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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 16 octobre 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 1

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Yvette Roudy, ancienne ministre des Droits de la femme, présidente du bureau de l’Assemblée des femmes, sur l’égalité entre les femmes et les hommes

– Communication de la Présidente sur les mesures concernant les femmes du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014

– Nomination d’un nouveau co-rapporteur d’information sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380)

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Yvette Roudy, ancienne ministre des Droits de la femme, présidente du bureau de l’Assemblée des femmes.

La réunion commence à 16 heures 30.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation aux droits des femmes est très honorée d’accueillir la première ministre des Droits de la femme – dans le Gouvernement de Pierre Mauroy – et de rendre hommage à son action de précurseur dans les années 1981 et suivantes.

L’Assemblée nationale va examiner bientôt le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, adopté par le Sénat, et présenté par Mme Najat Vallaud-Belkacem. Nous avons souhaité, madame la ministre, avoir votre avis sur ce projet de loi.

Depuis un an, plusieurs lois ont apporté leur contribution à l’égalité réelle entre les sexes : la loi relative au harcèlement sexuel du 6 août 2012 ; la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, avec la gratuité de la contraception pour les mineures et le remboursement de l’IVG ; la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, qui a instauré des mécanismes de parité dans la gouvernance, la consultation et l’évaluation ; les textes relatifs aux conseillers départementaux, qui permettront l’accès de nombreuses femmes aux mandats électifs ; enfin, la loi sur la sécurisation de l’emploi, par l’instauration d’un minimum de 24 heures pour le travail à temps partiel, dont nous savons qu’il concerne majoritairement les femmes.

La Délégation a participé à l’élaboration de la plupart de ces textes. Le projet de loi pour l’égalité nous donne l’occasion d’aller plus loin.

Madame la Ministre, vous avez été à l’origine de l’une des premières grandes lois relatives à l’égalité professionnelle, la loi de 1983, qui a notamment créé le rapport de situation comparée. Le corpus législatif dont nous disposons aujourd’hui est-il suffisant pour parvenir à l’égalité professionnelle ? On constate que les inégalités sont encore fortes, comme l’a révélé le débat sur les retraites : moins 27 % au niveau des salaires et moins 40 % au niveau des retraites.

Depuis 1983, plusieurs phénomènes ont joué de façon contradictoire : la poursuite de l’entrée massive des femmes sur le marché du travail ; dans les années quatre-vingt dix, l’encouragement à recourir au temps partiel, par des cotisations sociales moins élevées – de fait, la loi de 1992 constitue un coup d’arrêt à la convergence des carrières ; enfin, le fait que les entreprises paient moins de charges lorsqu’elles emploient des salariés rémunérés à moins de 1,5 SMIC.

Madame la Ministre, j’aimerais vous entendre sur la manière de passer de l’égalité prévue par la loi à l’égalité réelle, celle que Mme Najat Vallaud-Belkacem appelle de ses vœux. Pouvez-vous nous dire, avec votre expérience, les obstacles qu’il conviendrait de lever pour y parvenir ?

Mme Yvette Roudy. Tout d’abord, merci de m’accueillir. Je suis attentivement vos travaux, surtout depuis que nous avons un nouveau Président de la République et une nouvelle – la seconde – ministre des Droits de la femme. Je suis ravie de constater que vous avez obtenu des résultats, que je mets sur le compte de la parité. Bien sûr, nous en avons encore pour quelques siècles. Mais après tout, le féminisme ne date que de 200 ans, alors que le machisme est là depuis plus de 2 000 ans et on n’éradique pas 2 000 ans de pratiques, de coutumes et de lois en un clin d’œil. Pour avoir été aussi députée, maire, députée au Parlement européen et avoir appartenu aux instances du parti socialiste, je sais à quel point votre tâche est difficile.

