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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 19 mars 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition (ouverte à la presse) des organisations syndicales représentatives des salariés, sur l’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi sur la situation des femmes au travail : Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale en charge de l’économie sociale, de l’égalité professionnelle et des handicapés, pour la CGT-FO ; Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur Emploi, pour la CFE-CGC ; Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, chargée de la protection sociale et économique, pour la CFDT

– Audition (ouverte à la presse) des organisations syndicales représentatives des employeurs, sur l’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi sur la situation des femmes au travail : Mme Geneviève Bel, vice-présidente chargée de l’entrepreneuriat, Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales, et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, pour la CGPME ; M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail accompagné de Mme Sandra Aguettaz, pour le MEDEF

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition des représentants des organisations syndicales représentatives des salariés, sur l’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi sur la situation des femmes au travail : Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale en charge de l’économie sociale, de l’égalité professionnelle et des handicapés, pour la CGT-FO ;  Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur Emploi, pour la CFE-CGC ; Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, chargée de la protection sociale et économique, pour la CFTC.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La séance est ouverte à 17 heures 30.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes s’est saisie du texte transposant dans la loi l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Elle s’est penchée plus particulièrement sur le chapitre II, « Lutter contre la précarité dans l’emploi et l’accès à l’emploi » – et ses articles 6, 7 et 8. Son travail donnera lieu à un rapport, que nous adopterons demain à quatorze heures. Les rapporteurs, ici présents, sont Mme Ségolène Neuville et M. Christophe Sirugue.

Les syndicats, signataires et non signataires de cet accord, ont été auditionnés dans le cadre des travaux de la commission des Affaires sociales. Nous connaissons donc votre position générale et c’est plutôt certains aspects que nous aimerions aborder de manière plus détaillée avec vous, aspects qui concernent essentiellement le travail précaire. Le Gouvernement avait en effet demandé aux partenaires sociaux de s’emparer de ce sujet afin de rendre le travail à temps partiel moins attractif pour les entreprises et de le sécuriser pour les salariés concernés – qui sont majoritairement des femmes.

Cette audition, qui réunit les représentants des syndicats de salariés sera suivie par une autre, qui réunira les représentants des syndicats patronaux. Je précise d’emblée que, même parmi vous, les points de vue divergent : si la CFE-CGC et la CFDT, comme la CFTC, ont signé cet accord, la CGT-FO, comme la CGT, ne l’ont pas signé.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale en charge de l’économie sociale, de l’égalité professionnelle et des handicapés, de la CGT-FO. En effet, le questionnaire que vous nous avez adressé porte davantage sur le temps partiel et l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En revanche, l’accord et le projet de loi qui en découle n’abordent pas du tout le sujet des femmes et de l’égalité professionnelle.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cet accord ne l’aborde pas parce que, depuis six mois, des négociations se déroulent entre partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle. Malheureusement, ces négociations peinent à avancer, à tel point que l’ordre du jour en est à peine fixé. Je m’en suis inquiétée auprès de Mme Parisot. Les partenaires sociaux pourront-ils parvenir à des avancées dans ce domaine ? L’objectif, qu’il ne faut pas perdre de vue, est d’élaborer d’ici au mois de juin un nouveau texte sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Dans le projet que nous examinons, il s’agit principalement de s’attaquer au travail précaire.

Mme Anne Baltazar. Je partage votre inquiétude sur la négociation relative à la qualité de vie au travail et à l’égalité professionnelle (QVTEP). Mais l’un n’empêche pas l’autre, et il me semble que le sujet de l’égalité professionnelle devrait être à la fois traité spécifiquement et intégré dans les textes de portée plus générale. En effet, l’égalité professionnelle doit fait l’objet d’une vigilance particulière ; sinon, elle risque de devenir invisible. C’est bien ce que je reproche à l’ANI, qui n’en fait même pas mention.

Cet accord lutte-t-il contre la précarité ? Nous considérons, à Force ouvrière, que la question n’est pas suffisamment ni correctement traitée – je pense tout particulièrement aux dérogations qui sont prévues. De ce fait, la situation des femmes ne devrait pas beaucoup s’améliorer.

Cela m’amène à vous indiquer que quatre organisations syndicales participant à la négociation QVTEP – j’y interviens en tant négociatrice – se sont mises d’accord sur une plate-forme où figurent les questions que l’ANI n’a pas abordées comme elles l’auraient souhaité.

Nous demandions, entre autres, de contrôler le recours au temps partiel. Comme pour les CDD ou le travail en intérim, les organisations syndicales devraient pouvoir saisir l’inspection du travail pour usage abusif du travail à temps partiel.

S’agissant du passage à temps plein des personnes à temps partiel, nous souhaitions aller plus loin : la priorité d’accès à un emploi à temps plein pour les salariés à temps partiel, qui est inscrite dans le code du travail, doit devenir une réalité. Cela passe par une meilleure information, notamment des institutions représentatives du personnel (IRP). Or l’accord se contente de proposer un poste différent au salarié qui souhaite passer à temps plein.

Les questions relatives à l’adaptation de la charge de travail – rythme, amplitude horaire, délais de prévenance, temps de trajet – seront reprises dans le cadre de la négociation QVT.

S’agissant des cotisations vieillesse, nous souhaitions aller plus loin en instaurant un complément de cotisation vieillesse pour les salariés à temps partiel.

Nous souhaitions que l’on accorde à tous un accès égal au droit à la formation – 20 heures de droit individuel à la formation (DIF) – quelle que soit la quotité de temps de travail.

J’en viens à votre deuxième question : « Fallait-il aller au-delà de la taxation des CDD en établissant une cotisation patronale progressive sur les contrats à temps partiel ? Cela faisait-il partie de vos revendications initiales ? »

Non, ce n’était pas une revendication de Force ouvrière. Nous avions d’autres façons d’aborder le sujet, comme le contrôle du recours au temps partiel. Nous avons dit par ailleurs que cela ne changerait rien pour le salarié lui-même, même si cela pourrait peut-être, à long terme, modifier les comportements.

Troisième question : « Que pensez-vous des nouvelles mesures d’encadrement du temps partiel et sont-elles susceptibles de modifier les pratiques en cours ? »

Ce n’est pas du tout certain ; nous aimerions le croire, mais nous craignons plutôt que cela ne les légalise. Par exemple, l’obligation de faire travailler les salariés à temps partiel au moins 24 heures par semaine sera contournée par le biais des dérogations. Dans de nombreuses situations, on sera en dessous des 24 heures – contrats en cours, etc.

Dans le cadre de la négociation QVT, nous reprendrons les cas où la durée hebdomadaire de travail est inférieure à 24 heures. Il arrive en effet que les travailleurs concernés se trouvent, de ce fait, sans protection sociale ni possibilité d’obtenir des indemnités journalières. La réponse à cette situation n’a pas été prévue.

Nous ne pouvons pas vous répondre sur les négociations de branche qui seront engagées dans les entreprises employant de nombreux salariés à temps partiel, mais nous allons y regarder de plus près. Je vous signale par ailleurs que les conditions de négociation changeront après le 29 mars, date à laquelle sera dévoilée la réforme de la représentativité syndicale. Ceux qui auront accès à la table de négociation ne seront pas forcément les mêmes. Je remarque enfin que certaines branches avaient déjà négocié ou commencé à négocier.

Quoiqu’il en soit, nous aurions souhaité que le seuil de 24 heures soit incontournable et qu’on en fasse une mesure d’ordre public.

À votre question « Que pensez-vous du nombre d’avenants au contrat de travail « compléments d’heures », nous répondons que cette possibilité de signer des avenants est très négative. D’après nos calculs, elle n’améliorera pas la rémunération des heures complémentaires. L’introduction de cette mesure répond d’ailleurs à la demande d’une fédération patronale.

Vous évoquez le délai de prévenance ; sur ce sujet et à ce stade, nous n’avons rien de particulier à apporter au texte.

Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur Emploi à la CFE-CGC. Je tiens à revenir sur cette fameuse négociation en cours sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, que je viens de rejoindre. En tant que syndicalistes, nous sommes partis sur un malentendu.

