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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 10 février 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302)

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Merci infiniment, madame la ministre, d’avoir répondu favorablement à notre invitation pour évoquer le projet de loi relatif à la santé, qui comporte des dispositions sur la contraception d’urgence et l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Ces dispositions viennent compléter les excellentes mesures que vous avez prises depuis 2012 pour améliorer la situation des femmes.

La santé des femmes soulève d’autres questions spécifiques. Je pense aux inégalités sociales car les femmes en situation précaire sont exclues de l’accès aux soins. À cet égard, la généralisation du tiers payant est une excellente mesure.

Je pense également à la difficulté d’obtenir des données sexuées. Certains organismes ne peuvent nous fournir ces données sexuées, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existent pas.

L’éducation à la sexualité est également une question majeure. Elle doit être renforcée, en commençant par rendre effective l’application de la loi de 2001 et de la circulaire de 2003.

Enfin, le tabac, l’obésité et l’alcool sont des problématiques majeures. Cette année, pour la première fois en France, le nombre de décès de femmes dus au cancer du poumon devrait dépasser ceux qui sont liés au cancer du sein.

Nous allons vous écouter, madame la ministre, sur cette vision transversale de la santé, avant de vous poser un certain nombre de questions.

Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. J’ai déjà eu l’occasion, en tant que ministre des Affaires sociales et de la santé, de m’exprimer devant la Délégation aux droits des femmes. C’est donc la première fois, et j’en suis très heureuse, que je viens devant vous à la fois comme ministre de la santé et ministre des droits des femmes. Vous pouvez être certaines que je suis très attentive à la situation des femmes, qui constitue une de mes priorités depuis mon arrivée aux responsabilités.

Le projet de loi relatif à la santé concerne particulièrement les femmes, mais il ne s’agit pas d’un projet pour les femmes. Il vise à améliorer la prise en charge et la santé de nos concitoyens, grâce à un renforcement de la prévention et de la médecine de proximité. Il prévoit également de mieux accompagner nos concitoyens, notamment par des associations et grâce à des procédures comme l’action de groupe en santé.

Ainsi, le projet de loi de santé englobe l’ensemble des dimensions que recouvre la politique de santé et fixe le cadre des réformes structurantes dont notre système de santé a besoin pour faire face aux défis actuels : le vieillissement de la population et l’émergence des maladies chroniques.

Il existe des enjeux de santé spécifiques aux femmes.

Il convient d'abord de battre en brèche l’idée reçue selon laquelle les femmes sont en meilleure santé que les hommes. Certes, les femmes vivent en moyenne plus longtemps – bien que l’écart entre l’espérance de vie des femmes et celle des hommes tende à se réduire. Au-delà, il faut écouter les femmes : elles perçoivent leur santé de manière plus négative que les hommes. Or elles ont moins spontanément recours aux professionnels de santé.

Les femmes présentent des vulnérabilités particulières, comme le stress et la dépression. Elles déclarent deux fois plus que les hommes subir de l’anxiété. Elles sont également les premières touchées par les violences, en particulier les violences conjugales, le viol ou le harcèlement sexuel, qui ont des impacts physiques et psycho-traumatiques importants.

Ensuite, les femmes développent de plus en plus de comportements à risque. Le nombre de fumeuses a stagné depuis quarante ans, alors que le nombre de fumeurs a été divisé par deux. Depuis 1990, le taux de mortalité dû au tabac a baissé chez les hommes, tandis qu’il a doublé chez les femmes. Le croisement des courbes de mortalité entre cancer du sein et cancer du poumon reflète cette évolution. J’ajoute que les comportements à risque des Françaises sont plus importants que ceux des femmes d’autres pays : elles sont, par exemple, 17 % à fumer lorsqu’elles sont enceintes, taux beaucoup plus élevé que celui de la Grande-Bretagne.

Enfin, les femmes renoncent plus fréquemment aux soins que les hommes : elles sont 16,5 % à y renoncer, contre 11,7 % des hommes. Ce renoncement concerne également les examens de prévention et de dépistage, notamment chez les femmes en situation précaire.

