Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la délégation aux droits des femmes

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 14 mai 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites, et Jean-Michel Hourriez, responsable des études, sur le bilan des réformes du système de retraite français au regard de la situation des femmes

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de MM. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites (COR) et Jean-Michel Hourriez, responsable des études, sur le bilan des réformes du système de retraite français au regard de la situation des femmes.

La séance est ouverte à 17 heures 30.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Monsieur le président, notre Délégation sachant que le Gouvernement avait l’intention de rouvrir le sujet des retraites avant la fin de l’année, a souhaité vous entendre, non pas sur l’ensemble des rapports du Comité d’orientation des retraites, mais sur un point très sensible, à savoir les inégalités entre les femmes et les hommes en matière de retraite.

Ces inégalités perdurent, en dépit des trois réformes de 1993, 2003 et 2010. Le différentiel de retraites entre les femmes et les hommes est toujours de 40 %. En 2010, le ministre de l’époque, M. Éric Woerth, nous avait affirmé que le problème allait se résorber parce qu’aujourd’hui, les femmes travaillent davantage et parce que l’égalité des salaires finirait par être effective. Nous voulons bien être patientes, mais rien n’est moins sûr. Voilà pourquoi nous aimerions travailler pour obtenir des résultats plus efficaces lors de la prochaine réforme.

Monsieur le président, vous avez fait un état des lieux, construit des scénarios et l’un de vos rapports consacre un chapitre à la situation respective des femmes et des hommes. Après avoir entendu le diagnostic établi par le COR, nous vous poserons des questions pour savoir comment remédier à une situation qui nous préoccupe grandement. Ce sera sans doute l’une des priorités de la Délégation d’ici à la fin de l’année 2013.

Je vous remercie enfin de votre présence, car je sais que vous allez être très sollicité.

M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites. Madame la présidente, je suis très heureux de m’exprimer cet après-midi devant la Délégation. Je rappellerai, pour commencer, la procédure choisie par le Gouvernement.

Le Gouvernement a programmé une grande conférence sociale qui s’est tenue les 9 et 10 juillet 2012 au palais d’Iéna. Un certain nombre de thèmes, dont celui des retraites, ont été abordés avec les partenaires sociaux et ont donné lieu à des ateliers.

Il avait été décidé qu’en matière de retraites, on procéderait en plusieurs étapes, que je vais vous rappeler.

Premièrement, il a été demandé au COR de procéder à un état des lieux pour la fin 2012 et le début de 2013. Nous avons parfaitement respecté ce délai.

Deuxièmement, il a été demandé à un groupe d’experts de travailler sur la base des analyses du COR pour dégager des pistes de réflexion concernant la réforme des retraites, pistes qui seraient soumises au Gouvernement au printemps. Mme Yannick Moreau – mon prédécesseur au COR – anime ce groupe d’experts.

Troisièmement, il reviendra au Gouvernement, sur la base, à la fois du rapport du COR et des pistes dégagées par le groupe d’experts de Mme Moreau, de commencer la concertation avec les organisations syndicales et de décider ce qui devra être fait en la matière.

Cette progression en trois étapes s’explique par la composition et le rôle des institutions. Le COR, que j’ai l’honneur de présider, est un organisme pluraliste, composé de trente-neuf membres, parmi lesquels : quatre députés et quatre sénateurs, de droite comme de gauche ; des représentants du patronat, de l’ensemble des organisations syndicales représentatives comme de l’UNSA et de la FSU ; des représentants des retraités ; enfin, des experts indépendants et les fonctionnaires en charge du dossier.

Le COR peut aller très loin dans l’analyse du diagnostic, en particulier dans la définition de projections. Il peut même se mettre d’accord sur le diagnostic, malgré la diversité des membres qui le composent. Je considère qu’il est déjà remarquable que depuis que cette instance existe, et tout particulièrement au cours des derniers exercices de projection réalisés en 2010, à la veille de la réforme conduite par la précédente majorité, puis à la fin de 2012, à la demande de l’actuelle majorité, le travail technique mené avec les caisses et les administrations par la petite équipe de huit personnes qui m’entoure ait donné lieu à un diagnostic que personne n’a contesté, ni à droite, ni à gauche, ni au sein des organisations syndicales.

Notre onzième rapport, du 12 décembre 2012, portait sur les perspectives du système français de retraites pour 2020, 2040 et 2060, et le douzième, du 12 janvier 2013, qui faisait un état des lieux, procédait à une analyse plus qualitative. En revanche, ce n’est pas au COR de dire ce qu’il faut faire ensuite, après le diagnostic, l’état des lieux et les projections.

Nous pouvons dégager les principaux leviers d’action – nous l’avons fait, dans le cadre de ce que l’on appelle l’abaque du COR, que je ne commenterai pas aujourd’hui – permettant d’assurer l’équilibre d’un système de retraite comme celui que nous avons actuellement. Ces leviers sont au nombre de trois : premièrement, le niveau de l’ensemble des ressources – et pas seulement des cotisations – mises à la disposition du système de retraite, qui représente 280 milliards, soit plus de 14 % du PIB ; deuxièmement, le niveau des retraites, plus exactement le niveau du rapport entre la moyenne des salaires et la moyenne des retraites ; troisièmement, l’âge effectif de départ à la retraite.

Nous avons expliqué à tous les gouvernements, quelle qu’en soit la couleur, que ces trois leviers étaient les seuls que nous pouvions actionner pour équilibrer le système. Nous savons même évaluer le nombre de points qu’il faudrait pour parvenir à l’équilibre en utilisant l’un ou l’autre des leviers. En revanche, nous ne pouvons pas dire qu’il faut préférer tel levier à tel autre, parce que la composition du COR est telle qu’il ne peut y avoir d’accord sur ce point. Il serait irréaliste de prétendre le contraire.

