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Délégation aux Outre-mer

Mardi 14 mai 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– – Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

La Délégation aux outre-mer reçoit en audition M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux de la Délégation sur l'agriculture. Nous avons désigné, le 26 février dernier, deux rapporteurs sur cet important sujet : Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, et M. Hervé Gaymard, député de Savoie. Conformément, en effet, à une tradition de notre Délégation, les rapports sont présentés par deux parlementaires, l’un élu d’outre-mer et l’autre de métropole.

L’agriculture occupe une place essentielle parmi les activités économiques outre- mer. Nous attendons donc beaucoup de la prochaine loi de programmation agricole, particulièrement de son volet ultramarin, puisque telle a été la formule finalement retenue, plutôt que celle d’une loi spécifique.

Nous pourrons évoquer aujourd’hui les nombreuses questions touchant à l’évolution des structures agricoles, au renforcement des productions locales, à la situation de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », à l’installation des jeunes, au statut social des agriculteurs, ainsi qu’à l’avenir du POSEI, qui suscite quelques inquiétudes dans nos régions.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Les objectifs de notre politique ultramarine s’établissent au regard de deux enjeux majeurs : d’une part les contraintes budgétaires, à l’échelle européenne comme nationale, d’autre part les données et les perspectives économiques et géostratégiques de nos régions d’outre mer, essentielles au rayonnement de notre pays dans le monde.

Les questions agricoles, y compris forestières, propres aux outre-mer feront bien l’objet d’un volet spécifique du projet de loi que vous avez évoqué.

Nous devons d’abord prendre en compte leur diversité, selon quelques objectifs majeurs. Le premier porte sur la consolidation, voire l’accroissement, de la part des agricultures ultramarines sur les marchés locaux. Si la situation semble stabilisée et prometteuse à La Réunion, dans d’autres départements, notamment à la Martinique et à la Guadeloupe, les taux de couverture se dégradent. Il nous faut les redresser, au maximum des potentialités de la production locale, qu’il faut développer par une meilleure organisation, davantage de transformation des produits sur place et une commercialisation plus efficace.

Le deuxième objectif consiste à renforcer les productions qui sont à la fois pourvoyeuses d’emplois et sources d’exportations : la banane, la canne à sucre et le rhum.

Le troisième vise la double performance, économique et écologique, à travers « l’agroécologie ». Ce souci est d’autant plus important que les stigmates d’un passé récent font encore sentir leurs effets, comme dans l’affaire du chlordécone. Il nous faut maintenant veiller à la durabilité de la production agricole, d’autant plus nécessaire qu’elle se situe sur des territoires fragiles, exigus et isolés. On ne peut se permettre ni d’en gaspiller les ressources ni d’en détériorer les sols.

Ces trois orientations stratégiques doivent être suivies ensemble.

J’appelle de mes vœux un plan pour le développement des énergies renouvelables en vue d’une bien plus grande autonomie en la matière, et qui permette notamment de réduire les coûts d’importation, aujourd’hui beaucoup trop élevés. Le développement de la biomasse représente à cet égard un élément fondamental. Des investissements sont déjà prévus en Martinique pour la méthanisation. Il faut aller plus loin et adopter une stratégie résolument offensive, lancée en métropole au titre du plan « énergie-méthanisation-autonomie-azote » (EMAA) pour la production porcine. La France a beaucoup de retard dans ce domaine, particulièrement sur l’Allemagne : notre pays compte 90 méthaniseurs quand on en dénombre près de 7 000 outre-Rhin, qui apportent parfois jusqu’au tiers du revenu d’une exploitation.

