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Délégation aux Outre-mer

Mardi 20 novembre 2012

Séance de 17 heures 00

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Nomination de rapporteurs 

– Audition de M. Marc Del Grande, sous-directeur, chef du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM) et de M. Hervé Jonathan, sous-directeur, chef du service de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État à la DEGEOM

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous informer d’un changement dans la composition de la Délégation aux outre-mer : M. Paul Salen, député de la Loire, remplace Mme Marie-Louise Fort, députée de l’Yonne. Ce changement a été publié au Journal officiel le 10 octobre 2012.

Nous débutons aujourd’hui nos auditions sur l’important sujet de l’octroi de mer. Ces auditions, qui se poursuivront jusqu’au milieu du mois de janvier, devraient nous permettre de réaliser un rapport qui sera probablement présenté à la Délégation à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février.

La Délégation désigne comme rapporteurs M. Jean-Jacques Vlody et M. Mathieu Hanotin.

Puis la Délégation en vient à l’audition de M. Marc Del Grande, sous-directeur à la Délégation générale à l’outre-mer, chef du service des politiques publiques, et de M. Hervé Jonathan, sous-directeur à la DEGEOM, chef du service de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur Del Grande, vous nous décrirez le régime fiscal de l’octroi de mer et vous évoquerez la procédure et le calendrier de son éventuelle reconduction, notamment dans le contexte européen, ainsi que les éventuelles modifications pouvant être apportées à cette taxe. M. Jonathan, vous nous parlerez, pour votre part, de l’évaluation de l’impôt.

Pourrez-vous, tous deux, nous rappeler le calendrier prévu pour la réforme de cette imposition ? Nous savons en effet que les institutions européennes s’opposent à ce que le même produit relève de deux régimes d’imposition différents, selon qu’il est importé ou produit localement, et qu’en conséquence l’Union européenne a demandé à la France de reconsidérer cette taxe pour le début de l’année 2014.

Quels seront les principes de la nouvelle imposition, et quelles en seront les conséquences ? Comment sera notamment compensée la perte de recettes correspondante pour les collectivités locales bénéficiaires ?

M. Marc Del Grande, sous-directeur, chef du service des politiques publiques à la Délégation générale à l’outre-mer (DEGEOM). Notre exposé comptera trois parties. Dans une première partie, je vous présenterai un bref historique du régime de l’octroi de mer et je vous décrirai le dispositif actuel. M. Jonathan fera ensuite un point sur l’évaluation du dispositif. Enfin, je détaillerai dans une troisième partie le calendrier de nos négociations avec l’Union européenne.

L’octroi de mer constitue l’une des plus anciennes taxes du système fiscal français. Dès 1670, il est fait référence à une taxe dénommée « droit des poids » frappant les produits importés en outre-mer. Cette taxe disparaît en 1789, au lendemain de la Révolution française, puis est réintroduite outre-mer par l’ordonnance du 1er mars 1819 : ce nouvel « octroi aux portes de mer » constitue à compter de cette date une recette ordinaire alimentant les budgets des communes de Martinique. Son application est étendue en 1825 à la Guadeloupe, en 1850 à La Réunion et en 1878 à la Guyane.

Le sénatus-consulte du 4 juillet 1866 rend officiel cet impôt de consommation sur les produits arrivant de la mer en le qualifiant pour la première fois d’« octroi de mer ». Ce texte, qui accordait l’indépendance commerciale aux Antilles et à la Réunion sous forme d’autonomie douanière, conférait également aux conseils généraux de chacun de ces territoires le pouvoir de voter les tarifs d’octroi de mer sur les produits de toutes provenances, ainsi que les tarifs de douane sur les produits étrangers importés dans ces territoires.

