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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 9 juillet 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Bozio, président de l'Institut des politiques publiques (IPP), sur les enjeux de la réforme du système des retraites au regard de la situation des femmes

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Bozio, président de l'Institut des politiques publiques (IPP), sur les enjeux de la réforme du système des retraites au regard de la situation des femmes.

L’audition commence à 17 heures 30.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Antoine Bozio, président de l’Institut des politiques publiques (IPP), à qui Mme Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, a demandé un rapport sur les droits familiaux. Publié en juin 2013, ce rapport s’intitule « Réformer le système de retraite : les droits familiaux et conjugaux ».

Aujourd’hui, la retraite moyenne des femmes est inférieure de 40 % à celle des hommes. Cette situation s’explique par les inégalités entre hommes et femmes en matière de salaires, avec un écart de 30 % en moyenne ; de carrière, en particulier avec l’arrivée des enfants et l’inégal partage des tâches familiales ; de qualification au travail, les femmes étant majoritaires dans les métiers non qualifiés ; et de la santé au travail enfin, car les femmes subissent davantage d’accidents du travail et de trajet domicile travail et sont plus nombreuses à exercer des métiers dont la pénibilité est invisible.

Malgré trois réformes des retraites – en 1993, 2003 et 2010 –, les retraites des femmes n’ont pas été améliorées.

La réforme de 1993 a prévu que les pensions devaient être calculées sur les 25 meilleures années pour les salariés du secteur privé. Or cette disposition est très préjudiciable aux femmes qui sont plus nombreuses à connaître des interruptions de carrière. La nécessité de valider 200 SMIC horaire par trimestre pénalise également les femmes qui travaillent à temps partiel.

La réforme de 2003 a créé la surcote et la décote. Or j’ai constaté que les femmes partent en général au moment de l’âge légal à la retraite quelle que soit la décote.

En 2008, à la suite d’une décision européenne de la Cour de justice des communautés européennes, la majoration de durée d’assurance a été partagée entre le père et la mère. Il a en outre été mis fin à la possibilité, pour les fonctionnaires ayant eu au moins trois enfants, de partir à la retraite après quinze ans de service.

Enfin, avec la réforme de 2010, la durée de cotisation est allongée et le taux plein est porté progressivement à soixante-sept ans, mesures qui lèsent encore plus les femmes. Je précise que taux plein signifie non pas retraite maximum, mais retraite sans décote.

Dans ce contexte, nous sommes conscients de la nécessité d’une réforme juste qui prenne en compte la situation des femmes. Les droits familiaux ont pour objet de remédier aux écarts de pension entre les femmes et les hommes en compensant les aléas de carrière liés à l’arrivée des enfants.

Je pense que nous devons nous battre avant tout pour que les femmes acquièrent de meilleurs droits directs. À l’heure actuelle, trois dispositifs principaux visent à compenser l’insuffisance des droits directs liée aux aléas de carrière : la bonification de pension pour trois enfants et plus, la majoration de durée d’assurance (MDA) et l’assurance vieillesse des parents aux foyers (AVPF). Dans votre rapport, monsieur Bozio, vous jugez le dispositif opaque, peu redistributif et inégalitaire. Vous proposez deux scénarios : soit des réaménagements, soit une refonte du dispositif. Vous présentez également des pistes pour améliorer les droits dérivés en faveur des femmes.

Notre ambition est d’améliorer le système de retraite actuel, profondément injuste puisque les petites retraites concernent essentiellement les femmes. Comment améliorer la situation de l’ensemble des femmes ? Celles qui vivent avec le minimum contributif, de 628,99 euros par mois ? Celles qui arriveront à la retraite dans une dizaine d’années et dont la carrière a souvent été interrompue avec l’arrivée des enfants ? Et les jeunes générations qui connaissent le plafond de verre, les carrières incomplètes et le temps partiel ?

