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Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité

Mardi 13 janvier 2015

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. François Brottes, Président

–  Suite de l’examen, ouvert à la presse, du projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, MM. Christophe Castaner, Laurent Grandguillaume, Denys Robiliard, Gilles Savary, Alain Tourret, Stéphane Travert, et Mmes Cécile Untermaier et Clotilde Valter, rapporteurs thématiques)

–  Présences en réunion

La commission poursuit l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, MM. Christophe Castaner, Laurent Grandguillaume, Denys Robiliard, Gilles Savary, Alain Tourret, Stéphane Travert, et Mmes Cécile Untermaier et Clotilde Valter, rapporteurs thématiques).

Article 10 (suite) : Consultation de l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme

La Commission reprend l’examen des amendements identiques SPE225 de M. Jean-Frédéric Poisson, SPE307 de M. Patrick Hetzel, SPE746 de M. Jean-Christophe Fromantin et SPE1392 de Mme Brigitte Allain, tendant à supprimer l’article.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si l’on ne peut être que défavorable à ces amendements de suppression, il faut tenir compte toutefois de certains points qui ont été mis en lumière.

Il ne faut pas voir cet article comme le signe d’une défiance à l’égard des élus locaux. Toutefois, il me paraît opportun d’envisager, à travers un amendement, de priver l’Autorité de la concurrence de la faculté de s’autosaisir. Les acteurs locaux pourraient être stressés de savoir que leur démarche peut être interrompue à tout moment par une autosaisine qui, le plus souvent, serait superfétatoire.

Audrey Linkenheld a indiqué que le seul prisme de la concurrence pourrait porter atteinte à la prise en compte d’enjeux de logement lorsque les documents d’urbanisme sont définis.

C’est pourquoi je propose de supprimer l’autosaisine de l’Autorité de la concurrence et de prévoir qu’une circulaire ou tout autre document puisse clarifier la position de cette instance afin que les enjeux de logement soient pris en compte, notamment par rapport à ceux de l’urbanisme commercial.

Nos débats viennent de se focaliser sur l’article 10, mais celui qui est vraiment important est le suivant. Il nous faut donc trouver un accord sur l’article 10 pour préserver dans son intégralité la pertinence de l’article 11.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Je vous confirme que le Gouvernement est défavorable aux amendements de suppression de l’article 10.

Tel qu’il est rédigé, cet article dispose que la saisine de l’Autorité de la concurrence est facultative. Son avis n’a pas vocation à être public, il ne porte pas grief, il ne fait pas partie d’une procédure et il n’intègre pas de test économique. À cet égard, il est donc conforme au droit économique. C’est pourquoi la saisine de cette instance est préalable à l’enquête publique et n’en fait pas partie. J’ajoute, comme cela a été indiqué par le rapporteur général, que cet avis est une faculté qui ne marque en rien une défiance à l’égard des territoires, puisqu’elle ne centralise aucune compétence ni aucun pouvoir.

Enfin, cette mesure n’ajoute pas de délai puisqu’elle se fait en temps masqué. Pour répondre aux préoccupations légitimes de Mme Michèle Bonneton, je précise qu’elle ne porte pas sur tel ou tel projet en particulier, mais sur l’ensemble des documents d’urbanisme visés par cet article.

Comme je suis sensible aux points soulevés par plusieurs d’entre vous et rappelés par M. Richard Ferrand, je souscris à l’esprit de sa remarque. Si son amendement vise à supprimer les deux phrases ou membres de phrase suivants : « Le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence de se saisir d’office de ces projets de documents ou de révision ou modification de ceux-ci. Dans les deux cas, consultation ou saisine d’office, » le Gouvernement émettra un avis favorable.

M. Gilles Lurton. Si je comprends bien, le ministre et M. Richard Ferrand sont d’accord pour supprimer la possibilité pour le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence de se saisir des projets d’urbanisme commercial. C’est la moindre des choses, car cela commençait à faire beaucoup !

Il n’empêche que le ministre chargé de l’économie et le préfet conserveront cette possibilité, ce qui constitue une très forte diminution des prérogatives des élus locaux. Étant donné la complexité de ces dossiers, j’imagine que les préfets ne se priveront pas de le faire dans la majorité des cas, ce qui pose une difficulté majeure aux élus locaux.

M. le président François Brottes. Certains élus locaux ne manqueront pas de le faire aussi !

M. Philippe Houillon. Pour gagner du temps, je vous signale que l’amendement SPE226 éviterait à notre rapporteur général d’en rédiger un puisqu’il tend aux mêmes fins.

M. le président François Brottes. Nous n’en sommes pas encore là ! Nous discutons pour le moment des amendements de suppression de l’article 10.

M. le rapporteur général. Pour ma part, je propose donc l’amendement SPE1912 qui supprime cette faculté d’autosaisine et qui sera discuté tout à l’heure.

Par ailleurs, je suggère qu’il soit précisé, par voie de circulaire ou tout autre document, qu’il conviendra que ces documents soient examinés sous la priorité gouvernementale du logement et pas seulement sous celle de la concurrence, s’agissant de foncier disponible dans les différents schémas locaux qui sont susvisés.

La Commission rejette les amendements SPE225, SPE307, SPE746 et SPE1392.

Elle examine les amendements identiques SPE226 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE308 de M. Patrick Hetzel, ainsi que l’amendement SPE1912 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. Philippe Houillon. Je ne vois pas ce qui peut s’opposer à l’adoption de l’amendement SPE226 puisque c’est la même chose que ce que propose le rapporteur général.

M. le président François Brottes. Non !

M. Philippe Houillon. Nous ajoutons seulement que le président de l’établissement public de coopération intercommunal – EPCI –, ce qui est logique, et le maire peuvent consulter l’Autorité de la concurrence.

M. le ministre. Je suis défavorable à ces deux amendements et favorable à l’amendement SPE1912 du rapporteur général.

Il convient de limiter la capacité à saisir l’Autorité de la concurrence. Donner la possibilité à tout maire, tout président d’EPCI ou de SCOT – schéma de cohérence territoriale – de saisir l’Autorité de la concurrence, c’est s’exposer assez rapidement à une discussion sur ses moyens. M. Jean-Frédéric Poisson rappelait tout à l’heure, à juste titre, que nous lui donnons beaucoup de prérogatives. Nous avons pesé au trébuchet, avec le président de cette autorité, les moyens dont elle a besoin pour les exercer, mais, si plus de 36 000 élus ont la possibilité de la saisir, de nombreux blocages et contre blocages risquent d’apparaître et vous pouvez alors être sûrs, même si nous ne prévoyons pas que ces avis fassent grief, qu’ils seront communiqués, et que des jeux à triple bande auront lieu. Si un élu le souhaite, il peut conseiller à son préfet de demander que l’Autorité de la concurrence soit consultée.

M. le rapporteur général. Il est paradoxal de dire que l’accroissement des compétences de l’Autorité de la concurrence risquerait de ralentir un certain nombre de processus, tout en proposant un amendement qui renforce les capacités de saisine. C’est pourquoi je maintiens qu’il faut rejeter ces deux amendements identiques et que je suis favorable à l’amendement que je propose. (Sourires)

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur général, il n’y a aucune forme d’incohérence à considérer que l’Autorité de la concurrence ne peut, sans dommage pour les territoires, avoir la capacité de s’autosaisir sans délai, et à proposer que les élus locaux, qui sont les premiers concernés par les schémas d’urbanisme, puissent consulter cette autorité. Je pense que nous défendons tous ici les libertés des collectivités locales, et en disant cela, je m’adresse plus particulièrement à l’élu de l’Isère à qui la Dent de Crolles et le petit train de La Mure sont familiers.

Très franchement, prévoir que l’Autorité de la concurrence qui est loin de tout pourrait s’autosaisir…

M. le président François Brottes. Monsieur Jean-Frédéric Poisson, le rapporteur général a fait, pendant que vous n’étiez pas là, une proposition qui nuit quelque peu à l’argumentation que vous êtes en train de développer.

M. Jean-Frédéric Poisson. Si notre amendement a permis que la position de la majorité et du Gouvernement évolue, nous en sommes ravis et nous en prenons acte.

M  le rapporteur général. À l’origine, on nous a expliqué que faire entrer, dans les règles du commerce, l’Autorité de la concurrence serait quelque chose de dilatoire qui ralentirait, priverait, mettrait les collectivités locales sous tutelle d’une autorité administrative qui déciderait in vitro – en employant cette expression, je ne fais que citer les bons auteurs. C’est pourquoi j’ai proposé que l’autosaisine soit supprimée et que l’on n’en rajoute pas sur la capacité à saisir. Car on ne peut pas à la fois dire que l’Autorité de la concurrence pourrait tout ralentir et multiplier le nombre de celles et de ceux qui pourraient la saisir.

Au nom de la cohérence, je demande à mes collègues de rejeter les deux amendements identiques et d’adopter mon amendement.

Les amendements identiques SPE226 et SPE308 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement SPE1912.

En conséquence, l’amendement SPE1165 devient sans objet.

La Commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE1174 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

En conséquence, les amendements SPE953 et SPE1165 deviennent sans objet.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1164 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Elle adopte l’article 10 ainsi modifié.

Article 10 bis (nouveau) : Aménagement des critères de délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale

La Commission examine l’amendement SPE1638 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement précise la législation actuelle. Une interprétation extensive de la loi peut laisser entendre que la moindre extension de surface de vente dans un ensemble commercial imposerait de revoir les performances énergétiques de tous les magasins de l’ensemble commercial, ce qui est rédhibitoire économiquement et poserait des problèmes d’application. Le présent amendement permet de limiter l’exigence de mise aux normes thermiques au seul bâtiment concerné par l’extension et non à l’ensemble commercial.

Suivant l’avis du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1638.

Article 10 ter (nouveau) : Autorisation de la cession et de la transmission des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale

La Commission est saisie de l’amendement SPE1636 du Gouvernement.

M. le ministre. Il s’agit d’un amendement de simplification qui permet de mettre en cohérence le code de l’urbanisme avec le nouveau régime des autorisations d’exploitation commerciale (AEC) instauré par la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

Je rappelle que le régime antérieur prévoyait des autorisations d’urbanisme cessibles alors que les AEC ne l’étaient pas. Désormais, les permis de construire valent AEC et on aligne en conséquence le régime des AEC sur celui des permis de construire. La possibilité de modifier le nom du bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme constitue un élément de souplesse dans le montage des opérations, sachant par ailleurs que la décision d’urbanisme est de toute façon délivrée au regard de la conformité du projet aux règles opposables et non en considération de la qualité du demandeur.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Favorable.

Mme Audrey Linkenheld. Je n’ai rien contre la cessibilité des permis de construire, mais je me demande comment peut s’articuler la cessibilité des autorisations commerciales avec l’injonction structurelle prévue par le projet de loi. L’autorisation commerciale est délivrée à une enseigne en particulier. Il n’est donc pas indifférent que ce soit une enseigne ou une autre. La cessibilité d’une autorisation d’une enseigne à une autre peut avoir une conséquence qui serait, le cas échéant, contraire à la volonté du Gouvernement de permettre une injonction structurelle en cas de position dominante de telle ou telle enseigne.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, dans un tel cas peut-on faire appel à l’Autorité de la concurrence ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Si je comprends bien, l’amendement du Gouvernement modifie un dispositif qui a été adopté, avec l’accord du même Gouvernement, au mois de juin, c’est-à-dire il y a six mois.

On peut appeler cela une forme de résipiscence, de retour au bon sens, une manière de simplifier des dispositions qui sont devenues compliquées en raison de mesures que vous avez prises vous-même. Quelle que soit la réalité des choses, nous pourrons apporter à cet amendement de bons sens un soutien collectif.

Mme Audrey Linkenheld. Je ne veux pas répondre à la place du Gouvernement, mais il me semble que l’amendement en question ne vient pas corriger quelque chose que nous aurions voté.

Ce que nous avons voté – et le président n’y est pas pour rien –, c’est la concordance entre un permis de construire et une autorisation commerciale. Ce principe demeure. L’amendement du Gouvernement vise à corriger une mesure qui prévoyait que les autorisations d’urbanisme valant AEC soient incessibles.

La question qui se pose est celle de la cessibilité de ces autorisations.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, je parle sous votre contrôle en disant que, lorsqu’une enseigne évolue ou change une fois que le magasin a été ouvert, plus personne ne peut objecter quoi que ce soit. La vie des affaires continue.

Dans la précédente loi, nous avons marié la logique de la démarche commerciale et celle du permis de construire au moment de l’ouverture du magasin. Vous savez bien qu’ensuite, s’il n’y a pas un changement fondamental des ouvertures ou de la toiture, l’enseigne peut changer de nom sans que le maire puisse intervenir.

M. le ministre. L’amendement qui vient d’être voté est en effet un élément de correction, contrairement à l’amendement dont nous discutons et qui est une mesure de simplification et de mise en cohérence.

En l’espèce, il s’agit d’une situation où un promoteur comme une enseigne peut être propriétaire. Les enseignes ne couvrent pas l’ensemble du dispositif.

Ensuite, il peut s’agir d’un terrain qui n’est pas encore bâti – c’est même la plupart des cas. Le caractère nuisible ou le prix excessif n’est pas encore déterminé. Les dispositions dont nous discuterons à l’article 11 viennent compléter ce dispositif et non le contrer, puisque l’autorité peut demander la vente dans le cadre de l’injonction structurelle, mais il faut encore la permettre.

Je rappelle, comme le disait à l’instant le président François Brottes, qu’il peut y avoir, même si l’on a simplifié les dispositions d’urbanisme et d’urbanisme commercial pour regrouper les éléments, des situations où l’enseigne n’est pas propriétaire de l’emprise.

La Commission adopte l’amendement SPE1636.

Article 11 : Injonction structurelle

La Commission est saisie des amendements identiques SPE232 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE314 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’article L. 752-26 du code de commerce vise les abus de position dominante et confère à l’Autorité de la concurrence des pouvoirs un peu plus faibles que ceux prévus par l’article 11.

Vous nous demandez, monsieur le ministre, de nous prononcer sur un article qui traite de « préoccupations de concurrence ». C’est un terme psychologique assez peu adapté au fonctionnement des autorités administratives, la préoccupation pouvant changer du soir au matin en fonction de divers éléments.

Une entreprise qui, au fond, n’aurait fait que son métier, en déployant ses activités sur un territoire, en conquérant des marchés sans spolier quiconque, par son travail, par la qualité de ses produits, de son management et de sa force commerciale, se retrouverait dans une situation que l’Autorité de la concurrence considérerait comme dominante, au motif qu’elle détiendrait une part de marché « préoccupante ».

L’alinéa suivant précise que, dans ce cas, l’Autorité de la concurrence peut enjoindre l’entreprise ainsi désignée de céder une partie de ses participations, de son capital ou de ses actifs pour rétablir une forme d’équilibre, par ailleurs définie de manière extrêmement théorique, ce qui est la marque de ce Gouvernement, la référence au loyer moyen pratiqué sur un territoire relevant d’une logique statistique qui n’a aucun sens du point de vue des marchés.

Cet article est contraire à la liberté d’entreprendre, à laquelle nous sommes tous attachés. Nombre de grandes entreprises françaises, notamment dans le secteur de l’énergie ou des transports, pourraient être visées par cet article. J’en connais certaines qui répondent parfaitement aux caractéristiques décrites dans ces deux alinéas.

Je ne vois pas à quel titre il faudrait pénaliser encore une fois, non pas des entreprises qui prennent une position dominante en agissant à la limite de la légalité, mais des entreprises qui sont peu nombreuses sur leur territoire, notamment en milieu rural où il y a souvent un seul opérateur par secteur d’activité. L’Autorité de la concurrence sera-t-elle « préoccupée » par cette situation ? Vous avez une vision extrêmement technocratique, très parisienne – inside the Beltway, diraient les Américains – et déconnectée de la réalité économique de nos entreprises et de nos territoires.

Un peu plus tard, viendra en discussion un amendement visant à rétablir la notion d’abus de position dominante et à supprimer la notion de préoccupation, qui n’est en rien une notion juridique, car trop subjective. C’est une source de contentieux et cela ne permet pas de soutenir, contrairement au titre de votre projet de loi, la croissance et l’activité.