L’Acte unique européen de 1986 a rendu nécessaire une réforme de cette imposition, prohibée dans le contexte d’un marché unique européen. La seule solution était donc de transformer cette charge pécuniaire en une imposition intérieure licite, soumise aux dispositions de l’article 90 du Traité CE – devenu l’article 110 et suivants du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE. Cette réforme, opérationnelle à compter de 1993, impliquait en théorie l’extension de l’octroi de mer aux productions locales. Cependant, pour tenir compte de la fragilité du tissu économique des territoires ultramarins, l’Union européenne a accepté le principe d’une période transitoire de dix ans durant laquelle des exonérations d’octroi de mer seraient autorisées au bénéfice des productions locales qui en auraient besoin.

Nous arrivons à la décision du 10 février 2004 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer, décision essentielle puisque c’est elle qu’il s’agit de renouveler en 2014. A cette date, le Conseil de l’Union européenne a décidé de maintenir un régime d’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014, en prévoyant notamment des exonérations ou des réductions de taxe en faveur des productions locales. Cette disposition a pour objet de protéger certaines productions locales de la concurrence des produits importés.

En outre, cette décision renouvelle le régime de l’octroi de mer par la création de listes de produits, désignées par les lettres A, B, C, adaptées à chaque région, chacune correspondant à un différentiel de taux maximum pouvant être fixé entre la production locale et l’importation d’un produit similaire.

Le principe de ces listes répond à un double objectif : il permet d’éviter aux conseils régionaux d’avoir à transmettre leurs délibérations à la Commission européenne à chaque fois qu’une exonération est décidée ; il donne à la Commission européenne une meilleure lisibilité du système d’aide aux entreprises locales.

Ce différentiel fait l’objet d’une décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 relative aux possibilités d’exonération ou de réduction de la taxe. Ce régime dit d’aide d’État doit être notifié à chaque période de contractualisation. C’est l’exercice à laquelle la DEGEOM devra se livrer dans le courant de l’année 2013.

La modification assez radicale du dispositif a conduit les autorités françaises à redéfinir le cadre juridique national et à prévoir de nouvelles modalités d’organisation pour sa mise en œuvre effective dans les départements d’outre-mer – quatre à l’époque, cinq à partir du 1er janvier 2014.

La décision du Conseil a été transposée en droit français par la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer et son décret d’application du 30 décembre 2004. Elle préserve l’essentiel du système issu de la loi de 1992 s’agissant de l’exercice de la compétence fiscale des conseils régionaux relative à la fixation des taux de l’octroi de mer. Cette loi est entrée en vigueur le 1er août 2004.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous devrons retourner devant la Commission avant le 1er juillet 2014 pour renouveler le dispositif de l’octroi de mer. Nous vous présenterons tout à l’heure le « rétro-planning » que nous avons élaboré avec la Direction générale des douanes et droits indirects.

L’octroi de mer est une source de financement importante pour les collectivités en même temps qu’un puissant instrument de soutien à l’économie. C’est une taxe sur les importations de biens dans les quatre départements d’outre-mer dont l’objectif est double. Premièrement, elle vise à assurer le financement des collectivités territoriales : de 2008 à 2011, la taxe a rapporté en moyenne 976 millions d’euros par an. Deuxièmement, elle sert à stimuler le développement économique grâce à la possibilité d’exonérer totalement ou partiellement les productions locales, ce qui leur permet de supporter la concurrence des produits importés similaires.

Par ailleurs, l’octroi de mer est composite, puisqu’il se compose en réalité de deux taxes : l’octroi de mer en tant que tel, issu de la décision de 2004, dont le produit est affecté aux communes, ainsi qu’au département dans le cas de la Guyane ; et l’octroi de mer régional, l’OMR, ancien droit additionnel à l’octroi de mer, dont les recettes sont affectées aux conseils régionaux.

