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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 20 novembre 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition des organisations syndicales représentatives des salariés, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380).

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition des organisations syndicales représentatives des salariés, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380) :

● Pour la CGC : Mme Chantal Guiolet, déléguée nationale au secteur emploi formation et chargée de l’égalité professionnelle ;

● Pour la CGT : Mmes Sophie Binet, membre du bureau confédéral, Céline Verzeletti, membre de la commission exécutive confédérale, et Ghislaine Hoareau, conseillère confédérale, secteur juridique ;

● Pour FO : Mmes Anne Baltazar, secrétaire confédérale, et Claire Le Pen, assistante confédérale ;

● Pour la CFDT : Mme Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale en charge de l’égalité professionnelle.

La séance est ouverte à 16 heures 55.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation. La Délégation aux droits des femmes s’est saisie du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, déjà adopté par le Sénat, qui devrait être examiné en janvier prochain en séance publique à l’Assemblée nationale.

La Délégation doit présenter un rapport, dont Mme Barbara Romagnan, ici présente, est co-rapporteure pour le volet « égalité professionnelle. Dans ce domaine, un accord national interprofessionnel (ANI) a été élaboré le 19 juin 2013, portant sur la qualité de vie au travail et à l’égalité professionnelle.

Vous nous direz, Mesdames, si votre organisation a signé cet accord, ce que vous en pensez et comment vous envisagez son application.

Vous nous ferez part de votre analyse des dispositions du projet de loi traitant de l’égalité professionnelle, ainsi que de vos suggestions sur la façon de supprimer l’écart entre les salaires des hommes et ceux des femmes.

Comment réduire le recours des entreprises au temps partiel ?

Nous avons examiné les conclusions du guide du Défenseur des droits intitulé « Un salaire égal pour un travail de valeur égale » : il est clair que les grilles de classification des emplois doivent évoluer. Quelle démarche proposez-vous pour cela ?

Enfin, comment améliorer la qualité des négociations sur l’égalité professionnelle ? Il faut souligner que, suite au second décret d’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010, un certain nombre d’entreprises, compris entre 300 et 400, ont été sanctionnées pour non-respect de l’égalité professionnelle.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale à FO. Le syndicat Force ouvrière n’a pas signé l’accord sur la qualité de vie au travail car nous considérons qu’il doit aller beaucoup plus loin en matière d’égalité professionnelle. En revanche, le projet de loi, amélioré par les amendements du Gouvernement, lors de l’examen au Sénat, nous donne satisfaction.

Nous n’avons pas signé l’accord national également parce qu’il prévoit de fusionner les branches et les entreprises lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour l’ensemble des sujets abordés – handicap, égalité, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), temps de travail – à l’exception des salaires. Jugeant inquiétant ce choc de simplification souhaité par les organisations patronales, nous n’avons pas voulu nous engager dans cette voie.

Une autre raison nous a conduits à ne pas signer cet accord : il s’agit de l’éventuelle remise en cause des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

J’en viens à la façon dont nous percevons le projet de loi. Dans l’ensemble, il nous paraît positif. Il n’était pas nécessaire d’aller plus loin car notre arsenal législatif et réglementaire est déjà copieux.

Nous regrettons toutefois que l’article 1er, qui constitue le socle de la loi, ne cite pas l’égalité salariale parmi les politiques qu’il convient de mener en faveur de l’égalité professionnelle.

Au cours de la négociation, les représentants du patronat se sont dits favorables à l’allégement, voire à la suppression de la sanction financière qui avait été renforcée par le décret de 2012. Nous tenons absolument à préserver cette sanction et à maintenir le rapport de situation comparée (RSC), ce que fait le projet de loi en l’étendant à l’ensemble des entreprises, à l’exception, naturellement, de celles de moins de 50 salariés.

