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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 9 juillet 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 37

Présidence de Mme Monique Orphé, Vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème de l’égalité entre les femmes et les hommes (conciliation entre parentalité et vie professionnelle), de M. Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de la parentalité en entreprise et Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition, ouverte à la presse, sur le thème de l’égalité entre les femmes et les hommes – conciliation entre parentalité et vie professionnelle, de M. Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de la parentalité en entreprise et Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre.

L’audition commence à 16 heures 30.

Mme Monique Orphé, présidente. La délégation a commencé son étude du projet de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, présenté par Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes. Nous avons déjà procédé à une série d’auditions en vue de la préparation de ce projet de loi, qui comporte plusieurs volets, consacrés à l’égalité, à la parité, à la précarité et aux violences contre les femmes. Madame, monsieur, nous serons intéressés d’entendre en particulier votre position sur l’article 2 du projet de loi, qui réforme le complément de libre choix d’activité en partageant les droits entre les deux parents.

Monsieur Ballarin, l’Observatoire que vous dirigez est à l’origine d’une « charte de la parentalité en entreprise », signée en 2008. Quel bilan tirez-vous de l’impact de cette charte et des évolutions que vous avez constatées ?

Il est apparu que 97 % des salariés parents affirment que l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale est un important sujet de préoccupation et 72 % considèrent que leur employeur ne fait pas grand-chose pour les aider. Le baromètre de la parentalité en entreprise que vous avez réalisé montre que la proportion d’entreprises prenant en compte les mesures les plus souhaitées par les salariés est encore faible – de 15 % à 20 %. Quelles incitations pourraient être mises en place dans ce domaine ? Quels sont, selon vous, les principaux chantiers à conduire pour mieux concilier la vie professionnelle et parentale, et quelles pourraient être les mesures législatives ou réglementaires pertinentes pour progresser réellement ?

Madame Périvier, vous avez travaillé sur l’accueil de la petite enfance, ainsi que sur l’articulation des temps de vie. Quels sont les changements les plus importants à conduire selon vous pour une meilleure conciliation, qui profiterait tant à la sphère économique qu’à la vie familiale ?

Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre. L’accueil des jeunes enfants est une question centrale du point de vue économique, social et sociétal. La question de l’égalité entre les femmes et les hommes est transversale à celle de l’accueil de la petite enfance, car le soin aux enfants est jusqu’à présent assuré essentiellement par les mères.

Je commencerai par brosser un rapide état des lieux.

La France accueille aujourd’hui quasiment tous les enfants de trois à six ans et se situe à cet égard en tête des pays européens, grâce à l’école maternelle. Ce dispositif, lié à l’Éducation nationale et financé par l’impôt, est gratuit ou presque – même si le périscolaire et la cantine représentent une charge pour les parents. Il est en revanche plus difficile de savoir exactement combien d'enfants de moins de trois ans sont accueillis, car ils peuvent l'être par plusieurs modes de garde – école, assistante maternelle ou parents. On peut néanmoins savoir que quatre enfants sur dix sont accueillis à l'extérieur de leur famille dans une structure officielle. Le reste des enfants – ceux qui ne sont ni en crèche, ni à l'école, ni auprès d'une assistante maternelle ou gardés par une nounou au domicile des parents – sont pour l’essentiel gardés par la mère ou par les grands-parents, selon un mode informel. Lorsqu'ils sont gardés par la mère, ce peut être au titre d'un congé parental ou d'une interruption d'activité.

Le congé parental, qui fait l'objet d'un volet dans le projet de loi que vous avez évoqué, madame la présidente, a été créé sous sa forme moderne en 1986, où il était initialement ouvert à partir du troisième enfant. La prestation, versée jusqu'aux trois ans de l'enfant, était d'un montant forfaitaire correspondant à peu près à la moitié du SMIC. Ce congé est à 98 % pris par les mères. En 1994, le dispositif a été élargi au deuxième enfant, ce qui a permis d’en mesurer l’effet désincitatif sur l'activité des femmes : de nombreuses mères de jeunes enfants n'auraient pas arrêté de travailler si on ne leur avait pas proposé ce congé. Ce dernier doit par ailleurs être toujours mis en regard des modes d'accueil alternatifs disponibles, car il est en partie choisi par défaut, lorsque les parents n’ont pas d'autre possibilité que l'interruption de leur carrière.

Le congé parental est un dispositif hybride, pensé aux confins de trois types de politiques : la politique de l'emploi, la politique sociale et la politique familiale. C'est ce qui le rend gênant et inefficace de trois points de vue.

Du point de vue de la politique de l'emploi, l'élargissement du dispositif au deuxième enfant en 1994, en période de chômage de masse, en a fait un instrument permettant, momentanément au moins, de retirer du marché du travail un certain nombre de personnes, notamment des femmes, ce qui est dommageable en termes d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Du point de vue de la politique sociale, ce dispositif est en partie perçu comme offrant à des femmes en situation d'emploi ou de non-emploi une allocation sociale.

Du point de vue de la politique familiale, il a pour objet de permettre aux parents de passer du temps avec leurs enfants.

Or, si un congé parental doit permettre à un parent qui travaille d’arrêter de travailler pour s’occuper de son enfant durant une période définie par la loi, ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Les bénéficiaires de ce dispositif sont en effet de deux types. Il s’agit d’abord de femmes bien insérées dans l’emploi, qui cumulent le complément de libre choix d’activité (CLCA) avec un congé parental au sens du droit du travail : elles prendront les trois ans de congé auxquels elles ont droit et retrouveront leur emploi au terme de cette interruption. Ces femmes sont satisfaites d’avoir pris ce congé. Le deuxième type de bénéficiaires est constitué par les femmes mal insérées – voire pas insérées – dans l’emploi. De fait, l’éligibilité au CLCA supposant d’avoir eu deux ans d’activité dans les quatre ans précédant la naissance de l’enfant, certaines personnes sans emploi peuvent y recourir. Pour celles-ci, le retour à l’emploi au terme des trois ans de congé est tout à fait compromis et aucun dispositif ne leur permettra de « raccrocher » leur carrière.