La fixation des taux d’octroi de mer relève de la compétence des conseils régionaux, qui peuvent octroyer dans certaines conditions des exonérations totales ou partielles. Les conseils régionaux sont en effet autorisés à pratiquer des différences de taxation en faveur de productions locales sensibles, définies par référence à la nomenclature douanière et reprises aux listes A, B et C annexées à la décision. Ces écarts de taxation entre les importations et les productions locales ne peuvent pas excéder 10 % pour les produits de la liste A, 20 % pour les produits de la liste B ou 30 % pour les produits de la liste C. Les produits qui ne figurent pas dans l’annexe ne peuvent faire l’objet d’aucune différence de taxation.

Les livraisons de biens réalisées par des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel de production est inférieur à 550 000 euros sont exonérées d’octroi de mer et d’octroi de mer régional.

L’octroi de mer régional porte sur la même assiette que l’octroi de mer et ne peut excéder 2,5 %, dans la limite du différentiel autorisé lorsqu’il existe. Son produit est affecté aux budgets des régions.

Vous me permettrez d’illustrer d’un exemple la complémentarité de ces deux taxes. Si le conseil régional décide de taxer au taux de 7 % un produit local de la liste A, il ne pourra pas taxer à un taux de plus de 17 % le même produit importé. Le taux de 7 % pourrait se répartir en 5 % au titre de l’octroi de mer et 2 % au titre de l’OMR ; pour le taux de 17 %, la répartition pourrait être de 15 % au titre de l’octroi de mer et 2 % au titre de l’OMR.

Le Conseil avait assorti sa décision de 2004 de l’obligation pour la France de lui présenter un rapport d’étape en 2008. Ce rapport a fait l’objet, en 2010, de deux reproches essentiels de la part de la Commission. Celle-ci a en effet jugé que les informations fournies par la France n’étaient pas assez complètes pour lui permettre d’apprécier l’impact de la taxation différenciée sur la croissance et sur l’emploi dans chaque secteur considéré. Ensuite, le fait que les produits locaux bénéficiant d’une taxation différenciée occupent la quasi-totalité, voire la totalité du marché et que la part des produits importés soit dès lors très faible, voire nulle, a conduit la Commission à s’interroger sur l’opportunité de maintenir une taxation différenciée.

C’est donc sur ces deux points que la DEGEOM, issue des réformes de 2008, a décidé de lancer l’évaluation dont Hervé Jonathan va vous parler.

M. Hervé Jonathan, sous-directeur, chef du service de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État à la DEGEOM. En effet, le différentiel de taxation peut être considéré par le droit communautaire comme une dérogation aux règles du marché intérieur, devant à ce titre être justifiée comme une compensation à des handicaps structurels liés à l’insularité, l’étroitesse des marchés ou l’éloignement. Le ministère des outre-mer a donc lancé une évaluation du différentiel de taxation afin de mesurer la proportionnalité entre l’avantage théorique procuré par celui-ci et les handicaps structurels des territoires ultramarins.

À la suite d’un appel d’offres, nous avons retenu comme prestataire le cabinet Louis Lengrand, qui présentait l’avantage de disposer d'une bonne connaissance à la fois des milieux communautaires et des problématiques ultramarines pour avoir déjà travaillé sur l’octroi de mer. Nous avons agi dans le cadre d’un partenariat élargi, puisque nous avons constitué un comité de pilotage associant les conseils régionaux, les organisations socioprofessionnelles et les services de l’État concernés, notamment l’INSEE et la Direction générale des douanes.

Le prestataire a procédé à des analyses macroéconomiques et économétriques, ainsi qu’à des visites de terrain qui lui ont permis de rencontrer un certain nombre d’acteurs au sein des conseils régionaux, des services de l’État et des organisations socioprofessionnelles.

La méthodologie retenue par le prestataire a conjugué une analyse macroéconomique à partir des grands agrégats, des analyses sectorielles par filières économiques et des analyses microéconomiques par produits.