L’article 2 C instaure une nouvelle approche de la négociation à laquelle nous sommes très sensibles ; nos syndicats ont d’ailleurs contribué à la rédaction du Guide du Défenseur des droits. Certes, ce texte, qui prévoit la déconstruction et la reconstruction des grilles, nécessitera de sensibiliser, de former et d’accompagner les négociateurs, en particulier les syndicats patronaux car actuellement, les entreprises valorisent les emplois par rapport à leur valeur ajoutée dans leurs résultats financiers.

Le Guide du Défenseur des droits préconise au contraire de déterminer des critères qui tiennent compte des compétences mobilisées par le salarié. Cette approche est fondamentale si nous voulons supprimer les éléments discriminants qui se cachent dans les grilles de classification et détecter des compétences ignorées et « sous-valorisées », qui sont souvent l’apanage des emplois féminins – mais aussi, à l’inverse, les compétences survalorisées.

Le projet de loi pose ce principe avec force et nous nous en félicitons.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La renégociation des grilles de classification tous les cinq ans est-elle propre à chaque branche ?

Mme Anne Baltazar. Tout à fait.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous ne pourrons donc pas suivre ces négociations et poser des contraintes. Les représentants des salariés sont-ils disposés à adopter cette approche ?

Mme Anne Baltazar. C’est une question complexe. Les négociateurs ne sont pas tous sensibilisés à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et le contexte est difficile. Les choses évolueront lentement. Nous engagerons de nouvelles actions de sensibilisation, en collaboration avec le Défenseur des droits, nous organiserons des formations et nous collaborerons avec les représentants de l’organisation qui siègent à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC). Enfin, nous tiendrons compte de la réflexion engagée par la ministre des Droits des femmes, avec l’appui du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle.

Le groupe mis en place par la ministre a été fragilisé car les représentants du patronat se sont montrés fermés à cette approche d’égalité entre les femmes et les hommes et n’ont pas souhaité engager la réforme des classifications. Pourtant, l’ANI sur la qualité de vie au travail évoque la mise en place d’un groupe de travail sur cette question.

L’article 2 E du projet de loi reprend en quelque sorte l’article 4 de l’accord, mais en regroupant tous les sujets dans le cadre de la négociation collective en entreprise en faveur de l’égalité professionnelle – jusqu’à présent, la partie salariale figurait dans la NAO sur les salaires. C’est une évolution positive. L’article renforce le rapport de situation comparée (RSC) en prévoyant l’utilisation des indicateurs de la base de donnée unique. Nous ne voulions pas que les négociateurs soient obligés de rechercher dans cette base les données qui les intéressent et de les analyser car, selon nous, c’est à l’employeur de fournir aux négociateurs les éléments pertinents et de les analyser.

L’accord sur la qualité de vie au travail n’a pas traité la question du temps partiel, considérant qu’elle l’avait été dans l’ANI du 11 janvier. Nous jugeons satisfaisante l’instauration d’une durée minimale de 24 heures hebdomadaires, mais celle-ci peut faire l’objet de dérogations et nous le regrettons.

L’accord ne traite pas de tous les sujets. C’est le cas des indemnités journalières, de la protection sociale, du logement, des transports et des interruptions de travail. Ces chantiers restent ouverts.

Parmi les actions du Gouvernement, on peut relever la Conférence de progrès sur le temps partiel, avec les partenaires sociaux des secteurs de la propreté, du commerce et de la distribution, et celle qui se tiendra début 2014 sur le secteur des services à la personne. Il s’agit de secteurs très féminisés puisque 90 % de leurs salariés sont des femmes, dont la plupart occupent des temps partiels.

Mme Sophie Binet, membre du bureau confédéral de la CGT. La question de l’égalité professionnelle fait l’objet d’un certain nombre de textes législatifs et réglementaires, mais aujourd’hui nous nous devons d’analyser la raison de l’écart salarial de 27 % qui existe entre les hommes et les femmes et de choisir le levier d’action le plus pertinent.

Pour nous, à la CGT, cet écart vient du fait que nous n’avons pas actionné tous les leviers nécessaires et que nous ne nous sommes jamais donné les moyens d’appliquer les obligations du code du travail.

