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Délégation aux Outre-mer

Mardi 11 juin 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint, de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement, ainsi que de plusieurs représentants des filières agricoles ultramarines : M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique), M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre), M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins de Guyane), M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane), M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage), accompagné de M. Georges Magdeleine, M. Fabrice Monge et M. Bruno Wachter, représentants d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture), M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole « Les Alyzées » (société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes) et M. Fred Alexandre Petrus, responsable de la société d’intérêt collectif agricole SICAPAG (société guadeloupéenne de productions agricoles, spécialisée dans les fruits, les légumes, les plantes aromatiques et les fleurs)

La séance est ouverte à 16 heures 45.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

La délégation aux Outre-mer reçoit en audition M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint, de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement, ainsi que de plusieurs représentants des filières agricoles ultramarines :

– M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique) ;

– M. Philippe Labro, président du Syndicat du sucre de La Réunion ;

– M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre) ;

– M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins de Guyane) ;

– M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane) ;

– M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage), accompagné de M. Georges Magdeleine ;

– MM. Fabrice Monge et Bruno Wachter, représentants d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture) ;

– M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole : « Les Alyzées » (société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes) ;

– M. Fred Alexandre Petrus, responsable de la société d’intérêt collectif agricole SICAPAG (société guadeloupéenne de productions agricoles, spécialisée dans les fruits, les légumes, les plantes aromatiques et les fleurs).

Mme Huguette Bello, vice-présidente de la Délégation. Nous vous remercions, madame, messieurs, d’avoir accepté de participer à cette audition qui s’inscrit dans le cadre des travaux de la Délégation sur l’agriculture. Le 26 février 2013, nous avons désigné deux rapporteurs – Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, qui malheureusement ne pourra pas participer à cette audition, et M. Hervé Gaymard, député de Savoie – qui nous remettront dans quelques mois un rapport d’information sur le sujet.

Dans le cadre de nos auditions, nous avons déjà entendu, le 26 mars, M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, et, le 14 mai, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Nous recevons aujourd’hui M. Gérard Bally, délégué général d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint, de M. Emmanuel Detter, consultant, de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement, ainsi que de plusieurs représentants des filières agricoles ultramarines. Il s’agit de M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique) ; de M. Philippe Labro, président du Syndicat du sucre de La Réunion ; de M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre) ; de M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins de Guyane) ; de M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane) ; de M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage), accompagné de M. Georges Magdeleine ; de MM. Fabrice Monge et Bruno Wachter, représentants d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture) ; de M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole : « Les Alyzées » (société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes) et enfin, de M. Fred Alexandre Petrus, responsable de la société d’intérêt collectif agricole SICAPAG (société guadeloupéenne de productions agricoles, spécialisée dans les fruits, les légumes, les plantes aromatiques et les fleurs).

M. Gérard Bally, délégué général d’EURODOM (association de promotion des territoires ultramarins). J’ai souhaité me présenter devant vous accompagné d’un certain nombre de représentants des filières d’exportation et de diversification afin de vous offrir un éclairage le plus complet possible de la situation de l’agriculture outre-mer et de vous faire part de nos réflexions en matière de développement agricole.

En 1993, lorsque l’Acte unique a ouvert les frontières de l’Europe, nombre de nos productions, en particulier les filières animales de La Réunion, la banane et le rhum, existaient en dehors de tout assistanat. L’organisation nationale du marché de la banane rapportait beaucoup d’argent à l’État français. La banane de Guadeloupe et de Martinique partageait le marché français avec la banane d’Afrique. Les importations de « bananes dollar » étaient organisées chaque année par un organisme unique et les bonis du Groupement d’intérêt économique de la banane (GIEB) étaient versés au Trésor. Le marché était protégé, mais nous n’étions pas subventionnés.

Lorsque survenait un cyclone, il y avait plus d’argent en réserve qu’il n’en fallait pour financer la réparation des dégâts causés par cette calamité. En 1969, les filières animales de La Réunion ont créé une interprofession qui fonctionnait de manière remarquable. Mais dès le 1er janvier 1993, le dispositif, n’étant pas compatible avec la libre circulation des biens imposée par l’Union européenne, a été abandonné. Nous sommes alors devenus des assistés. La Commission européenne nous a contraints à accepter des subventions substantielles, voire très substantielles en ce qui concerne la banane, pour combler la différence entre nos coûts de production et ceux de nos concurrents directs sur le marché européen.

Les générations se sont succédées à la Commission européenne et dans les administrations nationales et aujourd’hui, on nous reproche d’être des assistés qui profitent des deniers publics et on nous demande de nous restructurer et de redéfinir notre mode de développement.

S’il y a une chose dont chaque personne présente autour de cette table est dépourvue, c’est bien du complexe de la subvention. Il était utile de le rappeler. Il est assez désagréable d’expliquer à des commissaires européens que nous avons toujours besoin de ce différentiel puisque les coûts de production dépendent toujours en grande partie de la main-d’œuvre et que celle-ci, dans les pays concurrents de la banane communautaire, est rémunérée 20 ou 30 fois moins bien que dans nos régions.

L’assistanat n’a donc jamais été pour nous une condition première pour produire, commercialiser et créer des emplois, mais nous avons été projetés dans un système qui nous soumet à des paradigmes différents.

