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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, sous forme de table ronde, de représentantes d’associations du collectif Abandon de famille –Tolérance Zéro, de la Fédération nationale Solidarité Femmes, de l’association SOS les Mamans et du Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles, sur la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant (n° 1856)

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition, sous forme de table ronde, de représentantes de l’association SOS les Mamans, de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), du Collectif Abandon de famille-Tolérance Zéro et du Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), sur la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant (n° 1856).

La séance est ouverte à 16 heures 30

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous recevons aujourd’hui, pour évoquer la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, des représentantes de l’association SOS les Mamans, de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), du Collectif Abandon de famille-Tolérance zéro et du Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF). La rapporteure de notre délégation sur ce texte est Mme Marie-Noëlle Battistel.

La Délégation aux droits des femmes s’est emparée tardivement de cette proposition de loi, préparée durant les cinq semaines d’interruption des travaux de l’Assemblée nationale liées aux élections municipales. Fait inhabituel, elle a été cosignée par tous les membres du groupe SRC sans leur avoir été présentée. Si nous l’assumons, nous sommes en train de nous apercevoir, au fil des auditions, que ce texte, qui nous a été présenté comme sans problème, soulève en fait de nombreuses questions.

Les associations que nous recevons cet après-midi ont déjà été entendues par les rapporteurs du texte, qui a été renvoyé à la commission des Lois. Dans un premier temps, il avait pu sembler que la Délégation aux droits des femmes n’avait pas nécessairement à prendre position, le texte ayant vocation à traiter de problèmes de couple et de parentalité. Nous avons changé d’avis en constatant qu’il n’abordait absolument pas le problème des violences conjugales, comme s’il ne devait concerner que des couples qui s’entendent pour régler leurs problèmes à l’amiable. Plus grave, il constitue – comme l’a souligné Mme Ernestine Ronai, coordinatrice nationale des violences faites aux femmes  de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) – un fâcheux signal pour la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, qui commence tout juste à porter ses fruits. À cet égard, l’exposé des motifs – que nous ne pouvons pas amender – n’est pas acceptable.

La proposition de loi doit être discutée en séance publique le 19 mai.

Mme Maud Olivier. Les contraintes d’organisation du débat parlementaire font malheureusement que nous avons été mis devant le fait accompli. Par bonheur, vous avez été auditionnées par les rapporteurs du texte, Mme Marie-Anne Chapdelaine et M. Erwann Binet. De son côté, la Délégation aux droits des femmes a décidé de s’en emparer. Nous avons auditionné hier Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, qui avait déjà été alertée sur un certain nombre de points litigieux. Certes, le texte n’est pas définitif, mais tous les amendements que nous aimerions lui apporter ne pourront pas être adoptés. Pour notre part, nous sommes très sensibles à la cause que vous défendez. Nous venons d’entendre des magistrats – parmi lesquels M. Édouard Durand, auteur de l’ouvrage Violences conjugales et parentalité : protéger la mère, c’est protéger l’enfant – et des avocats, et nous allons essayer de porter vos revendications.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous ne disposons malheureusement que d’une heure. Je vous invite donc à nous laisser – si vous le souhaitez – des contributions écrites qui pourront être prises en compte pour notre rapport, et à privilégier dans vos interventions les points sur lesquels vous avez le sentiment d’avoir été insuffisamment entendues par les rapporteurs.

Mme Christine Passagne, conseillère technique au Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF). Le CNIDFF est favorable à la substance même de cette proposition de loi, qui prône l’égalité entre les pères et les mères.

En revanche, il a relevé d’emblée l’absence de garde-fous en ce qui concerne les violences au sein du couple, à l’exclusion de l’article 4, qui traite du changement de résidence et prévoit une exception à l’obligation d’accord de l’autre parent lorsque ce dernier a été condamné pour des faits de violence à l’encontre de celui qui déménage. Cette exception est insuffisante : elle ne devrait pas se limiter à l’article 4. Les rapporteurs du texte estiment qu’il n’est pas possible de prévoir une exception pour chaque dispositif, mais qu’un « chapeau » général d’exception en cas de violence pourrait à la rigueur être envisagé.