La loi sur l’égalité professionnelle de 1983 différait des lois précédentes, dans la mesure où c’est une loi visant à l’égalité, et non plus une loi de protection. Les femmes ont toujours travaillé, mais elles travaillaient gratuitement. La question du travail des femmes s’est posée à partir du moment où elles ont prétendu être salariées. Dès cet instant, on a commencé à poser des barrières en mettant en avant que le travail des femmes allait faire baisser le taux de natalité. Et c’est bien ce qui s’est passé au cours de la Révolution industrielle, lorsque les femmes sont venues des campagnes pour travailler au fond des mines et dans les usines. Plusieurs lois ont donc été votées, afin de protéger la capacité d’enfantement des femmes.

La loi de 1983 est donc une loi d’égalité, avec ses avantages, ses inconvénients et ses effets pervers.

L’élément principal de cette loi est la création d’un rapport de situation comparée, obligatoire tous les ans. Mais j’avais fait écrire à l’époque : ce rapport « peut » donner lieu à des plans d’égalité, au lieu de : « doit » donner lieu à des plans d’égalité. C’était un peu naïf, car si ce rapport est bien obligatoire, il ne donne pas toujours lieu à des plans d’égalité. En outre, les inspecteurs du travail ne connaissent pas la loi, ou n’en voient pas l’utilité.

Je vous félicite d’avoir fait entrer dans les discussions annuelles entre patronat et syndicats une négociation sur l’égalité professionnelle qui s’appuie sur les éléments figurant dans le rapport de situation comparée. C’est fondamental. Mais encore faut-il, là aussi, que ceux qui défendent l’égalité professionnelle connaissent bien la loi. Les inspecteurs du travail, quant à eux, doivent vérifier si les plans d’égalité donnent des résultats. Il existe des modèles et des exemples de plans d’égalité, qui peuvent prendre des formes différentes selon les entreprises – au-delà de 50 salariés.

Lorsque j’ai quitté mes fonctions ministérielles et que je suis devenue parlementaire, j’ai fait un rapport qui m’a amenée à visiter un certain nombre de pays. Je me suis alors aperçue que c’était en Finlande que la loi sur l’égalité professionnelle – qui découle, à l’origine, d’une directive communautaire – était la mieux appliquée. Au Québec et dans les pays développés, j’ai relevé aussi quelques éléments intéressants.

Il conviendrait de mettre en avant l’argument selon lequel les entreprises ont intérêt à faire monter des femmes dans la hiérarchie et à leur donner des postes de décision. On s’est en effet aperçu que, pour des raisons liées à leur éducation, les femmes ont des qualités de négociatrices parce qu’elles ont davantage de patience dans les discussions et que leur ego n’est pas fondamental. Cela m’a été dit dans des entreprises où il y a beaucoup de personnel féminin, c’est-à-dire dans les banques et dans les assurances. Les entreprises ne doivent donc pas avoir peur de l’arrivée des femmes. D’ailleurs, la mixité dans les entreprises est un élément d’apaisement à tous les niveaux – davantage de fluidité dans les relations, et de sérénité.

En 1983, j’ai absolument refusé d’introduire dans la loi le travail à temps partiel. Ce n’est pas faute d’avoir reçu des pressions de tous les côtés. Mais j’avais été à l’école de Marguerite Thibert, une grande féministe – qui n’est plus de ce monde – qui appartenait au Mouvement démocratique féminin, où j’ai été formée, avec Colette Audry, Marie-Thérèse Eyquem, et qui était au Bureau international du travail. Cette grande personnalité, qui faisait autorité, considérait le travail à temps partiel comme un piège. De fait, il est très difficile d’en sortir. Cette forme de travail n’offre aucune possibilité de promotion, et les retraites sont également partielles. En fait, tout est partiel dans le temps partiel.

Cela va à l’encontre de certaines idées reçues. Or nous savons à quel point celles-ci sont difficiles à combattre. Mme Najat Vallaud-Belkacem répète souvent cet argument d’Einstein, selon lequel il est plus facile de désintégrer un atome qu’une idée reçue. Alors que j’étais maire à Lisieux, j’ai reçu un monsieur qui allait ouvrir une grande surface et qui pensait me faire plaisir en m’annonçant qu’il allait donner du travail aux femmes et que ce ne serait que du temps partiel ! Comment lui expliquer mon point de vue ? C’était très difficile à faire comprendre.

