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Délégation aux Outre-mer

Mardi 26 février 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de  M. Patrick Roméo, président de Shell France, accompagné de M. Olivier Gantois, directeur des affaires publiques, de Mme Domitille Fafin, responsable des relations institutionnelles de Shell France, et de M. Guillaume Labbez, directeur conseil du cabinet Boury, Tallon et associés

La séance est ouverte à 17 heures 05.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle, avant l’audition M. Patrick Roméo, la désignation de deux rapporteurs sur les questions posées par l’agriculture ultramarine.

Je vous rappelle qu’après avoir d’abord envisagé de déposer un projet de loi spécifique à l’outre-mer, le Gouvernement se propose de déposer, sans doute à la rentrée de septembre, un projet de loi de programmation comportant un volet sur l’outre-mer.

Le rapport d’information aura pour objet d’anticiper les questions susceptibles de se poser. Nos rapporteurs et les membres de la Délégation pourront ensuite déposer des amendements, dans le cadre de la discussion du projet, en prenant appui sur les recommandations qui auront été adoptées dans le cadre de ce rapport d’information.

Je ne veux pas déflorer les sujets, mais il me semble que cinq thèmes pourront être abordés dans le rapport – les structures agricoles et le foncier ; le renforcement des productions locales ; la filière « canne-sucre-rhum » et l’utilisation de la bagasse ; l’installation des jeunes agriculteurs ; le statut social de l’agriculteur, et notamment la situation des retraités agricoles en outre-mer – et se retrouver dans la loi de programmation agricole.

Je suis donc saisi de la candidature de deux parlementaires, membres de la Délégation : celle de Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, qui a manifesté depuis longtemps son intérêt pour les questions agricoles ; et celle de M. Hervé Gaymard, dont on connaît l’expérience et l’expertise en la matière.

Il n’y a pas d’opposition ? Ces deux parlementaires sont donc désignés comme rapporteurs.

Nous allons maintenant entendre M. Patrick Roméo, président de la société Shell France, sur le projet pétrolier en Guyane et sur les évolutions à venir du code minier, notamment en ce qui concerne l’outre-mer.

Je précise que cette audition a lieu à la demande de M. Roméo. Celui-ci a été, il y a quelques semaines déjà, entendu par la Délégation à l’outre-mer du Sénat.

M. Patrick Roméo. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré d’être parmi vous aujourd’hui pour vous parler du projet Guyane, qui est un des grands projets d’exploration et de production pétrolière dans notre pays.

La société Shell France, qui date de 1919, est une des plus anciennes sociétés pétrolières françaises, filiale du groupe Royal Dutch Shell, qui est lui-même le premier groupe européen, dont le siège est à La Haye. Nous sommes présents en France dans l’ensemble des activités dites de l’aval : commercialisation de produits pétroliers à travers un réseau de stations services et de stations en aéroport ; nous vendons des lubrifiants, des bitumes, du gaz liquéfié sous la marque Butagaz. Nous avons par ailleurs deux projets que nous classons dans l’amont : un projet de prospection en mer profonde au large de la Guyane et un projet de construction d’un terminal méthanier à Fos-sur-mer. Nous sommes enfin l’opérateur du permis « Guyane Maritime » que nous représentons ici aujourd’hui.

On s’étonne souvent que nous investissions beaucoup d’argent dans une prospection pétrolière. C’est parce qu’une des spécialités de Shell est, historiquement, de construire des scénarios énergétiques. Nous nous intéressons à 2050 – parce que 2030 est déjà écrit – et aux choix qui auront un impact sur la demande énergétique de 2050.

Nous pensons que, de toutes les façons et quels que soient les scénarios les plus audacieux en termes d’efficacité énergétique, la demande doublera quasiment d’ici à 2050, compte tenu de l’explosion démographique et de l’élévation du niveau de vie dans les pays émergents. Or, selon nos scénarios, la production aura du mal à suivre. Toutes les sources d’énergie, qu’elles soient ou non renouvelables, sont donc les bienvenues pour éviter une pénurie énergétique, dont nous savons qu’elle affecte toujours les plus pauvres. Enfin, nous devons tenir compte du réchauffement climatique et de la nécessité de limiter les émissions de CO2.

Nous sommes ainsi confrontés à une problématique à trois dimensions : une demande qui va doubler, une production qui a du mal à suivre, et des émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’il convient de limiter. Je précise que ce qui est le plus facile à produire, comme le charbon, génère le plus de GES. Les choix qui seront faits devront prendre en compte, de la meilleure façon possible, les trois dimensions du problème.

Même si la production d’énergies renouvelables, sous toutes ses formes, augmente très fortement, nous aurons encore besoin de pétrole et de gaz à l’horizon 2050, au niveau mondial. Et dans tous les scénarios que l’on a développés, le charbon est l’énergie qui croîtra le plus. Ce qui signifie que, chaque fois que l’on produit du pétrole, chaque fois que l’on produit du gaz, c’est du charbon dont on n’a pas besoin, et des émissions de GES que l’on évite. Ces émissions peuvent être réduites, selon les cas, d’un facteur 1,5 ou 2.

À partir du moment où le monde aura besoin de pétrole en 2050, autant qu’il soit produit en Guyane plutôt qu’ailleurs. Un des problèmes de notre pays est celui de la balance commerciale, et mieux vaut utiliser de l’énergie nationale lorsqu’elle existe. D’où l’intérêt, pour le groupe Shell et pour Shell France, de prospecter en Guyane.

Mais pourquoi en Guyane ?

Les cartes du dossier qui vous a été remis montrent qu’il y a 104 millions d’années, les continents sud-américain et africain étaient joints. Avant que ces continents ne dérivent, la Guyane française était très proche du Sierra Leone d’aujourd’hui. Or, ces dernières années, on a découvert beaucoup de pétrole dans la zone côtière de l’Afrique s’étendant de la Guinée au Sierra Leone et au Ghana. Notre raisonnement est que ces richesses pétrolières peuvent exister du côté sud-américain. Voilà pourquoi nous nous sommes intéressés à la Guyane.

Nous avons également étudié les pays autour de la Guyane. Or il y a beaucoup de pétrole au Venezuela, et un peu au Surinam.

L’idée qu’il puisse y avoir du pétrole en Guyane est confortée par ce que l’on connaît et, avec un peu de travail supplémentaire, dont des analyses sismiques simples, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il y avait là un vrai potentiel à explorer. D’où notre activité d’exploration.

Le permis d’exploration de Guyane maritime, auquel nous participons depuis 2009, avait été attribué en 2002 à une petite société. Depuis, il a été acquis par Tullow Oil, qui en a revendu des parts à Shell, Total, etc. Aujourd’hui, c’est un consortium qui gère ce permis : Shell (45 %) qui est opérateur ; Tullow Oil (27,5 %) ; Total (25 %) et Northpet (2,5 %).

Ce permis porte sur une superficie très importante, de 24 100 km², avec des profondeurs d’eau allant de 200 à 3 000 m, à cheval sur le plateau continental et sur l’océan plus profond.

Nous avons mené, en 2002, 2005, 2009 et 2012, des campagnes d’acquisition de données sismiques, qui s’apparentent à des échographies du sous-sol et nous ont permis d’identifier des réservoirs potentiels : en l’occurrence des couches de sable éventuellement riches en hydrocarbures. Nous avons alors décidé de faire un premier forage en 2011, qui a été un succès, puis un deuxième en 2012. Nous en train d’en faire un troisième.

Mais revenons sur l’historique des forages.

Le premier forage, désigné sous le code GM-ES-1, a été effectué à 160 km des côtes, quasiment au large de Cayenne. Nous avons foré jusqu’à 6 000 m, sachant que la profondeur d’eau est d’environ 2 000 m. La durée totale du forage a été de 261 jours. Nous avons traversé deux couches de sable riche en hydrocarbures, dont la hauteur cumulée est de 70 m. Reste bien sûr à savoir sur quelle surface les 70 m sont pertinents. Nous devons donc continuer à travailler pour le déterminer.

Le deuxième forage, GM-ES-2, était censé s’adresser aux mêmes bancs de sable, un peu plus loin. Nous avions dans l’idée qu’il s’agissait du même réservoir. Mais nous n’avons pas trouvé de pétrole, en raison d’une discontinuité de ce réservoir, que nous n’avions pas détectée. Cette partie s’avère très pauvre en hydrocarbures. Le GM-ES-2 a donc été un échec en termes de découverte d’hydrocarbures, mais un grand succès opérationnel : il a été réalisé en 150 jours, sans incident.

