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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 13 novembre 2013

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380)

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380).

La séance est ouverte à 14 heures.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous poursuivons aujourd’hui notre travail consacré au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, après l’audition hier de la ministre des Droits des femmes et de Mme Lemière, co-auteur du Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine.

Les dispositions relatives à l’égalité professionnelle étaient peu étoffées dans le projet initial du Gouvernement, se concentrant sur la nouvelle prestation d’accueil de l’enfant et sur l’interdiction de soumissionner à un marché public pour une entreprise ne respectant pas ses obligations en matière d’égalité femmes-hommes.

A la suite de l’examen au Sénat, plusieurs articles ont été ajoutés pour enrichir le code du travail sur différents points.

Mme Grésy, vous avez été nommée à la tête du nouveau Conseil supérieur de l’égalité professionnelle il y a un an. Depuis le mois d’avril 2013, le Conseil a vu ses missions étendues par un décret : le champ de ses travaux s’est élargi à l’articulation des temps, aux modes de garde, aux congés familiaux, aux systèmes de représentation dans l’entreprise, au harcèlement sexuel et moral, et à d’autres sujets encore.

Voulez-vous nous dire quelques mots au sujet de ce conseil rénové, puis aborder le projet de loi, car nous attendons votre expertise sur les dispositions qui y figurent et aussi sur celles qui pourraient utilement compléter la loi.

Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle est un organe très ancien, né en 1983 dans le sillage du premier ministère des Droits de la femme confié à Mme Yvette Roudy. Il présente l’originalité d’être paritaire : l’ensemble des partenaires sociaux y sont représentés. Le Conseil supérieur comprend également neuf personnalités qualifiées choisies pour leur expertise dans ce domaine : économistes, juristes, notamment.

Il a eu, pendant longtemps, un double rôle : d’une part, il était obligatoirement consulté avant l’examen de tout texte de loi relatif à l’égalité professionnelle ; d’autre part, il était chargé d’évaluer les politiques publiques relatives à l’égalité professionnelle. D’ailleurs, la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes a confié au Conseil supérieur le soin de réaliser une évaluation à mi-parcours de l’application des dispositions du code du travail relatives aux négociations annuelles sur les mesures de diminution des écarts salariaux et les salaires effectifs. C’est sur la base de ce rapport, qui n’a pas été fait, que des sanctions devaient être prises d’ici la fin de juillet 2010. Au-delà de cette mission particulière que lui a confiée la loi de 2006, la Conseil supérieur a vocation à produire, avec le soutien des services de l’État, un rapport généralement biannuel sur les contrats pour la mixité des emplois et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le rôle de Pôle Emploi et de l’Association pour la formation professionnelle des adultes et plus généralement sur les politiques publiques d’égalité.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, a souhaité rénover le Conseil supérieur, qu’il lui revient, du reste, de présider. Cette évolution est d’ailleurs intervenue parallèlement à celle de l’Observatoire de la parité, devenu le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour donner plus de poids au Conseil supérieur, une fonction d’études et de proposition d’action à destination du Gouvernement lui a été attribuée. Un secrétariat général a été créé au sein du Conseil supérieur afin de mener à bien cette nouvelle mission. Par ailleurs, le champ de compétences de cet organe a effectivement été élargi : au-delà de l’égalité professionnelle, le Conseil supérieur traite aussi de l’éducation, de l’orientation professionnelle, ou encore de l’articulation des temps de vie.