Malheureusement, le temps partiel a explosé en France après 1986, quand la gauche est tombée. Les femmes s’y sont précipitées, et on le comprend. En effet, elles ont cru pouvoir « concilier » travail de la famille et travail professionnel – question qui ne se pose pas pour les hommes. Georgina Dufoix, qui est par ailleurs tout à fait sympathique, défendait le temps partiel. Elle a même fait adopter en 1985 une loi sur le congé parental d’éducation. Ainsi, je poussais les femmes à aller travailler, tandis qu’une pression s’exerçait par ailleurs dans l’autre sens.

Au bout de trois ans, les femmes ont compris que le travail à temps partiel était un piège. Mais beaucoup travaillent encore à temps partiel. C’est le mode d’emploi de la caissière de supermarché, qui constitue en elle-même tout un symbole : symbole des nouvelles poches de pauvreté, de la femme la plus pauvre parmi les pauvres, qui n’arrive pas à boucler son budget et à se faire payer la pension alimentaire…

Je ne veux pas vous décourager, mais vous avez encore beaucoup de travail à faire. Comme la démocratie, les droits des femmes procèdent par bonds, avec des avancées, des reculs et des moments de stagnation. Nous vivons dans une démocratie inachevée. Mais n’oubliez pas que les « droits des femmes » sont un principe nouveau, lancé pour la première fois par Olympe de Gouges. À ce propos, je pense qu’il faut conserver cette appellation de « droits des femmes », pour éviter toute ambiguïté, nous qui vivons au pays des droits de l’Homme – dans les autres pays, on parle de Human Rights

Quoi qu’il en soit, et bizarrement, la loi sur l’égalité professionnelle de 1983 est passée comme une lettre à la poste. Je n’ai eu aucun problème, même avec la disposition selon laquelle les plans d’égalité pouvaient donner lieu à des stages de formation spécifique ouverts aux seules femmes, et financés par des fonds issus de la formation professionnelle. Je pensais que le Conseil constitutionnel allait interdire, au nom de l’égalité, cette mesure tendant, précisément, à réduire les inégalités. J’avais des raisons de me méfier, dans la mesure où il avait déjà déclaré non conformes à la Constitution plusieurs de mes textes. Mais ce ne fut pas le cas.

Je ne sais pas pourquoi cette loi sur l’égalité professionnelle est la seule qui porte mon nom, alors que j’en ai fait adopter six. Mais j’en ai préparé davantage : un certain nombre d’entre elles n’ont pas été adoptées, comme le projet de loi anti-sexiste, qui vous attend encore, et qui donnait à une association le droit de se porter partie civile dès l’instant où elle considérait qu’il y avait atteinte à la dignité de la femme dans une représentation publique – dans la pratique, il s’agissait des affiches. Or ce projet de loi n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Parlement, alors qu’il avait été présenté sans problème au conseil des ministres. Mais les publicitaires – Jacques Séguela en tête – se sont dressés contre lui et j’ai été, un mois durant, la cible d’attaques relevant du machisme le plus bête. Mais peut-être pourriez-vous le reprendre ? M. Zapatero a fait voter une loi équivalente en Espagne.

Auparavant, j’avais pu faire adopter, relativement facilement d’ailleurs, le remboursement de l’IVG. Je crois que nous sommes un des rares pays à l’avoir voté.

J’ai essayé de faire passer la transmission du nom de la mère, comme en Espagne ou ailleurs. Je n’y suis pas parvenue mais, quelques années plus tard, dans les années 2000, c’est devenu possible – grâce à M. Gérard Gouzes, avocat et député socialiste de Marmande.

Je souhaiterais maintenant que les associations féminines et féministes soient consultées, à l’instar des syndicats. Aujourd’hui, elles sont nombreuses, parfois très compétentes et pourraient vous apporter des idées. J’imagine que Mme Najat Vallaud-Belkacem a été obligée de consulter la CGT, la CFDT, etc. Il conviendrait qu’elle consulte également le Planning familial ou l’Assemblée des femmes.