Sur la base de ces constats, la loi de santé doit permettre d’améliorer la santé des femmes.

Je voudrais m'arrêter sur deux types de mesures : celles qui concernent très directement les femmes et celles qui, si elles n’apparaissent pas comme des mesures spécifiques en direction des femmes, auront un impact positif sur la santé et l’accès aux soins des femmes.

En ce qui concerne les mesures spécifiques aux femmes, plusieurs dispositions visent à faciliter l’accès des femmes à la contraception et à l’avortement, dans le droit fil de l’action que j’ai engagée depuis 2012.

En effet, évoquer les enjeux liés à la santé des femmes implique d’évoquer leur santé sexuelle et reproductive. À ce sujet, je tiens à rappeler qu'elles ont des droits, qu’il s'agit de conforter et de garantir, à l’heure où nous célébrons les quarante ans de l’adoption de la loi Veil.

Depuis 2013, la contraception est gratuite pour les mineures, et l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est remboursée à 100 % par l’Assurance maladie. J’ai également fait revaloriser l’acte d’IVG, puisque sa faible rémunération n’encourageait pas cette activité dans certains établissements. En outre, la loi du 4 août 2014 a supprimé la notion de « détresse » et étendu le délit d'entrave à l'information sur l’avortement. Enfin, il y a quelques semaines, j’ai annoncé des mesures visant à améliorer l’accès à l’IVG.

Deux articles du projet de loi relatif à la santé améliorent la situation des femmes.

L'article 3 lève les conditions restrictives à la délivrance par les infirmières scolaires de la contraception d’urgence aux lycéennes. Actuellement, cette délivrance est restreinte aux cas exceptionnels et de détresse. Cette disposition est diversement appliquée sur le territoire et peut retarder l'accès à la contraception d'urgence. Or, plus la contraception d’urgence est prise tôt, plus grande est son efficacité. L'article 3 supprime donc les conditions restrictives mentionnées dans le code de la santé publique.

L'article 31 ouvre aux sages-femmes la possibilité de réaliser une IVG médicamenteuse. Les IVG médicamenteuses représentent aujourd'hui plus de la moitié des IVG pratiquées en France. Il ne s’agit en aucun cas de favoriser cette méthode par rapport à la méthode instrumentale : l’enjeu est de faciliter l’accès à l’IVG sur tout le territoire. En élargissant l’offre, cette mesure y contribuera.

Dans la même logique, un amendement gouvernemental sera déposé pour élargir aux centres de santé la réalisation de l’interruption volontaire de grossesse instrumentale.

Deuxième type de mesures prévues par le projet de loi : celles qui auront un impact positif sur la santé et l'accès aux soins des femmes.

La première mesure est le tiers payant.

Comme je l’ai souligné, les femmes renoncent plus fréquemment aux soins que les hommes, faute de pouvoir avancer les frais de la consultation. Nous savons bien que cette situation concerne plus particulièrement les familles monoparentales, c’est-à-dire les mères célibataires qui font face à des difficultés financières et ont du mal à avancer les frais de la consultation pour elle-même ou leur(s) enfant(s). C'est aussi à elles que je pense lorsque je dis qu’il faut rendre les soins de proximité plus accessibles.

Ainsi, agir pour rendre les soins plus accessibles, c’est agir en faveur de la santé des femmes.

Deuxième mesure au cœur du projet de loi : le parcours de prévention et l’éducation à la santé.

La promotion de la santé à l’école permet de renforcer l’information des jeunes sur les pratiques à risques. Je veux bien entendu parler des violences, des rapports sexuels non désirés ou non protégés, ou encore des impacts cumulés de facteurs de risques.

Le parcours éducatif en santé donnera lieu à la mise en place de groupes de travail pour intégrer dans ce dispositif l’éducation à la sexualité déjà prévue par la loi.