Il est donc logique que le Gouvernement, sur décision du Premier ministre, ait chargé un groupe de travail, qu’il a composé lui-même, de lui faire des suggestions à partir de nos analyses. Il lui appartiendra ensuite de trancher, après une concertation avec les partenaires sociaux.

Nous avons clairement indiqué dans notre onzième rapport quel était le besoin de financement prévisible de notre système de retraite aux échéances 2020, 2040 et 2060.

En 2020, en fonction des différents scénarios qui ont été examinés, le besoin de financement serait de quelque 20 milliards, soit un peu moins d’un point de PIB – plus près de 0,9 point, compte tenu de l’évolution économique que nous envisageons. Cela signifie que si celle-ci était moins favorable que prévu entre aujourd’hui et 2010, le besoin sera supérieur. Ensuite, en fonction de différentes hypothèses et scénarios économiques, nous avons dit ce qu’il en serait en 2040 et 2060.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’en 2035, nous pourrions assister à un retournement de la situation ou à une stabilisation. C’est en effet à ce moment-là que s’achèvera la phase d’augmentation permanente, depuis 2006, du nombre de personnes qui partent à la retraite – le « papy boom ». Le rapport entre cotisants et retraités sera un tout petit peu moins défavorable et, si la conjoncture économique est satisfaisante, nous pourrons nous rapprocher de l’équilibre, voire l’atteindre. Tout dépendra de l’emploi (du taux de chômage) et de la croissance (du taux de productivité). En cas de retour à la croissance, le système peut être équilibré ou se rapprocher de l’équilibre. Quoi qu’il en soit, le problème lié au « papy boom » aura été surmonté aux alentours de 2035 – comme nous l’indiquions dans notre onzième rapport de décembre 2012.

Dans le douzième rapport, nous avons essayé de situer notre système de retraites au regard de la réalisation de certains objectifs : l’objectif d’équilibre financier – et là, nous n’avons pu que reprendre ce que nous disions un mois plus tôt – ; l’objectif d’équité et l’objectif de solidarité, qui est un des objectifs fixés par la loi de 2010.

Nous avons analysé les différentes composantes du système, ce qui nous a amenés à évoquer le problème des disparités de situation entre les hommes et les femmes. Mais pour être tout à fait complet, ce problème avait été traité de manière plus approfondie dans notre sixième rapport. Bien que datant de décembre 2008, ce rapport reste d’actualité. Vous pouvez le consulter en ligne. Par ailleurs, la Documentation française en a repris le contenu dans une publication qui paraîtra dans quelques jours sous forme de fiches. Cela dit, j’ai lu ces douze fiches il y a trois semaines et je n’ai pas souvenir qu’une fiche spécifique ait été consacrée aux disparités entre les hommes et les femmes.

M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études. La fiche numéro 3 décrit la situation des retraités. Elle fait état de toutes les disparités de pensions, et notamment des écarts entre celles des hommes et celles des femmes.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Je vais maintenant faire un état des lieux de la question.

Les données les plus sûres dont nous disposons datent de 2008. En effet, nous travaillons sur la base d’un échantillon inter régimes préparé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des affaires sociales (DREES) laquelle travaille sur une périodicité de quatre ans.

Il est intéressant de noter que si la situation change, elle ne change pas assez rapidement.

À la fin de 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droits propres – hors réversion et hors droits familiaux – des femmes ne représentait en moyenne que 53 % de celle des hommes : 879 euros par mois, contre 1 657 euros pour les hommes. Ce ratio a progressé au fil des générations et continue à progresser. Ainsi, pour la génération née entre 1924 et 1928, le ratio était de 44 % ; contre 56 % pour la génération née entre 1939 et 1943. Ensuite, selon l’INSEE, pour les générations nées dans les années 50 – celles qui partent actuellement à la retraite – ce ratio atteindrait 70 % et il serait de 80 % pour les générations nées dans les années 70.

Le dernier avis rendu par le COR sur la durée d’activité concerne les générations nées en 1955 et 1956. Il se base sur un chiffre de l’INSEE qui est encore grossier et qui porte sur les droits propres. Si l’on intègre la réversion, on constate que les écarts de pension entre les hommes et les femmes se réduisent. Pour 2008, le montant moyen des pensions était de 1 165 euros par mois pour les femmes, contre 1 749 euros pour les hommes. Le ratio est de 67 %, à comparer avec 53 % – c’est la réversion qui explique la différence de 14 %.

La réduction des écarts de pension est donc une bonne nouvelle. Mais il y a une moins bonne nouvelle : cette réduction des écarts de pension, qui était forte pour la génération née peu après 1945, en raison de la montée de l’activité féminine et de la baisse des écarts de salaire, marque le pas.

Les raisons de ce phénomène sont nombreuses. Les principales sont les suivantes : la persistance des interruptions d’activité liées aux naissances, qui ont un effet sur la carrière des femmes – 38 % des femmes ne travaillent pas après la première naissance, 47 % après une deuxième naissance, 70 % après une troisième – ; le développement de l’emploi à temps partiel, qui a une répercussion sur le niveau des salaires – 30 % des femmes travaillent actuellement à temps partiel – ; les écarts salariaux, qui ont tendance à cesser de se réduire depuis le milieu des années 90 – pour les temps complets, ils restent de 20 % dans le secteur privé et de 15 % dans le secteur public.