Nous en sommes au troisième forage, GM-ES-3, qui s’effectue sur une autre grappe de bancs de sable. Nous ne savons pas encore si ceux-ci sont, ou non, riches en hydrocarbures. Nous ne rencontrons pas de soucis opérationnels, et j’espère un jour vous annoncer la présence d’un réservoir pétrolifère.

Aujourd’hui, la viabilité du projet n’est ni acquise, ni abandonnée. Nous n’en sommes qu’à un programme de prospection, d’exploration, qui doit permettre de cataloguer les hydrocarbures en place, et de savoir s’il y en a, en qualité et quantité, et s’ils sont disposés de façon à être commercialement exploitables.

En 2012, en parallèle du forage, nous avons fait de nouvelles acquisitions sismiques – plutôt au large de Kourou – qui ont révélé d’autres cibles très intéressantes. Il s’agit de détecter, par ce biais, des sables potentiellement riches en pétrole et d’aller forer pour vérifier ce qu’il en est. À de telles profondeurs, les techniques actuelles ne permettent pas de faire l’économie d’un forage, sachant qu’en cent millions d’années, de nombreux évènements ont pu faire qu’à certains endroits, le pétrole qui était présent a disparu. Il suffit que la couche d’argile sur le sable soit fissurée pour que le pétrole remonte à la surface. La question est alors de savoir si on arrive trop tôt ou trop tard, et s’il est toujours là. C’était le cas à l’endroit du premier forage, ce n’était pas le cas à l’endroit du deuxième. Nous verrons pour le troisième.

Ce sont des activités très lourdes au point de vue opérationnel. Quatre cent cinquante personnes environ sont mobilisées sur ce projet. Les moyens humains et matériels sont énormes. Certains d’entre vous ont eu l’occasion de visiter le Stena Icemax, le navire de forage utilisé : il est plus gros que le Charles de Gaulle et probablement aussi cher. Il est très spécialisé et très performant. On ne le mobilise pas facilement, d’autant qu’il nécessite des équipages et des personnels très compétents. La chaîne logistique mise en place autour de ce navire, pour l’approvisionner en matériel, tubes, ciment, etc., représente une véritable flottille qui navigue entre Trinidad, Cayenne et le lieu de stationnement du bateau.

Dans ce contexte, la sécurité et la protection de l’environnement sont fondamentales. Chez nous, personne n’a vocation à polluer quoi que ce soit. Nous sommes des citoyens soucieux de préserver l’environnement, d’autant que nous savons que c’est une condition sine qua non pour pouvoir travailler. Nous serions les premiers affectés par un incident, qui coûterait cher et risquerait d’entraîner le refus des autorisations dont nous avons besoin pour forer.

Cela signifie que nous mettons en œuvre les meilleures mesures d’atténuation possibles de l’empreinte environnementale : règles très strictes (discipline et procédures quasi militaires) ; maintenance préventive, tests réguliers des équipements (par exemple celui des blocs obturateurs de puits) ; gestion des déchets, solides et aqueux ; surveillance permanente des autres mouvements de navires dans la zone ; absence d’éclairage direct vers l’océan ; utilisation de fluides synthétiques de forage, plus adaptés que l’eau. Le choix des matériels que nous utilisons vise à réduire au maximum les émissions de CO2. De fait, les prélèvements que nous avons effectués avant, pendant et après les forages n’ont pas permis de détecter d’impact négatif sur la biodiversité marine.

Parallèlement aux activités de forage, nous menons des activités liées aux mouvements sismiques. Assez paradoxalement, ce sont ces dernières qui ont créé le plus d’émotion et de réactions de rejet. Que l’on puisse émettre un signal sonore et écouter l’écho, pour en déduire la géologie, a déclenché de nombreuses peurs – rendre les cétacés sourds, faire fuir les tortues, etc.

Voilà pourquoi nous avons pris de nombreuses mesures, destinées à prévenir de telles peurs : surveillances acoustiques passives ; observateurs certifiés indépendants et démarrages progressifs de bruit – pour éviter de surprendre et d’effrayer, notamment, les dauphins qui pourraient remonter trop rapidement à la surface. De nombreuses procédures visent à alerter les animaux qu’il va se passer quelque chose et à éloigner les espèces sensibles au bruit.

En quatre mois et demi de campagne sismique, en 2012, 18 espèces différentes de cétacés ont été identifiées par les observateurs. Aucun cétacé n’a été observé dans la zone d’exclusion. Trois espèces menacées ont été observées. Une seule tortue a été vue aux abords de l’espace de prospection. Je précise que le sort des tortues était le principal sujet d’inquiétude des associations environnementales.

La conclusion des observateurs indépendants est qu’il n’y a pas d’impact visible.

Nous pouvons maintenant nous interroger sur les retombées économiques de ce projet.

La difficulté tient au fait que nous en sommes à une phase de recherches. Nous pouvons dépenser beaucoup d’argent et mobiliser beaucoup de moyens avant de nous apercevoir qu’il n’y a pas de site commercial et avant de décider de partir en laissant derrière nous espoirs et déceptions, sans aucune activité résiduelle. Nous pouvons aussi découvrir un site commercial qui entraînera la création d’une industrie de production, laquelle sera accompagnée par diverses activités – personnels, transports, expertise – et aura des retombées économiques, notamment fiscales.

Nous ne pouvons pas encore investir dans le long terme puisque nous n’avons pas encore établi la présence d’un gisement commercial. Malgré tout, nous essayons de maximiser les retombées à court terme, mais qui seront acquises pour toujours à la collectivité : par exemple, si nous partons, les personnes formées aux métiers du pétrole pourront trouver du travail ailleurs qu’en Guyane. Bien sûr, si nous trouvons demain un gisement commercial, nous devrons réfléchir au développement d’une activité pérenne. Mais nous n’en sommes pas là.

Pour gérer l’aspect « intégration » du projet, l’État et la région ont défini une gouvernance autour d’une commission de suivi et de concertation rassemblant les autorités locales, les associations socioprofessionnelles, les pêcheurs et les associations environnementales. Shell n’est pas membre de cette commission, pour une raison que je n’ai pas comprise, mais elle est un invité permanent.

Cette commission s’appuie sur des groupes de travail – dans lesquels nous sommes donc invités – traitant de plusieurs thèmes : formations et emploi, stimulation du tissu économique local, recherche, sécurité et environnement, pêche. Chacun de ces groupes de travail associe les personnes directement intéressées par l’activité et développe des projets, assure des suivis ou formule des recommandations visant à optimiser les retombées locales.

Dans le cadre de l’attribution des autorisations de travaux, nous avons mis en place un Fonds de financement de la recherche qui nous permettra de mobiliser des crédits pour la stimulation du tissu économique et la pêche si un forage s’avère probant.

Quatre cent cinquante personnes gravitent autour de ce projet et 150 entreprises de Guyane bénéficient de l’activité générée. Fin 2012, 9 millions d’euros avaient déjà été dépensés par Shell et ses principaux partenaires. Nous avons affrété un certain nombre de navires de pêches pour des campagnes de suivi de l’environnement, pour de la surveillance, etc.

Nous avons développé un important pôle d’activités à l’aéroport Félix Éboué, où se trouve la base d’hélicoptères par laquelle transitent les équipages qui viennent de Paris ou de Trinidad, et d’où partent les équipes qui vont sur le Stena, à 150 km. Le transport des personnels se fait par hélicoptère. Le transport des biens se fait plutôt par bateau. Cela dit, l’activité logistique au port de Degrad des Cannes est limitée par les capacités du port. Il y a un an, lorsque nous avons souhaité utiliser le port, on ne nous a attribué qu’un seul créneau, le dimanche matin. De ce fait, nous avons dû assurer l’essentiel de notre logistique en transitant par Trinidad. Depuis, le créneau du dimanche matin s’est un peu élargi et nous utilisons bien plus le port qu’il n’était prévu. Néanmoins, la disponibilité n’est pas encore suffisante pour imaginer tout organiser à partir de ce lieu. Dans l’avenir, si l’activité se poursuit, il faudra utiliser davantage Degrad des Cannes. Cela suppose de modifier la gestion du port pour accueillir davantage d’activités liées au pétrole, ou d’investir dans le port pour lui donner la capacité nécessaire.