Les pères figurent également parmi les bénéficiaires du dispositif, car un peu plus de 2 % d’hommes recourent au congé parental. Ces hommes présentent du reste des profits atypiques par rapport à ceux que l’on trouve sur le marché du travail.

La réforme proposée permet d’inciter davantage les pères à recourir au congé parental, en réservant six mois sur sa durée de trois ans au parent qui n’aura pas pris ce congé en premier lieu. Ce dispositif est intéressant, mais le congé parental n’a pas été repensé dans sa globalité, ni inséré massivement dans une refonte de la politique d’accueil des jeunes enfants. En période de pénurie d’accueil, il faut cependant se demander qui va garder les enfants qui ne sont plus pris en charge par leur mère si le père décide de ne pas utiliser les six mois de congé qu’il peut prendre.

La loi prévoit une augmentation des « solutions d’accueil », mais il ne suffit pas de budgéter des places en crèche pour qu’elles soient effectivement construites, car ce processus implique plusieurs types d’acteurs, notamment les collectivités locales, souvent frileuses lorsqu’il s’agit d’engager de tels investissements, qu’elles jugent risqués.

En revanche, la montée en charge de la scolarisation des jeunes enfants, qui dérivait depuis le pic des années 2000, est une dynamique positive.

En termes de dépenses publiques, la France consacre autant à l'accueil des enfants de zéro à trois ans qu'à celui des trois à six ans, alors qu'elle accueille 100 % de ces derniers et 44 % seulement des moins de trois ans. Cette césure est problématique sur le plan de l'égalité professionnelle, car le manque de cohérence de l'action publique dans le domaine de l'accueil des enfants de moins de six ans est dommageable à l'activité des femmes, qui interrompront leur activité plus massivement que les pères.

J'évoquerai maintenant ce qu'il pourrait être envisagé de faire.

La césure à trois ans est dommageable à une réforme globale et cohérente : mieux vaudrait penser l'accueil des enfants de moins de six ans en articulant clairement l'accueil des très jeunes enfants et l'entrée dans la préscolarisation. On pourrait pour ce faire se fonder sur les écoles maternelles – qui, je le répète, sont un atout central du système français –, en augmentant à nouveau massivement la scolarisation des enfants de deux à trois ans dans des conditions adaptées à cet âge et en utilisant le dispositif des places en crèche pour les enfants de un à deux ans. Le congé parental devrait alors être beaucoup plus court que les deux ans et demi proposés et beaucoup mieux rémunéré, retrouvant ainsi sa véritable fonction – permettre à un parent en emploi de s’arrêter de travailler – tout en voyant ses contours redéfinis.

Cette redéfinition doit s’inscrire dans une perspective d’assurance du travail, avec une indemnisation proportionnée au salaire – dans une proportion qui reste à négocier et dont je ne saurais dire si elle doit être de 60 % ou de 80 % du salaire. Le modèle d’indemnisation pourrait s’apparenter à celui qui s’applique pour le congé de paternité ou de maternité, avec un droit individuel qui pourrait être de six mois pour le père et six mois pour la mère. Ce serait là une redéfinition claire de ce que doit être un congé parental bien inséré dans un système d’accueil de la petite enfance lui-même mieux défini.

Il faut renoncer à la notion de « libre choix » de l’activité ou du mode de garde. De fait, les choix, qui sont essentiellement faits par les femmes, sont souvent contraints – même s’ils ne le sont pas toujours, car une partie des bénéficiaires du congé parental optent pour un congé de trois ans en sachant qu’elles retrouveront leur emploi in fine.

Pour ce qui est du libre choix du mode de garde, l’illusion est totale car, en fonction de l’âge de l’enfant, du lieu de résidence des parents et de leurs revenus, un seul mode de garde est en général disponible. Il faut donc abandonner cette illusion et construire plutôt des parcours d’accompagnement des enfants en adéquation avec des contraintes territoriales très variables.

Aujourd’hui, en fonction du mois où ils sont nés et de l’endroit où ils habitent, les enfants ne seront pas socialisés au même âge : il y a donc une très forte inégalité des enfants face à la socialisation. Ainsi, un enfant né au mois de janvier dans une zone connaissant une pénurie d’accueil pour les modes de garde collectifs et un engorgement des écoles maternelles ne sera scolarisé qu’à trois ans et demi, alors qu’un enfant né en décembre pourra l’être avant trois ans. Le bien-être de l’enfant et sa capacité à être socialisé ne sont aucunement pris en considération : il ne s’agit que de gérer la pénurie sur le territoire. Il serait important, du point de vue de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais aussi de l'égalité des enfants face à la socialisation et à la scolarisation, de repenser des parcours balisés et clairement identifiés garantissant aux enfants un droit uniforme sur l'ensemble du territoire.

Pour conclure, de nombreux travaux ont montré que le congé parental doit être repensé dans une perspective d’assurance du travail et qu'il doit être plus court et mieux rémunéré, incitant très fortement au partage entre les hommes et les femmes. L'une des réticences auxquelles se heurte souvent ce type de réforme est que les populations de bénéficiaires déjà bien insérées sur le marché de travail et présentant plutôt un profil de professions intermédiaires moyennement qualifiées vont y voir une contraction de leurs droits.

Le droit accordé à certaines de ces femmes, qui en sont légitimement satisfaites, pèse sur l'égalité professionnelle de toutes les femmes qui travaillent. Plusieurs travaux d'économistes ont montré que le soupçon de maternité pèse sur la carrière des femmes et que même les femmes qui ne se sont pas arrêtées de travailler et sont restées investies dans leur carrière se voient pénalisées, car la population féminine est perçue sur le marché du travail comme moins fiable et moins intégrée, avec des carrières plus discontinues. Le congé parental contribue à cet effet de réputation.