J’attire votre attention sur les moyens alloués au secrétariat général. Ceux-ci reposent exclusivement aujourd’hui sur les moyens propres au Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE). Le fonctionnement du secrétariat général est aujourd’hui quelque peu affecté par les modes d’action de l’administration publique et l’absence de principe hiérarchique entre le secrétaire général et le service en question. Cependant, un ou une chargé (e) de mission devrait bientôt être recruté (e) pour travailler à temps plein, au sein du secrétariat général, sur la question des classifications professionnelles. Pour le reste, le secrétariat général se résume, depuis un an, à sa secrétaire générale, sauf pour l’organisation des réunions du Conseil supérieur et le compte-rendu des travaux, effectué par le SDFE. Le travail d’innovation intellectuelle qui est aujourd’hui demandé au Conseil supérieur se nourrirait d’échanges plus collectifs, ce que la conception administrative actuelle ne permet pas.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Combien le Conseil supérieur compte-t-il de membres ?

Mme Brigitte Grésy. Le Conseil supérieur compte un peu moins de 40 membres : 9 représentants de l’administration, 9 représentant les employeurs (notamment le Mouvement des entreprises de France – Medef), l’AFEP, la CGPME, l’UPA, 9 représentants des salariés (la Confédération générale du travail (CGT), la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Force Ouvrière (FO), et 9 personnalités qualifiées. Toutes les organisations syndicales et patronales représentatives participent au Conseil supérieur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation considère la question des emplois à temps partiel comme cruciale pour lutter contre la précarisation de la situation des femmes. La loi sur la sécurisation de l’emploi marque un progrès mais comment aller plus loin ? Quels sont vos travaux à ce sujet ? Comment dissuader les employeurs de recourir de manière trop importante au temps partiel, dont on sait qu’il concerne majoritairement les femmes ?

Nous considérons aussi qu’il est nécessaire de réviser les classifications des emplois et en conséquence des salaires pour revaloriser les emplois à dominante féminine.

Vos travaux ont-ils porté sur les solutions qui pourraient être imaginées avec les entreprises pour développer l’accueil des jeunes enfants ? De même, comment aborderez-vous la réflexion sur une meilleure articulation des temps professionnel et personnel ?

Par ailleurs, la composition du conseil observe-t-elle aussi une parité entre hommes et femmes ?

Mme Brigitte Grésy. Le Conseil supérieur n’est pas paritaire sur le plan des sexes : il comporte plus de femmes que d’hommes, car, dans les organisations syndicales, ce sont plus souvent des femmes qui s’occupent des questions d’égalité professionnelle.

Le Conseil supérieur s’est emparé de plusieurs sujets au titre de cette troisième mission, qui sont en rapport avec le projet de loi. Tout d’abord, en ce qui concerne les classifications professionnelles, l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 relatif à la qualité de vie au travail (QVT) a formulé la proposition d’un groupe de travail paritaire pour travailler sur les classifications. La conférence sociale de 2012 avait par ailleurs acté que le Conseil supérieur créerait un groupe de travail sur le même sujet. Il en ressort que les partenaires sociaux se sont engagés à aboutir à un accord méthodologique début 2014.

Le Conseil supérieur aurait pour tâche de relayer cet accord méthodologique. Il pourrait d’abord travailler selon une approche par métiers, en identifiant, avec l’aide des partenaires sociaux, de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques et de la Direction générale du travail du ministère du Travail, les métiers les plus touchés par l’inégale valorisation des compétences et des savoir-faire masculins et féminins. Par la suite, nous pourrions adopter une approche par branche, en gardant à l’esprit que le Medef, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union professionnelle de l’artisanat (UPA) ont clairement indiqué que la négociation sur les classifications relevait de la branche et de la seule compétence des partenaires sociaux. Nous allons donc travailler dans la seule perspective d’être des adjuvants en termes de méthode et de pratiques repérées pour les négociateurs de branche, afin que ces organisations n’aient pas le sentiment que le Conseil supérieur outrepasse ses compétences.