Quel que soit le cas de figure, la rédaction retenue pour l’article 4 – qui dispose que « l’accord de l’autre parent n’est pas requis lorsque celui-ci a été condamné soit comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit sur la personne du parent qui souhaite changer la résidence ou l’établissement scolaire de l’enfant » – n’est pas satisfaisante, en particulier s’agissant du changement de résidence, qui se fait généralement dans l’urgence, face à un danger. Les mots « a été condamné » pourraient être compris comme faisant référence à une condamnation définitive, sachant que celle-ci peut intervenir des années après les faits. Mieux vaudrait les remplacer par les mots « lorsqu’une ordonnance de protection a déjà été prononcée ».

Il est difficile de trouver une terminologie précise sur laquelle fonder cette exclusion. Nous pourrions introduire les notions de danger, de violence constatée par les services de police ou par un certificat médical, sachant qu’il ne faut pas être exhaustif si l’on veut pouvoir prendre tous les cas en compte. Pourquoi ne pas reprendre la notion de danger qui a été retenue pour l’ordonnance de protection ? La nécessité de prévoir une exception en cas de violences pour tous les dispositifs du texte trouve son fondement dans le fait que ces violences risquent d’être réitérées. La notion de danger nous semble importante, de même que la notion de temporalité entre la commission des violences et la décision de justice. Des violences ont pu être commises longtemps auparavant et ne pas se reproduire, mais le seul fait de se retrouver à nouveau devant la justice peut faire renaître un climat de violence. La notion de danger de réitération des violences est donc fondamentale.

L’autre constat que nous faisons est que la proposition de loi est contraire aux dispositions de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul, qui devrait entrer en vigueur cet été, et notamment à son article 31, qui prévoit que « les parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que, lors de la détermination des droits de garde et de visite concernant les enfants, les incidents de violence couverts par le champ d’application de la présente convention soient pris en compte ». Or le texte ne le fait pas.

Pour les rapporteurs, le texte entend traiter exclusivement de l’autorité parentale et de l’intérêt de l’enfant, le sujet des violences étant déjà traité par le droit en vigueur. En somme, nous a dit Mme Chapdelaine, vous nous demandez de combler les failles de la législation actuelle sur les violences. Cette législation est en effet insatisfaisante en ce qui concerne la protection des femmes, lui avons-nous répondu. Mais j’irais plus loin : la proposition de loi a un effet négatif sur la législation actuelle. Je pense en particulier aux articles 3 et suivants, relatifs à la fixation de la résidence de l’enfant. Le changement, qui apparaît comme sémantique, pourrait être interprété – surtout à la lecture de l’exposé des motifs – dans un sens défavorable aux enfants.

Je terminerai sur l’audition de l’enfant. Nous sommes plutôt favorables à l’article 19, qui prévoit que « le mineur est entendu d’une manière adaptée à son degré de maturité ». En revanche, nous attirons votre attention sur le danger que représente le syndrome d’aliénation parentale, qui vient d’être reconnu par la Cour de cassation. Il est bon que l’enfant soit entendu ; mais si l’on considère que ses propos peuvent être manipulés par l’autre parent, cela risque d’avoir un effet pervers.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Peut-être faudrait-il prévoir un article pour contrer cette jurisprudence.

Mme Christine Passagne. Tout en sachant que ce syndrome n’est pas reconnu par la communauté scientifique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais l’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes, que la Cour de cassation a confirmé, s’appuyait sur les conclusions de l’enquête sociale.

Mme Stephanie Lamy, co-fondatrice du Collectif Abandon de famille-Tolérance zéro. En Australie, une requérante a obtenu l’annulation d’un jugement qui se fondait sur un « diagnostic » de syndrome d’aliénation parentale. Le professionnel de santé qui en avait été à l’origine a même été sanctionné.

Mme Christine Passagne. Il est à noter que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se réfère depuis plusieurs années au syndrome d’aliénation parentale.

Mme Stephanie Lamy. Le Collectif Abandon de famille-Tolérance zéro rassemble quelques papas, mais surtout des mamans, qui ont été abandonnés – que ce soit matériellement ou affectivement – avec des enfants.