La formulation actuelle du code du commerce, en termes d’appréciation de la concurrence et d’intervention de l’Autorité, nous paraît satisfaire à l’ensemble des situations. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous proposons la suppression de cet article.

M. le président François Brottes. Je précise que le secteur de l’énergie a sa propre autorité de la concurrence, la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

M. Patrick Hetzel. L’article 11 est l’occasion de s’interroger sur la manière dont le Gouvernement a envisagé le concept même de concurrence. On observe une augmentation inquiétante des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, d’autant que, derrière cela, il y a une vision réductrice de ce concept : pour vous, tout serait lié au nombre d’entreprises en place sur un marché. Avoir une vision où la concurrence serait uniquement mesurée à l’aune du nombre d’entreprises présentes sur le marché est une erreur majeure. Quand on regarde de près la manière dont l’Autorité de la concurrence a l’habitude de travailler, on s’aperçoit qu’elle commet trois erreurs. Puisque vous êtes un spécialiste en matière économique, j’aimerais, monsieur le ministre, vous entendre sur ces questions.

Premièrement, on évoque souvent la théorie du price maker. Cela revient à dire que les prix seraient déterminés par la rencontre entre les jugements de valeur des offreurs et ceux des demandeurs. Pour ma part, je considère que cette théorie peut être remise en cause. Ce n’est pas le député Patrick Hetzel qui le dit, c’est l’école économique autrichienne.

Deuxièmement, ce qui compte, s’agissant des prix, ce n’est pas seulement le nombre d’entreprises présentes sur le marché, c’est aussi l’efficacité productive de ces entreprises.

Troisièmement, la concurrence n’est pas une fin en soi. Elle ne peut être qu’un outil au service de l’économie, mais en réalité, elle n’est utile que parce qu’elle joue un rôle dans le processus d’allocation des facteurs de production.

Ce qui compte, enfin, c’est que les facteurs de production soient employés à satisfaire, aux yeux des consommateurs, les besoins les plus urgents. Or on ne peut pas dire cela ex ante, on ne peut le dire qu’ex post. L’intérêt de la concurrence, pour les consommateurs, c’est le fait que, dans une économie de marché non entravée, elle soit avant tout non entravée par les pouvoirs publics. Elle ne devrait donc pas être entravée par une autorité de la concurrence. L’existence même de ce type d’autorité me pose problème.

M. le ministre. Je voudrais d’abord rassurer M. Jean-Frédéric Poisson. Le texte précise que ce sont les magasins de commerce de détail qui sont concernés. Les autres secteurs ne sont pas visés par l’article.

S’agissant de la concurrence et de sa philosophie, monsieur Patrick Hetzel, je m’étonne que la majorité qui a créé l’Autorité de la concurrence soit aujourd’hui un tantinet émotive à l’idée qu’on lui donne les moyens de fonctionner…

Cela étant, je partage, pour partie, votre préoccupation en matière de concurrence. Je n’en fais pas une finalité et j’estime que l’Autorité de la concurrence ne doit pas avoir tout pouvoir. C’est bien l’esprit de l’article 11. La concurrence est le moyen de s’assurer que les acteurs économiques ne soient pas en situation de faire dysfonctionner un marché ou de capturer des marges de manière indue entre les différents acteurs productifs ou aux dépens du consommateur. Lorsqu’il s’agit de politique industrielle et de secteurs dits « exposés », vous avez raison, il faut avoir cette préoccupation.

Sans doute avons-nous trop souvent donné, par le passé, le primat à une politique de la concurrence dont le seul objectif était de réduire le pouvoir, la capacité, parfois même à faire les prix, de certains acteurs économiques. C’est l’erreur collective que nous avons commise, notamment au niveau européen. C’est en ce sens que nous travaillons depuis plusieurs années, et le Gouvernement porte cette voix dans les enceintes communautaires.

En l’espèce, il s’agit du secteur du commerce de détail, qui est très différent. Vous noterez, comme moi, qu’il n’est pas exposé à la concurrence. Il s’agit d’un secteur purement intérieur, dont la structuration est très particulière, un secteur où les fournisseurs comme les acheteurs sont multiples, et les distributeurs quelques-uns : c’est un oligopole. La capacité à faire le prix des commerçants de détail est donc importante.

Nous avons beaucoup d’enseignes en France. Les rapports qualitatifs de l’Autorité de la concurrence et de nos services font état d’une forme d’organisation régionale de ces enseignes, que nous avons vu s’organiser, même si elles sont nombreuses, pour éviter de se concurrencer entre elles sur des zones de chalandise. On a observé que les prix, sans que cela soit justifié par des conditions d’accès ou d’achat spécifiques, pouvaient parfois connaître des écarts de 15 à 20 %.

Je sais que cela contrarie certains distributeurs et certaines enseignes. J’en suis conscient et j’imagine, pour l’avoir vécu dans mon ministère, les appels énamourés ou effrayés que vous avez dû recevoir de nombre d’entre eux. Néanmoins, pour répondre à M. Jean-Frédéric Poisson, la rédaction de l’article 11 est exactement la même que celle de la loi Lurel...

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est précisément le problème !

M. le ministre. …qui a donné à l’Autorité de la concurrence le pouvoir d’injonction structurelle outre-mer. Or ce pouvoir d’injonction ne permet pas à l’Autorité de caractériser une infraction. C’est bien pourquoi le mot « abus » n’est pas employé. La notion figurant dans le code de commerce, le texte serait redondant. Il s’agit de s’appuyer sur un faisceau d’éléments, comme les prix et les marges tels que définis dans l’article. Le facteur principal n’est pas le nombre, mais la part de marché, critère retenu dans l’article, comme il l’avait été dans la loi Lurel. Les remèdes ne sont pas forcément la cession demandée par l’Autorité. L’entreprise peut aussi modifier ses pratiques.

L’article prévoit un contradictoire, durant lequel liberté est laissée à l’entreprise de revenir à une politique de prix ou de marges qui reviennent aux normes de marché. Aujourd’hui, lorsqu’il y a un écart de prix injustifié de 15 à 20 % entre deux zones de chalandise, si observation est faite à l’enseigne qui a une politique de prix abusive de revenir à une politique de prix plus normale, aucune injonction ne lui sera faite. Elle pourra porter des justifications dans le cadre du contradictoire. Il peut donc y avoir une part de marché élevée, sans qu’il y ait forcément abus caractérisé. L’objectif de ce texte est de corriger des situations où l’on pratique de manière injustifiée des marges ou des prix abusifs, alors qu’il n’y a objectivement pas de risque de politique industrielle.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable aux deux amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Nous sommes à front renversé, car ces principes d’injonction structurelle, d’essence très libérale, nous viennent de pays anglo-saxons. Les États-Unis et la Grande-Bretagne les mettent en œuvre en cas de position dominante. Les Britanniques ont pris des positions très fortes pour réinstaurer la concurrence dans des endroits où s’étaient constitués des monopoles.

Le principe d’injonction structurelle, mis en place par la loi du 4 août 2008, a été introduit au motif d’abus de position dominante. Du coup, l’Autorité de la concurrence n’a jamais pu intervenir parce qu’elle n’a jamais pu se saisir d’un dossier en ayant la preuve a priori qu’il y avait abus de position dominante.

Aujourd’hui, il s’agit de revenir à une notion qui lui permette de se saisir d’un dossier, et donc, d’interpeller une entreprise qu’elle soupçonne d’abus de position dominante, de commencer à dialoguer avec elle dans une approche graduelle et contradictoire, de mettre en œuvre des mesures négociées, ou d’aller plus loin et, au bout de la procédure, de mettre en place l’injonction structurelle, c’est-à-dire lui demander de se séparer d’actifs.

La notion de préoccupation de concurrence existe bel et bien. C’est une notion juridique, introduite par le droit européen, qui figure dans le droit français à l’article L. 464-2 du code de commerce et qui permet à l’Autorité de la concurrence d’entrer dans un dossier.

Enfin, si l’Autorité de la concurrence a un comportement abusif, elle peut toujours être attaquée en justice. On peut former un recours contre ses décisions et ses injonctions éventuelles devant la juridiction administrative.

Mon seul souci, monsieur le ministre, est d’éviter l’excès de zèle, en particulier à l’égard des petites structures commerciales et des positions dominantes indubitables, dans des endroits où l’on ne peut pas faire autrement. Les exemples sont nombreux de villes ou de villages dans lesquels il y a une seule enseigne indéniablement en position dominante, parce qu’il n’y a pas de marché. Il conviendrait peut-être de préciser s’il s’agit ou non d’une zone de marché concurrentiel.

Je suis défavorable aux amendements.

M. le président François Brottes. Ce secteur, à l’inverse d’autres secteurs, est en quelque sorte régulé en amont puisqu’il faut une autorisation pour exercer. Par conséquent, toute comparaison avec des secteurs où il n’y a pas besoin d’autorisation pour exercer est, me semble-t-il, nulle et non avenue dans notre débat.

M. Olivier Carré. L’intention du Gouvernement me préoccupe moins que les modalités d’application. Ce qui me fait peur, c’est l’introduction de critères mathématiques, je pense aux 50 % de parts de marché d’une zone de chalandise qui n’est pas définie, qui sera à géométrie variable et sur laquelle il faudra se justifier. Tous ces éléments vont introduire une subjectivité que l’on va chercher à objectiver, ce qui est toujours extrêmement périlleux et source de contentieux. J’estime pour ma part que cela affaiblit le droit actuel et j’aimerais savoir en quoi, à vos yeux, monsieur le ministre, cela le renforce.

M. Daniel Fasquelle. Ce débat me rappelle celui que nous avons eu sur la loi Lurel. Nous avions fait savoir, à l’époque, notre réticence à l’égard de ce texte, et développé les mêmes arguments qu’aujourd’hui. On nous avait répondu que ces dispositions étaient exceptionnelles, qu’elles resteraient cantonnées à l’outre-mer et qu’il ne serait pas question de les appliquer en métropole, que c’était en raison de la spécificité des marchés outre-mer que l’on prévoyait ces dispositions nouvelles et les pouvoirs particuliers donnés à l’Autorité de la concurrence. J’aimerais savoir ce qui a évolué depuis le débat sur la loi Lurel pour que, tout à coup, ce qui devait être réservé à l’outre-mer en raison des spécificités de ses marchés s’applique en métropole.

Par ailleurs, monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des éléments sur l’efficacité du dispositif outre-mer ? Et, s’il n’a pas été efficace outre-mer, pourquoi le reproduire en métropole ?

Pour le reste, le texte est flou et sera difficile à appliquer. Il est donc dangereux. L’article 11 mentionne l’existence d’une position dominante et, quatre lignes plus loin, fait état d’une part de marché supérieure à 50 %. Est-on, au-delà de 50 %, automatiquement en situation de position dominante ou faut-il cumuler les deux critères ? Ce n’est pas clair.

Ensuite, on nous parle de marges et de prix « élevés », qu’il est difficile de définir car c’est très subjectif. Que ce soit avant ou après 2012, nous avons souvent eu des débats sur les marges, en particulier celles de la grande distribution. Ce sont des débats très complexes, et tous ceux qui se sont attaqués au problème ont eu beaucoup de mal à cerner la réalité, et donc, à définir les marges.

Ce qui m’inquiète, c’est que les marges vont être calculées par rapport au secteur économique concerné. Cela veut dire qu’on va traiter de la même façon les commerces et les marges en région parisienne et au fin fond du Cantal ou du Pas-de-Calais. On va prendre le même point de repère pour l’ensemble du territoire national, alors que les difficultés d’acheminement, le nombre de clients sur place et le périmètre géographique sont très différents, ce qui justifiait que nous ayons une réglementation à part pour l’outre-mer. Vouloir, en métropole, traiter de la même façon territoires urbains et ruraux n’a aucun sens. Cela me semble même très dangereux.

En 2008, nous avions prévu les injonctions structurelles pour mettre fin aux situations de position dominante ou de monopole, qui posent effectivement problème. Il y a deux leviers sur lesquels il faut jouer. Le premier, c’est l’urbanisme commercial. C’est en déverrouillant l’urbanisme commercial et en permettant à des concurrents de s’implanter que l’on tirera les prix vers le bas. Je crois dans la concurrence, mais faites en sorte qu’il y ait de nouveaux concurrents ! Pour ce qui concerne les injonctions structurelles, il faut redéfinir la notion de position dominante, mais pas comme vous le faites, dans un texte flou et extrêmement dangereux pour les acteurs économiques.

M. le président François Brottes. De nouveaux concurrents dans un espace limité et contraint, monsieur Daniel Fasquelle, vous conviendrez que l’exercice est un peu difficile !

M. Julien Aubert. Selon les territoires dont nous sommes issus, nous avons une perception différente du problème. Je crains que l’article 11 n’ait été pensé pour des zones essentiellement urbaines ou métropolitaines, et j’ai beaucoup de mal à en voir la réalité dans un territoire très rural, comme le mien.

S’agissant de la rétention de valeur ajoutée, le problème, pour moi, c’est que les distributeurs massacrent les producteurs en récupérant une grande partie de la valeur ajoutée.

Le problème de la concurrence ne se situe pas au niveau des grandes enseignes, il est entre les centres-villes ruraux et les grandes enseignes, avec l’impact délétère que cela peut avoir. Vous dites qu’il y a un problème de concurrence. Ce n’est pas ce que nous constatons. D’abord, les gens n’hésitent pas, en milieu rural, à faire 30 ou 40 kilomètres pour se rendre dans une autre zone de chalandise si c’est moins cher. Par ailleurs, pour des articles de détail, il est toujours possible, à l’heure de l’internet, de contourner un accord commercial qui aurait été conclu pour tenir des prix élevés, en ayant un accès direct à des produits moins chers.

Enfin, si cet article est voté en l’état, je crains l’explosion du nombre de contentieux, sans parler du critère quelque peu flou de la « zone de chalandise ». Il peut y avoir un problème dans certaines parties du territoire. Il est évident qu’il y a des zones très spécifiques, notamment lorsqu’on peut difficilement voyager, comme outre-mer ou en montagne, mais je resterais très prudent pour ce qui est de la formulation, parce que je crains que le dispositif ne s’applique pas partout en France.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, je comprends votre volonté de remettre les pendules à l’heure, s’agissant des consommateurs. Mais il y a un cas de figure auquel vous n’avez sans doute pas pensé, celui des circuits courts, qui ne sont pas réservés au maraîchage et aux produits bio.

Un fabricant de meubles ou d’outillage, par exemple, peut avoir envie de monter sa propre enseigne. Dès lors qu’il fait de la qualité, il peut fort bien devenir leader dans sa filière, mais pas dominant. C’est une mauvaise façon de voir un entrepreneur : parce qu’il est premier, il serait dominant, et parce qu’il est premier, il faudrait le ralentir. Toute filière a besoin d’une locomotive. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais constaté qu’il était efficace, dans une filière, de ralentir la locomotive pour que le wagon de queue roule à côté. C’est le déraillement assuré ! Vous voulez assister ceux qui sont dans la même filière et qui produisent moins bien. Je pense, au contraire, que la concurrence stimule, tandis que l’assistanat démotive. C’est le nivellement par le bas.

Dans une commune, une grande surface, propriétaire du terrain, décide de changer d’emplacement. Elle veut vendre son terrain à la ville, en imposant des conditions. Dans ce cas de figure, on a besoin de l’Autorité de la concurrence, qui a été créée précisément pour qu’il y ait de la concurrence. Or vous vous servez d’elle pour qu’il n’y en ait plus. Là est la différence entre vous et nous. Je me demande, monsieur le ministre, comment un jeune Français qui monterait une enseigne pourrait avoir l’ambition de devenir milliardaire ! (Sourires.)

M. le président François Brottes. Je ne suis pas sûr que vous ayez bien compris le sens du texte…

M. Philippe Houillon. Nous ne pouvons pas clore ce débat, monsieur le ministre, sans que vous nous donniez votre définition juridique de la préoccupation de concurrence. Si vous n’y parvenez pas, je crains que nous n’ayons quelque souci d’ordre constitutionnel.

Le rapporteur thématique apporte de l’eau à mon moulin, car l’économie générale de cet article aboutit, en cas de non-respect, à des sanctions. Et quand il y a sanction, il doit y avoir, même si nous ne sommes pas en matière de droit pénal, une incrimination précise parce que les incriminations et les sanctions sont de droit étroit. Cela veut dire, pour parler clair, que nous attendons une définition.