Par ailleurs, des projets sont en cours d’étude – motorisation de la pêche artisanale, chaîne du froid et machines à glace. Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé par la Région pour identifier un nombre d’entreprises guyanaises susceptibles d’alimenter le Stena plus élevé qu’aujourd’hui. Il faut savoir qu’actuellement de nombreux opérateurs refusent d’utiliser Degrad des Cannes en raison de nombreux incidents logistiques : des aliments sont arrivés avariés à bord, à cause de la rupture de la chaîne du froid. Ainsi, le degré de fiabilité des opérations depuis Degrad ne permet pas d’envisager une activité qui serait purement centrée sur ce port. Il serait pourtant très intéressant que cet espace devienne la base logistique principale : mieux vaut parcourir 150 km entre Degrad et le bateau que 4 000 km entre le bateau et Trinidad. Mais encore faut-il que Degrad le permette.

Ensuite, la grande opportunité et le grand défi résident dans la formation et l’emploi local.

Shell et ses principaux sous-traitants ont créé 23 emplois. Le nombre paraît faible, mais nous n’avons généré qu’une activité de passage : tout a lieu au large, où les équipages sont des professionnels du métier qui viennent du monde entier.

Nous avons par ailleurs recruté cinq stagiaires, basés à Cayenne, La Haye et Paris. Nous essayons de stimuler la jeunesse pour qu’elle s’intéresse aux métiers du pétrole, sachant que ce n’est pas une activité traditionnelle en Guyane ou même en France. Enfin, l’apprentissage de l’anglais – indispensable dans ce domaine – organisé avec des tuteurs pour 50 jeunes remporte un énorme succès.

Nous ne pouvons pas recruter les équipes dont nous aurions besoin dans cinq ou dix ans, puisque nous ne savons pas encore comment évoluera le projet. En revanche, nous avons décidé d’ouvrir des postes Shell « monde » à des Guyanais. Ces derniers seront recrutés, formés dans le système et reviendront un jour en Guyane si le projet aboutit. Chacun de nos partenaires poursuit la même démarche.

Nous travaillons également avec la collectivité pour ajuster la carte des formations afin qu’il y ait une adéquation entre les formations disponibles et les métiers à pourvoir. Mais si l’on peut faire beaucoup en Guyane, tout ne sera pas fait en Guyane. Pour autant, notre volonté est réelle, parce que l’enjeu est important. On ne peut pas imaginer une activité qui se développe un jour en Guyane sans associer à l’aventure le plus grand nombre possible de Guyanais.

Je vous propose maintenant d’aborder un autre des grands sujets liés à cette activité, à savoir la fiscalité. On parle beaucoup de rente pétrolière, de profits éhontés des sociétés pétrolières. Les pétroliers gagneraient beaucoup d’argent en pillant la ressource nationale.

Il faut savoir qu’aujourd’hui, si nous faisons un forage dans une zone inexplorée, nous avons 20 % de chances de succès. Imaginez que je fasse dix forages et qu’un seul me donne un puits commercial. À 250 millions le puits, il faut que je puisse me rémunérer sur « 9 fois 250 millions d’échecs ». Je vous rappelle que l’argent vient exclusivement d’investisseurs privés, qui entendent bien pouvoir se rétribuer un jour. Il faut donc que la fiscalité rémunère, non seulement l’investissement direct sur le champ et les coûts, mais aussi les investissements amont qui ont permis à l’État de comprendre qu’il avait un patrimoine exploitable. Or c’est un élément que l’on a du mal à percevoir.

L’échelle de temps doit également être prise en compte. Entre le moment d’une découverte commerciale et la mise en production, il peut se passer beaucoup de temps. D’abord, l’État peut mettre jusqu’à trois ans pour instruire une demande de concession de production. Et puis, il faut construire. Un système pétrolier de production demande trois ou quatre ans. Donc, entre la prospection, l’instruction du dossier et la construction du système, il se passe facilement huit ans. Il faut donc sept ou huit ans de dépenses pour obtenir un baril !

Autre élément à prendre en compte : la forme du réservoir commercial, qui est plus ou moins profond ou plus ou moins étendu et qui nécessite un plus ou moins grand nombre de puits. Suivant les cas, les coûts de production varient entre 5 et 20 milliards de dollars ou d’euros. Il faudra les assumer sur plusieurs années avant qu’un baril commence à rémunérer l’activité. Il faudra ensuite rémunérer l’arrêt de la production et le réinvestissement dans la prospection.

Voilà pourquoi l’off-shore a besoin d’une fiscalité adaptée ou en tout cas pertinente par rapport à toutes ces contraintes. On n’est pas en Seine-et-Marne, où l’on peut construire, au rythme que l’on décide, des puits qui coûtent deux millions d’euros et qui produiront au bout de six mois. J’ajoute qu’en Seine-et-Marne, il est possible de s’entendre avec la commune, le canton, le département, c’est-à-dire avec telle ou telle entité administrative. Ce n’est pas le cas ici : le site de ce projet pétrolier off-shore se trouve à 150 km des côtes, en zone économique exclusive, en dehors des eaux territoriales ; la supervision des tutelles, l’information du public se passent différemment. Cela m’amène à dire que le code minier devrait s’intéresser à ces éléments plus spécifiques à l’off-shore.

Quand j’entends parler du code minier, j’ai l’impression qu’on imagine qu’il pourra s’appliquer aussi bien au nickel ou à l’or qu’au pétrole on-shore et off-shore. D’où mon scepticisme. Je ne suis pas du tout sûr, en effet, qu’il pourra permettre à chacun des miniers, des pétroliers et des gaziers d’investir dans des projets intéressants pour lui et pour la collectivité.

Le Stena Icemax est un immense navire, qui emploie environ 450 personnes. On ne peut pas programmer ses activités sans avoir de certitude sur la date à laquelle il sera possible de forer. Imaginez que je dépose une demande de permis et que j’apprenne que l’information du public risque de prendre entre trois mois et dix-huit mois : mon programme tombe à l’eau ! Il en va différemment dans d’autres activités minières, pour lesquelles le fait que l’information du public dure quatre semaines de plus que prévu n’a pas le même impact. Je vous rappelle que, dans le monde, il n’y a que quelques unités comme le Stena Icemax. Si j’attends trop longtemps, il sera mobilisé sur d’autres projets.

Les dispositions du code minier – information du public, procédures d’autorisation, sécurité réglementaire – doivent permettre des investissements de ce type.

Je précise que ces investissements se font sur trente ans. Or, dans une précédente législature, on a compté une révision fiscale toutes les trois semaines. Il est difficile d’investir 20 milliards sans avoir une certaine visibilité sur le moyen ou le long terme. Quand le projet en cause est un projet unique et que tout le monde voudrait le réaliser, ce n’est pas très grave. Mais quand ce n’est qu’un projet parmi cinquante et que la France n’est qu’un des candidats possibles à l’investissement, je dois l’emporter sur les quarante-neuf autres candidats.

Aujourd’hui, la France se distingue par son instabilité fiscale et réglementaire. Notre pays terrorise les investisseurs ! Comme le Parlement est à l’origine des lois, je vous invite à aborder ce sujet au moment de la révision du code minier ou de la fiscalité pétrolière.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur Roméo, pour cet exposé préliminaire, que j’ai trouvé très pédagogique.

Vous nous avez expliqué que vous vous étiez lancé dans une aventure tout à fait incertaine, qui promettait d’être longue et pas forcément rémunératrice, que vous ne trouviez pas un grand soutien dans l’arsenal fiscal et réglementaire français et que, pourtant, vous agissiez avec une grande vertu, ne serait-ce que pour assurer la défense et la protection de l’environnement et de la faune.

Je comprends que vous ayez axé votre exposé dans cette direction. Mais cela suscite de nombreuses questions. Qui sont les observateurs indépendants dont vous avez parlé ? Comment agissent-ils et à quel titre ? Cette aventure peut être enthousiasmante mais elle est encore incertaine, notamment pour la Guyane et les Guyanais. Que pourront donc en tirer les habitants de ce département d’outre-mer ?

Mme Chantal Berthelot. Je remercie, moi aussi, M. Roméo d’avoir fait preuve de pédagogie dans la présentation de ce qui peut constituer une opportunité pour la Guyane. Je tiens à signaler à la Délégation que, depuis que Shell a repris le dossier, M. Roméo a toujours fait l’effort d’informer les collectivités, les partenaires et les parlementaires de son évolution.