Ces écarts sont liés à la répartition des activités professionnelles et domestiques au sein du couple. Les femmes continuent à tenir une place plus importante que les hommes à la fois dans les tâches domestiques et dans l’éducation des enfants. C’est une réalité sociologique qui évolue très lentement. Cette dissymétrie se retrouve dans tous les pays européens, y compris dans les pays avancés en matière de parité comme les pays nordiques, la Suède ou le Danemark.

Cela dit, les conséquences de ces écarts en termes de niveau de vie sont aujourd’hui relativement limitées. En effet, la plupart des femmes vivant seules, à la retraite, sont veuves et bénéficient, de ce fait, de pensions de réversion. Mais dans les nouvelles générations, à cause de la montée du divorce et du célibat, davantage de femmes qu’aujourd’hui vivront seules sans percevoir de pension de réversion et leur niveau de vie risque d’en pâtir.

Pour réduire les écarts de pension, il faut d’abord agir en amont, sur le marché du travail. Mais une correction en aval par les dispositifs de retraite non contributifs – droits familiaux et minima de pension – peut se justifier tant que les écarts sur le marché du travail persistent et que ce sont les femmes qui prennent en charge l’éducation des enfants. Après tout, l’éducation des enfants permet d’assurer, le moment venu, la pérennité du système de retraite. Les droits familiaux viendraient ainsi corriger une situation dans laquelle, au regard du marché du travail, les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes. Il existe par ailleurs toute une série de mesures, que la Délégation connaît bien, tendant à rééquilibrer la situation des femmes dans les activités économiques, dans les conseils d’administration notamment. Mais ce n’est qu’un aspect d’un problème plus général. Telle est la philosophie qui ressort des rapports du COR.

J’en viens au deuxième volet de mon propos, qui porte sur les droits familiaux de notre système de retraite. Il existe aujourd’hui trois principaux dispositifs.

Le premier est la MDA, ou majoration de durée d’assurance. Celle-ci concerne les mères et éventuellement, depuis 2010, grâce à l’Europe, les pères, sans condition de réduction d’activité. C’est une majoration de huit trimestres par enfant pour le régime général – les règles sont différentes dans les régimes spéciaux, en particulier dans la fonction publique. Ce dispositif a permis de rapprocher la durée moyenne de trimestres validés par les femmes et par les hommes.

Le deuxième dispositif est l’AVPF, ou assurance vieillesse des parents au foyer. Lorsqu’il a été créé, en 1972, il visait à comptabiliser les périodes passées au foyer pour élever des enfants de moins de trois ans, ou de nombreux enfants – d’abord quatre, puis trois à partir de 1977. Au fil des années, il a été étendu à différentes situations. Aujourd’hui, il permet de valider des trimestres avec un salaire porté au compte à hauteur du SMIC. Mais pour en bénéficier, il faut remplir certaines conditions : perception de certaines prestations familiales, condition de ressources et, dans certains cas, de revenus professionnels. À la différence de la MDA, il est lié au fait que l’on arrête de travailler et à la carrière professionnelle.

Le troisième dispositif est la majoration de pension pour les pères et les mères ayant eu ou élevé trois enfants ou plus. Celle-ci est proportionnelle à la pension et, dans le régime général, elle est de 10 %. C’est une pure mesure familiale qui vise à favoriser les familles nombreuses, de trois enfants ou plus.

Existe enfin un dernier dispositif, celui des départs en retraite anticipés dans les régimes spéciaux après quinze années de service et trois enfants ou plus, que je me contente de mentionner dans la mesure où il est en voie d’extinction.

Ces dispositifs représentent des sommes importantes : plus de 15 milliards d’euros, soit un peu moins d’un point de PIB et à peu près 8 % des pensions de droits propres. Il faut noter par ailleurs que l’AVPF monte en charge. Je précise enfin que les droits familiaux sont principalement attribués par le régime de base, mais parfois aussi par les régimes complémentaires.

La part des droits familiaux dans les droits à la retraite représente à peu près 16 % de la pension moyenne des femmes nées entre 1934 et 1938. Dans ces générations, neuf femmes sur dix avaient validé en moyenne 21 trimestres de MDA, soit l’équivalent de « deux enfants et demi ».

J’en viens au troisième volet de mon propos, qui concerne plus particulièrement la MDA. L’Europe ayant mis en avant le principe d’égalité entre hommes et femmes, cette majoration a été ouverte en droit aux hommes. Malgré tout, des conditions restrictives ont été posées afin que les femmes en restent les principales bénéficiaires. J’ai moi-même poussé en ce sens, bien que cela aille un peu à contre-courant de la jurisprudence européenne

Dans la fonction publique, c’est le fameux arrêt Griesmar de la Cour de justice des communautés européennes du 29 novembre 2001 qui a conduit à réformer cette majoration d’un an. Depuis 2004, celle-ci a été remplacée par une majoration de six mois au titre de l’accouchement, et complétée par une majoration de six mois destinée à compenser les interruptions d’activité jusqu’à trois ans – pour les enfants nés après le 1er janvier 2004.

Dans le régime général, un arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2010 a abouti à ce que l’on scinde la MDA en deux pour les pensions prenant effet à partir du 1er avril 2010. C’est le système applicable aujourd’hui. Les huit trimestres ont donc été scindés en deux avec une majoration de quatre trimestres par enfant au titre de la maternité, et une majoration qualifiée d’éducation d’un an par enfant attribuée à la mère, pour tous les enfants nés avant le 1er janvier 2010 , sauf si le père a seul élevé l’enfant. Pour les enfants nés après le 1er janvier 2010, cette deuxième majoration est attribuée à l’un des deux parents au choix du couple. C’est un système anti redistributif, moins favorable aux femmes, mais fondé sur le principe d’égalité.