Ces travaux se sont heurtés à des limites statistiques tenant à l’indisponibilité des sources, concernant notamment les entreprises dont le chiffre d’affaire est inférieur à 550 000 euros, qui constituent l’essentiel du tissu économique des outre-mer et qui ne sont pas soumises à l’obligation de déclarer leur production. En outre, l’analyse par territoire ultramarin, par filière ou par produit n’ayant souvent pour objet qu’une ou deux entreprises, nos investigations se heurtaient rapidement au secret statistique.

Ces réserves étant faites, les principales conclusions de l’étude du cabinet Lengrand, qui ont été approuvées par le comité de pilotage, sont les suivantes : le différentiel d’octroi de mer constitue un appui déterminant à la productivité des entreprises ultramarines ; il existe un partage équilibré de la valeur ajoutée entre les profits, les salaires et l’investissement, ce qui exclut toute situation de rente liée au différentiel de taxation ; enfin, le différentiel de taxation ne surcompense pas les handicaps.

En outre, le prestataire a proposé plusieurs pistes d’évolution. Pour parvenir à ses conclusions, il a notamment analysé l’impact du différentiel sur le plan macroéconomique. Les résultats auxquels il est arrivé l’ont amené à considérer que l’octroi de mer est une ressource fiscale peu dynamique, cette taxation étant assise surtout sur la production industrielle alors que le PIB des territoires ultramarins dépend plutôt des activités de service. En dépit d’une augmentation très significative du PIB observée de 2005 à 2011 – entre 2,3% et 5,2 % selon les territoires –, le produit de l’octroi de mer a varié entre moins 0,8 % et 3,3% du PIB au cours de la même période. La pression fiscale liée à l’octroi de mer a ainsi connu une diminution évaluée entre 0,1 % et 0,5 % selon les territoires, ce qui montre l’impact limité de l’octroi de mer sur le niveau des prix.

L’évaluation permet aussi de constater que la majeure partie des importations des territoires ultramarins concernent des produits ne relevant pas des listes A, B ou C, et donc ne bénéficiant pas d’une taxation différentielle. La majorité des recettes issues de l’octroi de mer provient donc de produits qui ne bénéficient pas d’un différentiel de taxation.

Cette évaluation visait surtout à établir si le différentiel de taxation pouvait constituer une distorsion de concurrence au regard des règles communautaires. Le prestataire a constaté que, entre 2005 et 2011, les parts de marché des productions locales bénéficiant d’un différentiel diminuaient aux Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, et augmentaient à La Réunion et en Guyane. Hormis le cas particulier de la Guyane, les parts de marché des productions locales bénéficiant d’un différentiel de taxation représentaient autour de 20 %. En fait, ces productions locales sont confrontées à une très forte concurrence. On a même pu constater que les importations des produits bénéficiant d’un différentiel augmentaient plus vite sur la période prise en compte que l’ensemble des importations du territoire ultramarin considéré.

Sur un plan plus microéconomique, l’impact par filière a également été évalué. On a ainsi constaté que l’octroi de mer constituait une part déterminante de la productivité, puisque le différentiel de taxation représentait entre 42 % et 52 % de la valeur ajoutée des entreprises. Il a également été établi que l’accroissement de la valeur ajoutée des entreprises bénéficiant d’un différentiel de taxation sur la période 2005-2011 était dû à l’octroi de mer à hauteur de 50 à 66 %. Le différentiel d’octroi de mer constitue donc un appui déterminant à la productivité des entreprises considérées.

En outre, une analyse comparée de rentabilité a montré que le surplus de valeur ajoutée dégagée par les entreprises bénéficiant du différentiel d’octroi de mer se répartissait de manière équitable entre les profits, les salaires et les investissements. Il n’y avait donc pas constitution d’une rente.

Par ailleurs, le prestataire a constaté une faible productivité des facteurs de production dans les entreprises ultramarines, qu’il s’agisse du travail ou du capital. Il note un suréquipement des entreprises, qui s’explique par l’étroitesse et l’éloignement des marchés ultramarins.