Ainsi, l’inclusion dans le projet de loi de ce parcours éducatif en santé permettra, avec l’éducation à la sexualité, l’information sur la vie affective et sexuelle et sur les violences envers autrui, de lutter efficacement contre les comportements et les violences sexistes et sexuelles, mais aussi de promouvoir le droit à disposer de son corps.

J’ajoute que les mesures d’ordre législatif du Programme national de réduction du tabagisme sont inscrites dans le projet de loi de santé.

Toujours au titre de la prévention, l’article 4 du projet de loi vise à lutter contre le « binge drinking », pratique très préoccupante qui ne touche pas que les hommes. On sait en effet que les établissements de santé reçoivent de très jeunes filles – lycéennes et étudiantes – en coma éthylique à la suite d’une alcoolisation massive et rapide pratiquée lors de soirées festives organisées par des associations ou leur établissement d’enseignement.

Mesdames les députées, vous l’avez compris : ce projet de loi a pour objectif de rendre plus effective l’égalité d’accès à la santé. Je serai très attentive à vos propositions visant à enrichir ce texte. Le travail que nous avons d’ores et déjà effectué ensemble s’est révélé très fructueux, et j’espère que nous pourrons continuer dans ce sens.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Madame la ministre, la stratégie nationale de santé déclinera-t-elle des objectifs sexués ?

Les essais cliniques sont majoritairement réalisés sur des hommes jeunes, dont la corpulence est en moyenne plus élevée que celles des femmes. Or certains dosages peuvent ne pas convenir aux personnes de corpulence moindre et aux femmes âgées. Comment remédier à ce problème ?

Nous nous félicitons de votre action en matière d’IVG et de contraception. Cependant, comment pouvons-nous faciliter l’accès à la contraception pour les jeunes filles, en particulier grâce à l’anonymat – c’est-à-dire sans l’accord des parents – et une information efficace ?

Nous avons supprimé la notion de « détresse » concernant l’IVG. Pensez-vous possible de supprimer le délai de réflexion d’une semaine, qui peut être un frein à l’accès à l’IVG dans de bonnes conditions ? En outre, comment garantir aux femmes le choix entre les deux méthodes – médicamenteuse et instrumentale ? Les IVG instrumentales pourront-elles être réalisées dans les centres de planification ? D’une façon générale, quels moyens permettront de remédier aux inégalités territoriales en matière d’accès à l’IVG ?

Mme Édith Gueugneau. Ce beau projet de loi va permettre d’améliorer la santé des Français, grâce à une stratégie nationale de prévention innovante. Je tiens à vous apporter mon entier soutien, madame la ministre, après les nombreuses critiques, parfois ignobles, dont vous avez fait l’objet.

Vous êtes pleinement engagée pour faire aboutir cette réforme qui va faciliter l’accès à la santé pour tous. Le tiers payant est une avancée majeure pour nos concitoyens, tout particulièrement en milieu rural où certaines personnes ne se soignent plus en raison de problèmes de mobilité en plus de la difficulté à avancer les frais de la consultation.

Mercredi dernier s’est déroulée la journée mondiale de lutte contre le cancer. Comment renforcer l’information et la sensibilisation sur le cancer du sein ?

L’article 42 du projet de loi prévoit la création d’un Institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique. Cet institut jouera-t-il un rôle de prévention en matière de violences faites aux femmes ? Et le service public d’information en santé, dont la mise en œuvre est prévue à l’article 21, fournira-t-il des informations sur les associations d’aide aux femmes victimes de violences ?

Mme la ministre. Madame la présidente, les données sexuées existent. Je vous en ai citées sur le cancer dû au tabac. Je peux vous dire également que les femmes sont moins touchées par les cancers que les hommes, puisque 155 000 femmes le sont chaque année, contre 200 000 hommes, et que cette maladie tue chaque année 63 000 femmes, contre 85 000 hommes. Il existe également des données sexuées sur l’obésité. Nous disposons donc d’éléments qui permettent d’adapter les stratégies de santé en fonction du sexe.