M. Antoine Bozio, président de l’Institut des politiques publiques (IPP). L’essentiel des propositions chiffrées de notre rapport concerne les droits familiaux. Nous avons néanmoins formulé des propositions généralistes pour les droits conjugaux.

Les droits familiaux sont des droits propres ; les droits conjugaux sont des droits dérivés du conjoint. Cette différenciation est importante dans le contexte actuel où il semble souhaitable de passer d’un système où l’essentiel des pensions des femmes est assuré par des droits dérivés, à un système leur permettant d’acquérir des droits propres grâce à la fois à leur carrière professionnelle et aux droits non contributifs.

Il est important de garder à l’esprit que les pouvoirs publics doivent arbitrer entre des actions visant à corriger les inégalités sur le marché du travail et des actions visant simplement à compenser les inégalités. En effet, se contenter de compenser des inégalités existantes risquerait de les maintenir, alors que le premier objectif de long terme est de s’attacher à les réduire au moment de leur formation. À titre d’exemple, si les dispositifs de congés parentaux permettent de compenser les inégalités hommes femmes, ils ont aussi comme effet de maintenir les femmes dans ce rôle d’appoint et de ne pas les encourager dans la poursuite de leur carrière.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certes, mais les inégalités ne seront toujours pas résorbées en 2040, si on ne se montre pas plus volontariste.

M. Antoine Bozio. Il n’en reste pas moins qu’un arbitrage budgétaire doit être effectué.

Les droits familiaux de retraite sont de trois ordres.

Le premier est la bonification de pension pour trois enfants et plus. Le taux de majoration est de 10 % pour les parents. Plusieurs réformes ont conduit à l’homogénéisation du dispositif dans le secteur privé pour atteindre ce taux. Dans la fonction publique, la majoration est de 10 % pour le troisième enfant, puis de 5 % par enfant supplémentaire. Le montant budgétaire annuel de ce mécanisme est très important, de l’ordre de 5 à 6 milliards d’euros. Néanmoins, il ne réduit pas les inégalités de pension hommes femmes, puisque les hommes ont des pensions supérieures aux femmes, et il ne compense pas les aléas de carrière liés à la présence des enfants. En outre, les raisons fréquemment invoquées pour ce genre de dispositif, en particulier encourager la fécondité, ne sont pas fondées.

Le deuxième dispositif est la majoration de durée d’assurance (MDA). Il consiste à créditer des trimestres d’assurance à la mère, au moment de l’accouchement, et des trimestres pour éducation, par défaut octroyés à la mère, sauf si le père peut justifier d’avoir pris en charge majoritairement les aléas de carrière liés à l’éducation des enfants.

Rappelons que le calcul de la pension prend en compte à la fois le salaire de référence ou salaire moyen annuel (SAM), qui détermine le niveau de pension, et les trimestres d’assurance qui permettent de déterminer le taux – application de la décote ou pas – sur le salaire de référence. Les trimestres rajoutés ne serviront qu’aux femmes qui ont besoin des trimestres d’assurance. Par conséquent, la formule du système actuel donne une pension qui dépend soit de la distance minimale par rapport à l’âge d’annulation de la décote, soit de la distance entre la durée d’assurance cotisée et la durée d’assurance requise. Autrement dit, une femme bénéficiera du taux plein si elle a soixante-sept ans ou si elle a la durée d’assurance requise. Et une femme qui a une faible durée d’assurance sera de toute façon touchée par l’âge : si elle a, par exemple, plus de cinq ans de distance avec la durée d’assurance, rajouter des durées d’assurance ne changera rien, car c’est l’âge qui compte. Or une grande partie des femmes est dans ce cas. Ainsi, les MDA tendent à sous-compenser les carrières avec interruptions et faibles SAM, et les carrières très longues sans interruption.

Un deuxième groupe de femmes bénéficie très peu des majorations de durée d’assurance : ce sont celles qui ont eu des carrières complètes, mais avec des temps partiels. La MDA leur ajoute beaucoup de trimestres supplémentaires, mais ils ne sont pas utiles. Et la prise en compte des temps partiels, qui correspondent par nature à des salaires peu élevés, va jouer dans le calcul du salaire de référence et pénaliser ces femmes.