Quelles sommes pouvons-nous mobiliser en faveur de l’agriculture des outre mer, à la fois dans le cadre du programme portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques et d’outre mer (POSEIDOM) et dans le cadre du budget national ? Après avoir consolidé les moyens propres à conforter les filières bananière, sucrière et du rhum, qui consomment aujourd’hui environ 75% des fonds de soutien, nous devons dégager des marges financières afin de favoriser la diversification agricole nécessaire à la reconquête des marchés locaux par la production locale, ce qui exige notamment de favoriser les projets de nouvelles exploitations. Il nous faudra donc procéder à certains arbitrages.

La gouvernance et le pilotage de la politique agricole ultramarine doivent également répondre à l’engagement pris par le Président de la République de confier aux régions, qui deviendront ainsi autorités de gestion, le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC). Il faudra pour cela renforcer les partenariats entre l’État et les collectivités territoriales aussi bien dans le cadre du POSEI que du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), en installant des comités régionaux d’orientation stratégique et de développement (CROSD) que pourraient coprésider les exécutifs des collectivités concernées et les représentants de l’État chargés du premier pilier de la PAC. Nous proposerons, le cas échéant, les adaptations législatives nécessaires. Il nous faudra aussi définir les contrats d’objectifs et de performances (COP), en partenariat élargi aux chambres d’agriculture. Nous devrons, enfin, revoir la composition du conseil d’administration de l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (ODEADOM) afin qu’il joue pleinement son rôle de concertation en intégrant la représentation des collectivités locales.

Les groupements d’intérêts économiques et environnementaux (GIEE) seront au cœur du débat sur la double performance en faveur de l’agroécologie.

La question du foncier agricole devra être examinée avec un soin particulier, en raison de la problématique de l’urbanisation et des choix à opérer entre installation et agrandissement des exploitations.

Nous devrons donner à l’enseignement agricole de nouvelles perspectives et travailler à sa réorganisation, étant donné les difficultés matérielles rencontrées par certains établissements. Vos réflexions et vos propositions en la matière seront bienvenues.

La forêt ne sera pas oubliée, qu’il s’agisse de la grande forêt guyanaise ou des autres spécificités sylvestres des outre mer.

Tous les axes d’intervention que je viens d’évoquer intègrent naturellement une préoccupation sociale, spécialement en faveur de l’emploi des jeunes, qui souffrent aujourd’hui d’un chômage important.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur le ministre, je vous remercie. La parole est, pour commencer, aux rapporteurs.

Mme Chantal Berthelot, rapporteure. Le rapport que M. Hervé Gaymard et moi-même préparons recouvre en partie les perspectives que vous avez brossées, monsieur le ministre. Nous devrons donc veiller à coordonner les orientations du projet de loi et les thèmes des travaux choisis au sein de notre Délégation : les structures agricoles et foncières, le renforcement des productions locales, l’avenir de la filière canne, sucre et rhum, l’utilisation de la bagasse, l’installation des jeunes agriculteurs et les retraites des salariés et des exploitants agricoles. Notre rapport pourrait alimenter le contenu de la future loi, à condition que nos calendriers soient compatibles.

La rumeur qu’une réforme de la gouvernance du POSEI et du FEADER serait envisagée par les autorités européennes a suscité un certain émoi outre mer. Pourriez-vous nous en dire plus ? Des inquiétudes se sont également manifestées à propos du budget lui-même : sera-t-il réduit ? Le POSEI devant mieux répondre au besoin de diversification des productions agricoles ultramarines, faudra-t-il se battre pour l’augmenter ?

Jusqu’à maintenant, les aides du FEADER aux programmes structurels s’élevaient à 85 % des dépenses. On entend aujourd’hui parler d’un abaissement de ce taux à 75 % pour les nouveaux programmes. On risque ainsi de rendre plus difficile la mobilisation des fonds complémentaires et de solliciter un effort supplémentaire des collectivités locales, des entrepreneurs privés et de l’État. Le retour au taux de 85 % est-il envisageable ?

Enfin, il existe aujourd’hui dans chaque territoire d’outre mer un groupe local « ODEADOM », auquel les régions participent déjà. Votre proposition consiste-t-elle à ce que les collectivités territoriales soient désormais représentées au niveau national des instances de l’office ?