Aux termes de la réglementation européenne, les essais cliniques doivent porter sur un échantillon représentatif de la population, c’est-à-dire aussi bien sur les hommes que sur les femmes et les enfants. Or les essais cliniques, qui peuvent durer plusieurs mois, ne peuvent être réalisés sur des femmes enceintes. Par conséquent, les laboratoires préfèrent faire appel à des hommes pour ne pas être amenés à interrompre des essais cliniques en cas de survenue d’une grossesse. Je ne suis pas favorable à l’introduction d’éléments nouveaux dans la loi, puisque le droit prévoit déjà que les essais doivent concerner également les femmes. Nous devons donc réfléchir à cette question, sachant que ces essais sont moins pratiqués sur les femmes pour des raisons de protection de la santé des femmes enceintes.

Faciliter l’accès à l’IVG passe par le développement de l’offre, d’où la possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG médicamenteuses, et pour les centres de santé des IVG instrumentales dans certaines conditions. La Haute Autorité de santé (HAS) fixera les règles et les procédures propres à garantir la sécurité des femmes. Les centres de planification pourront ainsi réaliser des IVG dès lors que les conditions fixées seront respectées.

À titre personnel, j’entends votre demande sur le délai de réflexion pour une IVG. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter.

Madame Gueugneau, merci de votre soutien. Le plan cancer a notamment comme objectifs de renforcer la prévention et le dépistage, en particulier des cancers féminins, sachant que le cancer du sein dépisté à temps peut être guéri dans neuf cas sur dix. Des mesures ont été prises dès cette année, qui visent à étendre les campagnes de dépistage aux femmes de moins cinquante ans et de plus de soixante-quinze ans qui présentent un risque identifié par leur médecin traitant.

Je suis tout à fait favorable à ce que le service public d’information en santé puisse fournir des informations sur les associations d’aide aux femmes. Nous verrons s’il est nécessaire d’inscrire cela dans la loi.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Lors des auditions, il a été souligné que les rapports annuels de la médecine du travail notamment ne comportent aucune donnée sexuée. En réalité, ces données existent, mais il faut les rendre publiques. On sait que les femmes qui portent des personnes âgées toute la journée déclarent ne pas exercer un métier pénible, contrairement aux hommes qui transportent des sacs par exemple. Sur ce point, il y a donc une inégalité de reconnaissance préjudiciable aux femmes.

Mme la ministre. Je peux vous répondre sur la santé publique, mais pas sur la médecine du travail qui relève du ministère du travail. Mais je vais regarder s’il existe des données sexuées de la médecine du travail sur les différentes pathologies professionnelles.

Mme Maud Olivier. Madame la ministre, je tiens à vous apporter tout mon soutien après les attaques inacceptables dont vous avez été victime.

Une étude réalisée en 2006-2007 sur 3 000 hommes et femmes hospitalisés au centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon a montré une inégalité de traitement dans la prise en charge de l’infarctus. En effet, les femmes hospitalisées à la suite d’une crise cardiaque ont été moins nombreuses à bénéficier d’une angiographie ou d’une angioplastie que les hommes ; les dosages proposés ont été les mêmes que pour les hommes, alors qu’ils ne sont pas toujours adaptés – on sait que les anticoagulants provoquent plus souvent des saignements abondants chez les femmes. Cette étude a également montré que les femmes victimes d’un infarctus en meurent deux fois plus que les hommes, car les temps de réaction des services d’urgence sont beaucoup plus longs face aux femmes dont les symptômes sont plus souvent des manifestations nauséeuses et des douleurs dans les mâchoires, et non une douleur thoracique comme chez les hommes.

Pensez-vous possible une meilleure prise en compte de l’infarctus chez les femmes, en particulier grâce à une formation plus adaptée à la pathologie féminine ?

Malgré les décisions importantes que vous avez prises, madame la ministre, 15 % à 20 % des postes de médecine scolaire sont encore vacants, et certains médecins ont en charge plus de 17 000 élèves. Or les médecins devraient être en première ligne pour aider les élèves victimes de harcèlement scolaire. Le manque de médecins scolaires est clairement une entrave à la réussite éducative et un facteur d’inégalités.