Au final, ces droits ne permettent pas d’améliorer le niveau de pension d’une partie importante de femmes – le rapport du COR évoque des droits qui ne sont pas utiles. Le dispositif des majorations de durée d’assurance, en ne compensant que pour des trimestres de durée d’assurance, et pas pour les salaires portés au compte qui rentrent dans le calcul du salaire annuel moyen, n’atteint pas ses objectifs.

Dans la mesure où ces différents dispositifs du système de retraite actuel ne permettent pas d’améliorer les pensions des femmes, quelles modifications peuvent être envisagées ?

Une première solution, proposée par le COR et le rapport Moreau, est de forfaitiser la bonification pour enfants. Néanmoins, dans la mesure où le même montant par enfant est attribué aux hommes et aux femmes, le mécanisme ne réduira pas significativement les inégalités de pension entre hommes et femmes.

Mme Barbara Romagnan. Les inégalités seront tout de même moins importantes.

M. Antoine Bozio. Absolument. On peut même imaginer de supprimer les bonifications pour enfant, ce qui permettrait d’utiliser 5 milliards pour d’autres dispositifs.

Si les différences de participation au marché du travail entre hommes et femmes ont tendance à se réduire, les projections montrent que les inégalités salariales entre hommes et femmes vont se maintenir. Par conséquent, un dispositif qui ne toucherait que la durée d’assurance serait insuffisant.

Nous proposons donc de remplacer les deux dispositifs existants par des majorations en fonction du nombre d’enfants qui prennent en compte l’effet MDA et la perte subie au niveau du salaire. Il s’agirait donc d’une majoration de pension par enfant dégressive en fonction du niveau de la pension, car il faut davantage compenser les petites retraites des femmes ayant subi des interruptions de carrière, mais sans pénaliser les autres femmes. Un tel mécanisme ne serait donc pas incitatif au retrait d’activité. Notre rapport présente des graphiques avec plusieurs types de barème.

En définitive, ce dispositif utilisera les crédits budgétaires des bonifications de pension et des MDA pour les rendre plus efficaces en réduisant les inégalités de pension hommes-femme. Il permettra aussi de réduire les inégalités dans la population féminine entre les différents niveaux de pension. Évidemment, la pente du barème peut être modulée en fonction du niveau budgétaire choisi, du niveau de dégressivité, etc.

Ce qui est important à mon sens est que ce dispositif ne tombe pas dans le piège des modifications soit de durée d’assurance, soit du calcul du salaire de référence. En intervenant à la fin du calcul de la pension, il permet de rajouter une bonification de pension pour chaque femme et chaque enfant : c’est à mon sens la condition pour qu’il soit utile à la réduction des inégalités de pension entre hommes et femmes.

Les droits conjugaux dans le système de retraite français sont l’ensemble des droits dits « dérivés », c’est-à-dire essentiellement les pensions de réversion en cas de décès et les pensions de réversion en cas de divorce.

Dans un monde idéal, les femmes devraient plutôt avoir des droits propres. Néanmoins, les dispositifs des droits dérivés ne peuvent pas être supprimés du jour au lendemain. Un objectif envisageable serait donc de renforcer progressivement les droits propres des femmes.

Dans la mesure où les femmes survivent plus souvent à leur mari, un objectif possible serait d’assurer le risque veuvage en maintenant le niveau de vie du conjoint survivant. Le système actuel permet de maintenir en moyenne le niveau de vie des veuves, mais cette moyenne cache des disparités avec des effets soit de surcompensation, c’est-à-dire que des femmes se retrouvent avec un niveau de vie plus élevé qu’avant le décès de leur conjoint, soit des pertes sensibles de niveau de vie. Cette hétérogénéité est peu justifiable.