Nous nous sommes aperçus, au bout de six mois, que nous n’avions pas traité de l’amélioration de qualité de la vie au travail comme moyen d’atteindre l’égalité professionnelle. Nous sommes donc repartis presque à zéro et tout en travaillant sur la qualité de la vie au travail hors stress, hors risques psychosociaux, nous avons formé des groupes de travail sur la qualité de vie au travail tournée vers l’égalité professionnelle. Ils portent sur le temps partiel, la conciliation des temps, les crèches, notamment, tous sujets intéressant plus spécifiquement les femmes, puis les hommes, en cascade.

Venons-en maintenant à l’ANI sur la sécurisation de l’emploi. Cet accord relève la durée hebdomadaire du temps partiel à 24 heures. C’est une des raisons qui nous a amenés à le signer. Jusqu’à présent, lorsque les femmes – qui forment la majorité des travailleurs à temps partiel – passaient en dessous de 20 heures, elles perdaient tout accès aux droits sociaux, dont le droit d’être indemnisées en cas de chômage. Voilà pourquoi nous souhaitions que le seuil retenu soit au moins de 20 heures. Par ailleurs, les heures complémentaires ne leur étaient pas payées. Maintenant, elles le sont – de mémoire, elles sont majorées de 10 %.

L’ANI apporte d’autres garanties, pour les femmes comme pour les hommes. Mais je vous propose, madame la présidente, de ne pas les aborder aujourd’hui. J’enverrai une note à la Délégation à ce sujet.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie. Dites-nous tout de même les points sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin.

Mme Marie-Line Brugidou. Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises en comité directeur, nous avons signé cet accord parce que nous considérons qu’il contribue à lutter contre la prolifération des CDD de courte durée et permet quelques avancées. À celles que j’ai déjà citées, j’ajouterai : la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé et l’amélioration de la portabilité des garanties complémentaires de santé et de prévoyance – qui passe notamment, pour les chômeurs, de neuf à douze mois. Selon nous, ce progrès social doit reposer sur des négociations de branche.

Si je me place sur le plan de l’égalité professionnelle pure, je remarque que l’ANI n’a pas été fait uniquement pour les femmes. Je remarque aussi que nous allons devoir encore négocier sur le temps partiel. Il ne suffit pas d’instaurer un seuil de 24 heures hebdomadaires : un temps partiel choisi peut devenir un temps partiel subi ; une personne qui travaille à 80 % avec une charge de travail de 100 % n’accédera pas pour autant à l’échelon supérieur, etc. Nous avons encore beaucoup de propositions à faire en matière de temps partiel. Mais comment procéder ? C’est un vrai sujet, qu’il faudrait traiter à part et au fond. Je pensais que l’on pourrait s’y attaquer avec le Conseil supérieur du travail social et je m’interroge sur la méthodologie à adopter.

Concernant la négociation sur l’égalité professionnelle, mon organisation syndicale fera tout pour qu’elle aboutisse – même si le fait que le montant de l’allocation versée pendant le congé parental ne soit pas proportionnel à la rémunération serait pour nous rédhibitoire. Quoiqu’il en soit, comme le disait Anne Baltazar, le temps partiel ne fait pas partie de cette négociation-là.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On voit mal comment parvenir à l’égalité professionnelle sans traiter du temps partiel, qui est pour 50 % dans l’inégalité des salaires. Je me réjouis que les partenaires sociaux se soient emparés du sujet, mais vous comprendrez que je m’interroge.

Mme Marie-Line Brugidou. La négociation sera de toute façon difficile. Sauf qu’à un certain moment, il faudra se décider. J’entends depuis longtemps opposer l’argument que ce n’est pas le bon moment, car c’est la crise. Mais ce n’est jamais le bon moment et la crise dure depuis trente ou quarante ans ! Nous n’attendrons pas dix ans de plus.

Mme Véronique Descacq, secrétaire général adjoint chargée de la protection sociale et économique à la CDFT. Commençons par la négociation « QVTEP », qui a été mise entre parenthèses pendant la négociation sur la sécurisation des parcours professionnels. On attendait en effet de savoir ce qui serait décidé en matière de temps partiel. De fait, dans l’ANI qui est en cours de transposition législative, la question du temps partiel a été traitée sous l’angle de la « sécurisation des parcours professionnels ». Il reste à en discuter maintenant sous l’angle de l’« organisation du travail ». C’est ce que l’on fera dans la négociation sur l’égalité professionnelle, qui vient de repartir. J’en veux pour preuve le texte que quatre organisations syndicales (pas FO, mais CFDT, CGT, CGC et CFTC) ont signé sur le sujet.

Revenons à la négociation sur la sécurisation des parcours, à laquelle j’ai participé. La CFDT est tout à fait favorable à l’intégration des questions d’égalité professionnelle dans toutes les négociations. L’ANI est une excellente illustration de cette approche intégrée. C’était en effet la première fois que, dans une négociation interprofessionnelle, on traitait de façon aussi approfondie la question de la précarité, laquelle, on le sait bien, touche essentiellement les femmes, les femmes en retraite et les mères qui élèvent seules leurs enfants. De fait, un certain nombre de droits nouveaux, qui visent à lutter contre la précarité, auront un impact sur la situation des femmes.

Vous nous avez demandé si nous n’aurions pas préféré, à la taxation des contrats courts, une cotisation patronale progressive sur les CDD. Il se trouve que la CFDT souhaitait que l’on instaure une cotisation patronale sur tous les contrats courts, quelle que soit leur nature, CDD ou CDI – un CDI peut être rompu non seulement pendant la période d’essai, mais aussi au bout d’un an ou deux ans et chacun sait que dans ces cas-là, les indemnités de licenciement sont très modestes. Mais notre proposition n’a pas été retenue. Le MEDEF y était hostile, et ce n’était pas la proposition de Force ouvrière.

Les droits rechargeables à l’assurance chômage constituent un droit nouveau pour les salariés et plus particulièrement pour les femmes, qui sont les premières concernées par l’accumulation et l’enchaînement des contrats courts. Elles pourront désormais cumuler les droits correspondant aux périodes de travail successives, ce qui ne pourra qu’améliorer leur indemnisation en cas de chômage. Jusqu’à présent, l’absence de droits rechargeables dissuadait les seniors, hommes ou femmes, à reprendre un emploi. Par exemple, le fait de souscrire un CDD de quatre ou six mois avait pour conséquence de leur faire perdre 36 mois de droits à l’assurance chômage. Les femmes pourront aussi se fabriquer de nouveaux droits à la retraite, qui viendront compenser une carrière souvent accidentée.

Je souhaite maintenant dire un mot sur le compte personnel de formation, un droit universel que le salarié conservera tout au long de sa vie professionnelle. Par essence, il est plus particulièrement favorable aux salariés des TPE et PME, ceux qui sont les moins qualifiés et ont le plus de mal à accéder à l’emploi – parmi lesquels beaucoup de femmes. Comme son financement est mutualisé, les salariés peuvent en bénéficier sans passer par leur entreprise. Un tel dispositif offre aux salariés des TPE et PME un accès à la formation pratiquement égal à ceux des grandes entreprises.

Je m’arrêterai un peu plus longuement sur le temps partiel. La mesure phare de cet accord est celle qui instaure un seuil minimal de 24 heures hebdomadaires. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de seuil de référence et les contrats à temps partiel pouvaient porter sur n’importe quelle durée. Maintenant ce n’est plus le cas, même si des dérogations sont possibles.

Pourquoi avoir instauré un tel seuil ? Pour dépasser le minimum de 20 heures, qui permet d’accéder aux droits sociaux – notamment, indemnités journalières et droits à la retraite.

Une dérogation est possible sans accord, mais à deux conditions : la demande écrite du salarié, et surtout, l’obligation, pour l’employeur, d’organiser le temps de travail sur des journées complètes de manière à ce que le salarié – en général une femme – puisse compléter son temps de travail avec un autre employeur. Ce n’est pas négligeable quand on sait qu’aujourd’hui certains temps partiels très courts s’échelonnent sur toute une semaine – deux heures le matin, deux heures en milieu d’après-midi, etc.