M. Roméo a parlé de la commission de concertation et de suivi. Celle-ci, bien qu’elle cherche encore un peu ses règles de fonctionnement, a l’avantage d’exister et de permettre à tous les partenaires d’exprimer leurs désirs et leurs inquiétudes et, donc, de se sentir impliqués. De fait, les Guyanais ont besoin d’être associés à cette aventure, qui leur ouvre un monde bien particulier, si particulier qu’il n’existe pas, dans notre pays, de législation relative à la prospection et à l’exploitation off-shore du sous-sol.

Cela m’amène à aborder l’autre objet de cette audition : la réforme du code minier, dont les trois ministres concernés, M. Montebourg, Mme Batho et M. Lurel ont présenté les grandes lignes au Conseil des ministres, il y a quelques jours.

Tout ce qui est dans le sous-sol devient le bien commun de la Nation. J’approuve totalement cette affirmation. Elle signifie que le sous-sol doit être protégé et valorisé au profit de la Nation. Elle signifie aussi que, s’agissant de la ressource pétrolière, la Nation française engage sa responsabilité vis-à-vis des Guyanais.

Je poserai à M. Roméo les questions que j’ai posées lors de la table ronde au président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP).

D’abord, pensez-vous qu’il faille se doter d’une législation particulière, bien spécifique, à la prospection et à l’exploitation pétrolières ? Je ne connais pas encore l’avis du Gouvernement, car M. Montebourg ne m’a pas répondu à ce propos, mais il me semble que c’est indispensable, dans la mesure où le domaine des mines et celui de l’off-shore n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

J’observe que le Parlement européen vient d’élaborer une directive selon laquelle tout opérateur minier qui souhaite aller sur un champ devra garantir qu’il dispose des moyens humains, physiques et financiers lui permettant de réagir et d’assurer ses responsabilités en cas d’accident. Tous ces éléments devront être intégrés dans le code minier.

Ensuite, je vous poserai des questions relatives aux retombées d’une exploitation – sujet à propos duquel j’avais demandé au président de l’UFIP de faire au moins une contre proposition aux propositions de la commission travaillant sur le code minier. Ce sont les suivantes : faut-il ou non moduler la taxation ? Êtes-vous prêt à échanger sur la taxation de cette activité, étant donné que plusieurs modèles de taxation sont envisageables ?

Enfin, je rappelle que dans la réforme que l’on va initier, il faudra mettre en conformité le code minier avec la Charte de l’environnement. Depuis décembre déjà, l’information du public est actée dans certains textes. Quelle est donc votre position en la matière ?

M. Patrick Roméo. Je tiens à préciser que dans le code minier actuel – qui, de mon point de vue, est plutôt bien fait – le sous-sol, qui est un bien commun, appartient à l’État. Nous sommes rémunérés pour l’extraire et le commercialiser. Différents modes de rémunération sont possibles. Dans certains systèmes, on extrait, on commercialise et on verse des royalties à l’État sur chaque baril vendu. Dans d’autres, l’État se paye en nature et récupère un pourcentage de la production qu’il vend pour son compte. Le sous-sol étant le bien commun de la Nation, il est fondamental que celle-ci gère son bien et décide de ses conditions d’exploitation.

Sur la fiscalité, je n’ai aucun commentaire. C’est la prérogative de l’État et du Parlement. En revanche, et quel que soit le modèle choisi, cette fiscalité doit être équitable, aussi bien pour la Nation que pour la personne qui a investi dans l’aventure sans en connaître l’aboutissement, tout en en assumant les risques. En l’occurrence, je dois être sûr d’être raisonnablement rémunéré, compte tenu des moyens que j’ai mobilisés et de la compétence et de l’expertise que j’ai apportées à la France, et dont elle ne dispose pas.

Je suis absolument d’accord sur le fait que l’opérateur et le consortium doivent assumer leurs responsabilités. Nous assumerons les nôtres, mais nous devons être rémunérés pour cela. Je dépense x milliards pour produire, j’ai un risque de x milliards en cas d’incident, et il faut que je gagne ma vie entre le moment où j’investis et le moment où je produis. Sinon, pourquoi investir ?

Pour moi, c’est une question d’équité : toutes les parties – l’État, l’investisseur et le public – doivent être satisfaites.

Autre point : j’ai toujours grand plaisir à parler de mon métier et de mon activité. Je l’ai fait en Guyane, et je le referai. L’information du public est essentielle, parce qu’il n’y a rien de pire que l’ignorance. Tous ceux que nous accueillons sur le Stena Icemax, quel que soit leur profil, y découvrent quelque chose qu’ils ne connaissaient pas. Mais comme on ne peut pas amener toute la Nation sur le Stena Icemax, il faut amener le Stena Icemax à la population. De la même manière, il faut lui parler de notre projet, dont la vertu fait ma fierté. Je suis en effet très fier d’être un Français qui mobilise des capitaux étrangers pour la France. J’espère simplement qu’en retour, la France sera reconnaissante et ne verra pas dans cette démarche une intention cachée de piller le bien commun. Ce serait assez attristant.

L’information du public doit être assurée dans un cadre pragmatique. Elle ne doit pas durer trop longtemps : au bout d’un certain temps, il faut passer à la phase de réalisation. Nous devons savoir quel type d’information communiquer. Par exemple, si nous expliquons à tous les citoyens français comment se fait un forage, nous risquons d’en ennuyer beaucoup !

Si le public a confiance dans les experts qui lui exposent leur technique, il se contentera de développements assez généraux. Sinon, il exigera d’eux des précisions, et, à chaque fois que j’utiliserai un produit, je devrai le faire analyser par un grand nombre d’organismes d’État indépendants. Dès lors, l’information deviendra pénalisante.

Ce pays souffre de désindustrialisation. Il faut éviter que l’information du public ne freine l’industrialisation. Cela suppose de trouver le bon équilibre. Je fais bien sûr tout à fait confiance à la représentation nationale pour y parvenir. Mais, pour ma part, je ne ferai jamais de commentaire sur la fiscalité. Si celle-ci n’est pas équitable, nous n’investirons pas, et ce serait dommage. Si elle est équitable, nous investirons avec beaucoup de plaisir – dans la mesure où nous trouvons un projet intéressant.

Je ne pense pas qu’il y ait un problème d’alignement de nos objectifs respectifs. Jamais personne n’a prospéré dans le cadre de contrats inéquitables. Et jamais personne n’a développé d’industrie contre la population. D’où l’importance de l’information et de l’acceptabilité du projet.

Nous faut-il un code minier spécifique à l’activité off-shore ? J’aurais tendance à penser que oui, tout simplement parce qu’il est difficile de mettre au point un système qui soit applicable à toutes les activités. Encore une fois, l’acceptabilité fiscale sur un projet off-shore n’est pas la même que pour une mine de nickel, où l’on est certain que le nickel est présent. Dans un projet off-shore, il faut prendre en compte le risque financier et l’amplitude des incidents qui peuvent survenir.

Enfin, monsieur le président, vous m’avez interrogé sur les observateurs indépendants. Comme leur nom l’indique, ils ne relèvent d’aucune instance : leur curriculum vitae ont été étudiés, scrutés, analysés, par les organisations environnementales. Ils ont été choisis par le WWF, et ce n’est pas nous qui les avons formés. Je ne les soupçonnerai jamais de ne pas être indépendants. En revanche, comme nous sommes obligés, de par la loi, de rémunérer ces observateurs ou ces cabinets indépendants, on nous soupçonne toujours d’influencer leurs résultats. Et il est extrêmement difficile de faire cesser de telles remarques.

M. Gabriel Serville. Je vous remercie de nous avoir encore une fois donné l’occasion de nous exprimer sur ce projet d’exploitation pétrolière en Guyane. M. Roméo, que j’ai rencontré à de multiples reprises, connaît les doutes qui sont les miens. Les témoignages sur la façon dont le pétrole est exploité dans certaines régions de la planète ont de quoi inquiéter les Guyanais. Nous avons le sentiment qu’il y a, d’un côté, ceux qui exploitent, et, de l’autre, ceux qui se font exploiter par des sociétés qui sont souvent internationales. Je ne dis pas cela pour M. Roméo, pour lequel j’ai beaucoup d’estime.