Nous pouvons agir sur les inégalités à différents niveaux : le temps partiel, les classifications, les carrières. Pour cela il ne faut pas seulement considérer l’instant t mais l’ensemble de la carrière professionnelle car c’est tout au long de celle-ci que les écarts se creusent. Or, les outils nous manquent pour mesurer la discrimination tout au long d’une carrière. Il faut également mettre fin à la discrimination pure.

Nous sommes confrontés au blocage opéré par le patronat et à la faiblesse de la négociation collective. S’agissant des grilles de classification, le blocage a lieu lors de la négociation au sein des branches sur les salaires, et plus encore sur les inégalités entre les hommes et les femmes. Comme vous le savez, les grilles de classification doivent être revues tous les cinq ans. Or, le bilan annuel de négociation de 2012 montre que seulement 60 branches sur 700 les ont revues, ce qui correspond, sur cinq ans, à 300 branches. Cela signifie que plus de la moitié des branches ne l’ont pas fait. En outre, sur les 60 branches qui ont revu leur classification, cinq seulement ont entrepris une refonte complète, les autres se contentant d’ajustements à la marge. Une seule branche, l’industrie du pétrole, a révisé sa grille de classification en intégrant le genre et l’égalité femmes-hommes.

La faiblesse de la négociation collective apparaît également dans l’accord sur la qualité de vie au travail et c’est la raison pour laquelle nous ne l’avons pas signé. L’intitulé même de la négociation, « qualité de vie au travail », et non « égalité entre les femmes et les hommes » a fait débat au sein de nos organisations et nous avons eu beaucoup de mal à intégrer ce thème dans la négociation. Dans ces conditions, l’accord de référence reste pour nous l’ANI de 2004, que tous nos syndicats ont signés. Or cet accord n’est pas encore entré dans les faits.

La faiblesse de la négociation existe également dans les entreprises, comme en témoignent ces chiffres : 12 % des accords d’entreprise intègrent la question de l’égalité femmes-hommes et 14 % des accords de branche abordent le thème de l’égalité professionnelle, dont 1,5 % seulement sont des accords spécifiques.

Nous apprécions les évolutions apportées par le Sénat au projet de loi, mais nous comptons sur vous pour aller encore plus loin en acceptant les dix propositions que nous allons vous transmettre et dont je vous cite les plus importantes.

En ce qui concerne les classifications, nous proposons de fixer une date limite au-delà de laquelle les branches et les entreprises devront avoir supprimé les écarts de rémunération. Cette date limite a été mise en place par la loi qu’a fait voter Mme Nicole Ameline en 2006, avant d’être supprimée par la réforme des retraites de 2010. Le décret de décembre 2012 instaure la possibilité de sanctions. Cela nous semble intéressant mais tout à fait insuffisant car l’accord de situation comparé, comme le plan d’action, reposent sur une déclaration d’intention et non sur une obligation de résultats. En outre, l’accord n’est pas suffisamment renforcé par rapport au plan d’action unilatéral que lui préfèrent de nombreuses entreprises.

J’en viens à la méthode d’évaluation. Nous avons pris pour référence les travaux du Défenseur des droits, mais le patronat refuse d’en reconnaître la pertinence. La Conférence sociale de 2012 a chargé le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) de définir une méthode d’évaluation en lien avec les travaux du Défenseur des droits. Mais le MEDEF, prétextant qu’il s’agit là d’un obstacle au paritarisme, exige que tout se passe au sein du groupe de travail paritaire prévu dans l’accord sur la qualité de vie au travail – mais toutes les organisations syndicales n’y participent pas. Nous acceptons de travailler avec le groupe de travail paritaire lorsqu’il se réunira et nous préconisons de fixer une date limite à ses travaux, qui pourrait se situer en janvier ou février 2014.