On peut toujours rêver d’un idéal qui serait l’instauration d’un seuil indépassable. Mais même avec cette dérogation, l’instauration des 24 heures hebdomadaires constitue une avancée tout à fait significative par rapport à ce qui existait jusqu’à présent.

D’autres possibilités de dérogation existent, mais elles sont strictement encadrées par des accords de branche étendus.

Je pense qu’il faut faire confiance à la négociation de branche non seulement pour encadrer ces dispositifs, mais encore pour les améliorer. D’ailleurs, le fait de conditionner l’abaissement du seuil de 24 heures à une négociation modifiera le rapport de forces et placera les partenaires sociaux, et en particulier les organisations syndicales, dans une situation plus favorable que précédemment.

Feront naturellement partie de ces négociations : la question de la cotisation vieillesse qui pourrait être calculée sur la base d’un salaire à temps plein ; la question des droits à formation ; la question de l’organisation du travail et des horaires. Pour moi, que l’on puisse encadrer l’organisation du travail et les horaires par des accords de branche constitue une véritable révolution par rapport à ce qui se passe aujourd’hui !

Il est très important que l’ANI ait traité du recours aux avenants temporaires. Nous sommes tous contre cette pratique illégale, mais massivement utilisée. Comme l’a fait remarquer Mme Baltazar, c’était une revendication du MEDEF qui voulait sécuriser juridiquement le recours aux avenants temporaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Lorsqu’un avenant « complément d’heures » a pour effet de porter la durée initiale du contrat à la durée d’un temps plein, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique.

Mme Véronique Descacq. Cette pratique est particulièrement courante dans les services à la personne, la propreté et le commerce, où il est possible que, chaque semaine, on annonce à la salariée qu’elle va travailler, par exemple, deux heures ou quatre heures de plus. Qu’il s’agisse de l’organisation de son temps ou de sa rémunération, celle-ci n’a aucune sécurité.

Cette pratique est légalisée par l’ANI, mais en même temps, elle est fortement sécurisée. D’abord, elle se trouve massivement réduite : les entreprises ne pourront pas faire plus de huit avenants temporaires par an, alors qu’elles pouvaient en faire autant que de semaines travaillées. Et si elles n’en font que huit, elles les feront probablement sur des durées plus longues. Ensuite, les heures supplémentaires devront être payées dès la première heure dans le cas des avenants temporaires – comme dans tous les cas d’ailleurs – ce qui constitue un progrès majeur.

Encore une fois, ce n’est pas l’idéal ; toutefois quand on connaît la réalité du travail de ces salariés peu qualifiés, qui vivent souvent des situations familiales difficiles, et le comportement qu’ont les employeurs vis-à-vis d’eux, on se rend compte que l’accord représente pour eux une avancée significative.

Je dirai un mot de la généralisation de la complémentaire santé – qui aura un impact en termes d’égalité professionnelle. Cette mesure ouvre des droits à la santé à des hommes, et majoritairement à des femmes, qui en étaient privés jusqu’à présent. Par ailleurs, elle sécurise leurs parcours, même s’ils changent d’employeur ou quittent l’un de leurs employeurs, en cas de cumul.

Je voudrais insister plus particulièrement sur le fait que cette mesure de généralisation de la complémentaire santé permet d’individualiser les droits à l’accès aux soins. Aujourd’hui, on estime entre 4,5 et 7 millions le nombre de salariés potentiellement concernés, parmi lesquels 2 millions environ sont des ayants droit de leur conjoint, en général. Cette mesure permet donc à de nombreuses femmes de ne plus avoir à passer par leur conjoint pour pouvoir accéder aux soins, et d’acquérir, de cette façon, une plus grande autonomie.

Je conclurai en disant que nous espérons voir cette logique d’individualisation des droits étendue au domaine fiscal, et venir bientôt parler avec vous de la suppression du quotient conjugal.

Mme Anne Baltazar. Je souhaite vous apporter quelques précisions. La négociation sur la qualité de vie au travail a repris le 22 février. À cette occasion, quatre organisations syndicales ont fait une communication. Nous n’en faisions pas partie. Les organisations syndicales se sont ensuite retrouvées en vue de la négociation du 6 mars consacrée à l’égalité professionnelle. Quatre organisations syndicales, dont FO, se sont mises d’accord sur une plate-forme revendicative, à laquelle la CFDT ne s’est pas jointe. Je vais vous adresser ce document.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous en avons pris connaissance récemment. Je tenais moi aussi à vous apporter une précision, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Nous avons déjà auditionné Maryse Dumas, en tant que vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental et représentante de la CGT. C’est la raison pour laquelle la CGT n’a pas été invitée à nouveau aujourd’hui.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Dans le projet actuel, en cas de dérogation aux 24 heures hebdomadaires, l’employeur est tenu de regrouper les heures, ce qui permet au salarié de cumuler éventuellement son emploi avec un autre. En revanche, cette obligation n’existe pas lorsque le temps de travail du salarié est d’au moins 24 heures. Généraliser cette obligation ne faisait-il pas partie de vos revendications ?

Par ailleurs, comment êtes-vous arrivés au nombre de huit avenants ? En auriez-vous souhaité moins et les organisations patronales davantage ? Avez-vous eu ou non l’intention de réglementer la durée des avenants ?

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Madame Baltazar, l’accès égal des salariés au droit individuel à la formation (DIF) a-t-il été abordé dans le cadre des négociations ?

Madame Brugidou, estimez-vous que, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi sécurise suffisamment les CDD de courte durée ?

Mme Marie-Line Brugidou. Le texte apporte davantage de sécurité. Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, la situation exige un vrai travail de fond auquel il faudrait se consacrer entièrement. Je reconnais qu’il y a des améliorations, mais celles-ci sont insuffisantes. De toute façon, en France, le temps partiel est mal considéré.

Que peut-on faire de plus ? Cela a déjà été assez difficile. Reste que ce n’est pas suffisant. Pratiquant ces sujets depuis cinq ou six ans, j’aurais souhaité que l’on aboutisse à un texte consacré spécifiquement au temps partiel, avec des mesures pour les femmes, pour les hommes, sur les horaires, sur la conciliation des temps, etc. Il faut lutter contre la précarité des femmes – actives comme retraitées – que le temps partiel organise. Nous avons peut-être avancé, mais il faudrait aller plus loin en traitant du temps partiel dans son ensemble. C’est en tout cas la demande que je formule.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. On sait que le temps partiel concerne plus particulièrement certains secteurs d’activité. Je voudrais savoir si l’on y réfléchit toujours de façon globale ou si on le fait secteur par secteur, en faisant la distinction entre les différentes formes de temps partiel. Dernièrement, une chercheuse nous a dit qu’il n’y avait pas de temps partiel, mais « des » temps partiels.

Mme Marie-Line Brugidou. C’est vrai. Nous avons isolé deux ou trois branches professionnelles : la métallurgie, le commerce et, plus récemment, les services à la personne. Dans ce dernier secteur, nous ne sommes pas très représentés. Mais il faudrait tout revoir. Je ne pense pas que cela se fera par une révision de l’ANI.  Je crois beaucoup à la négociation de branche. Mais je me demande s’il ne faudrait pas une négociation de branche uniquement « temps partiel », car aujourd’hui, la question du temps partiel est « noyée » un peu partout.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Au titre II de l’ANI, il est bien spécifié que la négociation est toujours renvoyée aux branches, aux accords professionnels, et non pas aux accords d’entreprise, contre lesquels nous nous étions élevés dans la loi de modernisation de l’économie (loi LME). Or, dans des secteurs où les femmes sont peu syndiquées, l’accord d’entreprise n’est pas le plus favorable. Pour moi, c’est un point positif.

Mme Anne Baltazar. Cela nous avait échappé, et vous faites bien de le noter. Car la tendance actuelle est en effet de discuter directement dans l’entreprise, ce qui aboutit à « insécuriser » les salariés – notamment dans les petites entreprises.