Quand vous dites, monsieur le rapporteur thématique, que l’article L. 464-2 traite déjà de « préoccupations », vous avez raison. Mais ce sont des préoccupations rattachées à des critères et à des actes de concurrence prohibés. Dans ce texte, les articles qui prohibent ces actes de concurrence sont expressément visés. Je le cite : « …de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées… ». Il y a bien, dans cet article, une référence aux préoccupations de concurrence, mais elle est, conformément aux exigences constitutionnelles, rattachée à des pratiques prohibées. Votre texte comporte seulement quelques références à un quantum et aboutit, si les différentes injonctions ne sont pas respectées, à une sanction. Il faut, monsieur le ministre, que vous précisiez juridiquement ce qu’est ce type de préoccupation non raccrochée à une définition de pratique prohibée définie par des articles, comme c’est le cas pour l’article L. 464-2.

M. Patrick Hetzel. Lorsque la question de l’injonction structurelle a été débattue lors de l’examen du projet de loi Lurel, nous étions plusieurs à demander si le texte se limitait à l’outre-mer ou s’il y avait une volonté d’extension. À l’époque, le Gouvernement avait clairement répondu que, s’agissant d’un contexte de marché très particulier, le texte serait limité à l’outre-mer.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur thématique, vous dites à juste titre que les autorités de la concurrence existent dans des pays à vision libérale. Par contre, que font ces pays ? Ils définissent le concept d’abus de position dominante. Mais vous voulez aller plus loin, et c’est le problème dont nous débattons. L’abus de position dominante est un concept que nous pouvons entendre, mais ce que vous dites aujourd’hui, c’est que dès lors qu’il y a 50 % de parts de marché et des pratiques de prix et de marges élevés, il y a l’injonction structurelle.

Or ce que disent les économistes, c’est qu’on peut se retrouver dans ces conditions sans qu’il y ait le moindre abus. Il est normal qu’il puisse y avoir des actions en cas d’abus. Mais, avec cet article, même s’il n’y a pas abus, la procédure pourra être enclenchée. Votre vision, monsieur le ministre, est très restrictive et vous allez freiner l’entrepreneuriat dans notre pays, ce qui va à l’inverse de vos déclarations.

La Commission rejette les amendements SPE232 et SPE314.

La Commission examine l’amendement SPE1260 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. L’article L. 752-26 du code de commerce permet le contrôle a posteriori, classique, d’un abus. Or les dispositions que vous nous proposez prévoient un contrôle a priori, en fonction de la notion de préoccupation concurrentielle dont nous avons parlé tout à l’heure.

Si nous voulons être efficaces, les dispositions de l’article L. 752-26 ne doivent pas être abrogées, faute de quoi nous nous priverions d’une arme qui, si elle n’a pas toujours été efficace, peut ordonner, en droit, la modification de contrats entre le commerce de détail et ses partenaires.

M. le ministre. La disposition proposée me paraît inutile, dans la mesure où le régime nouveau permet d’appréhender l’ensemble des cas. Il semble donc incohérent de laisser coexister deux procédures distinctes pour appréhender les mêmes situations économiques.

Avis défavorable.

M. Joël Giraud. Je ne suis pas totalement convaincu, mais je retire l’amendement.

L’amendement SPE1260 est retiré.

La Commission est saisie des amendements identiques SPE229 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE311 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je conteste l’argumentation du ministre qui laisse à penser qu’il n’y a pas sanction. Il s’agit bel et bien d’une sanction, qui peut être prise, qui plus est, en fonction d’éléments de pure appréciation, puisqu’il n’y a pas d’éléments objectifs dans la loi. Je le redis après mon collègue Philippe Houillon, nous sommes ici dans une démarche à caractère pénal, en dehors de toute référence objective. Donc, admettons qu’au sens large on puisse parler de sanction, en dehors de toute de constitution préalable d’une infraction comme de tout critère objectif puisqu’il s’agit de l’appréciation subjective d’une autorité indépendante, et en dehors de toute règle de droit puisque la notion d’abus ne figure pas dans le texte – nous avons bien compris pourquoi. J’ai presque envie de demander au ministre si ces deux alinéas visent particulièrement les entreprises de grande distribution. Bien entendu, il dira que non, mais tout le monde sait que la réponse est oui.

Nous voulons supprimer cet alinéa pour éviter de faire subir à des entreprises des sanctions sur la base d’éléments qui manquent totalement d’objectivité, étant entendu qu’elles s’exposeraient à ces sanctions après avoir atteint une position qui n’est pas répréhensible en tant que telle.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre, nous avons légiféré, il y a quelques années, sur un sujet difficile pour l’outre-mer. Vous essayez d’appliquer le même principe à l’ensemble de la France. Soit. Pour autant, lorsqu’on lit sérieusement l’étude d’impact, on se rend compte que vous n’allez mettre en œuvre ce texte que pour le commerce alimentaire à Paris. S’agit-il de légiférer pour toute la France, alors que le problème se pose seulement pour le commerce alimentaire à Paris ?

M. le ministre. La philosophie de ce texte est de déverrouiller et de créer plus de concurrence. Nous voulons ouvrir la possibilité de réguler dans des situations, sans abus, de position dominante, qui conduisent à des pratiques excessives. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de start-up innovantes ni d’entreprises qui font face à la mondialisation, mais d’effets de rente qui se sont créés dans notre tissu économique, effets qui sont mauvais non seulement pour les consommateurs, mais aussi, parfois, pour les fournisseurs, c’est-à-dire pour les producteurs.

Cette situation constitue un quasi-monopole des distributeurs, qui peuvent alors pressurer les fournisseurs. C’est pourquoi nous ne visons pas seulement la pratique des prix, mais aussi celle des marges. Lorsqu’on n’a pas de prix excessifs, mais des marges anormalement supérieures et non justifiées par le prix du foncier, c’est qu’on pressure ses fournisseurs et qu’on peut le faire. Ce sont ces pratiques que nous visons.

Je tiens à vous rassurer, monsieur le député, les études d’impact ne peuvent pas être exhaustives. Celle dont vous parlez est déjà trop longue. Paris est visé, mais il y a d’autres cas qui, sans se situer outre-mer, n’en sont pas moins insulaires, je n’ai pas peur de le dire… On le tait trop souvent, y compris dans mes services. Donc, ces pratiques existent. Faudrait-il pour autant les taire ? Non.

Juridiquement, il s’agit d’une situation qui n’est pas un abus de position dominante, mais qui n’est pas non plus simplement caractérisée par le fait d’avoir plus de 50 % de parts de marché. Donc, le passage de 49 à 51 % ne suffit pas, puisque le texte fait référence au fait de pratiquer des prix ou des marges élevés par rapport à la moyenne.

Le raisonnement est juridiquement solide et le Conseil d’État a validé ce texte dans son intégralité, sans états d’âme.

M. Philippe Houillon. C’est bien dommage !

M. le ministre. Vous pouvez avoir les vôtres, certaines enseignes – je ne citerai pas de noms – peuvent légitimement avoir les leurs. Elles m’ont appelé, comme vous sans doute, pour m’en faire part. Ce dispositif a vocation à corriger et à prévenir.

Je récuse également le raisonnement consistant à dire que nous sommes dans un mécanisme quasi pénal assorti d’une sanction. L’entreprise peut proposer des engagements sur la base des analyses qui sont faites, et ce n’est qu’à l’issue d’un contradictoire que l’Autorité de la concurrence peut lui enjoindre de procéder à la cession d’actifs. Il ne s’agit en aucun cas d’une expropriation ou d’une amende.

J’émets un avis défavorable aux amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis également défavorable aux amendements.

Si l’on regarde la carte de France de l’implantation du commerce de détail, il saute aux yeux qu’il existe une sorte de partage du territoire – je ne sais pas s’il y a des ententes, ce n’est pas à moi de le dire –, avec des positions notoirement dominantes.

Du fait de votre expérience locale, vous êtes nombreux à être au courant des stratégies d’entrave foncière. Certaines enseignes achètent du terrain alentour sans rien y construire, dans le seul but d’éviter que l’on vienne s’implanter à proximité. L’injonction structurelle permettrait une cession d’actifs, par exemple de terrains, pour éviter l’entrave foncière.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, votre idée est louable, mais vous ne savez pas vraiment comment les choses fonctionnent sur le terrain. Dès lors qu’on veut ralentir un distributeur, que ce soit de façon réglementaire, normative ou législative, c’est le producteur qui trinque. Votre procédure permettra peut-être à un petit commerçant de résister, mais vous finirez par tuer la production dans notre pays.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, le ministre a sous-entendu à deux reprises que nous nous faisions les porte-parole de telle ou telle enseigne ou de tel ou tel lobby. C’est inadmissible ! Nous sommes les députés de la nation et nous pouvons être en désaccord avec votre texte, monsieur le ministre, sans nous faire les porte-parole de qui que ce soit. Je n’ai reçu personne, je n’ai eu aucun coup de téléphone, et cela ne m’a pas empêché de développer mes arguments devant cette commission. C’est la même chose pour mes collègues.

J’en reviens à votre texte qui, en réalité, rétablit le contrôle des prix. En 1945, on avait mis en place, en France, le contrôle des prix. C’est grâce à l’ordonnance du 1er décembre 1986 que l’on a terrassé l’inflation en introduisant la liberté des prix dans notre pays. Votre texte, monsieur le ministre, est un formidable retour en arrière. Chassez le naturel, il revient au galop ! Pour notre part, nous disons non au contrôle des prix et oui à la concurrence.

M. Julien Aubert. Je ne suis pas un député assez important pour avoir été appelé par de grandes enseignes, que, du reste, je combats généralement sur le terrain. Je cherche plus à limiter les grandes surfaces commerciales qu’à les aider.

Cela étant, monsieur le ministre, je comprends ce que vous cherchez à accomplir. Et à la limite, pourquoi pas ? Mais j’ai l’impression qu’on est en train de fabriquer un filtre extrêmement large qui pourra s’appliquer à toutes sortes d’entreprises pour attraper un type de squale que vous avez en ligne de mire dans certaines zones. Votre dispositif est trop large, et du coup, il peut s’appliquer à n’importe quelle entreprise. À Carpentras, il y a un seul magasin de bricolage. En lisant votre texte, j’ai l’impression qu’il pourrait être concerné. Si vous voulez limiter ce dispositif à des zones ultra-urbaines ayant des caractéristiques très particulières, pourquoi ne pas faire un focus plus réduit, de façon à cibler plus précisément les établissements ?

En réalité, c’est l’Autorité de la concurrence qui va décider ce qui pose ou non des problèmes de concurrence. Il y a, certes, des éléments concrets et arithmétiques dans cet article, mais tout va reposer sur l’interprétation de l’Autorité de la concurrence, à laquelle on donne en quelque sorte un blanc-seing.

M. le président François Brottes. Pour répondre à Daniel Fasquelle – je suis plus habitué que d’autres à sa véhémence  –, le ministre n’a jamais accusé personne d’avoir eu des contacts particuliers avec tel ou tel d’entre nous. Il a dit avoir lui-même rencontré les acteurs. Cela ne constitue pas, de mon point de vue, une mise en cause de quelque nature que ce soit.

La Commission rejette les amendements SPE229 et SPE311.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1176 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

La Commission en vient aux amendements identiques SPE227 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE309 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Malgré les explications du ministre et du rapporteur thématique, nous persistons à penser que la formulation actuelle de l’alinéa 2 ne donne pas aux entreprises la sécurité juridique suffisante pour savoir à quel moment elles seraient susceptibles de subir les foudres de l’Autorité de la concurrence.

Nous essayons, par cet amendement, de remettre de l’objectivité dans un dispositif, qui, sans cela, mettra en situation d’insécurité à la fois les entreprises concernées, votre texte même, monsieur le ministre, et l’Autorité de la concurrence. Tout cela en douze lignes !

Pour cette raison, nous voulons réintroduire dans le texte la notion d’abus de position dominante afin que les entreprises concernées puissent se raccrocher à quelque chose qui ait un caractère d’objectivité, fût-il minime. Il n’y a rien de pire, pour une entreprise, que de ne pas savoir à quel régime elles sont soumises, ce qu’elles ont le droit de faire et à partir de quand elles peuvent courir un risque. Le boulot d’un chef d’entreprise – ce que j’ai été –, c’est de savoir où commence la zone à risque. Je pense que nous ferions œuvre d’utilité publique en mettant un peu d’objectivité dans cet alinéa.

M. le ministre. J’ai déjà répondu sur le fond : l’abus de position dominante et la situation de position dominante, qui se caractérisent par des prix ou des marges supérieurs à la moyenne et que nous visons dans le cadre de l’injonction structurelle, sont deux choses très différentes. Le distinguo entre les deux notions a été validé juridiquement par le Conseil d’État. D’autre part, l’entreprise en situation de position dominante ne se verra pas infliger d’amende ou de sanction : elle pourra proposer des engagements, qui feront l’objet d’un échange avec l’Autorité de la concurrence. Certes, la procédure pourra aboutir à une cession d’actifs contrainte, mais le produit de celle-ci en reviendra à l’entreprise. Le dispositif est donc le même que dans le cadre du contrôle des concentrations. Avis défavorable sur ces deux amendements, qui visent à assimiler l’injonction structurelle à des mécanismes déjà existants.

M. le rapporteur général. Les abus de position dominante sont déjà sanctionnés. L’objectif de l’injonction structurelle est autre : rétablir une concurrence qui fait défaut dans une zone de chalandise donnée sans que tel ou tel opérateur ait nécessairement commis une faute. Dans le secteur de la distribution alimentaire, les six principaux groupes détiennent une part de marché de 85 %. Il nous semble donc justifié de créer une procédure spécifique.

Au-delà de ces arguments, qui suffisent de notre point de vue pour rejeter les deux amendements, je relève un paradoxe : ceux à qui on reproche trop souvent de préférer l’économie administrée souhaitent rétablir une concurrence suffisante, tandis que ceux qui sont réputés libéraux se révèlent essentiellement conservateurs !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous faisons du droit, monsieur le rapporteur général !

M. le rapporteur général. Pour notre part, nous faisons non pas du droit, mais de la politique ! (Exclamations de plusieurs commissaires du groupe UMP) Telle est notre fonction, et nous l’exerçons avec dignité et fierté ! Vous l’aviez d’ailleurs compris. Mais si cela va sans dire, cela va encore mieux en le disant !

Lorsque la concurrence est de facto défaillante, les producteurs ne peuvent pas valoriser leur production, et les consommateurs ne retirent pas les bénéfices attendus de la concurrence. La mesure proposée – qui peut, certes, paraître à front renversé culturellement – est donc une mesure de progrès. Elle va permettre de faire cesser des situations de quasi-monopole qui lèsent tant les producteurs que les consommateurs. Certains invoquent le terrain et voudraient purement et simplement conserver l’existant. Cependant, nous venons tous du terrain, car nous sommes tous élus dans des circonscriptions, et nous sommes au fait de la réalité économique. Or nous savons très bien que le rétablissement d’une certaine concurrence serait bénéfique à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs. Tout ce qui vise à entraver la mesure proposée me paraît donc contraire à l’intérêt général. Avis défavorable sur ces deux amendements.

M. Alain Tourret. À un moment donné, les grandes enseignes se sont réparti le territoire français : chacune s’est assuré la prééminence dans telle portion du territoire ou dans tel secteur, en invoquant une raison historique ou un accord local, voire en promettant de ne pas s’implanter sur tel marché étranger. Cela n’a pas été nécessairement un abus de position dominante : l’accord de partage a abouti à une situation de position dominante, qui a été acceptée dans les faits.

Dès lors, le problème est le suivant : quels pouvoirs attribuer à l’Autorité de la concurrence pour que les entreprises concernées renoncent à cette situation de position dominante, qui est en réalité un abus de position dominante qui ne dit pas son nom ? Une des solutions consiste, après avoir établi l’existence d’accord de partages entre les entreprises, à leur interdire tel contrat ou telle alliance, à charge pour elles de démontrer dans un délai fixé, le cas échéant sous astreinte, qu’elles ont renoncé à la situation en cause et contribué, par-là même, à rétablir un peu de concurrence, au profit du consommateur – toute position dominante étant par nature préjudiciable à ce dernier.

