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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 5 février 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 19

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), et de Mme Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférences à l’IUT Paris Descartes, auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013, sur la question des femmes et du système fiscal

La séance est ouverte à 14 heures 05.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition, sur la question des femmes et du système fiscal, de Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), et de Mme Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférences à l’IUT Paris Descartes et auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous remercions d’avoir bien voulu répondre à notre invitation Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), et Mme Séverine Lemière, économiste (IUT Paris-Descartes), auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, publié en décembre 2013, dans le cadre d’une mission réalisée à la demande du ministère des droits des femmes.

Dans le contexte de la prochaine réforme fiscale annoncée par le Premier ministre, il apparaît opportun de se demander si notre système fiscal favorise le travail, et donc l’autonomie, des femmes.

En France, la déclaration commune des revenus est obligatoire pour les couples mariés ou pacsés, mais il n’y a pas nécessairement de mise en commun des ressources : chacun peut disposer librement de ses biens. Est-ce bénéfique pour les couples, pour les femmes ? Pourrait-on envisager d’ouvrir la possibilité de choisir entre une déclaration conjointe et une déclaration séparée des revenus ?

Bien que cette thématique ne figure pas actuellement à l’ordre du jour des travaux du Gouvernement, je compte informer le Premier ministre que la Délégation envisage de présenter des observations sur le sujet.

Auriez-vous des propositions à nous faire, notamment sur la question du quotient conjugal ?

Mme Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférence à l’IUT Paris Descartes et auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013. Le rapport de la mission que j’ai pilotée, à la demande de la ministre des Droits des femmes, portait sur l’accès des femmes à l’emploi et sur la façon dont les politiques publiques – politiques de l’emploi, sociales, familiales – encouragent, ou au contraire freinent, l’emploi des femmes. Une toute petite partie de ce rapport, mais celle qui a été le plus souvent reprise par les médias, portait sur les effets du système fiscal sur l’emploi des femmes.

Je veux souligner ici qu’il est toujours intéressant d’examiner les politiques publiques sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes, même si cet enjeu n’y apparaît pas a priori comme le plus significatif. Cette perspective permet également de poser de façon originale la question des arbitrages au sein des couples, qui est souvent laissée à la sphère privée.

Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE). Le débat sur la fiscalité et l’égalité entre les femmes et les hommes se cristallise souvent sur la question de l’individualisation de l’impôt, or c’est un sujet beaucoup plus subtil.

Est-ce que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit être mise en avant s’agissant de fiscalité ? C’est une évidence, parce que la fiscalité fait partie de l’intervention de l’État social. Le couple et la famille constituent un élément central, particulièrement en France où l’État social est familialiste. S’agissant de la fiscalité des ménages, il est donc essentiel d’adopter une perspective sexuée et une perspective d’égalité.

Le système fiscal français repose sur le postulat d’une mise en commun des ressources des couples pacsés et mariés ; les concubins n’ont pas accès à cette imposition conjointe. Dans la mesure où le droit constitutionnel impose de tenir compte des capacités contributives des citoyens, la taille de la famille est nécessairement prise en compte, et c’est donc davantage le niveau de vie des ménages que l’on cherche à imposer plutôt que le revenu stricto sensu. Mais, si tous les systèmes fiscaux européens prennent en considération la taille de la famille, aucun ne met à ce point l’accent sur la famille et le couple – c’est une vraie particularité française.

À cet égard, il convient de distinguer clairement ce qui relève du quotient conjugal de ce qui relève du quotient familial, même si les deux questions peuvent apparaître liées dès lors qu’il s’agit de déterminer dans quelle mesure on tient compte de la taille de la famille lorsque l’on impose les ménages.

En matière de revenus – l’imposition du patrimoine est une question distincte, et sur laquelle nous disposons de très peu de données sexuées –, le système fiscal français considère que les ressources d’un couple pacsé ou marié sont intégralement mises en commun, quelle que soit la façon dont elles ont été gagnées, avec un seul revenu, deux revenus ou encore un revenu à temps partiel et un autre à temps complet. Cette hypothèse est-elle juste, est-elle efficace ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre et sur laquelle nous disposons de peu de données, mais qu’il faudrait en tout cas poser dans le débat public. Une étude récente de Sophie Ponthieux, économiste et chargée de mission à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), a montré qu’environ deux tiers des couples mettaient effectivement en commun toutes leurs ressources. C’est un champ de recherches qu’il faudrait vraiment développer.

