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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 14 novembre 2012

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n°8

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente

– Communication de Mme Untermaier sur l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes : la réforme du décret d’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu la communication de Mme Cécile Untermaier sur l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes : la réforme du décret d’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La séance est ouverte à 14 heures 30.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le 2 octobre dernier, dans le cadre de notre programme de travail, nous avons décidé de faire le point sur la question de l’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites, article qui sanctionne financièrement les entreprises de plus de 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou de plan d’action.

Je rappelle que la Délégation aux droits des femmes, depuis l’adoption de cette loi, n’a pas relâché sa vigilance quant à ce sujet essentiel. Mme Zimmerman, notre ancienne présidente, et moi-même avions suivi avec une grande attention ce dossier, et la délégation avait fait part de ses critiques lors de la publication du décret du 7 juillet 2011 portant application de l’article 99, en appelant de ses vœux une nouvelle version du dispositif.

Au début de la présente législature, Mme Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, avait annoncé dès le mois de juillet devant la Délégation qu’un nouveau projet de décret serait élaboré, visant à remplacer celui de 2011.

La rédaction de ce nouveau décret progresse, mais il semble qu’une première version n’ait pas reçu l’avis favorable du Conseil supérieur de l’Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, auquel le projet de décret a été transmis en octobre.

Mme Cécile Untermaier. Depuis 40 ans, de nombreuses lois ont porté sur l’égalité professionnelle. Je mentionnerai seulement ici dans un souci de concision la loi dite « Roudy » qui en 1983, a instauré l’obligation pour les entreprises de rédiger un Rapport de situation comparée (RSC) des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes.

Plus récemment, l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a institué une sanction financière d’un montant maximum de 1 % des rémunérations et des gains à l’encontre des entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, qui n’auraient pas défini les objectifs et les mesures constituant le plan d’action de leur RSC.

Selon cet article, le montant de la sanction applicable peut être modulé par l’autorité administrative dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État en fonction des efforts de l’entreprise en matière d’égalité ou des motifs de sa défaillance.

En contrepartie de ces avancées, la loi de 2010 supprimait la date butoir du 31 décembre 2010 fixée par la loi de 2006 sur l’égalité salariale pour les négociations de rattrapage des salaires.

Un projet de décret d’application de l’article 99 a été présenté au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle début mai 2011, dont la teneur a été rejetée par l’ensemble des représentants syndicaux tant son contenu leur semblait s’éloigner des intentions du législateur.

Finalement, le décret n° 2011-822 du 7 juillet 2011 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes procède à une modification du code du travail pour y introduire les dispositions suivantes : « L’accord collectif ou, à défaut, le plan d’action prévu à l’article L.2242-5-1 fixe les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre portant sur au moins deux des domaines d’actions mentionnés au troisième alinéa de l’article L.2323-47 pour les entreprises de moins de 300 salariés et sur au moins trois des domaines mentionnés au deuxième alinéa de l’article L.2323-57 pour les entreprises de 300 salariés et plus. Ces objectifs et ces actions sont accompagnés d’indicateurs chiffrés. »

Les domaines d’action sur lesquels doivent porter les accords ou les plans sont donc précisés dans le code du travail. Il s’agit de : l’embauche, la formation, la promotion professionnelle, la qualification, les conditions de travail, la rémunération effective et l’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. On notera que cette liste laisse une marge assez large à l’entreprise et aux partenaires sociaux. Aucun domaine d’action obligatoire n’est prévu.

Par ailleurs, le décret prévoit qu’en l’absence d’accord ou de plan, l’inspecteur ou le contrôleur du travail met en demeure l’entreprise de combler cette carence. L’entreprise dispose alors d’un délai de six mois pour se mettre en conformité. Si elle ne le fait pas, elle encourt une pénalité et l’administration dispose d’un mois pour la notifier, la pénalité s’appliquant à partir de la notification. Il en résulte que l’entreprise n’est sanctionnée qu’après un éventuel contrôle et non à partir de la date d’entrée en vigueur du dispositif, soit le 1er janvier 2012. On peut donc craindre que l’entreprise n’attende un constat de l’inspection pour élaborer un plan d’action, avec le risque d’attentisme de la part des employeurs.

