte du secteur du bâtiment. Les plus grandes entreprises de travaux publics sont réticentes en raison des contraintes qu’un tel dispositif entraîne au niveau européen, mais il s’agit là d’un élément de régulation fortement souhaité. Pour ce qui est des décrets d’application, je n’étais pas informé du problème que vous soulevez, mais je vais me renseigner.

En ce qui concerne le travail dominical, là encore, n’ayez pas peur des libertés que nous proposons d’introduire. Cette loi n’obligera pas les maires à ouvrir douze dimanches par an, ni les commerces à ouvrir tous les dimanches, pas plus qu’elle n’enchaînera les Français à des chariots de supermarché : ce n’est pas le projet de société que nous soutenons. Notre texte donne l’opportunité aux maires d’ouvrir jusqu’à douze dimanches par an, à des salariés de travailler le dimanche en bénéficiant d’une compensation, et aux Français, qui consomment déjà le dimanche, de le faire encore plus s’ils le souhaitent. La société du choix, c’est aussi la société de l’émancipation, et c’est le projet de société que nous devons porter.

Je pense avoir répondu à toutes les questions qui m’ont été posées, monsieur le président.

M. le président François Brottes. À l’issue de trois heures quarante d’audition, vous avez effectivement répondu à toutes les questions avec une grande minutie, monsieur le ministre, et je vous en remercie. Notre commission spéciale se réunira à nouveau le 12 janvier prochain. Entre-temps, le rapporteur général et l’ensemble des rapporteurs thématiques inviteront nos collègues à des auditions portant sur différents thèmes.

La réunion se termine à vingt et une heure vingt.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Réunion du mardi 16 décembre 2014 à 17 h 45

Présents. - M. Julien Aubert, M. Luc Belot, Mme Karine Berger, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Bridey, M. François Brottes, Mme Colette Capdevielle, M. Christophe Caresche, M. Christophe Castaner, M. Jean-Yves Caullet, M. Gérard Cherpion, M. Alain Chrétien, M. Jean-Louis Costes, M. Marc Dolez, Mme Françoise Dumas, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Bernard Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Laurent Grandguillaume, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Sébastien Huyghe, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-Luc Laurent, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Dominique Lefebvre, M. Arnaud Leroy, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, Mme Sandrine Mazetier, Mme Martine Pinville, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Monique Rabin, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gilles Savary, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alain Tourret, M. Stéphane Travert, Mme Cécile Untermaier, Mme Clotilde Valter, M. Francis Vercamer, M. Philippe Vitel, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean Grellier, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, M. Christophe Cavard, M. Yves Daniel, Mme Chantal Guittet, M. Patrick Mennucci, M. Arnaud Richard

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