À partir de là se pose la question des sanctions. S’agissant de l’abus de position dominante, dans le cas où les injonctions de l’Autorité de la concurrence ne sont pas respectées, l’article L. 464-2 du code de commerce prévoit des sanctions extrêmement lourdes : jusqu’à 3 millions d’euros si le contrevenant n’est pas une entreprise et, pour une entreprise, jusqu’à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial le plus élevé réalisé au cours d’un exercice antérieur – ce qui peut faire plusieurs dizaines de milliards d’euros, même si l’Autorité de la concurrence n’est jamais allée jusque-là. Certains s’étonnent parfois du montant des sanctions infligées, mais il faut les rapporter aux maximums qui ont été fixés par le législateur.

Monsieur le ministre, vos services ont-ils étudié une carte sur la base de laquelle il serait possible d’intervenir ? D’autre part, dans le cas où les grandes enseignes refuseraient de se conformer aux injonctions, ont-ils évalué le montant des sanctions qui pourraient être prononcées par l’Autorité de la concurrence au profit de l’État ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vous avez dit, monsieur le ministre, qu’il n’y aurait pas de sanction. Cependant, en cas de position dominante, une entreprise pourra être amenée à céder une partie de ses actifs. Or, lorsqu’une entreprise cherche à emprunter, le banquier ne la regarde pas du même œil si elle a moins d’actifs. Contraindre une entreprise à céder des actifs, c’est l’affaiblir ou la ralentir. Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur général, que vous faisiez non pas du droit, mais de la politique. En tout cas, votre projet est tout sauf économique !

Chaque fois que l’on essaie de bloquer un distributeur, celui-ci garde de toute façon la même marge et c’est, au bout du compte, le producteur qui est perdant. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles une partie de la production a disparu dans notre pays. Ainsi, pour fabriquer des plats cuisinés, on a intérêt à utiliser des ailerons de poulet produits en Argentine plutôt qu’en France. Le patriotisme économique, que cherchait à promouvoir M. Arnaud Montebourg, a un coût : compte tenu des règles imposées aux entreprises par le code du travail et, partant, du coût du travail, acheter français revient de toute façon plus cher. En outre, si vous demandez aux distributeurs de vendre moins cher, vous allez certes favoriser le consommateur, mais celui-ci risque de perdre son emploi dans l’usine qui fournit les distributeurs !

M. Philippe Houillon. Monsieur le rapporteur général, les libéraux organisent l’exercice des libertés au moyen de la loi. Par ailleurs, vous venez de déclarer que le droit ne vous préoccupait guère. Je comprends mieux, dès lors, la teneur des articles qui suivent !

Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le ministre, qu’il n’y aura pas de sanction. Certes, il n’y aura pas d’amende pénale – le texte que nous examinons ne relève pas du droit pénal –, mais il y aura bien une sanction pécuniaire. La dernière phrase de l’alinéa 4 l’énonce d’ailleurs clairement : « L’Autorité de la concurrence peut sanctionner l’inexécution de ces injonctions dans les conditions prévues à l’article L. 464-2 du code de commerce », c’est-à-dire infliger des sanctions pécuniaires.

M. Jean-Yves Caullet. Il est toujours utile d’examiner la situation dans les pays voisins. Or, dans presque tous les pays d’Europe, à l’exception de deux ou trois d’entre eux, dont la France, le nombre de chaînes de grande distribution a été réduit à un ou deux. Nous risquons de connaître une évolution analogue : si nous laissons s’installer ce système de partage des territoires et que nous n’entretenons pas une forme d’émulation et de concurrence, chaque opérateur essaiera de croître et de grignoter du terrain au détriment de l’autre, et les concurrents disparaîtront un à un. Même si cela peut paraître paradoxal, la mesure proposée est vitale pour préserver une certaine diversité au sein des chaînes de grande distribution en France. Cette diversité existe encore, mais nous pourrions très bien la perdre si nous nous en tenons à une vision statique des choses. Je soutiens donc la mesure.

La Commission rejette les amendements SPE227 et SPE309.

Puis elle examine les amendements identiques SPE228 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE310 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’ai écouté avec attention les arguments du rapporteur général. Le principal défaut de l’alinéa 2 est – outre l’intention qu’il traduit – sa rédaction. Selon nous, cette rédaction devrait comporter davantage de critères objectifs afin d’éviter de donner à l’Autorité de la concurrence tout pouvoir pour apprécier les situations. Au vu de son amendement SPE1177 que nous allons examiner ensuite, le rapporteur général lui-même considère que les entreprises devraient être informées des faits qui leur sont reprochés. Cela prouve bien que l’article 11 manque infiniment de précision !

Monsieur le ministre, ainsi que l’a expliqué précédemment le rapporteur thématique, vous avez importé dans ce projet de loi la notion de « préoccupations de concurrence » qui figure à l’article L. 464-2 du code de commerce. Cependant, les « préoccupations » de l’Autorité de la concurrence visées à l’article L. 464-2 portent sur des faits prohibés qui font l’objet d’une définition stricte. Or, en l’espèce, le cadre est tout à fait différent, puisqu’il n’existe pas d’interdiction objective : aucun texte n’interdit à une entreprise de détenir plus de 50 % de parts de marché – dans un secteur qui n’est d’ailleurs pas défini par le texte – ni de pratiquer des marges élevées. C’est en cela que la rédaction de l’article 11 est fragile.

Je le répète : avec nos amendements successifs, nous voulons faire en sorte que les chefs d’entreprise connaissent les zones de risque. En remplaçant le terme « élevés » par « abusifs », nous apporterions une précision qui fait cruellement défaut à la rédaction actuelle.

M. Patrick Hetzel. Nous souhaiterions nous en tenir à l’abus de position dominante, comme dans d’autres pays. Pour votre part, vous voulez aller plus loin. En 2012, nous étions déjà très dubitatifs quant à la pertinence de l’injonction structurelle outre-mer ; nous avions avancé un certain nombre d’arguments à cet égard. Or nous ne disposons pas encore du recul nécessaire sur la mise en œuvre de cette mesure. Il nous paraît donc à tout le moins prématuré de suivre une telle logique.

M. le ministre. Le problème est le même que précédemment : si nous ajoutons le qualificatif « abusifs », nous tombons dans le registre de la sanction pécuniaire. Or telle n’est pas la philosophie que nous avons retenue. Le mécanisme que nous proposons est identique à celui qui figure à l’article L. 752-27 du code de commerce, introduit par la loi Lurel : l’Autorité de la concurrence examinera à la fois les parts de marché et les pratiques, et pourra faire part de ses préoccupations de concurrence ; ensuite, au regard des éventuels engagements proposés par les entreprises, elle pourra retirer ses observations ou les maintenir ; dans ce second cas sera engagée une procédure contradictoire, qui pourra aboutir à une cession d’actifs contrainte, mais dont le produit sera conservé par l’acteur économique. Je le répète : il n’y aura pas d’amende. Avis défavorable sur ces deux amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Dans les cas visés par l’article 11, l’abus de position dominante n’est pas constitué. L’article n’introduit pas une infraction, mais décrit une procédure motivée et contradictoire, qui peut aboutir, après des échanges de données et une tentative de conciliation, à une injonction structurelle. Définir une nouvelle infraction serait non seulement plus sévère, mais réduirait aussi la capacité d’action de l’Autorité de la concurrence : actuellement, dans le cadre de la loi de 2008, celle-ci ne peut pas accuser une entreprise d’abus de position dominante sans avoir ouvert au préalable un dialogue avec elle ni instruit le dossier. Avis défavorable à ces deux amendements, qui visent à faire de l’obstruction.

La Commission rejette les amendements SPE228 et SPE310.

Puis elle est saisie de l’amendement SPE1177 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à répondre à l’une des observations constantes de l’opposition : l’Autorité de la concurrence devra faire connaître, dès le début de la procédure, les éléments qui fondent ses « préoccupations de concurrence », notamment son estimation de la part de marché et du niveau des prix ou des marges.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1177, puis l’amendement rédactionnel SPE1175 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Puis elle examine les amendements identiques SPE230 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE312 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je regrette que le rapporteur thématique considère que nous faisons de l’obstruction, alors que nous essayons d’introduire un peu de rigueur et de précision dans ce texte. D’autant qu’il a lui-même déposé un amendement dans l’esprit de ceux que nous défendons. C’est aussi une forme d’obstruction, mais je le remercie de s’associer à notre démarche.

Selon les rapporteurs, dans le cas où un grand distributeur pratique l’entrave foncière – cela arrive parfois –, l’article 11 permettrait à l’Autorité de la concurrence de réduire cette entrave en le contraignant à céder des terrains. Or rien de tel n’est spécifié dans le texte. Donc, non seulement le texte est mal écrit et tend à conférer des pouvoirs abusifs à l’Autorité de la concurrence, mais il n’est pas suffisamment précis pour être efficace. La meilleure solution serait donc de supprimer l’alinéa 3.

M. Patrick Hetzel. Les approximations que contient ce projet de loi posent problème. Nous proposons de supprimer l’alinéa 3. Vous vous êtes d’ailleurs vous-même senti obligé de préciser la rédaction de cet alinéa, monsieur le président, ainsi que nous allons le voir avec votre amendement suivant.

M. Olivier Carré. L’article 752-27 du code de commerce fait référence à des territoires insulaires. En revanche, la zone de chalandise mentionnée à l’alinéa 3 n’est pas définie. Comment ces zones seront-elles délimitées ?

M. le ministre. Les zones de chalandise ont été définies par l’Autorité de la concurrence à plusieurs reprises. Nous nous appuyons sur une cartographie qui a été rendue publique et que nous allons vous faire parvenir.

Avis défavorable sur les deux amendements : sans la définition qui figure à l’alinéa 3, le mécanisme prévu par l’article 11 ne serait pas suffisamment robuste.

Quant à l’amendement déposé par le président François Brottes, il vise non pas à préciser les notions de part de marché ou de zone de chalandise, mais à rendre la procédure prévue à l’article 11 encore plus ambitieuse.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette les amendements SPE230 et SPE312.

M. Daniel Fasquelle. Vous avez affirmé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, qu’il n’était pas question de sanctions. Or l’article 11 renvoie à l’article L. 464-2 du code de commerce, lequel prévoit précisément des sanctions pécuniaires en cas de non-respect des engagements. D’autre part, le rapporteur thématique et vous-même nous avez expliqué que la procédure que vous proposez ne vise nullement à sanctionner des ententes ou des abus de position dominante. Mais l’article L. 464-2 s’applique aussi aux ententes et aux abus de position dominante.

Pour le reste, nous condamnons votre logique qui est celle – que vous le vouliez ou non – de l’économie administrée. À cet égard, votre démonstration ne m’a pas convaincu, monsieur le rapporteur général. Chacun est bien dans son rôle : partant du constat que les prix sont trop élevés, vous voulez instaurer un contrôle des prix. Pour notre part, nous avons une autre démarche : nous nous intéressons à la structure des marchés. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’interdiction des ententes. L’un d’entre vous a affirmé tout à l’heure qu’il y avait eu une entente entre les grands distributeurs. Si tel est le cas, identifions-la, puis condamnons-la.

Lorsqu’un dysfonctionnement du marché conduit à des abus, il convient de les sanctionner, mais en s’appuyant sur le droit commun. Et, si le droit commun ne suffit pas, il faut le faire évoluer comme nous l’avions fait. Cessez là encore de caricaturer notre position ! Nous avions souhaité qu’il y ait davantage de concurrence, car nous avions constaté, comme vous, des situations anormales : dans certains territoires, à la suite d’un certain nombre de concentrations, l’ensemble de la distribution est contrôlé par une seule enseigne, parfois sous différents noms.

Un moyen de mettre fin à ces situations est de lever le verrou foncier. Lorsque j’ai évoqué ce sujet tout à l’heure, le président François Brottes a souligné la difficulté d’attirer des concurrents supplémentaires dans certains territoires, mais le problème est plutôt le manque de terrains disponibles ou la pratique de certains opérateurs qui ont fait en sorte de contrôler le foncier. C’est un vrai sujet d’urbanisme commercial, et il faut se doter des outils pertinents.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. C’est bien ce que nous proposons !

M. Daniel Fasquelle. Non ! Le droit commun suffit ! Pour arriver à ce résultat, il n’est pas nécessaire de tordre le droit de la concurrence et d’imposer en métropole le « machin » que vous avez déjà mis en place outre-mer ! Certes, il faut revenir sur les concentrations là où c’est nécessaire, en obligeant le cas échéant certains opérateurs à céder des magasins, mais on peut parfaitement le faire en s’appuyant sur les règles relatives à l’abus de position dominante, quitte à en préciser la définition. Le biais que vous avez choisi, celui du contrôle des prix, en raisonnant à partir des zones de chalandise et des marges, déstabilise inutilement un droit de la concurrence déjà suffisamment complexe.

La Commission en vient à l’amendement SPE1615 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Je me suis demandé à un moment, monsieur Daniel Fasquelle, si vous n’étiez pas rapporteur du texte ! Mais votre conclusion montre que tel n’est pas le cas. Par ailleurs, vous vous souvenez certainement que, six mois environ après le vote de la loi de modernisation de l’économie, votre majorité avait corrigé un certain nombre de ses dispositions, sous la pression du monde agricole, parce qu’elles allaient trop loin dans le sens de la dérégulation.

Quoi qu’il en soit, votre intervention m’amène à présenter mon amendement, qui soulève la question des centrales d’achat. Il y a deux aspects : la concurrence du point de vue des consommateurs, c’est-à-dire le nombre d’enseignes, et la concurrence du point de vue des fournisseurs. Or, dans certains territoires, il n’y a plus de concurrence possible du point de vue des fournisseurs : lorsqu’une centrale d’achat détient, avec toutes ses enseignes, le monopole sur un territoire donné, un fournisseur qui n’est pas référencé par cette centrale d’achat ne peut plus vendre ses produits sur ledit territoire. Outre la question du prix, celle du référencement par la centrale d’achat est donc déterminante.

Avec mon amendement, je propose que l’Autorité de la concurrence intègre cette dimension lorsqu’elle évalue la part de marché en préalable à une éventuelle injonction structurelle – la question se pose plutôt en amont qu’en aval. En tout cas, nous devons avoir une réflexion à ce sujet et le traiter. Le nombre de centrales d’achat, déjà limité, a encore diminué au cours de l’année 2014 : nous avons assisté à la fusion de deux d’entre elles. Telle est la logique des affaires, et je ne conteste pas l’intérêt que les acteurs économiques peuvent avoir à se rassembler. Toutefois, pour les fournisseurs qui souhaitent se faire référencer, le nombre de guichets s’en trouve réduit à la portion congrue. C’est donc un vrai problème. Jean-Charles Taugourdeau l’a d’ailleurs évoqué indirectement tout à l’heure, lorsqu’il a déclaré que ce sont finalement les producteurs qui paient les pots cassés.

Quel est votre point de vue à ce sujet, monsieur le ministre ? Le cas échéant, je suis prêt à retirer mon amendement, notamment si sa rédaction ne convient pas au regard de l’objectif que l’on cherche à atteindre. Mais il exprime une préoccupation légitime.

M. le ministre. Quant au fond, le Gouvernement partage le même objectif que vous, monsieur le président. Tout en se battant contre l’idée qu’ils se faisaient de l’article 11, plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs souligné la nécessité d’aller plus loin que ce que nous proposons. Le véritable problème est en effet celui des grandes enseignes et de leur organisation, qui peut renforcer encore l’oligopole et pressurer les fournisseurs.

À ce stade, je ne suis pas en mesure de dire si l’amendement tel qu’il est rédigé répond en totalité au problème posé. Ayant été informé de la création de centrales d’achat communes, le Gouvernement a saisi l’Autorité de la concurrence et lui a demandé d’en étudier la mécanique. Le Sénat a fait de même. Dans la mesure où ces centrales d’achat ne sont pas des organisations capitalistiques, il est difficile de les contrôler de manière classique. Nous souhaitons observer comment les prix se forment en aval et évaluer les risques encourus. Je m’engage à communiquer le rapport de l’Autorité de la concurrence aux membres de la Commission et à discuter d’un amendement en séance publique, sur la base de celui que vous avez présenté, monsieur le président. Je suis prêt à enrichir le texte sur ce point autant que nécessaire.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je partage la même préoccupation que vous, monsieur le président : nous assistons à une très forte oligopolisation du marché par les centrales d’achat. Cependant, la rédaction de l’amendement me laisse dubitatif en ce qui concerne deux cas particuliers. Premièrement, comment séparer le bon grain de l’ivraie et motiver une intervention lorsqu’une même enseigne recourt à plusieurs centrales d’achat ou réseaux d’approvisionnement ? Deuxièmement, quel sera l’impact de cette mesure sur les organisations coopératives, dont la culture d’entreprise est particulière et qui possèdent certaines vertus ? Mon avis est donc réservé, et je m’en remets à la sagesse de la Commission.