La question des classifications est cruciale et bouleverse l’approche des compétences, car toute une série de compétences, qu’elles soient organisationnelles, temporelles ou émotionnelles, sont insuffisamment prises en compte. De plus, certaines d’entre elles ne se voient que lorsque le travail est mal fait. Il s’agit là de savoir-faire discrets. L’exemple le plus frappant est celui des panseuses des blocs opératoires qui, de prime abord, ne font que tendre les instruments chirurgicaux, mais qui anticipent les gestes des chirurgiens grâce à une connaissance très fine du processus opératoire pour donner aux chirurgiens, avant même qu’ils ne le demandent, la pince ou le pansement qui convient. Pourvoyeuses d’instruments, ces panseuses ont aussi une sorte de fonction de « contrôle qualité » d’un homme travaillant seul ou en équipe.

Toutes ces compétences sont essentielles et trouvent leur pleine orchestration dans la notion de pénibilité au travail qui ne se rencontre pas seulement dans le secteur de l’industrie lourde, mais consiste aussi à répondre à l’agression lors du contact avec le public et à conserver son calme dans des situations de stress. Ces compétences, parce qu’associées à des qualités dites féminines et donc « naturalisées », ne sont pas valorisées et font l’objet de nombreux stéréotypes.

La question des classifications est l’une des priorités du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle qui salue le fait que le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale prenne en compte les enjeux liés aux classifications.

Le deuxième axe de travail du Conseil supérieur concerne le sexisme au travail. Le Conseil a engagé avec neuf grandes entreprises une étude sur les relations de travail entre les hommes et les femmes. Cette étude, menée par l’Institut LH2, en partenariat avec le Conseil, qui a établi les questionnaires, porte sur la vie quotidienne des salariés : travail en groupe, travail de management, évaluation, etc. Un certain nombre de questions devrait permettre de déterminer si le sexisme est perçu et quel est l’impact des comportements sexistes sur le bien-être au travail, mais aussi sur l’investissement des salariés dans l’entreprise. Les premiers résultats de cette étude devraient être connus autour du 15 décembre prochain.

Il s’agit d’une nouvelle approche des risques psycho-sociaux au travail, qui concerne moins l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 relatif à la qualité de vie au travail (« accord QVT ») que l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 mars 2010 relatif à la prévention de la violence et du harcèlement au travail et également l’ANI relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle du 1er mars 2004 qui mentionnait le mot « sexisme », mais qui n’a jamais été suivi d’études. Le sexisme reste tabou. Cette enquête devrait permettre d’y voir plus clair.

Le troisième axe de travail du Conseil supérieur concerne la méthodologie des accords sur l’égalité professionnelle et sur les rapports de situation comparée. Désormais, un certain nombre d’indicateurs (trois ou quatre) sont obligatoires, dont celui relatif aux rémunérations, et ce sous peine de sanctions. Il convient d’établir de bonnes pratiques en matière d’accords sur l’égalité professionnelle pour définir ce qu’est un « bon accord » dans une petite ou moyenne entreprise, dans le secteur industriel ou dans le secteur tertiaire.

Outre ces trois chantiers prioritaires, le Conseil supérieur a défini un quatrième axe de travail concernant la question du temps partiel au regard des indemnités journalières maladie. Sur cette question, nous devrions avoir un retour de la Direction de la sécurité sociale en décembre prochain.

Le cinquième axe de travail concerne les professions libérales.

Le Gouvernement travaille par ailleurs sur les enjeux liés à la mixité des emplois.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Au sujet de la négociation annuelle relative à l’égalité professionnelle, il me semble que nos aspirations sont quelque peu contradictoires. On aimerait en étoffer le contenu tout en la rendant plus simple. Auriez-vous des propositions pour rendre cette négociation à la fois plus simple et plus efficace de façon à ce que les entreprises s’en emparent ?

De mon côté, j’aimerais que les rapports de situation comparée (RSC) conformes aux obligations d’égalité ou les plans unilatéraux, à défaut d’accord, qui sont aujourd’hui adressés à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), soient à l’avenir publiés et accessibles auprès du ministère du Travail ou auprès du ministère des Droits des femmes.