J’ai relevé dans son propos qu’il était fier d’être français et de pouvoir apporter des capitaux à son pays. Je rappelle tout de même que le consortium qui s’organise autour de ce projet regroupe d’autres compagnies pétrolières qui ne sont pas de nationalité française. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que, sur le Stena Icemax, peu d’employés parlaient notre langue. Il n’en reste pas moins que c’est une grosse entreprise, bien organisée, malgré de rudes conditions de travail.

M. Roméo a également parlé de confiance. Il me semble qu’il faudrait, par des discours appropriés et des démonstrations idoines, rétablir la confiance avec la population française en général, et guyanaise en particulier. C’est ainsi que l’on pourra avancer de façon sereine. J’en veux pour preuve le Forum des métiers du pétrole qui a été organisé très récemment en Guyane. Celui-ci a suscité un grand engouement auprès de la jeunesse. Malheureusement, je n’ai pas le sentiment qu’il sera suivi d’effet. M. Roméo lui-même nous a expliqué que Shell positionnerait sur les plates formes, à travers le monde, une dizaine de jeunes Guyanais qui pourraient être opérationnels une fois que l’exploitation du pétrole aurait démarré en Guyane. Ainsi, 1 000 jeunes seront passés par le Forum des métiers, mais bien peu seront positionnés sur les plates formes. Que fera-t-on des autres qui espèrent ? Il ne faut pas les décevoir. Or, les responsables des services de l’État en Guyane nous ont dit leur inquiétude : beaucoup de jeunes, qui auraient aimé pouvoir s’insérer dans cette dynamique, risquent de ne pas y parvenir. Pour moi, la question est donc bien de savoir comment rétablir un rapport de confiance avec les décideurs et la population.

J’ai bien entendu que la société Shell, comme les autres sociétés, mettait son expertise technique à la disposition de la France et qu’elle avait droit, à ce titre, à une fiscalité équitable. Ne pourrait-on pas s’inspirer, dans le nouveau code minier, de la fiscalité qui se pratique ailleurs ? J’imagine qu’il y a d’autres endroits, dans le monde, où l’on a été amené à forer à 6 000 mètres de profondeur.

J’ai envie d’avoir confiance dans ce projet, mais je m’interroge. Ces interrogations ne sont pas nées de la pratique de Shell en Guyane – puisque nous n’en sommes qu’à la phase d’exploration – mais des observations sur ce qui s’est passé et sur ce qui se passe ailleurs. Ne risquons-nous pas, en Guyane, d’être confrontés aux mêmes difficultés ?

M. Patrick Roméo. Je serais le premier heureux d’employer de très nombreux jeunes Guyanais – ou de moins jeunes, d’ailleurs. Cela signifierait que l’on développe une opportunité d’activité commerciale importante pour la Guyane et pour la France.

Dans la phase où nous nous trouvons, les moyens que nous déployons sont tels que nous ne pouvons que générer de l’espoir. Cela dit, je ne peux pas promettre que nous allons découvrir un champ commercial si je n’en suis pas sûr – même si j’y crois. Nous ne pouvons pas présenter de projet, comme c’eût été le cas si le deuxième forage avait été un grand succès. On parlerait alors de centaines d’emplois et d’un programme de formation pour les jeunes Guyanais. Mais nous n’en sommes pas là. Il faut donc faire preuve de patience, même si je sais combien cela peut être difficile dans le contexte actuel – en Guyane et, plus généralement, en France.

À la suite du Forum des métiers du pétrole, nous avons collecté à peu près 170 curriculum vitae de très bonne qualité, que nous gardons en stock et que nous espérons voir déboucher un jour sur des emplois. J’observe que, sur le millier de personnes que nous avons reçues, près de la moitié d’entre elles nous a dit ne pas être intéressée par une activité en mer. Quoi qu’il en soit, je suis heureux que nous ayons suscité des vocations. Mais j’aurais peut-être besoin que la collectivité territoriale nous aide à gérer l’impatience qui se fait jour pendant cette période de prospection.

Je répondrai à votre question sur la fiscalité en indiquant que je me rends régulièrement à Bercy et que nous communiquons, notamment sur toutes les données de benchmark. Cela dit, lorsque l’on compare les systèmes, on s’aperçoit qu’il y a plusieurs façons d’arriver au même résultat – taxation du chiffre d’affaires, des bénéfices, remboursement des investissements non productifs, etc. – et que l’important est la rentabilité sur l’investissement dans un scénario de prix. Personnellement, je suis quasiment certain des chiffres auxquels nous aboutirons. Mais cela passera par une discussion visant à faire émerger une fiscalité équitable, et non par une formule toute faite intégrée dans le code minier.

Je vous rappelle que Shell Exploration and Production France est une société française depuis 1919 et que 850 Français sont employés par la Société des Pétroles Shell. Il est vrai qu’aujourd’hui, les équipages qui travaillent au large de la Guyane ne sont pas français. Mais cela est dû au fait que nous ne disposons pas, sur place, des compétences suffisantes. Je serais très heureux d’employer, un jour, 100 % de personnels français et 80 % de personnels guyanais. Sans compter que les Français formés à ces métiers peuvent travailler non seulement en Guyane, mais aussi dans d’autres pays que la France, dans la mesure où l’activité est en plein développement. Cela dit, cela ne sera possible que si nos recherches aboutissent et que si nous nous donnons les moyens de réussir.

Il ne peut s’agir que d’une démarche collective. Certes, nous sommes en France. Nous ne vivons pas dans un contexte de guerre civile, avec une déconnexion entre le niveau local et le niveau gouvernemental, dans des pays où l’intégrité n’est pas forcément une vertu première et où certains profitent davantage de la richesse que d’autres. Il est toutefois important que la fiscalité soit équitable, non seulement pour l’opérateur, mais aussi pour la collectivité.

Je fais partie de ceux qui ont milité pour qu’il y ait une retombée directe du montant des prélèvements liés à l’activité pétrolière sur la Guyane, ce qui n’est pas dans la tradition fiscale française. Je suis conscient, en effet, du problème qui surgirait si tout allait à Paris et revenait au compte-gouttes en Guyane. D’un autre côté, on ne peut pas imaginer que la Guyane dispose de 90 % d’une richesse au détriment du reste de la Nation. Cela me semble être une question très intéressante pour la représentation nationale.

Mme Annick Girardin. Je pense qu’en ce domaine, nous pourrions nous inspirer de la législation fiscale existant à Saint-Pierre et Miquelon – même si elle a été entièrement pensée par Bercy et mise en place avec Bercy.

M. Patrick Lebreton. Je m’exprime en tant que député ultramarin, tout en faisant partie de la représentation nationale. Vous savez, en effet, que la dernière décennie a été celle du Grenelle de l’environnement et que l’on a reconnu à l’outre-mer – dont la Guyane – une place exceptionnelle en matière de biodiversité. Par ailleurs, nos territoires ont des perspectives économiques très restreintes. Or, le secteur des énergies – fossile en Guyane, marine, solaire, thermique et éolienne dans d’autres départements comme l’île de la Réunion – peuvent constituer des piliers de développement.

Élus de la République, nous manifestons évidemment de la satisfaction à l’idée que la France puisse accentuer son autonomie d’approvisionnement énergétique. Mais nous sommes aussi élus des territoires d’outre-mer et il est légitime que nous nous interrogions sur l’intérêt qu’il y a, pour les populations que nous représentons, à exploiter ces énergies.

Ce type d’exploitation, quoi que vous en disiez, n’est jamais neutre et leur impact environnemental, même modéré, est réel. Or, la richesse de notre biodiversité et le caractère exceptionnel de notre environnement sont des atouts majeurs pour nos territoires, notamment dans le domaine touristique. Vous me trouverez peut-être provocateur, mais je me demande si l’avantage que la population guyanaise tirerait de l’exploitation du pétrole au large de ses côtes est supérieur à celui qu’elle tirerait du développement d’une industrie touristique florissante.

Le problème peut se poser ailleurs, dans les mêmes termes, et pour d’autres énergies. Ainsi, dans ma commune, EDF a un projet de STEP à eau de mer qui concerne aussi bien les agriculteurs que ceux qui s’occupent de tourisme. De la même façon, on peut comprendre que certains n’apprécient pas les éoliennes, qui ne sont pas aussi plaisantes à contempler que des arbres, tels que les palmiers ou les cocotiers.

