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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 14 janvier 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition de Mme Florence Perrin, conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales au Conseil régional de Rhône-Alpes, représentante de l’Association des régions de France (ARF), sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle

– Audition de M. Yves Barou, président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle

– Information relative à la délégation

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition de Mme Florence Perrin, conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales au Conseil régional de Rhône-Alpes, représentante de l’Association des régions de France (ARF), sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, dont le Gouvernement a annoncé le dépôt prochain.

La séance est ouverte à 16 h 50.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Parce que la formation professionnelle appartient au domaine de compétence des régions, il nous a semblé intéressant de vous entendre, en tant que représentante de l’Association des régions de France (ARF) et conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales de la région Rhône-Alpes.

Dans la mesure où l’ARF a eu le temps d’étudier le projet de loi, j’aimerais savoir quelle vision les régions ont de la situation de la formation professionnelle, maintenant qu’elles sont aux commandes.

J’étais hier à dans un centre de l’AFPA avec le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, M. Michel Sapin, et la présidente de la région Poitou-Charentes, Mme Ségolène Royal. J’ai été frappée par les difficultés que les dix témoins présents nous ont dit avoir rencontrées pour obtenir une formation rémunérée : le nombre de critères auxquels il faut répondre ; le nombre de formations et d’opérateurs existants ; la longueur de la prise de décision. Il avait fallu deux ans à l’un d’eux pour pouvoir suivre une formation qualifiante, malgré l’accord de son entreprise ! À l’heure actuelle, pourtant, en France, l’insuffisance de formation des personnels constitue un problème. Ainsi, une coopérative agricole, installée dans ma région depuis vingt-huit ans, vient de faire faillite ; l’un des ses salariés, à son entrée dans cette coopérative, n’avait pas de CAP. Comme il ne l’a jamais passé, il se retrouvera sur le marché du travail sans avoir suivi aucune formation.

Que pensent donc les régions du projet de loi ? Quels problèmes avez-vous rencontrés ? Que proposez-vous, notamment pour les femmes, qui sont plus éloignées de la formation professionnelle que les hommes ?

Mme Florence Perrin. Je suis en effet, avec Pascale Gérard, vice-présidente de la commission « formation sanitaire et sociale » au Conseil régional de la région Rhône-Alpes, présidé par Jean-Jack Queyranne. Dans le groupe politique auquel j’appartiens, je suis la référente pour la formation professionnelle en région. J’ai par ailleurs été formatrice, puis directrice de l’Institut de formation Rhône-Alpes, directrice d’un plan local pour l’insertion (PLI), chef de projet politique de la ville de Feyzin, et chargée de mission. Je connais donc bien le secteur de la formation professionnelle – en particulier celle des femmes.

Nous avons dû réagir très vite pour nous approprier ce projet. Mais il faut dire que nous avions beaucoup travaillé la question avec M. Christian Ville, l’ancien directeur de cabinet auprès de M. Thierry Repentin, alors ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage, puis avec Mme Catherine Beauvois et Mme Pascale Gérard. De la même façon, avec M. Philippe Meirieu, le vice-président en charge de la formation en région Rhône-Alpes, nous avons été très attentifs à ce qui se préparait.

Vous avez fait une sorte d’état des lieux, que je corrobore et dont les régions sont tout à fait conscientes : obtenir une formation relève du « parcours du combattant », que l’on soit demandeur d’emploi ou salarié – même si ce n’est pas la même chose d’attendre deux ans pour un demandeur d’emploi que pour un salarié.

La partie du projet de loi relative au compte personnel de formation, qui concerne aussi bien les salariés que les demandeurs d’emploi, est intéressante. À partir de l’âge de seize ans, le salarié disposera d’un compte personnel, d’un vivier d’où il pourra puiser 150 heures de formation. Certes, ce quota n’est pas suffisant pour une formation qualifiante, mais les régions et les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) seront présents en parallèle. Par ailleurs, le payeur sera la Caisse des dépôts et consignations. On peut donc penser que le processus sera beaucoup plus rapide qu’il ne l’est aujourd’hui.

Le salarié aura la capacité de se former à son outil de travail ou d’améliorer sa qualification professionnelle à partir de son compte personnel. Et s’il souhaite, par exemple, une formation pour un CAP qui requiert 800 heures, les régions pourront se concerter avec les partenaires sociaux pour assurer le financement des heures au-delà des 150 heures de son compte personnel.

Nous sommes heureux à l’idée que ce sera plus facile qu’aujourd’hui. Il est en effet fréquent qu’un OPCA réponde au demandeur d’un droit individuel à la formation (DIF) qu’il est sur une liste d’attente de deux à trois ans.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais pourquoi tant d’attente ?

Mme Florence Perrin. Prenons l’exemple des formations sanitaires et sociales. Nous manquons d’infirmières. Toute région, quelle qu’elle soit, ne peut qu’être « partante » pour la mise en place de telles formations. Sauf que si la personne qui en demande une travaille en hôpital, dans une crèche ou pour tout autre employeur, la région n’interviendra pas : elle n’intervient qu’en faveur des demandeurs d’emplois. La formation des salariés dépend d’une cotisation patronale versée à un OPCA. Celui-ci aura sa propre politique en la matière et il la traduira par un certain nombre de places de formation d’infirmières.