Le COR a repris ces analyses, qu’il avait développées dans son rapport de 2008, sans les modifier fondamentalement dans la mesure où depuis cette date, s’agissant de ces différents dispositifs, la situation n’a pas avancé.

Nous avons mis en avant la nécessité de clarifier les objectifs que l’on veut attribuer à chaque droit familial. Veut-on compenser les effets des enfants sur les carrières des mères ? C’est un peu l’objectif de l’AVPF, lorsqu’elle bénéficie aux femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants. Veut-on réduire les inégalités existant entre les hommes et les femmes au moment de la retraite ? Veut-on effectuer une redistribution en faveur des familles les plus nombreuses ou vers les bas revenus ? Ces objectifs peuvent être cumulés. Lorsque ces dispositifs ont été créés, on avait sans doute ces objectifs en vue, mais ils n’avaient pas été définis de façon précise.

On peut espérer qu’avec les trimestres attribués au titre de la MDA et de l’AVPF, la durée d’assurance moyenne validée par les femmes nées après 1960 rejoindra, voire dépassera la durée moyenne validée par les hommes. Mais si ces dispositifs permettent de rapprocher le nombre de trimestres validés par les femmes de ceux validés par les hommes, ils ne corrigent pas les écarts de pension entre hommes et femmes, qui sont dus aux écarts de salaires et à certains éléments de carrière. En outre, les femmes qui ont travaillé sans interruption, même lorsqu’elles ont eu des enfants, bénéficient peu de l’AVPF. Pour elles, d’ailleurs, la MDA est inutile. Elles n’ont pas besoin de trimestres supplémentaires, puisqu’elles les ont obtenus au titre de leur activité. Simplement, elles peuvent partir plus tôt, sans attendre soixante-cinq ou soixante-sept ans.

Voilà pourquoi, dès le sixième rapport, nous avions fait des propositions concernant à la fois la MDA, l’AVPF et la majoration pour trois enfants et plus.

S’agissant de la MDA, nous avons dit qu’il serait intéressant d’étudier l’idée consistant à en transformer, à terme, une partie en majoration de montant de pension et non de montant de trimestres – dont peuvent maintenant bénéficier, en partie, les hommes qui le souhaitent. Cette majoration du montant de pension serait réservée aux femmes et viendrait compenser les écarts de salaire existant entre les hommes et les femmes. Cela suppose, bien évidemment, que les mesures adoptées soient compatibles avec le droit européen. Ces majorations pourraient être soit proportionnelles, soit forfaitaires pour favoriser une redistribution vers les bas salaires. Encore faut-il le vouloir et l’expliciter.

L’AVPF étant un système complexe, subordonné à des conditions de perception de prestations familiales, de ressources du ménage, parfois d’activité, nous avons évoqué des pistes de simplification. L’idée était d’en faire un véritable dispositif de compensation des interruptions ou de réduction d’activité pour s’occuper d’un jeune enfant. La durée des interruptions compensées serait cohérente avec celle des prestations familiales, afin de ne pas favoriser un éloignement durable des femmes du marché du travail – pas au-delà de trois ou quatre ans.

Enfin, les majorations pour trois enfants et plus ne réduisent pas les écarts entre les hommes et les femmes. Ce dispositif poursuit plutôt un objectif de redistribution vers les parents de familles nombreuses. L’idée était de le transformer en majoration forfaitaire, ce qui favoriserait plutôt les bas revenus. Mais certains pourront faire remarquer que cela ne correspond pas à l’objectif premier qui était d’opérer non pas une redistribution des hauts revenus vers les bas revenus, mais une redistribution horizontale entre les familles célibataires ou peu nombreuses et les familles nombreuses à même niveau de revenus. C’est un débat politique. Nous disons simplement qu’une telle transformation est envisageable.

On peut aussi envisager de rendre ces majorations imposables. En effet, l’exonération de la majoration pour trois enfants et plus coûtait, lorsque nous avons fait notre rapport, à peu près 800 millions d’euros. Mais je dois dire que cette proposition n’a pas soulevé l’enthousiasme des membres du COR, même au sein des organisations syndicales. Un certain conservatisme semble régner en la matière. Sans doute la philosophie « familles nombreuses » est-elle encore prégnante. J’en veux pour preuve les réactions suscitées par le rapport de mon collègue Bertrand Fragonard, le président du Haut conseil de la famille, sur les aides aux familles. Je tiens cependant à préciser que M. Fragonard n’a pas abordé la question des avantages familiaux liés à la retraite, qu’il s’est contenté de la mentionner dans une annexe de son rapport en rappelant le dispositif que nous avions nous-mêmes présenté. Le HCF a simplement fait remarquer qu’une partie de ce dispositif était financée par la branche famille.

En tant que président du COR, je ne vois rien de choquant à ce que la majoration pour trois enfants et plus et l’AVPF soient partiellement financées par la branche famille puisqu’elles contribuent à la fois à la politique familiale et à la politique de retraite. En revanche, le HCF considère que cela aggrave le déficit de la branche famille et que ces avantages devraient être financés par la branche vieillesse.

Rappelez-vous ce que je vous ai dit de l’abaque du COR : les ressources prises en compte sont celles qui sont mises à la disposition du système. Or, parmi ces ressources, il peut y avoir des ressources fiscales comme des ressources provenant du transfert d’autres branches, et notamment de la protection sociale.