Mme Brigitte Grésy. Une des recommandations qui était au cœur du rapport sur l’égalité professionnelle que j’ai remis en juillet 2009 au ministre du Travail en vue de la préparation de la concertation avec les partenaires sociaux, consistait en une clarification administrative rendue nécessaire par la sédimentation des textes issus de la loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (dite « loi Génisson ») et de la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

La loi du 9 mai 2001 créait une obligation de négocier spécifiquement sur les questions d’égalité professionnelle tous les ans, ou, si un accord devenait effectif, tous les trois ans. Mais en pratique, cette négociation spécifique sur l’égalité professionnelle n’était pas menée. À l’époque, à peine 7 % des entreprises dotées d’un délégué syndical avaient négocié un accord sur l’égalité professionnelle.

La loi du 23 mars 2006 a donc intégré les enjeux liés à l’égalité professionnelle dans la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires, qui, elle, est attendue et incontournable. L’absence d’accord intégré dans la NAO fait alors l’objet de sanctions administratives. Au niveau des entreprises, si aucun accord sur l’égalité professionnelle n’est conclu, l’accord n’est pas enregistré, et est donc inopposable aux tiers. Au niveau des branches, si l’égalité professionnelle n’est pas intégrée dans les accords de branche, ces accords ne peuvent faire l’objet d’une extension.

Cependant ces sanctions n’ont guère été appliquées. La plupart des accords de branche ont été étendus, quoiqu’assortis de réserves. À ma connaissance, aucun accord d’entreprise omettant l’égalité professionnelle n’a subi de refus d’enregistrement.

Il est par ailleurs difficile d’identifier dans les bases de données de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de la Direction générale du travail (DGT) les accords spécifiques sur l’égalité professionnelle et les accords intégrés dans la NAO.

En l’état du droit, il existe désormais des indicateurs devant être obligatoirement renseignés, sous peine de sanctions financières, ce qui est une très bonne chose.

Mais on a un temps ignoré si l’accord ou le plan unilatéral de l’employeur dont il est fait état dans la loi sur les retraites et dans son décret d’application devait s’entendre de l’accord spécifique sur l’égalité professionnelle ou de l’accord sur l’égalité professionnelle intégré à la NAO.

On est donc revenu, au cours des débats sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, aux accords spécifiques sur l’égalité professionnelle en y introduisant un indicateur obligatoire sur les écarts de rémunérations. Les négociations de ces accords devront être menées tous les ans, ou, en cas d’accord, tous les trois ans. En l’absence d’accord ou de plan unilatéral de l’employeur, les enjeux liés aux écarts de rémunération devront être négociés dans le cadre de la NAO.

Par ailleurs, non seulement l’accord sur l’égalité professionnelle, mais aussi le plan unilatéral de l’employeur devront être déposés à la DIRECCTE, ce qui permet à l’Inspection du travail de faire une analyse sur pièces avant de se rendre sur place pour étudier le contenu de l’accord d’un point de vue qualitatif (quels sont les indicateurs retenus ? sont-ils pertinents ? les indicateurs de progression et d’objectif ont-ils été atteints ?)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le projet de loi que nous examinons prend-il complètement en compte les décisions de l’ANI de 2013 au sujet du besoin de simplification des dispositions du code du travail sur les diverses négociations sur l’égalité professionnelle et salariale ?

Mme Brigitte Grésy. Il me semble que la version du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes adoptée par le Sénat prend en compte l’imbrication des deux articles du code du travail (articles L.2242-5 et L. 2242-7) comme demandé dans l’ANI.

Par ailleurs, pour renforcer l’égalité salariale, il faut accroître la transparence et la lisibilité des outils des rapports de situation comparée (RSC). Aujourd’hui, les RSC sont très complexes, comportent des données en valeur absolue, et pas en ratios, et sont dépourvus de nuages de points permettant de voir où se situent les salariés en termes de catégories professionnelles. Il s’agirait d’enrichir les RSC pour mieux les lire.