M. Hervé Gaymard, rapporteur. De quels outils supplémentaires pourrait disposer la politique des structures agricoles, notamment en matière foncière et d’indivision, qui soulèvent de délicates questions, spécialement à Mayotte ?

Le commissaire européen à l’agriculture se proposerait d’organiser une consultation publique sur l’avenir de certaines filières de production, dont celle de la banane. Quelle est à ce sujet la position du gouvernement français ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mme Chantal Berthelot a posé une question de méthode qui m’appelle à fournir quelques précisions. Notre Délégation est souveraine quant à l’objet comme à la conduite de ses travaux. Elle a, bien sûr, le souci de les rendre utiles à l’élaboration d’une prochaine loi. C’est pourquoi nous devons articuler nos démarches avec celles du Gouvernement, mais nous ne dépendons pas de lui pour cela. Nous avons constaté que nos préoccupations se recoupent mais la Délégation reste libre de verser au débat toutes les questions qu’elle juge utiles : la « commande » qu’elle a adressée à ses deux rapporteurs reste indépendante du Gouvernement. Sur le fond, je constate que presque tous les sujets importants sont déjà mis à l’étude en commun.

M. le ministre. Le rapport de votre Délégation servira à éclairer les choix du Gouvernement et donc la rédaction du projet de loi. Les axes de travail que viennent d’indiquer les rapporteurs rejoignent pour l’essentiel les préoccupations du Gouvernement.

Si je n’ai pas évoqué les retraites agricoles outre-mer, c’est parce que nous avons considéré que le sujet devait faire l’objet d’un débat spécifique dans le cadre global de la question des retraites. Les salariés agricoles ultramarins relèvent d’ailleurs du régime général de la sécurité sociale.

À l’inverse, vous n’avez pas sélectionné l’enseignement agricole comme l’un des thèmes de votre rapport ; je serais heureux que vous vous en saisissiez.

Le projet de loi devrait vous être transmis en vue d’une discussion à la fin de cette année, après les débats sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Il me semble donc que nous pourrons facilement articuler nos calendriers respectifs afin de trouver les meilleurs compromis possibles pour le développement des outre mer.

L’articulation des interventions et des soutiens du premier et du deuxième pilier de la PAC nécessite que nous trouvions des lieux de concertation garantissant la place, très importante à mes yeux, des collectivités territoriales. Celles-ci seront désormais représentées au conseil d’administration de l’ODEADOM par les élus chargés du développement économique et agricole qu’auront désignés les instances locales. Il revient à l’État d’arrêter les grandes orientations, en concertation avec les régions, après quoi ces dernières exerceront leur responsabilité de gestionnaire. Nous avons également mentionné le rôle des chambres d’agriculture.

Avec le Commissaire européen à l’agriculture, que j’ai encore vu hier, nous avons parlé des outre-mer et du débat public qu’il veut effectivement conduire sur l’avenir du POSEIDOM. Nous avons pris acte de son intention, mais je lui ai rappelé que nous avions besoin d’une stratégie pour les outre mer qui définisse l’équilibre optimal entre les grandes productions agricoles traditionnelles, premières bénéficiaires des aides publiques et qu’il nous faut préserver, et les besoins de diversification. Doit-on conserver la clé de répartition des aides publiques entre l’Union européenne et les autres parties prenantes en respectant un partage 75 % – 25 % ? Il faudra en débattre, y compris avec les acteurs économiques, mais je me suis permis d’anticiper ainsi la discussion.

Toutefois, compte tenu de la difficulté de remettre en cause un équilibre récemment défini pour le cofinancement du deuxième pilier de la PAC, nous nous sommes rapprochés de l’Espagne et du Portugal, nos partenaires les plus intéressés, avec nous, par cette question, pour définir ensemble une position commune sur le POSEIDOM que nous défendrons lors du Conseil informel qui doit se tenir en Irlande à la fin de ce mois. Nous devrions y parvenir.