Très franchement, l’exposé des motifs du texte nous a fait sourire. Il cite l’étude de l'Institut national d'études démographiques (INED), selon laquelle près d’un enfant de parents séparés sur cinq ne verrait jamais son père, et l’on semble imputer à la résidence le fait que les pères n’aient plus de lien avec l’enfant. Or l’examen des données brutes de cette étude montre que ce n’est pas la résidence qui est en cause, mais bien le mode de vie de ces pères : 14 % d’entre eux ne voient jamais leur enfant lorsqu’ils vivent seuls ; ils sont 24 % s’ils vivent en couple et ont un enfant dans le cadre de cette nouvelle union.

L’exposé des motifs reprend une terminologie que nous entendons depuis bientôt dix-huit mois : les « prérogatives » des parents. Nous tenons à rappeler que le maintien de la relation avec ses deux parents est un droit de l’enfant – c’est en tout cas ce que dit le code civil. Or le droit de visite et d’hébergement (DVH) semble de plus en plus compris comme un droit des parents – ce qui change tout. Il est temps de remettre les pendules à l’heure !

Nous avons aussi examiné cette proposition de loi sous l’angle économique. De ce point de vue, il apparaît que fixer la résidence de l’enfant au domicile des deux parents implique un partage des acquis sociaux et fiscaux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous travaillons sur ce point avec Mme Rossignol. Il serait possible de faire référence à la résidence où habite régulièrement l’enfant.

Mme Stephanie Lamy. Nous tenons à insister sur ce point, d’autant que dans les familles que représente notre Collectif, l’autre parent n’est généralement plus là.

Nous considérons nous aussi que le texte ne prend pas en compte toutes les violences couvertes par le champ d’application de la convention d’Istanbul, notamment les violences économiques reconnues dans son article 3. Malheureusement, il n’existe pas de loi traitant des violences économiques en France, alors qu’il s’agit d’un point majeur. Ces violences peuvent survenir pendant la vie de couple, au moment de la séparation et après celle-ci. Je ne pense pas seulement aux pensions alimentaires, mais aussi aux refus de dissoudre le patrimoine ou aux tentatives de minorer sa valeur : autant de mécanismes destructeurs, qui mériteraient d’être mieux connus et sur lesquels n’existe aucune étude.

L’autre violence constatée est l’abandon d’un parent. Il n’est bien sûr pas question de toucher à la filiation, mais il nous semble nécessaire de rappeler dans les textes une disposition qui figure à l’article 373 du code civil…

Mme Delphine Boué, représentante du Collectif Abandon de famille-Tolérance zéro. Je vous en donne lecture : « Est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause ». Elle n’est jamais appliquée.

Mme Stéphanie Lamy. De nombreux jugements se refusent à priver de l’autorité parentale des pères pourtant absents depuis des années.

Mme Delphine Boué. À ma connaissance, je suis la seule à avoir obtenu ce retrait de l’exercice de l’autorité parentale. Le père de mes enfants est parti vivre à des milliers de kilomètres ; le juge a considéré qu’il était contraire à leur intérêt de maintenir une autorité parentale dans ces conditions et que cela constituerait une entrave pour moi, qui les élevais seule. Il s’est appuyé pour cela sur l’article 373 du code civil. En revanche, il a maintenu un DVH à l’international d’un mois complet – pour des enfants qui ne reconnaissaient pas leur père dans la rue, et sans aucune adaptation. Je me suis ainsi retrouvée dans la situation où mes enfants pouvaient partir un mois au Maroc, sans que personne ne soit en mesure d’exercer l’autorité parentale sur eux sur le territoire marocain. Je n’avais pas le choix : il fallait que je les accompagne. Leur père a refusé, au motif que le jugement ne le stipulait pas. Son objectif n’étant pas de voir ses enfants, mais plutôt de m’attirer des ennuis, le projet n’a pas eu de suite. Mais que se serait-il passé s’il avait fallu que je lui envoie les enfants ?

Mme Stephanie Lamy. Nous tenons à votre disposition une copie de ce jugement. C’est un bon jugement pour ce qui concerne la suppression de l’autorité parentale.