Sans proposer de chiffrage, nous préconisons des pensions de réversion à un taux des deux tiers couplé avec un plafond de ressources dégressif en fonction de la pension. En prenant en compte la composition des revenus du ménage, ce mécanisme permettrait de maintenir le niveau de vie – et non les droits d’un point de vue matrimonial.

Dans le système actuel, les pensions de réversion ne sont offertes qu’aux personnes mariées, ce qui signifie qu’elles sont financées par la collectivité, c’est-à-dire par les couples en union libre ou pacsés. Or un objectif de maintien du niveau de vie et du risque veuvage devrait pouvoir être étendu à tous les types d’union.

Le système actuel des pensions de réversion en cas de divorce est inadéquat, car ces dernières dépendent du parcours marital de l’ex-conjoint et ne permettent pas de protéger les femmes divorcées.

Selon nous, la solution la plus efficace est le partage des droits à la retraite. Au moment du divorce, les droits acquis pendant la durée du mariage devraient être partagés entre les conjoints pour créditer à la femme des droits propres. Une fois crédités, ces droits resteraient acquis au moment du décès du conjoint.

Le partage des droits existe dans la plupart des autres pays d’Europe. Néanmoins, sa mise en œuvre semble difficile dans le système français, caractérisé par de très nombreuses non-linéarités. Au contraire, dans les régimes complémentaires en points, par exemple, il suffit de partager les points du couple.

Une autre solution pour le partage des droits est la prise en compte, au moment de la fixation de la prestation compensatoire, des droits à la retraite. En effet, la législation actuelle prévoit que, pour fixer la prestation compensatoire, le juge prend en compte notamment la situation respective des époux en matière de pensions de retraite. Mais cela suppose que le juge comprenne la complexité de notre système de retraite actuel.

M. Christophe Sirugue. Pour le partage des droits en cas de divorce, l’estimation sera plus compliquée si le couple se sépare au bout de quatre ans plutôt qu’au bout de vingt ou trente ans de mariage. En outre, les 25 meilleures années pour le calcul du salaire de référence dans le régime général peuvent s’être déroulées au début, au milieu ou à la fin du parcours professionnel du mari : des personnes peuvent avoir eu un très bon salaire en début de carrière, avant d’être licenciées et de retrouver un emploi avec un salaire inférieur en fin de parcours professionnel.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Depuis 2000, le juge peut en effet tenir compte des droits à la retraite du mari pour fixer la prestation compensatoire. Cette possibilité est peu connue.

M. Antoine Bozio. Si le divorce intervient en début de carrière, les droits à la retraite peuvent être partagés, c’est-à-dire que des salaires sont crédités sur le compte de la femme à la CNAV. Mais étant donné le caractère non linéaire du système français, le risque est que ce mécanisme se traduise par un surcoût pour la collectivité.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le partage des droits est appliqué en Allemagne, au Canada, en Suisse, au Royaume-Uni.

M. Antoine Bozio. Dans les années soixante-dix, la France a fait le choix bizarre d’instaurer des pensions de réversion en cas de divorce, alors que la plupart des pays voisins s’orientaient vers le partage des droits. Certes, les autres pays ont souvent des dispositifs plus linéaires que le nôtre, avec la prise en compte des carrières plus longues et des systèmes à points, ce qui facilite le crédit de droits à n’importe quel moment de la carrière. Je suis bien conscient qu’il n’est pas évident de mettre en place le partage des droits dans notre pays, mais ce n’est pas une raison pour maintenir un dispositif bizarroïde ne permettant pas d’atteindre l’objectif initial. Rien ne dit que nous ne pourrions pas nous-mêmes instaurer le partage des droits au moment de la retraite et créditer aux femmes, au moment de leur divorce, des droits qui dépendent de leur durée de mariage. Laisser au seul juge la possibilité d’en décider ne permettra certainement pas d’atteindre cet objectif, étant donné la complexité de notre système de retraite actuel.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon vous, la réforme de la majoration pour trois enfants et plus, dispositif injuste et non redistributif, aurait l’avantage d’accorder une bonification de pension dès le premier enfant, ce qui permettrait d’améliorer les petites retraites des familles monoparentales. Comme vous, je ne suis pas convaincue que le système actuel favorise le taux de fécondité dans notre pays.

