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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 10 décembre 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition de Mme Nathalie Bajos, socio-démographe, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), responsable de l’équipe « Genre, santé sexuelle et reproductive » (INSERM-INED), sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation procède à l’audition de Mme Nathalie Bajos, socio-démographe, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), responsable de l’équipe « Genre, santé sexuelle et reproductive » (INSERM-INED), sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Madame Bajos, vous avez rendu plusieurs rapports sur la santé des femmes et écrit de nombreux articles sur la contraception. Vous êtes coauteur d’un rapport du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCEfh) relatif à l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Nous souhaitons vous entendre sur le projet de loi relatif à la santé, qui sera examiné par l’Assemblée au premier semestre 2015. Il ne s’agit pas pour nous de faire un rapport sur toutes les questions relatives à la santé des femmes, nous souhaitons savoir de quelle manière nous pourrions enrichir le projet de loi, qui comporte deux dispositions sur la santé sexuelle et reproductive : l’accès à la contraception d’urgence des élèves du second degré auprès de l’infirmerie scolaire, et la possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG médicamenteuses. Nous aimerions par ailleurs améliorer le texte sur le plan de la prévention. Nous voudrions également vous entendre sur le sujet de la santé sexuelle et reproductive.

Mme Nathalie Bajos, socio-démographe, directrice de recherche à l’INSERM, responsable de l’équipe « Genre, santé sexuelle et reproductive ». Je vous remercie de me permettre de faire entendre la voix de la recherche sur ce sujet. Dans un premier temps, j’aborderai les enjeux contemporains en matière de santé sexuelle et reproductive, en me focalisant sur les questions de contraception et de recours à l’interruption volontaire de grossesse. En qualité notamment de présidente de la commission santé publique et science de l’homme de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS), je suis en effet très impliquée dans les recherches sur la sexualité et la prévention du VIH. Dans un second temps, je ferai quelques remarques à propos du projet de loi relatif à la santé, sur lequel je me suis penchée.

Les recherches dont je vais vous parler sont réalisées par une équipe pluridisciplinaire INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) – INED (Institut national des études démographiques) comprenant des sociologues, des démographes, mais aussi des médecins, des épidémiologistes et des économistes. Le travail de cette équipe, que je dirige, s’inscrit ainsi dans une perspective de santé publique, en s’appuyant sur une problématique générale de réduction des inégalités sociales, tout en privilégiant une approche en termes de genre.

S’agissant de la contraception, la situation a changé récemment en raison de ce que l’on a appelé « la crise de la pilule », c’est-à-dire de la controverse importante fin 2012, début 2013, à propos des pilules de troisième et quatrième générations. À la demande de Mme Touraine, nous avons effectué une recherche visant à mesurer l’impact de cette crise, ce qui nous a permis de constater la résurgence d’inégalités sociales marquées en matière d’accès à la contraception.

En effet, depuis sa légalisation, la contraception a connu une diffusion croissante et régulière des méthodes les plus efficaces – pilule, stérilet. En revanche, à partir de l’année 2000, nous avons constaté une baisse du recours à la pilule globalement compensée par l’adoption d’autres méthodes de contraception hormonale – implant, patch, anneau vaginal, tout aussi efficaces que la pilule, voire plus –, hormis chez les jeunes femmes en situation socio-économique difficile, qui se sont ainsi retrouvées avec une couverture contraceptive moins efficace. Ainsi, cette baisse du recours à la pilule ne fait que traduire les effets de la crise économique.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Pourquoi en 2000 ? La croissance a été plus forte en France à cette époque-là. L’étude américaine dont les résultats ont montré une augmentation du cancer du sein chez les femmes sous pilule a-t-elle eu une incidence sur le recours à cette méthode contraceptive ?

Mme Nathalie Bajos. La baisse du recours à la pilule dans les années 2000 a touché essentiellement les personnes âgées de 20 à 24 ans, en particulier les jeunes femmes qui ne vivent plus chez leurs parents et qui connaissent une situation sociale et financière difficile. Au demeurant, le taux de chômage féminin pour cette classe d’âge a crû de manière continue et beaucoup plus importante que chez les femmes plus âgées.