Toujours au sujet de l’exercice de l’autorité parentale, nous notons qu’en ce qui concerne les adoptions, le rapport de Mme Irène Théry sur la filiation, les origines et la parentalité opère une distinction entre le fait d’être titulaire de l’autorité parentale et l’exercice de cette autorité. N’est-ce pas une piste qui pourrait être explorée pour les cas de violence ou d’abandon ? Pour nous, on ne peut exercer l’autorité parentale lorsque l’on est violent, absent, et que l’on ne contribue pas à l’entretien du ménage. De ce point de vue, exiger la signature des deux parents pour le changement d’établissement apparaît plutôt incongru. Je pense à cette maman qui avait retrouvé du travail en province, à la campagne. Le père, qui ne payait pas la pension alimentaire, a refusé qu’elle inscrive les enfants à la cantine. Elle n’a donc pas pu reprendre un travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est hélas fréquent.

Mme Stephanie Lamy. Avant toute décision, il nous semble urgent de mener des études sur les non-représentations d’enfant. Beaucoup de témoignages font état de fausses plaintes déposées pour contrer une plainte en abandon de famille. Nous avons également connaissance de nombreux cas de pères qui ne viennent pas chercher l’enfant, mais portent quand même plainte.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et ces plaintes sont recueillies ?

Mme Delphine Boué. J’ai moi-même été convoquée à la gendarmerie six heures après le dépôt de la plainte de mon ex-conjoint pour non-représentation d’enfant, alors qu’il ne bénéficiait pas d’un DVH à ce moment-là. Lui-même n’a été convoqué que neuf mois après le dépôt de ma plainte pour abandon de famille !

Mme Stephanie Lamy. Nous souhaitons un renforcement du droit en vigueur en ce qui concerne l’abandon de famille, afin de revenir au texte de 1994, qui était beaucoup plus clair. Je m’en suis entretenue avec le cabinet de Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui s’est montré plutôt ouvert à cette demande. De même, nous souhaitons voir aborder la question du harcèlement économique. Certaines mamans sont soumises à des pressions sexuelles pour le versement de la pension alimentaire – oui, le droit de cuissage existe encore en France ! Pourtant, la contribution – je dis bien la contribution, et non la pension – alimentaire est aussi un devoir parental.

Mme Nicole Crépeau, vice-présidente de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF). Nous tenons à rappeler que nous défendons les droits des femmes et des hommes, et que nous luttons pour une réelle égalité dans la famille et les droits parentaux. Père et mère doivent être égaux dans leurs responsabilités et leurs compétences parentales, dans leurs droits comme dans leurs devoirs. J’insiste sur ce point, car la proposition de loi parle davantage des premiers que des seconds.

En outre, elle ne prend pas en compte les situations de violence, qui ne sont évoquées qu’une seule fois, à l’article 4. Pour nous, elle accroît le risque en renforçant la notion de surveillance ou de contrôle du parent qui ne vit pas avec l’enfant au quotidien. Elle aggrave les sanctions en cas de non-représentation d’enfant. De fait, elle ne permet pas à la mère de s’éloigner pour se soustraire aux violences.

Nous nous interrogeons sur l’opportunité de cette proposition de loi, alors que la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale parlait d’autorité parentale conjointe, de garde alternée et de médiation familiale. Qui sont donc les pères qui demandent cette loi, sachant que dans 80 % des cas de séparation, les parents se sont mis d’accord ?

Ainsi que cela a été dit, le texte ne fait même pas référence à la loi de 2010. Il est en contradiction avec le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui vient d’être voté. S’il y a autant de différence entre le parent qui a la garde, le plus souvent la mère, et le père, c’est bien parce que nous vivons dans une société où les inégalités perdurent dans la vie quotidienne.

Nous ne pouvons donc accepter cette proposition de loi qui nie l’existence de violences et la réalité de certaines situations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Lorsque vous avez été auditionnées par les rapporteurs, leur avez-vous précisé quelles dispositions vous souhaitiez voir introduire dans le texte ? Avez-vous eu le sentiment d’être entendues ?

Mme Françoise Brié, vice-présidente de la FNSF. Nous sommes en train de finaliser un texte que nous leur adresserons ainsi qu’à votre délégation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le délai est court, puisque le texte doit être discuté dans l’hémicycle le 19 mai.