Les politiques publiques doivent donc véritablement mettre en balance un droit qui n’est pas fondamental – il n’a jamais été écrit dans le marbre que la collectivité doive financer trois ans d’arrêt d’activité – et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. On pourrait ainsi penser un congé parental plus raisonnable de ce point de vue et qui aurait des effets bien maîtrisés sur l’égalité, évitant l’effet de réputation qui affecte globalement les femmes sur le marché du travail.

M. Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de la parentalité en entreprise. Il importe que les hommes soient impliqués eux aussi dans le débat sur l’égalité et sur le projet de loi en préparation.

Alors que l’Observatoire de la parentalité en entreprise fêtera à la fin de cette année son cinquième anniversaire, 76 % des salariés parents déclarent que leur employeur ne fait pas grand-chose pour les aider à concilier vie professionnelle et vie familiale, deux adolescents sur trois décrivent le travail de leurs parents comme stressant, fatigant, voire très dur et, selon une ancienne enquête, quatre femmes sur dix se déclarent stressées à l’idée d’annoncer leur grossesse à leur manager. Ces trois chiffres témoignent qu’il faut inciter les entreprises à agir en faveur des salariés parents.

L’Observatoire promeut la signature d'une charte de la parentalité, signée à ce jour par près de 500 employeurs représentant quelque 3,5 millions de salariés, soit largement plus de 10 % de la population active. Nous avons également lancé voici quelques années un Tour de France des PME, qui nous a conduits notamment à Brest, sur la Côte d'Azur, à Lyon, au Puy-en-Velay ou à Thionville pour expliquer aux patrons de PME pourquoi ces sujets les concernent également et en quoi ils sont aussi des leviers de performance pour leurs entreprises – il est important de le rappeler en période de crise.

L'Observatoire de la parentalité s'emploie, par le biais de groupes de travail, de guides pratiques et de diverses actions, à pousser les employeurs à agir sur quatre champs principaux.

Le premier concerne tous les services qui facilitent le quotidien des salariés parents. Ce sont notamment les crèches et conciergeries d’entreprise, sur lesquelles nous avons publié un guide. Il peut s’agir aussi, comme c’est le cas dans une grande entreprise de conseil et d'audit, de la permanence d'un médecin pédiatre qui a accompagné 250 jeunes parents depuis trois ans. Ce dispositif, initialement fléché vers les jeunes mamans quittant le cabinet à partir de leur premier enfant, a été élargi aux jeunes pères. Ce pédiatre, qui a 30 ans d'expérience de l'accompagnement des familles et connaît bien le monde de l'entreprise, peut être saisi de sujets aussi divers que la culpabilité des jeunes mères qui laissent leur enfant à la crèche ou les difficultés de dialogue qu’éprouvent les jeunes pères avec des managers qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent quitter une réunion à 18 heures.

La deuxième catégorie d’actions concerne le soutien financier, qui passe notamment par la compensation du salaire pour les hommes qui prennent leur congé de paternité, par des mutuelles avantageuses pour les familles – dont nos enquêtes révèlent que la moitié seulement des salariés déclarent en bénéficier – ou par la rémunération des examens prénataux, qui figure dans certaines conventions. Le soutien financier est la catégorie d'actions la plus plébiscitée par les salariés, ce qui est assez normal dans une période où il est beaucoup question du pouvoir d'achat.

La troisième catégorie d'actions, sans doute la plus structurante, concerne l'organisation du travail. Ces actions peuvent être toutes simples, comme celles qui consistent à éviter les réunions tôt le matin ou tard le soir, mais elles se heurtent à une culture du présentéisme à la française, où le fait de partir après 19 heures est un signe de motivation aux yeux de l'employeur, alors qu'il est plutôt perçu comme un signe d'inefficacité dans les pays anglo-saxons. Cette culture pénalise les femmes, qu'une deuxième journée attend souvent à la maison et qui doivent partir plus tôt, laissant les hommes créer le soir dans les couloirs ou les bureaux des réseaux informels où se font les carrières – y compris celles des femmes.

Les mesures dans ce domaine sont notamment l’application d’une certaine souplesse en matière d’horaires et de prise des congés, notamment du congé parental, ainsi que le télétravail. Celui-ci peine à se développer en France, où il concerne 16 % environ des salariés, contre 40 % au Royaume-Uni. Nous prônons un télétravail encadré, alors que des salariés de plus nombreux sont assujettis à un télétravail « gris » – qui consiste à rallumer son téléphone ou son ordinateur portable à la maison, voire le week-end.

Le télétravail permet à des salariés qui peuvent passer jusqu’à trois heures par jour dans les transports en commun de faire une pause. Il permet également de travailler sur des sujets de fond sans être dérangé, de réorganiser sa semaine et d’être plus disponible au bureau pour des réunions et pour le travail en réseau. Il devrait cependant être limité à un ou deux jours par semaine, afin de ne pas désocialiser les collaborateurs concernés.

Ainsi, aux termes d’un accord signé en 2007 à l’unanimité avec les syndicats, 2 000 des 7 000 salariés d’Alcatel Lucent en France télétravaillent depuis chez eux un ou deux jours par semaine. On pourrait également imaginer, en complément du télétravail à domicile, des formes de télécentres interentreprises situés en lointaine banlieue et où les entreprises pourraient réserver des places pour que leurs salariés puissent aller travailler, à proximité de leur domicile, un ou deux jours par semaine, lorsqu’ils ne peuvent pas le faire dans de bonnes conditions chez eux.