S’agissant de la négociation au sein des branches, il est bon de fixer des obligations, mais si elles ne sont pas respectées, nous ne pouvons rien faire. C’est pourquoi nous souhaitons que soient mises en place des sanctions. Pourquoi, par exemple, ne pas supprimer les exonérations de cotisations sociales, de type Fillon ou crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), dans les branches qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière de négociations salariales, notamment sur le plan de l’égalité femmes-hommes, et obliger les entreprises à supprimer les écarts de rémunération avant une date limite, qui pourrait être le 31 décembre ?

Par ailleurs, plus de 50 % des entreprises de plus de 300 salariés n’ont pas établi de RSC. Dans ces conditions, elles peuvent difficilement mettre en place un accord ou un plan d’action. Il serait intéressant que la sanction prévue pour les entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité salariale, à savoir une pénalité de 1 % de leur masse salariale, soit liée non seulement à l’accord et au plan d’action, mais également à la signature du RSC.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je suggère que les RSC, qui actuellement sont adressés à la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), fassent l’objet d’une publication sur le site du ministère du Travail.

Mme Sophie Binet. Pourquoi pas, si cela s’accompagne d’un élargissement de la sanction. Le RSC ne contient aucun élément relatif aux inégalités intervenues au cours de la carrière des employés. Il convient donc de le renforcer. Un amendement intéressant a été déposé au Sénat, mais sa rédaction pourrait, selon nous, être améliorée. Nous vous ferons parvenir par écrit nos propositions.

Enfin, les dispositions légales n’incitent pas suffisamment les entreprises à signer un accord, ce qui les incite à se tourner vers le plan d’action. Il suffirait de limiter la durée du plan à un an, ce qui obligerait les entreprises à ouvrir chaque année une nouvelle négociation pour tenter de parvenir à un accord.

J’en viens à la délicate question des temps partiels, qui comporte deux volets : la sécurisation de l’emploi – sur ce point je partage l’analyse de la représentante de FO – et l’accès aux droits sociaux.

Nous demandons que le rapport d’évaluation soit établi à partir d’une discrimination indirecte. Je rappelle que la méthode de discrimination indirecte, reconnue au niveau européen, consiste à partir des conséquences d’une situation pour aller vers les causes. Son utilisation renforcerait les moyens d’action du législateur.

Nous proposons d’autre part que le travail à temps partiel soit renchéri et se voit appliquer le même taux de cotisations patronales que le travail à temps plein.

En ce qui concerne les actions de groupe, nous avons été entendues par Laurence Pécaut-Rivolier, que le Gouvernement a chargée d’établir un rapport sur ce sujet. En matière de carrières, il serait pertinent de donner aux salariés la possibilité d’engager des actions de groupe. C’est une idée que nous défendons depuis plusieurs années.

Nous souhaiterions par ailleurs la mise en place d’indicateurs sexués en ce qui concerne les risques professionnels afin que les bilans présentés au CHSCT soient « genrés ».

Enfin, nous souhaitons obliger les instances représentatives du personnel (IRP) et les managers à suivre une formation sur la question de l’égalité femmes-hommes.

Mme Chantal Guiolet, déléguée nationale au secteur emploi formation et chargée de l’égalité professionnelle à la CGC. Nous sommes relativement satisfaits, à la CGC, des récentes évolutions qui ont été apportées au projet de loi initial, mais nous regrettons un manque de moyens.

Nous nous félicitons que des sanctions aient été mises en place, mais nous constatons, au niveau des branches, que beaucoup d’entreprises, malgré l’intervention de l’inspection du travail et de la Direction générale du travail (DGT), ne disposent toujours pas de RSC et encore moins d’accord sur l’égalité femmes-hommes. Nous voulons plus de moyens et de sanctions. Nos organisations, qui avaient toutes signé l’ANI de 2004 sur l’égalité femmes-hommes, attendent toujours le bilan de ce qui a été fait depuis cette date.

