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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 22 octobre 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 5

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition de Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), et de M. Hervé Henrion, conseiller juridique, sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile (n° 2182).

La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation procède à l’audition de Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), et de M. Hervé Henrion, conseiller juridique, sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile (n° 2182).

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame, monsieur, soyez les bienvenus. Comme vous le savez, la réforme de l’asile sera discutée en séance publique au début du mois de décembre. La Délégation a souhaité se saisir du texte, dans la mesure où les questions du genre et de l’égalité femmes-hommes se posent également dans le cadre du droit d’asile.

Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Sur cette réforme, nous avons également été auditionnés par la Commission des lois.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Au titre de la Délégation aux droits des femmes, nous présenterons un rapport dans lequel nous ferons quelques recommandations et nous déposerons éventuellement des amendements.

France terre d’asile a publié récemment un document qui résume bien la problématique sur les femmes et le droit asile  et dans lequel est notamment évoquée la position du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). La France, bien qu’elle ait ratifié la Convention d’Istanbul, a un retard certain en ce domaine. Nous souhaitons que ce texte soit l’occasion de combler ce retard.

Mme Catherine Teitgen-Colly. La question des femmes est au cœur des préoccupations de la CNCDH, comme en témoignent les nombreux avis que nous avons rendus. Je peux vous citer, parmi les plus récents, celui du 26 juin 2014 sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national, et celui du 22 mai 2014 sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Par ailleurs, nous avons publié à la Documentation française un très gros rapport sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, lequel avait donné lieu à un avis du 18 décembre 2009.

Nous avons également rendu, le 26 juin 2014, un avis sur la lutte contre les violences et discriminations commises en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre et, le 28 novembre 2013, un avis sur les mutilations sexuelles féminines. Notre avis sur les mariages forcés, qui date du 23 juin 2005, prenait le relais d’un avis antérieur, du 17 décembre 2002.

Nous avons ainsi abordé, sous des angles différents, de nombreuses questions touchant à la situation et aux droits des femmes, généralement à l’occasion de projets de lois, mais aussi à notre initiative propre. Ce fut le cas pour le rapport sur la traite, qui fut rédigé par Mme Johanne Vernier et donna lieu à deux journées d’étude au Sénat, organisées par la CNCDH en collaboration avec le Bureau international du travail (BIT).

Je ne résumerai pas chacun de ces avis, mais je reviendrai sur certains points de la réforme du droit d’asile.

Je commencerai par un point que nous venons de signaler à un conseiller au cabinet du ministre de l’intérieur. Il concerne les motifs de persécution et, d’une façon plus générale, la rédaction du projet de loi.

Nous avons regretté que cette rédaction rende le texte peu lisible. Il y a de nombreux renvois, soit au texte de loi, soit aux directives européennes. Je pense plus particulièrement au renvoi à l’article 10 de la directive « qualification » relatif aux motifs de persécution. On peut se demander pourquoi le projet de loi ne l’avait pas cité intégralement, et si les raisons en étaient politiques et tenant à la référence qu’il comporte à la notion, controversée dans le contexte actuel, de genre. Il ne semble pas que ce soit le cas, du moins est-ce la réponse qui nous a été donnée, à savoir qu’un renvoi permettrait d’éviter une mauvaise retranscription du texte en question.

On peut admettre cette explication. Malgré tout, l’absence de l’article 10 dans le projet de loi pose problème dans la mesure où la définition du groupe social, qui est si importante dans le cadre du mariage forcé, des mutilations sexuelles féminines et des réseaux de prostitution, n’apparaît pas. Or la définition du groupe social qui est donnée par la directive prête à confusion dans la jurisprudence.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) avait rendu des décisions extrêmement intéressantes reconnaissant le statut de réfugié à des femmes contraintes à la prostitution par des réseaux, principalement des femmes africaines. Cassant l’une d’entre elles par une décision du 25 juillet 2013, le Conseil d’État s’est alors référé à une définition du groupe social qui est présentée comme étant précisément l’exégèse de la directive, ou plus précisément de son article 10. Mais ce n’est pas le cas : la définition du groupe social par le Conseil d’État ne correspond pas à celle de la directive. Dans le résumé qu’il en donne, il substitue en effet au cumul des deux conditions qu’elle pose, à savoir des caractéristiques communes aux membres du groupe « et » une perception de l’identité propre du groupe par la société environnante deux conditions alternatives, le « et » de l’article 10-1 de la directive se muant en un « ou ». Toutefois, cette référence initiale erronée est ensuite oubliée puisque la décision de la Cour est cassée au motif qu’en jugeant les femmes victimes de réseaux de trafics d’êtres humains et ayant activement échappé à leur emprise constituaient bien un groupe social sans rechercher si, au-delà des réseaux de proxénétisme les menaçant, la société environnante ou les institutions les percevaient comme ayant une identité propre, constitutive d’un groupe social au sens de la convention, la Cour nationale du droit d’asile avait commis une erreur de droit.