Le montant de la pénalité maximum a été fixé à 1 % de la masse salariale par l’article 99. Le directeur régional du travail décide de son taux en appréciant l’importance des obligations non respectées et les autres mesures qui ont été prises en matière d’égalité professionnelle.

Les entreprises « fautives » peuvent mettre en avant des motifs de défaillance pour justifier de leur impossibilité à se mettre en conformité avec la loi, au rang desquelles on trouve la survenue de difficultés économiques ou les restructurations ou fusions en cours.

En conclusion, l’application de la sanction n’est ni immédiate, ni automatique. On notera qu’à ce jour, aucune entreprise n’a été sanctionnée sur la base de l’article 99 et de son décret d’application.

Par ailleurs, le décret ne donne pas de précision sur les modalités de vérification quant au fait que la voie de la négociation a bien été privilégiée avant d’adopter un plan d’action.

Avant même tout projet de nouveau décret, l’examen du projet de loi sur la création des emplois d’avenir par l’Assemblée nationale, en septembre 2012, a été l’occasion d’ajustements législatifs. Ainsi, un amendement présenté par Mme Catherine Coutelle et adopté par l’Assemblée tendait à remédier à certains des défauts que j’ai décrits.

L’amendement prévoyait que « dans les entreprises d’au moins 300 salariés, ce défaut d’accord est attesté par un procès-verbal de désaccord », redonnant ainsi la priorité à la négociation sur le plan unilatéral.

Parallèlement, l’amendement prévoyait que « ce plan d’action est déposé auprès de l’autorité administrative ». Cette obligation permettra la centralisation auprès des services de l’inspection du travail des accords et plans d’action, d’où la possibilité d’effectuer un recensement exhaustif des plans effectivement mis en œuvre.

Cet amendement est devenu l’article 6 de la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012, marquant donc un réel progrès mais laissant entière la question du contrôle.

Un nouveau projet de décret d’application de l’article 99 de la loi de 2010 est donc en cours d’élaboration. Il imposerait aux entreprises de déposer leurs plans d’action auprès des Directions régionales du travail, obligation jusqu’alors réservée aux accords, et renforcerait ainsi la disposition adoptée dans la loi sur les contrats d’avenir.

Ce projet de décret imposerait également que les indicateurs sur la place des femmes (salaires, promotions, par exemple) inclus dans les rapports de situation comparée (RSC), se déclinent par catégories professionnelles.

Une version remaniée du projet de décret a été présentée le lundi 12 novembre au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Il semblerait que cette nouvelle version procède à l’élargissement du nombre des domaines d’action sur lesquels doivent porter les accords ou les plans. Ce nombre serait porté de deux à trois pour les entreprises de moins de 300 salariés et porté de trois à quatre pour les entreprises de plus de 300 salariés.

De surcroît, ce nouveau projet, d’après les informations obtenues, imposerait que la rémunération figure obligatoirement dans les domaines d’action retenus par l’accord collectif ou le plan d’action. Cette obligation nouvelle serait particulièrement bienvenue si l’on se souvient que la date butoir du 31 décembre 2010 fixée par la loi de 2006 sur les négociations de rattrapage salarial avait été supprimée par l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010.

En tout état de cause, la question de la procédure de contrôle de la mise en œuvre de la politique d’égalité par les entreprises doit être impérativement précisée : objectifs, fréquence, modalités, contenu, accompagnement des acteurs.

Dans ce contexte, je vous propose cinq recommandations qui pourraient être transmises au Gouvernement avec l’objectif de voir élaborer une réglementation garantissant l’effectivité du droit à l’égalité professionnelle et salariale.