L’amendement SPE1615 est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1179 et SPE1178 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Puis elle examine les amendements identiques SPE231 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE313 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. La constance est une vertu. Compte tenu des imprécisions que nous avons relevées dans le texte, du caractère abusif des pouvoirs qui sont conférés à l’Autorité de la concurrence et des risques qu’ils font courir aux entreprises, nous proposons de supprimer l’alinéa 4.

M. le ministre. La constance étant une vertu partagée, je ne peux que réaffirmer les arguments précédemment énoncés et émettre un avis défavorable à cet amendement.

La fin de l’alinéa 4 fait référence à l’article L. 464-2 du code de commerce, lequel prévoit bien des sanctions. Mais je précise que la sanction n’est en aucun cas le résultat de la procédure prévue à l’article 11 : elle n’est infligée in fine que dans le cas où les injonctions de l’Autorité de la concurrence ne sont pas exécutées.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette les amendements SPE231 et SPE313.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1181, SPE1182 et SPE1183 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques, ainsi que leur amendement de précision SPE1186.

Elle en vient à l’amendement SPE1184 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à préciser que les cessions d’actifs pourront concerner les terrains. Ainsi, l’Autorité de la concurrence pourra mettre fin aux entraves foncières pratiquées par certaines enseignes, qui figent le foncier autour d’elles afin d’empêcher que des concurrents ne s’installent. Et cela n’affaiblira pas l’entreprise concernée, monsieur Taugourdeau, puisqu’elle récupérera le produit de la cession.

M. le ministre. Avis favorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous considérez que nous sommes d’affreux conservateurs, alors même que vous prévoyez des dispositions indignes de notre temps, qui relèvent totalement de l’économie administrée. Le groupe UMP votera contre cet amendement très surprenant, et contre l’article 11.

La Commission adopte l’amendement SPE1184.

Puis elle adopte l’article 11 ainsi modifié.

Après l’article 11

La Commission est saisie des amendements identiques SPE1259 de M. Joël Giraud et SPE1406 de M. Jean-Louis Roumegas.

M. Joël Giraud. Aux termes de mon amendement, les associations de consommateurs pourraient demander à l’Autorité de la concurrence communication de tous les éléments nécessaires à la détermination et au calcul du préjudice subi par les consommateurs. Cette disposition rendrait toute son efficacité à l’action des associations en matière de concurrence et de dédommagement des consommateurs, tout en écartant le risque d’une réparation excessive du préjudice. Les entreprises seraient en effet assurées d’échapper à une surévaluation trompeuse ou infondée du dommage.

M. Jean-Louis Roumegas. Même argumentation.

M. le ministre. Je comprends l’objectif poursuivi par les auteurs des deux amendements. Mais cette mesure nous paraît quelque peu disproportionnée et pourrait faire courir des risques à certaines enseignes. D’autre part, l’accès aux documents détenus par l’Autorité de la concurrence se fait par l’intermédiaire du juge, qui peut ordonner au défendeur ou à des tiers, y compris aux autorités publiques, la production d’éléments de preuve nécessaires. Le juge, au préalable, veille au respect du principe de proportionnalité, notamment à ce que cette divulgation ne porte pas atteinte à la mise en œuvre effective du droit de la concurrence et, en particulier, à ce qu’elle ne pénalise pas les programmes de clémence. La directive européenne du 26 novembre 2014, qui est en cours de transposition, précise les règles de divulgation en matière d’action en dommages et intérêts en droit national pour les infractions au droit de la concurrence. Elle prévoit notamment que les juridictions ne peuvent pas enjoindre la divulgation de certaines preuves relatives à une demande de clémence. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Joël Giraud. Je retire l’amendement en attendant que nous puissions examiner cette directive de plus près.

Les amendements SPE1259 et SPE1406 sont retirés.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE1072 de M. Jean-Pierre Decool et SPE1078 de M. Hervé Féron.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à lutter contre le gaspillage alimentaire. Celui-ci augmente d’année en année dans le monde : plus du tiers des aliments produits pour la consommation humaine sont gaspillés, perdus ou jetés entre le champ et l’assiette. Selon des sources différentes, les Français gaspilleraient entre 1,2 et 6 millions de tonnes de nourriture par an, soit 20 à 90 kilogrammes par personne. Alors que la précarité s’installe dans des proportions inquiétantes, certains produits frais sont dénaturés ou destinés à la méthanisation.

Or les mesures prises depuis quelques années ne semblent pas à la hauteur des enjeux. Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, il est nécessaire de mobiliser tous les acteurs de la chaîne. En particulier, il paraît naturel de mettre les professionnels de la grande distribution à contribution, une grande surface produisant à elle seule près de 200 tonnes de déchets par an. Dans la mesure où elles disposent d’une logistique et de stocks importants, les grandes surfaces peuvent pratiquer le don alimentaire plus facilement que les particuliers. Non seulement ce don s’inscrit dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, mais il apporte aussi une aide aux personnes les plus démunies, qui peuvent bénéficier des invendus via les associations caritatives. Néanmoins, cette démarche repose uniquement sur la bonne volonté des exploitants. Il conviendrait donc de modifier la législation en vigueur pour lui donner un caractère plus systématique, ainsi que l’a fait récemment le parlement wallon, en invitant les enseignes de plus de 1 000 mètres carrés à proposer leurs invendus consommables à une association caritative avant qu’ils ne partent vers une filière de valorisation ou d’élimination des déchets.

Afin de combattre la gabegie alimentaire, cet amendement prévoit que les grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés s’engagent à mettre en place une convention d’organisation de la collecte sécurisée des denrées alimentaires invendues encore consommables au profit d’une ou plusieurs associations d’aide alimentaire. Certaines enseignes ont déjà fait la preuve de leur générosité. Et il n’est pas question de revenir sur la défiscalisation du don.

M. le président François Brottes. Nous avons examiné des amendements analogues lors du débat sur la transition énergétique et sur l’économie circulaire.

M. Arnaud Leroy. Nous devons traiter la question du gaspillage alimentaire de manière sérieuse. Nous l’avons évoquée au cours du débat sur la transition énergétique, mais nous pouvions discuter alors de l’opportunité de le faire dans ce cadre. Nous l’abordons à nouveau aujourd’hui à la faveur de discussions sur l’urbanisme commercial. L’idée est de fixer un seuil – 1 000 mètres carrés de surface commerciale – pour cibler un certain type de commerces. Le ministre de l’agriculture s’est attaqué au problème, mais nous devons aussi nous doter de moyens législatifs et réglementaires pour avancer. Telle est l’ambition de l’amendement SPE1078.

M. le président François Brottes. Lors de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, les débats sur cette question avaient été très sérieux. Nous avions d’ailleurs reçu des contributions des associations caritatives concernées.

M. le ministre. Le Gouvernement partage l’objectif louable de ces deux amendements. Nous avons procédé à de premiers ajustements dans le cadre de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : cette préoccupation a été intégrée dans les critères d’appréciation des projets soumis à l’autorisation d’exploitation commerciale. Ainsi, le Gouvernement a souhaité introduire une dimension d’utilité sociale dans le droit de l’urbanisme commercial. D’autre part, le 15 octobre dernier, le Premier ministre a confié au député Guillaume Garot une mission sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous attendons les résultats de cette mission, et il nous paraît prématuré de légiférer dès maintenant sur ce point.

Surtout, les grandes et moyennes surfaces contribuent déjà à la lutte contre le gaspillage alimentaire sur la base du volontariat. Les associations caritatives le reconnaissent, et elles ne voudraient pas qu’une obligation de don imposée aux grandes et moyennes surfaces leur transfère la charge de trier, voire de jeter les denrées. Elles nous ont toutes saisis à ce propos. Il serait sans doute utile d’organiser une concertation avec ces associations afin de trouver les bonnes modalités pour répondre à l’objectif poursuivi. Avis défavorable sur les deux amendements.

M. le rapporteur général. Avis défavorable, pour les mêmes raisons. Ces deux amendements portent sur des enjeux très importants, auxquels nous sommes tous sensibles. Cependant, il nous paraît sage d’attendre que notre collègue Guillaume Garot rende ses conclusions, afin que nous puissions légiférer d’une manière globale, éclairée et efficace pour l’ensemble des partenaires concernés.

M. Jean-Pierre Decool. Nous aurons à nouveau l’occasion de débattre de cette question le 5 février prochain dans le cadre d’une « niche parlementaire » du groupe UMP. Nous examinerons alors la deuxième proposition de loi que j’ai déposée sur ce sujet et dont cet amendement s’inspire. Quant à l’amendement SPE1078, il ne me paraît guère satisfaisant : si nous obligeons les grandes surfaces à pratiquer le don, nous perdrons la défiscalisation. Or l’argent économisé grâce à la défiscalisation permet d’organiser la collecte des denrées. Pour ma part, je propose la mise en place d’une convention pour organiser et sécuriser la collecte. Il faut traiter cette question avec beaucoup de justesse, dans l’intérêt des associations caritatives.

M. Daniel Fasquelle. J’ai cosigné tant l’amendement que la proposition de loi de Jean-Pierre Decool. Il s’agit d’un sujet important dont nous débattons depuis déjà très longtemps. Face à la montée des difficultés dans notre pays, il est urgent de trouver une solution. À défaut, les associations ne seront plus en mesure d’aider les plus démunis. Vous le savez comme moi, mes chers collègues, car nous sommes tous en contact avec les Restos du Cœur, le Secours catholique ou le Secours populaire. Vous savez aussi que l’Union européenne a voulu se retirer du financement de l’aide alimentaire. Certes, nous avons obtenu un délai, mais ce n’est qu’un délai. Cessons donc de produire des rapports et de repousser sans cesse le moment de la décision ! Chers collègues de la majorité, ne biaisez pas sous prétexte qu’il s’agit d’une initiative de l’opposition ! Je souhaite que nous nous retrouvions tous autour de la proposition de loi de Jean-Pierre Decool, montrant ainsi que nous sommes capables de travailler ensemble sur un sujet aussi sensible et important. J’espère que, pour une fois, la majorité votera un texte présenté par l’opposition.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement SPE1072 est un bon compromis : il ne prévoit pas d’obligation pour les entreprises, mais leur demande de faire un diagnostic de la situation et d’écrire elles-mêmes les procédures qu’elles doivent mettre en place pour procéder à la distribution des denrées alimentaires invendues. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la difficulté soulevée par certaines associations. Les entreprises craignent, elles aussi, qu’on leur impose la contrainte de trier les denrées. Néanmoins, nous pourrions nous entendre dès maintenant pour adopter cet amendement, les conclusions de la mission confiée à Guillaume Garot pouvant être prises en compte dans le décret d’application.

M. Jean-Yves Caullet. Je partage la préoccupation exprimée par Jean-Pierre Decool et Arnaud Leroy, mais une injonction aussi générale peut créer des difficultés. Il risque de se passer la même chose que pour la gestion de certains déchets : pour se libérer de leur obligation, les grands groupes passeront une convention avec une structure nationale et ne voudront plus traiter avec les associations qui organisaient le circuit de distribution localement. Soyons prudents et attendons les conclusions du rapport. En voulant bien faire dès maintenant, nous risquons de manquer notre cible.

Mme Brigitte Bourguignon. J’ai créé plusieurs associations d’aide alimentaire dans le Pas-de-Calais. Je suis naturellement favorable à ce que nous allions plus loin dans notre législation, mais il me paraît souhaitable d’attendre les conclusions de la mission confiée à Guillaume Garot. D’autant que la question de l’aide alimentaire ne se réduit pas à celle de la distribution des invendus des grandes surfaces. D’ailleurs, la plupart d’entre elles, si ce n’est la totalité, ont déjà conclu des conventions avec une association nationale d’aide alimentaire, les Restos du Cœur, la Banque alimentaire ou Emmaüs. Il existe d’autres sources possibles. En particulier, il conviendrait de travailler davantage à la récupération, en amont, des productions alimentaires en excès. À cet égard, je me suis intéressée à la filière du poisson, mais ce travail peut être conduit dans de nombreuses autres filières.

M. Julien Aubert. Je soutiens l’amendement de Jean-Pierre Decool. Je ne suis pas certain que le risque évoqué par Jean-Yves Caullet soit réel : si l’on s’en tient à la lettre de l’amendement, c’est non pas l’enseigne, mais chaque magasin qui devra passer une convention, ce qui permet d’agir au niveau local.

Nous débattons régulièrement de la question de l’aide alimentaire. Convient-il d’attendre encore ? Si nous sommes tous d’accord sur le principe, nous pouvons procéder en deux étapes : adopter dès aujourd’hui l’amendement, puis prendre en compte les conclusions de la mission confiée à Guillaume Garot lors de la rédaction du décret d’application.

M. le président François Brottes. Sur un sujet tel que celui-ci, il serait dommage de rechercher le clivage politique. Le ministre a fait une proposition de méthode. Nous ne devons pas manquer notre coup, sachant que les acteurs concernés ne sont pas tous d’accord entre eux.

M. Jean-Pierre Decool. J’ai fait preuve de patience : j’ai déposé une première proposition de loi ; j’ai mené de nombreuses auditions, notamment pour entendre les associations ; j’ai participé à des collectes dans les grandes surfaces. Et ce n’est que le jour où j’ai posé une question d’actualité que le Gouvernement a mandaté une mission sur le sujet. Je n’accepte pas que l’on remette en cause une proposition au motif qu’elle émane de l’opposition. Je maintiens donc mon amendement, d’autant que je souhaite absolument maintenir la défiscalisation, dans l’intérêt des associations.

L’amendement SPE1078 est retiré.

La Commission rejette l’amendement SPE1072.

Puis elle en vient à l’amendement SPE1393 de Mme Brigitte Allain.

Mme Brigitte Allain. Cet amendement vise à interdire la construction de nouvelles grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés sur des terres arables, dans des zones de chalandise dans lesquelles la concurrence est équilibrée. Plusieurs exemples récents de complexes géants illustrent l’échec de ces projets destructeurs, alors que les consommateurs plébiscitent les circuits courts et que les formes de vente à distance se multiplient et offrent une solution de remplacement à un modèle de grandes surfaces devenu obsolète. Une étude récente indique enfin que le nombre de locaux commerciaux inoccupés a crû de moitié ces deux dernières années.

M. le ministre. Je comprends votre préoccupation. Mais une interdiction de principe me semble excessive. L’article L. 752-6 du code de commerce prévoit déjà des critères d’autorisation qui intègrent les préoccupations d’aménagement du territoire et de développement durable. Les autorisations ne peuvent être délivrées que sur cette base.

En outre, pareille interdiction irait à l’encontre du principe constitutionnel de liberté d’entreprendre. Le contrôle économique a été supprimé ; l’instaurer de nouveau serait de nature à faire naître des incertitudes juridiques. Enfin, la législation a fait l’objet ces dernières années d’améliorations qui prennent en compte non seulement les intérêts économiques, mais aussi le développement durable. Elle permet désormais la régulation des situations visées par l’auteure de l’amendement, en ouvrant la possibilité de les régler au cas par cas.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable. Une interdiction totale, aveugle et définitive ne serait pas adaptée à la diversité des situations locales. Des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, auxquelles participent les chambres d’agriculture, se prononcent déjà sur les documents d’urbanisme.

M. le président François Brottes. Oui, il existe déjà des mécanismes de blocage.

M. Julien Aubert. Au risque de vous surprendre, je soutiendrai quant à moi cet amendement. Une massification des surfaces commerciales s’observe actuellement, tandis que les centres-villes meurent à petit feu. La procédure actuelle n’offre pas assez de garanties. Si une autorisation est refusée pour une surface importante, le projet est présenté de nouveau dans un format plus petit. Une fois accepté, il est suivi d’extensions répétées qui conduisent au même résultat. L’amendement aborde donc un vrai problème.