Selon le Conseil d’État, la CNDA n’aurait donc pas dû se contenter de constater l’emprise de réseaux de traite. Elle aurait dû également rechercher comment sont perçues les victimes des réseaux forcés dans la société locale environnante. En l’occurrence, comment une femme nigériane, qui est contrainte à se prostituer, est-elle perçue dans son pays d’origine ? Par cette analyse, il revient donc au texte de l’article 10 de la directive « qualification », selon laquelle il faudrait cumuler deux conditions pour établir l’existence d’un groupe social. Ce n’est pas la position du HCR, qui considère qu’il faut prendre en compte le fait que soit ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique essentielle, soit ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme différent par la société environnante. Cette définition plus souple, puisque reposant sur deux conditions alternatives et non cumulatives, permet d’élargir le champ de la protection que les femmes peuvent recevoir au titre des persécutions qu’elles subissent, ou des risques de persécution qu’elles rencontrent en tant qu’appartenant à un certain groupe social. Je trouve donc qu’il serait intéressant que dans la réforme, on précise bien la définition du groupe social, et dans le sens préconisé par le HCR.

La répétition dans d’autres décisions de l’erreur ici relevée dans la transcription de la directive de même que la référence parfois faite par la CNDA aux Principes directeurs énoncés en la matière par le HCR en 2002 témoignent d’une certaine confusion dans l’appréhension du motif d’appartenance à un certain groupe social et la nécessité d’en préciser la définition dans la loi. Mais cette occasion doit aussi être saisie de privilégier la définition du HCR comme l’y autorise la directive qui permet aux États de « prévoir ou maintenir des conditions plus favorables » que celles qu’elle énonce. La CNCDH y invitera dans son avis en rappelant à cette occasion l’une des difficultés exposée à diverses reprises dans nos avis, à savoir que le droit de l’Union européenne est élaboré sans qu’elle puisse exercer sa mission en faisant part de son expertise en amont, ses avis n’intervenant qu’au stade de la transposition de ce droit.

Il serait donc à ses yeux nécessaire au vu du décalage entre ce que dit le droit européen et ce que dit le HCR, qui est l’interprète de la Convention de Genève, d’adopter la définition plus large qu’il préconise et qui devrait notamment permettre d’éviter que ne soient exclues du bénéfice de la protection internationale des femmes qui sont prises dans des réseaux de prostitution par exemple.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est un point extrêmement important, dans la mesure où cette définition conditionne le statut de réfugié qui pourrait être accordé à certaines femmes. Jusqu’à présent, la France le leur refusait, considérant qu’elles n’étaient pas des victimes. Elle s’en tenait à la vision des années cinquante, celle du demandeur d’asile qui, au nom de la liberté, s’oppose dans son pays à son gouvernement ou à un groupe.

Aujourd’hui, la demande évolue. Reste que les femmes ne sont pas considérées comme un groupe social en tant que telles. Par ailleurs, les transcriptions des directives européennes posent des difficultés. J’ai beaucoup travaillé sur celle de la directive « traite ». Il semblerait que l’Europe écrive son droit plutôt en référence au droit anglo-saxon.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Absolument.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En raison de ces difficultés, et pour éviter des jurisprudences infondées, on ne transcrit pas, on renvoie au texte européen. Cela risque d’entraîner des divergences d’interprétations.

Pourriez-vous nous aider à retranscrire très précisément en droit français la directive européenne pour que les femmes victimes de la traite, de mutilations sexuelles, etc. soient considérées comme des groupes sociaux sans être pour autant issues toutes du même endroit ou de la même communauté ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. En fait, la notion de groupe social a été introduite dans la Convention de Genève assez tardivement, par un amendement suédois, sans que l’on n’ait débattu du contenu de cette notion, d’où son caractère un peu fourre-tout.

Elle a été utilisée dans des circonstances relativement limitées, par exemple pour protéger après la guerre froide des personnes qui, dans le sud-est asiatique, avaient travaillé pour le régime déchu. Elle a ensuite été invoquée par des demandeurs ayant des craintes de persécution fondées sur leur genre (mutilations sexuelles féminines, mariages forcés), à leur orientation sexuelle ou à leur identité transsexuelle. Par une décision du 23 juin 1997, qui concernait un ressortissant algérien faisant état de craintes de persécutions liées au transsexualisme, le Conseil d’État a donné une définition du groupe social fondée sur le double critère des caractéristiques communes aux membres du groupe le rendant visible aux yeux des autorités du pays et de la société, et de l’exposition de ses membres à la persécution.

La jurisprudence s’est ensuite assouplie. Le critère de persécutions dans la définition du groupe social a été abandonné, de même que la condition, un temps exigée, de l’origine publique des persécutions, et plus récemment celle de la pénalisation par le pays d’origine du comportement contesté ou encore de revendication de l’appartenance au groupe social dans le pays d’origine. Des femmes ainsi que les parents de filles mineures exposées dans leurs pays d’origine à des risques de mutilation sexuelle ou de mariage forcé, ainsi que des personnes menacées ou victimes de persécution en raison de leur identité transsexuelle ou de leur orientation sexuelle peuvent ainsi se prévaloir avec succès de leur appartenance à un groupe social et voir leurs craintes de persécution prises en compte.

La prise en compte de ces craintes reste cependant limitée par l’exigence du caractère circonscrit du groupe social. Des femmes qui invoquent des craintes du fait de leur refus de se soumettre à un sort dicté par les coutumes et traditions locales ne sont ainsi pas considérées comme constituant un groupe social en tant que femmes. C’est sur le fondement d’autres motifs de la Convention de Genève – motifs politiques, religieux, ethniques, etc. –que leurs craintes peuvent être entendues, notamment lorsque leur refus est devenu revendication d’un autre statut.