En outre, si l’employeur de cette personne est un établissement très particulier, qui s’occupe, par exemple, du handicap, il sera moins prioritaire que ceux du secteur hospitalier – dont les cotisations « tombent ». L’OPCA mettra cette formation d’infirmière en quatrième ou cinquième position, et la personne qui en aura fait la demande pourra attendre très longtemps.

Autre problème : l’entrée dans ces formations dépend de concours dont le bénéfice n’est conservé que pendant deux ans. Du fait des délais, des personnes qui ont pourtant réussi le concours n’arrivent pas à entrer. Certaines peuvent même se mettre en danger, allant jusqu’à démissionner de leur situation professionnelle. Cette formation étant très onéreuse, et donc inabordable, elles attendent, attendent, et rencontrent de vraies difficultés.

Voilà pourquoi le compte personnel constituerait, selon nous, un levier important. À partir du moment où les personnes concernées disposeront de 150 heures, on peut imaginer que les OPCA, et nous-mêmes, pourrons assurer la poursuite de leur parcours de formation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si j’ai bien compris, c’est le conseil d’administration de l’OPCA qui décide de l’orientation de sa politique de formation et fixe le nombre de places, à partir du financement assuré par les entreprises ?

Mme Florence Perrin. Oui.

Mme la présidente Catherine Coutelle. De la même façon, Pôle Emploi finance des formations dans les métiers en tension. Et les régions ?

Mme Florence Perrin. Partons des personnes qui demandent la formation, en distinguant bien demandeurs d’emploi et salariés.

Si vous êtes salarié, vous dépendez de votre entreprise, qu’elle soit dans le secteur sanitaire et social, industriel ou tertiaire. Vous dépendez de la cotisation qu’elle verse obligatoirement à un OPCA et qui varie en fonction de son effectif, ou de son plan de formation s’il s’agit d’une entreprise de grande taille.

Dans ce dernier cas, les régions n’ont pas à intervenir puisque l’on n’est plus dans le cadre de politiques publiques, mais de politiques d’employeurs dans différents secteurs. En outre, les formations qu’elles proposent bénéficient surtout aux cadres moyens et supérieurs, et moins aux techniciens, employés et ouvriers. Il faudrait d’ailleurs faire en sorte que ces derniers, qui sont les moins formés du monde de l’entreprise, soient bien informés des modalités de mise en œuvre du compte personnel qui leur sera attribué. S’ils ne les connaissent pas, le dispositif ne servira pas à grand-chose. L’enjeu est donc important.

Maintenant, si vous êtes demandeur d’emploi, que vous soyez un jeune qui démarre dans la vie ou que ayez perdu votre emploi, vous pouvez vous adresser à deux acteurs : Pôle emploi et les régions. Pôle emploi intervient au titre des demandeurs d’emploi indemnisés ou non, de longue durée (au-delà d’un an) ou pas. Les régions interviennent également au titre des demandeurs d’emplois, en prenant en compte leur statut : homme ou femme, handicapé, jeune (de 16 à 25 ans), adulte (au-delà de 26 ans), senior (au-delà de 45 ans), etc. Ces statuts, qui sont fixés par les régions, sont partout les mêmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les régions peuvent-elles choisir de favoriser tel ou tel public ?

Mme Florence Perrin. On peut dire que les régions ont majoritairement favorisé les jeunes. Elles ont mis en œuvre des plans « jeunes » tout en s’adressant, pour les mesures d’accompagnement, au service public des missions locales. Pôle emploi intervient davantage dans le secteur des adultes – accompagnement et accès à la formation.

À propos de Pôle emploi, la législation actuelle nous avait déjà donné en partie la main, dans la mesure où nous pouvions déjà déterminer les besoins de formation sur un bassin d’emploi ou sur un territoire, afin de pouvoir y répondre. La loi préparée par M. Sapin prévoit un lieu où nous devrons ensemble, avec l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et Pôle emploi, déterminer l’offre de formation sur un territoire, si possible régionalement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous dresserez donc à quatre une carte de la formation ?

Mme Florence Perrin. C’est la région qui sera le pilote, et qui dressera la carte de la formation dans la région.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ne craignez-vous pas que les départements et les grandes collectivités veuillent également intervenir ?

Mme Florence Perrin. Non. Lorsqu’il s’agit d’insertion, de lutte contre la précarité ou l’exclusion, personne ne veut intervenir. Je pense donc qu’on laissera aux régions le soin de s’occuper de la formation des demandeurs d’emploi.

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle renforce notre rôle – cartographies, analyses de l’offre, mise en œuvre des formations – et nous donne des outils juridiques pour agir. La procédure des marchés publics n’était pas adaptée et nous a empêchés de mettre route certaines formations : d’abord, on n’achète pas de la formation comme on achète de la savonnette ; ensuite, la formation doit pouvoir s’adapter à des micro territoires ; enfin, il faut entre un an et deux ans pour définir un marché, alors même que la demande change du jour au lendemain et que la plus grande souplesse serait nécessaire.

Le projet de loi nous donne la capacité de construire du qualitatif. Le service d’intérêt économique général (SIEG) permet en effet la mise en œuvre de mandatements par octroi de droits spéciaux. C’est important, dans la mesure où les régions interviennent surtout sur des qualifications de bas niveau – pour des personnes qui n’ont pas de qualification, qui n’ont pu mener leur qualification à terme, ou qui ont une qualification de niveau V et voudraient obtenir un niveau IV. Cela dit, nous avons des demandes pour les niveaux I et II, notamment dans les filières sanitaires et sociales, et pour l’apprentissage en enseignement supérieur.

Nous réagissons, au niveau régional, sur des postures techniques d’agrément. Je ne rentrerai pas dans les détails. Malgré tout, je pense que le projet de loi remet les régions au cœur de la décision. Jusqu’à présent, la question de l’orientation n’appartenait pas à la région. On en traitait ailleurs, au ministère de l’éducation nationale et, en partie, au ministère de l’enseignement supérieur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous allez reprendre les centres d’information et d’orientation (CIO) ?

Mme Florence Perrin. Non, mais nous allons reprendre la question de l’orientation dans l’offre de formation, ce qui n’est tout de même pas négligeable. Je n’ai pas de commentaires à faire, sinon que les CIO ont refusé, il y a déjà un moment, de relever des régions, ou tout au moins d’accompagner le processus de prise de compétence des régions en matière d’orientation. Ils sont donc toujours, soit au ministère de l’éducation nationale, soit au ministère de l’enseignement supérieur. Ils seront avec nous, mais dehors …

Mme la présidence Catherine Coutelle. Allez-vous recréer des services d’orientation ?

Mme Florence Perrin. Non, nous allons travailler avec eux. Mais c’est nous qui aurons la main en matière d’orientation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’enjeu est considérable, s’agissant des filles.

Mme Florence Perrin. En effet. Je remarque que, s’agissant des formations sanitaires et sociales, la question de la parité se pose dans l’autre sens : on a « trop » de filles, d’infirmières, de sages-femmes, etc. En revanche, parmi les kinésithérapeutes, les hommes sont plus nombreux. Dans le secteur social, le phénomène est le même : il y a surtout des éducatrices, des animatrices et des assistantes sociales. Et c’est maintenant le cas dans les métiers de l’animation.

Au regard de la question des femmes, l’orientation des filles est très importante. Les affectations ont lieu, globalement, à la sortie du collège et après le baccalauréat.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comment les régions vont-elles faire ? Elles sont compétentes pour les lycées, mais pas pour les collèges. Or c’est à la fin du collège, lorsque l’on demande aux jeunes d’avoir une idée de leur futur métier, que tout se joue. Les régions ont-elles déjà mené des actions en matière d’orientation ?

Mme Florence Perrin. Non, mais plusieurs régions, dont la mienne, ont été retenues pour expérimenter le futur service public régional de l’orientation. Il s’agit de savoir comment les régions s’approprieront la question de l’orientation, avec des centres d’information qui relèvent de l’éducation nationale ; et comment nous pourrons mettre en adéquation nos analyses de demandes de formation avec leurs réponses et leur orientation dans les collèges et dans les lycées. On n’en est pas encore à savoir comment on va faire, mais comment on va travailler ensemble.

Mme Ségolène Neuville. Vous parlez de la difficulté que rencontreront les régions pour construire un service public de l’orientation en lien avec l’éducation nationale. Mais dans les lycées, et en particulier les lycées professionnels, il existe déjà un lien fort entre les régions et l’éducation nationale,

Mme Florence Perrin. Ce n’est pas parce que vous êtes en charge de la construction et du bien-être matériel des lycéens que vous êtes en charge du contenu de la formation ou de la façon dont se construira le parcours du jeune. Ce n’est pas à nous de faire remarquer au proviseur que dans telle section technique, il y a 80 % de garçons et 20 % de filles. La région est compétente sur les lycées, mais pas sur la formation initiale.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous êtes compétentes, quand il s’agit d’ouvrir ou de fermer des sections.

Mme Florence Perrin. En effet.

Si, du jour au lendemain, il n’y a plus que 5 ou 6 élèves dans une section, nous pouvons partager ce constat avec les recteurs et leur faire remarquer qu’il y a un problème. Mais il n’est pas question d’intervenir sur la méthodologie ou sur la construction du parcours de formation initiale.

Mme Ségolène Neuville. Je sais bien. Néanmoins, un certain nombre de régions ont signé la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Elles s’y engagent à inciter leurs partenaires à travailler à davantage d’égalité entre les femmes et les hommes. Cela suppose de travailler, entre autres, sur les stéréotypes, notamment dans les lycées. Mais je reconnais que cela se discute, en général, au niveau des rectorats – pour ceux qui l’acceptent.

Ma question serait plutôt la suivante : dans la mesure où elles vont récupérer l’ensemble de la compétence « orientation », les régions feront-elles de l’égalité d’orientation entre les filles et les garçons une priorité ?

Mme Florence Perrin. Je voulais dire que nous n’avons pas de prise sur le contenu des formations, ni sur le moment où les enseignants délibèrent du parcours d’un élève. En revanche, nous sommes plus qu’incitatifs. Les conseillers régionaux sont présents dans les conseils d’administration des lycées. Je ne peux pas préjuger de l’attitude de chacun d’entre eux mais je sais, par exemple que, dans ma région, ils sont majoritairement sensibles à la question de la mixité entendue au sens large, dans quelque sens que ce soit, et quelque soit le niveau ou le quartier.

Grâce à la nouvelle loi, et par le biais du comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, le CREFOP, nous pourrons agir. Si demain, en tant que conseillère régionale déléguée aux formations sanitaires et sociales, j’exige qu’il y ait 50 % de garçons et 50 % de filles dans une formation initiale, celle-ci ne s’ouvrira pas. Car désormais, c’est nous qui donnerons les agréments.J’observe que l’agence régionale de santé (ARS) a tendance à favoriser l’orientation des garçons vers des formations médicales et celle des filles vers les formations paramédicales. La proportion peut aller jusqu’à 90 % de garçons dans les premières et 90 % de filles dans les secondes, alors même que ce n’était pas le cas au départ. Il nous faudra donc une force politique, ou du moins la volonté de refuser l’agrément et donc, l’ouverture de certaines formations. Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on refusera que tel lycée assure telle ou telle formation qu’on aura résolu la question de l’orientation. Malgré tout, les régions disposent maintenant d’un levier technique qui leur permettra d’assumer une position politique en matière de mixité.

Mme Ségolène Neuville. La question de la mixité des formations ne devrait-elle pas figurer dans le projet de loi ? J’ai entièrement confiance dans les régions, mais toutes ne feront peut-être pas de l’égalité filles/garçons une priorité. On pourrait par exemple écrire : « Au sein des CREFOP, l’égalité entre les filles et les garçons doit être privilégiée ». Qu’en pensez-vous ?

Mme Florence Perrin. Je pense que vous avez raison, car la question de la mixité des formations est un véritable enjeu. À ce propos, j’étais tout à l’heure en commission à l’ARF et nous avons travaillé sur des propositions de modification et sur d’éventuels amendements.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pourriez-vous nous transmettre vos amendements en rapport avec la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes ?

Mme Florence Perrin. Je n’ai pas en tête le texte précis du projet de loi, et je ne peux pas vous affirmer que le terme de « mixité » y figure ou non. Mais il est clair que ne sera appliqué que ce qui sera écrit. Donc, il vaut mieux y faire allusion dans le texte. Cela nous servira de point d’appui et nous permettra d’exprimer qu’un changement est en cours. Maintenant, je ne peux pas vous dire à quel endroit du texte il faudrait l’écrire. Nous pourrions y réfléchir.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certes, la compétence des régions va être renforcée. Mais n’avez-vous pas le sentiment qu’en matière d’orientation, tout aura déjà été décidé lorsque vous pourrez intervenir ? Vous ne pouvez pas influer sur les contenus du collège. Mais peut-être pourrez-vous travailler avec les CIO et, par la persuasion, agir de façon efficace. Qu’en pensez-vous ?

Les filles s’orientent souvent vers dix des quatre-vingt-sept métiers possibles. Est-ce une spécificité française ? Par ailleurs, les chefs d’entreprise sont nombreux à déplorer la méconnaissance des métiers de la part des jeunes. Présente-t-on les métiers, organise-t-on des stages dans les entreprises ? Dans les salons des étudiants, on ne présente pas les métiers. Or on ne s’oriente que vers ce que l’on connaît. Est-ce que la présentation des métiers fait partie des missions des régions ?

Mme Florence Perrin. Oui. Nous organisons des forums des métiers, afin que les jeunes puissent découvrir ceux-ci et connaissent la réalité qu’ils recouvrent. En effet, les outils changent et la recherche innove. Les métiers ont beaucoup évolué ; c’est par exemple le cas du métier de tourneur-fraiseur. Mais, de mon point de vue, cela ne suffira pas à infléchir l’orientation, car nous butons sur un problème de fond : il y a encore des pyjamas bleus et des robes roses ! Et j’aurais même tendance à penser qu’il y avait moins de robes roses que n’en a ma propre fille aujourd’hui.

Nous entendons beaucoup de jeunes dire qu’ils ne savent pas quel métier choisir. Mais la plupart du temps, ils ne vont voir personne pour les conseiller ; les CIO sont littéralement absents. Nous allons essayer de nous rapprocher d’eux. Les régions ont innové sur des lieux d’accueil, d’information et d’orientation, qui regroupent les accompagnateurs de demandeurs d’emploi, les accompagnateurs des jeunes, etc. Il faut absolument un guichet unique pour que les intéressés puissent se faire une idée des métiers qui existent et de la place qu’ils peuvent avoir dans la société.

À côté de cela, on voit sur des tee-shirts d’enfants : en bleu, « tu seras un super pilote », et en rose : « tu seras belle ». Cela contribue à conforter la répartition traditionnelle des fonctions au sein de la société. Souvent, des jeunes femmes qui réussissent dans leurs études, qui ont le même niveau que les garçons, ne s’autorisent pas à envisager un poste à responsabilité. Or, si les régions peuvent beaucoup, elles ne peuvent pas résoudre ce genre de problème.

Cela dit, les régions peuvent au moins intervenir à la sortie du lycée et à l’entrée des universités. Elles se sont mises à contractualiser avec les universités pour infléchir la question de l’orientation, tout en n’ayant pas la compétence. Maintenant, elles l’auront. Nous pouvons donc espérer aller un peu plus loin. Si les régions se positionnent juste à la fin des cursus, c’est parce que c’est juste à ce moment-là qu’il est possible d’engager un dialogue avec les jeunes. C’est l’occasion de dire aux filles que le métier de menuisier et le métier d’ingénieur leur sont autorisés et qu’elles peuvent devenir autre chose qu’infirmière, sage-femme ou animatrice, et aux garçons qu’ils peuvent devenir, par exemple, professeur des écoles. Aujourd’hui, dans les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), il n’y a que des femmes. On peut d’ailleurs s’interroger sur un schéma d’éducation, dans lequel les femmes élèvent les enfants et sont professeures des écoles…

Je précise qu’avant le CREFOP, il y avait le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles (CPRDFP). Nous étions présents, à côté des recteurs d’académie, pour donner notre avis sur les formations allant du « moins 3 » au « plus 3 ». C’est ainsi qu’au niveau régional, nous avons freiné l’enthousiasme de l’éducation nationale pour des filières féminines qui ne correspondaient plus à la demande en termes de créations d’emploi. De la même façon, nous nous sommes longuement manifestés en disant que les formations de menuisiers ne devaient pas comprendre 90 % de garçons et 10 % de filles. Maintenant, nous ferons davantage que de donner notre avis : nous aurons la capacité de dire « non ». Il ne s’agit pas de jouer directement sur l’orientation, mais de refuser de donner l’agrément à un lycée pour ouvrir tel bac pro, ce qui fait que la section ne sera pas créée. Et si une section n’est pas créée, il n’y a pas de public pour y entrer. Arrêtons, par exemple, de créer des sections d’aides-soignantes …

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous sortez renforcés dans votre pouvoir de décision et dans votre pouvoir politique. J’ai relevé, notamment, que vous n’étiez plus obligés de passer par des appels d’offre. C’est une bonne chose, car j’ai moi-même constaté que cela avait parfois abouti à « casser » des formations. Pourriez-vous nous dire rapidement ce que nous pourrions ajouter au texte ?

Mme Ségolène Neuville. Il est écrit à l’article 11, qui traite des compétences des régions, que la région « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux filières de formation et contribue à développer la mixité de ces dernières ». Nous devrons regarder s’il faut introduire cette phrase à d’autres endroits du texte.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certaines femmes rencontrent des difficultés pour suivre une formation : difficultés à se libérer, problèmes d’hébergement, etc. Est-ce que les régions peuvent intervenir ? À moins que ce ne soit pas de leur compétence ?

Mme Florence Perrin. Plusieurs régions ont commencé à expérimenter ce que l’on appelle des « parcours de formation-emploi », où les questions d’hébergement, de garde d’enfants et de mobilité sont intégrées à la réponse à l’offre de formation. Nous avons été plusieurs à procéder par mandatement ; je me suis d’ailleurs moi-même rendue à Poitiers pour voir comment faisait Mme Ségolène Royal. En cas de mandatement, la région distingue le coût de la formation du coût de l’environnement de cette formation ; elle présente, dans son cahier des charges, ce qui relève du contenu de formation de ce qui relève de l’accompagnement ; puis elle fait une offre globale. Cela évite les ruptures de formation, qui sont très dommageables sur les bas niveaux de qualification. Il est important de sécuriser les cursus, même s’ils ne sont que de trois mois. Ainsi, la personne peut se poser et entrer en formation dans les meilleures conditions, au plan intellectuel comme au plan personnel.

Mme la présidente Coutelle. Le coût de l’accompagnement de la formation rentre-t-il dans le coût de la formation ?

Mme Florence Perrin. Oui, mais le prestataire, que ce soit l’AFPA, le GRETA (groupement d’établissements), etc., doit distinguer le coût pédagogique de la formation, qui est un face-à-face avec le formateur, du coût de l’accompagnement, qui se calcule à l’unité et dépend de la qualité de la restauration et de l’hébergement. Dans un marché, ce n’est pas possible.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie.

*

* *

La Délégation procède à l’audition de M. Yves Barou, président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, dont le Gouvernement a annoncé le dépôt prochain.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Yves Barou, président du conseil d’administration de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) depuis 2012, qui est également le fondateur du Cercle des directeurs des ressources humaines (DRH) européens pour la responsabilité sociale.

Monsieur Barou, le projet de loi sur la formation professionnelle, qui sera présenté en conseil des ministres le 22 janvier, fera l’objet d’un rapport de notre Délégation.

Disposez-vous d’éléments statistiques sur le nombre de femmes qui ont accès à la formation professionnelle ? Celle-ci aurait chuté de 35 % en 2008 à 27,5 % en 2011. Comment expliquez-vous cette évolution ? Dans ce contexte, quelles actions l’AFPA a-t-elle engagées en faveur de l’égal accès à la formation ?

Dans le cadre d’une table ronde qui s’est tenue hier avec des demandeurs d’emploi et des salariés en formation professionnelle, nous avons appris que, pour certains d’entre eux, le parcours de formation était très long, de plus deux ans parfois. Une telle durée est un élément de découragement pour les femmes.

M. Yves Barou, président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). L’AFPA est le premier opérateur de formation professionnelle en France. Elle accueille chaque année 140 000 personnes. Les femmes représentent environ 30 % de nos stagiaires.

Au cours des dernières décennies, l’activité des femmes s’est beaucoup développée, et elles ont accédé progressivement à des métiers plutôt réservés aux hommes. Il nous semble que cette mixité professionnelle s’est interrompue à cause de la crise économique.

La plupart des données statistiques entre hommes et femmes sont à peu près comparables.

Néanmoins, la réussite des femmes pour l’obtention d’un titre professionnel est sensiblement meilleure que celle des hommes – 82 % contre 80 % –, car elles sont généralement plus engagées. La non-obtention d’un titre professionnel s’explique par l’abandon de la formation ou l’échec à l’examen.

Il faut également noter que la population féminine en formation est sensiblement plus âgée que celle des hommes, car elles sont plus nombreuses à suivre des reconversions à des âges différents.

Pour avoir signé plusieurs accords sur l’égalité hommes-femmes lorsque j’étais DRH, je pense que les ruptures de vie professionnelle après une maternité sont source de difficultés pour les femmes, en particulier si le service où elle travaillait a été réorganisé pendant leur absence. Il faut répondre à ce problème spécifique des femmes en créant des mécanismes spécifiques. Au chapitre des bonnes pratiques, on peut citer les entretiens de retour et d’orientation menés par un grand nombre d’entreprises.

Il faut malheureusement se rendre à l’évidence que notre système d’orientation professionnelle est malade car, avec plusieurs guichets, il relève dans une large mesure du parcours du combattant. Cette faiblesse de notre système pèse davantage sur les femmes au regard de leurs problèmes spécifiques – métiers déqualifiés, précarité, longue interruption de travail.

Cette situation nécessite d’améliorer les mécanismes d’orientation. Certes, la loi transpose le dernier accord national interprofessionnel, mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous sommes, en particulier, encore très loin du guichet unique.

L’AFPA aurait pu être un grand acteur de l’orientation, mais ne l’est plus depuis le départ des psychologues. Nous souhaitons que son rôle soit reconnu par un amendement au texte qui reconnaît quatre organismes et des acteurs régionaux, mais pas l’AFPA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon la représentante de l’Association des régions de France (ARF), que nous avons auditionnée tout à l’heure, les régions sont très satisfaites de l’organisation du CREFOP, avec l’Éducation nationale, l’enseignement supérieur, la région... Je suppose que vous faites allusion à ce point.

M. Yves Barou. Notamment.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le texte cite des opérateurs institutionnels incontournables. Si nous en inscrivons un de plus, je crains des demandes sans fin.

M. Yves Barou. L’article 12 cite les institutions visées – les missions locales, les organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation (OPACIF), Cap emploi et Pôle emploi –, puis les opérateurs régionaux, ce qui signifie qu’il n’y a pas de place pour d’autres opérateurs nationaux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’AFPA est-elle toujours considérée comme un opérateur national ?

M. Yves Barou. Certes, les régions ont un rôle de pilotage en matière de formation, mais l’AFPA est une association indépendante qui a toujours fait partie du service public de l’emploi.

Le problème en matière d’orientation, outre l’absence de guichet unique, est le fait que les conseillers doivent donner des conseils sur les métiers, alors que la connaissance de tous les métiers est très difficile, que la discussion a lieu dans une salle avec des brochures, et que beaucoup de gens s’engagent dans une formation sans être sûrs que c’est ce qu’ils veulent faire. Face à cet énorme gâchis, nous avons décidé de systématiser une expérimentation remarquable menée en Basse-Normandie, en proposant un stage de découverte des métiers sur deux jours. Par exemple, un homme qui hésitait entre la menuiserie, la soudure et la plomberie a été orienté par la région à l’AFPA où il a passé deux jours dans les différents ateliers, il a vu les machines, parlé aux formateurs et aux autres stagiaires, ce qui lui a permis de faire un choix.

Voilà ce que l’AFPA peut apporter aux opérateurs de conseil : mettre les gens en situation professionnelle sur une courte durée, ce qui permet une forme de validation. En ce sens, l’AFPA peut être un des acteurs de l’orientation. Il s’agit d’une piste pour améliorer le système d’orientation français.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les jeunes chômeurs et les personnes sans qualification n’ont aucune connaissance des métiers.

M. Yves Barou. Certes, mais selon le profil de la personne, des métiers peuvent être éliminés d’emblée.

L’acte II de la régionalisation s’est fait sans règle du jeu, sur un mode libéral. Certains élus l’ont dénoncé, comme Pascale Gérard de la région PACA, en parlant de « délestage de l’État ». Aujourd’hui, les organismes de formation ne peuvent pas assurer dans toutes les régions le panel complet de leurs formations.

En effet, il existe des métiers très pointus, comme techniciens, machinistes agricoles, stratifieurs, etc. Malheureusement, aucune région ne les propose toutes. Seuls deux centres, à Paris et Marseille, proposent la formation d’ascensoriste. En outre, certains conseils régionaux, pour des raisons budgétaires, réservent certaines formations à leur population locale. Par conséquent, ce type de formation à rayonnement national, dont l’AFPA était le fer de lance, est en danger : elles sont à moitié vides, alors même que des emplois pourraient être créés. Notre centre de Laon qui forme des machinistes agricoles est à moitié vide. La Picardie, au vu de son budget, ne peut pas financer ces formations pour les populations des autres régions. Année après année, chaque région se replie sur elle-même en refusant de payer pour les autres. Ainsi, la mobilité interrégionale des stagiaires a été divisée par deux en trois ans ! Des formations uniques vont mourir et les emplois correspondants ne seront pas pourvus ! En Espagne et Italie, cette situation a été un des facteurs principaux de la désindustrialisation.

Le problème de la mobilité renvoie à un autre sujet, celui de l’hébergement. Au centre AFPA de Nice, une jeune femme m’a expliqué être arrivée un mois après le début de sa formation, faute de s’être vu attribuer une chambre à temps. Les annulations d’inscription des femmes entre trente et cinquante ans sont massives en raison de ce problème d’hébergement à l’AFPA. Il y a une dissymétrie entre hommes et femmes, car les premiers arrivent toujours à se débrouiller. Le mécanisme est implacable. Il est clair que l’hébergement est la condition pour un accès égal à la formation.

Face à ce problème, nous essayons de passer des accords avec des opérateurs du logement social.

L’hébergement renvoie à la question immobilière. Pendant soixante ans, l’État a géré notre immobilier, mais depuis quelques années, nous devons payer des loyers, assurer les travaux. Pour autant, l’AFPA n’aura jamais 600 millions d’euros pour faire des travaux d’accessibilité pour les handicapés et des travaux qui entrent dans le cadre du Grenelle de l’environnement, comme nous le demande France Domaine… Je précise que l’État n’a pas de titre de propriété sur ces biens.

En 2011, le précédent gouvernement a fait voter une loi pour donner tout l’immobilier à l’AFPA, loi qui a été annulée après le recours de plusieurs régions. Par conséquent, le problème de l’immobilier de l’AFPA est pendant.

Selon cette loi, l’immobilier de l’AFPA sera proposé aux régions. Si l’on considère que le droit à l’hébergement est fondamental pour les femmes, cet hébergement est lié à une forme de propriété sur les biens. Nous sommes donc dans une impasse.

Pour sortir de cette impasse, l’amendement rêvé serait de revenir à la loi de 2011. Aujourd’hui, les régions ne sont pas enthousiastes à l’idée de récupérer l’immobilier de l’AFPA. Cette solution ne réglera donc pas le problème. Nous proposons donc deux amendements qui nous semblent raisonnables.

Dans le domaine public, un bail de cinquante ans peut être donné en gage à une banque, mais uniquement pour le lieu en question, contrairement au domaine privé. Par conséquent, un gage à une banque pour le centre de Châtellerault permet de faire des travaux dans cette ville et pas ailleurs. Nous demandons donc que soit précisé dans la loi le domaine privé de l’État pour l’AFPA. Cela ne coûterait rien à Bercy.

En outre, nous ne voulons pas que nos 25 centres nationaux soient orphelins. Si les régions ne les prennent pas, nous demandons qu’ils soient dévolus à l’AFPA. Cela permettrait de faire vivre ces centres nationaux et d’y assurer l’hébergement. J’ai proposé cette solution au ministère, qui ne m’a pas encore répondu.

Je suis assez optimiste sur notre première proposition – c’est même une demande de Bercy. Je le suis moins sur la seconde, mais elle est tout aussi essentielle pour régler le problème de l’immobilier de l’AFPA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Que pensez-vous du compte personnel de formation ?

Sachant que les femmes sont majoritaires à occuper des temps partiels, recevez-vous des demandes de formation en vue de permettre le passage à des temps pleins ?

M. Yves Barou. Je pense que le compte personnel de formation est un immense progrès. Néanmoins, pour apprendre un métier, il faut six mois, soit environ 1 000 heures de formation. Or beaucoup de personnes, des femmes en particulier, doivent se reconvertir. La loi vise la qualification, mais le droit à la formation est plafonné à 150 heures. Certes, le compte personnel de formation permet la mise en œuvre d’abondements, par la mobilisation des fonds des OPCA, par des accords d’entreprise, etc., mais cela permettra de récupérer 300 heures au plus, ce qui sera insuffisant pour obtenir une formation qualifiante !

En période de crise, nous avons besoin de formations longues et qualifiantes. La loi le dit clairement. Malheureusement, le mécanisme financier est un peu en deçà de cet objectif. Le compte personnel de formation risque d’être un échec à cause de cela.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Quelles améliorations représentent le compte personnel de formation par rapport au DIF ?

M. Yves Barou. Ce sont les abondements et la vraie portabilité. Mais, j’y insiste, il faudra être très vigilant sur le mécanisme des abondements.

Dans le cadre du projet de loi, il serait choquant qu’une personne à temps partiel ne bénéficie pas des vingt heures de formation par an, alors qu’elle en a réellement besoin ! Il s’agirait d’une grave discrimination, sachant que les reconversions sont fréquentes chez les femmes.

En cohérence avec le compte personnel de formation, l’AFPA envisage une modularisation de ses offres en proposant des stages de six à sept semaines. Néanmoins, quatre modules seront nécessaires pour une qualification complète. Pour les personnes ayant acquis des compétences et qui ont besoin d’un seul module, cela conviendra. Pour les personnes qui auront besoin des quatre modules, il faudra chercher les financements. À cet égard, les choses ne sont pas claires dans la loi sur le niveau d’abondement de Pôle Emploi, des OPCA et des régions.

En définitive, le système prévu me semble très intelligent. Cependant, j’attire votre attention sur l’écart au regard des chiffres.

Autre aspect très important que je tiens à souligner : l’AFPA s’est toujours battue pour la mixité des publics. C’est une bataille permanente car le système pousse encore à orienter les filles vers le tertiaire et les garçons vers l’industrie. Les stéréotypes ont la vie dure, y compris dans les familles. Pour autant, certains parcours sont magnifiques. J’ajoute que l’argument de la pénibilité du métier ne tient plus aujourd’hui.

Pour l’AFPA, le collectif de formation est un élément central dans le service rendu aux stagiaires. L’apprentissage en collectivité se fait d’autant mieux que celle-ci est variée, avec des âges différents, des parcours différents, des demandeurs d’emploi aussi bien que des salariés, des femmes comme des hommes. D’un point de vue pédagogique, les groupes trop homogènes sont beaucoup moins efficaces.

Le système de formation actuel fait que les femmes doivent faire preuve d’une énergie et d’un engagement qui ne sont pas demandés aux hommes, ce qui est anormal. Certes, la loi ne peut pas régler tous les problèmes. Néanmoins, je pense qu’il arrive un moment où des mesures symboliques sont nécessaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il me semble que l’AFPA a signé une convention avec le Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF).

M. Yves Barou. Oui, en 2002.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La démarche de reprise du travail, après une longue interruption, est très difficile. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?

M. Yves Barou. En tant que DRH, j’ai proposé un accord prévoyant un mécanisme de réintégration, avec un entretien avant le retour dans l’entreprise, le bénéfice pour les femmes en congé de maternité d’au moins la moyenne des augmentations salariales, ce qui a fait hurler certaines personnes…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous souhaitons introduire dans la loi sur l’égalité un entretien six mois avant la fin du congé parental.

M. Yves Barou. De même que se développent les formations pour le passage à la retraite, l’AFPA pourrait imaginer une action de formation-préparation avant la reprise du travail.

Pendant des années, on a vécu dans l’illusion qu’il n’y avait pas de problème. Or toute interruption, qu’elle qu’en soit la nature, pose un problème, en particulier parce que les entreprises évoluent très vite. L’expatriation est un exemple : à leur retour en France, les expatriés ont perdu tous leurs réseaux et les choses sont très difficiles pour eux pendant plusieurs années.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La reprise d’activité des femmes est d’autant plus difficile qu’elles occupaient avant leur congé parental un temps partiel ou un emploi peu qualifié. D’où l’importance de l’orientation et de l’accompagnement. La reprise est un passage très compliqué, sans compter les problèmes de réorganisation familiale.

M. Yves Barou. Nous voyons à l’AFPA des femmes entre trente et quarante ans qui, après une interruption d’activité, s’engagent dans une formation avec une réelle volonté de rebondir. En acceptant de vivre à distance de leur famille pendant plusieurs mois, elles consentent d’importants efforts, sur le plan financier et personnel.

Beaucoup de débats ont porté sur les réglementations européennes pour savoir si elles pouvaient conduire à un système concurrentiel, à une sorte marchandisation de la formation, avec la tentation du low cost. Un grand nombre de personnes considèrent que le « paquet Almunia » offre des possibilités. Si certains acteurs sociaux estiment que la formation peut être exclue du champ de la concurrence, cela me paraît excessif. Par contre, l’autorité régulatrice, l’État ou la région, peut contracter avec qui elle veut dans le cadre d’un service public. Cela n’est pas prévu dans la loi. Je suis donc persuadé qu’il existe des espaces de liberté. Le candidat François Hollande s’était engagé sur ce point auprès des organisations syndicales et en particulier l’AFPA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les régions voient dans la loi la possibilité d’organiser des services d’intérêt économique général (SIEG) avec mandatement, c’est-à-dire sans appel d’offres.

M. Yves Barou. Ce n’est pas la lecture que font mes conseillers juristes. Selon eux, la loi sécurise les pratiques actuelles des régions et ne permet en rien d’échapper à la concurrence.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Avec le mandatement, les régions pensent qu’elles pourraient répondre rapidement et au plus près des besoins dans les bassins d’emploi.

M. Yves Barou. Pour avoir participé à plusieurs réunions à l’ARF, je sais qu’aucune région ne pense la même chose. Le Nord-Pas-de-Calais organise actuellement une délégation de service public, ce qui a l’avantage d’une contractualisation dans la durée, mais n’empêche pas la concurrence.

Par contre, je pense qu’il faudrait sortir du champ de la concurrence des publics donnés, je pense en particulier aux personnes en situation de handicap. L’accès à la formation pour les handicapés a été divisé par deux en France pour une raison simple : l’État a transmis cette responsabilité à l’AGEFIPH, sans le budget correspondant, laquelle l’a transmise aux régions. Or les régions n’ont pas vu leur budget grossir pour autant. Et la rémunération des stagiaires handicapés est deux à trois plus élevée que celles des non handicapés. Au final, les personnes les plus discriminées sont les femmes handicapées.

En conclusion, je dirai que ce projet est une belle loi, mais que tout n’est pas gagné…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, monsieur le président.

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Information relative à la Délégation

La Délégation a désigné Mme Ségolène Neuville rapporteure pour information sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle dont le Gouvernement a annoncé le dépôt prochain.

La séance est levée à 18 h 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Catherine Coutelle, Mme Ségolène Neuville, M. Christophe Sirugue

Excusée. - Mme Barbara Pompili