La quatrième catégorie d’actions, qui sera demain l’une des plus importantes, est la prise en compte de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale dans les processus de ressources humaines, afin de s’assurer que les parents ne soient pas discriminés dans leurs carrières. Entre également dans cette catégorie la sensibilisation des managers de proximité – les « N+1 », à qui l’on s’adresse pour demander un temps partiel ou un télétravail –, qui doivent porter au quotidien ces dispositifs. Nous agissons beaucoup et avons rédigé dans ce domaine un guide présentant, au moyen notamment de saynètes, des situations concrètes, comme l’annonce d’une grossesse ou de l’intention de prendre un congé de paternité, avec des conseils aux managers pour savoir quoi dire ou ne pas dire face à une telle situation.

Nos actions concernent autant les pères que les mères, car la nouvelle frontière de l’égalité entre les hommes et les femmes tient à l’implication des hommes dans ce domaine. Ceux-ci, en effet, qui sont encore souvent en position de pouvoir dans le monde professionnel, se sentent parfois menacés par l’égalité ou ne se sentent pas concernés par la question, et pourraient donc bloquer ce mouvement ou ne pas le soutenir, ce qui conduirait à adopter toujours plus de lois et de dispositifs coercitifs. Il faut donc montrer aux hommes que l’égalité entre hommes et femmes est une chance aussi pour eux, en réexaminant des concepts comme celui de « réussir sa vie ».

Il y a trente ans, « réussir » signifiait, au masculin, réussir professionnellement et, au féminin, réussir familialement. Aujourd’hui, les lignes se brouillent et tant les hommes que les femmes désirent réussir dans une pluralité de sphères d’épanouissement – familiale, mais aussi, entre autres, artistique, spirituelle ou sportive – et chaque individu doit forger son propre projet de vie. Travailler à ce que les femmes aient une meilleure place dans le monde professionnel, c’est travailler à faire évoluer les cultures et les organisations des entreprises au bénéfice des hommes aussi, qui sont parfois cantonnés dans une sorte de prison existentielle où ils ont l’obligation de réussir professionnellement. En leur faisant comprendre qu’une société plus équilibrée leur permettra d’avoir eux aussi leur propre projet et qu’ils pourront eux aussi partir un peu plus tôt pour aller faire du sport ou s’impliquer dans une association, on libèrera des énergies.

Tout ce qui précède explique que j’aie du projet de loi réformant le congé parental une vision tout à fait positive. C’est en effet la première fois, depuis la création du congé de paternité en 2001 par le gouvernement Jospin, qu’un projet de loi insiste autant sur l’implication des hommes. C’est un bon premier pas.

Il faut rappeler que le congé parental ne doit pas forcément être pris comme un bloc de six mois – ce qui peut effrayer certains hommes peu habitués aux congés –, mais qu’il peut être pris aussi à temps partiel ou pour une durée moins longue. Lors d’une émission de radio, Mme Neuville et moi-même avions demandé confirmation du fait que, dans le contexte de la réduction envisagée de la durée de ce congé, un congé de six mois pourrait bien être pris dès le premier enfant par le premier parent et par le second.

Le congé parental pourrait également permettre au père de prolonger son congé de paternité – dont je préconise par ailleurs l’allongement.

Le projet de loi prévoit également la conversion du compte épargne-temps en chèque emploi service universel (CESU), dispositif qui s’annonce intéressant.

Pour conclure, la puissance publique pourrait par exemple intervenir sur les points suivants.

Il conviendrait tout d’abord que tous les salariés aient un droit à télétravailler un jour par semaine, sauf dérogation obtenue d’une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) pour des métiers ne le permettant pas, comme l’hôtellerie ou la restauration – mais je suis persuadé qu’en s’organisant, 70 % des emplois sont aujourd’hui éligibles au télétravail, y compris certains emplois de service où les tâches administratives pourraient être faites chez soi.

En deuxième lieu, il faudrait créer une protection juridique anti-licenciement pour les nouveaux pères dans le mois suivant la naissance d’un enfant : un père fatigué parce qu’il se lève plusieurs fois dans la nuit pour donner le biberon à son bébé bénéficierait ainsi d’une sécurité qui serait aussi, symboliquement, une reconnaissance de cette paternité active. Plus les pères s’impliquent tôt dans la vie des enfants, plus durablement ils seront impliqués : il ne faut pas attendre que l’enfant soit devenu un adolescent à problèmes pour se demander où est passé le père, mais plutôt s’efforcer d’impliquer ce dernier le plus tôt possible.

Il faut aussi, en troisième lieu, réfléchir au financement des absences des futurs pères pour assister aux examens prénataux et aux formations de puériculture dispensées dans les maternités. J’ai moi-même suivi ces séances et ma compagne a été rassurée de savoir que j’avais le même niveau de formation et de « compétence » qu’elle. C’était aussi une façon de m’impliquer davantage. Or, si les conventions collectives prévoient la participation des futures mères à ces formations, elles ne prévoient pas celle des futurs pères.

Il conviendrait enfin d’orienter, par l’intermédiaire des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), davantage de fonds de formation en direction des ateliers de sensibilisation des managers de proximité à tous ces sujets. On pourrait ainsi, dans le cadre d’une formation-action, faire jouer à ces managers l’annonce d’une grossesse, car certains hommes peuvent être mal à l’aise et ne pas savoir ce qu’ils peuvent dire ou ce qu’il convient de faire dans une pareille situation. On peut notamment leur conseiller d’accueillir la nouvelle avec le sourire plutôt que d’une façon culpabilisante, et d’accompagner cette situation dans un esprit positif.

Je conclurai en disant à nouveau combien l’égalité entre hommes et femmes constitue une arme anti-crise.

Mme Monique Orphé, présidente. Ce que vous prônez est donc, selon votre propre expression, la « révolution conjugale ». On en est encore loin.