Je rappelle que le déblocage de 40 millions d’euros destinés à soutenir la banane s’est fait à l’initiative de la France, avec l’appui de l’Espagne et du Portugal, qui partageaient nos objectifs. Il nous faut maintenant travailler avec ces deux pays à un plan en faveur de l’économie durable de la filière bananière, car si le POSEIDOM établissait à l’origine un lien étroit entre le volume de la production et le montant des aides publiques, ce n’est plus exactement le cas aujourd’hui.

Je ne sais pas précisément quelle forme M. Dacian Cioloş, commissaire européen à l’agriculture, entend donner à la consultation publique qu’il compte lancer mais je sais qu’il a prévu de se rendre à La Réunion et aux Açores après le Conseil informel. Nous suivrons ces travaux avec attention, tout en continuant de nous concentrer sur les objectifs que j’ai rappelés.

Pour ce qui est de la question foncière, notamment à Mayotte, j’ai besoin d’un peu de temps pour déterminer comment articuler au mieux les besoins en terres agricoles et les nécessités de l’urbanisation - un exercice particulièrement délicat dans les outre mer. Et si diversification des productions agricoles il y a, nous devrons aussi définir l’affectation des terres, comment se fera la distribution et la régulation du foncier. La situation différant selon les départements, des mesures spécifiques devront être prises, qui supposent dialogue et écoute préalablement aux arbitrages.

En résumé, une évolution sera nécessaire et pour ce qui touche à l’équilibre de l’affectation des fonds européens et pour ce qui concerne la gouvernance globale. Le commissaire Cioloş va lancer une consultation publique sur l’avenir de certaines filières ; nous suivrons ces travaux avec vigilance.

M. Patrick Lebreton. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être venu répondre à certaines de nos préoccupations. Selon l’avant-projet qu’il présente comme un brouillon, le commissaire Dacian Cioloş envisage de réformer le POSEI, notamment en découplant les aides. Cela a suscité la préoccupation du monde agricole des outre mer, et ce dimanche encore M. Jean-Yves Minatchy, ancien président de la chambre d’agriculture de La Réunion, s’est dit inquiet que l’on puisse accepter de lâcher la proie pour l’ombre. Diversifier les productions ne peut se concevoir si l’on ne dispose pas, pour commencer, d’une production pivot ; à La Réunion, c’est la canne, une filière qui fait vivre, directement ou indirectement, plus de 10 000 personnes.

La question des retraites agricoles est un autre sujet de préoccupation, constant, dans les outre-mer, singulièrement à La Réunion. Je l’ai évoqué dans la proposition de loi tendant à réformer l'allocation de solidarité aux personnes âgées dans les départements et les collectivités d'outre-mer que j’ai déposée lors de la précédente législature. Je faisais valoir que les sommes versées à ce titre sont récupérables par l’État au décès de l’allocataire si l’actif net de la succession dépasse 39 000 euros. Or, les exploitants ultramarins qui n’ont pas suffisamment cotisé pour bénéficier d’une pension de retraite correcte étant très nombreux, ils sont contraints de demander en grand nombre le bénéfice de cette allocation. Les statistiques à ce sujet sont éclairantes : en métropole, 3 % de la population est concernée, et 33 % à La Réunion. Si les retraites agricoles demeurent aussi insuffisantes qu’elles le sont actuellement, les retraités faiblement pensionnés n’auront que deux issues possibles : demander l’allocation de solidarité en sachant qu’ils contraignent de ce fait leurs héritiers à vendre ensuite le patrimoine familial, ou s’y refuser pour ménager leurs enfants, et s’appauvrir. Comment continuer de les obliger à ce choix impossible ?