Par ailleurs, l’égal accès au DIF a été évoqué dans la négociation, mais je ne sais pas comment il a été défendu. Pour nous, c’est une revendication qui n’a pas abouti. Il pourrait être abordé dans la négociation « QVT ».

Mme Véronique Descacq. Vous avez dit que la question du regroupement des heures se posait aussi pour les salariés travaillant au moins 24 heures. Vous avez raison. Nous l’avons soulevée, comme étant une question de principe. Elle peut réapparaître dans les négociations de branche.

Nous avons travaillé sur la partie « temps partiel » de l’accord en lien avec nos fédérations les plus utilisatrices de temps partiel, pour faire en sorte que le texte, bien que de nature interprofessionnelle, colle au mieux avec la réalité vécue dans ces secteurs. Malgré tout, le texte reste assez généraliste. C’est la raison pour laquelle nous avons très largement renvoyé à la négociation d’accord de branche étendu – ce qui va donner un droit de regard à l’administration. Il est clair en effet que le secteur des services à la personne ne rencontre pas les mêmes problèmes d’organisation du travail que le commerce de proximité ou les autres secteurs.

Pourquoi huit avenants ? Nous en avions demandé six. Il est exact qu’au début, on avait raisonné en durée. Notre revendication était qu’il fallait interdire les avenants temporaires de moins de six semaines. À l’issue des tractations, on est arrivé à fixer un nombre limité d’avenants, ce qui incitera l’entreprise à augmenter leur durée.

Sur le DIF, je partage le propos de Mme Baltazar. Cela étant, vous remarquez que le sujet de la formation professionnelle a été très peu abordé dans cet accord. C’est sans doute une lacune, mais il eût été trop compliqué de le traiter en seulement trois mois.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai demandé au ministère du Travail comment les femmes seraient accompagnées vers la formation – car cela leur est très difficile. Il m’a été répondu que la question de la formation prendrait place dans un texte de loi en fin d’année.

Mme Véronique Descacq. La matérialisation du compte personnel de formation, qui va remplacer le DIF, est renvoyée à une discussion tripartite avec les pouvoirs publics, puisque la formation professionnelle est aussi de la compétence des régions. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPRLV) travaille en ce moment sur la façon de faire vivre ce compte personnel de formation. Ensuite, une concertation s’ouvrira, notamment avec les régions, sur la façon dont il sera alimenté. La question ne sera donc pas dans le champ exclusif des partenaires sociaux.

Cela étant, il faudrait repenser la formation professionnelle pour la mettre davantage à la disposition des salariés précaires et des demandeurs d’emploi. Dans la logique de transversalité que l’on a évoquée tout à l’heure, la question des femmes devrait faire partie de cette réflexion.

S’agissant des contrats courts, notre option était un peu différente. Nous souhaitions taxer tous les contrats, quelle que soit leur nature, avec une cotisation inversement proportionnelle à leur durée. Mais nous nous sommes confrontés à l’ensemble des chambres patronales, qui ne croient toujours pas qu’une telle mesure aurait un effet bénéfique sur le comportement des entreprises.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le projet de loi précise que les comités d’entreprise devront être associés aux orientations stratégiques de l’entreprise. Pour ce faire, une base de données régulièrement réactualisée contenant un certain nombre d’informations sera mise à leur disposition. Ne pourrait-on pas ajouter un alinéa pour inclure, parmi les thèmes de cette base, le nombre de contrats à temps partiel et à temps plein ?

Mme Véronique Desacq. Ce sont des thèmes génériques. La base de données, une fois construite, fait une cinquantaine de pages et reprend tous les rapports – dont le rapport de situation comparée (RSC). Et je vous signale une petite avancée par rapport à ce qui existait auparavant : toutes les informations sont dorénavant « genrées ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. À ce propos, je souhaiterais que le RSC soit consultable sur une base de données nationale. Car aujourd’hui, il faut aller dans les entreprises chercher l’information. Cela suppose que les entreprises envoient ce RSC à l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), ou au ministère des Droits des femmes, par exemple…

Mme Véronique Descacq. Je pense que ce serait un amendement utile.

Mme Marie-Line Brugidou. On devrait pouvoir trouver les RSC à la Direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), puisqu’il est devenu obligatoire de les y envoyer. Il avait été question également de les mettre en ligne sur des sites ministériels.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Oui, mais rien ne dit qu’ils soient consultables auprès de la DIRECCTE. Je pense qu’il faut les rendre visibles publiquement. Je crains que la DIRRECTE ne soit submergée de demandes de contrôles d’informations. Cela dit, c’est déjà un progrès.

Mme Barbara Romagnan. Madame Brugidou, vous avez dit que l’ANI n’avait pas été fait uniquement pour les femmes. C’est exact. Mais le problème n’est pas tellement qu’il n’est pas fait uniquement pour les femmes, il est plutôt qu’on ne l’ait pas fait en pensant que les femmes étaient également concernées. Or, quand il s’agit de temps partiel, elles sont concernées au premier chef.

Vous avez dit aussi que le seuil de 24 heures hebdomadaires constituait une avancée significative par rapport à l’existant. En échangeant avec des salariées syndiquées de la grande distribution, j’ai appris que les conventions de Carrefour, Casino ou d’ailleurs avaient déjà fixé un seuil de 26, 28 et 30 heures hebdomadaires. De ce fait, leur patron est très motivé à l’idée de négocier à partir de l’ANI, avant même qu’il ne soit validé par l’Assemblée nationale, sachant qu’il pourrait diminuer leurs droits et leurs heures de travail. Les travailleurs – et donc les travailleuses – à temps partiel constituant une part importante du personnel de la grande distribution, il semblerait bien que dans ce secteur, cet accord ne constitue pas un progrès.

Il me semble enfin, madame, que vous avez dit que les heures majorées le seraient toutes de 25 %. Mais je n’ai pas la même interprétation que vous.

Mme Véronique Desacq. Non, certaines sont majorées de 10 %.

Mme Barbara Romagnan. Si je me réfère à la sous-section 8, je comprends que ce sont les heures complémentaires accomplies au-delà de la durée déterminée par l’avenant qui sont majorées de 25 % , et que la convention ou l’accord peut prévoir la majoration des heures effectuées dans le cadre de cet avenant. Cela signifie-t-il qu’elles peuvent ne pas être majorées du tout, être majorées de 10 % ou davantage ?

De ce fait, si un contrat initial est de 25 heures, que l’avenant l’augmente à 30 heures, il est possible, mais pas du tout obligatoire, que les heures travaillées entre 26 et 30 heures soient majorées. C’est seulement au-delà de la trentième heure qu’une majoration de 25 % sera appliquée.

Ai-je bien compris ? Comme nous souhaiterions déposer un amendement sur le sujet, j’aimerais savoir ce qu’il en est.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Baltazar et la CGT-FO.

Quand j’ai rencontré à Metz la représentante de la CFDT, j’ai fait une remarque qui ne lui a pas plu, à savoir que tout accord devrait comporter obligatoirement un titre sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En l’occurrence, l’égalité entre les hommes et les femmes est à prendre en compte lorsque l’on parle du temps partiel. Car pour les femmes, le temps partiel est une véritable plaie !

En 2005, j’avais déjà fait des propositions, que j’ai été obligée de réitérer. Aujourd’hui, moi qui fondais beaucoup d’espoir sur la nouvelle ministre, je suis déçue. On n’a pas avancé comme je l’aurais souhaité et l’amélioration de la situation des travailleurs à temps partiel est encore une fois renvoyée à plus tard.

Certes, une loi sera votée sur le sujet. Certes, le travail à temps partiel sera sécurisé, ce qui bénéficiera d’abord aux femmes. Sauf que la possibilité des horaires très tronçonnés demeure. Madame Baltazar, vous n’avez pas signé cet accord, et je vous tire mon chapeau : moi-même, je ne l’aurais pas signé non plus.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous me permettrez de ne pas partager tout à fait votre point de vue. Je considère que ce texte constitue un énorme progrès : il témoigne d’une volonté nouvelle d’accorder sa place à la négociation sociale. À la différence de ce qui se passe dans les pays du Nord comme la Suède, où je me suis rendue dernièrement, il n’est pas dans notre culture de procéder ainsi, pas à pas.