De plus, cette mise en commun des ressources ne dure évidemment que le temps du couple : or aujourd’hui, de nombreux couples se séparent, et toute séparation met à l’épreuve le système fiscal et social, puisqu’il faut décider de la meilleure façon d’accompagner cette rupture. Les juges doivent trancher et établir le partage qu’ils estiment le plus équitable possible, mais c’est très compliqué : comment prendre en compte une carrière qui n’a pas été menée, une progression de carrière qui n’a pas eu lieu ? Le Haut conseil de la famille, dont je fais partie, se penche d’ailleurs sur les ruptures familiales, qui posent des questions juridiques et économiques difficiles, à l’aune desquelles la fiscalité doit aussi être questionnée.

En tout cas, les hypothèses de notre système fiscal – mise en commun des ressources, et pendant une période très longue – ne correspondent que très partiellement à la réalité. Il ne serait donc pas inutile de le repenser, dans le contexte des modifications sociologiques de la famille.

Ensuite, pour valider la mise en commun des ressources, notre système fiscal considère qu’il faut être pacsé ou marié – il faut un contrat entre deux individus, que le juge prendra en considération en cas de séparation. Les concubins, eux, ne peuvent pas faire une déclaration conjointe. Si cela peut leur permettre d’optimiser leur situation fiscale, notamment par le biais du quotient familial, la plupart du temps, les gagnants sont les couples pacsés ou mariés. Dans tous les cas, les arbitrages et les optimisations sont extrêmement complexes, en raison de la grande opacité de notre système fiscal et social : ainsi, c’est souvent seulement au tout début du barème qu’il peut être avantageux pour un couple de demeurer en union libre, mais les facteurs à prendre en compte, de nature à la fois individuelle et familiale, sont très nombreux – revenus, décote, mais aussi prime pour l’emploi (PPE), par exemple.

Notre système social, en revanche, considère souvent, pour les transferts sociaux vers les plus démunis, que le concubinage suffit à assurer une mise en commun des ressources. C’est, par exemple, le cas pour le revenu de solidarité active (RSA) majoré : une femme perd la majoration liée à son statut de mère isolée si elle vit en concubinage. Il existe donc ici une vraie dissonance entre nos systèmes fiscal et social. Mais c’est un débat qu’il est très difficile d’ouvrir.

Comment, enfin, notre système fiscal doit-il prendre en considération la taille du ménage ? À l’évidence, un célibataire qui gagne 10 000 euros par mois aura un meilleur niveau de vie qu’un couple qui gagne la même somme à deux, mais il n’aura pas un niveau de vie deux fois supérieur. C’est pourquoi les économistes ont mis au point des échelles d’équivalence qui, bien que toujours imparfaites et contestables, permettent de comparer les niveaux de vie de ménages de taille différente. Selon ces échelles, la première personne d’un ménage vaut une part, la deuxième personne 0,5 part et la troisième 0,3 part. Autrement dit, il suffit qu’un couple dispose de revenus seulement 1,5 fois supérieurs à ceux d’une personne isolée pour jouir d’un niveau de vie équivalent ; il n’est pas nécessaire d’avoir deux fois plus de revenus pour avoir un niveau de vie équivalent quand on est deux. Ce n’est pas le calcul que fait le système fiscal, qui compte deux parts pour un couple : c’est un gain fiscal important pour les couples mariés ou pacsés.

Le même système fiscal compte une demi-part pour chacun des deux premiers enfants. Quant au troisième enfant, il compte pour une part entière, depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing : il s’agit clairement d’une mesure nataliste, d’une incitation à avoir un troisième enfant. Il faut donc soigneusement distinguer les « parts politiques » – qui vont au-delà de la recherche d’une forme d’égalisation des niveaux de vie – des parts telles qu’elles sont calculées par les chercheurs et les économistes.

Il existe, là aussi, une dissonance avec le système social : dans le cas du RSA, la première personne compte pour une part et la seconde pour une demi-part seulement ; on est donc plus proche des estimations des économistes.