Par ailleurs, un article de presse a révélé que des touchers vaginaux étaient pratiqués par des internes en médecine sur des patientes endormies. Cette information a été démentie par l’hôpital mis en cause, mais elle a été corroborée par de nombreux témoignages. Madame la ministre, une mise au point s’impose sur les conditions de l’apprentissage des futurs médecins pour mettre un terme à cette pratique.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Une étude canadienne avait déjà démontré cette différence de taux de mortalité entre les hommes et les femmes victimes d’infarctus en raison de mauvais diagnostics.

Mme la ministre. Il est en effet plus difficile de diagnostiquer un infarctus chez une femme. La Haute Autorité de santé est chargée de définir des recommandations à destination des professionnels de santé. Il s’agira donc de former les médecins, notamment urgentistes et les médecins régulateurs, à cette problématique.

La médecine scolaire dépend de l’Éducation nationale, de la même manière que la médecine du travail relève du ministère du travail. Les acteurs – infirmières et médecins scolaires et partenaires sociaux – sont attachés à leur cadre de rattachement. Néanmoins, mon souhait est que les enjeux de santé publique soient transversaux : la lutte contre le tabagisme, par exemple, devrait être relayée en milieux scolaire et professionnel. Il faut donc lever les obstacles qui subsistent.

La loi de 2002 relative aux droits des malades prévoit expressément qu’aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement du patient, y compris dans le cadre d’une formation universitaire. Par conséquent, si des pratiques de toucher vaginal ou rectal sont constatées, il appartient aux professionnels de signaler ces faits et aux patients de porter plainte. Je précise que, dorénavant, un grand nombre de centres de formation universitaire utilisent des mannequins « intelligents », c’est-à-dire qui réagissent aux gestes pratiqués par les étudiants ou praticiens en formation et permettent ainsi d’évaluer la dextérité de ces derniers.

Mme Martine Faure. Madame la ministre, les enfants des femmes seules ont eux-mêmes un accès aux soins beaucoup plus difficile. La situation est ainsi bien plus complexe pour les familles monoparentales.

D’autre part, j’aimerais savoir si le parcours éducatif en santé dépendra de l’Éducation nationale ou du ministère de la santé. L’idéal serait qu’il relève des deux.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la ministre, j’ai moi-même été très choquée par l’attaque sexiste dont vous avez été victime. Je condamne fermement ces méthodes dont font encore l’objet un certain nombre de femmes en politique.

Un des axes de votre loi est de prévenir avant d’avoir à guérir. L’objectif est louable puisque la prévention est un enjeu majeur, en particulier en matière de cancers féminins. Pourtant, les crédits territoriaux de prévention confiés aux agences régionales de santé (ARS) sont inférieurs à 200 millions d’euros par an, soit 0,1 % des dépenses de l’Assurance maladie. N’y voyez-vous pas une incohérence car, malgré l’affichage de cette priorité depuis trois ans, les financements de proximité pour la prévention ont diminué. Envisagez-vous une évolution de ces crédits ?

Mme Suzanne Tallard. Madame la ministre, j’insiste à mon tour sur le nécessaire lien entre votre ministère et le ministère de l’Éducation nationale en matière de prévention, en particulier au regard de la situation des jeunes filles.

Comme notre collègue, je pense qu’une mère qui prend soin de sa santé, c’est aussi un enfant mieux soigné.

Par ailleurs, les intoxications médicamenteuses chez les personnes âgées ne sont pas rares. Aussi les essais cliniques devraient-ils mettre en avant les dosages différenciés pour les personnes âgées, voire très âgées.

Mme la ministre. Je ne peux que vous entendre sur la nécessaire transversalité entre mon ministère et celui de l’Éducation nationale, avec laquelle se construira précisément le parcours éducatif en santé. Les deux ministères travaillent conjointement pour définir des objectifs et voir comment l’Éducation nationale pourra les intégrer : l’éducation à la santé doit aussi pouvoir être réalisée à l’occasion d’un cours de français, par exemple, avec l’étude d’un texte qui porte sur la santé. In fine, le succès de la démarche reposera sur les professionnels de l’Éducation nationale.