Le souci de ne pas voir s’étendre de manière illimitée le groupe social qui conduit à une approche quantitative du groupe social, fermement récusée par le HCR qui s’oppose à ce que le nombre devienne un critère, explique les refus très largement opposés aux femmes qui invoquent des craintes liées à des pratiques généralisées dans leur pays d’origine de mutilation sexuelle, de traite, ou de mariage forcé, et la dérive que l’on observe qui consiste à leur reconnaître alors une protection subsidiaire au lieu de la qualité de réfugié – une protection d’un an qui n’a rien à voir avec le statut de réfugié, qui ouvre droit à la carte de résident de dix ans. Bien sûr, la personne qui a obtenu de l’OFPRA la protection subsidiaire peut très bien former un recours pour obtenir la protection de la Convention de Genève devant la CNDA. Il n’empêche que la Cour elle-même a parfois adhéré à cette simple protection subsidiaire. Ainsi, c’est une protection de seconde zone qui leur a été accordée, même si ce n’est pas systématique. Dans certains cas, ces femmes ont obtenu le statut de réfugiées.

La jurisprudence récente relative aux demandes d’asile formées par des parents invoquant les risques de mutilations sexuelles auxquelles leurs filles mineures nées en France seraient exposées en cas de renvoi dans leur pays d’origine rend compte de cette crainte d’un afflux des demandes comme des hésitations des juges quant à la protection à accorder. Finalement, le Conseil d’État a tranché et reconnu la qualité de réfugié aux femmes mineures au vu de leurs craintes fondées sur leur appartenance au groupe social rassemblant les femmes non mutilées dans un pays où la mutilation est la norme sociale. En revanche, il juge que les parents (la mère) ne relèvent pas d’un groupe social et refuse la qualité de réfugié mais aussi la protection subsidiaire (Conseil d’État, 21 décembre 2012, Mme F.).

Mme la présidente Catherine Coutelle. La mère n’a pas de protection, mais les enfants en ont une.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Les enfants ont une protection, mais les parents n’en ont pas. Il s’agit souvent de femmes isolées. On ne fait pas valoir l’unité de famille à l’égard des ascendants. Mais ces femmes peuvent, si elles demandent un titre de séjour, bénéficier d’une carte de séjour.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Elles « peuvent » !

Mme Catherine Teitgen-Colly. La question posée est évidemment celle de la protection des mères. L’idée est très présente d’un risque de demande d’asile excessive. Mais c’est un mythe. Le nombre de demandes d’asile dans l’Union européenne, région la plus riche du monde, reste malgré tout dérisoire : 330 000 demandeurs d’asile pour toute l’Union européenne. Quant au nombre des bénéficiaires de la protection internationale, il a très peu évolué depuis 1953 : 165 000 en 1953, 220 000 en 1993 et 160 000 aujourd’hui. La menace n’est donc pas si réaliste qu’on le prétend. On dit que la France accueille très largement des demandeurs d’asile. C’est vrai en chiffres absolus, puisque nous sommes à la deuxième place dans l’Union. Mais si l’on rapporte ces chiffres à notre population, nous ne sommes qu’à la dixième, à la onzième ou à la douzième place selon les années.

Maintenant, il est exact que la question du statut des mères se pose. Celui-ci n’est pas assuré. Que faire pour elles ? Le projet de loi apporte sur ce point une réponse positive puisque, transposant en cela une disposition de la directive « qualification », il prévoit plus généralement la délivrance d’une carte de résident ou de séjour temporaire aux ascendants des mineurs, selon que ces derniers ont été reconnus réfugiés ou se sont vu accorder la protection subsidiaire.

Une autre question se pose, même si la CNCDH, dans son avis sur les mutilations sexuelles féminines (MSF) du 28 novembre 2013, a pris position sur ce point. Je veux parler du contrôle médical qui serait opéré sur les jeunes filles pour s’assurer qu’effectivement elles n’ont pas subi ces mutilations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La demande est annuelle.

Mme Catherine Teitgen-Colly. En effet.

La Commission n’a pas demandé que ce contrôle soit imposé, mais elle a incité à ce type de vérification. Pour ma part, et à titre personnel, ce type de demande me semble tout à fait intrusif. Je trouve qu’il y a une confusion entre les politiques, quand bien même ces mutilations sont effroyablement graves et qu’on ne peut pas faire comme si, sur le sol français, elles n’existaient pas.

Pour autant, le ton de l’avis est plutôt à la prise de conscience, à la sensibilisation de l’opinion publique, des médecins et de tous ceux qui agissent auprès de l’enfance – dans les classes, par exemple, auprès d’enfants qui n’ont parfois aucune idée de ce que cela peut être.

Je précise que cet avis faisait état d’un rapport établi par l’Institut national des études démographiques (INED) et des chercheurs de l’université Paris I sur le nombre des femmes et fillettes mutilées ou menacées de l’être. Dans la mesure où l’on prend en compte les menaces de mutilation, le chiffre est un peu incertain. Quoi qu’il en soit, en 2007, celui-ci était estimé entre 42 000 et 61 000, soit une hypothèse moyenne de 53 000 femmes en France.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le ministère a lancé une campagne de sensibilisation dans les lycées. Lorsque ces mutilations ont lieu pendant l’année scolaire, les jeunes filles, lorsqu’elles sont informées, peuvent alerter le proviseur ou les autorités. Malheureusement, la plupart du temps, ces mutilations ont lieu pendant les vacances, en juillet-août, et personne n’en sait rien.