Mme Françoise Brié. Nous avons cru comprendre que la possibilité pour une femme de se domicilier chez une personne morale, qui figurait dans le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, avait été supprimée par le Sénat. Tous les garde-fous ont donc été levés.

Mme Maud Olivier. Elle sera rétablie par l’Assemblée nationale.

Mme Françoise Brié. Non seulement la loi ne protège pas les femmes, mais depuis quelque temps, nous constatons que des femmes se voient condamnées pour s’être éloignées géographiquement alors qu’elles étaient en grand danger, et que la résidence des enfants est confiée à l’agresseur. L’application de la loi était déjà limitée ; avec cette proposition de loi, nous nous retrouvons avec un permis de harceler.

Nous avons participé au groupe de travail interministériel sur la coparentalité, qui s’est réuni à plusieurs reprises en 2013 sous l’égide des ministères de la famille et de la justice. Nous vous donnerons notre position sur les différents points qui ont été évoqués dans ce cadre.

Il est important que la convention d’Istanbul figure en introduction ou en « chapeau » dans le texte, pour rappeler les grands principes, en particulier le fait que la violence à l’encontre du parent fiable ou de l’enfant lui-même doit toujours peser dans les décisions relatives à l’exercice des droits parentaux, et que l’exercice du droit de visite ou de résidence ne doit à aucun moment compromettre la sécurité des victimes et celle de leurs enfants.

En ce qui concerne l’article 3, nous ne sommes pas favorables à une définition de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, dans la mesure où il existe déjà une jurisprudence dans ce domaine.

Pourquoi ne pas introduire une définition de la violence conjugale dans le code civil, afin que les juges puissent s’en saisir ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela ne vous paraît pas clair ?

Maître Isabelle Steyer, avocate de la FNSF. Non. Cette définition de la violence conjugale n’existe pas de fait dans le code civil. En matière pénale, elle n’existe que dans la mesure où elle peut conduire à une condamnation pénale, et non à une incapacité de travail temporaire (ITT) ; elle n’est pas définie comme la violence conjugale qui conduit à ruiner la santé de la femme et sa liberté. C’est précisément parce qu’il n’existe pas de définition que l’on tente de « lisser » la violence conjugale en passant par cette proposition de loi sur l’autorité parentale, qui donne à penser qu’il ne s’agit pas de violence conjugale, mais de conflit parental.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Notre attention avait-elle été attirée sur cette nécessité de définir la violence conjugale au moment du débat sur la loi de 2010 ?

Maître Isabelle Steyer. Je l’avais fait. Je vais vous redire pourquoi cette définition est nécessaire en matière civile, et non en matière pénale. En matière civile, le demandeur et le défendeur ont le même pouvoir probatoire, alors qu’en matière pénale, la charge de la preuve est renversée. La victime doit donc prouver ce qui lui arrive, tandis que l’auteur est présumé innocent et peut donc se présenter comme victime de fausses allégations de la part de cette première. En outre, les magistrats qui ont à connaître de cas de violences conjugales sont encore très peu formés en ce domaine ; par conséquent, il n’existe pas de définition intellectuelle qui soit partagée par tous sur ce qu’est la violence conjugale. Il est donc important que le code civil soit clarifié sur ce point.

Cette proposition de loi vient vider de son sens la loi de 2010. Faut-il rappeler qu’en matière de violences conjugales, rien ne fonctionne normalement, que tous les schémas de pensée et d’agissement sont inversés ? Les hommes utilisent les principes généraux, que ce texte renforce, pour ne plus protéger les femmes, et les magistrats font prévaloir le principe général, puisque nous ne sommes pas dans l’exception. Les mères qui quittent le domicile en urgence, avec les preuves qui sont les leurs en matière de violences conjugales, perdent aujourd’hui systématiquement la garde des enfants, y compris de bébés, quand bien même elles ont bénéficié d’une ordonnance de protection trois mois auparavant – c’est la tendance actuelle. Elles ne sont pas suffisamment protégées par l’ordonnance de protection, n’ayant à peu près jamais droit à la protection de leur adresse, puisqu’il y a des enfants. Elles sont donc encore poursuivies ; et lorsqu’elles partent un peu plus loin, elles perdent la garde de leurs enfants. La loi de 2010 n’est donc pas assez efficace, puisque seuls deux ou trois articles visent la violence conjugale et que celle-ci n’est pas définie. Elle intègre la violence psychologique, en matière pénale, où les preuves sont très difficiles à apporter. Lorsque la femme allègue de violences physiques, l’homme répond qu’il est victime de violences psychologiques – et on le croit, puisqu’il est reçu bien avant elle lorsqu’il va déposer plainte pour non-représentation d’enfant.