Les crédits de prévention ont légèrement diminué, mais ils sont ciblés sur des actions prioritaires. Nous maintenons des enveloppes supplémentaires pour les régions dans lesquelles les indicateurs de santé sont les plus médiocres, ainsi que les crédits affectés aux dépistages, notamment du VIH. En réalité, une part des crédits d’État a été transférée vers les crédits de l’Assurance maladie, lesquels ont donc augmenté significativement au travers des fonds d’intervention dans les régions. En tout cas, je puis vous assurer que les associations de santé ont vu leurs crédits de prévention maintenus en 2014.

S’agissant des personnes âgées, le problème est moins celui des essais cliniques que celui de la multiplication des prescriptions médicales. En effet, des interactions médicamenteuses entraînent des risques, en particulier chez les personnes âgées qui prennent plusieurs médicaments. Ainsi, les médicaments sont responsables de décès chez les personnes âgées, alors qu’ils soignent lorsqu’ils sont pris isolément. À cet égard, le rôle du médecin traitant est primordial : c’est lui qui peut regarder toutes les ordonnances des différents médecins prescripteurs du patient. Les pharmaciens eux-mêmes ont un rôle clé, en pouvant contacter le médecin pour signaler que trop de médicaments sont délivrés à la même personne.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Les dispositions du texte sur le développement et le soutien à l’exercice coordonné à travers les centres de santé ou les maisons de santé sont très importantes au regard de l’égalité professionnelle au sein des professions médicales. Ce renouveau de l’exercice médical va en effet permettre des avancées significatives en matière de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle.

L’année dernière, un épisode malheureux s’est produit en matière de parité, je pense à la composition de la Haute Autorité de santé, dont le collège a été renouvelé sans femme. Une réflexion est-elle engagée sur la parité au sein des organes de gouvernance des agences sanitaires ?

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. Mme la ministre, je sais que vous êtes très sensible à cette dernière question. On ne compte que six femmes directrices d’ARS sur vingt-six agences, une femme contre neuf hommes à la tête d’une des principales agences sanitaires, aucune femme au sein du collège de la Haute Autorité de santé qui compte huit membres, ni aucune directrice dans les principales caisses de sécurité sociale.

Mme Maina Sage. Selon une enquête menée outre-mer, la consommation de tabac chez les femmes progresse dans les territoires ultramarins – où elle baisse chez les hommes –, alors qu’elle stagne en métropole. Il est donc important de s’interroger sur les causes de ces différences de comportement, malgré les campagnes de prévention et les politiques fiscales dissuasives. À cet égard, je pense que le tabac est encore un signe d’émancipation pour beaucoup de femmes. Je suis en outre très inquiète de la banalisation de l’utilisation de la cigarette électronique dans nos territoires ultramarins, notamment chez les non-fumeurs et les non-fumeuses de tabac.

Cette problématique n’est évidemment pas sans conséquences sur les dépenses de santé. En Polynésie française, le coût de la protection sociale généralisée dépasse cette année 1 milliard d’euros, dont la moitié concerne les maladies, et un quart les maladies dues au tabac et au diabète.

Madame la ministre, quelle politique de prévention envisagez-vous en la matière, y compris pour la cigarette électronique dont la promotion n’est pas interdite ?

La seconde problématique outre-mer est l’obésité. Selon moi, les femmes ont un rôle prescriptif au sein de la famille en matière de comportements alimentaires, car ce sont souvent elles qui décident des menus et qui éduquent leurs enfants en matière d’alimentation. Par conséquent, outre la nécessité d’adapter les programmes alimentaires dès l’école et d’accompagner les familles vers un équilibre alimentaire, notamment grâce à l’utilisation des produits locaux, il faut que les politiques nationales de prévention prennent en compte la place de la femme en matière de nutrition.