Mais je lis à la page 7 de votre avis : « Il n’existe pas en droit français de qualification juridique spécifique pour des faits de mutilations sexuelles. Une telle qualification n’est pas souhaitable, dans la mesure où les mutilations féminines sont une atteinte à l’intégrité physique, ce que le code pénal sanctionne ». Est-ce que cela signifie que les mutilations ne sont pas à mettre en avant lorsque l’on sollicite le bénéfice du droit d’asile ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Le terme de « mutilation » n’apparaît pas dans la définition des persécutions par la directive « qualification », mais il va de soi que la mutilation sexuelle, parce qu’elle constitue une atteinte à l’intégrité physique, fait partie des persécutions. Le juge de l’asile – la Commission de recours des réfugiés (CRR) – l’a expressément dit dans une décision de 1991. Et je précise que la Convention de Genève n’exige pas, pour fonder une protection, que la persécution soit effective. Les craintes suffisent.

Pour autant, la Convention de Genève ne définit pas la persécution, non plus que la crainte de persécution. Mais le Guide du HCR, établi par son comité exécutif, constitué de ses États membres, développe chacune des dispositions de la Convention de Genève, notamment celle de l’article 1er qui prévoit les conditions d’éligibilité au statut.

La directive constitue un progrès dans la mesure où elle définit la persécution en référence aux droits de l’homme, et en particulier aux droits intangibles comme celui à l’intégrité physique et psychique protégé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et dont la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a montré toutes les potentialités.

Mme Édith Gueugneau. Je pense moi aussi qu’une véritable politique de l’asile ne peut tolérer une approche purement quantitative, mettant en exergue la hausse du nombre de demandeurs et l’accroissement des coûts.

Par ailleurs, l’article 11 de la directive « accueil » permet le placement en rétention de personnes vulnérables. Quelles sont les préconisations que vous pouvez faire, afin que nous puissions protéger les femmes, qui arrivent bien souvent accompagnées de leurs enfants ?

Ensuite, le dispositif national d’accueil crée des inégalités de traitement en raison d’une sous-dotation structurelle en matière d’hébergement. Estimez-vous, notamment au regard de certains critères comme l’état de santé, que les femmes devraient être prioritaires ?

Enfin, les garanties pour les femmes de pouvoir exposer dans des conditions décentes leur récit de souffrance sont-elles assurées en France, conformément à ce qu’exige de nous l’Union européenne ? Sur ce point, le projet de loi que nous allons examiner présente-il des lacunes ? Si oui, lesquelles ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Votre première question renvoie à la notion de vulnérabilité, portée par l’Union européenne. Or je pense que les influences anglo-saxonnes transparaissent dans cette notion.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il n’est pas possible de la définir en droit français ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. La difficulté tient au concept lui-même. Qui sont les personnes vulnérables ? Peut-on établir une hiérarchie ? Et comment ? Il faut bien voir que, de texte en texte, la liste s’allonge.

La catégorie des vulnérables comprend : les enfants, les femmes, les personnes en situation de handicap, etc. À mon sens, le concept de vulnérabilité est propice aux dérives. À protéger les plus vulnérables, on risque d’affaiblir la protection des droits de ceux qui n’entrent pas encore dans cette catégorie. Ce concept est donc à prendre avec grande précaution.

S’agissant du projet de loi, nous nous sommes déjà penchés sur le sujet dans notre avis sur le régime d’asile européen commun du 28 novembre 2013. Notre crainte serait que la vulnérabilité soit décidée sans qu’il y ait eu auparavant de réflexion d’ensemble sur les critères de vulnérabilité. Nous voudrions que ces critères ne soient pas établis n’importe comment. Reste à les établir.

Sans vouloir nous substituer aux autorités compétentes, il nous paraît nécessaire en l’état de nos travaux – nous n’avons pas encore rendu notre avis sur le projet de loi – que ces critères ne soient pas définis simplement par le ministère de l’intérieur. Il ressort des auditions que nous avons organisées, qu’il faudrait mener sur cette question une réflexion collégiale, partagée, associant des médecins, des associations en contact avec des personnes vulnérables, voire des universitaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), que nous avons auditionné la semaine dernière, nous a signalé qu’il mettait en place en son sein des commissions de réflexion, concernant notamment l’égalité et le genre. Pensez que cela relève de ses compétences ? L’office n’est-il pas trop impliqué pour pouvoir définir ces critères de vulnérabilité ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Selon nous, la réflexion sur la définition des critères doit être la plus ouverte possible, en associant, par exemple, des médecins, des personnes de l’assistance sociale, de la protection judiciaire de la jeunesse, etc.

M. Hervé Henrion. Nous avons pris position il y a quelques mois sur le projet de réforme pénale entré en vigueur en août, qui prévoit, entre autres, la possibilité d’évaluer le risque de récidive des personnes condamnées à une contrainte pénale. Initialement, on avait pensé confier une telle évaluation à l’administration pénitentiaire. Finalement, on a lancé des groupes de travail assez ouverts, incluant notamment un universitaire canadien. De notre côté, nous avons préconisé de mettre en place une instance scientifique totalement indépendante, de manière à pouvoir définir en toute neutralité une méthode d’évaluation du risque de récidive.