En 1992, à partir du moment où l’Europe a lancé un appel à la parité en direction des États membres, nous avons créé l’Assemblée des femmes, avec Françoise Durand, et nous avons beaucoup travaillé sur ce thème. Comme les partis politiques, qui détenaient la clé du problème dans la mesure où ce sont eux qui désignent les candidats, restaient sourds à nos demandes, j’ai monté un petit coup politique, qui a d’ailleurs failli me faire exclure du parti socialiste : je suis allée voir Simone Veil, je lui ai demandé son appui et nous avons présenté le « Manifeste des dix pour la parité », signé par cinq femmes de droite et cinq femmes de gauche, anciennes ministres. Nous avons publié, avec l’aide de L’Express, une série de propositions – dont Lionel Jospin s’est largement inspiré par la suite.

Mais venons-en au texte de Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Je considère que celle-ci a eu raison de choisir une loi-cadre, qui permet de tout regrouper et de donner une visibilité globale sur tout ce qui concerne les femmes.

Cela dit, je ne suis pas toujours d’accord avec les formules utilisées, et je trouve que l’on n’y est pas assez sévère en cas de manquements à la parité. Personnellement, je supprimerais la totalité de leurs subventions aux partis qui ne la respecteraient pas. Certains partis préfèrent payer des amendes, ce qui est cynique et révélateur de la profondeur du machisme !

Mais il faut savoir que la question du droit des femmes est aussi de nature politique et qu’elle dépend du rapport de forces que l’on saura instaurer. Qu’a fait le mouvement ouvrier pour défendre les ouvriers ? Il a créé des syndicats pour affronter le patronat. Il faut donc que les femmes soient nombreuses à s’organiser. Aujourd’hui, grâce à la loi sur la parité, elles commencent à le faire. Cela étant, je trouve honteux d’avoir dû recourir à la loi. Les pays scandinaves, qui sont beaucoup plus démocrates que nous, y sont venus naturellement.

Nous avons des alliés masculins, dont certains sont présents, et que je remercie. Mais si nous parvenions à réunir autant d’hommes que de femmes, nous aurions plus d’écho. Nous ne pourrons avancer qu’avec quelques hommes généreux, assez libres et qui n’ont pas peur des femmes.

Je regrette enfin que cette loi n’aborde pas la première des violences, à savoir la prostitution. J’ai écrit au Premier ministre, au Président de la République et à un certain nombre de personnes « décisionnaires » qu’il était honteux de laisser perdurer la situation. Mais cela ne suffit pas de dire que c’est une honte, il faut agir. Sans clients, ce que je considère comme un marché s’appauvrirait, et les proxénètes se tourneraient vers d’autres marchés plus fructueux. Cela suppose que l’on sanctionne les clients. Je crois que c’est le moment de s’y mettre, même si je suis consciente que la lutte contre la prostitution prendra des années.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci pour ces propos encourageants, vivifiants et intéressants. S’agissant du dernier point que vous avez évoqué, la prostitution, sachez que le mercredi 27 novembre prochain, nous devrions discuter d’une proposition de loi sur la prostitution, et qu’une commission spéciale se mettra en place la semaine prochaine, à la suite du rapport que Mme Maud Olivier a réalisé sur le sujet – après celui de Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy.

M. Jacques Moignard. Madame la Ministre, merci pour ce clin d’œil à Olympe de Gouges. Je suis député de Tarn-et-Garonne, et il se trouve qu’elle est née à Montauban. Nous espérons bien sûr qu’elle fera partie des femmes qui seront inhumées au Panthéon.

J’aimerais avoir quelques précisions sur le plan d’égalité professionnelle dont vous avez parlé Que contient-il ou que devrait-il contenir ? S’il était mis effectivement mis en place, il pourrait avoir son utilité.

Par ailleurs, j’aimerais que vous développiez ce que l’on pourrait faire contre les stéréotypes.