Certes, il existe un lien entre le niveau des retraites et celui des contributions, c’est-à-dire des cotisations. Le COR a d’ailleurs toujours considéré qu’il était dans la logique du système que la part essentielle du financement des retraites relève des contributions. Reste qu’environ 20 % du système de retraite – y compris les mesures familiales – relèvent de la solidarité. Dans ces conditions, l’introduction d’éléments redistributifs, soit par voie fiscale, soit par d’autres modes de financement, n’a rien de choquant.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, Monsieur le président, pour le tableau que vous avez brossé. Entre 2010 et 2013, il y a eu des évolutions dont certaines sont légèrement favorables aux femmes, d’autres moins. Nous devrons étudier attentivement les conséquences qu’ont eues les dernières mesures sur les retraites des femmes. Un débat très vif a déjà eu lieu autour de l’allongement de la durée de cotisation et du relèvement de l’âge de départ sans décote de soixante-cinq à soixante-sept ans, lorsque la durée de cotisation n’est pas atteinte. On sait en effet que ce sont majoritairement les femmes qui, en raison d’une carrière professionnelle souvent hachée ou faite de temps partiel, devront travailler jusqu’à soixante-sept ans.

Vous avez évoqué les leviers sur lesquels on peut jouer pour tenter d’équilibrer notre système de retraite, comme la durée de cotisation et le nombre de trimestres cotisés ou validés. Vous avez ensuite parlé des droits familiaux, qui permettent de gommer en partie les écarts entre les hommes et les femmes au moment de la retraite. Nous devrons nous pencher plus longuement que nous ne l’avons fait jusqu’à présent sur ces droits, car la situation des familles a évolué. Je pense aux familles éclatées, aux familles recomposées et aux nombreuses familles monoparentales. Je pense plus particulièrement à la femme seule, avec un unique enfant, qui travaille à temps partiel. Les droits familiaux ne compenseront pas les conséquences que les petits emplois précaires auront sur sa retraite.

Nous avions réfléchi à un système de retraites par points, comme il en existe en Allemagne. Dans un tel système, les points capitalisés dans le couple pourraient être répartis entre les conjoints au moment du divorce. Cette répartition relèverait du juge. Une femme ayant arrêté sa carrière, et donc perdu des points de retraite, se verrait attribuer l’équivalent d’un « capital retraite ».

Enfin, d’après ce que j’ai compris, le COR prend en compte la situation telle qu’elle est. Mais a-t-il analysé complètement les effets de la réforme de 2010 ? Nous devons le faire pour les femmes, qui sont les premières victimes des inégalités de notre système de retraites.

Mme Marie-Jo Zimmermann. En 2010, grâce à l’appui de la Délégation, nous avions tout de même réussi à secouer un peu le système : au départ, la question des femmes n’était même pas abordée dans la réforme des retraites ! J’ai toujours regretté que le COR n’aborde pas suffisamment la question des inégalités entre hommes et femmes. Éric Woerth, ministre des Affaires sociales, nous renvoyait toujours le même argument : la situation s’améliore progressivement. Mais je suis pour ma part très inquiète pour les femmes nées entre 1950 et 1960, dont la situation n’est absolument pas réglée. J’avais demandé pour elles des mesures temporaires : je ne les ai pas obtenues, et sur ce point la loi de 2010 est insuffisante ; aujourd’hui, je reste une fois encore sur ma faim. J’aimerais que le COR fasse des propositions sur ce sujet, même si c’est sans doute désormais plutôt vers la commission Moreau qu’il faut se tourner.

Il faut également réfléchir à l’évolution des familles, et en particulier à la répartition des droits à la retraite en fonction du nombre d’années de vie commune.

Mme Barbara Romagnan. Les compensations accordées aux femmes, notamment parce qu’elles ont élevé des enfants, ne contribuent-elles pas à faire perdurer la mauvaise situation qui leur est faite durant leur vie professionnelle, puisqu’il est ainsi moins préjudiciable d’abandonner son travail ?

J’aimerais donc aussi entendre des propositions pour compenser, en amont, le fait que ce sont le plus souvent les femmes qui prennent les congés parentaux et les congés pour enfant malade. On pourrait ainsi proposer qu’une partie du congé parental soit obligatoirement prise par le père.

Il faudrait enfin créer les conditions pour que les emplois les moins bien rémunérés ne soient pas occupés en très grande majorité par des femmes, et pour que celles-ci accèdent au sommet des hiérarchies.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En 2010, le Gouvernement n’a fini par aborder le problème des femmes que lorsqu’il s’est aperçu que celles-ci étaient largement majoritaires dans les manifestations contre le projet de loi !

Vous avez raison de dire qu’il y a là un problème d’égalité professionnelle – je tiens d’ailleurs à saluer les premières condamnations par les tribunaux des entreprises qui ne font aucun effort pour assurer l’égalité des femmes et des hommes au travail. Mais il faut aussi traiter le problème lorsque les femmes arrivent à la retraite, après avoir subi ces inégalités au travail.

Mme Ségolène Neuville. Votre exposé était très instructif. Mais j’ai eu l’impression que les femmes, ici, n’étaient considérées que comme des mères ; or, aujourd’hui, 10 % des femmes n’ont pas d’enfant, et beaucoup n’en ont qu’un seul. Or même ces femmes ont des carrières moins développées que les hommes, et sont moins bien payées.

Il faut donc agir pour l’égalité professionnelle : si nous attendons qu’elle se fasse naturellement, aucun d’entre nous ne la verra de son vivant !

Vos propositions sont fines et détaillées, Monsieur Hadas-Lebel : ne pourriez-vous donc pas trouver un mécanisme pour aider les femmes qui sont pénalisées non par la maternité, mais plus généralement par la situation qui leur est faite dans le monde du travail – je pense notamment au temps partiel et à la moindre rémunération à compétences égales ?