Enfin, l’analyse par produits a permis au prestataire de constater que le prix de revient unitaire des produits locaux bénéficiant du différentiel était toujours supérieur à celui des produits importés et que le différentiel de taxation constituait une part minoritaire des coûts fixes des entreprises pour les produits considérés. Il n’y avait donc pas là non plus de distorsion de concurrence.

Sur la base de ces constats, le prestataire a proposé au comité de pilotage des scenarii d’évolution.

Le premier de ces scénarii, la suppression du différentiel, a été écarté compte tenu des conclusions de l’évaluation.

Le deuxième consiste en une amélioration progressive du dispositif existant. Il s’agirait d’abord de supprimer les listes A, B et C afin de donner à la réglementation suffisamment de souplesse pour s’adapter à l’évolution de l’offre des entreprises, ce qui favoriserait l’innovation. Il s’agirait aussi de mieux prendre en compte les petites entreprises, en soumettant à l’obligation de déclaration celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 100 000 et 550 000 euros, et en maintenant l’exonération de toute déclaration pour celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 100 000 euros. Cela permettrait une meilleure connaissance statistique de l’impact de l’octroi de mer.

Enfin, le prestataire a formulé des propositions de simplification des mécanismes de déduction, voire d’exonération de taxation. Il a notamment souligné qu’une exonération des investissements publics, à tout le moins de ceux en faveur de la recherche-développement et de l’innovation, aurait l’avantage de favoriser le développement économique des outre-mer.

Il a par ailleurs posé la question d’un élargissement de l’assiette de l’octroi de mer aux activités de service, dans la perspective d’améliorer le dynamisme de cet impôt.

Il a également formulé des préconisations en matière de transparence et de traçabilité.

Je n’évoquerai pas la transformation de l’octroi de mer en TVA régionale, ce scénario d’évolution n’ayant pas été vraiment expertisé.

Sur la base de ces conclusions, le comité de pilotage et le ministre ont demandé au prestataire d’approfondir certaines pistes, notamment en mesurant l’impact de ces dernières à la fois sur les charges des entreprises – je pense notamment à l’impact d’un abaissement du seuil d’exonération de 550 000 à 300 000 euros –, sur les recettes fiscales et sur les prix.

Le prestataire doit nous faire parvenir ses conclusions avant la fin de l’année. Elles pourront ainsi enrichir l’évaluation à laquelle nous avons procédé.

M. Marc Del Grande. C’est sur la base de cette évaluation que la France, par l’intermédiaire du ministère des Outre-mer, et par l’intermédiaire aussi du ministère de l’Économie et des finances, notamment la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), bataillera pour obtenir de la Commission le renouvellement de l’octroi de mer. Sachant que l’étude du cabinet Lengrand est la meilleure expertise dont nous disposions de l’impact de l’octroi de mer sur les outre-mer, il est fondamental, au moment où nos partenaires du groupe ACP et du Cariforum s’interrogent fortement sur la légitimité de cette taxation, que cette évaluation ne fasse apparaître aucune distorsion de concurrence entre les productions locales et les productions importées.

D’autre part, parallèlement à l’exploration de certains scénarii évoqués, à l’instant même, par Hervé Jonathan, le calendrier de la réforme est en cours de préparation. Les services de la DEGEOM et ceux de la DGDDI se sont déjà mis d’accord pour prévoir un retro-planning en commun. La solution de la transformation de l’octroi de mer en TVA ou en un autre impôt a d’ores et déjà été écartée : nous engagerons la bataille de Bruxelles sur la base d’un octroi de mer révisé, ou tout du moins amélioré d’un point de vue bruxellois.