M. Philippe Gosselin. Il est vrai que le développement de grandes surfaces à la périphérie des villes est préoccupant, alors que le commerce de centre-ville souffre. Mais une interdiction générale et absolue serait contraire aux principes généraux de notre droit, mais aussi à la liberté d’entreprendre. La formulation retenue n’est pas la bonne.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, le principe de la liberté d’entreprendre ne saurait faire échec à la réglementation de l’occupation des sols. Les textes actuels ne règlent pas du tout le problème. Des locaux se bâtissent juste à côté de locaux abandonnés ! Seriez-vous favorable à cet amendement si sa rédaction était moins radicale ?

M. le ministre. Nous pouvons travailler ensemble sur ce sujet. Si nous n’arrivons pas au constat partagé que le droit existant apporte les garanties nécessaires, il est même envisageable de travailler à une autre rédaction.

L’amendement SPE1393 est retiré.

Article 11 bis (nouveau) : Codification de dispositions relatives à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1204 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Après l’article 11

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements SPE758 de M. Jean-Louis Roumegas et SPE1104 rectifié de M. Sébastien Huyghe.

M. Jean-Louis Roumegas. Mon amendement porte sur la réglementation des loteries commerciales, profondément modifiée par la loi sur la simplification de la vie des entreprises. Il semble indispensable de conserver une information des consommateurs leur permettant d’accéder au règlement de la loterie, afin de pouvoir juger de sa loyauté. Aussi est-il proposé de maintenir un dispositif allégé d’information, via la publication d’un règlement sur Internet. L’adresse internet du règlement serait publiée sur le bulletin de participation. Cette disposition de simple information ne serait contraire ni à la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005, ni à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

M. Sébastien Huyghe. La loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises a en effet tiré les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juillet 2014 en supprimant, de façon inopinée, l’obligation pour l’organisateur d’une loterie d’en déposer le règlement auprès d’un officier ministériel, en l’occurrence un huissier. Or tout l’intérêt de cette obligation est de protéger le consommateur, dans la mesure où l’officier ministériel a pour charge de s’assurer de la régularité de la loterie. Il garantit non seulement la régularité du tirage au sort, mais aussi la loyauté de l’ensemble des opérations. Aussi cet amendement vise-t-il à un retour à la situation antérieure, où le consommateur était beaucoup mieux protégé.

M. le ministre. J’entends vos arguments et j’aurais été tenté de rendre un avis de sagesse, si je n’étais informé de ce que la directive nous contraint à cette suppression, qui n’a pas eu lieu par mégarde. L’approche maximaliste de la directive ne laisse pas d’autre choix. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin. En France, l’État jouit du monopole des jeux. Si une loterie est organisée par une entreprise commerciale, l’intervention d’un officier ministériel permet de protéger cette prérogative. En outre, la législation antérieure était plus protectrice du consommateur.

M. Sébastien Huyghe. Je maintiens mon amendement, monsieur le ministre, même si je serais heureux de consulter l’analyse de vos services.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur la différence qui sépare les deux amendements. Le mien vise seulement à garantir une information préalable du consommateur. Je partage certes la même préoccupation que mon collègue Sébastien Huyghe, mais je propose un amendement qui n’est pas en contradiction avec la directive européenne. Si nous pouvions néanmoins vérifier ce point d’ici la séance publique, je serais heureux de compter alors sur votre soutien.

M. le ministre. Dès demain, vous disposerez des éléments d’analyse de mes services. Si votre proposition est compatible avec le droit communautaire, vous aurez le soutien du Gouvernement.

L’amendement SPE758 est retiré.

La Commission rejette l’amendement SPE1104 rectifié.

Elle en vient à l’amendement SPE1249 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Cet amendement vise à lever le secret professionnel sur les procès-verbaux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en prévoyant qu’ils soient transmis aux associations de consommateurs, de telle sorte que puissent être diligentées des procédures en réparation du préjudice à l’intérêt collectif des consommateurs.

M. le ministre. La DGCCRF est en charge de la politique publique de protection et d’information des consommateurs. Depuis 2005, elle agit chaque année dans le cadre de directives nationales d’orientation, qui sont destinées à donner cohérence et visibilité à son action.

Certaines dispositions juridiques font obstacle à l’adoption de cet amendement. Les pratiques illicites les plus graves au regard du code de la consommation sont passibles de sanctions pénales. Or, en matière pénale, il appartient au procureur de la République de se prononcer sur l’opportunité de poursuites. En ce domaine, les investigations des agents de la DGCCRF sont conduites sous son autorité ; ils sont tenus au secret de l’enquête en vertu de l’article 11 du code de procédure pénale. Cela exclut toute communication publique des constations effectuées.

Ce principe ne saurait du reste être écarté sans mettre gravement en cause les droits du professionnel poursuivi. Dans nombre de cas, la levée du secret professionnel porterait également atteinte au secret des affaires. Enfin, la loi Hamon a introduit un régime de sanctions administratives pour certains manquements au code de la consommation, répondant me semble-t-il aux préoccupations qui vous animent, monsieur Joël Giraud. Mais seule la DGCCRF peut alors prononcer les amendes prévues.

L’amendement SPE1249 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1247 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La Cour des comptes a attiré l’attention à plusieurs reprises sur les « cartes confuses » et demande encore une fois, dans son rapport annuel de février 2013, de « découpler les cartes de crédit des cartes de fidélité en magasin, de sorte qu’un crédit à la consommation ne soit plus contracté à l’insu du débiteur ». Il est en effet largement admis que le crédit renouvelable est l’une des causes du surendettement.

M. le ministre. Ce problème a déjà fait l’objet de nombreuses discussions, qui ont conduit à un changement radical de la situation et à un resserrement de la législation. En cas de distribution d’une carte de fidélité, aucun avantage promotionnel ne peut plus être lié au paiement à crédit de l’article convoité. Le paiement au comptant s’impose comme le paiement par défaut. Enfin, le programme de fidélité lui-même ne peut plus être obligatoirement lié à l’offre de crédit.

Plus personne ne peut donc aujourd’hui payer à crédit sans s’en rendre compte. Il semble que le bon niveau d’encadrement de ce type de pratiques soit désormais atteint. Aller plus loin serait disproportionné par rapport aux objectifs visés, voire défavorable aux consommateurs. Car les programmes de fidélité liés à des offres de paiement à crédit ont aussi permis l’émergence de petites enseignes, auxquelles le consommateur n’aurait sinon pas eu accès.

L’amendement SPE1247 est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement SPE1253 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La loi Lagarde et la loi Hamon ont instauré pour l’assurance emprunteur une liberté de choix qu’il serait bon d’étendre au cautionnement bancaire des prêts immobiliers. Le cautionnement constitue un marché détenu à 95 % par les banques, qui imposent aux clients emprunteurs leur propre organisme de cautionnement. Cette pratique empêche les clients de tirer parti du grand écart tarifaire constaté entre les organismes, puisqu’il varie de 1 à 2,5. L’instauration d’une véritable concurrence et la réduction subséquente des marges permettraient de dégager 270 millions d’euros par an, soit un gain de pouvoir d’achat substantiel.

M. le ministre. La réglementation du cautionnement bancaire dépasse le champ du seul droit de la consommation. Je partage votre ambition sur le fond, mais je suis inquiet sur les aspects prudentiels de votre proposition ainsi qu’au sujet de l’économie du secteur. Mon collègue Michel Sapin n’a pu être consulté. Peut-être aurions-nous avantage à revoir la rédaction de cet amendement d’ici la séance publique.

L’amendement SPE1253 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1257 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Il s’agit de faciliter l’accès à la justice pour les particuliers. L’amendement vise à remédier à la situation actuelle, qui restreint les possibilités d’action des associations de consommateurs en termes d’assistance en justice de ces justiciables.

En effet, la première chambre civile de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 21 février 2006, à travers une interprétation stricte et littérale du verbe « intervenir » de l’article L. 421-7 du code de la consommation, a condamné la pratique, jusque-là tolérée par les juges du fond, de l’assignation conjointe d’une association de consommateurs et d’un particulier. Il faut trouver une solution au problème créé par cette jurisprudence.

M. le ministre. Cet amendement ambitieux ne fait rien de moins que refondre le droit d’agir en justice des associations de consommateurs agréées, tel qu’il leur est déjà reconnu par l’article L. 421-1 du code de la consommation. Non content d’aménager leur droit à intervenir, il s’éloigne des règles générales du code de procédure civile en reconnaissant aux associations un droit général à réparation qui va bien au-delà de la possibilité d’exercer des droits reconnus à la partie civile. Son adoption peut être à l’origine d’incertitudes juridiques quant à la portée du droit à réparation. Le texte mérite sans doute d’être retravaillé avant la séance publique.

L’amendement SPE1257 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement SPE1265 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Cet amendement tend à donner toute son effectivité à l’action en suppression des clauses illicites et à mettre fin au cadre limité de l’action dite préventive. Il est nécessaire d’indiquer que l’action prévue aux articles L. 421-2 et L. 421-6 du code de la consommation s’applique à l’ensemble des contrats, tant ceux qui sont en cours, même s’ils ne sont plus proposés au consommateur, que ceux qui lui sont nouvellement proposés.

M. le ministre. Votre amendement aurait pour effet de conférer à l’action que peuvent intenter les associations de consommateurs agréées en suppression de clauses abusives un pouvoir curatif et non plus seulement préventif. Cette proposition a le mérite d’aller dans le sens de la loi Hamon, qui prévoit déjà la possibilité de demander au juge la reconnaissance d’un effet erga omnes des décisions judiciaires condamnant des clauses illicites et les réputant non écrites, de sorte que ces décisions puissent également produire effet pour d’autres contrats en cours. Quant à votre amendement, pour une bonne régulation publique, il serait cependant nécessaire de modifier parallèlement, sans doute par le biais d’un sous-amendement, le droit reconnu à la DGCCRF d’agir en suppression des clauses abusives dans les contrats de consommation, car il est calqué sur le droit reconnu aux associations de consommateurs agréées. Permettez-moi de vous proposer que l’amendement soit retravaillé en ce sens pour la séance publique.

L’amendement SPE1265 est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement SPE1264 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La jurisprudence actuelle ne permet pas aux associations de consommateurs d’obtenir réparation du préjudice à l’intérêt collectif dès lors qu’un agissement illicite a cessé. Or il est souvent difficile d’agir pendant que l’agissement a cours, par exemple avant la fin d’une campagne publicitaire, ce qui rend impossible toute action des associations agréées de consommateurs. Cette lacune me semble devoir être comblée.

M. le ministre. Comme l’un de vos amendements précédents, celui-ci reconnaît aux associations de consommateurs agréées un droit général à réparation de tout fait préjudiciable à l’intérêt collectif des consommateurs. Il va donc bien au-delà de la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile. En s’écartant des spécificités des règles applicables à l’action civile, telles qu’elles sont définies par le code de procédure civile, le présent amendement crée une insécurité juridique quant à la portée du droit à réparation qui serait ainsi reconnu.

L’amendement SPE1264 est retiré.

Article 11 ter (nouveau) : Modalités de versement des sommes reçues à la suite d’une action de groupe

La Commission étudie l’amendement SPE803 de Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Le présent amendement concerne l’action de groupe créée par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Un décret du 24 septembre 2014 habilite la profession d’avocat à assister l’association, sur autorisation du juge, dans la phase d’exécution du jugement sur la responsabilité. L’amendement tend à permettre, en ce cas, le dépôt des sommes reçues par les associations sur un compte de la caisse des règlements pécuniaires des avocats du barreau (CARPA).

M. le ministre. Cet amendement autorise le dépôt des sommes destinées à l’indemnisation des consommateurs lésés sur un compte de la CARPA, sans rendre ce dépôt obligatoire. Il s’agira d’une simple faculté, le dépôt sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations restant possible. Rappelons que les avocats ne peuvent recevoir ou manier de fonds en dehors de la CARPA. L’amendement n’est pas au demeurant contraire à l’esprit de la loi que vous évoquez. Gageons que ce geste favorable aux avocats sera bien accueilli par la profession et facilitera la compréhension d’autres dispositions prévues par le présent projet de loi.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis favorable. L’adoption de cet amendement serait un grand pas pour les clients des avocats.

M. Philippe Houillon. Il s’agit de réparer un oubli lors de la précédente réforme du code de la consommation. Cela va également dans le sens d’une meilleure mise en œuvre de l’aide juridictionnelle. Je soutiendrai l’amendement.

M. Philippe Gosselin. Oui, l’amendement permet de faire rentrer ces dépôts dans le droit commun de la CARPA, qui a fait la preuve de son efficacité. Quant au vœu du ministre, j’attends la suite de nos discussions pour savoir s’il sera exaucé.

L’amendement SPE803 est adopté à l’unanimité.

Après l’article 11

La Commission examine ensuite l’amendement SPE1402 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. La loi bancaire n’a réalisé que des avancées insuffisantes en matière de lutte contre l’exclusion bancaire. Le service bancaire de base gratuit ne bénéficie qu’à 32 000 personnes, alors qu’il en concerne potentiellement cinq millions ; la procédure d’octroi est en effet lourde et mal connue. Ce service, non content d’être réservé aux personnes ayant exercé leur droit au compte, coûte en outre 40 euros par an en moyenne. Le présent amendement vise donc à établir un droit d’accès de tous aux moyens de paiement, plutôt que de multiplier les mesures correctrices.

M. le ministre. Les points soulevés sont justes, tout comme les chiffres qui sont mis en avant. Le droit au compte établi par la loi bancaire du 26 juillet 2013 était pourtant censé régler le problème de l’exclusion bancaire. Elle prévoit que la Banque de France désigne un établissement à la personne désirant exercer ce droit au compte.

L’amendement vise à généraliser le droit d’accès gratuit, en dehors de la procédure décrite par la loi de 2013. Même si je conviens que le nombre de nos concitoyens qui jouissent de ce droit au compte est insuffisant, j’estime que la généralisation du droit au compte est disproportionnée et serait délicate à articuler avec la procédure existante. Le dispositif actuel mérite cependant d’être amélioré.

M. Éric Alauzet. La procédure prévue par la loi bancaire oblige en effet nos concitoyens à passer par la Banque de France, seule la Banque postale offrant directement le service bancaire de base. Sur la foi de vos explications, j’accepte de retirer le présent amendement pour mieux poursuivre les travaux sur ce sujet.

L’amendement SPE1402 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1254 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation rend obligatoire l’engagement volontaire des banques en faveur de l’aide à la mobilité bancaire. Or, aujourd’hui, le client d’une banque qui transfère son compte se heurte à des difficultés, des chèques pouvant arriver sur des comptes clos, tandis qu’il se retrouve interdit bancaire. Aussi le présent amendement vise-t-il à ce que l’établissement gérant initialement le compte propose obligatoirement un service de redirection vers le nouveau compte de l’ensemble des opérations au crédit ou au débit qui se présenteraient sur le compte clôturé. Ce service serait effectif pour une durée de treize mois à compter de la date de clôture du compte, à l’instar du dispositif en vigueur aux Pays Bas et au Royaume-Uni.

J’ai vu dans ma circonscription, à la suite de la fermeture d’une agence bancaire, de vieilles dames tomber dans des situations ubuesques pour avoir voulu transférer leurs comptes vers d’autres établissements bancaires qui continuaient à assurer un service de proximité.

M. le ministre. La mobilité bancaire doit être favorisée. Il était bon d’inscrire dans la loi le service d’aide à la mobilité bancaire. Mais vous citez des exemples étrangers qui sont coûteux et peu concluants. En France, l’emploi plus répandu du chèque pose en outre un problème spécifique. Le Comité consultatif de la législation et de la réglementation financière se penche sur la question et devrait proposer des solutions concrètes au cours du premier trimestre 2015. Pensez-vous pouvoir attendre qu’il rende ses conclusions ?

L’amendement SPE1254 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1394 de Mme Brigitte Allain.

Mme Brigitte Allain. Cet amendement vise à rendre obligatoire l’intégration au bâti commercial des parcs de stationnement. Cette proposition, pendant commercial de la politique de densification du logement, a pour objectif de lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des terres, en favorisant l’installation de parkings au-dessus ou au-dessous du bâti commercial.