On peut se demander si on ne va pas utiliser, pour déterminer la vulnérabilité, des méthodes actuarielles. Ces méthodes étaient utilisées il y a une trentaine d’années dans le domaine du droit des assurances, sur la base de statistiques et sont utilisées aujourd’hui, par exemple en Angleterre, pour déterminer la dangerosité des individus ou leur risque de récidive.

Il est vrai que l’on a en France une tradition de criminologie clinique, mais la porte est ouverte à l’actuariel. Est-ce que, pour définir les vulnérabilités, on va utiliser également ces méthodes ? C’est possible, car adaptable.

Mme Catherine Teitgen-Colly. La question de la priorité donnée aux femmes dans le dispositif national d’asile n’a pas retenu notre attention. Pourquoi les femmes et pourquoi pas d’autres personnes, qui seraient jugées aussi vulnérables, au vu de critères de vulnérabilité qui restent à définir ?

La dernière question de Mme Gueugneau portait sur l’audition des femmes et les conditions d’entretien. La pratique conduit d’ores et déjà à faire procéder à ces auditions par des personnes de sexe féminin quand ce sont des femmes qui sont demandeuses d’asile. Mais nous insistons pour que cette précision, qui est dans la directive, soit effectivement reprise dans le projet de loi.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela relèverait du projet de loi ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Cela relève de la transposition de la directive mais le projet de loi confie au directeur de l’OFPRA le soin de définir les modalités d’organisation de l’entretien, ce qui n’est pas satisfaisant.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En Belgique et dans d’autres pays, l’information est mise à disposition dans différentes langues. Chez nous, les femmes, qui se trouvent dans des situations catastrophiques au moment où elles arrivent, ignorent ce droit si on ne les en informe pas. On pourrait le mentionner dans la loi. Mais, de son côté, le ministère devrait donner des consignes précises en ce sens.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Dans le même ordre d’idées, le projet de loi ne prévoit pas la présence de n’importe quel tiers. Pour notre part, nous allons sans doute demander qu’au-delà d’un avocat ou d’un conseil juridique, ou d’une association, la personne puisse venir éventuellement avec un membre de sa famille. Mais la question reste discutée.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais de quoi a-t-on peur ? Pourquoi tout réglementer ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. On a peur du proxénétisme. L’« ami de la famille » peut être un proxénète.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’observe que lorsqu’il n’y a pas de places dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asiles (CADA), on envoie les personnes en cours de procédure dans les structures pour les personnes sans domicile fixe (SDF) ou autres lieux. Ainsi, des jeunes filles mineures, seules, peuvent être victimes de violences, y compris pendant le temps où elles demandent une protection.

Je remarque par ailleurs que, dans l’une de vos recommandations, vous proposez de supprimer le préalable du passage en préfecture. Pouvez-nous éclairer ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Vous faites sans doute allusion à notre avis de l’année dernière sur la transposition des directives concernant l’asile. C’est une idée que nous allons reprendre.

Les délais d’enregistrement de la demande d’asile sont extrêmement courts, mais les préfectures ne suivent absolument pas le rythme. Il faut parfois attendre six mois. En outre, les préfectures ont des politiques disparates. Les guichets n’ont pas tous le même état d’esprit, certaines privilégient une approche très sécuritaire. En bref, le passage en préfecture ralentit les démarches, n’apporte rien, sauf à traiter de la question de la menace pour l’ordre public, qui relève effectivement des missions de police des préfectures. Mais au-delà, à quoi sert-il ?

Le projet de loi accorde de l’importance aux préfectures dans la mesure où elles peuvent par leur constat orienter les demandeurs en procédure normale ou en procédure accélérée, l’OFPRA gardant cependant la possibilité de « déclasser » les demandes placées en procédure accélérée par la préfecture. Mais quand on voit les motifs pour lesquels le placement en procédure accélérée peut être suggéré par la préfecture, on comprend que certains des motifs invoqués reviennent à une prédétermination de la protection internationale.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans ces conditions, que préconisez-vous ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Que les demandeurs d’asile aillent directement chercher leur formulaire de demande d’asile à l’OFPRA, comme c’était le cas avant 1993, avant la loi Pasqua.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela suppose qu’ils se déplacent physiquement à l’OFPRA.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Oui, mais on peut imaginer qu’il y ait des antennes OFPRA, pour retirer le document.

Qu’est-ce qui a justifié, en 1993, ce passage en préfecture ? À l’époque, les préfectures ne plaçaient pas en procédure prioritaire, mais, pour quatre motifs, elles pouvaient décider de refuser un droit au séjour provisoire et ne permettre qu’un maintien sur le territoire. Ce dernier avait pour inconvénient que le demandeur d’asile n’était maintenu sur le territoire que jusqu’à la décision de l’office, mais pas jusqu’à ce qu’il soit statué sur son éventuel recours devant la CNDA. Cela a valu à la France des difficultés contentieuses devant les juridictions européennes.