Mme Stéphanie Lamy. Intégrons donc la violence économique dans les textes.

Maître Isabelle Steyer. Je vous rejoins : il faut intégrer la violence économique dans la définition de la violence conjugale. En effet, c’est par la multiplication des procédures, l’organisation de l’insolvabilité, ou encore en l’empêchant d’accéder aux comptes, que l’on parvient à ruiner l’autre partie, à la mettre à la rue, bref à la réduire à néant pour récupérer la garde des enfants. La législation et la jurisprudence ne font donc que reproduire ce qui se passe à l’intérieur des couples. Cette proposition de loi va donner à l’agresseur, par le biais de l’autorité parentale – qui est le chemin de croix des victimes de violences conjugales, puisqu’elles devront demander l’autorisation pour tout, ce qui est aussi une atteinte à leur liberté –, un instrument légal pour saisir le magistrat pour un oui ou pour un non. Avec le pouvoir économique dont il dispose le plus souvent, il lui suffira d’un peu de savoir-faire pour ruiner une femme victime de violences.

Mme Françoise Brié. En fait, il faudrait introduire dans chaque article une exception de principe pour les cas de violence conjugale.

Maître Isabelle Steyer. Ou une exception générale selon laquelle le principe ne peut s’appliquer à ces cas.

Reste à prouver que l’on se trouve dans une situation de violence conjugale. Certainement pas en exigeant une condamnation, puisque seule une femme concernée sur dix porte plainte, et que très peu de ces plaintes débouchent sur une condamnation.

Mme Christine Passagne. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la rédaction de l’article 4 n’est pas satisfaisante à cet égard.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous allons demander à ce qu’elle soit modifiée en faisant plutôt référence à l’ordonnance de protection.

Mme Christine Passagne. Il y a des juridictions qui n’en prononcent aucune.

Maître Isabelle Steyer. J’attire votre attention sur le fait que la référence à l’ordonnance de protection pourrait avoir un effet pervers en donnant à penser que les femmes qui ne sont pas titulaires d’une telle ordonnance ne sont pas victimes.

Mme Françoise Brié. Retenons plutôt le dépôt de plainte, les témoignages, les certificats médicaux, bref toutes les preuves qui peuvent être utilisées à l’appui d’une demande d’ordonnance de protection.

Mme Stéphanie Lamy. Dans un rapport qui vient d’être publié, le Haut Conseil de la famille préconise la création d’une juridiction spécialisée pour ces affaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cette éventualité avait déjà été débattue en 2010. Je sais que cela existe en Espagne, mais nous n’avions pas voulu y donner suite à l’époque. Il faut dire que les juridictions spécialisées ont mauvaise presse en France.

Mme Nicole Crépeau. Qu’il y ait au moins des juges spécialisés ou formés.

Mme Françoise Brié. La FNSF est tout à fait d’accord pour donner la parole à l’enfant et pour contrer la jurisprudence de la Cour de cassation sur le syndrome d’aliénation parentale. Mais nous sommes favorables à ce qu’un avocat soit désigné pour porter la parole de l’enfant, afin d’éviter de confronter celui-ci à un conflit de loyauté.

Mme Carole Lapanouse, présidente de l’association SOS les Mamans. À nos yeux, cette proposition de loi va fragiliser davantage les parents protecteurs, qui sont surtout des femmes puisque la pédocriminalité est masculine à 97 %, que 600 000 femmes sont chaque année touchées par les violences conjugales et 200 000 par les violences sexuelles.

Il nous paraît moins important de légiférer sur les conventions, qui s’appliquent déjà dans la majorité des cas, que sur les conflits, a fortiori lorsqu’il s’agit de conflits avec allégations de violence.

Nous rejoignons évidemment le CNIDFF au sujet du syndrome d’autorité parentale et avons obtenu de Mmes Taubira et Vallaud-Belkacem la promesse que la question serait étudiée.