Les RSC sont lacunaires sur la prise en compte des taux de promotion des femmes. Ce point a été partiellement satisfait lors de l’examen du projet de loi au Sénat, par l’adoption d’un amendement prévoyant la prise en compte de ces taux de promotion par catégorie professionnelle. Toutefois, il faudrait également prendre en compte ces taux de promotion par âge et par qualification de façon à mieux prendre en compte l’ensemble de la carrière des femmes. Il faudrait en conséquence compléter le 3° des articles L. 2323-47 et L. 2323-57 du code du travail.

Il faudrait en outre renforcer la capacité d’expertise du comité d’entreprise en lui permettant de demander une expertise en cas de non-présentation du rapport de situation comparée ou du plan unique. Le comité d’entreprise pourrait alors recourir à un expert technique en vue d’établir ce document et de réaliser un audit et un accompagnement. Cette mesure pourrait être introduite à l’article L. 2325-38-1 du code du travail, mais elle aurait un coût.

En matière d’égalité salariale, certains souhaiteraient étendre à tous les congés familiaux les dispositions applicables au congé de maternité depuis la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, qui prévoit qu’à défaut d’accord de branche ou d’entreprise, la salariée bénéficie à son retour de congé de maternité d’une augmentation de salaire égale à la moyenne des augmentations générales et individuelles dans l’entreprise. Je ne suis pas favorable à une telle évolution. Cette disposition est pleinement justifiée pour les congés de maternité qui sont courts mais qui, dans les faits, entraînent une différence de 10 % dans la rémunération et qui ont les mêmes conséquences en termes de salaire que deux ans d’interruption de carrière.

Si elle devait être étendue aux congés familiaux, cette disposition pourrait avoir pour effet d’encourager les interruptions de carrière, ce qui n’est pas souhaitable. Il faut en effet favoriser la poursuite d’une activité professionnelle, à temps plein ou à temps partiel, ce qui évite aux femmes d’être pénalisées en matière de retraite. Le travail des femmes ne doit en aucun cas devenir une variable d’ajustement ; ce sont au contraire les modes de garde, l’organisation du travail dans les entreprises qui doivent favoriser la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. C’est à l’entreprise aussi de s’adapter à la parentalité.

Mme Cécile Untermaier. Compte tenu des difficultés rencontrées dans les entreprises, en particulier dans les plus petites d’entre elles, pour faire émerger la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, serait-il envisageable de prévoir la désignation obligatoire d’un référent qui serait chargé de cette problématique ?

Mme Brigitte Grésy. Des délégués à la diversité ou à l’égalité sont désignés dans les grandes entreprises ; ils ont pour mission d’élaborer les accords. En revanche, dans les petites entreprises, il n’existe pas de pratique similaire. Les entreprises de moins de cinquante salariés doivent uniquement respecter l’objectif d’égalité professionnelle sans que des contraintes soient posées. Votre idée de désigner un délégué dans chaque entreprise est intéressante mais celui-ci risque d’être stigmatisé, particulièrement dans les PME qui ne sont pas « formées » à l’égalité professionnelle hommes-femmes. De façon générale, celle-ci n’est pas perçue comme un facteur positif par les entreprises. Dans les PME, le congé de maternité est même souvent perçu de façon très négative. Le délégué qui serait désigné dans chaque entreprise ne disposerait pas de beaucoup de pouvoir, ce qui pourrait s’avérer frustrant, mais il peut s’agir d’un moyen d’ancrer l’objectif d’égalité dans les PME. De plus, les partenaires sociaux ont cette mission. Par ailleurs, il n’est pas certain que cette mesure relève de la loi. 

Mme Cécile Untermaier. En plaidant pour l’objectif d’égalité, les délégués qui seraient désignés pourraient contribuer à faire évoluer les mentalités au sein de l’entreprise.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le rapport de situation comparée concerne les entreprises de plus de 50 salariés or 90 % des entreprises sont des très petites entreprises ou des PME.