M. le ministre. Quoique je partage votre préoccupation, il ne me semble pas souhaitable d’édicter une prescription aussi générale et contraignante. L’article L. 111-6-1 du code de l’urbanisme prévoit déjà un plafond d’emprise au sol des parcs de stationnement, qui s’établit aux trois quarts de la surface affectée aux bâtiments commerciaux. Sur cette base, les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) refusent déjà les projets qui seraient trop consommateurs de terrain. L’adoption du présent amendement alourdirait enfin le coût de l’aménagement commercial, allant à l’encontre des objectifs poursuivis par ce texte.

Mme Brigitte Allain. Des parkings immenses voient pour le jour près des supermarchés ; ils ne sont jamais pleins. Peut-on chiffrer le coût de long terme du manque de terres arables indispensables pour produire notre alimentation ? L’imperméabilisation des sols est à l’origine d’inondations incontrôlées de plus en plus nombreuses.

Mme Audrey Linkenheld. Comme rapporteure de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), je rappelle que le ratio entre la surface commerciale et la surface de stationnement avoisinante a déjà été resserré en mars 2014, pour lutter contre l’artificialisation des sols.

M. le président François Brottes. Je voulais même obtenir des dérogations d’agrandissement pour garer les véhicules électriques, mais je n’ai pas eu gain de cause !

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement SPE1394.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1409 de M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. Cet amendement vise à ce que les toitures des surfaces nouvellement bâties – notamment celles des grandes surfaces – intègrent soit un couvert végétal, soit des équipements de productions d’énergies renouvelables, l’un n’étant d’ailleurs pas exclusif de l’autre. Certaines grandes surfaces y ont déjà procédé spontanément, qu’il s’agisse des toits ou des aires de stationnement. Il nous paraît en tout cas judicieux de rendre la démarche plus systématique.

M. le ministre. Vous proposez une obligation absolue qui présente des risques. Elle conduirait en effet à une augmentation très significative des coûts de réalisation de projets commerciaux qu’elle rendrait vraisemblablement tributaires des tarifications d’ERDF pour le rachat de l’énergie ainsi produite. Elle conduirait aussi à dissuader, en certaines circonstances, la rénovation des bâtiments anciens – plus énergétivores.

Vous avez certes souligné l’existence d’un mouvement spontané là où l’opération en question s’avère rentable. Reste qu’il ne me semble pas qu’elle doive être rendue systématique. La loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ont déjà fortement renforcé les objectifs de développement durable imposables aux projets soumis à autorisation d’exploitation commerciale, et les projets commerciaux de dernière génération sont en très fort progrès en la matière. C’est d’ailleurs sans doute ce que vous constatez vous-même.

Il me semble préférable d’adopter une approche au cas par cas plutôt que systématique. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Roumegas. Vous vous référez souvent à la loi ALUR. Aussi positive soit-elle, j’espère que vous êtes conscient qu’elle n’a pas tout résolu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement SPE1409.

Article 11 quater (nouveau) : Simplification de la procédure de demande d’un nouveau permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale en cas de modification substantielle du projet

La commission en vient à l’amendement SPE989 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Il s’agit, pour ainsi dire, d’un amendement de rattrapage. Un projet commercial peut en effet subir une modification substantielle sans que l’enveloppe du bâtiment, sa constitution, change fondamentalement. Or le texte prévoit que le dépôt d’un nouveau permis de construire est nécessaire même si l’enveloppe du bâtiment n’est pas modifiée. C’est pourquoi, dans un souci de simplification, je propose la possibilité d’obtenir un permis de construire modificatif qui permettra, dans le cas évoqué, d’éviter de recommencer toute la procédure.

M. le ministre. J’y suis favorable.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la commission adopte l’amendement SPE989.

Article 11 quinquies (nouveau) : Renouvellement des accords dérogatoires relatifs aux délais de paiement dans certains secteurs économiques

La commission examine ensuite les amendements identiques SPE280 de M. Martial Saddier et SPE674 de M. Bernard Gérard.

M. Martial Saddier. Les délais de paiement sont au cœur de la performance économique d’une entreprise et, plus largement, de l’ensemble de la filière économique concernée. De plus, ils ont un impact direct sur la trésorerie des entreprises et donc sur l’activité économique. Avec plusieurs de nos collègues, j’ai obtenu que les délais de paiement, notamment dans les filières industrielles, soient réduits et mieux respectés. Depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’économie de 2008, une liste très restrictive d’activités saisonnières bénéficie d’une adaptation des délais de paiement ; c’est le cas de l’agroéquipement, du cuir, de l’horlogerie, du jouet et des équipements de sports d’hiver. Et puisque nous sommes en plein hiver, c’est dans ce dernier secteur que je prendrai un exemple des plus illustratifs : lorsque vous louez ou achetez une paire de skis pour les vacances de février, il est évident que le magasin de sport l’aura commandée six à dix mois auparavant. Il y a donc lieu d’adapter, pour ces activités saisonnières, le délai de paiement ; c’est l’objet du présent amendement qui vise à assurer une meilleure stabilité économique tout en fixant des limites pour éviter d’éventuels abus.

M. Bernard Gérard. J’ajouterai que j’ai le grand honneur de présider le groupe d’études « Textiles et industries de main-d’œuvre ». À ce titre, le comité de liaison des industries de main-d’œuvre m’a fait savoir que la disposition ici proposée était très importante pour ce secteur. Si Martial Saddier a pris l’exemple des équipements de sports d’hiver, il en va de même dans le secteur du jouet qui réalise 60 à 70 % de son activité pendant quelques semaines à Noël. Il faut absolument prendre en compte cette spécificité et donc voter cet amendement des plus raisonnables.

M. le président François Brottes. Je dirais que ce sont presque des arguments de bon sens.

M. le ministre. Je partage l’objectif poursuivi par ces deux amendements identiques. Il faut prendre en compte, en effet, la spécificité de certains secteurs. Il convient également de réduire les délais de paiement essentiels aux crédits interentreprises. Néanmoins, nous avons une légère objection d’ordre rédactionnel. Aussi, je vous propose, soit de sous-amender rapidement votre proposition, soit de retirer vos amendements afin que nous parvenions à une rédaction qui permette de préciser certains points – et ainsi, je m’y engage, le Gouvernement pourra émettre un avis favorable en séance publique.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis plutôt favorable aux deux amendements mais, si tout le monde s’accorde sur la méthode proposée par le ministre, je m’y rallie.

M. Martial Saddier. Peut-on connaître la teneur du sous-amendement que vous évoquez, monsieur le ministre ? Si les modifications que vous proposez sont marginales, autant voter ces amendements car « ce qui est pris est pris », si j’ose m’exprimer ainsi.

M. le ministre. Soit, je suis favorable au vote de ces amendements.

La commission adopte les amendements SPE280 et SPE674 à l’unanimité.

Après l’article 11

La commission examine ensuite les amendements SPE1396 et SPE1375 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Les amendements SPE1396 et SPE1375 sont parents, l’un traitant des assurances et l’autre des banques. Je propose d’améliorer une loi chère au ministre du budget puisqu’il en a été l’initiateur, et qui concerne les comptes bancaires inactifs et les comptes d’assurance en déshérence. Cette loi oblige les banques et les compagnies d’assurance à interroger le répertoire national d’identification des personnes physiques. Néanmoins, il est vraisemblable que cette démarche n’est pas aussi efficace que nous l’espérions.

C’est pourquoi, afin d’améliorer la collecte d’informations, tant pour les ménages que pour l’État, ces deux amendements proposent d’inscrire dans la loi un délai dans lequel une banque, pour le premier, une compagnie d’assurance, pour le second, se doit de demander la déclaration de succession afin de connaître les coordonnées du bénéficiaire du contrat. Cette déclaration de succession permettra d’identifier les héritiers à contacter. Une telle disposition limiterait le nombre de contrats en déshérence et de comptes bancaires inactifs, ce qui serait profitable à la fois aux finances publiques – dans certains cas la recette pour l’État correspondra à 60 % des sommes concernées –, et à l’économie – un tel dispositif permettant de remettre de l’argent dans le circuit.

M. le ministre. Contrairement aux contrats d’assurance vie en déshérence, encadrés par la loi Eckert, il n’y a aucune obligation pour les établissements de crédit de rechercher les titulaires de comptes inactifs, mais uniquement une obligation d’informer ceux-ci et leurs ayants droit. Puisqu’il convient d’en mesurer l’impact, je souhaite intégrer votre proposition au travail auquel je vous invite sur l’accessibilité bancaire.

Si je considère votre proposition avec bienveillance, je ne vous cache pas que les services de Bercy y sont défavorables. Je vous suggère que nous y travaillions ensemble dans les jours qui viennent et vous invite donc à retirer votre amendement. Ma volonté est d’avancer avec vous.

M. Éric Alauzet. J’aimerais savoir pourquoi les services de Bercy ne sont pas favorables à la disposition que je propose et grâce à laquelle on connaîtra les héritiers, ce que ne permet pas le droit en vigueur. J’ajoute qu’il faut prendre en considération les comptes à l’étranger, notamment dans des pays à fiscalité privilégiée. Il existe dans certains pays, la Suisse notamment, un système d’assistance qui facilite la recherche de ces comptes en déshérence. Je retire mes amendements qui pourtant, j’y insiste, me paraissent importants au moment où nous sommes à la recherche d’argent public.

Les amendements SPE1396 et SPE1375 sont retirés.

La commission examine l’amendement SPE1066 de M. Yves Jégo.

M. Michel Zumkeller. Le présent amendement vise à protéger le consommateur et surtout à valoriser la production française – puisque nous sommes tous favorables aux produits qui bénéficient d’une appellation d’origine, d’une indication géographique ou qui ont fait l’objet d’un processus de certification attestant de leur origine française. Or il se trouve que certains producteurs peu scrupuleux qui ne bénéficient pas de telles garanties utilisent le drapeau tricolore pour leurrer le consommateur. Nous souhaitons donc que cette pratique soit interdite.

M. le ministre. La pratique que vous dénoncez me semble déjà tomber sous le coup de l’article L. 121-1 du code de la consommation qui prohibe les pratiques commerciales trompeuses reposant sur « des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur » le consommateur, notamment sur l’origine du produit. Depuis l’adoption de la loi Hamon, les pratiques commerciales trompeuses sont punies de deux années d’emprisonnement, 300 000 euros d’amende, avec la possibilité, pour le juge, de proportionner ce montant aux avantages tirés de la pratique illicite. Il ne me semble donc pas utile de prévoir une mesure d’interdiction déjà couverte par le droit en vigueur et qui, de surcroît, dépourvue de sanction, n’offrirait aucune garantie d’effectivité. À la lumière de ces éléments, je vous invite à retirer votre amendement.

M. Michel Zumkeller. Notre collègue Yves Jégo, premier signataire de l’amendement, a beaucoup travaillé sur le sujet dont il est un spécialiste – nous pouvons donc lui faire confiance. Or, selon lui, la pratique que nous dénonçons ici n’est pas interdite.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je mesure mal la portée d’un amendement satisfait par le droit en vigueur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement SPE1066.

Chapitre III

Conditions d’exercice des professions juridiques réglementées

Article 12 : Rénovation des modalités de détermination de certains tarifs réglementés

M. Philippe Houillon. Nous sommes sur le point de vivre une situation inédite puisque, sauf erreur de ma part, le décret relatif à l’organisation du ministère de la justice donne à la garde des Sceaux compétence sur les sujets que nous allons examiner. Le fait que ce soit le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique qui les défende ici, c’est un peu comme si Mme Taubira présentait le budget à la place du secrétaire d’État chargé du budget ou du ministre des finances et des comptes publics. Voilà une situation curieuse !

Monsieur le président, nous souhaitons que Mme Taubira vienne s’exprimer devant la commission – nous pouvons pour cela attendre demain matin – sur des sujets qui relèvent de la compétence de ses services et qu’elle-même connaît très bien. C’est la moindre des choses. Si le texte confère au ministre de l’économie certaines compétences, pour l’instant il ne les a pas et elles sont du ressort de la ministre de la justice.

Si Mme Taubira ne venait pas et que vous cautionniez une telle absence, monsieur le président, ce serait une injure au Parlement, car je vous rappelle que la commission des Lois a créé une mission d’information sur les professions juridiques et judiciaires. Ladite mission a adopté son rapport à l’unanimité, et la commission des Lois a décidé de le publier également à l’unanimité moins deux abstentions. Or ce rapport préconise que certaines compétences restent l’apanage du garde des Sceaux. Il serait invraisemblable que la commission examine des dispositions qui concernent la garde des Sceaux sans qu’elle soit auditionnée.

Par ailleurs, et j’en termine, j’ai demandé au ministre, en début de séance, qu’il veuille bien nous communiquer le texte des ordonnances prévues par le projet ; or nous n’en disposons toujours pas malgré son engagement.

M. le président François Brottes. Vous n’étiez pas présent au début de nos travaux, monsieur Houillon, quand j’ai indiqué que M. Macron serait le seul membre du Gouvernement présent tout au long de l’examen du texte en commission, sachant que des membres de cabinets d’autres ministères que le sien l’assisteraient. Les différents ministres, dont la garde des Sceaux, seront présents lors de l’examen du projet de loi en séance publique. Vous êtes certes tout à fait fondé à désapprouver cette procédure mais elle vous a été précisée, j’y insiste, dès le début de nos travaux.

M. Jean-Louis Roumegas. La remarque de Philippe Houillon se justifie a fortiori en ce qui concerne les professions du droit. La garde des Sceaux n’est toutefois pas seule concernée. En effet, j’ignore, je le répète, si le ministre de l’économie est un « super-ministre », mais son projet touche à peu près à tous les codes. Seulement, il le fait de façon si rapide que je maintiens mon appréciation : nous avons l’impression d’un éléphant qui entre à cent kilomètres par heure dans un magasin de porcelaine. J’imagine, dans de telles conditions, qu’il y aura de la casse.

Au reste, si, d’accord en cela avec les intéressés, nous admettons tout à fait la nécessité de moderniser certaines professions du droit, la concertation n’a pas été suffisante malgré les déclarations en sens contraire de M. le ministre ce matin.

M. le ministre. Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit.

M. Jean-Louis Roumegas. Le Parlement n’a pas eu l’occasion d’organiser de tels échanges. Les représentants des professions concernées, que le ministre a traités d’« insatisfaits résiduels », contestent qu’il y ait eu une réelle concertation. Le Conseil national des barreaux, le Syndicat des avocats de France, l’Ordre des notaires ne sont pas des grincheux résiduels mais des organisations représentatives ; et si elles dénoncent la faiblesse de la concertation, elles doivent avoir de bonnes raisons.

Si nous abordons ce débat avec le souci de moderniser ces professions, encore faudrait-il prendre le temps d’y travailler sérieusement ; et si nous avons également le souci de maintenir une justice de proximité, la commercialisation des professions du droit ne peut être un objectif en soi.

L’accès au droit constitue pour nos concitoyens un autre enjeu dont hélas le texte ne traite nullement.

Au total, nous ne sommes pas conservateurs, nous ne pensons pas qu’il faille maintenir des dispositions qui datent de l’Ancien Régime. Nous n’en pensons pas moins que ce débat s’engage dans de mauvaises conditions, au risque, si nous allons aussi vite que vous le souhaitez, qu’il y ait, je le répète, de la « casse ».

M. Marc Dolez. J’ai déjà eu l’occasion hier, au début de nos travaux, de souligner combien notre groupe regrettait, déplorait la décision du Gouvernement de n’autoriser que M. le ministre de l’économie à venir devant la commission spéciale pour défendre le projet de loi. Nous vivons une situation surréaliste et inédite de la vie parlementaire : nous allons débattre des conditions d’exercice des professions juridiques réglementées sans leur ministre de tutelle – c’est incroyable. Puisque désormais, depuis la révision constitutionnelle de 2008, c’est le texte de la commission qui est examiné en séance, il est indispensable que nous puissions discuter avec la garde des Sceaux.

Je n’ignore pas que vous avez déclaré hier, monsieur le président, que le Gouvernement ne permettait pas à Mme la garde des Sceaux de venir devant la commission. Cela étant, il n’y a rien de honteux à changer d’avis et à écouter les parlementaires. Je vous demande donc, avec une certaine solennité, de transmettre au Gouvernement le souhait des représentants de plusieurs groupes de la commission. Nous pouvons même lever la séance en attendant la décision du Premier ministre.