Par ailleurs, l’éclatement de la politique de santé entre l’Éducation nationale et le ministère de la santé est un problème. Il me semble donc indispensable de mettre au point des plateformes de concertation pour faire converger ces politiques car on ne peut pas, d’un côté, promouvoir la santé et une bonne éducation alimentaire, et, de l’autre, ne pas adapter les programmes alimentaires pour les cantines.

En tout état de cause, nous resterons attentifs aux déclinaisons outre-mer des dispositions en matière de prévention.

Mme Linda Gourjade. Madame la ministre, je m’associe aux encouragements qui vous sont apportés.

Où en êtes-vous de vos discussions avec les médecins généralistes, qui sont encore très réticents face au tiers payant ?

L’hospitalisation à domicile suscite des mécontentements car, en facilitant la proximité, on laissera au secteur privé les zones rurales, voire les soins plus difficiles. En outre, le programme d’accompagnement du retour à domicile (PRADO), qui permet notamment le suivi à domicile par l’hôpital après l’accouchement, pose la question de la coordination entre les services de maternité et la protection maternelle et infantile (PMI).

Mme Catherine Quéré, corapporteure. Le PRADO maternité devrait être déployé sur tout le territoire, car les femmes restent moins longtemps qu’auparavant à la maternité et elles peuvent se retrouver angoissées une fois rentrées chez elles. Elles ont donc besoin de conseils pour s’occuper de leur bébé, d’où le rôle très important des sages-femmes. Or ces professionnelles peuvent vacciner les mères et leurs enfants, mais pas l’entourage de ces derniers. Ne pensez-vous pas utile que le projet de loi prévoie qu’elles puissent le faire ?

En outre, madame la ministre, j’aimerais savoir qui finance la « pilule du lendemain » délivrée dans les lycées : le ministère de la santé ou le ministère de l’Éducation nationale ?

Mme Maud Olivier. Madame la ministre, vous avez indiqué que les centres de santé pourront réaliser des IVG médicamenteuses. Devront-ils comporter un échographe ?

Mme la ministre. Sur cette dernière question, la Haute Autorité de santé définira la procédure pour la pratique des IVG instrumentales : les centres de santé n’entrant pas dans ce cadre ne pourront pas pratiquer cet acte.

La parité reste une de mes grandes préoccupations. La loi comportera certainement, par le biais d’un article de renvoi aux ordonnances, des dispositions relatives à la réorganisation des agences sanitaires. Par ailleurs, la Haute Autorité de santé fait partie des structures qui seront amenées à se conformer aux dispositions de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je vous indique par ailleurs que la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) ainsi que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) sont désormais dirigées par une femme. En outre, les directions d’hôpitaux comptaient 19 % de femmes en 2012, mais ce taux est passé à 35 % à la fin de l’année 2013.

L’Assurance maladie poursuit le déploiement du PRADO maternité, qui s’appuie largement sur les sages-femmes libérales. Certains établissements, comme le CHU de Reims, n’ont pas souhaité s’engager dans cette démarche, mais la direction de ce dernier est depuis peu assurée par une femme, et peut-être celle-ci va-t-elle revoir la situation.

Il faut distinguer l’hospitalisation à domicile, qui est une projection de l’hôpital à domicile, et la prise en charge hors établissement par des professionnels de santé libéraux, laquelle constitue le cœur du projet de loi. La prise en charge hors établissement permettra à des professionnels de santé libéraux de s’occuper de patients chez eux dans des conditions satisfaisantes, ce qui répond à la logique de la médecine et de la chirurgie ambulatoires.

En France, le temps d’hospitalisation après un accouchement varie entre trois et quatre jours en moyenne, soit un jour de plus par rapport aux pays voisins. L’expérimentation du PRADO permettra de déterminer les cas pour lesquels le maintien en établissement est nécessaire – ou pas. L’objectif est d’accompagner les patients, et non de les laisser rentrer chez eux avec un sentiment d’insécurité. Au demeurant, la chirurgie ambulatoire n’est proposée que lorsque les personnes sont en mesure de bénéficier d’un accompagnement, qui parfois peut se limiter à la présence d’une personne à domicile la première nuit après l’intervention. Il ne s’agit donc pas de fragiliser les patients, après un accouchement ou un autre type d’acte réalisé en milieu hospitalier, il s’agit de permettre une prise en charge plus confortable à domicile, parfois plus rassurante, dès lors que les garanties de sécurité et d’accompagnement sont apportées.

Dans la suite des dispositions que j’ai prises visant à encadrer la publicité de la cigarette électronique, le projet de loi permettra l’interdiction de la publicité de l’e-cigarette dans les mêmes conditions que l’interdiction en faveur du tabac. Sans pouvoir me prononcer sur l’innocuité de la cigarette électronique, les études en la matière étant contradictoires, je peux dire que les risques sont différents de ceux du tabac pour des raisons évidentes. En revanche, cette cigarette contribue effectivement à la banalisation du geste et elle est un signe d’émancipation aux yeux des jeunes femmes. Je reste donc très attentive sur ce sujet, sans nier le fait que ce produit apporte à l’heure actuelle une réponse à des fumeurs souhaitant décrocher du tabac. Pour autant, même si la cigarette électronique est préférable à la cigarette tout court, il vaut mieux ne pas fumer du tout qu’utiliser la cigarette électronique.

Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2015, le législateur a adopté un amendement prévoyant que le gouvernement remettra au Parlement avant le 1er octobre 2015 un rapport sur l’accès à la délivrance de la contraception aux mineurs d’au moins quinze ans de manière anonyme et gratuite.

Par ailleurs, j’ai chargé l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’une mission visant à identifier les freins techniques à l’anonymisation. Pour l’interruption volontaire de grossesse, par exemple, la difficulté est de discriminer les publics – mineures et ayants droit – qui souhaitent garder le secret, car décréter l’anonymat pour toutes les IVG, au nombre de 210 000 par an, empêchera la traçabilité nécessaire à l’Assurance maladie pour assurer le suivi des patientes, par exemple en cas d’accidents en série liés à l’utilisation d’un produit. Ainsi, les données techniques de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) rendent difficile l’anonymisation de certains publics, mais je ne doute pas qu’il sera possible de lever ces freins.

Mme la présidente Catherine Coutelle, corapporteure. La Délégation a interrogé l’ensemble des régions sur leurs actions en matière de contraception, et nous intégrerons leurs réponses dans notre rapport. En outre, je me bats pour que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoie un volet sur l’égalité entre les femmes et les hommes sur les sujets qui nous intéressent.

Madame la ministre, j’ai beaucoup apprécié l’ensemble de vos réponses. Je tiens à vous redire mon entier soutien à la suite des attaques ignominieuses que vous avez subies. Je trouve incompréhensibles les propos tenus par certains milieux médicaux. Je pense que vous avez été victime, en tant que ministre de la santé et en tant que femme, de ces campagnes inqualifiables. Je redis par ailleurs avec la plus grande fermeté que nous ne pouvons laisser faire l’apologie du viol dans les salles de garde des internes en médecine !

Enfin, nous réaffirmons que le tiers payant constitue un progrès considérable. Certes, les médecins sont préoccupés par la complexité en matière de mutuelles notamment, et nous le comprenons, mais des considérations techniques ne doivent pas empêcher ce progrès immense dont les femmes seront les premières bénéficiaires.

Madame la ministre, nous vous remercions infiniment et nous resterons à vos côtés pour mener ce combat.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.

——fpfp——

Membres présents

Présentes. - Mme Catherine Coutelle, Mme Sophie Dessus, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Martine Faure, Mme Edith Gueugneau, Mme Maud Olivier, Mme Catherine Quéré, Mme Maina Sage.

Assistaient également à la réunion. - Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Linda Gourjade, Mme Martine Pinville, Mme Suzanne Tallard.