Mme Yvette Roudy. J’avais créé, à l’intérieur de mon ministère, une commission de trois ou quatre personnes qui s’occupaient de conseiller les entreprises qui voulaient monter des plans d’égalité. Que peut-on mettre dans un plan d’égalité ? Beaucoup de choses. Il y a des exemples, qui peuvent servir de modèles – en Finlande, notamment. Mais pour le mettre en place, il faut d’abord un très bon directeur des ressources humaines, qui ait compris, avec sa tête et avec son cœur, l’utilité de faire monter les femmes à l’intérieur de l’entreprise, et qui sache détecter celles qui sont disposées à suivre une formation professionnelle spécifique pour grimper des échelons.

Ensuite, je crois savoir que le ministère des Droits des femmes s’est lancé dans la bataille contre les stéréotypes. Lorsque j’étais ministre, j’organisais des campagnes au printemps, au moment de l’orientation des élèves, autour de thèmes comme « les métiers n’ont pas de sexe, orientez-vous toutes directions » ou autour de la femme « ingénieure ». Il faut trouver des idées, mener des campagnes, à l’école ou à la télévision. Encore une fois, comme le disait Einstein, un atome est plus facile à désintégrer qu’une idée reçue !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il existe aussi des modèles de rapports de situation comparée – sans doute sur le site du ministère. Ceux-ci ont d’ailleurs été simplifiés en 2003, parce que certaines petites entreprises les trouvaient trop compliqués.

J’observe que nous avons introduit dans l’ANI – l’accord national interprofessionnel – l’obligation d’envoyer le rapport de situation comparée aux DIRECCTE – les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Jusque là, c’étaient les inspecteurs du travail qui devaient le demander quand ils se rendaient dans l’entreprise. Je souhaiterais, pour ma part, que l’on franchisse un pas supplémentaire et qu’on le publie sur le site du ministère du Travail. Nous le demanderons à l’occasion de la prochaine loi.

Ensuite, la loi Sauvadet de 2012 a rendu obligatoires les rapports de situation comparée dans la fonction publique (d’État, hospitalière et territoriale), pour mesurer les différences de salaires qui y existent – jusqu’à 15 % de différence de salaire entre les hommes et les femmes. L’idée est double : aller vers l’égalité professionnelle et salariale, et vers l’égalité pour la promotion des femmes dans la hiérarchie et la haute hiérarchie.

Enfin, Mme Najat Vallaud-Belkacem, avec M.Vincent Peillon, a mis en place dans les écoles un programme, l’« ABCD de l’égalité », destiné à lutter contre les stéréotypes. Mais nous pourrons peut-être aller plus loin à l’occasion de la discussion de son projet de loi.

Mme Cécile Untermaier. Madame la Ministre, merci de nous donner la joie d’échanger avec vous sur ces questions.

S’agissant des plans d’égalité, je voudrais simplement rappeler qu’au sein de la Délégation, nous avons travaillé avec Mme Najat Vallaud-Belkacem sur un projet de décret destiné à améliorer le dispositif et à faire en sorte que les plans qui « dorment » dans les entreprises puissent être examinés par les inspecteurs du travail. J’ai tout de même un doute sur l’effectivité de ce contrôle, à raison du nombre d’inspecteurs du travail, qui sont une espèce rare, voire même une espèce en voie de disparition.

Ensuite, le projet de loi de Mme Najat Vallaud-Belkacem pourrait être l’occasion, pour nous, de faire quelques préconisations. Il me semble en tout cas que, dès lors que la discrimination est constatée dans un rapport, il faut prévoir des sanctions, ou au moins des délais de réparation. Nous devrions être beaucoup plus coercitifs que nous ne l’avons été jusqu’à présent.

Enfin, il serait utile d’avoir dans chaque entreprise un référent qui puisse porter cette question de l’égalité homme/femme. Si l’on n’identifie pas une telle personne, le débat risque de manquer d’efficacité.

Mme Marie-George Buffet. Madame la Ministre, merci pour vos propos. Votre détermination fait plaisir à entendre. Je ferai trois observations.