Mme Conchita Lacuey. L’obligation de transmission des rapports de situation comparée et des plans introduite par la loi sur les emplois d’avenir, comme les procédures que vous recommandez, constitueraient des avancées, mais l’on peut se demander si les services de l’inspection du travail disposent d’assez de moyens pour examiner l’ensemble des documents qui seront déposés et de donner suite. Il faudrait accompagner ces dispositions de moyens supplémentaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Notre amendement a prévu que le plan d’action soit déposé auprès de l’autorité administrative, ce qui permettra la centralisation auprès des services de l’inspection du travail de tous les accords et plans d’action. Les services pourront effectuer un recensement exhaustif des plans mis en œuvre. Ce contrôle sur pièces sera déjà plus aisé à réaliser que le contrôle sur place actuel, qui semble-t-il n’a pas été mis en œuvre, et pour lequel l’administration ne disposait pas d’instructions quant aux entreprises à contrôler en priorité et quant au constat qu’il convenait de faire. Le travail des DIRECTE devrait s’en trouver facilité.

Mme Cécile Untermaier. Si la réglementation qui sera adoptée prochainement est suffisamment complète et fait siennes nos recommandations, le dispositif sera efficace ; de plus, la sanction qui existe déjà, c’est-à-dire l’amende portant sur 1 % au plus de la masse salariale, est réellement dissuasive, comme les représentants de syndicats patronaux auditionnés nous l’ont bien souligné.

Mme Pascale Crozon. Je m’interroge sur la complexité du rapport de situation comparée et je crains que les entreprises, surtout celles de petite taille, n’aient des difficultés à l’établir. Il est certain que les directions du travail manquent de moyens : elles devront prendre connaissance de tous les rapports qui seront déposés. C’est pourquoi, à mon sens, les rapports devraient être simplifiés afin que les services en aient une lecture rapide. D’ailleurs, il serait important de préciser ce que les inspecteurs devront prendre en considération, les points sur lesquels ils devront se montrer plus exigeants. Il semble qu’il y ait pour le moment obligation de dépôt mais aucune précision sur les modalités de suivi du dépôt. La préoccupation de la simplification concerne tant l’entreprise que l’inspection du travail.

Nous examinons en ce moment les méthodes de travail des déléguées régionales aux droits des femmes : certaines participent à des actions de sensibilisation et de formation auprès des entreprises. Ne serait-il pas utile de les faire intervenir de manière régulière dans cette définition par l’entreprise de son rapport de situation comparée, ou de son plan, et de même ensuite au moment de la mise en œuvre du plan ? Ces plans peuvent être des leviers importants d’action, comme le sont les contrats de mixité.

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai que l’obligation d’établir un rapport de situation comparée fait partie des obligations significatives pour une entreprise petite ou moyenne, de même que l’obligation d’avoir un comité d’hygiène et de sécurité par exemple.

Pourtant, la politique menée par le Gouvernement doit aller jusqu’à la sanction, or aujourd’hui on reste encore dans la sensibilisation. Le dispositif d’avertissement et de mise en œuvre de la sanction doit être clair et efficace. L’une des recommandations que je propose concerne ce dispositif.

Il existe déjà des actions d’appui réalisées sur le terrain par les déléguées régionales aux droits des femmes.

Je prends acte de votre préoccupation de simplification.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je remercie Mme Untermaier pour son analyse et ses propositions, que je transmettrai au nom de la Délégation au ministre du Travail ainsi qu’à la ministre des Droits des femmes.

Au sujet de la teneur du RSC, je souligne que Mme Marie-Jo Zimmermann, qui avait suivi ce dossier à l’époque de la rédaction du premier décret d’application, a regretté la suppression des critères retenus par la loi « Génisson » de 2001, car cette loi formulait une liste précise et exhaustive des indicateurs relatifs à la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise. Cette liste incluait notamment la répartition des embauches par type de contrat de travail et par catégorie professionnelle.

Il serait selon moi souhaitable que la répartition des embauches par type de contrat de travail (temps partiel ou temps plein) figure dans le RSC, car cela compléterait utilement le tableau de la situation de l’entreprise tel qu’il ressort de ce rapport.

Il conviendrait également que soit dressé un véritable bilan des accords conclus et de préciser les modalités du contrôle effectué par les inspecteurs du travail. S’agit-il de contrôler l’existant –plans ou accords négociés- ou s’agit-il déjà d’une évaluation de la qualité de ces accords ? Ce contrôle doit-il cibler en priorité les grandes entreprises ou au contraire doit-il être effectué de manière aléatoire ? Ce sont là des questions à approfondir.