Mme Édith Gueugneau. Beaucoup de métiers ont été créés pour les femmes, notamment dans le domaine des services à la personne : mais ce sont toujours des emplois à temps partiel, et les rémunérations sont très faibles. Ces femmes n’ont pas le choix. C’est un problème bien réel, en milieu rural comme en milieu urbain.

M. Guy Geoffroy. Une partie de la solution à ces problèmes ne passe-t-elle pas par l’introduction d’une forme de capitalisation, à côté de notre régime par répartition ? Pour sauvegarder nos principes, ne faudra-t-il pas nécessairement utiliser ces deux approches complémentaires ?

M. Raphaël Hadas-Lebel. Je suis, au nom du COR, très fier et très heureux de la confiance que vous nous accordez.

Nous n’avons pas analysé en détail les effets de la réforme de 2010 : notre rapport de décembre 2012 portait globalement sur les changements intervenus dans nos diagnostics entre avril 2010, c’est-à-dire avant la réforme, et décembre 2012. Beaucoup de choses se sont passées entre ces deux dates : application de la réforme, mais aussi rebond de la crise à la fin de l’année 2011, mesures prises par le nouveau Gouvernement en juillet 2012…Nous avons montré que nos besoins de financement avaient été ramenés de 40 milliards d’euros environ, soit deux points de PIB, à 20 milliards en 2012.

Il faut effectivement établir une distinction : la situation des femmes change selon qu’elles sont nées avant ou après 1960. Pour les premières, aujourd’hui encore, la durée d’assurance validée demeure inférieure à celle validée par les hommes, bien qu’elle s’en rapproche. Le relèvement de l’âge minimal de départ décidé en 2010 a donc plus d’impact sur les hommes que sur les femmes : ils sont obligés de partir plus tard, même si leur durée de cotisation est déjà importante. En revanche, le changement du second curseur, c’est-à-dire la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite sans décote, a plus d’impact sur les femmes. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore lequel des deux effets l’emportera.

Pour les générations nées après 1960, il y aura beaucoup moins d’écart entre les durées d’assurance moyennes des femmes et des hommes, compte tenu en particulier des droits familiaux. Il est donc difficile aujourd’hui de prévoir si le relèvement des bornes d’âge aura de plus grandes conséquences pour les femmes que pour les hommes.

Madame Zimmermann, vous proposez de prendre des mesures temporaires. C’est une solution que nous n’avons pas examinée : je ne dis pas que ce serait impossible, mais notre système est déjà extrêmement compliqué. Pour compenser ce qui peut l’être, nous avons plutôt privilégié les droits familiaux, que nous proposons d’ailleurs également de réformer.

D’une façon très générale, peut-on compenser au moment du départ à la retraite tout ce qui s’est passé durant une vie d’activité ? La même question se pose au sujet de la pénibilité. Philosophiquement, le problème de la pénibilité du travail doit nécessairement être posé dans le cadre du travail lui-même : il faut des mesures de prévention, de correction, des sanctions le cas échéant… Le COR estime qu’au niveau de la retraite, seuls les éléments de pénibilité dont il est sûr qu’ils ont des conséquences pour l’espérance de vie – donc pour la durée de la retraite – peuvent être compensés. Mais c’est un sujet difficile : puisque l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes, faut-il prévoir une compensation pour ces derniers ? Ce serait bien paradoxal ! Et je vous assure que je l’ai entendu dire !

Je ne peux pas préjuger de ce que contiendra le rapport de Mme Moreau. Rien ne s’oppose en tout cas à ce que le COR se penche sur la question d’éventuelles mesures temporaires : je retiens votre suggestion.

Madame Romagnan, vous avez raison, l’essentiel des problèmes se forment en amont. Il me paraît concevable que l’on oblige les pères à prendre une partie du congé parental, même si je ne sais pas si cette idée serait acceptée par la société française ; mais cela relève de la politique familiale. Le COR ne s’occupe que des retraites, et ne peut se pencher que sur les mesures correctrices que l’on peut prendre à ce moment-là.

Aujourd’hui, il faut souligner que, s’il est exact que beaucoup d’emplois mal rémunérés sont occupés par des femmes, la France est, peut-être avec les États-Unis, l’un des pays où les femmes occupent le plus d’emplois supérieurs, en particulier dans la fonction publique, par exemple dans l’enseignement ou la magistrature. Dans les pays que l’on croit le plus avancés, comme la Scandinavie, les femmes occupent souvent en réalité des emplois de moins bon niveau, et à dominante sociale. Le système des concours, en particulier, permet aux femmes d’être mieux loties en France que dans d’autres pays comparables : même dans les entreprises privées, la réussite aux concours des grandes écoles est un atout.

M. Jean-Michel Hourriez. En termes de secteurs d’activité, le marché du travail est en effet plus segmenté en Scandinavie qu’en France.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Nous consacrons par ailleurs un chapitre du rapport de 2008 aux transformations du couple et de la famille.

Madame Neuville, nous ne considérons pas les femmes seulement comme des mères. Vous avez absolument raison : il est indispensable de corriger les inégalités professionnelles, mais cela ne relève pas du COR.

Si nous envisageons la femme comme mère, c’est parce que c’est entre autres l’obligation d’élever les enfants qui explique sa moindre durée d’activité sur l’ensemble de sa carrière. On a tout de même progressé : le fait que la femme travaille est désormais admis par la société. Les inégalités qui subsistent sont dues d’abord à la répartition inégale des tâches domestiques au sein des couples, même les plus jeunes – c’est une réalité sociologique – ; ensuite au fait d’avoir physiquement les enfants, puis de les élever, tâche qui, dans notre société, revient plutôt aux femmes. C’est cela que nous essayons de compenser. C’est pour cela que nous étions quelque peu furieux de la fausse égalité juridique imposée par le droit européen, qui nous impose de prendre des mesures en faveur des hommes, qui n’en ont pas besoin.