M. Patrick Roméo. Pour beaucoup, il y aurait incompatibilité entre le développement de la ressource touristique et l’exploitation de certaines énergies. Mais je ne comprends pas pourquoi on ne pourrait pas développer en Guyane à la fois le tourisme et une activité pétrolière. Prenez la Norvège, qui est un très grand pays pétrolier et gazier et qui a la chance de posséder sur son littoral de magnifiques fjords : son tourisme ne semble pas souffrir des exploitations de pétrole et de gaz qui ont été installées au large. Et puisque vous avez mis en avant le bénéfice des populations, je vous précise que la Norvège a fait le choix de financer ses retraites avec la rente pétrolière.

Pour moi, le principe de précaution passe à la fois par la préservation de l’environnement, l’indépendance nationale et la valorisation du patrimoine. Une activité gérée de façon responsable, réglementée et supervisée, n’est pas incompatible avec le développement économique et touristique, ni avec le bien-être des populations. Mieux vaut être bien payé, dans l’activité pétrolière, sur une plate-forme, qu’être au chômage, à terre, et ne pas avoir accès aux soins médicaux.

Le développement du bien-être passe par le développement économique. Je ne connais pas de pays où la décroissance imposée génère davantage de bonheur que le développement économique. La corruption et le pillage, qui peuvent accompagner des activités économiques mal menées et créer des tensions communautaires, sont en effet dramatiques. Mais une action économique bien menée et bien intégrée profite à la Nation et aux salariés.

Cette incompatibilité n’a donc pas de raison d’être. J’ai d’ailleurs observé que, bien souvent, la fermeture de sites dont tout le monde dénonçait les émissions lorsqu’ils étaient en activité provoquait de vives réactions, une fois réalisée, en raison de la perte des emplois correspondants.

Notre pays est suffisamment mature pour avoir une approche responsable de ces dossiers à tous les niveaux – environnement, développement de l’économie et ressource. Une activité pétrolière en Guyane pourrait favoriser l’infrastructure hôtelière et faire de ce territoire une destination beaucoup attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui, malgré son potentiel touristique.

Le pétrole ne résoudrait pas le problème du chômage, mais il pourrait devenir le catalyseur d’une activité économique en Guyane et contribuer à son rayonnement culturel.

M. Gabriel Serville. Je peux vous donner l’exemple d’une industrie qui fonctionne très bien en Guyane, sans corruption ni pillage : celle de l’industrie spatiale.

Cette activité avait été présentée comme potentiellement capable de servir de locomotive au développement économique de la Guyane. Certes, le secteur spatial représente un pourcentage important de son PIB. Mais, à lui seul, il ne suffit pas à assurer son développement, en raison d’un certain nombre de dispositions, notamment fiscales, qui restent encore à prendre. On sent bien que le spatial reste une chasse gardée, un domaine réservé, qui ne joue pas pleinement le rôle qui aurait pu être le sien. De la même façon, nous craignons qu’une industrie pétrolière, même correctement organisée, ne se heurte à des barrières naturelles, d’ordre administratif, réglementaire ou fiscal, et que la Guyane n’en tire pas tout le bénéfice qu’elle serait en droit d’en attendre.

Tullow Oil avait estimé les réserves potentielles de pétroles à 4 milliards de barils, mais la Shell les avait estimées à 300 millions. Nous nous étions alors demandé si la Guyane pourrait prétendre posséder une raffinerie. Pour Shell, avec 300 millions de barils, ce ne serait pas rentable. Mais ce ne serait pas techniquement impossible. Le fait d’avoir une raffinerie sur place éviterait aux Guyanais de devoir aller jusqu’à Trinidad et permettrait à la Guyane de développer des industries connexes.

Il est évident que la Guyane ne va pas compter que sur le pétrole pour s’assurer un développement économique durable et pérenne. Mais qu’adviendrait-il si la Shell faisait le choix, tel un mécène, de mettre à la disposition de la Guyane des leviers beaucoup plus conséquents que la simple exploitation de pétrole, pétrole ensuite dirigé vers les raffineries de Trinidad ou d’ailleurs ? Sans doute n’est-ce qu’un rêve…

Monsieur le président, je sais bien que la Shell n’est pas un philanthrope. C’est une société commerciale, soumise à des impératifs d’ordre économique. Elle n’est pas là pour assurer le développement des pays dont elle exploite le pétrole. Je connais les logiques qui sous-tendent le fonctionnement des entreprises capitalistiques comme la Shell. Il n’empêche qu’en tant que représentant de la population, je peux être amené à adopter une position opposée à la vôtre. Cela me paraît tout à fait légitime.

M. Patrick Roméo. Le problème de la raffinerie ne se pose pas aujourd’hui, parce que nous n’avons pas de gisement commercial. Lorsque ce sera le cas et que nous connaîtrons les caractéristiques et les capacités de production de ce gisement, nous pourrons nous demander si l’aménagement du territoire bénéficierait de l’implantation d’une raffinerie. Aujourd’hui, le seuil de rentabilité est de 300 000 à 500 000 barils/jour, ce qui correspond à deux ou trois gisements commerciaux. Il faut donc trois gisements commerciaux pour justifier la mise en place d’une raffinerie. Vous pouvez décider d’implanter une petite raffinerie non rentable, mais cela ne peut relever que d’un choix politique. Vous pouvez aussi décider que l’argent ne sera pas investi dans une raffinerie, mais dans d’autres filières industrielles plus pertinentes. C’est alors un choix d’aménagement du territoire, qui n’est pas du tout incompatible avec la position que peut prendre une entreprise comme la nôtre.

Shell produit le pétrole et grâce à la fiscalité équitable dont nous avons parlé, la collectivité peut disposer de ressources et décider d’investir dans une raffinerie. Shell peut proposer elle-même de produire le pétrole et de le raffiner. Cela dit, les forages sont déjà très difficiles à effectuer en Guyane, et je suis assez réservé à l’idée de défricher au moins 20 hectares de forêts pour construire une raffinerie dans la mangrove. Il s’agit là néanmoins d’un choix.

Lorsque nous aurons un gisement commercial, la question qui se posera sera celle de la maximisation de la valeur générée par le baril. Pour la collectivité, ce peut être d’exporter le pétrole et de bénéficier immédiatement de la ressource. Ce peut être, demain, d’en exploiter une partie sur place. Ce peut être aussi d’exploiter le gaz, s’il y en a aussi, car le gaz est une source extraordinaire de développement local. Mais il faut un projet de production pour que la collectivité et le consortium se prononcent.

Notre métier n’est pas de raffiner mais de produire ; néanmoins, si le projet est intéressant, vous aurez des investisseurs raffineurs. Personnellement, s’il y avait une raffinerie rentable en Guyane, j’en serais très heureux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur le président, vous avez parlé, à plusieurs reprises, d’équité. Vous avez dit que votre société recherchait un équilibre économique, que si le gisement pétrolier était suffisant, vous pourriez envisager une activité de raffinerie. Mais vous avez précisé que, sinon, ce ne serait pas votre problème et que la création d’une éventuelle raffinerie ne pourrait relever que d’un choix politique. Or, l’équité est globale. Elle ne consiste pas uniquement à permettre au partenaire économique de tirer son épingle du jeu.

M. Serville ne croit pas au mécénat. Au demeurant, nous n’en demandons pas tant. Reste que, pour les populations, et spécialement pour celles de la Guyane, la vraie question est de connaître quelles seront les retombées – positives et négatives – de cette activité, et ce qui leur restera. Or, j’ai bien peur, monsieur Roméo, que tout en parlant d’équité, vous ne soyez un peu trop soucieux de vos intérêts économiques.

M. Patrick Roméo. Pour moi, il n’y a qu’un seul sens pour le mot « équité ». En l’occurrence, il consiste à affirmer que chaque partie présente autour de la table trouve son intérêt : la population guyanaise, comme le consortium et la population française dans son ensemble.

Préféreriez-vous que je finance une activité à perte ? C’est une façon de payer l’impôt. Je pourrais financer une raffinerie, l’État prélevant moins sur la part du baril que je vends. Pour moi, cela ne change rien car ce qui compte, en dernier ressort, c’est la façon dont je suis rémunéré pour mon activité. Cela dit, je ne pense pas que le bénévolat soit un facteur de développement économique. Il convient que tous les acteurs – vous comme nous – puissent être rémunérés pour leurs efforts.

M. Patrick Lebreton. Certaines activités apparemment peu rentables peuvent constituer un facteur d’apaisement social et sécuriser notre économie.

M. Patrick Roméo. Mais l’apaisement social s’obtient en générant de la richesse et en la partageant, pas forcément en faisant des cadeaux.