Depuis dix ans, les entreprises disposent d’un site Internet leur permettant d’établir le RSC, mais seulement 1 % d’entre elles l’utilisent. Nous demandons que les entreprises qui n’ont pas établi de RSC fassent l’objet d’une sanction pécuniaire basée sur la masse salariale. Il semble que les entreprises comptant entre 20 et 50 salariés soient désormais matures sur cette question. Quant aux entreprises de 20 salariés, elles doivent établir un RSC mais ne sont pas pénalisées.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pensez-vous que les entreprises de 20 salariés, qui n’ont même pas de DRH, puissent se doter d’un RSC ? Si oui, ne doit-il pas être allégé ?

Mme Chantal Guiolet. Il s’agit en effet d’un rapport de situation très allégé, comme je l’ai indiqué aux représentants de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Dans les TPE-PME, il faut donner aux cadres la possibilité de travailler dans plusieurs structures, dans le cadre d’un temps partagé. Les personnes concernées y sont favorables, à condition de pouvoir anticiper leur évolution dans le cadre du bassin d’emploi et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) dont tout le monde parle pour le territoire mais qu’il faudrait d’ores et déjà appliquer dans l’entreprise. Or aucun dispositif n’oblige les entreprises à se doter d’une GPEC. C’est pourquoi nous voulons la rendre obligatoire, au même titre que la NAO.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les entreprises, en particulier les TPE, manquent de visibilité en matière de formation et d’emploi.

Mme Chantal Guiolet. Les grandes entreprises de plus de 300 salariés sont dotées de la GPEC, même si elles n’ont pas d’obligation de résultats. La GPEC ne sera pas obligatoire pour les petites entreprises, mais s’inscrire dans cette démarche leur permettra de se positionner par rapport au marché de l’emploi.

Concernant la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, nous souhaitons que les branches en fixent les modalités lors des négociations interprofessionnelles sur la formation professionnelle.

Au cours de notre audition en présence de Mme Pécaut-Rivolier, nous avons abordé les discriminations et la possibilité d’ester en justice de façon collective. Nous nous sommes rendu compte que certains accords pouvaient être discriminants, notamment pour les femmes. Sachant que nous ne jugeons pas les accords sur le fond, il appartient aux branches de vérifier l’absence de toute discrimination.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pouvez-vous nous donner un exemple d’accord discriminant ?

Mme Chantal Guiolet. Il convient de taxer les branches qui ne jouent pas leur rôle et ne veulent pas négocier l’évolution des grilles de classification, considérant que ce n’est pas leur priorité. En attendant, l’écart se creuse, jusqu’à atteindre 35 %, voire 40 % pour la branche des bureaux d’études, de l’ingénierie, du conseil, des études et de l’informatique. C’est pourquoi je propose de mettre en place un système de bonus-malus.

En outre, nous avons constaté que les managers n’étaient pas formés sur la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. C’est pourquoi nous demandons qu’ils puissent bénéficier d’une formation spécifique.

Un congé parental, un départ, une évolution se préparent en amont. C’est pourquoi nous proposons que les salariés concernés rencontrent les représentants du personnel pour évoquer toute interruption de carrière. Il conviendra naturellement de sensibiliser et de former les représentants syndicaux.

Nous souhaitons en outre faire en sorte que le temps partiel soit compatible avec les postes d’encadrement et ne pénalise pas leur évolution.

Le projet de loi contient des avancées intéressantes en ce qui concerne le congé parental, mais je ne suis pas persuadée que vous atteindrez les objectifs fixés. Peut-on raisonnablement penser, connaissant la mentalité française, qu’il suffit de proposer à chaque parent une période partagée de six mois pour les inciter à demander un congé parental ? Je rappelle que la France détient le plus faible taux d’attribution, parmi les pays de l’OCDE, du complément de libre choix d’activité (CLCA).

Nous sommes favorables au maintien à 100 % du salaire pendant le congé paternité. Il serait intéressant à cet égard que les branches et les entreprises trouvent un accord afin que les deux parents perçoivent 80 % de leur rémunération.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous ne pouvons pas tout demander. Prévoir que les femmes retravaillent après un an de congé parental précipiterait plusieurs centaines de milliers d’entre elles dans le chômage.