Sachant qu’il faudra transcrire la décision du Conseil en droit français d’ici au 1er juillet 2014, nous devons obtenir, dans le courant du mois de décembre, un accord interministériel sur la stratégie et le niveau d’amodiation de l’octroi de mer actuel. L’ampleur de ces modifications dépendra des conclusions de l’approfondissement de l’évaluation en cours de finalisation. Il reste que ces modifications seront sans doute relatives aux conditions d’assujettissement des opérateurs – M. le ministre se pose la question de l’abaissement du seuil de 550 000 euros, l’idée étant de consolider les finances des collectivités locales –, ainsi qu’aux mécanismes d’exonération. Il serait également envisagé de notifier les listes A, B, C en tant qu’aides d’État, ce qui serait beaucoup plus simple que d’obtenir qu’elles soient à nouveau annexées à la décision du Conseil. L’amodiation la plus ambitieuse, mais la plus difficile à mettre en œuvre, viserait à élargir l’assiette de la taxe à certaines prestations de service.

L’objectif serait donc d’obtenir cet accord interministériel avant la fin de l’année, sous l’égide du Secrétariat général des affaires européennes. Cela permettrait au ministre des Outre-mer de prendre contact avec M. Semeta, Commissaire européen chargé de la fiscalité et des douanes, en janvier 2013. Dans la foulée de cette visite, les autorités françaises pourraient alors adresser officiellement à la Commission une demande circonstanciée de prorogation du régime d’octroi de mer et boucler rapidement les négociations avec les services de la Commission, afin d’obtenir une proposition de décision vers la fin du premier semestre 2013, avant les congés d’été. Le Parlement européen pourrait, dans ces conditions, être consulté au début de l’automne – nous visons le mois de septembre – afin que le Conseil puisse adopter, par un vote à la majorité qualifiée, une décision relative au renouvellement de l’octroi de mer.

Nous comptons lancer, parallèlement, une procédure de notification d’aides d’État, mais il faut pour cela attendre que soient définies les lignes directrices des aides à finalité régionale pour la période 2014-2020, ce qui risque de ne pas être fait avant mars 2013. Il nous restera un semestre pour transposer la décision en droit français, ce qui suppose le vote d’une loi et la publication de ses décrets. Sachez qu’en 2004, la décision du Conseil avait été obtenue en février.

Ce calendrier peut paraître serré, mais il est conforme à la volonté exprimée à plusieurs reprises par M. Lurel d’agir sans précipitation, afin de s’assurer de l’accord de l’ensemble des acteurs, notamment des élus – au premier rang desquels les présidents de conseils régionaux – pour définir le dispositif sur la base duquel nous allons batailler à Bruxelles.

M. le président Jean-Claude Fruteau. A vous écouter, j’ai le sentiment que cela ne se présente pas trop mal pour nous.

M. Marc Del Grande. Le « stress » collectif étant un gage de réussite en ces matières, il convient de ne pas rompre les rangs. Ce dont nous sommes certains, c’est qu’il n’y a jamais eu de meilleure défense de l’octroi de mer que l’évaluation menée par le cabinet Lengrand. Certes, l’Espagne n’a jamais eu de problème pour faire accepter par Bruxelles l’AIEM, qui est l’équivalent de l’octroi de mer pour les Canaries, mais ce dispositif s’applique dans un seul territoire. Évaluer l’impact de l’octroi de mer suppose, en revanche, d’expertiser quatre, voire cinq dispositifs distincts, dans des environnements régionaux très différents. Le travail accompli par le cabinet Lengrand nous semble tout à fait à même de recueillir l’adhésion de la Commission.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette étude permet, d’ores et déjà, de tordre le cou au préjugé trop répandu selon lequel la suppression de l’octroi de mer permettrait d’abaisser le coût de la vie en outre-mer. Elle confirme, en revanche, notre conviction que ce dispositif soutient véritablement la production locale. Enfin, point essentiel aux yeux de l’Europe, elle démontre que le différentiel de taxation n’entraîne pas de distorsion de concurrence.