Le projet de loi actuel supprime la distinction entre maintien au séjour et séjour provisoire, en retenant la notion la moins protectrice qui est celle de « droit au maintien sur le territoire pour tous ». Cette expression devrait être rectifiée. En effet, le droit au maintien sur le territoire risque de faire perdre l’accès à certaines prestations sociales, sauf à reprendre l’ensemble des textes qui subordonnent actuellement cet accès à un droit au séjour provisoire, Par ailleurs, dès lors que tous les demandeurs se trouvent placés dans la même situation, c’est-à-dire qu’ils peuvent se maintenir sur le territoire jusqu’à ce que la CNDA statue sur leur recours, on ne peut à nouveau que s’interroger sur la pertinence du passage en préfecture.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si je me souviens bien, il y a quelque temps, il a été demandé que l’on passe, non plus en préfecture départementale, mais en préfecture régionale. Des associations de ma région m’avaient d’ailleurs fait remarquer que les personnes arrivant, par exemple, à La Rochelle, devraient se rendre à Poitiers, ce qui n’a rien de commode. De la même façon, je n’imagine pas que tout le monde doive s’adresser au siège de l’OFPRA, à Paris.

Par ailleurs, j’ai entendu que toutes les préfectures ne procédaient pas de la même façon. Il y a donc une certaine inégalité territoriale.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Pour homogénéiser les pratiques des préfectures et les sensibiliser à ces questions, il faudrait assurer une formation à la problématique de l’asile au sein des préfectures. En toute hypothèse, une formation coûte cher. Peut-être est-il aussi simple d’avoir un spécialiste de l’asile au sein de la préfecture ? Quoi qu’il en soit, notre proposition de supprimer le passage en préfecture permettrait d’accélérer les délais de traitement et rendrait le dispositif moins coûteux en évitant un double examen des demandes. Ce pourrait donc être une bonne solution.

Reste le problème de la domiciliation, qui ne paraît pas être un problème pour le ministère, alors qu’en pratique c’en est véritablement un.

M. Hervé Henrion. Lors des auditions, il y a un an, avant que ne soit rendu l’avis de novembre 2013, il avait été envisagé de déconcentrer l’OFPRA, c’est-à-dire de prévoir des antennes en région.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela aurait l’avantage d’homogénéiser les pratiques sur le territoire. Aujourd’hui, c’est à la discrétion des secrétaires généraux de préfecture et des services, qui ont plus ou moins leurs habitudes.

Je voudrais maintenant aborder un autre sujet : celui des « pays d’origine sûrs ». J’en ai parlé à l’OFPRA qui m’a répondu que la liste relevait du conseil d’administration de l’office, dans lequel siègent des représentants de l’État.

L’Albanie fait partie de ces pays. Certes, il n’y a pas la guerre en Albanie, mais la traite y est assez importante. J’ai en mémoire un autre pays, la Guinée, où l’on ne reconnaissait pas les questions d’excision en matière d’asile parce que l’État avait annoncé qu’il allait engager une campagne de lutte contre l’excision au niveau national. Je ne conteste pas la volonté du gouvernement guinéen, mais de là à ce que cette campagne se traduise dans les faits …

Mme Catherine Teitgen-Colly. Certaines notions, comme celle du pays d’origine sûr, du pays tiers sûr ou de la demande manifestement infondée ont été introduites dans les résolutions de Londres des 30 novembre et 1er décembre 1992, à l’époque où l’asile faisait l’objet d’une coopération intergouvernementale. Il était alors traité par les ministères de l’intérieur en même temps que les questions d’immigration. Ces notions restrictives du droit d’asile ont été pérennisées ensuite à l’issue de la communautarisation des politiques d’asile.

La notion de pays d’origine sûr a été très critiquée parce qu’à l’époque, elle était imparfaitement définie. Les directives « procédures » de l’Union européenne l’ont depuis définie, mais cette définition, qui figure en annexe, ne constitue pas une réelle garantie. En effet, il ne suffit pas d’avoir ratifié les instruments internationaux de protection des droits de l’homme pour que ceux-ci soient effectivement protégés, les critères de sûreté sont tels qu’aucun pays ne peut objectivement y satisfaire. Une telle qualification relève dès lors de la fiction.

Cette notion de pays d’origine sûr aurait toutefois pu présenter un minimum de pertinence si l’Union européenne était parvenue à établir une liste européenne des pays d’origine sûrs. Mais l’idée en a été abandonnée. De ce fait, chaque pays établit sa propre liste au regard de son histoire politique et des liens qu’il a avec certains pays. En outre, comme nous l’avions fait remarquer à l’ancien ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale, M. Éric Besson, il est assez troublant de constater que l’on qualifie souvent de pays d’origine sûr le pays qui est classé premier par l’importance de ses demandeurs d’asile arrivant sur le sol français. Cette notion de pays d’origine sûr a donc pu être utilisée pour réguler les flux migratoires. Enfin, la présence ou non de certains pays sur la liste des pays d’origine sûrs peut s’expliquer par des raisons diplomatiques.

