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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 17 novembre 2015

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition de Mmes Somalina Pa, rapporteure générale du Conseil national du numérique (CNNum), Camille Hartmann, rapporteure, et Sophie Pène, pilote du groupe de travail du CNNum sur l’éducation et le numérique, sur les femmes et le numérique

La séance est ouverte à 14 heures 20.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition, de Mmes Somalina Pa, rapporteure générale du Conseil national du numérique (CNNum), Camille Hartmann, rapporteure, et Sophie Pène, pilote du groupe de travail du CNNum sur l’éducation et le numérique, sur les femmes et le numérique.

Mme la présidente Catherine Coutelle, rapporteure d’information sur les femmes et le numérique. Dans le cadre de ses travaux sur le numérique, la Délégation aux droits des femmes poursuit ses auditions en recevant aujourd’hui des représentantes du Conseil national du numérique (CNNum).

En novembre 2013, le CNNum a sorti un rapport intitulé « Citoyens d’une société numérique – Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion ». Il a également constitué un groupe de travail sur l’éducation et le numérique et publié un rapport en octobre 2014 intitulé « Jules Ferry 3.0 – Bâtir une école créatrice et juste dans un monde numérique ».

Pouvez-vous nous présenter les conclusions de ces deux rapports ?

Quelles sont les préconisations principales du CNNum en matière d’éducation au numérique ? Que pensez-vous du plan numérique pour l’éducation lancé par le Président de la République en 2015 ? Comment attirer plus de jeunes filles vers l’économie du numérique ?

Enfin, pouvez-vous nous dévoiler les premières pistes du groupe de travail du CNNum sur l’impact sur l’emploi et les métiers des nouvelles technologies digitales ?

Mme Sophie Pène, pilote du groupe de travail du CNNum sur l’éducation et le numérique. Je commence par le premier rapport sur la politique d’inclusion.

L’inclusion des femmes par le numérique a été une des préoccupations du groupe de travail sur l’inclusion numérique. Pour autant, cette question n’a pas fait l’objet d’un chapitre dans notre rapport car les personnes que nous avons auditionnées ne l’ont jamais présenté comme un problème spécifique. Nous avons donc adopté dans ce rapport une approche globale des personnes éloignées du numérique, comme les dénomment les associations comme Simplon.co, au sein desquelles on retrouve les femmes, les personnes handicapées, les seniors et les migrants.

Nous avions une commande sur la « fracture numérique », mais avons décidé de présenter une approche positive de l’inclusion grâce au numérique et par le numérique. À titre d’exemple, les formations de l’association Simplon.co, « fabrique d’artisans du numérique » qui traite ensemble la formation et la création d’entreprise, attire un grand nombre de femmes, y compris très diplômées. Je pense à une jeune femme indienne, titulaire d’une thèse en statistiques médicales, qui a développé un projet de garde partagé, avant de trouver un travail dans un laboratoire pharmaceutique grâce au réseau dont elle a bénéficié grâce à Simplon.co.

Ainsi, la dynamique d’inclusion s’opère grâce à des entreprises sociales qui organisent un mentorat, des événements, permettant aux femmes qui n’ont pas de réseau social de faire des rencontres, puis d’accéder à l’emploi, voire à des financements – je pense à une « simplonienne » qui a gagné un prix dans une compétition de projets féminins, grâce à un projet permettant aux personnes handicapées de présenter leur histoire de vie. Dans cette logique d’inclusion, la formation au code est envisagée, non comme une simple formation aux techniques informatiques, mais comme le minimum qui va permettre à ces femmes d’exprimer leur talent, leur créativité et leur capacité d’entreprenariat.

Sur les emplois des jeunes sans diplôme et désavantagés, les success-stories qui nous ont été relatées ne concernaient que les jeunes garçons. En effet, la maintenance informatique, la gestion documentaire et l’assistance à l’utilisateur sont des domaines dans lesquels les formations courtes qui existent attirent majoritairement de jeunes hommes et leur permettent de s’insérer rapidement. Nous en concluons que le rapprochement des femmes du numérique nécessite des formations spécifiques pour les aider à franchir le pas, à ne pas se sentir « handicapées » par rapport à la technique. En effet, en raison de l’image de l’informatique dans notre société – l’informatique est un monde d’hommes, les emplois dans ce secteur sont de très haut niveau et nécessitent un cursus scientifique –, les femmes ne s’orientent toujours pas spontanément vers les métiers informatiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il n’est pas faux de dire que l’informatique est un monde d’hommes.

Mme Sophie Pène. Il faut trouver les moyens d’inverser cette tendance, car elle est dommageable pour notre économie et notre société.

Nous avons également noté que les actions d’inclusion sont concurrentes les unes par rapport aux autres. Pour les travailleurs sociaux, le numérique n’est pas un élément d’insertion, contrairement à l’éducation créative par le cinéma, la photo ou le sport, qu’ils jugent plus socialisante. Leur vision est que l’informatique forme des autistes, des personnes présentant une addiction aux jeux – beaucoup de préjugés sont à l’œuvre sur les jeux vidéo. Par conséquent, les adolescents asociaux ou en décrochage scolaire sont plutôt dirigés vers le sport ou le cinéma, et non vers des formations informatiques pour lesquelles ils ont pourtant une appétence. Les personnels du travail social considèrent même que les formations au numérique leur prennent de l’argent ! Dans ce contexte fortement clivant, les femmes ont peu de chances d’être orientées vers des formations informatiques. Les agents de Pôle Emploi ont eux-mêmes un préjugé sur les emplois de haut niveau en informatique, en estimant qu’ils ne sont pas faits pour les femmes. Nous pensons donc important que soit mené un travail d’inventaire de tous les métiers de l’informatique à tous les niveaux de qualification.

À l’échelle internationale, grâce aux actions de l’UNESCO notamment, des formations minimalistes sont organisées par des opérateurs afin de permettre à des femmes de travailler à distance. En Inde, par exemple, la formation minimale au code a permis de créer de nombreux emplois dans la hotline, la sous-traitance, la maintenance et le développement pour des femmes travaillant chez elles.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Aucune des personnes auditionnées n’a abordé le numérique sous l’angle des femmes ?

Mme Sophie Pène. Aucune de la centaine des personnes auditionnées ne l’a fait.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela est fort dommage car nous manquons cruellement de statistiques et de données sexuées.

Les États-Unis ont estimé à 800 000 le nombre d’emplois qui vont disparaître dans le secteur de la médiation. En France, ces métiers sont majoritairement occupés par des femmes, d’où l’urgence d’agir pour les aider à investir les métiers du numérique !

Mme Sophie Pène. Selon les chiffres de l’UNESCO, les femmes représentent 60 % du travail dans le monde et 2 % du capital.

Je termine en disant que nous avions pensé être saisis sur la question des femmes, mais le travail réalisé à l’époque avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, n’a pas abouti en ce sens.

J’en viens à notre rapport sur l’éducation.

Auparavant, la logique des plans numériques ne convenait pas, car ils portaient essentiellement sur le matériel et, surtout, ils reposaient sur l’utilisation du numérique dans les classes au service de la pédagogie – et non sur l’enseignement du numérique aux élèves pour leur avenir. Aujourd’hui encore, les formations proposées aux professeurs sont dénommées « introduction du numérique dans la pédagogie » : elles ne visent pas à former des générations plus créatives, capables de comprendre un algorithme et de bâtir un programme.

La nouveauté du grand plan numérique annoncé au printemps dernier réside à la fois dans l’initiative donnée aux équipes de professeurs et dans la création de contenu. Pour la première fois, un plan envisage la capacité du numérique à répondre aux désirs des enfants. Face au décrochage, à l’échec scolaire, aux inégalités, toutes les pistes doivent être explorées, et le numérique en fait partie. Ainsi, le numérique est considéré, non plus comme un dossier technique, mais comme un levier au service de la démocratie scolaire.

Dans le cadre de notre rapport « Jules Ferry 3.0 », la question des femmes a par contre été abordée par un grand nombre de personnes auditionnées, en particulier celles militant pour une éducation précoce à l’informatique. Les intervenants, représentants de start-up, d’associations ou du monde de la recherche, nous ont expliqué que les petites filles initiées au code n’envisagent pas le numérique de façon genrée jusqu’à leurs douze ans, mais que passé cet âge, elles considèrent que le numérique n’est pas pour elles, mais pour les garçons. D’où l’insistance de tous ces acteurs sur la nécessité de bâtir des actions précoces de formation destinées aux enfants entre six et douze ans et sur l’importance des fabLabs et des Coding goûters. Ainsi, enseigner l’informatique autrement peut passer par le travail en coopération, l’apprentissage par le « faire », l’expérimentation par l’erreur, la compréhension de l’outil et le regard critique sur la machine.

M. Gilles Dowek, qui organise des formations ciblées pour les filles, nous a expliqué que ces dernières sont deux fois plus nombreuses en seconde qu’en première et deux fois plus nombreuses en première qu’en terminale à suivre ces formations. Par conséquent, il est plus facile d'intéresser les filles à l’informatique en classe de troisième plutôt qu’en terminale.

La majorité des informaticiens en France sont passés par un cursus mathématique, une classe préparatoire et une école d’ingénieur. Dans ce contexte, on a peu de chance de voir des filles s’orienter vers l’informatique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pourquoi les filles décrochent-elles des formations informatiques au lycée ?

Mme Sophie Pène. Une explication apportée est le style d’enseignement dispensé. Les cultures d’atelier, l’apprentissage avec les pairs, fonctionnent très bien, alors que les cours d’informatique n'intéressent personne, et encore moins les filles. Tout le monde a convenu que les façons d’enseigner l’informatique étaient atroces et qu’il fallait privilégier les méthodes ludiques, joyeuses, expérimentales actuellement destinées aux enfants. Les méthodes destinées aux enfants doivent profiter aux prépas. M. Serge Abitboul, chercheur de l’INRIA et professeur à l’ENS, nous a dit que ses cours étaient très ennuyeux et qu’il envisageait de s’y prendre autrement après avoir visité Simplon et l’École 42.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Est-on obligé de passer par une classe préparatoire pour travailler dans l’informatique ?

Mme Sophie Pène. Oui, car les demandes actuelles concernent des ingénieurs. La voie universitaire est très intéressante, avec des formations MIAGE notamment, mais les licences et masters en informatique portent sur de petits volumes. La « voie royale » est le passage par Centrale ou l’ENST. Toutes les écoles d’ingénieurs se sont spécialisées en informatique ou en statistiques, où s’orientent peu de filles.

Jusqu’au début des années 2000, les IUT regroupaient 30 % de filles dans les filières informatiques, puis leur nombre a brusquement décru par la suite. Dans les années soixante-dix quatre-vingt, les femmes travaillant dans l’informatique étaient aussi nombreuses que les hommes, puis elles ont été de moins en moins nombreuses par la suite, sans que personne n’apporte une explication à ce phénomène.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans les années soixante-dix, les hommes travaillaient dans le hardware et les femmes dans le software. Aujourd’hui, alors que la micro-informatique s’est démocratisée, les femmes se sont retirées des emplois informatiques. La question est de savoir pourquoi.

Mme Sophie Pène. Quatre voies existent pour les faire revenir.

La première est une formation à l’informatique qui comporterait des approches artistiques et créatives. D’où notre proposition d’un baccalauréat « humanités numériques », s’adressant essentiellement aux littéraires, avec des enseignements sur le design, la robotique, les objectés connectés, ce qui permettrait d’attirer davantage de filles.

La seconde est de mettre à profit la culture hacker, où se retrouvent beaucoup de filles. Un grand nombre de filles bricolent, fabriquent, font du design, aiment les cursus alternatifs. Dans les fabLabs, la société est un peu plus mixte que dans les licences informatiques.

La troisième voie est celle du jeu, en dépit de la représentation de la femme dans les jeux vidéo. Il faut savoir que les filles sont des joueuses, aiment les jeux – vous vous souvenez de la polémique très violente à la suite de la dénonciation du sexisme chez les geeks par la gameuse Mar_Lard. Dans les clubs de conception de serious games, les filles sont autant intéressées que les garçons.

La quatrième voie est de se doter de formateurs spécifiques pour approcher les filles. Un grand nombre d’expérimentations existent aux États-Unis, comme celles de l’association « Girls who code », qui s’appuie sur un réseau de femmes ingénieures et entrepreneuses et dont s’inspire Simplon.co pour favoriser l’empowerment féminin par la culture du code. Des dispositifs existent en France, comme la Grande École du Numérique ou encore le programme d’investissement d’avenir dédié à la culture de l’innovation et de l’entreprenariat, qui intègrent des approches ciblées sur les filles. Je pense au projet de la Ligue de l’enseignement, aux Déclics du numérique, au projet de l’INRIA, à Bibliothèque sans frontières, aux Magic makers, etc.

Dans ce contexte, la réponse du ministère de l’Éducation nationale, dont la vision de l’informatique est restée bloquée sur l’éducation aux médias, ne nous a pas totalement satisfaites. Le dogme du ministère est en effet l’éducation aux médias, vision portée par le réseau Canopé et le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) et selon laquelle Internet reste essentiellement un texte, tandis que le jugement a surtout une fonction d’objectivation de l’information, ainsi que de filtre critique sur une information par essence hétérogène et dangereuse. Cette vision éducative, relativement défensive, a certes un intérêt, mais ce n’est pas l’éducation aux médias qui peut saisir en profondeur les phénomènes d’embrigadement. Par contre, nous avons regretté que la formation technique soit considérée comme désuète et portée par le fameux lobby informatique. L’Éducation nationale ne voudrait pas être perçue comme pourvoyeuse de développeurs, sa vision étant plus large.

Mme Edith Gueugneau. Je me réjouis que la Délégation aux droits des femmes s’empare de ce sujet, car le regard sur les femmes dans l’informatique doit changer.

Il faut combattre le préjugé selon lequel les femmes sont éloignées du secteur du numérique. Dès le XIXe siècle, elles ont contribué au développement de l’informatique – je pense à l’illustre mathématicienne Ada Lovelace, considérée comme l’auteure du premier programme informatique au monde.

En outre, il faut combattre la misogynie et le sexisme, car les femmes sont régulièrement victimes d’injures, de chantage, de menace de viol, voire de mort, sur Internet, notamment sur les plateformes de jeux.

Le numérique est un secteur en voie de féminisation et l’emploi reste une priorité pour nos concitoyens. Comment favoriser l’accès des femmes aux métiers du numérique, notamment en termes de formation aux nouveaux outils ?

Sur les filières d’ingénieur dépendant des écoles des Mines, le Gouvernement a décidé de mettre en place une action de sensibilisation et de partenariat en lien avec les lycées, afin d’inciter les jeunes filles à se diriger vers ces formations, aujourd’hui à forte dominante masculine. Sera-t-il possible d’obtenir un premier retour sur cette initiative ?

Mme la présidente Catherine Coutelle, rapporteure. Je vous invite à nous répondre par écrit sur cette question, mesdames, ainsi que sur les autres sujets que nous n’avons pas eu le temps d’aborder, comme le télétravail et le sexisme dans le numérique.

La séance est levée à 14 heures 55.

——fpfp——

Membres présents

Présentes. - Mme Catherine Coutelle, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Edith Gueugneau