On peut n’être pas satisfait. Moi-même, la semaine dernière, je suis allée voir le ministre du Travail pour lui faire part de mes observations, cependant je salue ceux qui ont signé cet accord, qui permet des avancées.

Mon sentiment est que les syndicats ont privilégié l’ANI par rapport à l’égalité professionnelle. C’est pourquoi je demanderai au ministre, chaque fois qu’il nous renverra à la négociation QVTEP, que la question de l’égalité professionnelle y soit obligatoirement traitée.

Mme Monique Orphé. Ma première question concerne la couverture maladie dans les entreprises de moins de 10 salariés. En outre-mer, il y a beaucoup de petites, voire de très petites entreprises, sans délégué syndical ni comité d’entreprise. Plutôt que d’attendre 2016, ne pourrait-on pas laisser l’initiative aux salariés, par exemple quand la moitié d’entre eux demandent à négocier sur cette couverture maladie ? Attendre 2016 reviendrait à opérer une discrimination par rapport aux salariés qui ont un délégué syndical ou un comité d’entreprise.

Ma seconde question concerne l’instauration d’une durée minimale de 24 heures hebdomadaires. C’est une avancée. Mais pourquoi a-t-on exclu les étudiants ? On sait que de nombreuses étudiantes, notamment, ont besoin de travailler. Le fait qu’elles puissent travailler 24 heures leur garantirait des droits, y compris dans leur parcours professionnel.

Mme Véronique Descacq. Madame Romagnan, vous avez évoqué la situation des branches où l’on travaille plus de 24 heures, en mettant en avant le risque que l’employeur ne dénonce les contrats précédents en se servant de ce nouveau seuil. Mais il aurait déjà pu le faire auparavant, puisqu’il n’y avait pas du tout de seuil. Bien sûr, lorsque l’on fixe un seuil minimum, on redoute toujours que ceux qui faisaient mieux ne s’alignent sur ce minimum. Reste que ce seuil constitue une avancée significative pour ceux qui sont en dessous.

Il est possible que les employeurs du secteur de la grande distribution, dont vous avez parlé, utilisent cet argument comme une menace. Mais j’ai du mal à imaginer qu’ils mettent celle-ci à exécution.

Par ailleurs, vous avez abordé la question de la majoration des heures complémentaires. Votre interprétation était la bonne.

Aujourd’hui, les heures complémentaires ne sont pas du tout rémunérées tant qu’elles restent en deçà du dixième – ou du tiers en cas d’accord de branche – de l’accord contractuel. Ces heures-là seront désormais rémunérées à 10 %. C’est en ce sens que l’on a dit que toutes les heures complémentaires seront désormais rémunérées. Elles le seront à 10 %, dès la première heure. Au-delà, on rejoint le cadre légal et la rémunération passe à 25 %. En cas d’avenant temporaire, c’est la négociation de branche qui dira si les premières heures, à l’intérieur du complément, seront ou non majorées. En tout état de cause, celles qui se trouveront au-delà du complément seront majorées à 25 %.

Madame Zimmermann, vous avez l’appréciation que vous voulez sur l’accord.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pas sur l’accord : sur le temps partiel !

Mme Véronique Descacq. Eh bien, justement ! Sur le reste de l’accord, toutes les opinions sont possibles. Mais sur le temps partiel, on ne peut que constater des avancées. Vous pouvez regretter que l’accord ne soit pas allé plus loin, mais reconnaissez tout de même qu’il améliore la situation des femmes confrontées à l’utilisation massive et abusive du temps partiel.

Madame Orphé, si les négociations de branche aboutissent, les entreprises de moins de dix salariés pourront être couvertes avant 2016. L’ensemble des organisations syndicales est d’ailleurs favorable aux négociations de branche, qui offrent des garanties identiques à l’ensemble des salariés du champ. Les employeurs y ont aussi intérêt, dans la mesure elles ne mettent pas en concurrence, dans la même branche professionnelle, les avantages salariaux et les avantages annexes des salariés. Enfin, cette procédure régule le contenu des garanties en évitant des contrats trop modestes ou trop dispendieux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pensez-vous qu’un accord de branche sur une complémentaire santé sera plus favorable aux salariés ?

Mme Véronique Descacq. Oui, en général, les garanties sont mieux ciblées. Les entreprises qui ont les moyens ont tendance à utiliser la complémentaire santé un peu comme un avantage salarial – thalassothérapie, remboursements d’honoraires, etc. Cette attitude n’est pas du tout vertueuse en termes de maîtrise des dépenses de santé.

Dans un accord de branche, les entreprises n’ayant pas toutes de gros moyens, on y regardera au plus juste. Par ailleurs, les frais de gestion, lorsqu’ils sont mutualisés au niveau d’une branche, sont forcément plus faibles.

Autre élément non négligeable : au niveau des branches, les complémentaires santé peuvent mener des actions de prévention extrêmement ciblées sur les risques professionnels – ainsi, la prévention des caries dentaires dans la boulangerie. Nous préférons donc la négociation de branche à la négociation d’entreprise pour couvrir les risques professionnels des salariés. En outre, la négociation de branche facilite la mobilité interentreprises dans la même branche professionnelle.

Je répondrai à Mme Orphé qu’à défaut d’accord de branche, il peut être utile de prévoir un mandatement spécifique – je pense qu’un tel amendement ne dénaturerait pas l’économie globale de l’accord ni du projet de loi – pour les petites entreprises qui ne voudraient pas attendre l’échéance de 2016.

Enfin, je reconnais qu’on a peut-être pensé un peu trop rapidement que les étudiants étaient davantage demandeurs de contrats plus courts, plus compatibles avec leurs études.

Mme Marie-Line Brugidou. Un des grands défauts de l’ANI, c’est qu’en l’absence d’accord de branche, il peut ne plus rien apporter. C’est le cas pour la majoration des heures complémentaires dans un système d’avenant temporaire.

Mme Véronique Descacq. Je vous signale qu’il ne peut plus y avoir d’avenant temporaire sans accord de branche.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On peut aussi imaginer que l’accord de branche sera plus favorable aux salariés, par exemple en accordant une majoration supérieure à 10 % à toutes les heures complémentaires. Pour ma part, je suis très favorable aux accords de branche. Les syndicats ont en effet beaucoup plus de poids dans les négociations de branche que dans les négociations d’entreprise.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je précise mon souhait : d’une part, tout accord devrait comprendre des dispositions particulières sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, d’autre part, l’article 7 ne suffit pas à régler le problème du temps partiel, malgré certaines avancées qu’il convient de saluer.

Je voudrais par ailleurs dire que nous rencontrons un problème en Alsace-Moselle, s’agissant de la complémentaire santé.

Mme Véronique Descacq. M. Michel Sapin, ministre du Travail, nous a indiqué qu’un décret interviendrait après la loi pour exclure l’Alsace-Moselle du champ de l’ANI. Mais on m’a fait remarquer, en Alsace, qu’en termes de remboursement, le dispositif de l’ANI était plus avantageux que notre régime d’Alsace-Moselle ; certains aimeraient donc bénéficier de tels avantages.

Mme Marie-Line Brugidou. Effectivement, l’ANI n’a pas été fait que pour les femmes ; il a été fait pour sécuriser l’ensemble des parcours professionnels. La CGE-CGC l’a voté. Mais je rejoins ce que vous avez dit : il est de toute façon insuffisant.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En tant que présidente, je partage la satisfaction de ceux qui ont signé, comme je partage les interrogations de tous – ceux qui ont signé et ceux qui n’ont pas signé.

Nous aimerions bien évidemment aller plus vite et plus loin. La crise ne justifie pas que l’on n’avance pas davantage en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Je remarque d’ailleurs qu’à l’époque où le travail des femmes a évolué vers une plus grande précarisation, la crise était beaucoup moins présente.

Mesdames, je vous remercie et vous demande de ne jamais oublier le sujet dans vos négociations.