À la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013, cette baisse s’est accentuée très nettement en raison du débat médiatique et politique autour de la pilule. Comme l’a montré une thèse réalisée par une de mes doctorantes, cette problématique était abordée dans les médias tous les jours durant cette période.

Cette crise a provoqué, non pas un recul de la contraception d’une manière générale, puisque la proportion de femmes ayant recours à la contraception reste stable, mais une modification des pratiques contraceptives. En effet, plus d’une femme sur cinq déclare avoir modifié sa contraception en raison des événements médiatiques et politiques, les transferts vers de nouvelles méthodes s’étant opérés de manière très différenciée selon le milieu social. Les femmes issues des milieux sociaux les plus favorisées ont opté soit pour des pilules de deuxième génération, soit pour des méthodes très efficaces comme le stérilet ou d’autres méthodes hormonales, tandis que les femmes issues d’un milieu social moins favorisé se sont tournées vers des méthodes dont l’efficacité est beaucoup moins importante, en particulier les méthodes dites «  naturelles ». Ainsi, le recours aux méthodes contraceptives est aujourd’hui marqué par des déterminants socio-économiques, alors qu’une forte homogénéisation sociale était à l’œuvre auparavant. Ce transfert vers d’autres méthodes est d’autant plus marqué que les femmes disposent de faibles ressources, celles en situation précaire étant plus nombreuses à arrêter la pilule.

Il faut en outre noter un phénomène générationnel important : toutes les femmes concernées par la contraception à partir des années 2000 ont commencé leur vie sexuelle à l’ère de la « pilule facile », à l’inverse de celles qui se sont battues pour l’accès à la contraception. Ce faisant, la conscience de l’enjeu de liberté que représente l’accès à la contraception a disparu chez les générations les plus récentes.

Les contraintes de la pilule ont toujours existé, y compris pour les générations pionnières qui se sont interrogées sur ses effets secondaires et son lien présumé avec certains cancers, mais elles ont été reléguées au second plan au regard de l’apport extraordinaire que représentait l’accès à une contraception féminine. Françoise Héritier, collègue qui m’est très chère et femme remarquable, a qualifié la contraception médicalisée de révolution dans la mesure où elle a permis aux femmes, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, de maîtriser leur maternité.

En résumé, la situation actuelle se caractérise, d’un côté, par les effets de la crise économique, de l’autre, par des enjeux normatifs où les contraintes prennent le dessus sur l’enjeu de liberté. Si la crise a eu autant d’effets en France, c’est parce qu’elle est arrivée sur un terreau propice à des modifications du modèle contraceptif.

En termes de santé publique, le coût de la contraception et la formation des professionnels sont deux enjeux majeurs.

Ce n’est pas tant le prix des méthodes contraceptives que l’avance du prix d’une consultation qui peut représenter un frein à la démarche d’entrée dans la contraception. Les femmes se sont détournées, non pas de la démarche contraceptive, mais de certaines méthodes de contraception. Cette situation renvoie à la question de la gratuité.

Les jeunes utilisent le préservatif au commencement de leur sexualité – méthode préconisée pour se protéger contre les infections sexuellement transmissibles (IST), en particulier le VIH. Grâce à l’augmentation en quelques années du recours au préservatif lors du premier rapport sexuel et dans les premières phases de la vie sexuelle, cette méthode a donné des résultats spectaculaires en matière de santé publique. Les jeunes femmes et les jeunes hommes ont donc parfaitement intégré le message préventif, le préservatif étant utilisé, y compris comme méthode de contraception, par un grand nombre d’entre eux. Or l’achat de préservatifs pèse très lourd dans le budget d’un adolescent ou d’un jeune adulte, ce qui peut faire obstacle à une contraception régulière. Cette difficulté est accentuée par le fait qu’un certain nombre de jeunes, quelle que soit leur configuration familiale, ne souhaitent pas parler de sexualité – et donc de contraception – avec leurs parents. D’où, là encore, la question de la gratuité, à laquelle s’ajoute celle de la confidentialité. Les jeunes ont le plus souvent une activité sexuelle sur de courtes périodes, mais de façon intense. Au cours des enquêtes, ils nous disent utiliser le préservatif, mais ajoutent ne pas toujours en avoir parce que cela coûte cher.