M. le ministre. Je vous le dit tout net : autant je suis disposé à me pencher sur la répartition des aides, autant je suis défavorable au « brouillon » de la Commission européenne tendant au découplage des aides versées outre-mer. Je préfère travailler à la structuration des filières plutôt que sur l’hypothèse d’un découplage dont on voit aujourd’hui les conséquences néfastes en métropole pour d’autres productions et pour l’élevage. Mieux vaut un système d’aide à l’organisation de la production.

Les deux grandes productions ultramarines, la canne et la banane, sont des productions structurantes et je suis parfaitement conscient de la nécessité de les soutenir. Dans un contexte de budget inextensible, il s’agit, sans les fragiliser, de ventiler différemment une partie de l’enveloppe globale des aides pour diversifier les productions. Je souligne que la question de la redistribution se posera également en métropole quand je proposerai de majorer la prime versée aux 50 premiers hectares et de modifier le mécanisme historique des droits à paiement unique pour en venir à la convergence des aides. La redéfinition du POSEIDOM ne doit pas consister à remettre en question l’équilibre économique de filières qui fonctionnent mais satisfaire le double objectif du maintien de ces filières et du développement de la diversification. Les filières structurantes existantes doivent demeurer le pivot autour duquel s’organiser, au terme d’un débat qui permettra de fixer des perspectives aux agriculteurs qui veulent s’installer. L’enjeu majeur est la structuration des filières, ce pourquoi il faut conserver le POSEIDOM sans en venir au découplage des aides.

Le Président de la République a pris un engagement relatif à l’amélioration des retraites agricoles en général. Parce que les pensions servies outre-mer sont plus basses encore qu’en métropole, des personnes qui pourraient prétendre à la retraite maintiennent leur activité, ce qui a pour effet d’empêcher l’installation de jeunes agriculteurs. Par ailleurs, vous comprendrez que je ne puisse prendre d’engagement à propos du financement global des pensions de retraite ; les décisions dépendront des conclusions de la conférence sociale.

M. Ibrahim Aboubacar. Je suis parfaitement conscient que la problématique de l’agriculture à Mayotte n’est pas la même qu’en Guadeloupe, à la Martinique ou à La Réunion. Une instance d’élaboration du programme de développement rural de Mayotte est à l’œuvre, qui travaille d’arrache-pied ; je participe à ses travaux autant que faire se peut. Il s’agit de définir des priorités et de redéfinir une stratégie agricole pour Mayotte.

Au-delà des retraites, c’est l’intégralité de la protection sociale dans le secteur agricole qui est à bâtir à Mayotte. Plus largement encore, la question de l’emploi agricole demande à être clarifiée, certains dispositifs appliqués dans d’autres départements d’outre-mer ne s’appliquant pas actuellement à Mayotte.

À partir du 1er janvier 2014, la fiscalité de droit commun s’appliquera aussi dans l’île au foncier agricole. Étant donné la situation du foncier à Mayotte, le ministère de l’agriculture devra veiller attentivement aux nouvelles impositions que le ministère du budget est en train de déterminer.

Nous avons hérité de l’époque coloniale une tradition d’exportation d’ylang-ylang et d’autres plantes à parfum. Il convient de définir dans le programme de développement rural en cours d’élaboration l’évolution stratégique de ces cultures – également pratiquées à Madagascar et aux Comores –, traitées dans le passé dans le cadre du système de stabilisation des recettes d'exportation (Stabex) avec un résultat pour le moins mitigé.

La production agricole de l’île n’est pas suffisamment quantifiée, ce qui constitue l’une de nos préoccupations : Mayotte compte 15 000 ménages censés avoir des revenus agricoles, mais seuls 2 000 agriculteurs sont répertoriés à la chambre d’agriculture. Quoiqu’il en soit, la production agricole locale tient un rôle de tout premier plan dans l’alimentation de la population, rôle qui n’est pas valorisé faute de statistiques. C’est dire l’importance de la structuration des filières ; je viendrai donc approfondir ces sujets au ministère avec beaucoup d’intérêt.