Pour la majoration de durée d’assurance, il s’agirait, si j’ai bien compris, de jouer sur la durée de cotisation et sur l’âge de la retraite pour le taux plein. L’objectif est que les femmes aient des durées de cotisations suffisantes et puissent avoir le taux plein à l’âge de soixante-sept ans si elles n’ont pas obtenu suffisamment de trimestres.

M. Antoine Bozio. Oui et non : pour une partie des femmes qui ont de faibles durées d’assurance, le taux plein ne dépend pas de la durée d’assurance requise. Fixer à soixante-dix ans la durée requise d’assurance ne changera rien pour ces femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le taux plein ne signifie pas une retraite pleine. Le taux plein signifie que la femme ne se voit pas appliquer une décote par rapport aux droits qu’elle a acquis. C’est pourquoi nous étions contre l’âge de départ à soixante-sept ans lors de la réforme de 2010.

M. Antoine Bozio. La pension est égale au produit d’un taux appliqué sur le salaire de référence. Pour avoir une retraite complète, il faut avoir des salaires de référence sur au moins vingt-cinq années et pouvoir bénéficier du taux plein grâce à l’âge, soixante-sept ans, ou grâce à la durée d’assurance. En cas de durée d’assurance trop faible, le taux qui est multiplié au salaire de référence dépendra uniquement de l’âge.

Mme Sophie Dessus. Pourriez-vous nous donner un exemple ?

M. Antoine Bozio. Prenons l’exemple d’une femme de soixante-deux ans avec 100 trimestres de cotisations. Sa distance à la durée requise de cotisations (164 – 100 = 64) est beaucoup plus importante que sa distance entre soixante-sept ans et soixante-deux (cinq ans). Par conséquent, des trimestres d’assurance supplémentaires ne l’aideront jamais à avoir le taux plein. Elle aura le taux plein à soixante-sept ans, mais rajouter dix trimestres de cotisations ne changera rien puisque sa distance à la durée d’assurance requise est trop éloignée. Ainsi, donner des MDA à des femmes qui ont eu des interruptions de carrière assez longues n’améliora pas leur pension quel que soit leur âge !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les femmes qui ont eu des carrières discontinues partent à la retraite au moment où elles le peuvent puisque de toute façon elles ne pourront pas acquérir plus de droits à la retraite. C’est bien cela ?

M. Antoine Bozio. Aujourd’hui, le pic des départs à la retraite à soixante-cinq ans concerne surtout les femmes pour la raison que je viens d’expliquer. Et il est probable qu’une grande partie des femmes sera concernée par le pic à soixante-sept ans. Pour ces femmes, la première contrainte n’est pas la durée d’assurance, c’est l’âge pour le taux de liquidation.

La contrainte des salaires va toucher l’ensemble des femmes, y compris celles qui seront soumises à la contrainte de la durée d’assurance, qui subiront à la fois l’effet de la décote et l’effet salaires. Mais les femmes qui ont de faibles durées d’assurance seront essentiellement soumises aux bornes d’âge et aux salaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un grand nombre de femmes qui travaillent à temps partiel ne parviennent pas à valider suffisamment d’heures sur un trimestre – soit 200 heures SMIC minimum pour un trimestre. Autrement dit, elles cotisent à la retraite, mais n’en tireront aucun bénéfice. Il y a également le cas des femmes pour lesquelles la prise en compte des 25 meilleures années ne les avantage pas du fait des aléas de carrière.

Le Sénat avait proposé de retenir les 100 meilleurs trimestres plutôt que les 25 meilleures années. Avez-vous fait des simulations et pensez-vous que cette solution améliorerait sensiblement les pensions des femmes ?

