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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 4 mars 2015

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 20

Co-présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente, et de Mme Élisabeth Guigou, présidente de la Commission des affaires étrangères

– Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères et ouverte à la presse, de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, sur l’action de la France en matière de droits des femmes à l’international

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

Co-présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente, et de Mme Élisabeth Guigou, présidente de la Commission des affaires étrangères

La Délégation procède à l’audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères et ouverte à la presse, de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, sur l’action de la France en matière de droits des femmes à l’international.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir, pour la deuxième fois cette semaine, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le ministre, merci de votre disponibilité. Cette réunion conjointe avec la Délégation aux droits des femmes est consacrée à l'action de la France en matière de droits des femmes au plan international.

Je rappelle que nous sommes à quelques jours de la 59e session de la Commission de la condition de la femme (CSW) des Nations unies, qui doit se tenir à New York du 9 au 20 mars 2015. Cette « CSW59 » devrait être centrée sur les progrès et les défis restant à relever, vingt ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Pékin, qui constituent le cadre de référence en matière de lutte pour l'égalité entre les hommes et les femmes à l'échelle internationale.

L’année 2015 devrait ainsi être l'année de « Pékin+20 », mais aussi celle du Sommet spécial de l'Organisation des Nations unies (ONU) sur le développement durable, prévu pour le mois de septembre prochain. La définition de l'agenda « post-2015 » pour le développement présente des enjeux majeurs en ce qui concerne les femmes : renforcer la lutte contre les violences à leur égard, assurer un égal accès aux ressources et aux opportunités économiques, garantir la participation aux processus de décision, mais aussi les droits sexuels et reproductifs, que nous défendons au plan international.

Sur tous ces sujets, comme sur celui des femmes dans les conflits armés, la France est attendue. Nous le constatons dans nos déplacements : il est demandé à la France de faire passer le message de l'universalité des droits. Nous devons continuer à défendre ce message contre un relativisme qui justifie toutes les régressions et tous les immobilismes. Cela implique d'être exemplaires chez nous – ce qui n’est pas toujours le cas. Nous sommes aussi attendus pour le soutien concret que nous pouvons apporter aux femmes qui se mobilisent elles-mêmes pour leurs droits, dans leur propre pays. Je pense à cet instant aux femmes en Tunisie, dont la mobilisation a permis l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

Monsieur le ministre, nous serons très attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur ce que vous attendez des grandes échéances de 2015, ainsi que sur les priorités de l'action de notre pays.

Je saisis cette occasion pour vous informer que j’organise un séminaire sur les femmes et les conflits, qui se tiendra à l’Assemblée le vendredi 13 mars, à 15 heures, en partenariat avec l'ambassade de Suède et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Ce séminaire débattra de deux sujets : les femmes cibles et victimes des conflits armés ; le rôle des femmes dans la résolution des conflits.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Monsieur le ministre, c’est la première fois qu’un ministre des affaires étrangères répond à l’invitation de la Délégation aux droits des femmes ; je tiens à vous en remercier. Nous sommes très heureux de vous recevoir à la veille de la Journée internationale pour les droits des femmes, qui se tiendra le 8 mars.

Demain, je participerai à Bruxelles à la réunion interparlementaire organisée au Parlement européen sur « l’autonomisation des femmes et des filles par l’éducation ». À partir du lundi 9 mars, je serai à New York pour assister à la session annuelle de la Commission de la condition de la femme des Nations unies.

Monsieur le ministre, votre ministère a fixé une stratégie « Genre et développement 2013-2017 » comme axe prioritaire de la politique française d’aide au développement. Cette stratégie propose une « boussole de l’égalité » pour fixer des objectifs précis à toutes les interventions de la France, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales : lutte contre la pauvreté, réduction des discriminations de genre, prise en compte des jeunes filles et des femmes comme levier du changement à travers l’éducation et l’entreprenariat, autonomisation et prise de pouvoir des femmes dans les lieux de décision.

À mi-chemin de cette stratégie, pouvez-vous nous dresser un premier bilan des interventions de la France au travers des politiques de coopération et de développement en termes d’égalité des droits des femmes ?

L’année 2015 sera marquée par de grands rendez-vous internationaux en termes de droits des femmes. À l’ONU d’abord, où la France est entendue et attendue. Pour m’y être rendue à plusieurs reprises, je peux vous dire que les associations, les représentants de la société civile et les parlementaires considèrent notre pays comme un grand soutien pour promouvoir des textes en faveur de l’égalité hommes-femmes.

Vingt ans après les conférences du Caire et de Pékin, qui furent des conférences fondatrices pour les droits des femmes, il semble qu’il ne soit plus possible de réunir une majorité de pays pour signer des programmes d’action en ce sens. Je crois même que l’on peut parler de régressions au plan international. Les conférences du Caire et de Pékin avaient reconnu pour la première fois le droit des femmes à disposer de leur corps, leurs droits sexuels et reproductifs : nous devons continuer à utiliser ces termes. En effet, 200 millions de femmes dans le monde n’ont toujours pas accès à la contraception, 500 000 meurent chaque année pendant la grossesse ou l’accouchement, sans parler des mariages forcés, des mutilations génitales, mais aussi de la traite des êtres humains qui frappe les femmes à 80 %.

Un rapport du Sénat sur les violences sexuelles faites aux femmes lors des conflits armés montre que les viols sont utilisés comme armes de guerre et que les femmes en sont les premières victimes. Pour faire cesser cette situation dramatique, il est impératif que les femmes soient associées à la résolution des conflits.

Le bilan des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), prévu également cette année, devra fixer les objectifs de l’après-2015. De l’avis unanime, les objectifs 3 à 5 sont ceux pour lesquels les résultats sont les plus faibles concernant les femmes, à tel point que la France a proposé au G8 de Muskoka, au Canada, une enveloppe supplémentaire pour améliorer la situation.

Quel bilan tirez-vous de ces initiatives en termes de santé des femmes, monsieur le ministre ? Comment la France se positionne-t-elle pour négocier l’après-2015, afin que la deuxième phase des objectifs pour le développement permette de combler le regard pris, mais aussi d’améliorer la situation des femmes ?

Enfin, la dimension « genre » a été intégrée tardivement dans les négociations sur le climat. Lors de la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP20) de Lima en décembre 2014, un atelier avait présenté le leadership des femmes sur l’action climatique et une réunion avait été organisée sur le genre et le changement climatique, travaux qui ont permis l’adoption d’un programme de Lima sur le genre, qui alimentera les travaux de la COP21 que vous allez présider. S’il préfigure une approche transversale, ce programme reste timide du fait d’une minorité de pays œuvrant pour l’« égalité des genres », expression qui tend à être remplacée celle d’« équilibre de genre », moins contraignante, un pays ayant même tenté de proposer le terme de « complémentarité ».

Les pays les plus en pointe sur la question de l’égalité, les sociétés civiles et les ONG travaillent sur l’autonomisation des femmes afin de prolonger la dynamique des négociations en vue de la COP21 qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. Dans le cadre de cette manifestation, un espace dédié à la société civile accueillera les représentants des ONG et des associations pour mettre en valeur les solutions qu’elles proposent.

J’ai entendu hier que trois conférences, dont l’une à Marseille et une autre à Lyon, se tiendraient en marge de la COP. Peut-on imaginer un lieu où les ONG puissent mettre en valeur le thème « femmes et climat » ? En effet, le rapport de Nicole Kiil-Nielsen sur les femmes et le changement climatique, adopté par le Parlement européen en 2012, met en évidence que les femmes sont les premières victimes du bouleversement climatique, dans la mesure où 70 % des personnes pauvres subsistant avec moins d’un dollar par jour sont des femmes et que 85 % des personnes qui meurent des conséquences d’une catastrophe naturelle d’origine climatique sont des femmes – ce fut le cas au Bangladesh en 1991.

Monsieur le ministre, l’accès à la contraception, et donc la maîtrise par les femmes de leur fécondité, en facilitant la carrière et la vie familiale des femmes et la scolarisation des filles, est un enjeu du changement climatique. Comment mieux intégrer la commission « genre » dans le cadre de la COP21, notamment au travers de l’action de Ségolène Royal, en charge de l’animation ONG et vie civile ? Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) est lui-même très attentif à ce sujet du changement climatique et des femmes dans le monde.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Le Président de l’Assemblée et la Fondation Anna-Lindh organiseront, à la mi-octobre, une rencontre entre des parlementaires de l’Union pour la Méditerranée et des représentants de la société civile, qui sera l’occasion d’aborder le sujet « femmes et climat ».

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la présidente de la Commission des affaires étrangères, madame la présidente de la Délégation aux droits des femmes, mesdames et messieurs les députés, parmi les valeurs universelles qui doivent conduire l’engagement de la France dans le monde, l'égalité entre les femmes et les hommes constitue, plus que jamais dans le contexte actuel, un impératif et un marqueur de notre action internationale.

La défense des droits des femmes reste aujourd'hui encore un combat, comme l'actualité nous le rappelle tragiquement. Les atrocités commises par les égorgeurs de DAECH et leurs cousins de Boko Haram frappent tout particulièrement les femmes. De nombreux chiffres témoignent du chemin qui reste à parcourir. Les femmes représentent environ 80 % des victimes de la traite des êtres humains. Plus de 120 millions de filles et de femmes dans le monde ont subi une mutilation sexuelle féminine, et ce sont près de 3 millions de filles âgées de moins de cinq ans qui risquent chaque année d'être mutilées. Tous les ans, environ 20 millions d'interruptions volontaires de grossesse sont réalisées dans des conditions non sécurisées, et causent 50 000 décès de femmes, qui laissent souvent derrière elles des enfants orphelins.

Dans le cadre multilatéral, les droits des femmes ont pourtant connu au cours des dernières décennies des progrès considérables, avec l'adoption de textes majeurs, comme la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et les programmes d'action issus des conférences du Caire en 1994 et de Pékin en 1995. Alors que nous célébrons cette année les vingt ans de la conférence de Pékin, qui a été fondamentale pour les droits des femmes, force est de constater que les engagements pris n'ont pas la force de l'évidence. Non seulement ils sont trop souvent ignorés, mais ils sont remis en question dans les enceintes multilatérales, sous l'influence de courants conservateurs ou réactionnaires, d’extrémismes de toutes sortes, ainsi que d'un certain relativisme culturel. Or, en matière de droits de l'Homme, un tel contexte aboutit à la régression.

Le combat pour les droits des femmes est donc un combat universel et permanent, et la France le rappellera avec force lors des échéances internationales cette année.

Notre diplomatie en faveur des droits des femmes se décline principalement autour de deux priorités : d'une part, la lutte contre les violences faites aux femmes, et, d'autre part, la promotion de la participation effective des femmes dans la vie politique et économique, y compris au plus haut niveau. L’objectif est simple : il s’agit de faire en sorte que l'égalité entre les femmes et les hommes ne soit plus seulement un principe inscrit dans les textes, mais qu’elle devienne une réalité concrète.

La première des priorités de notre action extérieure, donc, c'est de lutter contre les violences faites aux femmes et contre l'impunité de leurs auteurs.

Les violences sexuelles lors des conflits sont une arme aussi vieille que l'histoire de la guerre. Mais, depuis ces dernières années, les femmes et les filles sont l’objet d’exactions revendiquées par des groupes armés. J'évoquais à l'instant la barbarie de DAECH, qui élimine systématiquement les femmes exerçant des responsabilités, qui viole et réduit en esclavage des milliers de femmes, vendues comme des marchandises sexuelles ou utilisées comme boucliers humains. Je pense bien sûr aussi à Boko Haram, qui ne recule devant aucune exaction, utilisant même des petites filles pour commettre des attentats suicides.

Les violences faites aux femmes ne se limitent pas aux situations de conflits. C’est pourquoi la France est mobilisée dans les enceintes internationales pour lutter contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes : violences sexuelles pendant les conflits, mais aussi violences de genre à l'école, mutilations sexuelles féminines, exploitation sexuelle et travail forcé, violences domestiques... Nous avons aussi renforcé nos efforts pour lutter contre l'impunité des auteurs de ces violences.

À l'Assemblée générale des Nations unies, la France porte avec les Pays-Bas, tous les deux ans, une résolution sur l'élimination des violences envers les femmes. Le texte, adopté en novembre dernier, est centré sur la lutte contre l'impunité et a reçu le soutien de 112 États membres. Il contribue à renforcer la prise de conscience progressive de la communauté internationale sur ce sujet majeur. Notre pays a par ailleurs soutenu les toutes premières résolutions des Nations Unies condamnant et luttant contre les mutilations génitales féminines et les mariages forcés.

Le Conseil de sécurité s'est aussi saisi de la question des violences sexuelles dans les conflits, à l'initiative notamment de la France. Il a brisé le silence qui pesait sur ces crimes et a fait des violences sexuelles une question de paix et de sécurité internationale. La France a joué un rôle moteur pour l'adoption des résolutions 1325 et suivantes dites « Femmes, paix et sécurité », qui protègent les femmes dans les conflits et demandent que les femmes soient associées au maintien de la paix et à la sortie de crise. Une revue mondiale de la mise en œuvre de ces résolutions aura lieu en octobre prochain ; nous entendons y contribuer activement.

La France veille à ce que les dispositions de ces résolutions soient bien prises en compte au Conseil de sécurité lors de la création et du renouvellement des opérations de maintien de la paix, comme c'est le cas pour la République démocratique du Congo, le Mali, la République centrafricaine (RCA) ou encore la Côte d'Ivoire. Nous mettons l'accent sur la lutte contre l'impunité à l'égard des violences sexuelles, et faisons en sorte que la Cour pénale internationale (CPI) puisse jouer tout son rôle, lorsque les États sont défaillants. Nous apportons en outre un soutien politique et financier à ONU Femmes, organisation avec laquelle nous avons renforcé notre partenariat en 2012, ainsi qu'au bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les violences sexuelles dans les conflits.

Nous avons aussi adopté, dès 2010, un plan national d'action pour mettre en œuvre les résolutions « Femmes, paix et sécurité ». J'ai le plaisir de vous annoncer que le deuxième plan d'action de la France, élaboré avec tous les ministères concernés et après consultation de la société civile, vient d'être adopté pour la période 2015-2018 et sera prochainement publié sur le site du ministère des affaires étrangères et du développement international. La mise en œuvre de ce plan fera l'objet d'un rapport final, qui sera présenté au Parlement.

Par ailleurs, la France soutient les progrès du droit international dans la lutte contre la traite des êtres humains, en travaillant à l'universalisation croissante et à la mise en œuvre effective des Conventions de Palerme et du Conseil de l'Europe. La majorité des femmes victimes de la traite sont exploitées sexuellement ou par du travail forcé. Dans le cadre du « plan national de lutte contre la traite des êtres humains » adopté en 2013, la France finance des actions dans les zones sources de la traite vers la France, dans le Golfe de Guinée notamment, mais aussi en Europe de l'Est et dans les Balkans.

La France agit aussi au plan européen. Elle a été l'un des promoteurs les plus actifs de la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, que nous avons ratifiée le 4 juillet 2014. Il s'agit du premier texte international juridiquement contraignant incluant des dispositions de nature à combattre le phénomène des crimes prétendument commis au nom de l'honneur. Nous avons été parmi les premiers pays à ratifier cette convention et nous militons pour que davantage d'États puissent y adhérer.

Enfin, au titre de ses activités humanitaires et d'aide au développement, la France est particulièrement mobilisée en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes, par exemple pour venir en aide aux réfugiées syriennes, soutenir les actions des défenseures des droits, lutter contre les violences de genre en milieu scolaire en Afrique de l'Ouest, soutenir et accompagner les victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo. Nous avons également, en partenariat avec ONU Femmes, soutenu des programmes de lutte contre les violences faites aux femmes pour l'Algérie, le Maroc, la Jordanie, le Mali, le Niger et le Cameroun.

Cette action au plan international, peu connue, voire totalement méconnue, est très importante pour la France, un des premiers pays à soutenir le combat en faveur des femmes.

J'en viens donc à la deuxième priorité de notre action : la défense de l'autonomie des femmes tout au long de leur vie et de leur participation à tous les niveaux de responsabilité.

L'égalité hommes-femmes, l'autonomisation des femmes et la promotion de leur rôle dans la société doivent se décliner de manière très concrète, en termes de développement, de santé et de droits. C'est le sens de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, à laquelle nous sommes partie. C'est sur l'ensemble de ces aspects que la France est mobilisée.

La France soutient la participation des femmes à la résolution des conflits et à la sortie de crises. Il s'agit d'un axe central de notre action en faveur de la mise en œuvre de l'agenda « Femmes, paix et sécurité », au Conseil de sécurité, au sein de l'Union européenne, et au plan national. Dans ce cadre, nous avons engagé des programmes de coopération pour l'autonomisation politique et économique des femmes en Afrique et dans le monde arabe, en partenariat avec ONU Femmes.

Au-delà des situations de conflits et post-conflits, des progrès ont été accomplis pour renforcer l'autonomie des femmes dans tous les secteurs de la société. Mais beaucoup reste à accomplir : les inégalités perdurent en matière politique, économique et sociale, en dépit des textes proclamant l'égalité des droits. Nous devons donc poursuivre nos efforts dans ces domaines. La 59e session de la Commission de la condition de la femme qui s'ouvrira le 9 mars 2015 sera consacrée au bilan du programme d'action de la Conférence de Pékin. La France y sera représentée par Mme Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes. Nous souhaitons que cette réunion permette aux États de réaffirmer leur engagement à mettre concrètement en œuvre l'ensemble des douze domaines d'action identifiés à Pékin.

Je voudrais en particulier insister sur une condition essentielle de l'autonomisation des femmes pour la France. Il s'agit des droits sexuels et reproductifs. Les femmes paient encore très cher le prix de la liberté, notamment la liberté de maîtriser leur corps. En 2014, 220 millions de femmes étaient dépourvues d'accès à la contraception. Les droits sexuels et reproductifs sont les premières conditions de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Le dire n'est pas une ingérence dans des questions qui seraient culturelles ou religieuses, propres à chaque État. Garantir ces droits, c'est assurer un accès à des services adaptés et de qualité qui permettent enfin aux femmes de ne plus mourir en couche, de choisir le nombre de leurs enfants, d'accéder à l'éducation et au travail, de contribuer au développement et au progrès social de leur pays. C'est un enjeu stratégique, en particulier au Sahel.

Dans un pays comme le Niger, où je me suis rendu à plusieurs reprises, la croissance démographique est supérieure à 3 %, ce qui ruine toute perspective de croissance économique. . Cette situation doit nous faire réfléchir au rôle de l’Agence française de développement, car la question numéro un est la scolarisation des jeunes filles. C’est pourquoi j’ai demandé à Mme Paugam, directrice de l’AFD, d’insister sur cette dimension, faute de quoi nous ne pourrons que constater les ravages dans ces pays.

Nous devons donc continuer de plaider en faveur de nouvelles avancées dans le domaine des droits sexuels et reproductifs au plan multilatéral. C'est ce message que la France a porté à l'Assemblée générale des Nations unies lors du bilan de la Conférence sur la population et le développement du Caire, le 22 septembre 2014, et que nous continuerons de promouvoir. La France sera par ailleurs prochainement dotée d'un document d'orientation stratégique en matière de droits et de santé sexuelle et reproductive, afin de poursuivre notre action dans ce domaine, qui constitue un impératif politique majeur.

Par ailleurs, la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et de l'autonomisation des femmes est une priorité transversale de notre politique d'aide au développement. La France est particulièrement attentive au sort des femmes qui constituent près des deux tiers des personnes en situation de pauvreté dans le monde. Nous avons adopté en 2013 une stratégie spécifique genre et développement, qui fait de l'égalité entre les femmes et les hommes un impératif éthique et politique, un objectif de développement à part entière, et la garantie d'une aide à la fois plus juste et plus efficace. Dans les négociations sur les Objectifs du développement durable (ODD), la France est très mobilisée pour que l'égalité entre les femmes et les hommes soit pleinement intégrée dans l'agenda post-2015, qui sera adopté lors d'un sommet à New York en septembre prochain. La France soutient l'adoption d'un objectif spécifique dédié à l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la prise en compte de cette question dans l'ensemble des futurs objectifs du développement durable.

La France conduit dans ce cadre de multiples programmes de coopération, avec l'aide d'associations, des organisations internationales et des agences des Nations unies, telles que l'UNICEF, le Fonds des nations unies pour la population (FNUAP) et ONU Femmes, afin d'assurer aux femmes un accès universel à la santé, à l'éducation et à la sécurité, en un mot à leurs droits fondamentaux. Nous soutenons financièrement des associations de migrants, compte tenu du rôle important joué par les diasporas présentes en France dans la promotion de l'autonomie des femmes dans leur pays d'origine, notamment au Maroc, au Sénégal et au Mali. Nous promouvons également l'accession des femmes à des postes de responsabilité, au travers de programmes de coopération comme « Femmes d'avenir en Méditerranée » lancé fin 2014.

Nous avons aussi mobilisé nos partenaires, notamment francophones, en co-organisant avec l'Organisation internationale de la francophonie, en 2013 à Paris et en 2014 à Kinshasa, les deux premières éditions du Forum mondial des femmes francophones, dont les travaux sont suivis par le réseau francophone pour l'égalité femmes-hommes. La France a par ailleurs soutenu le choix du thème du Sommet de Dakar de novembre 2014, « Femmes et jeunes en Francophonie, vecteurs de paix, acteurs du développement ».

Je voudrais ajouter quelques mots sur les chantiers européens. Au sein même de l'Union européenne, les droits des femmes doivent continuer d'être un axe fort de notre politique sociale. Car tout n’est pas acquis. La France a notamment promu la lutte contre les discriminations et les violences contre les femmes. Nous avons ainsi soutenu l'adoption, le 21 juin dernier, des conclusions du Conseil demandant aux États membres et à la Commission de continuer à promouvoir la participation des femmes au marché du travail. Cette année, nous continuerons à soutenir les efforts des Présidences du Conseil et de la Commission européenne, notamment pour faire aboutir des textes sur deux sujets importants : la proposition de directive relative aux quotas de femmes dans les conseils d'administration, et les éventuelles propositions de la Commission pour mieux prendre en compte les besoins des parents et des familles dans une société en évolution.

Vous l’avez dit, la situation des femmes est également liée à la question climatique. Sur ce sujet, vous aurez prochainement le plaisir de lire une tribune de celui qui vous parle. Les femmes sont les premières victimes du dérèglement climatique, comme le montrent les chiffres, mais elles sont aussi les premiers acteurs de la lutte contre ce dérèglement. À ce titre, elles ont une place extrêmement importante, d’une part, comme participantes à la négociation internationale, d’autre part, comme sujet de cette négociation. En tant que futur président de la COP21, je ferai donc en sorte que les femmes soient au cœur de cette négociation. Je précise que si un grand nombre de manifestations sont organisées, l’information en la matière doit être systématique pour en permettre une traduction dans le cadre de cette grande manifestation.

Enfin, pour ce qui est de mon ministère, le nombre d’ambassadrices s’élevait à 23 en 2012, il atteint 44 aujourd’hui, soit un taux de féminisation qui a doublé, passant 11 % à 22 %. Ce taux est certes encore trop bas, mais l’une des raisons de cette insuffisance est qu’un décret prévoit que le ministre des affaires étrangères ne peut nommer ambassadeur ou ambassadrice une personne du ministère que si elle a exercé des fonctions d’encadrement. Ce texte a été pris, certes à juste titre, par nos prédécesseurs pour éviter les nominations de complaisance, c’est-à-dire des promotions extrêmement rapides de personnes passées par tel ou tel cabinet. Mais le problème aujourd’hui est que je ne peux pas nommer de jeunes fonctionnaires de valeur du Quai d’Orsay puisqu’elles n’ont pas encore exercé de fonctions d’encadrement. Je peux donc nommer soit des gens qui ne viennent pas du ministère, ce qui n’est pas forcément idéal, soit des personnes ayant exercé des fonctions d’encadrement ; j’ai pu nommer un certain nombre de femmes qui se trouvaient dans ce cas, et qui, bien entendu, étaient également très compétentes, mais je me suis heurté à la limite que je vous ai dite, et le problème se posera aussi pour mes successeurs.

Par ailleurs, nous venons de publier une étude sur les rémunérations qui montre qu’il n’existe pas d’écart entre les rémunérations des femmes et celles des hommes au sein du ministère des affaires étrangères.

J’ajoute que nous nous sommes dotés d’une « charte du temps », qui me semble être un excellent outil pour aménager la vie de nos collègues femmes. Ce texte sera adopté par le comité technique ministériel (CTM) au mois de mai.

Pour résumer, l’égalité des droits entre les femmes et les hommes est un marqueur de la politique extérieure de la France. Nous sommes attendus sur ces questions. L’année qui s’ouvre, marquée par d'importantes échéances, permettra de traduire les objectifs en actes. J’y serai particulièrement attentif dans le cadre des travaux sur le climat. Et concernant ma propre Maison, j’essaie de faire appliquer les principes que nous professons pour les autres.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Lors de la première conférence des ambassadeurs que vous avez réunis, monsieur le ministre, des femmes ont pointé le faible nombre d’ambassadrices ; pour ma part, j’avais constaté que certaines tribunes étaient exclusivement masculines, ce qui a été corrigé depuis. Je constate d’ailleurs avec plaisir que vous êtes accompagné aujourd’hui de collaboratrices, preuve que vous êtes attentif à la promotion des femmes au sein de votre ministère.

M. le ministre. Elles sont là, non pas uniquement parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles sont compétentes.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. En tout cas, bravo d’avoir doublé la proportion de femmes ambassadrices.

Mme Françoise Imbert. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes, ratifée en juillet 2014 ; je n’y reviens donc pas.

Le 17 décembre dernier, s’est tenu à l’Assemblée nationale un atelier parlementaire sur la planification familiale en Afrique de l’Ouest francophone, piloté par le groupe d’études « genre et droits des femmes à l’international ». Cet atelier vise à promouvoir le dialogue entre délégués parlementaires et partenaires actifs en Afrique de l’Ouest francophone pour renforcer l’action des législateurs en matière de planification familiale. Trois mois plus tard, des avancées ont-elles été constatées ? Quelle suite donner à cet atelier ?

M. Meyer Habib. Monsieur le ministre, DAECH a publié un « guide de l’esclavage sexuel », selon lequel les femmes yézidies et chrétiennes, considérées comme infidèles, sont vendues selon une « grille tarifaire » établie par l’organisation terroriste. Pour les femmes âgées de vingt à trente ans, le prix est de soixante-huit euros, pour celles âgées de dix à vingt ans, le prix monte à cent euros, les fillettes elles-mêmes sont vendues deux cents euros ! Ces horreurs dépassent l’entendement ! À la fin du mois de février, la France a envoyé le porte-avions Charles-de-Gaulle en direction de l’Irak, et l’investissement militaire de notre pays est évident. Néanmoins, l’investissement humain de la France auprès des réfugiés, particulièrement des femmes, pourrait-il être amélioré et de quelle manière ?

Concernant l’Iran, on parle d’un deal sur le nucléaire iranien pour endiguer le développement des capacités nucléaires militaires de ce pays en échange de la levée des sanctions économiques. Cependant, la levée des sanctions ne pourrait-elle pas être conditionnée, aussi, à l’amélioration des droits de la Femme en Iran ? Si oui, par quels moyens ? Depuis l’arrivée du président Hassan Rohani au pouvoir, les exactions ont cessé de croître. Mais je rappelle le cas hautement symbolique de cette jeune Iranienne de vingt-six ans, Reyhaneh Jabbari, pendue en octobre 2014 pour avoir tué l’homme qui l’avait violée.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. J’ai signalé ce cas à la délégation iranienne que nous avons reçue.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le ministre, je sais votre attachement à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, dont un article porte sur les discriminations dans la sphère familiale. Or c’est sur cet article que les États signataires ont émis le plus de réserves, si bien que la sphère familiale reste un lieu privilégié de discrimination et de subordination de la femme.

Si l’on observe de moins en moins d’obstacles de principe dans la sphère publique, on se heurte toujours dans la sphère familiale au maintien des discriminations, au nom de la culture, de la tradition, de la religion. Les pays concernés reprochent souvent aux pays occidentaux de vouloir leur imposer des normes contraires à leur culture. Comment notre pays peut-il agir sur cette question si particulière ? Celle-ci a-t-elle été portée au sein du Groupe de travail chargé de la question de la discrimination à l’égard des femmes, créé à l’ONU en 2010 à l’initiative de la France ?

M. François Rochebloine. Monsieur le ministre, il est vrai que les femmes paient un lourd tribut aux conflits en raison des violences dont elles sont victimes. Vous avez évoqué les droits dont bénéficient les femmes en France et qui malheureusement n’existent pas dans nombre de pays.

Le 11 février dernier, une jeune étudiante turque de vingt ans a été violée et assassinée dans la province de Mersin, dans le sud du pays. Un article de presse écrivait : « Un vent de colère a soufflé sur les obsèques de la jeune victime, samedi 14 février à Mersin, quand les femmes de l’entourage de la victime, bravant l’interdiction de l’imam, ont porté sa dépouille au cimetière, une tâche traditionnellement réservée aux hommes. »

Le 3 décembre dernier, j’ai posé une question qui s’adressait à vous, monsieur le ministre, sur le sort d’une Pakistanaise, Asia Bibi, emprisonnée et condamnée à la pendaison pour blasphème pour avoir bu de l’eau dans un puits censé être interdit aux chrétiens. M. Fekl, secrétaire d’État chargé notamment des Français de l’étranger, m’a répondu que « le Pakistan a signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il l’a ratifié en 2010. Il doit désormais l’appliquer et les libertés que j’ai évoquées en font pleinement partie ». Avez-vous des nouvelles d’Asia Bibi ?

Enfin, depuis un an, Mme Leyla Yunus, éminente défenseure des droits de l’Homme, et son mari sont emprisonnés en Azerbaïdjan pour avoir dénoncé l'arrestation d’un journaliste, Hilal Mammadov. Avez-vous des nouvelles d’eux, monsieur le ministre ?

Mme Seybah Dagoma. Monsieur le ministre, dans le cadre du second objectif de notre politique, à savoir la défense de l’autonomie des femmes à travers le monde, la microfinance est une arme efficace, car elle permet de lutter contre la misère et la faim, en particulier dans les zones rurales des pays en voie de développement, où les femmes peuvent ainsi retrouver leur dignité par le travail. Quelles actions le Gouvernement mène-t-il à l’échelle internationale pour promouvoir le microcrédit ?

Ensuite, vous avez souligné que le nombre d’ambassadrices a doublé depuis votre arrivée au ministère. Mais s’agissant des pays du G8, combien y a-t-il d’ambassadrices ?

M. Jacques Myard. Contrairement à ce que certains pourraient penser, car on veut toujours me faire passer pour un affreux jojo (Sourires), je suis totalement favorable à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Monsieur le ministre, une augmentation de la population de 3 % par an, comme au Niger, signifie un doublement de la population tous les vingt-quatre ans, ce qui empêche tout développement économique. C’est pourquoi je m’étonne – mais cela n’est pas propre à votre ministère – que notre coopération ne prévoie aucun programme de maîtrise démographique, alors que les États-Unis le font. En France, ce sujet est tabou et l’on s’imagine que la scolarisation va finir par régler tous les problèmes. Or c’est une illusion ! Les Algériens ont fini par l’admettre, après ne pas avoir tenu compte des observations du PNUD en 1973-1974 sur le problème démographique de leur pays.

Lors d’une mission avec Yvette Roudy il y a quelques années, celle-ci m’avait demandé de venir à son secours dans le dialogue musclé qu’elle avait avec des femmes algériennes lui rétorquant : « Mêlez-vous de vos affaires, notre civilisation est particulière, nous avons une culture particulière. » C’est la preuve qu’une approche occidentale de ces civilisations mènera droit à l’échec. Je parle de personnes qui défendent l’égalité hommes-femmes – ce qui exclut DAECH, composé de gens qui sont en dehors de la civilisation.

Pour finir, je tiens à souligner que j’ai travaillé au ministère des affaires étrangères sous les ordres de femmes remarquables. Mais dire qu’il faut une femme parce qu’il faut une femme me révolte ! Ce qu’il faut, ce sont des gens de talent, c’est tout ! Et proclamer qu’on est passé de 11 % à 22 % d’ambassadrices, c’est mal servir la cause des femmes, qui vaut mieux que des quotas !

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Il ne s’agit pas de quotas, monsieur Myard, il s’agit de tendre vers la parité. Il faut bien commencer par quelque chose !

M. Sébastien Denaja. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’action de la France en matière de droits des femmes est méconnue, alors qu’elle honore notre action diplomatique.

Vous avez eu l’élégance de ne pas faire de comparaison avec les autres administrations en matière de nominations dans la haute fonction publique. À cet égard, je tiens à dire que votre ministère est exemplaire et mène une action remarquable – bien loin d’une politique de quotas, comme le prétend M. Myard.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dont je suis un des membres, a intégré dans ses travaux la question « femmes et climat ». Cela en fera un point d’appui supplémentaire à votre action, monsieur le ministre, à la présidence de la COP21.

À l’occasion de la Journée internationale contre les mutilations génitales féminines, j’ai organisé avec Mme Coutelle une réunion à l’Assemblée nationale sur l’excision. Phénomène mondial – y compris en France, où 50 000 à 60 000 femmes ont été victimes de cette mutilation sexuelle au cours de leur vie –, l’excision reste largement répandue au Mali et en Égypte, où le taux de prévalence avoisine les 95 %. Au-delà de l’action globale menée par votre ministère, monsieur le ministre, des leviers spécifiques pourraient-ils être actionnés à l’égard de ces deux pays dans le cadre d’une diplomatie bilatérale ?

M. Thierry Mariani. Cette réunion a commencé par un constat négatif de Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes. Or force est de reconnaître que les droits des femmes régressent dans les pays où l’islamisme radical progresse.

Au-delà de toutes les conférences et autres conventions, quels indicateurs permettent de suivre l’évolution des droits des femmes sur la planète ? Pensez-vous réellement que les choses, notamment dans le bassin méditerranéen, avancent dans le bon sens ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. À New York, on aboutit toujours à des textes dits « consensuels ». En la matière, ceux qui sont contre les avancées sont au nombre de trois : le Vatican, qui forme certains négociateurs, notamment des pays chrétiens d’Afrique qui sont en train de basculer vers le conservatisme ; et l’Arabie Saoudite. L’Asie n’est pas concernée, mais la Russie est sur des positions peu favorables. Je peux vous assurer que toutes les ONG, toutes les associations et tous les négociateurs nous citent l’action du Vatican !

Il existe une autre force très conservatrice, ce sont les Évangélistes américains, qui sont sur des positions très anti-avortement et anti-contraception. Avant l’élection d’Obama, les États-Unis acceptaient de soutenir les programmes égalité femmes-hommes, comme l’aide à la scolarisation des filles, mais pas le volet consacré à l’aide à la planification et à la contraception. La France soutient les programmes d’aide à la contraception et à la planification à travers l’action de l’AFD.

Je ne suis donc pas sûre que les forces réactionnaires soient dans un seul endroit, monsieur le député.

M. Thierry Mariani. Sans nier que les forces réactionnaires existent dans toutes les religions, pardonnez-moi de ne pas mettre au même niveau les Évangélistes américains et le Vatican, d’un côté, et les gens qui massacrent des femmes, de l’autre. Le vrai danger, ce sont les islamistes radicaux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous parle de pays membres de l’ONU, et non de DAECH et de Boko Haram ! Les pays participant aux négociations et qui refusent les avancées sont l’Arabie Saoudite, l’Iran, Israël, mais aussi la Pologne, Malte et, dans une moindre mesure, l’Irlande et l’Espagne. En Europe, nous aurions beaucoup plus de force si nous parlions d’une seule voix !

M. Jacques Moignard. Monsieur le ministre, mesdames les présidentes, vous avez mis l’accent sur l’écart qui existe entre la parole et les actes.

Nous disposons en France d’une structure qui fonctionne très bien, le Planning familial, qui pourrait être reproduit dans d’autres pays. Notre efficacité sur le terrain pourrait donc commencer par cet outil, qui a l’avantage d’associer les acteurs locaux, comme le font des ONG dans certains pays.

M. le ministre. Merci de toutes ces questions, qui montrent la complexité du sujet.

Madame Imbert, monsieur Moignard, concernant la planification familiale en Afrique de l’Ouest, nous agissons au travers du Partenariat de Ouagadougou, en lien avec la Fondation Bill Gates. Nous y consacrons 100 millions d’euros sur cinq ans, en aidant les gouvernements locaux à définir des stratégies de planification familiale et en finançant leur mise en œuvre pour la formation, la sensibilisation, la mise à disposition de moyens contraceptifs. Nous sommes assistés par le Fonds des Nations unies pour la population. Ce faisant, nous agissons grâce aux organisations présentes sur le terrain.

Monsieur Habib, vous avez évoqué les horreurs commises par DAECH. Notre investissement humain auprès des réfugiées existe, mais je ne saurais le quantifier. En tout état de cause, lorsque nous agissons sur le terrain ou via l’accueil, nous portons toujours une attention particulière aux femmes car elles sont doublement victimes.

S’agissant de l’Iran, si nous devions conditionner un accord à l’amélioration des droits humains, nous aurions malheureusement peu de chance de nouer cet accord – mais cela est valable pour beaucoup d’autres pays. Cela étant dit, j’ai demandé à M. John Kerry, M. Philip Hammond et M. Frank-Walter Steinmeier de venir me voir samedi, afin de faire le point sur certaines questions. Je lis les déclarations dans la presse, et je n’ai pas besoin de vous rappeler que la France, pays indépendant, se déterminera sur ce sujet comme sur les autres – et non à partir de ce qu’elle entend dire de ses positions.

Madame Guittet, la discrimination dans la sphère familiale est un sujet très complexe. C’est le point aveugle, car beaucoup se réfugient derrière l’autonomie du foyer et les normes sociales. Pour autant, nous voulons que l’égalité soit pratiquée partout et nous tenons cette position.

Monsieur Rochebloine, Mme Leyla Yunus et son époux sont emprisonnés depuis maintenant un an. Nous suivons cette situation avec une grande attention et avons engagé des démarches au niveau politique en lien avec la famille – nous avons reçu leur fille. Vous le comprendrez, la confidentialité s’impose en la matière, mais nous espérons que nos arguments seront entendus.

Mme Asia Bibi vit une situation épouvantable : elle est condamnée à mort pour ce qu’elle est et pour ce à quoi elle croit. Nous sommes mobilisés et avons effectué des démarches à tous les niveaux, en particulier avec nos partenaires européens. Bien évidemment, nous appelons le Pakistan à appliquer le Pacte international sur les droits civils et politiques qu’il a ratifié. Mais, vous le savez, la France n’abandonne jamais les siens, ni ses valeurs au nom des droits universels.

Monsieur Mariani, vous avez raison, nous constatons des reculs dans certains pays. Ce que vous évoquez à propos de DAECH ou de tel ou tel groupe est malheureusement exact. En me rendant récemment au Niger, au Tchad et au Cameroun dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, j’ai été frappé de constater que cet extrémisme pénètre des pays qui en étaient jusqu’à présent indemnes. Les dirigeants de ces pays nous le disent eux-mêmes. Il s’agit là d’une question très difficile.

Monsieur Myard, il est vrai qu’une croissance démographique extrêmement forte annihile toute croissance économique. Selon les spécialistes, la solution passe d’abord par la scolarisation des jeunes filles. L’éducation des filles est effectivement un enjeu fondamental. La question est de savoir si nous pouvons aller plus loin. Ce qui est fait par d’autres grands pays est intéressant, et j’ai demandé au Quai d’Orsay de me proposer des orientations, car c’est une question sur laquelle je ne suis pas satisfait de nos pratiques. Mon souhait est que l’on renouvelle notre action en ce domaine, non pas avec je ne sais quel ordre moral, mais en faisant en sorte que l’aide au développement soit efficace. Car appliquer des méthodes qui ne favorisent pas le développement revient à verser de l’eau dans le sable.

Monsieur Denaja, le ministère rédige actuellement un document d’orientation stratégique sur les droits et la santé sexuelle et reproductive. Nous y mettons l’accent sur la lutte contre toutes les violences : violences de genre en milieu scolaire, mutilations génitales féminines, mariages forcés précoces. Ce document servira de feuille de route pour orienter notre politique de développement, notamment les actions de l'AFD. Dans des pays comme le Mali ou l’Égypte, nous pouvons financer des ONG qui luttent contre ce type de violences.

Madame Dagoma, vous avez tout à fait raison, la microfinance est efficace lorsqu’elle bénéficie aux femmes, car elles utilisent très bien cet argent et leurs taux de remboursement sont plus élevés que ceux des hommes. Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, l’AFD favorise l’accessibilité financière par le développement des institutions de microfinance. Les montants alloués sont passés de 5 millions d’euros en 2002 à plus de 80 millions aujourd’hui, ce qui permet à plusieurs centaines de millions de personnes d’accéder au crédit. Nous allons donc poursuivre dans cette voie.

J’en viens à la grande question des quotas. Pour la première loi que nous avons fait voter sur le sujet, j’avais réussi à vaincre la réticence du groupe majoritaire, socialiste et essentiellement masculin à l’époque, avec l’argument suivant : « Messieurs, votez cette disposition sur les quotas, cela vous protégera plus tard… » Certes, les quotas sont discutables sur le principe, et l’idéal serait qu’ils ne soient pas nécessaires. Mais le pragmatisme pousse à les introduire, faute de quoi les choses n’avancent pas. Ce n’est pas pour rien que nous avons voté des lois sur la représentation des femmes en politique et dans les conseils d’administration. Si l’on veut faire bouger la société, il faut en passer par là ! Ne pas le faire, c’est « avoir les mains pures, mais ne pas avoir de mains », si vous m’autorisez cette référence à la pensée de Hegel reformulée par Péguy.

Enfin, madame Dagoma, s’agissant du G7 – sans la Russie –, nous avons deux ambassadrices, une en Grande-Bretagne et une en Italie, soit un taux de féminisation de 30 %. Cela n’est pas suffisant, mais les choses avancent. Le ministère des affaires étrangères du XXIe siècle devra compter plus de femmes, ce qui nécessite des aménagements des modes de travail.

M. François Rochebloine. Il faut des binômes, comme pour les départementales !

M. le ministre. Les binômes sont une piste à laquelle je pense, mais je vous en parlerai le moment venu…

Mme Chantal Guittet. Monsieur le ministre, votre ministère appuie-t-il la candidature du Comité des Nations unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) pour le Prix Nobel de la paix 2015 ?

M. le ministre. Pour notre part, nous ne faisons pas de proposition. Certains de mes prédécesseurs intervenaient pour se proposer eux-mêmes…

M. Bernard Lesterlin. Monsieur le ministre, le Bénin a vu sa population doubler en vingt ans, passant de 5 millions à 10 millions, alors que ce pays ne fait pas partie de ceux où les extrémismes ont prospéré et que les OMD ont permis la scolarisation des jeunes filles béninoises. Cet exemple nous incite à l’humilité et à réfléchir à d’autres voies pour notre aide au développement aux pays qui connaissent une forte croissance démographique.

M. le ministre. Les projections de l’ONU pour les pays africains d’ici à la fin du XXIe siècle sont très inquiétantes, avec 950 millions d’habitants pour le Nigeria, et 200 millions pour le Niger, par exemple. Il n’y a pas une piste unique pour traiter cette question très compliquée, à laquelle je souhaite que nous réfléchissions collectivement.

M. Thierry Mariani. Les endroits où les binômes fonctionnent sont, hélas, les ambassades qui ne comportent plus que deux fonctionnaires d’État. Comptez-vous faire le bilan de la situation, monsieur le ministre ?

M. le ministre. J’ai indiqué aux organisations syndicales ma volonté de réaliser ce bilan. Les choses se passent plutôt bien, sans doute moins bien dans certains endroits. De toutes les façons, si nous devons être présents dans la plupart des pays, les moyens budgétaires alloués aux administrations ne seront pas illimités dans les années à venir, y compris pour le Quai d’Orsay. Notre réseau était fondé sur l’état du monde en 1960, il nous faut dorénavant opérer des transferts, d’Europe vers l’Asie notamment, et « rendre des postes », comme on dit.

Je n’aurai pas la cruauté de vous dire qu’il faut appliquer la méthode exposée dans tel ou tel journal pour diminuer le nombre d’emplois publics, sinon la question difficile que vous soulevez deviendrait insoluble. Je me garderai donc d’entrer dans ce débat politique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir présenté des pistes intéressantes.

L’égalité hommes-femmes n’avance que si tous les aspects sont traités simultanément. Il faut donc permettre aux femmes d’accéder à la planification, aux filles à l’éducation au-delà de l’école primaire – deux ans d’éducation de plus représentent un point supplémentaire de PIB –, et ainsi de suite. C’est pourquoi je disais en préambule que la deuxième phase des objectifs pour le développement durable devra appréhender le problème dans sa globalité, faute de quoi l’égalité n’avancera pas.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

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Membres présents

Présents. – Mme Catherine Coutelle, M. Sébastien Denaja, M. Jacques Moignard.

Assistaient également à la réunion. – M. Pouria Amirshahi, M. Jean-Paul Bacquet, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Marc Germain, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Bernard Lesterlin, M. Thierry Mariani, M. Jacques Myard, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Michel Vauzelle.