M. Ibrahim Aboubacar. La loi relative au département de Mayotte prévoit l’extinction de l’actuel dispositif fiscal et douanier au 31 décembre 2013, ainsi que l’institution d’un octroi de mer à compter du 1er janvier 2014, cette seconde disposition ayant été introduite à l’initiative du Parlement. Pourtant, à l’heure où je vous parle, les parlementaires de Mayotte n’ont pas de précisions sur cette réforme fiscale et douanière qui doit être mise en place d’ici quatorze mois. Pouvez-vous nous décrire plus précisément l’état de vos discussions avec l’Europe sur l’octroi de mer dans le département de Mayotte ? L’actuel régime douanier rapporte à Mayotte environ 120 millions d’euros par an, soit un montant comparable au produit de l’octroi de mer pour un département comme la Guyane.

M. Patrick Lebreton. Sachant que l’octroi de mer représente 24 % des ressources de la commune de 37 000 habitants dont je suis le maire, vous comprendrez notre inquiétude quand nous entendons dans l’hexagone nombre de personnes envisager sa disparition sans même imaginer les difficultés que cela générerait pour nous. Nous sommes particulièrement inquiets devant la possibilité, évoquée à maintes reprises, de lui substituer une TVA. Pouvez-vous confirmer que cette hypothèse a bien été écartée ?

M. Mathieu Hanotin. Quand sera rendu le rapport Lengrand ?

M. Hervé Jonathan. Un premier rapport est déjà à votre disposition. Les approfondissements que j’ai évoqués seront en principe disponibles à la fin de l’année.

M. Mathieu Hanotin. Pouvez-vous préciser le champ des exonérations des investissements publics dont vous avez évoqué la possibilité ?

M. Hervé Jonathan. Nous n’avons pas encore approfondi cette piste. L’idée serait d’exonérer l’importation de certains produits indispensables à la recherche-développement. La recherche publique serait certainement concernée.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Si je vous ai bien compris, le ministre des Outre-mer et celui des Finances se battront pour la prorogation de l’octroi de mer, même avec des simplifications. C’est là l’essentiel, et j’espère qu’ils réussiront, car c’est cette taxe qui permet en grande partie aux maires de payer le personnel communal.

M. Marc Del Grande. Selon le rapport Lengrand, l’octroi de mer rapporte en moyenne 1 milliard d’euros aux collectivités locales d’outre-mer, et entre 169 et 250 millions d’euros aux entreprises des quatre territoires. Ce sont là des montants importants, et qui nous motivent encore davantage pour obtenir le renouvellement de cette taxe.

Le 1er janvier 2014, deux évolutions institutionnelles s’appliqueront à Mayotte : le passage à la fiscalité de droit commun, induit par la départementalisation, et le passage au statut de région ultrapériphérique, RUP. Comme vous l’avez rappelé, la loi prévoit déjà que l’octroi de mer s’applique de plein droit à Mayotte, sans différentiel de taux. La DGDDI a donc engagé une réflexion sur la façon dont l’octroi de mer pourra se configurer à Mayotte. Sur ce point, la phase opérationnelle débutera au début de l’année 2013.

S’agissant du passage à la fiscalité de droit commun au 1er janvier 2014, un amendement au projet de loi de finances prévoira une habilitation à mettre en place les dispositifs prévus par la Direction générale des finances publiques.

Le ministre des Outre-mer a clairement écarté l’hypothèse de la transformation de l’octroi de mer en TVA. La difficulté d’étendre l’octroi de mer à des activités de service tient précisément au fait qu’il est délicat de justifier devant Bruxelles un différentiel de taux sur les services en se fondant sur l’article 349 du TFUE, qui permet de compenser des handicaps structurels. Cette difficulté prouve par construction que la TVA n’est pas une hypothèse prioritaire.

M. Bernard Lesterlin. Je ne comprends pas pourquoi il est si difficile de justifier une taxation différentielle sur les services.

M. Marc Del Grande. Il est plus compliqué de prouver que les handicaps structurels dont souffrent ces territoires rendent plus malaisée la création d’un centre d’appel, par exemple. Ce n’est pas impossible, mais c’est plus délicat.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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