M. Antoine Bozio. Sur ce point, nous n’avons pas fait de simulation. Je ne suis pas sûr que cette piste améliorerait significativement les pensions des femmes.

Depuis la réforme de 1993, le salaire de référence calculé sur les 25 meilleures années est pondéré par l’inflation. Ainsi, pour les carrières à trous, prendre en compte les 25 meilleures années très éloignées n’améliore pas les pensions des femmes car les salaires correspondant étant mal revalorisés, ils pèseront très peu même s’ils n’étaient pas si mauvais à l’époque. Un salaire en 1990 vaudra donc moins qu’un salaire de 2013. De ce fait, les femmes dont les carrières sont discontinues, et elles sont nombreuses, sont là encore pénalisées. C’est un gros problème de nos systèmes de retraite : leur ajustement par la désindexation des salaires portés au compte engendre des effets redistributifs non contrôlés qui vont plutôt dans le sens inverse de l’objectif recherché.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En définitive, notre système de retraite convient davantage aux hommes, qui ont des carrières linéaires et longues. Et il pénalise les femmes, plus nombreuses à travailler à temps partiel et à avoir des carrières non linéaires. Le problème est de trouver les bons mécanismes qui compensent ces inégalités.

M. Antoine Bozio. Je prends l’exemple de ma belle-mère, infirmière dans le secteur privé au début de sa carrière, puis fonctionnaire. Son niveau de retraite à la CNAV baisse au fur et à mesure de son âge de liquidation car ses salaires de début de carrière portés au compte sont très éloignés et valent de moins en moins.

Ainsi, pour une carrière complète, les 25 meilleures années correspondent aux derniers salaires, mais pour une carrière à trous, les 25 meilleures années correspondent aux premiers salaires qui valent de moins en moins. Finalement, le mécanisme d’ajustement ne joue pas son rôle.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les effets se faisaient moins sentir lorsque le salaire de référence était calculé sur les dix meilleures années.

M. Antoine Bozio. Sauf que le système en vigueur avant la réforme de 1993 avantageait les salariés qui finissaient leur carrière avec dix années croissantes, mais pénalisait les carrières longues au niveau du SMIC.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un grand nombre de femmes découvrent le niveau de leur pension au moment où elles prennent leur retraite. La réforme de 2010 avait prévu une information à l’intention des assurés sur les éléments de carrière. Nous souhaiterions rajouter une telle disposition pour le temps partiel, qui n’est pas toujours choisi, afin de permettre aux femmes d’en connaître les conséquences sur le niveau de leur pension. Au demeurant, chaque cas est un cas particulier.

M. Antoine Bozio. Le système de retraite français est d’une telle complexité que je ne peux pas vous indiquer l’impact d’une mesure sans avoir au préalable fait tourner un ordinateur. À cause de cette complexité, on est incapable à l’heure actuelle de garantir aux salariés la transparence de leurs droits. Certes, il est nécessaire d’apporter davantage d’informations, mais il est surtout primordial de concevoir un système beaucoup plus transparent sur les droits acquis par les bénéficiaires, droits qui doivent être garantis quel que soit leur parcours professionnel.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il existe 35 régimes de retraite en France, ce qui est une vraie difficulté pour nous, législateur, car, comme vous venez de le démontrer, les mécanismes existants ne sont pas toujours justes pour les femmes. Ainsi il m’a été soumis le cas d’une femme qui a arrêté de travailler pour s’occuper de ses trois enfants et de ceux de son mari, nés d’un premier mariage, dont la première épouse va toucher l’essentiel des droits sans s’être jamais occupée de ses propres enfants.

La situation est toujours aussi problématique pour les femmes qui, je le rappelle, assurent encore 80 % des tâches domestiques au sein du couple et sont plus nombreuses à s’arrêter de travailler pour s’occuper des enfants. Notre objectif est donc de prendre des mesures de rééquilibrage et de justice en leur faveur.

Merci beaucoup, monsieur Bozio, pour tous ces éclaircissements.

L’audition s’achève à 18 heures 30.