La formation des professionnels de santé – médecins, sages-femmes, infirmières scolaires – est également un enjeu crucial. En effet, des campagnes pour la contraception ont été lancées récemment, mais malheureusement toujours à destination des femmes, les hommes étant oubliés. Ensuite, la formation des futurs médecins généralistes en matière de contraception et d’avortement est très insuffisante – elle se limite à quelques heures le plus souvent. Or 15 % des femmes sont suivies par un généraliste pour les questions de santé reproductive : elles appartiennent aux milieux populaires, celles issues de milieux favorisés consultant un gynécologue. Enfin, cette formation est souvent assurée dans des colloques par l’intermédiaire de soutiens de l’industrie pharmaceutique. On peut donc parler d’un marché de la contraception, et il est d’autant plus important que des millions de femmes sont concernées par la contraception, 98 % ayant des rapports hétérosexuels.

Dans ce contexte, les femmes françaises ne se voient pas proposer les méthodes de contraception dans toute leur diversité lors d’une consultation, contrairement aux femmes britanniques par exemple. Comme le montre la thèse d’une de mes étudiantes comparant notre système à celui de la Grande-Bretagne, le professionnel britannique présente à ses patientes la palette des méthodes contraceptives et leur explique l’efficacité de chacune d’entre elles, ce qui permet aux femmes de choisir la mieux adaptée à leur vie affective, sexuelle et sociale.

J’insiste sur la formation des médecins car, depuis dix ans, des rapports officiels remis à des membres du gouvernement mettent l’accent sur les dangers psychiques de l’IVG, notamment un rapport sur la sexualité des adolescents, remis récemment par des professionnels de la santé à Mme Bougrab, selon lequel l’IVG engendrerait des troubles psychiques, et le taux de suicide chez les jeunes femmes y ayant recours serait quatre fois plus élevé que pour celles n’y ayant pas recours. Or la littérature internationale est formelle sur ce point : le recours à l’IVG n’est en aucun cas à l’origine de troubles psychiques, mais les femmes souffrant de troubles psychiques y ont recours plus souvent.

Je voudrais maintenant aborder deux points très importants à mes yeux : le paradoxe de la stabilité du recours à l’IVG, d’une part, et la stigmatisation persistante du droit de recours à l’IVG en France, d’autre part.

Je vous indique d’abord que le bon indicateur pour évaluer l’efficacité d’une politique de contraception n’est pas le taux d’IVG, mais le nombre de grossesses non prévues. De nos jours, les grossesses non prévues sont de moins en moins nombreuses, car les échecs de contraception sont en diminution grâce à la diffusion de la contraception efficace. Dans le même temps, la probabilité de recourir à l’IVG augmente en cas de grossesse non prévue. Statistiquement, ces deux tendances s’annulent puisque, d’un côté, moins de femmes ont une grossesse non prévue, et, de l’autre, en cas de grossesse non prévue, elles l’interrompent plus souvent. Or la probabilité d’interrompre une grossesse non prévue n’a cessé d’augmenter au fil du temps à la faveur de ce que les démographes appellent la « jeunesse sexuelle ».

En effet, si l’âge médian du premier rapport sexuel est relativement stable depuis trente ans – il se situe à 17,2 ans pour les garçons et à 17,6 ans pour les filles –, l’âge du premier enfant a quant à lui reculé. Par rapport aux années 70, quatre années supplémentaires séparent aujourd’hui le premier rapport sexuel du premier enfant, cette période de jeunesse sexuelle étant caractérisée par la fréquence des rapports sexuels et une grande fertilité chez les femmes. De surcroît, grâce à l’évolution de la scolarité féminine, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, mais aussi la contraception et l’avortement, la vie sexuelle des femmes s’est fortement diversifiée. En 1972, plus de 60 % d’entre elles avaient leur premier rapport sexuel avec leur futur mari ; elles ne sont plus que quelques pour cent dans ce cas aujourd’hui. De la même manière, si une femme de vingt-trois ans avait auparavant de fortes chances de prolonger sa grossesse, cela n’est plus vrai aujourd’hui où la norme sociale de la maternité est un premier enfant pas trop tôt. Ainsi, les femmes entre dix-sept ou dix-huit ans et vingt-huit à trente ans ont, de nos jours, des rapports sexuels et des relations affectives qui ne se prêtent pas à la parentalité. Enfin, en cas de grossesse non prévue, la probabilité de recourir l’IVG pour une étudiante de dix-huit ans à Henri IV sera de 99,9 %, tandis qu’une jeune fille du même âge en BTS à Sarcelles aura plus de chance de poursuivre sa grossesse qui lui apportera un statut social.