Madame Périvier, vous préconisez de réduire le congé parental et de scolariser plus tôt les enfants, en faisant en sorte qu’ils soient accueillis dans les écoles entre deux et trois ans. Pourriez-vous préciser votre vision de l’accueil des jeunes enfants, notamment dans cette tranche d’âge ? Vous avez en effet souligné justement que cet accueil dépend de l’investissement des collectivités locales et des partenaires privés, car la création d’une structure est coûteuse et son fonctionnement est souvent déficitaire. Comment encourager les collectivités à mettre en place ce mode de garde ?

Mme Hélène Périvier. Il y eu entre les années 1970 et les années 2000 une augmentation massive de la scolarisation des enfants de deux ans et demi à trois ans. À partir des années 2000, l'effectif a chuté, pour des raisons essentiellement budgétaires – l'État n'ayant pas d'obligation de scolariser les enfants de trois à six ans, c'est souvent sur l’école maternelle que portent les économies.

La question est d'abord de savoir comment scolariser les jeunes enfants, et ce point suscite une importante contestation. Il ne s'agit pas de scolariser cette tranche d'âge dans les mêmes conditions que les enfants de cinq ans, mais on constate aujourd'hui que certains enfants sont gardés en crèche ou chez une assistante maternelle à trois ans et demi, tandis que d'autres sont à l'école maternelle à deux ans et demi parce qu’ils sont nés en décembre, cette distinction s’expliquant plus souvent par le fait que des places sont disponibles à l’école que par une plus ou moins grande aptitude des enfants concernés à la scolarisation. La politique publique en la matière n’est pas pensée du point de vue du bien-être de l’enfant, de l’égalité entre les femmes et les hommes ou de l’efficacité, mais en fonction seulement des restrictions budgétaires, la scolarisation de l’enfant étant au bout du compte déterminée par son lieu de résidence et son mois de naissance.

Repensons cette question à rebours : si un enfant doit être socialisé à deux ans, cette socialisation n’est pas la même entre deux et trois ans qu’entre trois et quatre ans ou entre quatre et cinq ans. Il faudrait donc mettre en place les classes passerelles qui existent déjà dans certaines écoles et permettent le passage de la petite enfance à la préscolarisation, avec un accueil adapté à cet âge. Rattacher cette passerelle à l’école maternelle assure un ancrage physique sur le territoire. Ces classes accueilleraient au fil de l’année un flux d’entrées au coup par coup : l’enfant y entrerait à deux ans au titre de son droit à être socialisé. On éviterait ainsi l’effet massif de calendrier selon lequel les places en crèche se libèrent en septembre parce que les enfants sont scolarisés – de telle sorte qu’une femme qui accouche en janvier et veut reprendre son travail en avril doit attendre jusqu’à septembre une place pour son enfant. Ce système, je le répète, n’est pensé ni du point de vue de l’égalité des femmes, ni de celui de la socialisation de l’enfant. Les classes passerelles limiteraient cet effet et l’enfant serait accueilli à deux ans dans des conditions adaptées – qu’il conviendrait évidemment de définir en s’appuyant sur les travaux des pédopsychiatres et des psychologues, par exemple ceux de Sylviane Giampino. Il s’agirait donc de construire un droit à une socialisation de qualité à deux ans, sous la forme d’un service public conçu comme celui de l’école.

Ce service peut être financé par l’impôt, comme l’école, ou demander une participation des familles. Il s’agit, en tout état de cause, d’un modèle très différent de celui des jardins d’éveil, car il est foncièrement tourné vers la préscolarisation. Si un enfant peut être scolarisé à deux ans, tous les enfants doivent pouvoir l’être : c’est un droit fondamental.

Cette réorganisation permettrait de désengorger le système d’accueil collectif et de libérer des places en crèche. Or, la création de ces places est coûteuse et difficile à mettre en œuvre sur le territoire, car elle suppose un cumul de besoins stables – une petite collectivité territoriale ne peut pas s’engager dans la construction d’une crèche si elle ignore comment les besoins évolueront. Une partie des fonds d’investissement destinés à la petite enfance dans les années 2000 n’a pas été dépensée, du fait des problèmes de gouvernance du développement des modes d’accueil mis en lumière notamment par un article de Sylvain Lemoine publié par le Centre d’analyse stratégique – article qui préconise la création d’une agence nationale ou régionale de la petite enfance destinée à gérer l’accueil des enfants de moins de deux ans. On pourrait ainsi analyser plus efficacement les freins à la création de structures collectives et envisager une organisation mieux maîtrisée des assistantes maternelles – métier dont la population vieillit et qu’il faut rendre attractif et professionnaliser, en offrant notamment des parcours professionnels plus ouverts. Il faut donc concevoir un parcours balisé et accompagné par les politiques publiques, avec un accueil collectif entre un et deux ans et un peu plus individualisé pour les moins d’un an.

L’investissement privé doit être secondaire, car ces parcours doivent d’abord être pensés collectivement. Nous ne devons certes pas nous interdire d’y faire entrer les acteurs privés – qui y sont du reste déjà –, mais ce ne sera jamais neutre pour les politiques publiques, car cette intervention s’accompagne d’une dépense fiscale sous forme d’aide de l’État, comme le crédit d’impôt lié aux crèches d’entreprise. L’intervention du privé peut être une aide, mais on ne peut fonder sur elle une politique de prise en charge de la petite enfance, qui doit être pensée en termes de service public de la petite enfance, avec une reconstruction des sommes allouées et des parcours conçus autour d’un enfant citoyen, investi de droits. Le droit de l’enfant est un droit plus fondamental que le congé parental, qui peut être réduit.

Mme Ségolène Neuville. Merci de vos contributions très constructives.

Vous avez demandé qui garderait les enfants au terme d’un congé parental ramené de trois ans à deux ans et demi. Vous avez par ailleurs recommandé l’instauration d’un congé parental d’un an, en deux fois six mois, mieux rémunéré. Nous sommes d’accord sur le fond – et il me semble que la ministre, est elle aussi, favorable à une réduction de la durée du congé parental. La question demeurera cependant de savoir que faire des enfants de un an à trois ans, moment où ils intègrent l’école maternelle.