Dans notre pays, il y a eu déjà neuf listes successives, qui donnent régulièrement lieu à contentieux devant le Conseil d’État. Ce fut récemment le cas pour le Kosovo, dont l’inscription sur la liste s’est trouvée annulée. Il y a donc une grande volatilité de la notion de sûreté et de pays d’origine sûr. Pourtant, l’inscription du pays d’origine est déterminante pour la suite de la procédure. Aujourd’hui, les personnes venant d’un pays d’origine sûr n’ont pas droit au séjour provisoire mais peuvent seulement se maintenir sur le territoire jusqu’à ce que l’OFPRA ait statué. Demain, elles seront placées en procédure accélérée avec un « droit au maintien » jusqu’à décision de la CNDA.

Je tiens à réagir à ce que vous venez de dire sur la distorsion qui peut exister entre le droit et la pratique. Ainsi, le Mali figurait sur la première liste des pays d’origine sûrs établie en 2005 sans que soit dissocié le cas des femmes de celui des hommes. On considérait alors que la situation politique au Mali était suffisamment stabilisée, que son régime était démocratique, et l’on prenait en compte le fait qu’il avait adopté un ensemble d’instruments en faveur des droits de l’homme. Contesté une première fois sans succès, il a fallu attendre 2010 pour voir cette inscription en partie annulée par le Conseil d’État qui a alors jugé que ce pays ne pouvait être considéré comme un pays d’origine sûr pour les femmes, en raison des pratiques de mutilations sexuelles, qui n’avaient rien de résiduel.

En conclusion, cette notion n’est pas pertinente et constitue seulement un instrument de régulation de la demande d’asile.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon vous, la situation est-elle en train d’évoluer ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Pas vraiment.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai le souvenir que l’OFPRA, qui relevait du ministère des affaires étrangères, était passé sous la tutelle du ministère de l’intérieur.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Absolument.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le retour de l’OFPRA dans le giron du ministère des affaires étrangères n’est pas non plus à l’ordre du jour ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Ce n’est absolument plus à l’ordre du jour du ministère, nous a indiqué le cabinet du ministre de l’intérieur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela traduit le fait que l’asile est considéré comme une politique d’immigration. C’était le cas précédemment, et nous avions jugé cela anormal. L’asile est différent de l’immigration économique. Je suis donc étonnée qu’on ne se repose pas la question du retour de l’OFPRA dans le giron du ministère des affaires étrangères.

Mme Catherine Teitgen-Colly. De notre côté, dans nos avis précédents, nous avons dit à diverses reprises que l’OFPRA devait à nouveau être rattaché au ministère des affaires étrangères. Nous pensions qu’avec le changement politique, ce rattachement se ferait. Mais il ne s’est pas fait et ce n’est pas dans l’intention du ministère de l’intérieur, à qui nous avons posé la question. Son cabinet nous a répondu que le ministère de l’intérieur pouvait tout à fait traiter de l’asile, qu’il n’était pas seulement chargé de la politique migratoire, et que l’asile entrait dans ses attributions.

Nous avions aussi proposé que l’OFPRA devienne une autorité administrative indépendante, pour éviter la tutelle. Nous ne serons peut-être pas suivis sur ce point, mais nous voulons, conformément à la directive « procédures », qu’il n’y ait qu’une seule « autorité de détermination ». Sur ce point, la directive est claire : il y a une seule autorité, sauf pour les personnes relevant de la procédure « Dublin » et qui relèvent, pour le traitement de leur demande, d’un autre État membre, et pour les demandeurs à la frontière.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Considérez-vous que l’OFPRA soit suffisamment indépendant ? Avez-vous le sentiment que son indépendance ait été renforcée dans le projet de loi ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Je ne peux pas porter de jugement sur l’OFPRA, mais l’on peut s’étonner que le projet de loi ait cru devoir préciser qu’il ne reçoit pas d’instruction, alors qu’un établissement public n’est par définition pas soumis au principe hiérarchique. Mon opinion personnelle est que l’indépendance d’une institution dépend plutôt, très largement, des personnes qui sont à sa tête. Il y a toujours un risque. Mais la position de la Commission est plutôt en faveur d’une autorité administrative indépendante le limite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Sans aucune nomination de la part de l’État ?

Mme Catherine Teitgen-Colly. Si, l’État nomme toujours quelques membres de ces autorités mais leur collégialité est un gage d’indépendance. En même temps, les parlementaires ne sont pas très favorables aux autorités administratives indépendantes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je croyais que le texte améliorait son indépendance. C’est du moins ce qui a été annoncé.

Mme Catherine Teitgen-Colly. En effet, parce que l’on a dit qu’il ne recevait pas d’instructions.

M. Hervé Henrion. Dans la première version du projet relatif à la réforme de l’asile, il était précisé que l’OFPRA exerçait ses missions en toute indépendance. Dans la dernière version, il est précisé que dans l’exercice des missions mentionnées, l’OFPRA ne reçoit aucune instruction. Le texte a donc été nettement édulcoré.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La formulation positive est devenue négative.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Ce n’est pas sans signification par rapport à ce qui nous a été dit tout à l’heure. Lorsque nous avons parlé d’autorité administrative indépendante, on nous a répondu en substance : « autorité administrative oui, indépendante non ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’aimerais aborder un dernier point. Vous vous êtes saisis de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Vous êtes une autorité indépendante, et vous mentionnez, à propos des mineurs isolés victimes de la traite, que la proposition de loi est silencieuse en la matière.