Nous avons fait cette année de nouvelles propositions, notamment sur les pensions de réversion. Aujourd’hui, le niveau de la pension de réversion dépend du parcours matrimonial après le divorce. On pourrait envisager de calculer le montant de la pension de réversion au prorata de la durée effective du mariage, indépendamment du fait que le défunt se soit remarié ou non. Nous avons également suggéré que les pensions de réversion du fait de mariages successifs du conjoint survivant puissent être cumulées, ce qui serait une vraie innovation : aujourd’hui, la pension de réversion est souvent perdue en cas de remariage du conjoint survivant.

Nous avons également envisagé l’instauration d’un partage des droits à la retraite dès le moment du divorce, sur le modèle du Rentensplitting allemand. C’est un mécanisme plus facile à mettre en place avec un système de points – qui existe déjà dans certains régimes, notamment les régimes complémentaires –, puisqu’il suffit alors de partager les points. Cela dit, il faut rester vigilant car ce système peut en réalité défavoriser légèrement les femmes. Je suis d’ailleurs obligé d’avouer que les membres du COR n’ont pas envisagé cette proposition avec enthousiasme.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Alors que nous sommes en train d’élargir l’obligation de parité à de nombreuses instances, il faudrait demander au Gouvernement, et aux partenaires sociaux, de faire un effort pour que le nombre de femmes au sein du COR augmente – nous avions remarqué en 2010 qu’elles y étaient très peu nombreuses.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Pardonnez ma malice, Madame la présidente, mais le COR compte, sur huit parlementaires, trois sénatrices, et une députée seulement.

Les nominations ne dépendent pas du président. J’ai une certaine influence – j’ai ainsi veillé à la présence d’une représentante de l’OCDE, pour assurer une ouverture internationale –, mais elle n’est pas toujours décisive. Si les organisations patronales et syndicales désignaient plus de femmes, vous m’en verriez particulièrement heureux.

Sur la question du temps partiel, soulevée notamment par Mme Gueugneau, nous avons également fait des propositions. Il est aujourd’hui possible de cotiser sur la base du taux plein même si l’on travaille à temps partiel, mais il faut que l’employeur l’accepte. Il serait possible de jouer sur ce facteur.

Les familles monoparentales constituent un sujet nouveau et important. De plus en plus de femmes jeunes se trouvent dans des situations très préoccupantes, car elles se retrouvent seules, sans avoir été ni mariées ni pacsées, avec des enfants et une activité professionnelle insuffisante ; le COR estime toutefois que ces problèmes ne peuvent être gérés au niveau de la retraite.

Il existe une certaine égalité entre hommes et femmes pour la durée de cotisation validée. En revanche, le fait que la pension soit calculée en fonction des vingt-cinq meilleures années profite avant tout aux hommes, qui ont des carrières plus longues ; pour beaucoup de femmes, vingt-cinq ans, c’est presque toute leur carrière. Nous avons donc émis l’idée de calculer la retraite en prenant en considération l’ensemble de la carrière. Certes, d’une certaine façon, cela défavorise tout le monde, sauf si l’on corrige en contrepartie le taux de liquidation ! Mais c’est difficile à faire passer ; ce serait une révolution. La situation actuelle, qui semble acceptée de tous, est anti-redistributive : elle favorise les gens qui ont des carrières longues et linéaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le Sénat avait proposé de remplacer les vingt-cinq meilleures années par les cent meilleurs trimestres. Il semblerait que cela aille dans le sens d’une meilleure équité.

M. Jean-Michel Hourriez. Tout à fait. Les simulations du COR l’ont montré : cent meilleurs trimestres ou vingt-cinq meilleures années, cela ne revient pas au même, notamment pour les personnes – souvent des femmes – qui ont travaillé à temps très partiel, ou avec des contrats de très courte durée. Pour les plus précaires, il y a une double peine : ils ont peu d’années de travail, et avec des salaires de référence très faibles ; ils sont alors perdants en termes à la fois de durée d’assurance et de salaire de référence. Notre douzième rapport donne sur ce point des exemples chiffrés qui sont tout à fait frappants.

Le calcul du salaire de référence sur une partie de la carrière plutôt que sur la carrière tout entière est par ailleurs effectivement plutôt défavorable aux personnes ayant eu des carrières courtes.

M. Raphaël Hadas-Lebel. J’en viens aux autres systèmes possibles.

Un système de splitting faciliterait énormément la répartition des droits à la retraite en cas de divorce : le système actuel oblige tout de même à attendre la mort de l’ex-conjoint pour bénéficier d’une pension de réversion…

Le Sénat nous avait demandé, à l’initiative du sénateur Dominique Leclerc, une étude sur l’intérêt d’instaurer, au lieu de notre système par annuités, un système en points ou en compte notionnel, qui est le système suédois. Le COR estime que ce serait possible : ces systèmes offrent des avantages en termes de pilotage, et de transparence. Ainsi, avec un système par points, il suffit, pour assurer des droits familiaux ou conjugaux, de compter des points : c’est simple et lisible. Chaque système a aussi des inconvénients. Nous avons déjà travaillé et nous approfondirons encore nos études si on nous le demande. Je note toutefois que, parmi les organisations syndicales, seule la CFDT avait manifesté son intérêt pour un changement de système. Je n’ai pas le sentiment que ce soit à l’ordre du jour : nous verrons ce que proposera la commission Moreau.