Si le projet de loi est voté à l’automne, ses dispositions ne s’appliqueront qu’à partir du 1er janvier 2014 et ne seront pas rétroactives pour les gens qui sont déjà en cours de congé parental, ce qui laisse le temps de s’organiser pour la prise en charge des enfants de moins de trois ans à l’école. On verra plus tard, en prenant le temps de faire évoluer les mentalités, comment faire plus.

Pour ce qui est du financement, il est largement montré que ce qui stimule le taux de fécondité dans notre pays est bien plus la relative abondance des modes d’accueil – par comparaison avec d’autres pays, comme l’Allemagne – que les allocations familiales individuelles. Pour construire d’autres crèches, il faudra bien trouver l’argent quelque part. Avez-vous déjà réfléchi à la possibilité de modifier notre système d’allocations familiales, en revenant sur l’universalité de ces allocations pour éviter d’en verser à des familles ayant déjà beaucoup de revenus, et de réinvestir les sommes ainsi économisées dans des modes d’accueil collectifs ? Je tiens à préciser que je formule cette idée en « free-lance », et qu’il ne s’agit pas d’un projet gouvernemental. Vous semble-t-elle envisageable ?

Quant à la création d’une agence nationale de l’accueil de la petite enfance, je rappelle que, dans l’état des dispositions régissant la décentralisation, c’est aux communes ou communautés de communes qu’incombe la construction des crèches. Or, outre le financement, la volonté politique fait parfois aussi défaut : 90 % des maires sont des hommes et, si certains s’intéressent à la petite enfance, celle-ci n’est pas nécessairement un « argument de vente » pendant les campagnes électorales. Dans les communautés de communes également, la parité est loin d’être atteinte, faute de loi qui l’impose. Il n’est pas certain qu’une agence nationale, et même régionale, permette de résoudre ce problème.

Mme Hélène Périvier. Pour ce qui est de la gouvernance, le travail de Sylvain Lemoine, que j’ai cité, envisageait une agence régionale. Peut-être faut-il réorganiser les compétences en la matière. La question ne concerne, en tout état de cause, pas seulement le financement, car certains budgets ne sont pas dépensés. Le fait que les maires soient le plus souvent des hommes peut être un facteur d’explication, mais il convient assurément d’identifier le frein qui existe dans ce domaine et de comprendre comment le lever.

Je suis par ailleurs favorable à une réduction de six mois du congé parental et à l’affectation de six mois de ce congé à l’autre parent. Le congé parental doit en effet être pensé globalement dans le cadre du dispositif de l’accueil de la petite enfance. Il faut mettre en place un service public de la petite enfance sur le modèle que j’ai esquissé à grands traits. Le congé parental peut, dans ce contexte, être conçu comme un droit du travail particulier. On dispose alors de toute la souplesse nécessaire pour le modifier. Le recours à ce congé doit être un vrai choix, et non pas un choix par défaut lorsque l’on ne dispose pas d’un mode d’accueil de l’enfant. Ce n’est qu’une fois ce principe posé qu’on peut envisager une réforme massive du congé parental, dans une perspective d’égalité et d’assurance travail partagée, telle qu’envisagée avec Dominique Méda.

La durée de ce congé doit être réduite, car la collectivité ne peut pas financer un congé de trois ans bien rémunéré. Cette idée, perçue comme la restriction d’un droit, rencontre encore une opposition massive, mais il nous faut l’assumer, car ce droit a des externalités négatives sur le marché du travail et coûte cher. Cette réforme est un signal fort et un levier pour montrer qu’il nous faut travailler sur la division sexuelle du travail. On ne peut laisser les femmes accomplir cette masse de travail sans que les pères soient massivement incités à y prendre leur part.

En matière de financement et, plus largement, de politique familiale, il y a beaucoup à faire, mais je ne vous suivrai pas sur la piste que vous avez proposée. Une politique familiale vise en effet à opérer une redistribution depuis les ménages sans enfants vers les ménages avec enfants, et non pas nécessairement depuis les riches vers les pauvres – ce qui ne signifie pas pour autant qu’on ne puisse pas viser particulièrement les familles les plus pauvres. Dans le cadre de cette politique, tout le monde cotise pour tous les enfants, y compris les enfants de riches. Ainsi, le financement de la branche famille de la sécurité sociale par l’abaissement du plafond du quotient familial n’est pas une politique familiale : on a fait payer par les familles riches avec enfants le déficit de la branche famille, pour ne pas mettre à contribution les familles pauvres avec enfants, mais sans mettre à contribution tous les ménages n’ayant pas d’enfants à charge.

Mme Ségolène Neuville. Ils contribuent déjà.

Mme Hélène Périvier. Oui, mais les ménages qui n’ont plus d’enfants à charge après les avoir élevés à une époque où la politique familiale était très généreuse et où le quotient familial n’était pas plafonné n’ont pas eu à contribuer au déficit actuel de la branche famille – sinon par l’augmentation des taux marginaux d’impôt sur le revenu.

Ce qui aurait pu être une véritable approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est la réforme du quotient conjugal. En effet, alors que l’avantage fiscal lié à la charge d’enfants est plafonné à 1 500 euros, celui qui est lié à la charge d’un conjoint, et qui peut aller jusqu’à 30 000 euros pour des ménages très aisés, n’est pas plafonné politiquement – même s’il l’est mécaniquement dans la dernière tranche d’imposition.