M. le ministre. Un débat spécifique aura lieu, visant à faire le point sur les axes stratégiques à définir et à mettre en œuvre pour l’agriculture mahoraise. La DAAF se chargera de l'établissement et de la diffusion des statistiques. Je mesure toute la place de l’agriculture dans l’économie du département et dans la consommation locale. Tout cela sera discuté et le projet de loi d’avenir comportera un chapitre spécifiquement consacré à la construction du modèle agricole mahorais.

M. Jean Jacques Vlody. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir réaffirmé avec détermination votre avis défavorable au découplage des aides. Le POSEI est en effet indispensable au maintien de nos filières.

Les retraites agricoles posent un grave problème. Leur niveau, à La Réunion, est excessivement bas au regard de ce qu’il est ailleurs sur le territoire national. Cela tient d’abord à la géographie : l’exiguïté de notre île fait que la superficie moyenne des exploitations – de 7 à 8 hectares – n’a rien à voir avec ce qu’elle est en métropole. Or les cotisations de retraite étant calculées en fonction de la superficie des exploitations pondérée par l’activité, elles ne peuvent jamais être à La Réunion du même niveau que les cotisations versées en métropole. D’autre part, un grand nombre d’actifs, n’ayant pas été déclarés, n’ont pas cotisé au régime de prévoyance. Enfin, les conditions climatiques régionales font que l’île subit des périodes cycloniques ou de fortes intempéries qui entraînent la perte d’une partie de la production agricole et, parfois, des années blanches en termes de revenus et donc de cotisations, ce qui oblige les agriculteurs à faire appel à la solidarité nationale par le biais des indemnisations pour catastrophe naturelle. Je suggère donc au Gouvernement, d’une part, de modifier le calcul des pensions de retraite outremer pour tenir compte de la géographie, d’autre part, de considérer, en termes de cotisations, les années réellement produites, selon des règles à négocier ; étant donné le risque cyclonique avéré, certains syndicats agricoles réclament que l’on prenne en considération, pour le calcul des pensions de retraite, les 20 ou 25 meilleures années de production.

Le débat sur la ventilation des aides publiques entre filières existantes et filières de diversification doit effectivement être ouvert sans tabou, de manière raisonnable et déterminée, car il en va du soutien de filières porteuses. On notera que cette option a déjà été évoquée dans quelques situations et qu’elle n’est pas complètement interdite en l’état. La seule interrogation réelle porte donc sur le financement du « hors filière » qui s’installe sur des territoires exigus. La réussite de l’agriculture réunionnaise tient à son organisation, très ancienne, en filières cohérentes, dans un esprit coopératif. Tout le problème est de veiller à ce qu’une nouvelle ventilation des aides ne déséquilibre pas des filières qui ont fait la preuve de leur succès. À cet égard, la filière porcine donne un exemple fâcheux. À La Réunion, c’est une filière organisée regroupant des exploitations de vingt à quarante truies. Mais un producteur hors filière, qui possède à lui seul de 250 à 300 truies, est en surproduction tous les trois à quatre ans et déséquilibre alors les prix et toute la structuration du marché. En résumé, il faut certes s’engager dans une nouvelle répartition des aides publiques, mais non sans préserver les filières existantes. Je rappelle que nous avons, en 2009, structuré la filière hortofruticole de La Réunion. La restauration collective lui donne un potentiel prometteur qu’elle n’avait pas précédemment faute, précisément, d’être organisée.