La capitalisation est un tout autre sujet : il ne s’agit plus seulement de modifier le calcul des droits à pension. Ce ne sont plus les cotisations d’une année donnée qui financent les prestations de cette même année ; chacun capitalise des sommes qui fructifient pour l’avenir. Le régime en compte notionnel s’inspire un peu de ce système.

Il y a sur ce sujet, vous le savez, un grand débat politique. Nous constatons pour notre part que la capitalisation peut jouer un rôle, mais que ce rôle ne peut être que celui d’un complément à notre régime général par répartition. On peut estimer que ce rôle est aujourd’hui insuffisant, puisque l’épargne-retraite représente entre 2 % et 4 % du système de retraite. On peut aussi estimer que c’est trop, puisque ces sommes échappent au système de base.

Il est probable que les cadres, dont le taux de remplacement – c’est-à-dire le rapport entre la pension et le dernier salaire – est très inférieur à celui des non-cadres, chercheront des ressources supplémentaires dans l’épargne-retraite. Le poids de celle-ci augmentera donc sans doute ; mais je n’ai pas le sentiment que les hommes et femmes politiques d’aujourd’hui, à droite comme à gauche, souhaitent faire une grande place à la capitalisation, et ce d’autant que nous sommes aujourd’hui dans une période défavorable sur le plan boursier. On peut certes estimer que, sur vingt à vingt-cinq ans, la capitalisation peut apporter des ressources appréciables, mais la crise de 2008 a montré ses failles.

Les régimes par capitalisation courent un risque financier, lié en particulier à l’inflation ; les régimes par répartition courent un risque démographique. Il faut trouver un équilibre en prenant en considération les caractéristiques de chaque système.

Mme Geneviève Levy. Il serait donc possible d’introduire une dose de capitalisation.

M. Raphaël Hadas-Lebel. C’est un choix politique. Le rôle de la capitalisation restera de toute façon limité. Mais nous sortons ici du problème des inégalités entre hommes et femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certaines cotisations ne rapportent rien à ceux qui les versent : lorsque des salariés cotisent moins de 200 heures par trimestre, ces sommes sont perdues pour eux. C’est toujours le problème du temps très partiel.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Vous avez raison. Dans un système par points, toute cotisation, si faible soit-elle, doit donner lieu plus tard à une prestation : c’est la philosophie de la contributivité. Dans notre système, ce n’est pas le cas ; mais il faut aussi souligner que 20 % de notre système sert à la redistribution. Ces cotisations financent l’ensemble du système. Là aussi, notre douzième rapport fait des propositions pour faciliter la validation de trimestres, même lorsque l’on a travaillé moins de 200 heures.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais connaître votre opinion sur une idée qui m’est venue à propos du calcul des années de référence. Si on parle de départ à taux plein, cela veut dire « à son propre taux plein », c’est à dire sans décote. Pourrait-on concevoir que pour une personne partant à 67 ans avec son taux plein mais sans avoir le « vrai » taux plein (n’ayant pas atteint les 41,5 années de cotisation de référence pour la période 2020), on considèrerait que le calcul des années de référence se ferait au prorata du nombre total des années effectuées jusqu’au jour du départ en retraite, ramené au total exigé pour pouvoir bénéficier du départ en retraite à 62 ou 63 ans soit avant les 67 ans.

Par exemple, si une personne travaille 33 ans et part en retraite à 67 ans, sa retraite serait établie sur les 25 années de référence calculées à partir d’un ratio portant sur les 33/41èmes de 25 ans. Est-ce inenvisageable ? Cette personne n’a pas de décote, elle a 33 ans d’activité au lieu de 41 ou 42 ans : sa pension est calculée sur le ratio 33 sur 41 multiplié par 25.

Cela rétablirait une égalité qui mettrait fin à cette double peine du calcul de la retraite qui pénalise généralement les femmes.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Ce serait une autre manière, par rapport que celle étudiée par le COR, de corriger les effets négatifs anti-redistributifs du système basé sur la prise en compte des 25 meilleures années. Je ne sais pas si c’est simple à faire, mais on pourrait l’examiner.

M. Jean-Michel Hourriez. C’est un peu ce qui existe pour les polypensionnés depuis la loi de 2003, dans la mesure où pour ces personnes, la prise en compte des 25 meilleures années peut porter sur plusieurs régimes différents.

M. Raphaël Hadas-Lebel. C’est vrai, et lorsqu’on étudie les conséquences de l’application de ce prorata sur leur situation par rapport aux monopensionnés, on s’aperçoit que dans certains cas, ils sont en meilleure situation que les monopensionnés et dans certains cas en plus mauvaise position. L’application de ce prorata les met en meilleure situation. Par contre, il me semble qu’ils perdent quant au calcul du nombre de trimestres, plus ou moins selon les régimes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ajoute que jusqu’à récemment, les femmes découvraient le montant de leur retraite très tard, et parfois quasiment au moment de la prendre. Cette situation est un peu améliorée aujourd’hui avec les obligations d’information au cours de la carrière, mais il n’en demeure pas moins que notre système est très complexe.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Ce problème s’est un peu résorbé car la loi de 2010 a prévu que les premières informations doivent être communiquées dès l’âge de 35 ans, puis les salariés ont droit à un entretien sur leurs perspectives de retraite à l’âge de 45 ans.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous vous remercions pour cet exposé très intéressant qui nous permettra d’aborder les travaux des mois à venir avec des bases précises et de présenter des propositions en faveur d’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt