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Délégation aux Outre-mer

Mardi 25 septembre 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Échanges de vues sur les travaux à venir

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver après l’interruption d’été.

J’ai souhaité que la Délégation se saisisse du texte, actuellement déposé au Sénat, relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer. J’ai saisi le Président de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale en ce sens, M. François Brottes. Celui-ci a apporté une réponse favorable à la saisine.

Je demande donc à la Délégation de bien vouloir me faire l’honneur de me désigner comme rapporteur.

M. Jean-Claude Fruteau, Président de la Délégation aux outre-mer, est désigné rapporteur à l’unanimité

Je vous remercie vivement pour cette marque de confiance.

D’ores et déjà, je suis en mesure de donner à la Délégation les informations suivantes sur le texte :

- Les articles 1 et 2 visent le commerce de gros. Il est prévu que le Gouvernement pourra légiférer par décret, après avis de l’Autorité de la concurrence, pour règlementer les secteurs et tenter de ramener de bonnes pratiques concurrentielles. Les clauses exclusives d’importation seront interdites dans les contrats, sauf à ce qu’elles apportent des avantages objectifs certains en termes d’approvisionnement.

- L’article 3 permet aux collectivités territoriales d’outre-mer de saisir l’Autorité de la concurrence de toute pratique anticoncurrentielle constatée dans leurs territoires respectifs.

- L’article 4 vise la grande distribution. Il diminue les seuils de concentration en outre-mer, pour que l’Autorité de la concurrence puisse surveiller toutes les opérations de concentration des entreprises visant à permettre de dégager un chiffres d’affaires de 5 M€ et plus. L’Autorité de la concurrence pourra ainsi contrôler toutes les opérations aboutissant à créer des surfaces de vente supérieures à 600 m² (600 m² donnent un chiffre d’affaires de 5 M€, sur la base d’un chiffre d’affaires réaliste de 8 000 à 9 000 € le m²).

- L’article 5 confie à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle en matière de grande distribution.

- L’article 6 s’efforce d’obtenir une diminution du coût de l’itinérance téléphonique en imposant que le coût de l’itinérance outre-mer soit aligné sur les plafonds prévus par la réglementation européenne.

- L’article 7 habilite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires par ordonnances pour l’application de ces différents dispositifs à Wallis-et-Futuna.

- L’article 8 permet aux collectivités territoriales d’outre-mer de ne plus engager de financement minimal pour les projets cofinancés avec l’Etat pour lesquels elles disposent de la maîtrise d’ouvrage (jusqu’alors, le taux minimal de cofinancement était de 20%).

- L’article 9 autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour poursuivre la départementalisation à Mayotte.

- L’article 10 prévoit l’homologation des peines privatives de liberté prévues dans la réglementation locale de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.

- L’article 11 invite le Parlement à ratifier un certain nombre d’ordonnances d’extension et de transposition du droit national à Mayotte et aux COM.

- l’article 12, enfin, dispose que les contrats contenant des clauses exclusives d’importation disposent de quatre mois, à compter de l’adoption de la présente loi, pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation.

Ce texte, comme tous les textes, est bien sûr susceptible de comporter des améliorations et, au regard du dispositif que je viens de vous présenter, il sera naturellement possible de déposer des amendements. Nous sommes là pour avoir un échange de vues sur cette question. Ensuite, au cours de la seconde partie de notre réunion, nous examinerons également notre futur programme de travail.

Nous avons la chance de compter parmi nous les deux rapporteurs désignés pour assurer le suivi du texte en commission, Mme Ericka Bareigts pour la commission des Affaires économiques et M. Bernard Lesterlin pour la commission des Lois. Je leur donne la parole immédiatement.

Mme Ericka Bareigts. Je voudrais souligner l’importance et l’urgence de ce projet de loi.

Depuis maintenant plusieurs années, une souffrance s’est exprimée, parfois de manière violente, dans tous les départements et les territoires d’outre-mer autour de la problématique de la « vie chère ». En effet, la cherté de la vie que l’on constate dans nos pays érode les revenus disponibles des ménages et ralentit considérablement les économies locales. Le résultat en est que la production est limitée et que tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge. Nos revenus sont inférieurs de 38 % au revenu médian national. Le PIB des territoires ultramarins est deux fois inférieur à celui de la nation. D’autre part, 52 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté.

Le calendrier d’adoption du projet de loi est très serré, mais les pays d’outre-mer attendent vraiment une initiative des pouvoirs publics, je dirais même en termes de survie. Car les minima sociaux, compte tenu de l’inflation, ne sont plus que des ressources érodées, permettant à peine de subsister. Je rappellerai que les prix de la santé, par exemple, ont augmenté de 20% en quelques années.

Face à cette situation, la démarche adoptée par le projet de loi est innovante. Jusqu’à présent, les pouvoirs publics prenaient des mesures au coup par coup, en fonction des territoires. Maintenant, avec le dispositif du projet de loi, on s’attaque aux racines du mal. On intervient directement en amont dans la chaîne de formation des prix.

La démarche est aussi ambitieuse : on pense modifier durablement et favorablement le système économique et social des départements et des collectivités d’outre-mer. Bien sûr, pour cela, il faudra du temps. Mais un mécanisme aura été initié, portant sur tous les périmètres de la vie chère.

M. Bernard Lesterlin. Avec ce projet de loi, nous nous trouvons en effet dans le cadre d’un calendrier contraint, contraint aussi bien par les délais imposés par le Gouvernement pour l’adoption du texte que par nos propres obligations. En même temps, il est vrai qu’il y a une forte urgence, cette urgence étant liée aux crises qui sont déjà intervenues outre-mer à cause de la vie chère.

La commission des Lois, saisie pour avis, est concernée par les articles 1 à 5 du projet et aussi par les articles plus particulièrement juridiques portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer, notamment l’article 8 sur le financement des investissements des collectivités territoriales, l’article 10 sur l’homologation des lois de pays ou des délibérations locales concernant les peines privatives de liberté, et l’article 11 qui vise la ratification des ordonnances pour la poursuite de la départementalisation à Mayotte.

Au titre de la commission des Lois, je procéderai à des auditions le 1er et le 2 octobre. Le texte sera ensuite examiné par la commission des Lois le 3 octobre, qui se prononcera sur les amendements dont elle aura été saisie. À cette occasion, je pourrai être le relais de tous les membres de la Délégation pour tout ce qui aura trait aux articles du projet entrant dans le champ de la saisine de la commission.

Avec Mme Bareigts, nous serons très attentifs au contenu du texte adopté par le Sénat qui va, bien évidemment, modifier le projet de loi initial.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Je vais donner maintenant la parole aux membres de la Délégation pour qu’ils puissent faire part de leurs observations sur le texte.

M. David Vergé. Je voudrais attirer l’attention de la Délégation sur la situation de l’électricité dans les îles de Wallis-et-Futuna. Ces deux îles ne perçoivent pas les transferts du fonds national de péréquation institué en 1946 pour un certain nombre de collectivités tant métropolitaines qu’ultramarines. D’autre part, compte tenu de leur situation géographique, ces îles n’ont actuellement d’autres possibilités, pour produire de l’électricité, que de recourir au pétrole. Par suite, le coût de l’électricité à Wallis-et-Futuna est quatre fois plus élevé que dans toutes les autres collectivités territoriales. La conséquence en est que le nombre de foyers équipés d’un compteur électrique est à peine de 5 000 pour une population qui avoisine les 14 000 habitants. Les autres foyers n’ont pas l’électricité, ni même bien souvent l’eau courante. En effet, 85 % des habitants de Wallis-et-Futuna ne disposent pas de revenus fixes. Très fréquemment, la population survit donc en pratiquant le troc. Ces phénomènes sont dramatiques et il est indispensable d’assurer un minimum de dignité de vie aux ressortissants de ces îles. Telle est la raison pour laquelle, dans le cadre du projet de loi, je propose qu’un amendement soit déposé incitant le Gouvernement à agir sans tarder, par exemple par la voie d’une ordonnance, pour améliorer l’approvisionnement et le prix de l’électricité à Wallis.

Mme Florence Delaunay. Je m’interroge sur trois points concernant le projet de loi : les dispositions du premier chapitre ne s’appliquent-elles qu’à l’outre-mer ? La baisse du seuil des concentrations n’est-elle pas de nature à empêcher de nouveaux commerces de s’installer outre-mer ? L’injonction structurelle n’est-elle pas un peu dangereuse ?

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Je vous confirme que le texte ne s’applique qu’à l’outre-mer. La baisse du seuil des concentrations vise surtout les très grandes surfaces ; elle ne devrait pas avoir d’effets négatifs sur le commerce de détail quand ce dernier conserve des surfaces de vente de moins de 600 m². De même, l’injonction structurelle concerne les situations fortement dégradées du point de vue de la concurrence. Certes, ses conditions d’application pourraient être davantage précisées, mais elle ne peut pas porter préjudice au commerce de petite et de moyenne importance.

M. Serge Janquin. Je suis un élu métropolitain, mais je suis très sensible à la détresse exprimée par les départements et les collectivités d’outre-mer. Je suis tout à fait favorable aux dispositions de ce texte visant à agir sur le mécanisme de formation des prix et, après le vote du texte, je pense qu’il faudra surveiller avec attention les décrets d’application afin de s’assurer que le caractère « opérationnel » de la loi est bien conservé. Sur les dispositions de l’article 8, j’ai cependant une réserve. On sait bien qu’en matière d’investissements s’applique le vieil adage « qui paie commande ». Si les collectivités territoriales d’outre-mer ne participent plus du tout financièrement à la mise en place des projets qui les concernent, il est à craindre qu’à terme on n’assiste à une certaine dépossession de ces dernières au profit de l’État. Je serais donc plutôt favorable à ce que les collectivités conservent une participation obligatoire de 10%, sauf pour certaines charges spécifiquement définies : l’éducation, la formation, l’aménagement économique…

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Il y a là matière à un vrai débat et il s’agit, d’ailleurs, d’un débat nécessaire. Vous avez raison, M. Janquin, il faut impérativement éviter que les collectivités territoriales d’outre-mer ne soient dépossédées de la maîtrise de leurs projets. Mais, en même temps, il faut bien voir que nous sommes actuellement confrontés à une situation où la majeure partie d’entre elles ne dégage aucune marge d’autofinancement. Par suite, les projets marquent le pas et les collectivités ne reçoivent ni les financements de l’État, ni ceux de l’Union européenne.

M. Serge Letchimy. Je suis également tout à fait favorable à ce texte proposé par le Gouvernement. J’estime qu’il constitue un signe vraiment encourageant et qu’il manifeste le souci des pouvoirs publics d’aller de l’avant, dans l’intérêt de l’outre-mer.

Depuis 2009, on s’est aperçu qu’on vivait une situation de rupture dans le domaine de la concurrence. Les oligopoles et les monopoles se sont considérablement renforcés. Les économies ultramarines sont devenues des économies d’importation, presque des économies de comptoirs. Par ailleurs, le financement des économies des pays ultramarins est devenu tellement faible qu’on peut tout aussi bien dire qu’il est en panne.

Il fallait avoir une démarche volontariste pour sortir de cette impasse, ce qui justifie pleinement le projet de loi. Il ne faut pas dire que ce texte institue une police économique : il s’agit d’un projet de loi visant à la régulation des différents secteurs de la distribution, à sortir du protectionnisme et à relancer l’économie en maîtrisant les coûts. De même, il ne faut pas dire qu’il s’agit, par ce projet, de stigmatiser les grandes surfaces. La lutte contre les monopoles ne s’identifie pas au simple contrôle des enseignes.

Le texte, néanmoins, n’est qu’un premier pas. D’abord, l’importation massive est un schéma de consommation. Le poids des comportements est très important et, si l’on n’y prend pas garde, les habitudes anciennes peuvent faire disparaître toute la rigueur du projet de loi. D’autre part, le texte ne peut pas aller seul et, tout de suite, il lui faut des mesures d’accompagnement. Il faut décentraliser les approvisionnements. Il faut favoriser le développement local. Il faut aussi inciter les pouvoirs publics à proposer très vite au Parlement un projet de loi spécifique sur l’agriculture outre-mer.

Si l’on entre plus dans le détail du projet de loi, il apparaît que l’article 1er sur la réglementation du commerce de gros est très intéressant. Il faudrait qu’il contribue, notamment, à la maitrise du prix de l’essence, ce qui est loin d’être facile.

L’article 5 sur l’injonction structurelle dans le commerce de détail est aussi excellent. Il introduira de la rigueur dans l’organisation des marchés. Il faudrait juste bien vérifier qu’il n’y a pas de problème constitutionnel et qu’il ne porte pas atteinte de manière trop rigoureuse à la liberté du commerce et de l’industrie.

L’article 6 sur l’itinérance téléphonique me paraît également pertinent. L’itinérance est un vrai problème pour les budgets des ménages d’outre-mer.

Enfin, l’article 8 qui supprime les 20 % de cofinancement minimal pour les collectivités territoriales d’outre-mer est, lui aussi, très positif : il met fin à une grande difficulté, celle du manque d’autofinancement des collectivités. Jusqu’à présent, il a bien fallu reconnaître que la République manquait d’idées pour l’outre-mer. Introduire un financement à 100 % de l’État est une mesure de justice et aussi une mesure de relance. Elle contribuera à la relance des projets et de l’économie ultramarine.

M. Jean-Jacques Vlody. L’outre-mer constitue un ensemble de situations particulières. Le défi consiste à trouver un cadre commun où chacun puisse se retrouver. D’autre part, indépendamment de la question des statuts et de l’adaptation des règles de droit aux spécificités locales, de nombreux problèmes se font jour actuellement pour les territoires d’outre-mer, problèmes qui sont difficiles à résoudre pour huit situations différentes : le financement des collectivités, le prix de l’électricité, celui des carburants, la formation des prix, la question de l’agriculture… La Délégation aux outre-mer peut aider à définir des solutions. Mais comment va-t-on travailler ?

M. le Président Jean-Claude Fruteau. S’agissant de la méthodologie, je vous indique que la Délégation ne se substituera pas à une commission. Pour le reste, le travail de la Délégation sera un peu ce que l’on en fera. Il s’identifiera certainement à un rôle de lobbying. Nous saisirons le ministre de tout ce qui nous paraîtra important. En ce qui concerne la question de l’agriculture, je place d’ores et déjà ce sujet au nombre des thèmes de travail qui seront retenus par la Délégation.

M. Philippe Gomes. Dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, je voudrais faire du lobbying au nom de l’ensemble de mes collègues du Pacifique !

Nous venons de participer à la discussion de deux projets de loi : celui sur les emplois d’avenir et celui sur le logement social. Malheureusement, dans les deux cas, soit les COM ne sont pas concernés (le logement social), soit c’est le Pacifique qui est oublié (les emplois d’avenir). Nous voudrions bien voir s’inverser cette tendance, afin que, désormais, chaque projet de loi comporte des volets prenant en compte l’outre-mer, y compris le plus lointain.

En revanche, il convient de saluer la mesure qui a créé, au sein du cabinet de chaque ministère, un référent outre-mer. C’est une excellente initiative, même si sa mise en œuvre est actuellement « en rodage ».

Pour en revenir maintenant au projet de loi sur la « vie chère », le texte n’est pas applicable à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, sauf la disposition de l’article 10 sur les peines privatives de liberté. Les élus du Pacifique déposeront certainement un amendement technique sur cet article.

D’autre part, nous voudrions que les frais bancaires fassent l’objet d’un plafonnement. Les frais bancaires, en effet, sont en moyenne deux ou trois fois plus élevés outre-mer par rapport à leur niveau en métropole. Nous voudrions, par exemple, que les tarifs des douze opérations les plus classiques liées à un compte bancaire et définies dans le code monétaire et financier soient plafonnés, sur la base des tarifs bancaires pratiqués en métropole.

Enfin, nous souhaiterions déposer aussi un amendement qui prévoit que, pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, un opérateur possédant plus de 50 % de parts de marché a l’obligation de céder tout ou partie de ses surfaces de vente ou de ses actifs, afin d’éviter qu’il ne se retrouve en situation de position dominante.

M. Ibrahim Aboubacar. Je voudrais insister sur le fait qu’en dépit des difficultés éventuelles que pourrait poser l’application du projet de loi, quand ce dernier sera adopté, ou même la constitutionnalité de certaines mesures, ce texte est indispensable pour répondre à un certain nombre de problèmes, très sensibles, qui se posent dans les départements et les collectivités d’outre-mer, et tout particulièrement à Mayotte. Je rappellerai que, dans ce nouveau département, le prix de la bouteille de gaz, par exemple, jusqu’à la semaine dernière, s’élevait à 35 €. C’est une décision spécifique du Préfet qui vient de ramener ce prix à 26 €. Il s’agit là d’une situation très difficile à supporter pour tous les habitants du territoire et, si l’on ne veut pas voir le retour de la violence à Mayotte - nous sortons de 45 jours de grève – il convient d’apporter des solutions concrètes. De ce point de vue, le texte du Gouvernement apporte de la visibilité. On voit que les pouvoirs publics ne veulent pas rester seulement en position de spectateurs, comme c’était souvent le cas avant le changement de majorité au Parlement, mais qu’ils veulent se doter d’instruments pour agir.

Pour revenir à l’article 8 du projet de loi et à la suppression de l’obligation de cofinancement des investissements par les collectivités territoriales d’outre-mer, je pense qu’il s’agit d’une bonne mesure. À Mayotte, par exemple, le contrat de projet entre collectivités est devenu caduque, par suite du manque de financement local. Le plan de relance, qui était associé à la contractualisation, n’a pas pu entrer non plus en vigueur à cause de différents problèmes de nature juridique. Le projet de loi pourrait contribuer à débloquer les choses en ce domaine : en attendant le redressement espéré des collectivités territoriales d’outre-mer d’ici deux ans, l’article 8 permet de ne pas faire l’impasse sur les crédits nationaux, et même européens.

Enfin, l’article 9 du projet de loi, qui prévoit notamment l’extension par ordonnances à Mayotte, avec les aménagements nécessaires, des normes européennes en matière d’entrée et de séjour des étrangers devra donner lieu à une discussion précise.

Mme Ericka Bareigts. Pour répondre à M. Vlody, il me semble que le projet de loi est suffisamment simple, large et englobant pour avoir des implications dans chaque territoire. En plus, la loi s’appliquera à l’ensemble des filières. Elle peut même s’appliquer aux loyers : en effet, là comme ailleurs, on constate un surcoût de 20 % par rapport à la métropole.

Par ailleurs, ce projet de loi débute un processus et, en cela, il est capital : c’est le début de l’attention portée à l’outre-mer. Après ce texte, il y aura des mesures sur l’agriculture, qui est un secteur important outre-mer, et, je l’espère, sur la transition énergétique, qui est également un problème sensible pour les territoires ultramarins. C’est ainsi que la loi ouvre les marchés, mais qu’elle ouvre aussi une démarche qui va toucher de multiples secteurs.

M. Jean-Paul Tuaiva. Je souhaite confirmer, en tant qu’élu de la Polynésie française, les propos tenus par mes collègues de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna. On a un peu l’impression qu’il y a deux outre-mer, et que le Pacifique a vraiment du mal à s’intégrer aux dispositifs prévus par les lois de la République. Par exemple, pour les emplois d’avenir, et aussi pour le recrutement de nouveaux postes d’enseignants, il est difficile de comprendre pourquoi les mesures prévues au niveau national ne s’appliquent pas à la Polynésie française. Nous allons d’ailleurs rencontrer le ministre de l’Économie et des Finances, M. Michel Sapin, pour évoquer avec lui ces deux questions.

S’agissant de la régulation économique, il s’agit d’une compétence attribuée, du fait du statut, aux délibérations locales et aux lois de pays ; cependant, dans notre démarche de mise en conformité, nous aurions certainement besoin d’une assistance technique pour accompagner la mise en place, localement, de tout ou partie des mesures.

Enfin, nous nous félicitons de la constitution de la Délégation. Nous souhaitons nous appuyer sur elle pour que, chaque fois qu’un sujet sera évoqué, elle en soit systématiquement saisie s’il y a des conséquences pour les collectivités que nous représentons.

M. Daniel Gibbes. Je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui vient d’être dit et je félicite le Gouvernement d’avoir pris la décision de déposer ce projet de loi, même si la démarche, en vue de l’adopter, paraît un peu précipitée.

Pour la mise en œuvre des mesures de cette loi, après sa promulgation, je crains que ne surgissent des difficultés liées à l’autonomie des statuts des différentes collectivités d’outre-mer. Les collectivités d’outre-mer se trouvent, en effet, souvent placées face à une dichotomie : d’un côté, elles ont des dispositions statutaires et elles doivent passer par leur propre réglementation pour appliquer les textes nationaux. De la sorte, des blocages locaux peuvent parfois apparaître, dus à des questions juridiques ou à la spécificité des territoires. D’un autre côté, la solidarité nationale ne s’exerce que si les textes nationaux sont appliqués. Les problèmes statutaires peuvent ainsi s’avérer très délicats.

J’insiste sur l’importance des situations locales. Par exemple, si l’on applique le présent projet de loi à Saint-Martin, cela veut dire que tous les entrepreneurs vont partir s’installer dans la partie hollandaise de cette île. On ne gagnera rien à l’application du texte et la cherté de la vie ne fera que perdurer.

Je me félicite de la création de la Délégation aux outre-mer qui pourra constituer, à l’avenir, un observatoire utile pour toutes les questions concernant les territoires ultramarins.

Immédiatement, je vois trois problèmes qui sont vraiment très prégnants outre-mer et dont la Délégation pourrait se saisir : la question de la continuité numérique, celle du renchérissement du coût des billets d’avion et celle des charges des entreprises. Sur ce dernier point, il faut observer qu’à Saint-Martin, par exemple, le salaire le plus bas, attribué dans la partie hollandaise de l’île, s’élève à 500 dollars mensuels. Les entreprises, du côté français, ne peuvent pas rivaliser.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Il est vrai qu’avec la mise en place de la Délégation aux outre-mer, nous souhaitons attirer l’attention des pouvoirs publics sur les spécificités des problèmes qui se posent dans les pays ultramarins. Il existe d’ailleurs – ne nous y trompons pas – des problèmes qui sont très difficiles à résoudre et il serait vain de prétendre avoir réponse à tout. Cette Délégation constituera le lieu où nous pourrons apprendre à connaître nos différentes réalités et à échanger aussi avec les élus de l’hexagone. Nos observations devront remonter, à mesure, au Gouvernement. Pour ma part, je m’y emploierai.

M. Bernard Lesterlin. Je m’attacherai aussi, au moins dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, à faire en sorte que nous nous comprenions tous.

L’objectif clairement affiché du texte, c’est de s’attaquer, enfin, aux causes structurelles de l’inflation outre-mer. Les phénomènes de structure sont en effet essentiels dans les économies ultramarines et c’est en les modifiant que l’on pourra aller de l’avant. C’est ainsi que notre collègue, M. Vergé, s’agissant de l’approvisionnement et du coût de l’électricité à Wallis-et-Futuna, en appelle à l’intervention du fonds national de péréquation créé par la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. Il est vrai que dans les îles de Wallis-et-Futuna, l’électricité est très chère et qu’il faudrait mettre fin à cette situation. En même temps, nous retrouvons là des problèmes objectifs : faut-il continuer à produire de l’électricité à Wallis comme on le fait aujourd’hui, c'est-à-dire exclusivement à base de pétrole ? Ne vaudrait-il pas mieux chercher à développer des énergies renouvelables telles que l’énergie solaire ou la méthanisation ? La question est posée.

Le problème de la téléphonie mobile est aussi une difficulté structurelle très réelle. M. Gibbes fait part de son inquiétude de voir partir les investisseurs de Saint-Martin et je le comprends. Mais à Wallis-et-Futuna, la situation est pire : il n’y a pas d’opérateur de téléphonie mobile et, par conséquent, les entreprises ne viennent pas. Il y a une disposition dans le projet de loi pour faire baisser les coûts des communications téléphoniques et j’estime que c’est une excellente chose que le projet puisse s’attaquer à ce problème de fond. Il est vrai, M. Gibbes, que les réponses du projet de loi ne constituent qu’un premier pas face à l’importance des problèmes à régler outre-mer, mais ce premier pas, il fallait le faire.

Enfin, je vous confirme, M. Gomes, que les cinq premiers articles du projet de loi ne concernent pas votre territoire, la Nouvelle-Calédonie, car celui-ci est compétent localement pour prendre toutes les décisions qui s’imposent en matière économique.

M. Philippe Gosselin. Les particularismes ne me posent pas problèmes et le lieu d’échange que va constituer la Délégation pour discuter de toutes ces situations me paraît plutôt bien approprié. Il faut, en effet, s’appuyer sur la Délégation pour que le réflexe de l’outre-mer soit bien pris en compte et que l’on n’oublie pas les pays ultramarins dans le cadre de discussions qui peuvent être plus générales. Il est vrai qu’avec le texte sur la « vie chère », on a un peu confondu vitesse et précipitation. Aussi, après l’examen de ce texte, il me paraîtrait utile que la Délégation puisse se livrer à des études, à la fois sereines et circonscrites dans le temps, et qu’elle puisse par là même contribuer à anticiper les problèmes. D’ailleurs, les problèmes des collectivités d’outre-mer, certes spécifiques, ne sont pas si éloignés, parfois, de ceux de certaines collectivités dans l’hexagone, je pense par exemple aux zones de montagne. Et je suis sûr que les solutions dégagées pour les unes pourraient servir aussi pour les autres, par exemple en ce qui concerne la continuité numérique.

M. Serge Letchimy. Je partage le point de vue qui a été exprimé tout à l’heure concernant la dichotomie qui existe outre-mer entre les questions institutionnelles et statutaires, d’une part, et la question de la solidarité nationale d’autre part. D’un côté, il faut être très attaché à l’autonomie des collectivités territoriales et au règlement local des problèmes, et je rappelle que je suis moi-même un élu autonomiste. De l’autre, l’accompagnement au développement est indispensable. Mais souvent celui-ci est lié à la mise en conformité des règles locales avec les normes nationales, ce qui n’est pas toujours possible. Nous serons toujours au cœur de cette dualité, de cette dialectique entre égalité des droits et droit à la différence.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Il est vrai que le cœur et la raison ne vont pas toujours de pair en politique. Cette question des rapports, souvent problématiques, entre la notion de différence dans les départements et les territoires d’outre-mer et celle de solidarité, notamment au niveau de la métropole, question soulignée aussi bien par M. Gibbes que par M. Letchimy, pourrait être un sujet de réflexion pour la Délégation. M. Letchimy, seriez-vous d’accord pour animer un groupe de travail autour de la thématique : « droit à la différence et égalité des droits » ?

M. Serge Letchimy. Tout à fait.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Cette suggestion est donc retenue. J’en viens maintenant, tout naturellement, à vous parler de notre futur programme de travail.

Je vous indique que vous recevrez demain, par voie électronique, la convocation pour notre réunion de mardi prochain 2 octobre.

Le rapport sur le projet de loi vous aura été adressé peu avant, par le même moyen, le jeudi 27 septembre, dans la journée. Il n’intégrera peut-être pas encore tous les apports du Sénat, surtout si ce dernier achève son examen du texte le vendredi 28 septembre dans la nuit. Le rapport qui vous sera adressé, le jeudi 27, sera donc corrigé, d’ici son examen le mardi 2 octobre, dans le cadre de la réunion de la Délégation, pour tenir compte des derniers ajustements apportés par le Sénat.

Les amendements éventuels devront être déposés lundi prochain, afin qu’ils puissent être examinés par la commission saisie au fond, c’est-à-dire la commission des Affaires économiques.

En ce qui concerne les thèmes de travail qui pourraient retenir notre attention dans les mois qui viennent, j’ai songé aux cinq sujets suivants :

Tout d’abord, je voudrais faire un point sur la défiscalisation outre-mer et sur tous les arguments qui pourraient militer pour son maintien. Selon les informations dont je dispose, le Gouvernement ne semble pas vouloir remettre en cause le maintien de la déduction fiscale plafonnée à 18 000 euros pour les investissements outre-mer, dans le cadre de la prochaine loi de finances initiale. Toutefois, je redoute que des amendements ne soient déposés pour y mettre fin et il faudrait que les membres de la Délégation disposent de toutes les informations utiles pour pouvoir s’y opposer au cours des discussions en séance publique. Cette déduction fiscale constitue en effet l’un des rares modes de financement des économies locales à l’heure actuelle.

D’autre part, je pense que la Délégation pourrait s’intéresser à une question soulevée à la fois par Mme Girardin et par M. Lebreton et qui est celle de la refonte ou de l’adaptation de certains dispositifs concernant la fonction publique outre-mer, notamment ceux permettant aux fonctionnaires ultramarins de se rendre dans l’hexagone, s’ils le souhaitent.

M. Bussereau a également manifesté son intérêt pour un travail sur les transports, aussi bien ceux qui desservent les territoires ultramarins que ceux qui permettent de se déplacer à l’intérieur des départements et des collectivités d’outre-mer.

Enfin, la Délégation pourrait travailler sur l’octroi de mer et, également, sur l’organisation commune du marché du sucre.

Mme Catherine Beaubatie. Il existe un problème migratoire très réel à Mayotte. Il en va de même en Guyane. Je pense que le problème des migrations doit être abordé par la Délégation.

M. Ibrahim Aboubacar. La question du logement outre-mer doit également être abordée et pas seulement sous l’angle de son financement. D’autre part, il faut aussi étudier la problématique du développement endogène, c'est-à-dire la question des échanges économiques entre grandes régions géographiques ou encore celle de l’insertion régionale des collectivités territoriales d’outre-mer.

M. Gilbert Le Bris. J’aimerais que l’on s’intéresse à la « maritimité » des départements et des collectivités d’outre-mer. Compte tenu de la très grande étendue des rivages côtiers dans notre pays, étendue liée aux territoires ultramarins qui font de la France la deuxième puissance mondiale en termes de façade maritime et de zone économique exclusive, il y a là de nombreuses possibilités de développement pour l’outre-mer et l’occasion de faire valoir des atouts forts. Cela permettrait aux collectivités d’outre-mer, comme on le dit dans le vocabulaire sportif, de jouer un jeu offensif, plutôt que défensif.

M. Philippe Gomes. Je partage beaucoup d’analyses qui viennent d’être exprimées. On a un peu l’impression que la République est actuellement en panne de projet pour ses territoires d’outre-mer. Il faut que l’espace non partisan que constitue la Délégation fasse la promotion de l’outre-mer, notamment à l’égard des décideurs politiques.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Il convient sans doute de nuancer ce dernier propos. Je rappelle que le Président de la République, M. François Hollande, a souscrit, au cours de sa campagne, trente engagements pour l’outre-mer. Le projet de loi, dont nous venons de débattre, s’inscrit dans le cadre des engagements 5, 6 et 7. Il est vrai qu’autrefois, on pouvait avoir le sentiment que rien n’était fait pour l’outre-mer ; mais aujourd’hui, les choses sont en train de changer, de nouveaux projets se dessinent.

Mme Florence Delaunay. La Délégation pourrait s’intéresser, dans le cadre de son programme de travail, à l’accès de la jeunesse ultramarine, tant à l’enseignement scolaire qu’à l’enseignement supérieur. On pourrait tirer un bilan et développer des propositions visant à faciliter l’insertion de ces jeunes en métropole, quand ils doivent s’y rendre pour suivre des enseignements, dans les premiers cycles universitaires par exemple. On pourrait favoriser les tutorats, les jumelages familiaux, la contractualisation entre collectivités, et beaucoup d’autres solutions innovantes.

M. Serge Letchimy. La question de la coopération inter-régions ou du « grand voisinage » est une question très importante. Le ministère des Affaires étrangères vient de réaliser, en ce domaine, des progrès significatifs, en obtenant de la communauté internationale que les pays ultramarins puissent siéger, es qualités, dans certains organismes internationaux, par exemple des organismes en lien avec l’Amérique latine. Cette initiative leur permettra d’accéder à d’intéressants lieux de débats, notamment pour tout ce qui touche à la production intégrée.

S’agissant des migrations, il est vrai que c’est une question forte dans le monde ultramarin : par exemple, il y a plus de 200 000 martiniquais qui résident en métropole. Il faut introduire de la continuité territoriale, en favorisant la contractualisation avec les régions et les départements.

Il ne faut pas non plus sous-estimer la question de la fracture numérique. Pour simplifier, je dirais qu’il est indispensable que l’outre-mer soit parfaitement connectée, afin qu’elle puisse s’embarquer dans les meilleures conditions sur la voie du développement économique.

Enfin, en toutes choses, je pense qu’il faut avoir une approche pragmatique et se livrer à des expérimentations sur le terrain.

M. Bernard Lesterlin. On pourrait élargir le thème qui a été proposé sur la jeunesse outre-mer. La jeunesse est très importante démographiquement et elle connaît des problèmes d’intégration, aussi bien localement qu’en métropole. On pourrait donc étudier aussi l’emploi et la formation professionnelle. À cet égard, il est vrai, comme on l’a rappelé, que le dispositif tout nouveau concernant les emplois d’avenir n’a pas encore fait l’objet de toutes les déclinaisons nécessaires pour son extension outre-mer. Mais il est vrai aussi qu’il faut un peu de temps en ce domaine. Il faut tenir compte de chaque spécificité, des mesures qui existent déjà localement, car il ne faut pas, comme l’on dit, qu’un dispositif tue l’autre.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie donc de me faire part, dans les jours qui viennent, de vos souhaits concernant votre participation ou votre contribution à une réflexion sur tel ou tel des sujets qui viennent d’être évoqués. Si deux ou trois parlementaires sont intéressés par un même sujet, il serait possible de créer des groupes de travail. Nous ferons le point au cours d’une prochaine réunion de la Délégation.

M. Ibrahim Aboubacar. Je suis volontaire pour participer à un groupe de travail sur la mer.

Mme Ericka Bareigts. Je suis d’accord pour participer, avec M. Letchimy, au groupe de travail sur « le droit à la différence et l’égalité des droits ».

La séance est levée à 19 heures.