Tout d’abord, le temps partiel est l’équivalent du salaire d’appoint des premières années du travail salarié des femmes. Il reprend l’idée qu’une femme ne peut pas avoir un travail à plein temps parce qu’elle est en charge du foyer domestique. Selon moi, on n’avancera pas sur l’égalité des salaires ni sur l’égalité dans les responsabilités si on ne se bat pas, avant tout, pour que les femmes aient droit à travailler à temps plein. Cela demande bien sûr, de créer des conditions favorables – et je pense en particulier à un vrai service public de la petite enfance.

Ensuite, je suis contente que vous ayez abordé la question de la visibilité des femmes, et donc de la féminisation des mots, notamment des mots de pouvoir. J’ai fait une tribune là-dessus. Il arrive que des journalistes s’adressent à moi en disant : « vous, les hommes politiques » ! Cette question est très importante pour les filles. Si elles n’entendent parler que des hommes politiques ou des ingénieurs sans « e », elles penseront qu’elles n’ont pas leur place à ces postes de responsabilité.

Enfin, vous avez souligné que les inspecteurs du travail ne connaissaient pas les texte sur l’égalité professionnelle homme/femme. Cette ignorance des textes existe aussi dans les services censés appliquer la loi contre les violences faites aux femmes. La formation des acteurs et des actrices concernés me paraît donc très importante.

M. Sébastien Denaja. Madame la Ministre, je tiens moi aussi à vous remercier pour vos propos. C’est un honneur pour nous d’entendre une voix aussi forte et libre. J’espère seulement que les combats menés dans notre pays ne dureront pas encore pendant des siècles.

Ma première question sera très précise. Pourriez-vous transmettre à la Délégation aux droits des femmes ce projet de texte de loi anti-sexiste ? Nous pourrions imaginer de l’incorporer à d’autres textes et l’étendre à d’autres supports de communication que les simples affiches.

Mme Yvette Roudy. Oui. Je vous le transmettrai.

M. Sébastien Denaja. Je pense que se référer à ce texte pourrait enrichir la discussion du texte porté par Mme Najat Vallaud-Belkacem.

Comme l’a dit Marie-George Buffet, vous avez eu raison d’insister sur la question du choix et du poids des mots. Je suis moi-même effaré de constater avec quelle opiniâtreté un certain nombre de nos collègues, qui sont tout de même plutôt du côté droit de l’hémicycle, mettent un point d’honneur à dire : Mme « le » garde des Sceaux, « le » ministre, « le député », « le président ». Cette manière de s’exprimer est révélatrice de l’ancrage des stéréotypes.

Notre Délégation aura sans doute des éléments à apporter au projet de loi de Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui pourrait être le bon véhicule de la féminisation d’un certain nombre de termes. Cela fait rire certains. Mais laissons-les rire et occupons-nous de cette question, qui n’est pas marginale.

Vous avez raison de souligner le caractère transversal de ce texte, et le fait que ce soit une loi-cadre, même si le terme n’est pas juridiquement consacré. À cette occasion, la Délégation aux droits des femmes, sous la houlette de sa présidente, fait un travail considérable, élaborant un rapport qui portera sur chacun des domaines traités et associant plusieurs rapporteurs d’information. De son côté, la commission des Lois envisage de faire autant d’auditions que pour la loi sur le mariage pour tous. Nous considérons que c’est un texte important qui marquera le quinquennat.

Le projet de loi a été examiné par le Sénat. J’aimerais avoir votre point de vue sur certaines questions.

Premièrement : le fait de savoir qui prend le congé parental, entre l’homme et la femme. Aujourd’hui, si ce sont prioritairement les femmes qui le prennent, c’est parce que ce sont elles qui gagnent le moins.

Deuxièmement : un amendement du Sénat, qui prévoit que la garde alternée sera dorénavant le principe en cas de désaccord des parents.

Troisièmement : un autre amendement, adopté à l’initiative de Mme Chantal Jouanno, qui conduit à interdire les concours de « mini miss ». Il nous renvoie à la question plus fondamentale de l’hyper sexualisation des jeunes filles dans notre société et, d’une certaine manière, à votre projet de loi antisexiste. Comme lorsque l’on discute du système prostitutionnel, deux positions se sont dégagées : soit en faveur de la réglementation, soit de l’interdiction. Quelle est votre position vis-à-vis de ces concours qui mettent en scènes des jeunes filles et des fillettes, qui ont parfois moins de cinq ans ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pour ma part, je suis favorable à l’amendement Jouanno. Sauf que je trouve extrêmement dommage que ce sujet en vienne à occulter le reste du texte, dont l’enjeu reste l’égalité salariale, la lutte contre les violences faites aux femmes, la parité dans le sport, etc.

Mme Yvette Roudy. Madame Marie-George Buffet, s’agissant du travail à temps partiel, il faudrait au moins obliger les grandes surfaces à ne pas créer spécifiquement des emplois à temps partiel, pour que la caissière dont je parlais puisse envisager de gravir des échelons et passer à temps complet. Il faut la sortir de ce piège. Peut-être pourrait-on accuser les grandes surface de faire du sexisme à l’envers, en n’embauchant pas d’hommes ! Car je vous assure que les hommes n’accepteraient pas certaines conditions et ne se laisseraient pas bloquer dans des emplois à temps partiel !

Monsieur Denaja, la féminisation des titres et des professions est très importante. Je vous suggère de consulter le rapport de Benoîte Groult, qui recommande des terminologies, qui ne sont pas ridicules et parfaitement acceptables. Pourtant, que n’a-t-on pas entendu !

Il est tout à fait significatif de constater que dès l’instant où l’on gravit des échelons et où l’on approche du pouvoir, les titres se masculinisent. Pour ma part, j’avais refusé de signer mon décret d’attribution, précisément parce qu’il me masculinisait : Mme Roudy est nommée… « Le » ministre fera…, « il ». On ne change pas de sexe parce qu’on atteint certains échelons. Ils se sont donc adaptés.

Vous avez sans doute remarqué, par ailleurs, que l’on parle des prud’hommes et des sages-femmes. Il y a des femmes prud’hommes, qui n’ont pas fait d’histoire. Mais quand on a ouvert le métier de sage-femme aux hommes, ils ont voulu une nouvelle appellation : maïeuticien. Pour les hommes, il fallait un terme compliqué et scientifique.

Ensuite, j’ai bien noté vos propos sur la loi antisexiste. Je dispose d’un exemplaire que je tiens à votre disposition. Vous verrez que vous pouvez encore vous en inspirer.

S’agissant de la garde alternée, je ne peux pas vous répondre. S’agissant des concours de mini miss, j’ai une position très hostile. C’est une façon de conforter certains stéréotypes. C’est aussi bête que former les petits garçons à la violence et les petites filles à la soumission. À mon avis, il faut tuer ce genre d’initiative dans l’œuf.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai découvert cette semaine un catalogue de jouets pour enfants à l’approche de Noël, qui consacre des pages entières à des copies d’armes pour les garçons. On peut même y acheter des barbelés ! Je me demande si l’on ne pourrait pas l’interdire. Je ne savais pas qu’en France on pouvait faire de la publicité pour les armes à l’intention des mineurs – même s’il s’agit, bien sûr, d’imitations. Pour moi, c’est un recul.

Madame la Ministre, je vous remercie. Ce fut un vrai bonheur de vous voir toujours aussi féministe, aussi allante et exigeante. Aujourd’hui, nous avons une ministre des Droits des femmes de plein exercice qui répond à nos attentes, avec qui nous travaillons et préparons des textes de loi. De ce fait, une vraie dynamique s’est instaurée pour aller vers l’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut que nous profitions de ce gouvernement de gauche, dont la volonté est d’accorder une place prioritaire aux femmes dans ses textes de loi et ses réformes. À nous de saisir cette opportunité, et même d’aller au-delà – c’est d’ailleurs le travail de l’Assemblée. Je compte sur vous tous pour que nous puissions agir en ce sens, sous l’œil bienveillant mais attentif de Mme Yvette Roudy.

*

* *

Puis la Présidente présente une communication sur les mesures concernant les femmes du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vais vous présenter très brièvement les principales mesures du PLFSS susceptibles d’avoir un impact sur les femmes.

La première mesure est l’instauration du tiers payant pour les consultations et examens préalables à la contraception chez les mineures d’au moins 15 ans. C’est une mesure qui vient compléter les avancées en faveur de l’accès à la contraception, issues de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Mais Mme Ségolène Neuville va vous en parler ; elle a beaucoup travaillé sur ce sujet.

J’ai noté également la majoration du complément familial pour les familles sous le seuil de pauvreté qui devrait bénéficier à 400 000 familles.

Deux autres mesures concernent la prestation d’accueil du jeune enfant (PAGE) et le complément de libre choix d’activité (CLCA). Il est proposé d’inscrire au niveau législatif le principe selon lequel le droit au CLCA des travailleurs non-salariés est ouvert à la condition que l’activité à temps partiel ne procure pas une rémunération supérieure à un montant défini par décret. Par ailleurs, le montant du CLCA varie aujourd’hui selon que la famille est bénéficiaire, ou non, de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). Il est proposé d’uniformiser le montant du CLCA afin que son montant soit le même pour tous les allocataires, quel que soit le niveau de leurs ressources.

Enfin, je porte à votre attention le plafonnement du complément de libre choix de mode de garde (CMG) dit « CMG structure » et la suppression de la condition de revenu minimal d’activité pour le CMG. En effet, il semblerait que les micro-crèches pratiquent des tarifs abusifs entraînant en pratique la sélection des publics accueillis. En subordonnant au respect d’un plafond tarifaire par la micro-crèche le versement de la CMG, on devrait pouvoir limiter les tarifs facturés aux familles.

Mme Ségolène Neuville. J’estime important que l’on procède prochainement à une évaluation des mesures prises depuis quelques années et en 2013 dans le domaine de la contraception. Il semble que la mise en oeuvre soit assez différente d’une région à l’autre : les jeunes filles mineures n’auront pas le même accès gratuit à la contraception dans leur lycée selon que la région s’est engagée ou non en faveur de l’accès des mineurs à la contraception, par l’expérimentation du dispositif Pass’contraception.

M. Jacques Moignard. Les conseils régionaux ne peuvent-ils être impliqués dans ce dispositif afin de permettre un bon accès à ce droit ? L’accès des jeunes filles au Pass’contraception est-il satisfaisant ?

Mme Ségolène Neuville. Le Pass’contraception, qui permet aux jeunes filles d'obtenir gratuitement et dans l'anonymat une contraception dans leur établissement scolaire, fonctionne bien. Les régions ont signé un contrat avec les caisses primaires d’assurance maladie afin de le mettre en oeuvre. Mais il s’agit d’une expérimentation qui n’est pas encore généralisée. À défaut, la jeune fille peut bénéficier des mesures de gratuité de la contraception adoptées en 2013, et la loi du 17 décembre 2012 garantit le secret de la délivrance et de la prise en charge des contraceptifs pour les jeunes filles mineures.

Cela ne dispense cependant pas la jeune fille mineure de devoir communiquer son identité et son âge ni de présenter sa carte Vitale ou son attestation de droits.

Jusqu’à présent, la consultation donnant lieu à la prescription du contraceptif et les éventuels examens complémentaires étaient pris en charge dans les conditions habituelles, et il en était donc fait mention sur le relevé de remboursement de l'assurance maladie. L’instauration du tiers payant est un élément positif.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le Pass’contraception a parfois été instauré par les régions à la suite de longues discussions ; en outre, le coût de la prise en charge de la contraception des jeunes filles n’est pas négligeable, ce qui explique sans doute les délais pour sa mise en œuvre dans chaque région.

La réunion s’achève à 17 heures 35.

Information relative à la Délégation

La Délégation a désigné Mme Catherine Coutelle, co-rapporteure d’information sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380), les autres co-rapporteures, Mmes Brigitte Bourguignon, Edith Gueugneau, Monique Orphé et Barbara Romagnan ayant été désignées par la Délégation le 18 juin 2013.