La question du quotient conjugal est potentiellement très subversive, on le voit dès que l’on compare quotient conjugal et quotient familial. En effet, ce dernier – qui marque la façon dont le système fiscal envisage les enfants à charge – est plafonné depuis le début des années 80, à la demande d’Yvette Roudy et des mouvements féministes, dans une logique de redistribution. Le Gouvernement a, tout récemment encore, choisi d’abaisser ce plafond. En revanche, on n’a jamais touché au quotient conjugal, qui n’est pas plafonné – sauf mécaniquement, pour des revenus très élevés. C’est, là encore, un choix politique : on favorise les couples mariés, mais aussi, et de façon importante, ceux où l’écart de revenus est grand. L’idée de plafonner le quotient conjugal – soit l’avantage fiscal lié à la présence d’un conjoint, qu’il soit ou non à charge, ou lié à des différences de revenus entre conjoints – n’a jamais été posée dans le débat public, contrairement au plafonnement du quotient familial.

L’enfant est pourtant de façon certaine une personne à charge, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’un conjoint… Par exemple, un couple dont l’un des membres est cadre supérieur avec des revenus nettement supérieurs à ceux de son conjoint peut bénéficier d’un quotient conjugal important, car les écarts de revenus sont importants, mais de fait, on ne comprend pas bien pourquoi cet écart serait subventionné au point que cet avantage fiscal ne soit pas plafonné, alors qu’il l’est lorsque l’on a un enfant à charge…

Je ne dispose pas de réponse politique à cette question, mais il pourrait être utile de porter ce débat sur la place publique : c’est tout de même un avantage fiscal qui peut aller jusqu’à 30 000 euros par an ! Certes, il ne s’agit que de quelques rares cas, mais symboliquement, du point de vue de la fiscalité, cela peut sembler aberrant. Il y a là, me semble-t-il, un problème de cohérence des politiques publiques et d’équité fiscale, qui tient à l’idée même de départ de la mise en commun des ressources d’un couple.

Il y aurait plusieurs possibilités de réforme. On pourrait d’abord modifier le calcul des parts fiscales pour se rapprocher des estimations produites par les économistes – au lieu de deux parts, un couple compterait alors pour 1,5 à 1,7 part. On pourrait également plafonner le quotient conjugal, solution qui présente l’intérêt de ne pas toucher les ménages modestes. On pourrait encore autoriser les couples à choisir entre imposition commune et imposition individuelle, mais il serait alors nécessaire de modifier le calcul des parts ; mon collègue Guillaume Allègre a travaillé sur cette hypothèse. Il est, en tout cas, possible de réformer sans impact négatif pour les ménages les plus modestes.

Toutes ces réformes imposent d’ouvrir cette boîte noire qu’est aujourd’hui la mise en commun des ressources.

M. Christophe Sirugue. Vous comparez système fiscal et système social, mais le premier, avec toutes ses bizarreries et tous ses recoins, concerne tous nos concitoyens – et je suis, pour ma part, extrêmement attaché au droit commun –, quand le second répond à des situations particulières. Ils ne reposent ni sur les mêmes bases, ni sur les mêmes financements, et n’ouvrent pas les mêmes droits : n’est-ce pas alors difficile de les comparer comme vous le faites ?

Mme Hélène Périvier. Vous avez raison, les deux systèmes sont très différents, et je ne proposais pas une uniformisation ; je voulais mettre en évidence qu’ils appréhendent la notion de famille et de couple de façon différente. Dès lors, c’est peut-être le principe même du couple et de la famille qu’il faudrait questionner. En prenant un peu de hauteur sur le sujet, on constate que notre système fiscal a été pensé pour l’essentiel dans les années 50, avec une vision particulière et datée de la famille, comme d’ailleurs du célibat. Notre système social s’est plutôt construit au plus proche de la réalité et des situations de détresse que l’on voulait accompagner.

C’est peut-être intellectuellement séduisant, mais il est aujourd’hui difficilement concevable, je crois, d’imaginer aller vers une individualisation complète de l’impôt : ce ne serait ni techniquement facile, ni politiquement faisable, car cette question est de celles qui crispent immédiatement le débat politique.

Il faut essayer de penser la question de façon très large : comment, aujourd’hui, faisons-nous société ? Vous le voyez, je n’apporte guère de réponse, je pose plutôt des questions.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Tout élu local connaît l’infinie complexité de la prise en considération, par exemple pour des tarifs préferentiels à la piscine ou à la médiathèque, de la taille des familles et de la situation des personnes par les différents barèmes appliqués dans une même ville ! Il est donc certainement utile de porter ce débat sur la place publique, même si je ne suis pas sûre que l’on arrive à des conclusions définitives.