Mme Brigitte Grésy. Dans le cadre d’une expérimentation en cours, un rapport unique est établi à partir des données des déclarations annuelles des données sociales (DADS) générées par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai interrogé la ministre des Droits des femmes sur les premiers résultats de l’expérimentation en matière d’égalité professionnelle qu’elle a décidé de mener dans neuf régions, dont le Poitou-Charentes. Dans le cadre de cette expérimentation, des initiatives pourraient être prises pour sensibiliser l’ensemble des entreprises aux enjeux de l’égalité professionnelle et faire évoluer les contextes.

Mme Brigitte Grésy. Une synthèse très complète a été réalisée par le Service des droits des femmes et de l’égalité, dans laquelle vous devriez trouver des informations sur la région Poitou-Charentes. Ce document traite de différentes orientations d’action en faveur de l’égalité, notamment de l’accompagnement à la conclusion d’accords, et inclut des travaux sur la sous-traitance entre grands groupes et PME.

S’agissant des propositions d’amendements au projet de loi, je pense qu’il serait souhaitable de renforcer la logique de « mainstreaming » dans la négociation des accords, au-delà des accords relatifs à l’égalité professionnelle stricto sensu. La loi du 9 août 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a imposé la prise en compte de l’objectif d’égalité dans toutes les négociations de branches et d’entreprises. Il conviendrait de prévoir que toutes ces négociations – qui peuvent concerner la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), les travailleurs handicapés, la gestion de la formation et de l’apprentissage, l’épargne salariale, la prévoyance maladie, l’intéressement – incluent non seulement l’objectif d’égalité professionnelle mais aussi les mesures pour atteindre cet objectif. Cette idée a été intégrée s’agissant des accords sur la classification, elle devrait l’être également pour l’ensemble des accords.

Il serait d’autre part souhaitable de prévoir que les branches fournissent un rapport annuel à la commission nationale de la négociation collective (CNNC) et au CSEP sur la révision des classifications, portant sur l’analyse des négociations réalisées et sur les bonnes pratiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut veiller à éviter d’alourdir la charge des entreprises en faisant peser sur elles de nouvelles obligations.

Mme Brigitte Grésy. Ces rapports seraient établis au niveau des branches et non des entreprises.

Je souhaite aborder maintenant la question de la formation professionnelle.

Il conviendrait de permettre le financement par les crédits de la formation professionnelle des actions de promotion de la mixité dans les métiers de l’entreprise car ces actions ne bénéficient pas actuellement d’un financement suffisant, tandis que les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) disposent de moyens financiers importants.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un projet de loi sur la formation professionnelle est actuellement en préparation mais je ne dispose pas d’informations sur le calendrier de son examen. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) serait-elle impliquée dans les actions que vous proposez ? Il convient de se méfier des « vendeurs » de mixité qui vendent en fait la complémentarité, ce que l’on doit éviter absolument. Un système d’agrément est-il envisageable pour disposer de garanties quant à la compétence de ces organismes ?

Mme Brigitte Grésy. Il y a en effet un problème s’agissant de la compétence des organismes de formation. Un agrément ou un label seraient souhaitables. Pour la formation dispensée dans les entreprises, un cursus de formation devrait être défini, composé de modules obligatoires et incluant la définition des discriminations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’accès au financement des organismes de formation serait donc subordonné au respect de certaines garanties.

Mme Brigitte Grésy. Il conviendrait également de prévoir un système d’évaluation des organismes par les entreprises, qui serait centralisé par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

Dans un autre domaine, je considère qu’il faudrait renforcer l’approche par genres dans le document d’évaluation des risques psycho-sociaux. Les enquêtes Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (SUMER) et les enquêtes sur les conditions de travail comportent trop peu de données sexuées sur les risques psycho-sociaux, comme l’a souligné le récent rapport de Mme Sophie Ponthieux sur l’information statistique sexuée dans la statistique publique.

Le développement systématique des statistiques sexuées dans le cadre du document d’évaluation des risques psycho-sociaux pourrait nécessiter l’adoption d’un texte de nature législative, compte tenu des enjeux qu’elles comportent au regard des libertés fondamentales. L’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) commence à travailler sur ce sujet.

Il faudrait en outre renforcer la protection liée au congé maternité pour les professions libérales. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes comporte de nombreuses avancées pour les professionnels libéraux en ce qui concerne le congé maternité. Cependant, l’article 4 du projet de loi ne fait référence qu’au contrat de collaboration libérale. Quid de tous les autres contrats susceptibles d’être passés dans le cadre de l’exercice de professions libérales, et notamment dans les professions médicales ? La jurisprudence, de la cour d’appel de Paris notamment, estime que, dans la mesure où les conditions de rupture d’un contrat conclu pour l’exercice d’une profession libérale sont soumises à des clauses dérogatoires au droit commun, les dispositions favorables liées à la prohibition des discriminations peuvent ne pas être appliquées s’agissant de la rupture de ce contrat.

La modification prévue par le projet de loi ne permettra pas de garantir l’applicabilité effective du principe de non-discrimination à la rupture du contrat de collaboration libérale. Il faudrait donc modifier la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises pour préciser que les articles 1 à 4 et 7 à 10 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, s’appliquent à tous les types de contrat d’exercice libéral, y compris à la rupture de ces derniers. Cela permettrait de consolider les droits des salariés en exercice libéral et d’éviter une discrimination liée à la grossesse et à la rupture unilatérale du contrat par l’employeur.

Mme Cécile Untermaier. Le dispositif prévu par le projet de loi va-t-il suffire à éliminer la difficulté majeure liée au fait que les femmes rompent leur contrat avant le congé maternité ou craignent un retour difficile après le congé maternité ?

Mme Brigitte Grésy. La question du retour de congé maternité est souvent dramatique pour l’ensemble des femmes. Dans le cadre des contrats de travail de droit commun et dans la fonction publique, les femmes sont particulièrement protégées. Dans les professions libérales, il arrive que l’employeur organise une rupture du contrat pendant ou juste après la grossesse. En l’état, les dispositions du projet de loi suffisent. Il faut se concentrer sur la question de la rupture du contrat d’exercice libéral.

Le « délit de maternité » et les difficultés liées au retour du congé maternité doivent être intégrés parmi les éléments des systèmes de représentation dans les entreprises contre lesquels il faut lutter.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il existe en effet dans les entreprises une véritable augmentation de la discrimination liée au « délit de grossesse ». J’ai connu des femmes qui ont démissionné, sans réclamer la moindre indemnité, dès lors qu’on leur a fait comprendre, non sans pressions, que la grossesse n’était pas bien vue.

Mme Brigitte Grésy. S’agissant des institutions représentatives du personnel, aucune mesure nouvelle n’a été adoptée depuis la loi de 2001, qui prévoit que dans le protocole d’accord préélectoral, une représentation équilibrée des hommes et des femmes est assurée, tant pour les délégués du personnel que pour le comité d’entreprise. La mise en œuvre de cette disposition n’est pas satisfaisante. Dans le rapport de l’IGAS de 2009, j’avais proposé que dans les entreprises de plus de 300 salariés, la représentation équilibrée des hommes et des femmes par rapport à leur poids dans le corps électoral soit obligatoire, avec alternance stricte.

La proportion de femmes dans les conseils de prud’hommes n’est que de 28 %. Les actions possibles peuvent se faire à l’échelon national ou à l’échelon local. A l’échelon local, il existe 2 500 taux de référence, ce qui est trop complexe. À l’échelon national, on peut en avoir deux ou dix. Ces éléments sont développés dans mon rapport de 2009. Le Sénat avait proposé d’imposer la parité mais c’est impossible. Il convient de réduire d’un tiers l’écart entre les femmes candidates et leur poids dans le collège électoral puis de faire une évaluation stricte de cette mesure, ce qui implique de mener un travail sur les systèmes de remontées de données.

Le ministère des Droits des femmes mène une réflexion sur les « class actions ». Une mission a été confiée à une conseillère de la Cour de cassation, Mme Pécaud-Rivolier. Ses conclusions devraient être connues mi-décembre ; vous en disposerez donc lors de la discussion du projet de loi. La « class action » à l’anglo-saxonne n’est pas envisageable car elle démobiliserait les syndicats mais il serait possible d’élargir les missions des conseils de prud’hommes par un renforcement des prérogatives dans la phase de mise en état du dossier et une amélioration de la procédure. Il faut renforcer le contentieux de la discrimination individuelle car on constate que les femmes, tant qu’elles sont dans l’entreprise, ne peuvent mener des actions. Lorsqu’elles le font, c’est qu’elles ont été licenciées. La substitution syndicale prévue par le code du travail ne fonctionne pas.

Le dernier point que je souhaite aborder est le congé parental. Les dispositions du projet de loi sont satisfaisantes à condition qu’elles s’accompagnent de créations de places en crèche, d’autant que les 75 000 postes supplémentaires prévus dans l’Éducation nationale ne parviendront pas à combler les 120 000 places disparues depuis dix ans.

Par ailleurs, iIl serait souhaitable d’aligner la durée du congé parental d’éducation sur celle du complément de libre choix d’activité (CLCA) en cas de naissances multiples à partir de triplés, ce qui la porterait à six ans maximum.

Deux chantiers essentiels ne pourront à mon avis pas être traités dans le projet de loi. Il s’agit tout d’abord du congé de paternité, qui concerne tous les pères, alors que le congé parental concerne 30 % des femmes et doit être strictement délimité car sinon l’effet des interruptions de carrière est négatif pour les femmes. Dans le rapport de l’IGAS de 2011 sur l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités familiales et professionnelles, j’avais proposé un congé d’accueil de l’enfant d’une durée d’un mois pour le père et d’un mois pour la mère, le mois pour le père tombant s’il n’était pas pris. Il faut en effet promouvoir la notion de « négociation conjugale » et de « parité parentale » et opérer une distinction entre le congé de maternité centré sur la santé des femmes, qui ne concerne que les femmes, et un congé de coresponsabilité parentale concernant les hommes et les femmes. Il ne me semble pas utile d’attribuer un caractère obligatoire à ce nouveau congé car beaucoup de pères prennent actuellement un congé de paternité : 70 %, même si ce taux varie de 29 % pour les indépendants à 85 % pour le secteur public. Si 70 % des pères prenaient un congé d’accueil de l’enfant d’un mois, le coût supplémentaire serait de 250 millions d’euros.

Le deuxième chantier est celui de la parentalité tout au long de la vie ou de la gestion prévisionnelle des temps de vie (GPTV). Il s’agit d’un enjeu fondamental d’équilibre des temps de vie au travail, qui n’est pas seulement un objectif d’équité mais aussi un objectif de performance.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je partage vos préoccupations. Le stress au travail se répercute sur la vie familiale et personnelle, ainsi que sur le rendement des entreprises. La possibilité de disposer de services ainsi que l’adaptation des rythmes de travail peuvent permettre de lutter contre ce phénomène de stress préjudiciable.

Mme Brigitte Grésy. Il faudrait créer un droit individuel à la parentalité, c’est-à-dire une garantie portable.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous vous auditionnerons avec plaisir et beaucoup d’intérêt sur cette question en particulier. Je vous remercie pour votre travail et votre action. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle est un lieu d’échanges pour les partenaires sociaux, qui permet de réels progrès dans tous ces dossiers si importants pour les femmes.

La séance est levée à 15 heures.