Le quotient conjugal est très désincitatif au travail des femmes, comme le montrent plusieurs études. C’est aussi un symbole fort du mariage comme assujettissement des femmes et impossibilité d’émancipation, car fondé sur l’idée que les ressources d’un couple sont mises en commun. Alors que Madame ne travaille pas ou gère sa carrière comme elle peut avec les contraintes qu’elle doit supporter – et qu’elle aura donc une moins bonne carrière que son conjoint –, on fait comme si cela n’avait fiscalement pas d’impact. Il y a là des marges financières : en plafonnant à 2 500 euros l’avantage du quotient conjugal, on récupérerait 1,5 ou 2 milliards d’euros.

Mme Ségolène Neuville. Proposez-vous de supprimer ce quotient ?

Mme Hélène Périvier. On est très loin de le supprimer : il ne s’agirait que de le plafonner. L'individualisation de l'impôt exige de repenser l'État social dans ses fondements, mais aucun argument lié à l'équité fiscale ou à l'efficacité des politiques publiques ne justifie qu'on n'ait pas abordé la question de ce plafonnement. Celui-ci, certes un peu plus compliqué techniquement que le plafonnement du quotient familial, serait un levier et un signal forts en faveur de l'égalité. Il permettrait de financer un service public de la petite enfance et relèverait réellement d'une politique familiale, car il mettrait à contribution l'ensemble des ménages, y compris ceux qui n'ont pas d'enfants à charge.

Je ne jette pas la pierre à la ministre, car le sujet est très sensible et, pour avoir eu des discussions frontales à ce propos avec des associations comme l'Union nationale des associations familiales (UNAF), je connais les réticences qu'il soulève. C'est pourtant là le genre de pistes qu'il nous faut explorer, car c'est un moyen de financer le service public de la petite enfance tout en servant l'égalité et sans provoquer de bouleversements massifs pour des ménages modestes, car seuls les ménages aisés seraient concernés. Le plafond devrait bien évidemment être fixé, mais ce sujet devrait faire l’objet d’une réflexion.

Vous avez également évoqué, madame Neuville, un redéploiement des allocations familiales vers un service public.

Mme Ségolène Neuville. Il s’agirait d’un redéploiement d’aides individuelles vers des aides collectives.

Mme Hélène Périvier. Du point de vue plus théorique de la réflexion sur l'État social, on considère souvent que les pays nordiques offrent plus en services publics et moins en allocations, ce qui permet d'individualiser l'aide sans verser d'argent aux individus, en assurant des services publics financés par l'impôt.

Cette piste intéressante doit être élargie, mais nous nous y sommes déjà un peu engagés. De fait, l'indexation des prestations familiales sur les prix plutôt que sur la croissance est très défavorable et ces prestations ont mécaniquement beaucoup perdu au regard du salaire moyen. Parallèlement, la branche famille dépense tout de même de plus en plus pour le service public d'accueil de la petite enfance : l’effet de balancier de la dépense publique a déjà joué. Il n’a cependant pas été pensé politiquement et relève davantage d'une dérive que d'un choix démocratique. Ce mouvement laisse des marges de manœuvre à la branche famille pour investir dans la petite enfance – abstraction faite du déficit de cette branche, qui est à la fois conjoncturel et comptable, mais pas structurel.

M. Jérôme Ballarin. Le crédit d'impôt famille, qui représente aujourd'hui un montant d'environ 400 millions d'euros, incite à la création de places de crèche et au financement de berceaux par les entreprises. Celles-ci récupèrent en effet en crédit d'impôt près de la moitié des sommes investies, avec un plafond assez bas qui pénalise parfois les entreprises désireuses de faire davantage. Il conviendrait donc de réfléchir au relèvement de ce plafond.

On pourrait également envisager la transformation de ce crédit d’impôt famille en crédit d'impôt parentalité, qui continuerait à financer la création de berceaux par les entreprises tout en élargissant son soutien à d'autres thématiques, comme les coûts informatiques liés à l'adaptation d'un réseau d'entreprise au télétravail ou la formation et la sensibilisation des managers de proximité. De plus en plus souvent se développent dans les entreprises des politiques de ressources humaines centrées sur le soutien à la parentalité – n’oublions pas que les allocations familiales sont nées dans les années 1930 de l'initiative de quelques chefs d'entreprise, avant d'être inscrites dans le programme du Conseil national de la Résistance et reprises par la puissance publique, qui les a généralisées. On sent de la part des entreprises un mouvement très fort en faveur de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Il serait pertinent de soutenir ce mouvement et peut-être un crédit d'impôt parentalité pourrait-il symboliquement se fixer pour objectif une enveloppe d'un milliard d'euros à cette fin.

Mme Ségolène Neuville. Il s'agit de dépenses, et non pas de financement !

M. Jérôme Ballarin. Indirectement, c'est aussi du financement : en déportant certaines dépenses vers les entreprises, le bilan économique est favorable aux finances publiques.

Mme Monique Orphé, présidente. Vous indiquiez tout à l'heure que 2 % seulement des pères prennent un congé parental. Comment peut-on inverser cette tendance ? Une meilleure rémunération de ce congé incitera-t-elle les pères à jouer leur rôle et à s'impliquer davantage dans le ménage et dans l'éducation de leurs enfants ?

Par ailleurs, les modes d'accueil mis en place pour les enfants visent-ils à l’épanouissement de l’enfant ou à celui des parents ? Quel est, par exemple, l’intérêt du télétravail du point de vue des enfants ?

Enfin, la charte de la parentalité a-t-elle rencontré des résistances ? Les patrons l’ont-ils acceptée et mise en œuvre ?

M. Jérôme Ballarin. Le financement a en effet un impact sur le taux de prise du congé parental par les pères, comme on l’a vu avec le congé de paternité, pour lequel les entreprises compensent la perte de salaire correspondante : le taux de prise n’a cessé d’augmenter et 70 % des pères prennent désormais ce congé.