M. le président François Brottes. Il ne m’échappe pas qu’il s’agit d’une démarche quelque peu dilatoire.

M. Marc Dolez. Pas du tout ! Ce n’est pas une manœuvre dilatoire que de demander la présence de la garde des Sceaux !

M. le président François Brottes. Si, dans la mesure où vous nous demandez d’attendre.

M. Jean-Yves Caullet. Au nom du groupe SRC, j’exprime, contrairement aux orateurs précédents, mon impatience d’aborder l’examen de cette partie du texte. Les professionnels du droit ont pu faire valoir leurs observations auprès de nombreux députés. Pour ma part, je les ai reçus à plusieurs reprises. Je souligne à cette occasion l’importance du travail du rapporteur général et de la rapporteure thématique qui ont conduit les auditions. Plusieurs amendements visent à en finir avec des situations insatisfaisantes par leur archaïsme, ce que les professionnels eux-mêmes, d’ailleurs, pour une bonne part, reconnaissent. Il nous appartient, en tant que législateurs, d’apporter des solutions et il se trouve que l’organisation des débats telle qu’elle est prévue est de nature à nous permettre d’avancer.

M. Philippe Vigier. Les propositions concernant les professions de santé ont été écartées et trouveront leur place dans le projet de loi sur la santé. Comme ce n’est pas le cas des dispositions relatives aux professions juridiques réglementées, maintenues dans le présent projet, je trouve regrettable l’absence de la garde des Sceaux. En dehors du groupe SRC, les autres groupes partagent le même sentiment ; il faut donc écouter l’opposition constructive mais aussi une partie de votre majorité.

M. Alain Tourret. Mon avis sera un peu différent. Nous avons procédé à de nombreuses auditions. Les cabinets des différents ministères concernés ont été très présents. Cette confrontation inhabituelle – grâce, notamment, au travail des rapporteurs – a permis de mieux comprendre les intérêts des uns et des autres.

Ensuite, puisqu’il faut une certaine unité devant la commission, un ministre a été choisi pour défendre l’ensemble du texte – et chacun peut reconnaître qu’il est très présent –, un ministre qui s’est sans nul doute pénétré des observations de ses collègues du Gouvernement.

Enfin, l’essentiel, d’un point de vue politique, se passera en séance publique où nous pourrons interroger l’ensemble des ministres concernés.

Aussi me félicité-je de cette juste répartition des rôles.

M. le président François Brottes. Chaque groupe qui l’a souhaité s’est exprimé sur la méthode. Par « dilatoire », monsieur Dolez, j’évoquais seulement le fait d’attendre. Je respecte le point de vue de chacun. Puisque nous avons clairement énoncé notre méthode, je vous propose d’entamer l’examen des amendements à l’article 12. Je rappelle que des membres du cabinet de la garde des Sceaux sont présents aux côtés du ministre de l’économie.

La Commission examine les amendements identiques SPE27 de M. Julien Aubert, SPE286 de M. Martial Saddier, SPE659 de M. Guénhaël Huet, SPE721 de M. Michel Heinrich, SPE799 de M. Jean-David Ciot, SPE877 de M. Michel Zumkeller, SPE1100 de M. Sébastien Huyghe ; SPE1141 de Mme Audrey Linkenheld et SPE1191 de M. Marc Dolez, tendant à supprimer l’article 12.

M. Julien Aubert. Nous avons une différence d’appréciation d’ordre philosophique sur ce que sont les professionnels du droit mentionnés à l’article 12 – avocats, huissiers de justice, notaires. L’activité des notaires, en particulier, est l’exemple type de celles que nous ne voulons pas libéraliser. En effet, de par leur statut, ils sont hors commerce – la spéculation en bourse leur est interdite –, ils ont une mission de service public et sont officiers publics. C’est pourquoi le présent amendement vise à supprimer l’article qui, dans cette perspective, n’a pas de raison d’être.

Ce que certains appellent archaïsme, je l’appelle service public ; or je crois au service public, je ne souhaite pas sa disparition. Les professionnels en question rendent un service qui dépasse la notion de commerce : les avocats permettent l’accès au droit, les notaires sécurisent les processus de transmission. La concurrence qui doit s’établir entre eux ne doit pas relever d’une logique de coûts mais de qualité de service. Si le « corridor tarifaire » prévu par le texte était adopté, une pression à la baisse s’exercera sur les tarifs qui aura des conséquences mécaniques sur les effectifs des offices. Huissiers de justice et notaires nous ont ainsi expliqué qu’une baisse de 20 % de leurs tarifs entraînerait une diminution de 50 % de leurs personnels. La suppression des petits cabinets qui en résulterait se fera de manière très concentrée dans les territoires les plus fragiles, à savoir les plus ruraux, accentuant de la sorte la fracture entre les villes et les campagnes.

Au-delà de l’impact économique de telles dispositions, notre position, j’y insiste, est avant tout philosophique. Elle est déterminée par la conception que nous avons des professionnels concernés : il ne s’agit pas d’épiciers, de vendeurs de voitures ; ils jouent un rôle social exorbitant du droit commun. Il faut donc maintenir leur spécificité.

M. Martial Saddier. Ce qui est choquant, ce n’est pas le débat sur les tarifs en lui-même, mais l’inscription des dispositions relatives aux tarifs des professions juridiques réglementées dans le code de commerce. L’établissement d’un testament n’est pas assimilable à l’achat d’une quelconque denrée alimentaire. Or c’est bien ce que prévoit l’article 12. Nous ne pouvons l’accepter. La France est reconnue dans le monde entier pour la qualité et la sécurité des actes juridiques qui y sont rédigés, qualité et sécurité liées à la spécificité de certaines professions, à commencer par celle des notaires. La banalisation de ces actes, à laquelle vous entendez procéder en les faisant relever de code du commerce, entraînera une baisse de leur qualité et de leur sécurité.

M. Guénhaël Huet. Le dispositif prévu à l’article 12 nous est présenté depuis plusieurs mois par le ministre de l’économie comme l’un des plus importants, des plus emblématiques du texte – on se demande un peu pourquoi. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, M. Montebourg, est allé jusqu’à déclarer, il y a quelques mois, qu’on allait redonner 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français grâce, notamment, à la tarification des professions juridiques réglementées, alors qu’on ne doit guère aller que deux ou trois fois, au cours d’une vie, chez un notaire, encore moins chez un huissier de justice. J’ai par conséquent du mal à comprendre, dans ces conditions, quel peut bien être le gain de pouvoir d’achat.

J’insiste, par ailleurs, sur le risque, pour un certain nombre de ces professions, notamment en milieu rural, d’être confrontées à de grandes difficultés. Les professionnels vous l’ont fait savoir, ils n’ont pas été entendus : leurs arguments, pourtant sérieux, fondés, ont été balayés d’un revers de la main, ce qui est regrettable.

Enfin, nos collègues Julien Aubert et Martial Saddier l’ont souligné, il est étonnant qu’on veuille inclure ces tarifs réglementés dans le code de commerce alors que les textes législatifs et réglementaires, le Conseil d’État, mais également les autorités européennes excluent explicitement de toute activité commerciale ou de toute nature commerciale les actes des professions juridiques réglementées – et en particulier ceux des notaires. Cette surprenante contradiction justifie la suppression pure et simple de l’article 12.

M. Michel Heinrich. Chacun sait que la France n’a pas été capable de respecter ses engagements budgétaires. Aussi ce texte a-t-il pour vocation principale d’envoyer un signe aux autorités européennes. Or quand on qualifie les métiers de notaire ou d’huissier de justice, d’activités commerciales, on est en parfaite contradiction avec les textes européens. Le caractère civil de l’activité des notaires et des huissiers de justice a été confirmé par le Conseil de l’Union européenne et par le Parlement européen dans le cadre de la directive « Services » de décembre 2006. Qui peut avancer ici que les notaires et les huissiers sont des commerçants ?

M. Jean-David Ciot. Les professions juridiques concernées par l’article 12 exercent une mission de service public qu’il faut assumer car elle présente l’avantage de sécuriser, on l’a dit, une grande partie des procédures judiciaires et juridiques. Il semble inconcevable de ne pas sauvegarder les missions de service public remplies en particulier par les huissiers de justice et les notaires. La disposition envisagée est d’autant moins justifiée, par ailleurs, qu’elle n’aboutira à aucune création d’emploi. Le service public n’est pas un commerce, aussi faut-il supprimer cet article purement et simplement.

M. Michel Zumkeller. Les députés du groupe UDI partagent les analyses qui viennent d’être présentées. Nous ne comprenons pas très bien la finalité de l’article 12. Le texte porte en effet sur la croissance et l’activité dont nous ne voyons pas comment elles vont pouvoir être stimulées par la disposition en question. Pire, nous avons vraiment l’impression que l’on va abîmer un secteur qui fonctionne, garant d’une certaine sécurité juridique, au point que les Français, si l’on en juge par le très faible nombre de recours, en sont satisfaits. Vous êtes sur le point de mettre un terme à un système que de nombreux pays tentent d’imiter.

On nous explique qu’il s’agit d’alléger les coûts des actes juridiques pour nos concitoyens. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler que ce qui coûte cher, dans ces actes, ce sont les taxes. Si vous voulez vraiment baisser le prix des actes juridiques pour augmenter le pouvoir d’achat des Français, diminuez donc les taxes.

Le « corridor tarifaire » que vous prévoyez conduira les notaires à appliquer les prix les plus bas. Or, actuellement, 70 % des actes des notaires ne sont pas facturés. Si ceux-ci se voient contraints de baisser leurs tarifs, ils factureront ces actes et, de ce fait, passer chez le notaire reviendra beaucoup plus cher.

M. Sébastien Huyghe. Je m’associe à ce qui a été dit sur l’incongruité de discuter des professions juridiques réglementées en l’absence de leur ministre de tutelle. Il a été répondu qu’une concertation aurait eu lieu. Or nous avons auditionné les représentants de ces professions qui tous nous ont déclaré, au contraire, qu’il n’y avait eu aucune concertation. Le seul fait qu’ils aient été reçus – sans qu’aucune conséquence n’ait été tirée de leurs remarques – ne constitue pas une concertation.

Au sein de la commission des Lois, une mission d’information a été constituée, présidée par notre rapporteure thématique, Cécile Untermaier, tandis que Philippe Houillon en était vice-président et corapporteur. Au cours des 42 auditions auxquelles la mission a procédé, 160 personnes ont été entendues. Le rapport qui en est résulté a été voté par l’unanimité de ses membres tandis que la commission des Lois en décidait la publication, également à l’unanimité. Or je suis très étonné, en examinant la liasse d’amendements, de n’en trouver aucun de la présidente-rapporteure de la mission qui reprenne les propositions émises par la mission. J’ai constaté, en consultant le site internet de l’Assemblée, qu’un amendement qu’elle avait déposé à l’article 12 a été retiré avant le début de nos travaux en commission. Or cet amendement aurait eu l’assentiment des membres de la mission, puisqu’il prévoyait de supprimer le « corridor tarifaire ».

Je propose la suppression de cet article car l’activité des professions juridiques réglementées est civile par nature et se situe donc hors commerce. On l’a évoqué : une profession semble particulièrement visée, celle de notaire. On peut d’ailleurs trouver sur internet la réponse de la porte-parole du parti socialiste aux vœux de Mme Cécile Duflot : Mme Juliette Méadel a déclaré que « ce texte n’enlève rien à personne à l’exception des notaires ». Ce qui m’étonne.

Le droit n’est pas une marchandise et, par conséquent, n’est pas soumis aux mêmes règles de concurrence que les activités marchandes concernées par les articles précédents. Ce caractère particulier de l’activité juridique est dû à notre système de droit continental qui est, certains orateurs l’ont souligné, très protecteur pour nos concitoyens. Il s’oppose au droit anglo-saxon qui fait du droit un marché soumis à la concurrence sans aucune régulation, ce qui lui ôte tout caractère protecteur. Ainsi, certains professionnels du droit, en France, ont la qualité d’officier ministériel ou bien d’officier public, ce qui signifie qu’ils sont dépositaires du sceau de l’État qui leur permet de conférer leur authenticité aux actes qu’ils rédigent et reçoivent. Ils participent ainsi au service public de sécurité juridique dû par l’État au titre de notre système juridique de droit continental.

Afin d’assurer l’égalité de nos concitoyens devant ce service public, il a été institué un tarif fixé par l’État, par l’intermédiaire du garde des Sceaux qui n’a jamais aussi bien porté son titre qu’à cette occasion. Ainsi, nos concitoyens, quel que soit l’endroit du territoire où ils se trouvent, sont assurés de payer le même tarif. Or, en mettant fin au tarif unique, vous supprimez une égalité entre nos concitoyens. En confiant à l’Autorité de la concurrence le soin de fixer une fourchette de tarifs, vous méconnaissez totalement la nature de ces activités juridiques et vous nous emmenez dans la voie de l’« anglo-saxonnisation » de notre droit, ce dont nous ne voulons absolument pas – cela au nom de l’intérêt général, au nom de la protection de nos concitoyens.

Mme Audrey Linkenheld. Je me suis penchée sur ces professions juridiques réglementées, même si je n’ai pas le plaisir de les connaître aussi bien que l’orateur précédent. J’ai reçu des notaires, des huissiers de justice, des mandataires et des administrateurs judiciaires de ma circonscription et alentour. J’ai ainsi pu mesurer la nécessité de moderniser certaines de ces professions et de partager plusieurs de leurs inquiétudes – du reste fort bien décrites dans les travaux de la mission d’information dont je tiens au passage à saluer la qualité.

En déposant cet amendement de suppression je souhaitais relayer une partie de ces inquiétudes. Toutefois, l’amendement SPE1885 y répond en grande partie. La solution que préconise son auteur préserve en effet le service public, l’accès au droit, permet de lutter contre la marchandisation, de jeter un rempart contre l’« anglo-saxonnisation » de notre droit que je ne souhaite pas davantage que Sébastien Huyghe. C’est pourquoi je retire l’amendement SPE1141 au profit de l’amendement SPE1885 des rapporteurs.

L’amendement SPE1141 est retiré.

M. Marc Dolez. Notre groupe a déposé un amendement de suppression pour des raisons de fond. Pour nous, le droit n’est pas une marchandise et nous sommes indéfectiblement attachés à notre système de droit continental. En outre, les tarifs applicables aux professions juridiques réglementées s’inscrivent dans le cadre d’une mission de service public.

L’article 12, qui met en place un « corridor tarifaire » permettant de faire varier une prestation identique entre un plancher et un plafond, porte atteinte au principe d’égalité. J’ajoute que cette nouvelle modalité de rémunération trouve sa raison d’être dans la notion avancée de coût pertinent. Nous pensons pour notre part que cette notion est subjective et dangereuse tant pour la qualité du service public que pour le niveau de l’emploi de ces professions.

M. le président François Brottes. L’ensemble des amendements de suppression de l’article 12 ont été défendus. Les membres du principal groupe d’opposition m’indiquent qu’ils préfèrent que le ministre réponde demain. L’usage voulant que le président de séance respecte cet avis, je vous propose de nous retrouver demain matin à neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Réunion du mardi 13 janvier 2015 à 21 heures

Présents. - M. Julien Aubert, M. Luc Belot, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Bridey, M. François Brottes, Mme Colette Capdevielle, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Christophe Castaner, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Louis Costes, M. Marc Dolez, Mme Françoise Dumas, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Daniel Fasquelle, M. Richard Ferrand, M. Bernard Gérard, M. Jean-Patrick Gille, M. Joël Giraud, M. Philippe Gosselin, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, M. Patrick Hetzel, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Sébastien Huyghe, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-Luc Laurent, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Dominique Lefebvre, M. Arnaud Leroy, Mme Audrey Linkenheld, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, Mme Martine Pinville, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Monique Rabin, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumegas, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Christophe Sirugue, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, M. Alain Tourret, M. Stéphane Travert, Mme Cécile Untermaier, Mme Clotilde Valter, M. Philippe Vigier, M. Philippe Vitel, M. Michel Zumkeller

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, Mme Brigitte Allain, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-David Ciot, M. Jean-Pierre Decool, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Annick Le Loch, M. Arnaud Richard, M. Lionel Tardy

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