Mme Catherine Teitgen-Colly. L’inquiétude s’est exprimée lors de nos auditions d’un risque de correctionnalisation des infractions commises par les auteurs de traite et d’exploitation en cas de prostitution contrainte. Il ressort en effet des quelques affaires assez saisissantes qui nous ont été transmises qu’on n’appelle pas un chat un chat, et qu’on préfère d’autres incriminations moins « percutantes » que celles de crime.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La loi comporte quatre chapitres, dont l’un est intitulé « Protection des victimes de la prostitution et création d’un parcours de sortie de la prostitution ». Pour nous, les mineurs sont concernés. Donc, si je comprends bien, nous devrions ajouter des mesures spécifiques aux mineurs victimes de la traite au sortir de la prostitution ?

M. Hervé Henrion. Pour les mineurs sortis, ou pas, de la prostitution. Les personnes auditionnées ont regretté qu’il n’y ait pas de mesures spécifiques aux mineurs isolés étrangers (MIE). On nous a rapporté de nombreux cas de MIE qui finissaient par sortir, notamment de zones d’attente, et qui étaient directement pris dans des réseaux. Il faudrait voir quelles dispositions pourraient être introduites dans la loi afin de modifier les pratiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans notre département, les cas de mineurs isolés ont été multipliés par cinq. Les services départementaux sont complètement débordés et refusent maintenant de recevoir quiconque. Des mineurs se retrouvent dans la nature.

Si j’ai bien compris, le ministère a essayé de désengorger des zones comme Marseille, Lyon, ou d’autres, où les mineurs isolés étrangers sont nombreux. Il les a dispersés dans des zones de la « campagne ». Sauf que la protection de l’enfance ne peut pas, ou ne veut pas, les accueillir. Or, même dans nos départements, il y a des réseaux de traite.

M. Hervé Henrion. Nous avons constaté des situations très curieuses. Des jeunes gens déclarés mineurs en Île-de-France sont envoyés, en vertu du schéma de répartition issu d’une circulaire de juin 2013, dans un autre département qui réévalue leur âge à partir d’un test osseux et les déclare majeurs. Donc, ils sont mineurs en Île-de-France et deviennent majeurs un mois plus tard dans un autre département.

Il y a également, dans l’ouest de la France, des départements qui ne respectent pas les décisions judiciaires de placement d’enfants, ce qui fait que les mineurs restent dans la nature. Parfois aussi, l’aide sociale à l’enfance (ASE) délègue à des associations la phase de l’évaluation de l’âge. De très nombreux mineurs se trouvent hors de tout encadrement juridique pendant des mois, parfois plus d’une année, sans que l’ASE ne prenne une quelconque décision de placement en urgence et sans que l’autorité judiciaire ne soit prévenue. C’est le cas à Paris. Le Défenseur des droits a très récemment pris une décision à ce sujet. L’ASE a ainsi organisé des sas de non droit, en amont de la procédure prévue dans le code de l’action sociale et des familles.

Je terminerais par cet autre cas, qui date de juin dernier : dans la région lyonnaise, deux lycéens, pris en charge par l’ASE, ont été déclarés majeurs après coup par un test osseux, et poursuivis pour escroquerie aux prestations sociales. Ils ont été condamnés à de l’emprisonnement ferme et on leur a réclamé le remboursement de l’hébergement dont ils avaient bénéficié – 27 000 euros pour l’un et 32 000 euros pour l’autre.

Au point 16 de notre avis sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, nous rappelons que la minorité des victimes n’est pas toujours prise en considération dans la qualification des infractions de proxénétisme. Et nous citons quelques affaires de requalification qui sont particulièrement impressionnantes. De son côté, dans son rapport sur ce sujet, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s’inquiète beaucoup de l’insuffisante d’attention des pouvoirs publics à la situation des mineurs et des mineurs isolés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous allons essayer d’introduire dans la réforme de l’asile les notions de genre et d’égalité. Si vous avez des amendements ou, au moins, des avis à nous faire passer, nous sommes intéressés. Nous verrons ensuite comment les traduire dans le texte. N’oublions pas que les femmes représentent un tiers des demandeurs d’asile.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Et qu’elles sont de plus en plus nombreuses.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Bien sûr, on a toujours peur que telle ou telle mesure ne provoque un appel d’air. On avait beaucoup discuté des papiers à donner aux prostituées voulant sortir de la prostitution. C’est pour cela que l’on avait encadré l’amendement du ministère de l’intérieur, en disant qu’il fallait qu’une commission s’assure de la volonté des intéressées. L’objectif était d’éviter que les proxénètes ne les amènent sur le territoire français, ne leur demandent de déclarer qu’ils voulaient sortir de la prostitution et, une fois les papiers obtenus, ne continuent à les exploiter, et ainsi de suite…

Mme Catherine Teitgen-Colly. Nous n’étions pas d’accord avec l’idée de la sortie de prostitution comme condition de l’octroi d’un titre de séjour.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je sais bien. Il faut dire que les proxénètes et les réseaux de traite sont très forts. Ils s’adaptent très rapidement aux législations.

Mme Catherine Teitgen-Colly. Nous allons publier le 20 novembre 2014, sur le site de la Commission, notre avis relatif à la réforme de l’asile et nous vous l’adresserons.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie.

La séance est levée à 17 heures 40.

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Membres présents

Présents. - Mme Catherine Coutelle, Mme Edith Gueugneau.