Par ailleurs, si le nombre de femmes se présentant pour une première IVG est en baisse, toujours grâce à la diffusion de la contraception efficace, celui des femmes se présentant pour une deuxième IVG, voire plus, est par contre en augmentation. Ce phénomène est observé dans tous les pays industrialisés, pour la raison que je viens d’expliquer : durant les quatre années supplémentaires de jeunesse sexuelle, le risque d’avoir deux grossesses non prévues plutôt qu’une est beaucoup plus élevée par rapport aux générations des années 70, si bien que le nombre de grossesses non prévues est statistiquement plus élevé. Au demeurant, les femmes se présentant pour une deuxième IVG sont plus souvent sous contraception, avec des méthodes efficaces, que celles se présentant pour une première IVG.

Par conséquent, la stabilité du taux de recours à l’IVG n’est le signe ni d’un échec des politiques de contraception, ni d’une irresponsabilité des femmes. Elles reflètent en réalité une évolution sociale et démographique liée à l’allongement de la période de jeunesse sexuelle.

Second point : la stigmatisation du recours à l’IVG. Comme le montrent clairement les résultats de nos enquêtes auprès des femmes, mais aussi des hommes et des professionnels de santé – généralistes et gynécologues –, le droit à l’IVG n’est nullement remis en cause en France, contrairement à certains pays européens, en particulier l’Espagne. Il est donc considéré dans notre société comme un droit fondamental, seule une infime minorité de la population, certes à la visibilité sociale forte, le remettant en cause.

Ce qui pose problème en revanche, c’est la légitimité des femmes à se retrouver dans cette situation. La norme voudrait, en effet, que les femmes n’aient plus besoin de recourir à l’IVG, puisque de multiples méthodes de contraception efficaces et très accessibles sont proposées. Or le risque zéro n’existe pas dans le domaine de la contraception, comme il n’existe dans aucun domaine de la santé publique. De la même manière que toute personne peut oublier une fois dans sa vie de prendre son traitement médical, toutes les femmes entre dix-sept ans, âge du premier rapport sexuel, et cinquante ans, âge moyen de la ménopause, oublient au moins une fois de prendre leur pilule !

Derrière cette idée que les IVG devraient être rarissimes, il y a un rappel à l’ordre sur la sexualité des femmes. Finalement, on a toujours du mal à penser que les femmes peuvent avoir une sexualité totalement déconnectée des enjeux reproductifs. Si les pratiques sexuelles ont énormément évolué en France depuis 1970, les représentations de la sexualité n’ont quant à elles pas du tout changé. D’un côté, la sexualité masculine est pensée dans le registre du désir, du plaisir et du nécessaire assouvissement de besoins sexuels par nature plus importants que les femmes ; de l’autre, la sexualité féminine reste pensée dans le registre de l’affectivité et de la conjugalité.

En réalité, cette opposition entre sexualité féminine et sexualité masculine ne fait que refléter les inégalités entre les femmes et les hommes qui existent dans les autres sphères sociales. En effet, la sphère de la sexualité, de la contraception et de l’avortement n’est pas autonome des autres sphères sociales. Or l’idéal égalitaire dans la sphère de la sexualité n’existe pas, comme si celle-ci absorbait les tensions que suscite la montée de l’idéal égalitaire dans les sphères professionnelle et familiale, même si les pratiques ne suivent pas toujours dans ce domaine.

J’en viens maintenant au projet de loi relatif à la santé.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) avait préconisé la suppression du code de la santé publique de la notion de « détresse » pour une femme voulant demander une IVG, ce dont le législateur a tenu compte. Par contre, la disposition sur la clause de conscience du professionnel de santé n’a aucune raison d’être maintenue dans le code, puisqu’elle existe déjà pour tout professionnel de santé. Cette disposition, comme celle sur le délai de réflexion, maintient l’IVG comme un droit pas comme les autres. La suppression de ces dispositions nous semble importante.