M. Gabriel Serville. Donc, pas de mécénat, pas de bénévolat !

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’ai de plus en plus l’impression, mes chers collègues, que c’est auprès de l’État que vous devrez vous tourner pour bénéficier d’un traitement équitable.

M. Jean-Jacques Vlody. M. Roméo et son équipe représentent une grande entreprise, de dimension planétaire, intervenant dans un domaine stratégique. C’est à ce titre que je m’adresse à eux.

Depuis un moment, nos collègues s’interrogent sur les retombées de certaines activités sur les territoires de la République, en particulier sur les territoires ultramarins. Il se trouve en effet que ces derniers ont des potentialités en matière de ressources – ressources énergétiques, sous-marines, etc. – et que votre entreprise – ou des entreprises comme la vôtre – sera sans aucun doute amenée à s’y intéresser davantage.

Ces territoires se demandent comment tirer profit des richesses qui se trouvent à proximité et comment résoudre leurs difficultés liées à l’emploi, notamment celui des jeunes. De fait, l’outre-mer a connu un peu partout des problèmes qui ne sont pas de simples étincelles, mais les symptômes d’un vrai malaise social. Or, la confiance dans l’investissement suppose stabilité et paix sociale.

Je remarque que, dans votre système de fonctionnement économique, il est normal – comme est normale votre volonté d’avoir un comportement vertueux en matière d’environnement – de faire travailler des personnels qualifiés à l’échelle du monde, des personnels capables de se déplacer et d’être opérationnels n’importe où. Mais envoyer ces travailleurs à proximité d’un bassin social où des jeunes et des moins jeunes ne peuvent pas prétendre aux mêmes types d’emplois génère de l’incompréhension. Les habitants s’interrogent alors sur les retombées d’une activité qui pourrait leur être, sinon réservée, du moins accessible.

Admettons que vous soyez contraints, par la loi, de tenir compte de la réalité sociale de ces territoires – ce que l’on appelle, dans certaines clauses de marchés publics, la clause sociale – en intégrant ou en formant tel ou tel pourcentage des travailleurs des territoires où vous avez décidé de développer votre activité. Comment répondriez-vous à cette obligation ?

M. Patrick Roméo. Une telle démarche est nécessaire et même obligatoire de notre point de vue. Cela n’aurait aucun sens de recruter des personnels hors de Guyane s’il y en a de disponibles sur place. Il faut utiliser les capacités locales et faire en sorte qu’un jour, si une industrie pétrolière s’installe, chaque Guyanais ait un parent – oncle, cousin, etc. – qui y travaille. C’est ainsi que l’on assurera la prospérité de cette activité sur le territoire.

Cela dit, a-t-on besoin de textes ? La France a pour habitude de légiférer et de réglementer en de nombreux domaines. Or, les pays qui ont adopté des réglementations multiples ont tendance à être contreproductifs. Il serait beaucoup plus pertinent de discuter du projet avec la collectivité de la Guyane ou avec l’État et de faire en sorte que 80 % des salariés travaillant dans cette activité soient, à l’horizon de sept ans par exemple, des Guyanais. En posant le problème ainsi, on pourrait y répondre. Mais, si vous affirmez brutalement que toute activité en Guyane ne pourra s’exercer que si 80 % de Guyanais y travaillent, c’est simple : on ne démarrera jamais.

Certes, il n’est pas possible de travailler dans un territoire contre ses habitants. En l’occurrence, si les Guyanais nous reprochent le trop petit nombre de locaux que nous employons, nous risquons de nous heurter à de nombreux obstacles. Pour autant, je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait à réglementer sur le sujet. Le Français a-t-il besoin d’une réglementation pour se comporter honnêtement ? N’est-il pas capable de faire des choix pertinents ?

M. Jean-Jacques Vlody. Il est assez nouveau que les entreprises considèrent comme nécessaire de recruter localement. Elles trouvent toujours de bonnes raisons pour ne pas le faire, mettant en avant, par exemple, le manque de ressource qualifiée. C’est là où la réglementation peut avoir son utilité. Elle pourrait obliger l’entreprise qui a déjà prospecté et qui envisage de s’installer sur un territoire à y former les personnes qualifiées dont elle aura besoin pour les deux ou trois prochaines années.

Monsieur Roméo, je ne connais pas l’histoire de ce forage. Mais, trois ans avant d’y procéder, avez-vous eu l’idée de former des ingénieurs locaux ?

M. Patrick Roméo. En 2010, j’ai indiqué que, si nous développions un projet, nous devions envisager d’employer, à terme, des Guyanais.

Dans plusieurs pays, nous avons développé ce type d’activité à partir de rien. C’est ainsi qu’aujourd’hui, sur les plates formes Shell des Philippines, ce sont des Philippins qui interviennent. Ce qui n’empêche pas – et c’est bien normal – que des Philippins travaillent à l’étranger et que des étrangers travaillent aux Philippines.

Reste que, pour former 80 % des personnels en Guyane, nous aurons besoin de mettre en place un partenariat avec la collectivité. Nous le ferons le jour où nous saurons qu’il y a un projet commercial.

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’ai relevé, dans votre propos, que vous aviez recueilli plus de 150 curriculum vitae très intéressants à l’occasion du Forum des métiers du pétrole. Quelles suites avez-vous pu leur donner ?

M. Patrick Roméo. Nous avons envoyé un message aux auteurs de ces curriculum vitae dans lequel nous leur indiquions que nous n’avions pas d’opportunité à leur proposer, en l’état actuel des choses, parce que notre projet n’en était pas encore au stade du développement. Certains l’ont compris, d’autres ont été déçus, ce qui est bien normal.

Mme Annick Girardin. Ne pourrait-on pas envisager de créer outre-mer, en partenariat avec Shell et avec l’État, un pôle de compétences autour de toutes les questions liées à l’industrie en général, et à l’énergie en particulier ? Certes, les métiers des plates formes sont très spécifiques. Mais d’autres métiers qui seraient valorisés à cette occasion – gestion, maintenance, etc. – pourraient s’appliquer à d’autres types d’exploitations, tournées notamment vers la mer.

Par ailleurs, la Guyane et le sous-sol guyanais étant français, l’État doit se positionner. C’est avec lui que la collectivité et les élus que nous sommes auront à mettre en place le système qui vous sera proposé ou bien imposé. Qu’on ne s’y trompe pas, monsieur Roméo, je ne suis pas en train de négocier avec vous sur la fiscalité. Celle-ci sera à discuter avec l’État français.

Certes, la dynamique régionale relève de la collectivité ou des collectivités de Guyane, mais vous pourriez jouer un rôle moteur pour favoriser cette dynamique. Tous, nous cherchons à exploiter nos territoires et à y créer des emplois, car il ne faut pas oublier que l’outre-mer va très mal. C’est sans doute pour cela que ce projet suscite, à la fois, de la méfiance et de l’espoir.

Cela m’amène à vous donner l’exemple de la province canadienne de Terre-Neuve, affectée par l’arrêt de la pêche, l’abandon de tous les secteurs d’activité, notamment industriels, avant que l’activité ne reparte grâce à la dizaine de puits qui sont aujourd’hui exploitables. Presque 80 % des personnels qui travaillent sur terre habitent le territoire ou le Canada. Pour ceux qui travaillent en mer, sur les plates formes, la situation est différente, dans la mesure où la technicité requise est plus élevée. Quoi qu’il en soit, les Terre-Neuviens viennent à Saint-Pierre et Miquelon nous demander si nous avons des gens à former pour aller chez eux.

Nous aurions donc intérêt à nous intéresser à d’autres modèles, notamment d’îles ou de territoires ultramarins. Comme vous l’avez vu, Terre-Neuve semble avoir de nombreux points communs avec les outre-mer. Et nous devrions nous pencher sur la façon dont Shell, en Guyane et au-delà de la Guyane, pourrait devenir, aux côtés de l’État, le partenaire des outre-mer sur toutes les questions relatives à l’énergie.

M. Patrick Roméo. Une simple remarque : nous explorons juste à côté de Saint-Pierre et Miquelon, dans les eaux canadiennes.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Je préfèrerais que Shell explore autour de la Guadeloupe !

M. Jean Jacques Vlody. Et de la Réunion !

M. Patrick Roméo. Je remarque, de mon côté, que le permis maritime de la Martinique n’a pas été renouvelé. Il a été victime, voici quelques années, du gel des permis pour une raison d’ordre administratif, que j’ignore d’ailleurs. Le projet Guyane a lui-même connu une phase un peu difficile.