*

* *

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite procédé à l’audition des représentants des organisations syndicales représentatives des employeurs, sur l’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi sur la situation des femmes au travail : Mme Geneviève Bel, vice-présidente chargée de l’entrepreneuriat ; Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales, et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, pour la CGPME ; M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail accompagné de Mme Sandra Aguettaz, pour le MEDEF.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, le 2 avril prochain, nous transcrirons dans la loi l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Notre Délégation aux droits des femmes présentera son avis sur ce texte en s’attachant à répondre à la question suivante : cet accord améliore-t-il ou non l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ?

Je vous demanderai d’axer vos interventions sur certains points de ce texte qui nous intéressent plus particulièrement, comme le travail précaire, ou d’autres points qui peuvent concerner l’égalité professionnelle.

M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du MEDEF. Mesdames, Messieurs, vous avez compris que le MEDEF était favorable à la transcription de cet accord – tout cet accord, mais rien que cet accord – qui est en lui-même très équilibré.

Madame la présidente, comme vous me l’avez demandé, j’en viens directement aux sujets qui vous préoccupent. Vous avez parlé de « travail précaire » mais j’imagine que, s’agissant de cet accord, c’est au « temps partiel » que vous pensiez d’abord.

De fait, la réforme du temps partiel est l’une des mesures majeures de l’ANI. L’institution d’une durée minimale de 24 heures de travail hebdomadaire et la majoration des heures complémentaires dès la première heure sont des éléments de sécurisation pour les salariés, qui se voient ouvrir deux droits nouveaux.

Sauf demande écrite et motivée des salariés et sauf accord de branche spécifique, la durée minimale hebdomadaire sera de 24 heures. En cas de dérogation, l’employeur sera obligé d’organiser le temps de travail sur des horaires réguliers, des demi-journées ou des journées complètes.

Ainsi, comme nous le souhaitions, le temps partiel se trouve encadré. Tous les salariés à temps partiel pourront donc travailler 24 heures hebdomadaires, soit avec un seul employeur, soit avec plusieurs employeurs et, surtout, ils pourront accéder au socle de protection sociale, tant pour les indemnités journalières que pour la validation des trimestres pour le calcul des pensions de retraite.

Il s’ensuivra une modification en profondeur de certains secteurs. Nous l’assumons. Reste qu’il a fallu de nombreux débats, au sein de la délégation patronale, pour aboutir à cette concession importante, mais à nos yeux légitime et justifiée, qui doit s’inscrire dans la durée. Nous veillerons collectivement à ce que ces nouvelles règles, qui sont strictes, n’aient pas d’effet négatif sur l’emploi. Nous sommes donc à la fois très allants et très vigilants.

Cet accord réalise un équilibre entre les avancées dont bénéficient les salariés et celles dont bénéficient les entreprises. Mais venons-en, comme vous me l’avez demandé, à la place qui est faite aux droits des femmes et à l’égalité professionnelle.

La question n’a pas été abordée spécifiquement dans cet accord, dans la mesure où elle fait l’objet d’une négociation en cours sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle. Une longue délibération sociale s’est déroulée tout au long de l’année dernière et les négociations ont démarré au mois de septembre. Celles-ci ont repris à un rythme très soutenu après l’accord du 11 janvier – sept réunions sont prévues d’ici au 30 juin – et nous espérons qu’elles déboucheront sur des mesures fortes en faveur de l’égalité professionnelle.

Le 22 février dernier, les organisations d’employeurs ont fait des déclarations assez précises qui reprenaient les engagements que nous souhaitions prendre au cours de ces négociations ; si vous le souhaitez, nous vous les enverrons. Ensuite, à l’occasion de la Journée du 8 mars, toutes les organisations d’employeurs et syndicales – cinq plus trois – ont fait une déclaration commune qui réaffirme nos priorités, parmi lesquelles : rendre plus efficace la négociation annuelle portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; favoriser une utilisation dynamique du rapport de situation comparée par les entreprises ; assurer dans les faits l’égalité de traitement dans le déroulement de carrière des femmes et des hommes, quel que soit le métier ; renforcer les actions visant à lutter contre les stéréotypes sexuels liés à la parentalité et, en s’appuyant sur les branches professionnelles, à favoriser la mixité des métiers et des parcours professionnels ; permettre la conciliation des temps entre vie personnelle et professionnelle, en portant attention aux rythmes et horaires de travail, aux temps sociaux, et en rendant plus accessibles les congés familiaux, les congés de réalisation personnelle et de formation tout au long de la carrière ; enfin, rendre l’égalité entre les hommes et les femmes effective, notamment par un congé parental rénové, incitant au partage et à un rééquilibrage des rémunérations et des parcours professionnels, y compris dans les postes d’encadrement, ce qui passe aussi par l’amélioration de l’offre d’accueil des jeunes enfants.

Sur ces six priorités, il n’y a pas de débat de fond. En revanche, des débats très engagés ont eu lieu sur leurs modalités d’application, à l’intérieur des organisations syndicales comme à l’intérieur des organisations d’employeurs. Des différences de point de vue sur les projets de Mme Vallaud-Belkacem se sont notamment manifestées. Par exemple, certains – pas le MEDEF, je tiens à le préciser – considèrent que limiter le congé parental à six mois pour inciter le père à le prendre est une fausse bonne idée. Quoiqu’il en soit, il faudrait sortir d’un cercle vicieux typiquement français, qui est que la France est le pays où il y a le plus de textes sur l’égalité professionnelle, mais où ils sont le moins appliqués, sans sortir du cercle vertueux, qui est que nous sommes le pays où il y a le plus fort taux de fécondité, mais aussi le plus fort taux de femmes au travail. Nous devons donc déplacer les curseurs sans risquer de tout détruire. C’est ce qui fait l’intérêt et la difficulté de cette négociation.

Il n’y a pas de clivage entre les employeurs et les salariés, sinon sur des questions qui ne relèvent pas de l’égalité professionnelle mais plutôt de la qualité de vie au travail (QVT). Les organisations syndicales souhaitent en effet mettre l’accent sur les questions d’organisation du travail, alors que les organisations d’employeurs veulent le mettre sur les questions de management des collaborateurs. Mais tous considèrent évidemment qu’à partir du moment où un salarié se trouve bien dans son poste de travail, il est plus heureux et donc plus efficace. Tout le monde y trouve son compte, le salarié comme l’entreprise.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ce n’est pas le sujet de l’ANI, mais celui de l’autre négociation, même si je reconnais que notre discussion est complexe, dans la mesure où l’on oscille toujours entre les deux négociations. Personnellement, pour parvenir à l’égalité salariale, je ne vois que deux solutions : augmenter la masse salariale pour que les femmes rattrapent les hommes, ou partager différemment la masse salariale à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire (NAO). Voilà pourquoi ce que vous nous dites à propos de la négociation sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle ne me rassure pas du tout, même si j’espère changer d’avis fin juin.

Aujourd’hui, nous traitons de la transposition de l’ANI et de certaines de ses dispositions sur le temps partiel, la lutte contre la précarité ou les avenants temporaires. Je dois dire que j’apprécie beaucoup que, dans le titre II, la négociation soit renvoyée aux accords de branche, et non plus aux accords d’entreprise – ce qui tranche avec la loi LME. J’espère que, de cette façon, les femmes seront mieux défendues.

Mme Geneviève Bel, vice-présidente chargée de l’entrepreneuriat, à la CGPME. Tout d’abord, la CGPME considère qu’il y a suffisamment de textes sur la QVT pour qu’on n’ait pas à légiférer dessus. Nous serions déjà heureux que l’on applique déjà les textes existants.

Je précise que lors de la Grande conférence sociale, nous avions proposé que les quinze derniers jours du congé maternité puissent être pris indifféremment par le père ou par la mère à la demande du couple. C’était une première ouverture.