Ainsi que l’avait souligné la ministre des Droits des femmes auditionnée par la Délégation le 23 octobre, il serait aussi très souhaitable que la négociation au sein de l’entreprise soit obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés. Aussi le futur décret doit-il le prévoir clairement.

L’administration doit être très attentive à la lisibilité du décret, qui procède peut-être de manière inévitable, à de nombreux renvois au code du travail. Sa lecture autonome en est rendu très difficile et la critique portée par la CGPME, auditionnée par la rapporteure, du caractère incompréhensible du décret seul, doit être entendue.

Je demande en conclusion à la rapporteure de poursuivre son travail de suivi, afin de nous faire part de la teneur du décret lorsqu’il sera publié et si besoin est, de renforcer nos recommandations. Ensuite, nous resterons informés de l’impact du décret sur la mise en œuvre de l’égalité professionnelle et salariale, souhaitant qu’il soit plus rapide et plus efficace que le texte réglementaire actuellement en vigueur.

À l’issue de ce débat, la Délégation a adopté les recommandations suivantes :

S’il est bon de laisser une large marge à la négociation entre les partenaires sociaux, il est également légitime pour le Gouvernement, s’il veut établir des priorités et guider ces partenaires, de prévoir des domaines obligatoires au sein de cette négociation. L’obligation de conduire une négociation en vue du rattrapage salarial ayant été supprimée par la loi du 9 novembre 2010, il est indispensable d’inclure la rémunération parmi les domaines de négociation obligatoires.

Les inspecteurs du travail se trouvent au premier plan pour mener à bien les procédures de contrôle. Cela implique logiquement qu’ils soient en nombre suffisant pour effectuer tous les contrôles nécessaires et aussi qu’ils reçoivent une formation adéquate pour appréhender la situation de chaque entreprise. Parallèlement, la sensibilisation et la formation des chefs d’entreprise doit être mise en œuvre.

Le délai de six mois à compter de la notification, octroyé aux entreprises pour se mettre en conformité avec la loi, semble bien magnanime à l’égard d’entreprises qui ne respectent pas des prescriptions législatives édictées il y a plus de trente ans. Un délai de deux mois pourrait être considéré comme suffisant. Cette observation vaut également pour l’automaticité de la sanction : à partir du moment où l’infraction a été constatée, si l’entreprise ne se met pas en conformité dans le délai imparti, la sanction doit alors intervenir. Cela est d’autant plus vrai que la sanction financière peut être modulée par l’autorité administrative. Il conviendrait également de préciser le délai imparti aux entreprises pour déposer leurs accords ou leurs plans d’action auprès de l’autorité administrative dès lors que ceux-ci ont été négociés ou adoptés.

La sanction doit avoir un effet dissuasif sur l’entreprise, afin d’éviter que les entreprises ne préfèrent verser des pénalités financières plutôt que de respecter la loi, comme c’est le cas par exemple pour l’obligation légale relative aux quotas de travailleurs handicapés au sein des entreprises.

Cette nécessité semble être prise en compte par la disposition adoptée dans la loi sur les emplois d’avenir, cependant il appartiendra à la direction générale du travail (DGT) de vérifier, par la mise en place d’outils statistiques, que la voie de la négociation a bien été privilégiée par rapport au plan unilatéral de l’entreprise.

La DGT doit accompagner les acteurs en mettant au point une méthodologie efficace. Cette méthodologie pourrait faire l’objet d’une circulaire ministérielle. Les inspecteurs mandatés pour contrôler les entreprises ont besoin de lignes d’analyse harmonisées au plan national, ils doivent pouvoir lier la nature des insuffisances constatées et le niveau de la sanction. La fréquence ou la régularité des contrôles pourrait aussi être précisée. Pour cette action d’accompagnement, l’administration doit pouvoir s’appuyer également sur les Déléguées régionales aux droits des femmes.

La séance est levée à 15 heures 30.