Nous sommes également d’accord avec la FNSF, notamment lorsqu’elle dénonce le durcissement des pénalités applicables en cas d’éloignement géographique, sachant qu’une femme qui se voit aujourd’hui proposer par Pôle emploi un emploi à cinquante kilomètres de chez elle est déjà dans l’obligation de le refuser.

Il est essentiel de savoir ce que recouvre une non-représentation d’enfant et dans quelles proportions ces non-représentations peuvent être la conséquence d’allégations de violence.

Nous nous interrogeons également sur la double domiciliation : ne risque-t-on pas au final d’aboutir à une garde alternée par défaut ? Dès 2002, la Société française de psychiatrie et les associations de défense des droits des femmes avaient alerté M. Perben sur les résidences alternées imposées sans garde-fou. Cela fait douze ans, et rien n’a changé. La proposition de loi précise qu’un déménagement ou un changement d’école sont des actes importants. Pourquoi dès lors ne requerraient-ils pas la double signature ?

Le témoignage de Barbara que vous allez entendre illustrera mon propos. Cette maman, parent protecteur, dont la fille a subi des attouchements signalés par la crèche car il n’était même plus possible de lui mettre une couche, se retrouve en situation de non-représentation d’enfant, et la proposition de loi va aggraver la contravention qu’elle encourt et les risques d’emprisonnement qui pèsent sur elle. De surcroît, on lui impose la garde alternée alors que son enfant a fait l’objet de deux autres signalements par des professionnels.

Mme Françoise Brié. On considère souvent qu’il s’agit d’allégations mensongères. Une mère qui affirme que son enfant est victime de tels faits est d’emblée discréditée.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais, en l’occurrence, le signalement a été fait par la crèche…

Mme Delphine Boué. Les professionnels sont également mis en cause. Je suis orthophoniste, et nous avons des ordres très clairs de nos syndicats nous enjoignant de ne plus délivrer d’attestation dans les situations de divorce.

Barbara, maman victime, de l’association SOS les Mamans. Les directeurs d’école appliquent les mêmes consignes.

Pour en revenir à mon cas, j’ai porté plainte pour violence à quatre reprises contre le père de ma fille, mais, malgré neuf jours d’ITT, aucune de ces plaintes n’a été retenue contre lui. Ma fille, aujourd’hui âgée de quatre ans et demi, a fait l’objet d’un signalement de la part de la crèche, puis de la part d’un médecin, pour suspicion d’abus sexuel. Elle a été vue par un expert qui, contrairement aux recommandations, ne m’a jamais rencontrée, ni son père. Elle est en résidence alternée car, après deux non-représentations, le père a porté plainte contre moi en correctionnelle. Je me plie donc au jugement, bien que ma fille parte chez son père en hurlant.

Mme Maud Olivier. Votre fille est-elle victime de violences ?

Barbara. Elle se plaint de violences et d’abus sexuels. La crèche a fait un signalement il y a deux ans après avoir constaté des rougeurs. Aujourd’hui, elle peut s’exprimer, mais en vain puisqu’on ne l’écoute pas.

Mme Carole Lapanouse. Barbara ne peut plus aborder ces choses-là avec sa petite fille, car son avocate l’a avertie qu’elle serait accusée, le cas échéant, d’entretenir le conflit avec le père.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais la protection maternelle et infantile (PMI) n’est-elle pas intervenue ?

Barbara. La PMI ne s’est pas mouillée et n’a pas voulu trancher.

Claire, maman victime, de l’association SOS les Mamans. Je suis dans une situation similaire. Mes enfants de quatre et six ans sont battus par leur père, qui a été condamné à six mois de prison avec sursis pour violences conjugales.

À l’origine, ils voyaient leur père dans un lieu médiatisé. Après un avis favorable du psychologue, convaincu que les réticences de mon fils envers son père n’étaient que la projection de mes propres angoisses, la cour d’appel de Paris a accordé à mon ex-conjoint un droit de visite élargi, autant dire une quasi-garde alternée.