S’agissant de l’ANI, je reviendrai uniquement sur le temps partiel. Pour moi, qui ai publié en 2008 « Les femmes face au travail à temps partiel », ce texte constitue une réelle avancée. Je pense plus particulièrement au nombre minimal d’heures hebdomadaires qui ouvre aux femmes des droits à la sécurité sociale et au chômage, et à la meilleure répartition des horaires dans la journée. En même temps, le fait qu’il soit possible de déroger aux 24 heures hebdomadaires laisse une certaine liberté. Il sera ainsi possible, pour la femme d’un certain âge, dont les parents sont dépendants, ou pour l’étudiant, de moduler son temps de travail selon les périodes. N’oublions pas non plus que dans les petites entreprises, une avancée pour les salariés constitue aussi une avancée pour les patrons.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Sur deux points particuliers, j’aimerais connaître votre position au cours des négociations.

Premièrement, il est possible de déroger au nombre minimal d’heures hebdomadaires, à condition de regrouper les horaires de travail du salarié sur des journées ou des demi-journées, régulières ou complètes. Pourquoi cette condition n’est-elle pas posée quand le temps de travail hebdomadaire est de 24 heures ou plus ? Même dans ce cas, le salarié intéressé peut souhaiter regrouper ses heures et cumuler son emploi avec un autre. Quel est votre point de vue ?

Deuxièmement, le texte limite à huit le nombre des avenants d’heures complémentaires. Quelle est votre position en la matière ? En auriez-vous voulu davantage ? Avez-vous discuté de la durée des avenants ? Auriez-vous voulu qu’elle soit prise en compte ? La rémunération des heures correspondantes dépendant de la négociation de l’accord de branche, celles-ci pourront être rémunérées comme des heures normales. Qu’en pensez-vous ?

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la CGPME. Au risque de paraître négatif, je voudrais restituer dans son contexte cette question du temps partiel et l’article 8 du projet de loi qui reprend, avec quelques différences, l’article correspondant de l’accord.

L’avantage de cet accord est d’avoir posé un cadre plus précis, et à certains égards plus contraignant, que ce qui existait auparavant. Il ne faut pas que votre Délégation sous-estime cet aspect contraignant. Ce n’est pas une critique, c’est un constat.

Certains secteurs professionnels nous en ont fait le reproche. Ainsi, nous sommes passés pour « fous » auprès des commerçants non sédentaires qui nous ont fait remarquer qu’une grande partie de leurs salariés n’atteignaient pas, et de loin, le seuil minimal de 24 heures de travail hebdomadaire – que vous-mêmes considérez comme une disposition quasiment « d’ordre public ».

Nous avons tenu le même discours à la commission des Affaires sociales. Sur cet article comme sur les autres, nous nous sommes attachés à réaliser un équilibre entre les préoccupations des organisations de salariés et celles des organisations patronales. Et ce qui est valable pour la durée minimale de 24 heures l’est aussi pour les avenants.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je pensais que les avenants existaient déjà dans la loi. Les représentants des syndicats viennent de nous dire que ce n’était pas une pratique légale, mais simplement assez courante.

M. Benoît Roger-Vasselin. Une pratique non codifiée, mais ratifiée par la jurisprudence.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La jurisprudence a tendance à prendre en compte la durée des avenants.

M. Georges Tissié. Premièrement, y compris sur les avenants, il ne faut pas négliger les avancées que permet ce texte. Deuxièmement, si les partenaires sociaux, patronaux et salariés, ont voulu encadrer et codifier certaines pratiques qui ne l’étaient pas, ils n’ont pas voulu pour autant empêcher le temps partiel.

Le temps partiel n’est pas un mode de travail anormal. C’est souvent, pour des hommes, et encore plus pour des femmes, un moyen de s’insérer. Il faut faire attention à ne pas diaboliser le temps partiel, d’autant que les contrats à temps partiel sont le plus souvent des contrats à durée indéterminée.

M. Benoît Roger-Vasselin. Vous nous avez demandé si, tel qu’il était, cet accord nous convenait. Je vous précise qu’il s’agit d’un compromis et que les organisations d’employeurs, tout comme les organisations syndicales, auraient souhaité aller plus loin, dans un sens comme dans l’autre. Mais nous avons pris l’engagement de défendre tout l’accord et rien que l’accord. Maintenant que nous avons donné notre parole, il n’est pas question de nous demander d’aller au-delà.

Certaines dispositions peuvent être considérées comme des avancées par les uns, et comme des reculades par les autres. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un consensus, mais d’un compromis, chacun ayant fait des efforts en direction de l’autre.

Nous avons voulu montrer à nos partenaires et aux salariés à temps partiel que nous étions conscients de l’existence de situations anormales, même si les employeurs de certains secteurs se trouvent confrontés à des contraintes spécifiques. Un responsable de maison de retraite m’a ainsi récemment indiqué que cet accord lui posait de graves problèmes, dans la mesure où une grande partie de ses salariés travaillait moins de 24 heures par semaine.

Il faudra repenser l’organisation du travail en fonction des engagements que nous avons pris vis-à-vis de nos partenaires. Cela nous posera des difficultés, mais nous ferons en sorte de les résoudre. Nous comptons procéder de façon progressive – et c’est bien pourquoi je vous ai indiqué tout à l’heure que nous nous placions dans la durée – en faisant confiance aux accords de branche. Je viens de vous parler des maisons de retraites, mais je pourrais vous parler des drugstores, qui sont ouverts tous les jours de l’année, de 8 heures à 2 heures du matin ou de bien d’autres cas, qui vont immanquablement se présenter à nous.

Madame la rapporteure, vous vous êtes interrogée sur le nombre ou la durée des avenants. Pourquoi s’est-on arrêté à 8, plutôt qu’à 9 ou à 7 ? Parce qu’à un certain moment, il a fallu faire un arbitrage. Dans bien des domaines, nous pensons que les mesures qui ont été adoptées ne seront pas forcément les plus efficaces, mais qu’elles étaient sans doute nécessaires, ne serait-ce que pour restaurer le climat de confiance entre les salariés et les employeurs. C’est ainsi que nous parviendrons progressivement à faire évoluer les choses.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous savons que certaines entreprises – et pas seulement les petites – ont besoin de souplesse. Mais nous craignons que les grands secteurs très demandeurs de temps partiel – la restauration, la grande distribution, les services de propreté et à la personne, qui emploient une très forte majorité de femmes – n’en viennent à contourner cet accord.

Je vous rejoins sur ce point : cet accord est un compromis, résultat des efforts faits par les uns envers les autres. La méthode, que le Président de la République a appelée de ses vœux, est véritablement innovante. On peut même parler d’une première.

M. Benoît Roger-Vasselin. Il y a eu beaucoup d’autres accords de ce type signés au cours des dernières années.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En effet, mais ils donnaient la priorité aux accords d’entreprise. Pour ma part, je leurs préfère les accords de branche qui sont plus favorables aux salariés – surtout aux femmes, qui sont moins syndiquées.

Cela dit, vos organisations donneront-elles des indications pour négocier ces accords de branche ? Attendez-vous du Gouvernement qu’il en donne ? Il ne faudrait pas que ces accords soient l’occasion de revenir sur le délai de prévenance et la limitation des coupures dans la journée. Les secteurs très demandeurs de temps partiel vont sûrement demander des dérogations, d’autant plus qu’ils ont pris de mauvaises habitudes.

Je me réjouis en tout cas que les femmes travaillant à temps partiel puissent bénéficier d’une complémentaire santé. De fait, celles-ci sont de plus en plus touchées par les maladies professionnelles, qui ont augmenté de 121 %, et par les accidents de trajet, qui ont augmenté de 27 % - alors même qu’ils ont diminué de 27 % chez les hommes.

Les maladies professionnelles augmentent parce que le temps partiel est très fatigant et très usant. Ainsi, les maladies musculo-squelettiques se développent parmi les salariées des EHPAD qui doivent soulever des personnes âgées des heures durant. Ces salariées ne pourraient d’ailleurs pas le faire à temps plein.

En conclusion, je ne fais pas de procès d’intention. Je suis favorable à la négociation des partenaires sociaux, mais je crains que des dérogations n’aboutissent à dénaturer cet accord.

Mme Suzanne Tallard. Il y aura des dérogations, et il risque d’y avoir des dérives. Un dispositif de suivi a-t-il été prévu ?