À l’article 31 du projet de loi, je regrette que seul l’avortement médicamenteux soit évoqué. Par contre, faciliter l’accès à l’IVG médicamenteuse en permettant aux sages-femmes de réaliser cet acte est une excellente mesure de santé publique. En effet, le choix entre IVG médicamenteuse et IVG chirurgicale est essentiel pour les femmes. Or dans un contexte de restrictions budgétaires, on peut craindre que l’IVG médicamenteuse soit renvoyée vers la sphère du privé, alors qu’elle constitue une avancée majeure pour les femmes.

L’article 3 du projet de loi lève les restrictions sur la contraception d’urgence, ce qui est également une excellente mesure. Par contre, cette disposition devrait, non pas être restreinte aux élèves du second degré auprès de l’infirmerie scolaire, mais être étendue à tous les lieux de vie des jeunes, comme les associations de quartier. Faute de quoi, les groupes sociaux défavorisés, où les jeunes gens sont plus concernés par les difficultés contraceptives, ne verront pas leur situation s’améliorer. Je regrette également que cet article vise uniquement la contraception d’urgence : ce n’est pas en favorisant uniquement l’accès à cette méthode que l’on pourra faire baisser le nombre de grossesses non prévues outre-mer, où le problème majeur est l’accès à la contraception efficace !

Voilà pourquoi je plaide pour une approche globale sur les questions de contraception, d’avortement, de violences sexuelles et d’éducation à la sexualité. Les pays qui promeuvent une éducation à la sexualité fondée sur le respect de l’autre, la découverte, le plaisir, et où les risques liés à la sexualité sont abordés en tenant compte des rapports de genre – au sens scientifique du terme – dès la plus tendre enfance, sont moins concernés par les grossesses non prévues et les infections sexuellement transmissibles. Ces pays ont ainsi de meilleurs indicateurs de santé sexuelle et reproductive, même si la situation en France est loin d’être catastrophique comparée à celle d’autres pays, comme la Grande-Bretagne, le Canada ou encore les États-Unis. Mais je persiste à penser que notre pays peut faire mieux.

M. Jacques Moignard. Votre conclusion, sur l’éducation et la prévention, est très rassurante. En effet, si l’IVG et la prescription de la pilule contraceptive sont des actes médicaux, la santé ne relève pas uniquement des professionnels de santé. Il reste beaucoup à faire en matière d’éducation à la santé sexuelle et reproductive, et les intervenants ne doivent pas être les seuls médecins, infirmières ou sages-femmes.

Mme Sophie Dessus. En milieu rural, les jeunes sont très éloignés de l’information, du fait de l’absence d’associations et de lieux de formation. Or en raison de la pression sociale, ils se sentent souvent obligés de faire leur preuve en ayant un acte sexuel le plus tôt possible… Comment accompagner nos jeunes et leur apporter les informations dont ils ont besoin ?

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Marisol Touraine a lancé l’année dernière une campagne de communication sur la contraception. Connaît-on l’impact de ce genre de campagne ?

Mme Nathalie Bajos. Je suis totalement d’accord avec vous : ce n’est pas parce que les méthodes de contraception les plus efficaces sont médicales et que le recours à l’IVG relève d’une pratique médicale qu’il faut médicaliser ces questions. Aussi l’éducation à la sexualité au sens large est-elle un enjeu central : elle doit aborder le corps, le désir, le plaisir, le respect de l’autre, tout autant que les risques liés à la sexualité. À cet égard, savoir comment parler de sexualité aux jeunes et quelles personnes sont les mieux placées pour le faire est une question primordiale. L’immense majorité des médecins ne sont pas formés pour en parler, or on peut faire des ravages en parlant mal de sexualité à des jeunes. La question de l’homophobie est également très importante. Ainsi, l’éducation à la sexualité impose une réflexion sur son contenu, sa forme, et les acteurs qui pourraient la promouvoir au sein des institutions scolaires.

Qu’ils soient en milieu rural ou en plein cœur d’une métropole, les jeunes devraient pouvoir bénéficier d’une éducation à la sexualité qui leur fournisse une véritable information et les moyens de pouvoir vivre une sexualité comme ils le souhaitent et sans contraintes. Un problème supplémentaire se pose pour les jeunes en milieu rural pour l’accès à la contraception, en particulier d’urgence, parce qu’ils doivent se rendre à la pharmacie du village où tout le monde connaît tout le monde. En Corse, par exemple, les jeunes font des kilomètres pour trouver une pharmacie éloignée de leur domicile et où personne ne connaît leurs parents…

Toutes les campagnes de communication réalisées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) sont évaluées. Les campagnes ont vocation à modifier des normes et des représentations, mais à elles seules, elles ne modifieront pas les pratiques, ce qui impose parallèlement des actions ciblées réalisées avec les personnes concernées. En matière de tabac, par exemple, les campagnes conçues uniquement par des agences de communication parisiennes valorisent l’image du non-fumeur, mais les personnes arrêtant de fumer sont issues des milieux sociaux les plus favorisés, d’où un accroissement des inégalités sociales.

Les campagnes ne servent donc à rien si elles ne sont pas assorties d’actions efficaces, mais elles resteront essentielles, ne serait-ce que parce qu’il faudra toujours rappeler aux nouvelles générations l’enjeu fondamental que représente la contraception.

Pour ce qui est de la méthode, faire peur n’est pas la bonne solution car cela provoque des réactions de blocage et empêche les messages de passer. On l’a vu pour le VIH : les campagnes qui suscitent la peur ne modifient pas les comportements.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Je regrette également que, sur la santé sexuelle et reproductive, le projet de loi relatif à la santé n’aborde que la contraception d’urgence et l’IVG médicamenteuse.

Des gynécologues m’ont alertée sur le fait que de plus en plus de femmes seraient orientées vers une IVG médicamenteuse, sans qu’elles aient vraiment le choix entre les deux types d’IVG. Qu’en pensez-vous ?

Mme Nathalie Bajos. Il est essentiel que les femmes continuent à avoir le choix entre IVG chirurgicale et IVG médicamenteuse et, pour cette dernière, le choix entre structure de santé et domicile. D’où l’importance d’une approche globale de la contraception. Pourquoi limiter l’article 31 à l’avortement médicamenteux ?

De la même manière, pourquoi limiter l’intervention des infirmières à la contraception d’urgence ? Ces professionnelles gagneraient à être formées à l’éducation à la sexualité car elles peuvent être des interlocutrices formidables pour des jeunes qui ont besoin d’informations sur la sexualité, qui sont victimes d’homophobie ou qui ont subi des violences.

Cela étant dit, j’ai entendu dire que Mme Touraine préparait un plan sur l’IVG.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Mme la ministre fera des annonces sur l’IVG le 17 janvier 2015, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire de la loi Veil.

Nous n’arrivons pas à introduire les termes de « santé sexuelle et reproductive » dans les lois. J’ai moi-même tenté de faire introduire les termes de « droits sexuels et reproductifs » dans le cadre de la proposition de résolution sur l’IVG, mais il a fallu y renoncer pour que l’ensemble des groupes parlementaires accepte de signer ce texte. C’est pourquoi j’apprécie votre approche scientifique et sociologique. L’idéal d’égalité ne se retrouve pas dans la sexualité : on entend encore dire que la prostitution est le plus vieux métier du monde…

Mme Nathalie Bajos. L’approche du texte de loi amènera forcément des déconvenues. Ce n’est pas en promouvant la contraception d’urgence que l’on fera baisser les grossesses non prévues dans les outre-mer, où leur nombre est très élevé. Les grossesses non prévues diminueront si l’on favorise l’accès à la contraception dans sa globalité. Certes, la contraception d’urgence est très peu utilisée en France, mais l’isoler des autres méthodes contraceptives ne constitue pas une bonne stratégie de santé publique.

Je termine en disant qu’un rapport a été publié récemment sur la situation aux Antilles et en Guyane. Nous pourrons vous le communiquer.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Merci beaucoup, madame, pour cette contribution très intéressante.

La séance est levée à 15 heures.

——fpfp——

Membres présents

Présents. - Mme Catherine Coutelle, Mme Sophie Dessus, M. Jacques Moignard.