Mme Gabrielle Louis-Carabin.  Sauf qu’en Guyane, vous en êtes au stade de la recherche de la ressource. Et si j’ai bien compris, ce sont les investisseurs étrangers qui sont rebutés par les incertitudes de la fiscalité française.

M. Patrick Roméo. Pour le moment, ils font confiance aux Français de leur consortium pour mener à bien un projet d’exploration. Mais il est exact qu’il est de notre intérêt d’attirer, en France et outre-mer, ceux qui ont envie d’investir au niveau mondial. Pour le moment, nous avons la chance d’avoir un projet qui fonctionne dans sa phase d’exploration. J’espère qu’un jour il fonctionnera dans sa phase de développement.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Quand vous êtes venu à La Réunion, vous avez pu observer nos projets de développement locaux en matière d’énergie. Au début, dans ma commune du Moule, les habitants n’étaient pas d’accord avec ces projets. Maintenant, ils en sont satisfaits, puisque la collectivité en tire des ressources fiscales. Mais il a fallu se battre, ce qui prouve que le développement ne se fait pas sans peine.

M. Gabriel Serville. Monsieur Roméo, avez-vous en tête le chiffre d’affaires moyen de la Shell, ainsi que son bénéfice moyen, sur les dix dernières années ?

M. Patrick Roméo. Pas sur les dix dernières années.

M. Gabriel Serville. Et en 2010-2011 ?

M. Patrick Roméo. Je peux vous indiquer, pour l’avoir vérifié à l’intention de mon personnel, que celui qui a acheté une action Shell, il y a dix ans, a gagné à peu près ce que lui aurait rapporté le taux d’intérêt de la Caisse d’épargne française. Cela signifie que la valorisation de l’action est équivalente à un taux de rémunération de quelques points en pourcentage seulement. Vous pouvez constater combien l’actionnaire de Shell s’est enrichi !

Cela dit, monsieur Serville, je dois pouvoir vous donner les informations que vous me demandez.

M. Gabriel Serville. Du point de vue de la balance commerciale, quel est le poids de l’État par rapport à la compagnie Shell ? L’État a-t-il la possibilité de contraindre Shell, compte tenu de ce que la société représente financièrement ? On dit souvent que celui qui paie est celui qui décide et que celui qui détient le capital est celui qui a raison. Je pense que le capital de Shell est tel que l’État français aurait bien du mal à imposer à cette entreprise sa manière de voir. Mais je me trompe peut-être …

M. Patrick Roméo. Je ne vois pas ce que vous voulez dire. Même s’il est possible de négocier sur tel ou tel aspect, nous ne pouvons que nous soumettre à la législation. Pour ma part, je préférerais développer l’idée que nous sommes dans un système de partenariat, où chacun poursuit un objectif commun, qui est de développer une ressource, pour des raisons qui sont complémentaires. Shell, c’est évident, espère un retour sur investissement. Mais les salariés de Shell France espèrent faire prospérer leur société en France et y créer des emplois.

De fait, dans nos groupes, nous sommes les ambassadeurs de la France. Nous sommes devenus ceux de la Guyane et nous souhaitons un jour nous faire les ambassadeurs de Saint-Pierre et Miquelon. Nous sommes à la fois les salariés de Shell et des citoyens français. Rien ne me rendrait plus fier que de trouver du pétrole en Guyane et d’y développer un projet qui emporte votre adhésion. Franchement, c’est tout le mal que je nous souhaite.

En tout cas, nous sommes constants dans nos discours, à savoir qu’il faut créer de la richesse locale. J’espère simplement que nous aurons un jour un vrai projet à mettre sur la table et que nous pourrons alors nous interroger sur les moyens de développer les compétences locales. Bien sûr, il ne m’appartient pas de me prononcer sur ce qui relève de la compétence de la région de Guyane et sur ce qui relève de celle de l’État. Mais tout cela est une affaire de partenariat, chacun agissant dans le cadre de ses prérogatives. De toutes les façons, il y a énormément d’espace pour faire aboutir ensemble un beau projet – à condition de découvrir une ressource pétrolière de qualité.

Mme Chantal Berthelot. Dans le cadre du comité de concertation et de suivi, le gouvernement précédent a désigné Mme Anne Duthilleuil pour piloter, au nom de l’État, les discussions et les travaux liés au projet sur la Guyane. Je tenais à le rappeler dans la mesure où la Délégation pourrait avoir intérêt à l’auditionner.

Je voudrais par ailleurs demander à M. Roméo si le consortium qu’il a évoqué dans son propos liminaire se présente toujours de la même façon.

M. Patrick Roméo. Rien n’a changé – Shell y représente 45 %, Tullow 27,5 %, Total 25 % et Northspet 2,5 %.

M. Jean Jacques Vlody. En Guyane, vous n’en êtes qu’au stade de la prospection. Mais, sur les forages, vous avez tout de même fait des prévisions ?

M. Patrick Roméo. Je pense que le potentiel existe, et c’est bien pour cela que nous explorons. En revanche, je suis incapable de vous dire si nous trouverons un gisement commercial au troisième ou au quinzième forage.

M. Jean Jacques Vlody. Vous avez donc l’intention d’en faire plusieurs ?

M. Patrick Roméo. Oui, et même si le forage actuel est un échec. Nous nous sommes engagés à en faire au moins cinq.

M. Jean Jacques Vlody. À partir de là, vous déciderez ou non de continuer ?

M. Patrick Roméo. En effet, cela dépendra. J’ajoute que nous menons, en parallèle, des campagnes sismiques, pour multiplier les données.

Nous pouvons être amenés à reconnaître que nous nous sommes trompés d’endroit, réussir dès cette année ou faire deux choses en même temps : développer un champ et continuer à explorer. Le scénario n’est pas écrit d’avance, mais nous avons la foi de l’explorateur. Le consortium y croit suffisamment pour y consacrer des crédits.

Nous forons avec 20 % de chances de succès, ce qui est déjà une excellente perspective. De toute manière, nous ne savons procéder que de cette façon : détecter des cibles et aller forer pour vérifier ce qu’il en est. C’est à la fois beaucoup et peu. Heureusement, comme pour l’échographie humaine, avec le temps, les images gagnent en qualité. Voilà pourquoi nous pouvons découvrir aujourd’hui des champs que nous n’avions pas découverts il y a dix ans. Reste qu’en matière de détection d’hydrocarbures, nous nous heurtons aux limites de la technologie.

En conclusion, je reconnais qu’il est difficile de concevoir que nous puissions dépenser autant d’argent sans savoir ce qui va se passer. C’est pourtant le cas.

M. le président Jean-Claude Fruteau.  Au nom de la Délégation, je vous remercie, monsieur le président, d’avoir répondu à notre invitation.

Monsieur le président Roméo, vous avez exprimé votre point de vue avec courtoisie et franchise, et nous y sommes sensibles. De votre côté, vous devez comprendre que nous accordons une certaine force à la loi et que nous ne sommes pas forcément complètement acquis à la culture du partenariat comme mode de fonctionnement d’une société. Sans être sur deux versants opposés, il peut nous arriver d’avoir des différences d’appréciation sur la manière d’agir ensemble.

Quoi qu’il en soit, il ne nous reste plus qu’à espérer que vos travaux de forage s’avèrent fructueux, pour la France comme pour la Guyane, que tout le monde – y compris Shell, bien sûr – en profite … et que les revenus disponibles de chacun puissent décoller, avec une progression supérieure au niveau d’évolution du taux d’intérêt de la Caisse d’épargne !

Mes chers collègues, avant de clore la séance, je tiens à vous signaler qu’à dix-sept heures, le mercredi 20 mars, et non pas le mardi 19 mars comme précédemment indiqué sur la dernière convocation, nous entendrons le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel. Celui-ci nous indiquera, sans doute, quelles sont les recommandations figurant dans notre rapport sur l’octroi de mer qui auront pu être retenues dans ses négociations avec Bruxelles. Il nous parlera de la défiscalisation, des investissements outre-mer et nous donnera son sentiment sur les problèmes de l’agriculture. J’espère que vous serez nombreux à assister à cette audition qui s’annonce particulièrement intéressante. Ce sera la deuxième fois que le ministre nous fera l’honneur de venir devant notre Délégation.

La séance est levée à 19 heures 20.