Mme Chantal Guiolet. Nous sommes favorables au partage égalitaire du congé parental tel qu’il existe au Canada. Je ne connais pas de femme qui ait interrompu sa carrière pendant trois ans sans le regretter. Je préfère que l’on réduise la durée de ce congé, que je trouve très pénalisant pour la carrière des femmes.

Je ne reviens pas sur la partie violences faites aux femmes car nous approuvons les dispositions présentées dans le projet de loi.

Nous aimerions agir sur les violences faites aux femmes dans le cadre du travail car nous avons toujours beaucoup de mal à constituer les dossiers, surtout s’il s’agit de violences collectives. Le dispositif légal doit être amélioré. Nous ferons des propositions en ce sens à Mme Pécaut-Rivolier, mais en attendant, nous devons agir en collaboration avec les associations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il s’agit d’un sujet préoccupant. L’enquête nationale sur les violences subies et les rapports de genre (VIRAGE), qui sera publiée en 2015-2016, comportera un volet sur le travail. Ce projet, qui a reçu le soutien du ministère des droits des femmes, concernera les deux sexes et permettra d’actualiser les statistiques.

Mme Chantal Guiolet. Un grand nombre de femmes en contrat précaire – intérim, CDD – subissent des violences au travail, mais ne les dénoncent pas. La situation est très préoccupante, notamment dans les universités où sévit encore le droit de « cuissage ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. Sur ce point, il est urgent de modifier les procédures disciplinaires en vigueur dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Mme Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale en charge de l’égalité professionnelle (CFDT). Nous sommes globalement favorables au projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Néanmoins, il nous semble difficile de faire l’impasse sur les contraintes. Pourquoi ne pas rendre le congé de paternité obligatoire, par exemple ? Il faut se rendre à l’évidence que, faute de sanctions – auxquelles la CFDT a toujours été plutôt réfractaire jusqu’à présent –, les choses n’évolueront pas.

Le patronat – et pas seulement le MEDEF – n’est pas très ouvert sur ces questions. Le contexte de crise rend les choses encore plus difficiles.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Trente ans après la « loi Roudy », les progrès en matière d’égalité professionnelle sont lents, voire stagnent, en particulier du fait des dispositions des années 1990 qui ont entraîné l’explosion des temps partiels pour les femmes.

Mme Anne Baltazar. Le projet de loi fait référence, non à proprement parler au congé parental, mais à la transformation du complément de libre choix d’activité (CLCA).

La durée totale du congé parental – trois ans – ne serait pas modifiée, mais partagée, ce qui doit faire l’objet d’un décret. Dans le cadre de la réforme, il nous avait été annoncé que la durée actuellement prévue pour le premier enfant serait doublée si le père prenait le congé, mais il semble que cela n’apparaisse pas dans la rédaction du projet de loi.

Nous sommes favorables à l’incitation au partage du congé parental, mais, dans la mesure où la durée est réduite, nous souhaiterions également une amélioration de la rémunération. On peut penser que les pères ne prendront pas une durée égale à celle des mères. Or si le congé est raccourci, mais que des modes de garde adaptés ne sont pas au rendez-vous, on rendra la vie plus difficile aux femmes. Nous avons entendu les propositions sur le nombre de places en crèche, mais nous restons vigilants.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudrait aussi augmenter le nombre de classes passerelles pour les enfants de deux ans à trois ans.

Mme Anne Baltazar. L’idéal serait l’engagement de politiques publiques accompagnées de réels moyens, mais force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui. En effet, l’emploi à domicile a chuté, hormis la garde d’enfants, ce qui traduit un transfert de ce secteur du collectif vers l’individuel. Nous n’avons donc pas pris position favorablement sur les dispositions du projet de loi relatives aux allocations financières du congé parental.

Cependant, il faut noter l’introduction d’un assouplissement permettant la jonction entre la fin du congé et l’entrée en maternelle. J’espère que cette disposition couvrira toutes les situations afin que les familles ne se retrouvent pas en difficulté.

Dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail, nous avons défendu l’idée d’un congé obligatoire de paternité et d’accueil de l’enfant obligatoire, mais n’avons pas été suivis. Ce sujet mérite d’être discuté, d’autant que les mentalités ont évolué. Dans la fonction publique, d’après des chiffres anciens dont je dispose, 69 % des pères prennent ce congé.

Mme Marie-Andrée Seguin. Dans le secteur privé, les choses sont plus compliquées pour plusieurs raisons : la taille de l’entreprise, le regard des autres, etc.

Mme Anne Baltazar. L’alignement du congé de paternité et d’accueil de l’enfant sur le congé de maternité, non en termes de durée, mais de modalités, amènerait naturellement les pères à le prendre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Croyez-vous qu’un dispositif obligatoire rencontrerait l’adhésion d’une majorité de salariés ? Peut-on l’imposer aux pères qui ne souhaitent pas en bénéficier ?

Mme Chantal Guiolet. En tout cas, la nouvelle génération de pères y est prête.

Mme Sophie Binet. Le fait que nos organisations syndicales se déclarent favorables à ce sujet est symptomatique de l’état d’esprit des salariés hommes.

Mme Marie-Andrée Seguin. Certes, on observe une évolution des mentalités : aujourd’hui, des jeunes papas souhaitent faire le distinguo entre leur vie professionnelle et leur vie privée, ce qu’on n’observait pas il y a quinze ans. Néanmoins, des freins subsistent dans certains secteurs professionnels. Un congé de paternité obligatoire permettrait de lever ces freins.

Mme Anne Baltazar. D’autant que ce congé est de courte durée – quatorze jours au total.

Mme Sophie Binet. Le MEDEF n’est pas seul responsable, et l’État doit aussi prendre ses responsabilités en matière d’égalité femmes hommes ; je pense en particulier aux salaires dans la fonction publique. On dit que les fonctionnaires sont mal payés, mais il serait intéressant d’appréhender ces inégalités d’un point de vue « genré », sachant que les femmes sont majoritaires – 63 % – dans la fonction publique (80 % chez les enseignants).

La problématique de la reconnaissance des emplois d’enseignants, de sages-femmes et d’infirmiers s’inscrit pleinement dans le cadre de la question des classifications et de la qualification des métiers majoritairement féminisés. Malheureusement, le rapport Pêcheur sur la fonction publique est totalement muet sur la question des inégalités femmes-hommes, en dépit de la signature d’un accord le 8 mars dernier, que nous avons néanmoins signé car il comporte quelques éléments positifs.

Les écarts de salaire entre hommes et femmes sont plus élevés chez les cadres pour plusieurs raisons, en particulier la part de rémunération variable.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le différentiel est de 15 % dans la fonction publique. D’où la question des primes. Pour le calcul des retraites, certains proposent de prendre en compte les primes des fonctionnaires, comme cela se fait dans certains secteurs. Or les primes n’existent pas dans tous les secteurs et, de toute façon, les femmes en bénéficient moins que les hommes. Par conséquent, une telle disposition engendrerait de nouvelles discriminations dans la fonction publique. La loi Sauvadet a en tout cas permis une sensibilisation sur ces questions.

Mme Sophie Binet. Nous interpellons l’État employeur sur la question de la structure de la rémunération dans la fonction publique. C’est un fait que la fonction publique tend vers plus d’individualisation des rémunérations.

En matière de temps de travail, 12 % des salariés – et pas les seuls cadres – sont concernés par le forfait jours. Ce dispositif est totalement dérogatoire, notamment au droit européen, et pénalise directement les femmes en rendant impossible toute articulation entre vie privée et vie professionnelle. Le temps de travail fait partie des facteurs qui génèrent le plafond de verre.

Nous proposons également une formation obligatoire pour les instances de représentation du personnel (IRP) sur l’égalité professionnelle. Il faut savoir que 25 % des faits de harcèlement sexuel sont commis sur le lieu de travail. Pour les grandes entreprises, par exemple, une personne référente pourrait être formée sur ce sujet.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les IRP ont-ils des temps de formation obligatoires ?