M. le ministre. Vous avez souligné que les bases de calcul des cotisations pour les pensions de retraite agricoles et les aléas climatiques amènent à poser la question de la mutualisation et de la solidarité. Cela suppose de définir comment améliorer le rendement du processus pour parvenir à des cotisations d’un niveau suffisant pour assurer de meilleures prestations et comment prendre en compte les aléas climatiques majeurs. Le débat est ouvert, et la question sera tranchée, en fonction des conclusions de la conférence sociale, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

L’enjeu actuel est de définir la ventilation entre les filières et les productions hors filière. Découpler les aides, comme l’envisage la Commission européenne, c’est distribuer le même montant à chacun, et rendre l’organisation en filières très difficile. Nous ne souhaitons pas déstabiliser des filières-pivots mais nous donner les moyens de développer des filières naissantes et débattre dans cette optique de l’équilibre de la répartition des aides, et de leur redistribution. C’est ce qui a été fait à La Réunion, et cela a eu pour résultat un taux de couverture de 70 % des besoins locaux en fruits et légumes frais – et le tourisme offre de nouveaux débouchés aux productions locales. Nous devons agir courageusement, et c’est pourquoi j’ai tenu à venir évoquer avec vous les objectifs que nous visons.

M. Gabriel Serville. J’approuve, monsieur le ministre, la déclinaison en trois axes de votre projet de modernisation de l’agriculture : elle est de bon sens. Cependant, s’agissant de la Guyane, certaines spécificités ne peuvent être méconnues. L’agriculture guyanaise emploie 16 % de la population active et représente 5 % de notre PIB, mais elle connaît des problèmes de tous ordres. En premier lieu, les particularités du climat et du sol amazoniens font que la production est faible. De plus, elle fait face à la concurrence aiguë des productions importées, notamment des pays frontaliers. Ensuite, malgré les efforts engagés pour augmenter la surface agricole utile, celle-ci n’est que de 23 200 hectares pour une superficie totale de 85 000 km², ce qui est très peu. Cela résulte en grande partie de la complexité et de la lenteur de la procédure d’obtention des terres, qui décourage les meilleures volontés et dissuade les agriculteurs qui voudraient s’installer de le faire. Une très grande partie des terres de la Guyane appartient au domaine public. Puisque la Garde des sceaux évoque l’hypothèse d’une nouvelle politique foncière outre-mer, ne faudrait-il pas considérer la simplification de la procédure d’acquisition des terres comme la base minimale de cette évolution ? Si tel n’est pas le cas, nous nous retrouverons dans la même situation qu’en 1975, quand le « plan vert » de mise en valeur agricole de la Guyane a suscité de graves difficultés. Parce que je ne souhaite pas voir les mêmes erreurs se répéter à 37 ans d’intervalle, j’aimerais savoir quelles mesures vous prendrez, monsieur le ministre, pour permettre que les terres guyanaises soient plus facilement mises à la disposition de ceux qui en font la demande – c’est un préalable indispensable à la modernisation de notre agriculture.

M. le ministre. Le lien que vous avez fait avec les propos de la Garde des sceaux me paraît ténu mais votre question a tout son intérêt. La surface agricole utile en Guyane est effectivement très faible, et le POSEI l’est aussi. Nous devons recenser les freins au développement de l’agriculture pour les lever, ce qui implique aussi de définir l’avenir de la forêt. Mais tout cela ne peut se concevoir que si, dans le même temps, on fixe à l’agriculture guyanaise encore embryonnaire des objectifs stratégiques précis : il n’y aurait rien de pire que de donner des terres en laissant penser que tout serait ainsi réglé, si les débouchés des productions agricoles ne sont pas assurés. S’agit-il de répondre aux besoins du seul marché local, ou également d’exporter vers le reste du continent, en dépit des obstacles naturels, que la prochaine construction d’une route et d’un pont devrait atténuer ? Je le redis, toutes les propositions seront les bienvenues, et nous aurons l’occasion d’en rediscuter, car nous nous donnerons les moyens de faire quelque chose en Guyane.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être venu évoquer avec nous les questions qui se posent à nous, et dont la diversité ne facilitera pas la tâche de nos courageux rapporteurs.

L’audition prend fin à 18 heures 30.