Il ne s’agit pas, je le souligne, de s’attaquer à la famille, mais de comprendre quels sont les effets de notre système fiscal sur les choix des femmes. Nous ne sommes évidemment pas contre le fait que des femmes choisissent de rester à la maison, mais la fiscalité ne doit pas, inversement, constituer un frein lorsqu’elles veulent reprendre un emploi !

M. Jacques Moignard. Pour comprendre comment les couples utilisent et mettent en commun leurs ressources, et donc pour réformer le système fiscal, pourquoi ne pas s’intéresser à la façon dont ils gèrent leurs comptes bancaires ? Certains couples ont un compte commun, d’autres des comptes séparés, et d’autres encore optent pour les deux solutions. Chaque couple choisit d’affecter ses ressources aux différents postes de dépense.

Mme Séverine Lemière. Comment une politique publique intervient-elle, même de façon indirecte, dans des choix qui sont considérés comme relevant de la sphère privée ? Plus que des enjeux d’égalité entre femmes et hommes uniquement, il y a là plus exactement des enjeux d’émancipation. Cela renvoie à la symbolique du rapport direct d’une personne avec l’administration fiscale. Cela renvoie aussi aux évolutions sociologiques du couple : les travaux sur la mise en commun des ressources montrent par exemple que plus les deux membres d’un couple sont diplômés, moins ils mettent en commun leurs ressources.

La question qui nous avait été posée par la ministre des Droits des femmes était celle du rôle des politiques publiques dans l’accès des femmes à l’emploi. Des études indiquent qu’il pourrait y avoir création d’emplois avec la réforme fiscale, mais c’est à nuancer. Il faut ici être très prudent : plafonner ou supprimer le quotient conjugal peut supprimer une désincitation à la reprise d’emploi, mais cela ne revient absolument pas à créer une incitation, surtout dans le contexte économique actuel.

Par ailleurs, cette façon de penser l’accès à l’emploi repose sur le principe d’une politique de l’offre – l’incitation à la reprise d’un emploi suffirait à augmenter le travail des femmes. Mais il existe aussi des enjeux de demande, de lutte contre les discriminations, d’accompagnement vers l’emploi des femmes les plus éloignées du marché du travail et d’une politique de l’emploi plus favorable.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez absolument raison ; c’est d’ailleurs pour cette raison que l’on n’a pas modifié radicalement le congé parental, dans la mesure où, si l’on diminuait brutalement sa durée, un certain nombre de femmes en congé parental risqueraient de ne pas retrouver pas un emploi demain. Il ne faut pas dissuader de reprendre un emploi, mais la question de la création d’emplois est très complexe.

De manière analogue, le revenu minimum d’insertion (RMI) pouvait avoir un effet désincitatif sur l’emploi, ce qui a conduit à son remplacement du par le revenu de solidarité active (RSA).

M. Christophe Sirugue. Dispose-t-on de statistiques sexuées sur les personnes non imposables ?

Mme Hélène Périvier. Je ne saurais pas vous le dire. D’une façon générale, nous manquons énormément de données.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est frappant : on manque souvent d’études, notamment sur les différences entre hommes et femmes. Ce serait pourtant indispensable pour mettre en place des politiques efficaces. Ainsi, on sait peu de choses sur les conséquences des divorces : quelques études montrent que les recompositions familiales sont plutôt défavorables aux femmes, mais les travaux restent peu nombreux.

Mme Hélène Périvier. Quant aux comptes bancaires joints ou séparés, Sophie Ponthieux s’y est intéressée de façon très approfondie. Ce qui compte, c’est la façon dont chacun contribue aux dépenses du ménage : des comptes séparés ne signifient pas qu’il n’y a pas de mise en commun – par exemple, il y a des cas dans lesquels chacun a un compte, mais celui qui a un compte mieux fourni acquitte 90 % des dépenses du ménage. Cela ne peut donc pas constituer une assise solide pour une politique fiscale.

À mon sens, c’est le logement – ou l’habitat au sens large, si vous voulez – qui peut le mieux montrer la mise en commun des ressources : c’est là qu’il y a des économies d’échelle, et c’est là aussi qu’il y a des engagements forts, avec une prise de risque commune sur le long terme etla construction d’un patrimoine. Si le mariage est aujourd’hui un tel nœud de crispation, c’est à cause de l’importance que lui donne notre système fiscal et social quand il paraît obsolète à beaucoup.

Sur la question du divorce, effectivement, on sait très peu de choses. Le règlement d’un divorce n’est pas vraiment un solde de tout compte : on ne prend pas en considération la carrière qui ne s’est pas déroulée ou la promotion qui n’a pas eu lieu. Ce qui se joue dans la division sexuée du travail au sein des couples mariés est complexe. Or nos institutions envoient aujourd’hui des signaux très flous en matière de prise de risque : les gens ne se rendent pas compte des risques que leurs choix leur font courir ; ils se sentent, et notamment les femmes, protégés par le système fiscal et social. Pour les couples mariés, cette protection est réelle : le divorce sera réglé par un juge, même s’il demeure une incertitude sur l’équité de ce règlement qui dépend de nombreux facteurs, en particulier des revenus de chacun. La mise en commun des ressources, c’est aussi le choix de l’un, c’est-à-dire le plus souvent de l’une, de s’occuper plus des enfants, de se consacrer plus au ménage, etc., mais c’est très difficile à mettre en évidence et à calculer.

Il ne s’agit évidemment pas d’être contre les enfants, le couple, la famille, mais de montrer les risques que prend chacun. La décision de s’arrêter de travailler a un coût élevé, et il serait peut-être bon que nos institutions envoient à ce sujet des signaux plus clairs.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est un problème qui nous est apparu au moment de la réforme des retraites : le partage des droits à la retraite quand un couple divorce est, dans notre système, une question insoluble. C’est souvent au moment du divorce ou de la retraite que les femmes comprennent le coût énorme des choix qu’elles ont faits – alors même qu’une femme qui élève des enfants a une vraie valeur pour la société. Il faudrait commencer par offrir une meilleure information, notre système demeurant très opaque.

Mme Séverine Lemière. Ce sont des choix faits par le couple et la famille pour le couple et la famille ; or ce sont souvent les femmes qui en subissent les conséquences. Le problème, c’est ce déséquilibre.

Mme Hélène Périvier. Non seulement on en sait très peu sur les divorces, mais on en sait moins encore sur les ruptures en général – celles des couples mariés, des couples pacsés, mais aussi des couples en union libre. Ceux-ci sont très mal protégés – même si l’on peut considérer qu’ils ont choisi de se placer hors de la logique du système, et qu’il est donc normal qu’ils ne soient pas protégés. On pourrait aussi choisir de réformer le système.

Sur la question du patrimoine, je pense que les arbitrages des couples sont aussi très sexués.

M. Christophe Sirugue. Il n’y a pas de réforme fiscale possible sans réflexion sur les nouveaux modes de vie de nos concitoyens. Sinon, on fossilise le système. Plutôt que de se focaliser sur la seule cause des femmes, il faut se pencher sur le vrai problème, qui est l’équité fiscale. Mais il est difficile de révolutionner notre organisation, même pour s’approcher de la réalité vécue.

Je plaide, pour ma part, pour que chacun paye un impôt : moins on est dans le droit commun, et moins on se sent légitime pour demander la solidarité nationale. C’est une question qui se pose tout spécialement pour les femmes.

Mme Maud Olivier. Existe-t-il des simulations des recettes fiscales que pourrait retirer l’État d’une réforme du quotient conjugal ? Qui serait touché ?

Mme Hélène Périvier. L’OFCE n’a pas accès aux enquêtes Revenus fiscaux – ce qui pose d’ailleurs un problème pour l’évaluation des politiques publiques par des organismes indépendants de recherche. En revanche, Bertrand Fragonard, président du Haut conseil de la famille, avait, me semble-t-il, demandé des simulations à Bercy.

Tout dépend, bien sûr, des hypothèses de départ, mais il me semble qu’un plafonnement du quotient conjugal à 2 400 euros rapporterait de l’ordre de 2 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires. Une individualisation totale de l’impôt – qui ne serait en fait pas souhaitable, pour de nombreuses raisons – rapporterait, je crois, une dizaine de milliards. Ce sont des sommes considérables.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, mesdames.

La séance est levée à 15 heures 05.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Catherine Coutelle, M. Jacques Moignard, Mme Maud Olivier et M. Christophe Sirugue.

Excusés. - M. Guy Geoffroy et Mme Valérie Lacroute.