Mme Chantal Guiolet. Ils peuvent bénéficier, à leur demande, du congé de formation économique, sociale et syndicale, mais ils n’ont pas de temps de formation obligatoire.

Mme Sophie Binet. Nous souhaiterions un temps de formation obligatoire sur l’égalité hommes femmes, financé par l’employeur.

Mme Chantal Guiolet. La CFE-CGC a signé l’accord sur la qualité de vie au travail, même si celui-ci nous semble totalement insatisfaisant. Dans ce cadre, s’agissant de l’actualisation du rapport de situation comparée lors des négociations annuelles obligatoires, nous avions demandé la création d’un droit supplémentaire pour le comité d’entreprise lui permettant de nommer un expert externe pour la mise en place du rapport de situation comparée. En effet, si les données sont actualisées chaque année, la réduction des écarts n’est pas souvent traitée dans le cadre des NAO.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Y a-t-il une volonté globale de négocier ?

Mme Chantal Guiolet. Les organisations syndicales sont prêtes à négocier. Mais dans la mesure où les procès-verbaux des accords ne sont pas vus au fond, cette partie n’est pas traitée. C’est pourquoi nous avions demandé, pour les entreprises ne mettant pas en place le RSC, la possibilité pour le comité d’entreprise de nommer un expert.

Nous proposons en outre que le RSC soit basé sur un référentiel métiers et fournisse, non des moyennes, mais des médianes. Cela permettrait de faire des comparaisons hommes femmes beaucoup plus fines.

Nous préconisons enfin la publication du RSC. Ainsi, des actions collectives en justice contre les discriminations pourraient s’appuyer sur des données statistiques.

Par ailleurs, nous sommes favorables à la lutte contre les stéréotypes sur les métiers, les orientations, les formations, etc. C’est un vrai sujet, mais il n’avance pas ! Faute d’y travailler, on ira droit dans le mur !

S’agissant des retraites des femmes, nous vous enverrons nos propositions qui, au demeurant, ne coûteraient rien à la Nation. Pour reconstruire la retraite des femmes sur la base du RSC ou d’accords, nos trois propositions visent à pénaliser les entreprises et à permettre aux femmes de récupérer le manque à gagner avant leur retraite, autrement dit pendant qu’elles sont encore dans l’entreprise.

Mme Marie-Andrée Seguin. La CFDT salue le renforcement de la parité dans les différentes instances, prévu par le projet de loi. Lors de la négociation sur le paritarisme, nous avions demandé que les partenaires du dialogue social soient également concernés, mais cela n’apparaît pas dans le projet de loi.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les différents amendements que j’avais proposés sur le sujet n’ont pas été adoptés.

Mme Marie-Andrée Seguin. Le problème ne pourra pas être réglé du jour au lendemain.

Mme Sophie Binet. Au niveau interprofessionnel, les choses peuvent être simples. Par contre, elles sont plus complexes au niveau des IRP où les femmes sont trop peu nombreuses pour plusieurs raisons : le manque de structures de proximité, accentué avec la loi représentativité, d’où une centralisation des CE et des CHSCT, le droit syndical qui pousse au cumul des mandats, la représentation dans les TPE où les femmes sont majoritaires, etc.

Ce ne sont pas des dispositions couperets qui règleront le problème. La CGT souhaite qu’une étude soit menée sur la place des femmes dans les IRP, étude qui pourrait s’appuyer sur le travail de la chercheuse Sophie Béroud sur la représentativité et la place des femmes dans le syndicalisme. Ainsi, nous pourrions travailler sur une base documentée.

Mme la présidente Catherine Coutelle. De la même façon, les femmes bénéficient moins que les hommes de la formation professionnelle.

Je vous remercie pour les réflexions que vous avez apportées sur ces nombreux sujets.

La séance est levée à 18 heures 20.