M. Benoît Roger-Vasselin. Premièrement, les secteurs dont vous parlez ont pris les devants. C’est pourquoi, lors de la Grande conférence sociale qui s’est tenue au mois de juillet dernier, le Premier ministre a rendu hommage, notamment, au secteur de la propreté qui, bien avant cette date, avait travaillé de façon concertée avec les organisations syndicales pour trouver le moyen de codifier le temps de travail.

Deuxièmement, quinze jours avant que l’on ne se réunisse pour faire le point sur l’avancement de cette conférence, un colloque s’est tenu à Rouen. Il a permis de travailler de façon concertée et paritaire sur les premières propositions qui avaient été faites, pour voir précisément comment la situation avait évolué et si elles devaient être amendées.

Je pense que ces secteurs sont parfaitement conscients de leur responsabilité, et je rejoins les propos de M. Tissié. Soit l’on considère que le temps partiel est une forme de travail qui doit avoir une place pleine et entière, et il faut alors en harmoniser les conditions ; soit l’on considère que le temps partiel est un problème.

J’ai cru comprendre, madame la présidente, qu’il ne fallait pas, en particulier dans les EHPAD, que les personnes embauchées à temps partiel travaillent à temps plein ….

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai voulu dire que dans les secteurs où l’on pratique le temps partiel, comme dans la grande distribution ou dans les EHPAD, les salariés, qui sont à 80 % des femmes, ne pourraient pas tenir s’ils travaillaient à temps plein. Cela ne signifie pas qu’ils ne préfèreraient pas occuper un travail à temps plein.

Dans les pays du Nord, il n’est pas rare que des salariés prennent leur retraite à 65, 67 ans, voire 70 ans. Mais le travail y est organisé bien différemment de chez nous, sans stress ni pression. En France, les conditions sont telles, surtout dans ces secteurs, que les femmes ne pourraient pas travailler à temps plein, mais cela ne signifie pas qu’elles souhaitent travailler à temps partiel.

M. Benoît Roger-Vasselin. Ce n’est pas ce que j’ai voulu vous faire dire. Je pense qu’il faut accorder au temps partiel une place pleine et entière, et harmoniser les conditions de son exercice. C’est un peu l’objet de cet accord et le sens des engagements qu’a pris la délégation d’employeurs. Certaines situations étant effectivement très préjudiciables aux salariés, nous n’y parviendrons que progressivement.

Mais je ferai une parenthèse à propos des accidents de trajet, dont l’augmentation, mécaniquement explicable, est toutefois préoccupante. L’hypothèse que vous avez émise, selon laquelle certaines tâches sont très fatigantes, voire pénibles, mérite d’être creusée. C’est d’ailleurs ce que nous faisons dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail. En effet, ces dernières années, l’une des rares négociations qui n’a pas abouti concernait précisément la pénibilité.

L’accord sur lequel on discutait comportait deux parties, sur la prévention et sur la réparation. Tout le monde était d’accord sur les mesures de prévention. De très intéressantes expériences avaient été menées dans certains secteurs pour alléger certaines tâches et limiter les risques de troubles musculo-squelettiques qui apparaissent avec l’âge – par exemple, des coussins gonflables pour que les femmes de chambre n’aient plus à se baisser. Il était important de ne pas s’opposer sur la prévention qui, à long terme, permettra de faire baisser la réparation.

Le problème est venu du fait que les organisations d’employeurs souhaitaient que la réparation passe par un examen médical individuel, alors que les organisations syndicales souhaitaient que cette réparation soit « catégorielle ». Le fait d’appartenir à une catégorie donnée aurait automatiquement ouvert le droit de bénéficier de mesures de réparation. Mais, selon les organisations d’employeurs et le ministère du travail, cela aurait abouti à recréer des régimes spéciaux.

Je terminerai sur la question relative au suivi de cet accord. Comme dans tous les accords, il est prévu qu’un comité de suivi se réunisse régulièrement pour en étudier les effets. En outre, le comité de suivi de l’Agenda social se saisit des accords qui sont en cours, examine la façon dont ils s’appliquent et signe éventuellement des avenants. C’est ainsi que nous avons déjà signé deux avenants à l’accord de janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. En observant en temps réel comment il s’appliquait, nous avons pu nous rendre compte d’un certain nombre d’anomalies, voire d’aberrations, que nous n’avions pas décelées plus tôt.

Mm Geneviève Bel. Cet accord permet de nombreuses avancées, mais au moment de sa signature, certaines entreprises ont fait des réclamations. Son application va demander une organisation complexe. Commençons donc par le laisser vivre.

Mme Conchita Lacuey. Quand je vous écoute, je suis un peu inquiète. Si j’ai bien compris, il y a un accord. Cet accord doit être appliqué. Mais j’entends parler de dérogations. La dérogation sera-t-elle la règle ?

Mme Geneviève Bel. Les dérogations doivent être motivées.

Mme Conchita Lacuey. Mais comment ? Dans certaines professions ou dans certains secteurs, on risque de revenir à un temps partiel subi.

M. Benoît Roger-Vasselin. Des dérogations sont prévues par les accords de branche, lesquels doivent être signés par les partenaires sociaux. Les dérogations individuelles ne peuvent intervenir qu’à la demande écrite et motivée du salarié. Je peux vous dire, pour avoir participé aux réunions patronales préparatoires, qu’il a été difficile de le faire admettre à la délégation patronale. Mais maintenant, nous sommes engagés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ma chère collègue, ces accords de branche sont signés par les représentants du patronat et les représentants des salariés. Il n’y aura donc de dérogations que si la majorité des représentants des salariés les approuve.

M. Benoît Roger-Vasselin. Au niveau de la branche.

M. Georges Tissié. Mme Lacuey pose un problème de fond. Je lui répondrai que nous ne sommes pas dans un pays anglo-saxon, mais en France, un pays de droit écrit qui a l’habitude d’adopter des textes extrêmement complets, notamment en droit du travail. C’est le cas de l’article 8 qui transcrit l’article correspondant de l’accord et encadre la négociation de branche. Cela devrait la rassurer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je pense que la majorité des députés a apprécié que l’on soit parvenu à un accord, compromis qui résulte des avancées faites par chacun. Mais comme nous l’a dit le ministre, certains points sont restés trop généraux ou imprécis.

Le texte qui retranscrit cet accord dans la loi a déjà été amélioré. Le rôle des députés que nous sommes est maintenant d’apprécier cet accord et, sans le dénaturer, d’améliorer et de préciser le texte par des amendements. Le rôle de la Délégation est de faire en sorte que ces précisions soient favorables aux femmes. De fait, même si les temps ont un peu changé, il faut reconnaître que l’égalité professionnelle et les droits des femmes ont souvent été oubliés dans les négociations, ne serait-ce que parce que ce n’était pas la priorité des partenaires sociaux, quels qu’ils soient.

Mais faut-il faire prendre toute sa place au temps partiel, qui est apparu dans les années quatre-vingt dix, au travers de certains textes de loi visant à lutter contre le chômage ? Faut-il même « favoriser » le temps partiel ? Cela suggère que le salaire des femmes reste un salaire d’appoint, ce qui est totalement en contradiction avec l’évolution des familles, notamment le développement des familles monoparentales. Ce que l’on appelle le « temps partiel choisi » n’est d’ailleurs le plus souvent qu’une solution imposée aux femmes qui doivent s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents âgés.

Enfin, j’ai bien entendu vos propos sur la négociation en cours sur la qualité de vie au travail. En tant que présidente de la Délégation, je me préoccupe de l’articulation vie professionnelle/vie familiale. J’ai même été l’une des premières à monter à Poitiers, dans les années 2000, une Agence des temps, ce qui m’a amenée à beaucoup travailler avec les entreprises. Mais je tiens à vous faire remarquer que, aussi importantes qu’elles soient, ces questions de qualité de vie au travail ne sont qu’un des aspects de l’égalité professionnelle.

Je vous remercie d’avoir accepté de venir nous faire part de vos observations, qui nous seront très utiles pour la suite de notre travail.

La séance est levée à 19 heures 50.