Un autre frein très fort est le frein culturel : le congé parental est, comme le temps partiel, très « genré ». Voilà deux ou trois ans, j’ai été le seul membre du Haut conseil de la famille à m’étonner qu’un texte indique que les mères de famille recevaient un courrier les informant de leur droit à congé parental, sans mentionner les pères. Il y a du travail à faire pour amener les pères vers ce congé. Il faut mener une politique globale d’évolution des mentalités et de déconstruction des stéréotypes genrés, qui peut être accompagnée par la puissance publique dans le cadre d’une politique générale valorisant l’implication des hommes dans la vie familiale. La « révolution conjugale » que j’évoquais doit être soutenue par l’État et le législateur.

Quant au télétravail, il est, à la différence du temps partiel, une forme non genrée d’organisation du travail et peut permettre de ramener les hommes à la maison, comme on le voit dans des entreprises comme SFR ou Renault, où la moitié ou les deux tiers des personnes demandant à télétravailler sont des hommes. Un homme qui avait l’habitude de partir tôt et de rentrer tard pourrait ainsi, un jour par semaine, prendre le petit déjeuner avec ses enfants, être là lorsqu’ils rentrent de l’école pour échanger avec eux et préparer le dîner. Ce peut être une façon de reconnecter à la vie de famille des hommes qui en étaient déconnectés depuis longtemps et de faire progresser le taux de partage des tâches domestiques et familiales. Bien évidemment, le télétravail peut également aider les femmes.

Il ne s’agit pas pour autant d’une alternative aux modes de garde, car il peut être difficile de travailler chez soi avec un enfant de deux ans heureux de voir son père ou sa mère à la maison – au point qu’il faudrait peut-être éviter le télétravail le mercredi. Une certaine souplesse reste cependant de mise, car le télétravail peut aussi permettre de faire face aux urgences, par exemple en cas de problème à la crèche – mais ce n’est pas, je le répète, une forme de garde que nous préconisons.

Quant à la charte de la parentalité, il a fallu batailler pour qu’elle soit aujourd’hui signée par 500 employeurs environ. Nous faisons un travail de militants pour la faire connaître auprès des entreprises, y compris en nous appuyant sur les médias. Nous sommes une association régie par la loi de 1901 et disposons de petits moyens, avec une petite équipe d’une dizaine de personnes. En outre, les entreprises savent que cette charte les engage et les place sous le regard des partenaires sociaux, des syndicats, des journalistes et des salariés, de telle sorte que les refus ont été plus nombreux que les accords. Il est en tout cas rassurant de penser que les entreprises qui signent prennent cet acte au sérieux.

Mme Hélène Périvier. Ce qui pose problème avec le congé parental, c’est qu’il est sexué. Il faut donc nous demander ce qui ne va pas. De fait, la simple annonce de la limitation à deux ans et demi du congé parental, prévue par le projet de loi, suscite déjà des réactions, comme celle, très violente, de Mme Valérie Pécresse, qui se demande pourquoi un père irait changer les couches de ses enfants – comme si cela était inscrit dans les gènes des femmes –, ou celle d’Aldo Naouri, qui déclarait ce matin sur France Culture que, s’il n’était pas mauvais que les femmes puissent ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari, on était allé un peu loin dans les droits des femmes, ce qui provoquait chez les enfants une perte totale de repères. Ces réactions à une mesure qui, concrètement, ne changera pas grand-chose montrent que « ça pique », et c’est bien.

Pour que ça « pique » encore davantage, il reste beaucoup à faire en termes de lutte contre les stéréotypes dans l’éducation. Le travail mené en collaboration entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère des Droits des femmes est à cet égard très intéressant : le seul fait d’apprendre à l’école l’égalité et le respect entre filles et garçons « pique » déjà et certains clament qu’on va déconstruire le genre et le sexe. Il faut continuer le travail, car les réactions de ce genre révèlent qu’on commence à entrer « dans le dur ».

Les métiers de la petite enfance connaissent un problème de mixité et il conviendrait d’y faire entrer des hommes. De fait, Françoise Vouillot a bien montré que la ségrégation des métiers ne tient pas à ce que les femmes ne vont pas vers les métiers d’homme, mais à ce que les hommes ne vont pas vers les métiers de femme, peu valorisés et mal rémunérés – selon l’idée que les femmes peuvent bien faire pour pas cher sur le marché du travail ce qu’elles faisaient jadis gratuitement. Il faut en outre que les hommes qui entrent dans ces métiers y entrent dans de bonnes conditions, pour éviter que, comme on le voit trop souvent, les hommes soient par exemple directeurs de crèche et les femmes sous leurs ordres. Ces questions sont complexes.

Je crois beaucoup à une refonte de l’État social, avec notamment une révision du quotient conjugal et de la conception du couple et la famille, ainsi qu’avec des droits sociaux plus individualisés qui rendent les choix lisibles. Les hommes et les femmes n’ont pas conscience des choix qu’ils font en se mettant en couple et, lors des divorces, la collectivité prend à son compte les conséquences de la division sexuée du travail dans la famille, en termes de retraite et d’avantages familiaux. Une réflexion s’impose, qui donnera lieu à de nombreuses contre-réactions : c’est là qu’on commencera à avancer, en montrant que cette division n’est pas immuable, qu’elle est construite et entretenue et que, si l’on veut la réduire, il faut s’en donner les moyens.

Enfin, si les stéréotypes sont encore plus forts en Allemagne, où les femmes ne peuvent pas à la fois travailler et avoir des enfants, le recours au congé parental dans notre pays reste décevant, du fait de freins culturels et sociétaux très puissants. Une réflexion massive s’impose d’autant plus que, dès lors qu’une initiative suscite des réactions, c’est bien le signe qu’on aborde les choses sérieuses.

Mme Monique Orphé, présidente. Je vous remercie pour ces réflexions novatrices qui contribueront à nos travaux.

L’audition s’achève à 17 heures 50.