Lorsque mes enfants me disent aujourd’hui que leur père les bat, je leur réponds que je ne peux rien faire, et ce malgré une condamnation pénale, un signalement fait par la crèche pour enlèvement d’enfant, deux signalements faits par l’école et des attestations du pédiatre ayant constaté les coups.

J’ai fait un référé en urgence en novembre. Nous avons été convoqués il y a un mois seulement : le père n’était pas à l’audience ; il était parti à l’étranger avec les enfants.

L’ultime audience, devant le juge des enfants, s’est soldée par un non-lieu, le juge m’ayant expliqué que ce n’était pas parce que mon mari me frappait qu’il frappait aussi mes enfants et que je devais arrêter de jouer les victimes ! Il a estimé se trouver devant une banale situation de conflit parental et a conclu qu’en cas de désaccord persistant entre moi et mon ex-conjoint, il procéderait au placement des enfants.

Le père fait appel de toutes les décisions. J’en ai pour quinze mille euros de frais d’avocat et suis asphyxiée financièrement. D’autant que j’ai pu conserver le domicile conjugal, mais à titre payant, ce qui fait de moi la locataire de mon agresseur.

En lisant la proposition de loi, je suis tombée à la renverse : l’autorité parentale n’est qu’un moyen supplémentaire donné aux agresseurs pour agresser les femmes.

Mme Carole Lapanouse. Il faut arrêter les médiations en cas de violence, elles sont inutiles.

Maître Charlotte Posse, avocate de l’association SOS les Mamans. Je suis avocate bénévole de l’association SOS les Mamans. Nous avons été reçues ce matin par Mme Rossignol et avons évoqué avec elle la question de la preuve, qui n’a rien d’évident lorsqu’il s’agit de jeunes enfants, a fortiori lorsque le juge met en doute l’origine des bleus constatés et qu’il se demande si ce n’est pas la mère qui les aurait intentionnellement provoqués dans le but de faire accuser son conjoint…

Mme Maud Olivier. Vos exemples doivent nous aider à exposer aux auteurs de la proposition de loi que la question est, en l’état, mal posée.

Maître Isabelle Steyer. Le problème est qu’il n’y a pas de lien entre le pénal et le civil, ni entre le juge aux affaires familiales (JAF) et le juge des enfants.

Mme Catherine Coutelle. Ce n’est pas forcément le sentiment de la magistrature.

Maître Charlotte Posse Les violences conjugales sont parfois jugées après l’audience devant le JAF et ne sont donc pas prises en compte par ce dernier, car les deux procédures se déroulent en parallèle, dans des délais différents.

J’en reviens à notre entretien avec Mme Rossignol. Nous avons également soulevé avec elle le fait que cette proposition de loi nous semble instaurer une résidence alternée déguisée. Auparavant, le juge avait à décider entre trois options : droit de visite et hébergement classique, droit de visite élargi ou garde alternée. Comment statuera-t-il désormais en cas de résidence chez les deux parents ? On nous a parlé d’une résidence à 85 % chez la mère et à 15 % chez le père. Mais que se passera-t-il si quelqu’un demande une garde à 28 % ? La proposition de loi n’est pas très claire sur cette question.

Mme Françoise Brié. Les situations de violence ne sont pas que des cas particuliers, elles concernent des millions des personnes. Nos associations sont sans cesse confrontées aux difficultés causées par l’exercice de l’autorité parentale, et cette loi ne va pas nécessairement améliorer les choses.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ne nous le cachons pas, cette loi est une victoire pour certains.

Mme Carole Lapanouse. Mme Rossignol nous a expliqué ce matin que les notions de violence et de double signature étaient compliquées à introduire dans la loi. Mais la contraventionnalisation de la non-représentation de l’enfant lors de la première infraction et l’établissement d’une double domiciliation, avec tous les changements que cela implique, en particulier dans le code des impôts, ne sont-elles pas tout aussi complexes à mettre en œuvre ? Certains discours sont intolérables et pourraient nous conduire, à défaut de monter sur des grues, à mettre le feu.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous vous avons entendues, mesdames, et nous ferons notre possible pour que la violence dont vous nous avez fait part soit prise en compte.

La séance est levée à 17 heures 35.

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Membres présents ou excusés

Présentes. - Mme Catherine Coutelle, Mme Maud Olivier.