Nos deux grandes cultures d’exportation sont le rhum et le sucre, issus de la canne à sucre, et la banane dont nous exportons chaque année plusieurs centaines de milliers de tonnes. Grâce aux subventions qu’elles reçoivent, ces cultures destinées à l’exportation résistent bien. Elles créent beaucoup d’emplois et nous ont permis de mettre en place des cultures de diversification animales et végétales.

Influencés par la Commission européenne, en particulier le commissaire Ciolos, le ministre de l’agriculture et un certain nombre de hauts fonctionnaires qui s’interrogent sur l’avenir agricole de nos régions, nous en sommes arrivés à considérer la diversification comme une perspective considérable de développement que nous n’avons pas suffisamment exploitée au cours des dernières décennies.

Depuis que je travaille à Bruxelles, c’est-à-dire depuis 25 ans, nous avons produit dans nos régions des cultures que nous avons ensuite abandonnées : c’est le cas des aubergines, avocats, limes, melons, tomates, agrumes, carottes, oignons, fleurs et ananas. Ces dix productions ont été exportées, pour certaines dans des volumes considérables – entre 50 000 et 80 000 tonnes pour l’ananas et l’aubergine, mais cette dernière a été victime d’une maladie et nous ne disposions pas des produits phytosanitaires qui auraient permis de préserver sa culture ; pour ce qui est de l’avocat, nous avons été pris en tenaille entre les productions d’Afrique du Sud et d’Israël.

La production de la lime a été victime de la concurrence de l’île de la Dominique et des pays latino-américains, celle du melon de la concurrence de très nombreux pays et la tomate a été atteinte d’une maladie. Elle est toujours cultivée en Guadeloupe et sous serre à la Martinique. À La Réunion, les carottes et les oignons cultivés sur place couvraient 90 % des besoins en produits frais, mais ils ne sont plus produits localement.

Les fleurs coupées ont totalement disparu du paysage industriel de Martinique et de Guadeloupe depuis les fameux règlements « cocaïne » pris en 1989 pour aider les pays latino-américains à lutter contre les cultures liées à la drogue. Ensuite l’ouverture des frontières a entraîné la disparition d’un certain nombre de produits.

En dépit de ces quelques échecs, la diversification se porte très bien, tant dans les filières de production animale que végétale, et assure l’approvisionnement en produits frais de nos régions avec des taux de couverture tout à fait acceptables, contrairement à ce que l’on entend dire ici ou là.

M. Georges Magdeleine, membre du groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage. La Réunion est un bon un exemple de la réussite de notre agriculture et cet exemple doit être reproduit dans tous les départements et territoires d’outre-mer.

Un certain nombre d’éléments expliquent cette réussite : la structuration des filières, l’engagement des hommes, leur langage commun, leurs ambitions partagées, la présence d’un encadrement technique de qualité, l’existence d’outils de transformation, la maîtrise des producteurs à tous les échelons des filières, le professionnalisme des producteurs. À ces atouts il faut ajouter les volumes produits, les taux de couverture, la qualité des produits proposés au consommateur et enfin la garantie des revenus agricoles, qui favorise l’installation des jeunes et la pérennisation des exploitations.

Les Réunionnais ont réussi à gagner des parts de marché supplémentaires, notamment grâce au projet Défi. Ils ont su maîtriser les coûts des intrants via les caisses de péréquation et ils participent, par le biais des contributions directes, au développement de leur territoire.

Voilà les mesures que les Réunionnais ont su prendre et qui les placent sur la voie de la réussite.

Mme la présidente Huguette Bello. La situation n’est pas aussi idéale que vous semblez le dire… Certes, 70 à 80 % des fruits et légumes que nous produisons sont consommés sur place, mais la culture de la canne à sucre reste dominante et ne pourra être pérennisée sur l’ensemble des terres malgré le basculement de l’eau de l’est vers l’ouest, car l’île est essentiellement couverte de terres volcaniques impropres à la culture de la canne à sucre. La vie est difficile pour les agriculteurs de La Réunion. Nous avons de très beaux produits – litchis, mangues, ananas – mais la filière exportation n’est pas organisée. Le Conseil général, dans les années 1980, a subventionné les agriculteurs, mais on voit encore des litchis sur les arbres faute d’avoir pu être exportés. Et il nous reste aussi beaucoup de progrès à faire dans le domaine de la transformation des produits.

M. Georges Magdeleine. Si tout était aussi brillant que nous serions amenés à le souhaiter, La Réunion serait différente de ce qu’elle est… Certes, il reste des progrès à faire en matière de diversification, mais dans le secteur de l’élevage, les Réunionnais réussissent mieux que les Guadeloupéens.

M. Philippe Labro, président du Syndicat du sucre de La Réunion. J’évoquerai la filière canne-sucre de La Réunion et les problématiques qu’elle rencontre avant d’aborder les complémentarités qui existent entre les différentes filières dans le modèle agricole réunionnais.

La France est le seul pays producteur de sucre de canne en Europe. Cette particularité française, nous la devons aux départements d’outre-mer qui produisent chaque année environ 280 000 tonnes de sucre, dont 75 % à La Réunion. Dans le même temps, la production européenne de sucre de betterave s’élève à 18 millions de tonnes. Notre production est donc soumise à une très forte concurrence.

À La Réunion comme en Guadeloupe, la filière canne à sucre est organisée en interprofession depuis 2007. Elle est donc totalement structurée. Les industriels qui transforment la canne pour produire du sucre ont le devoir d’acheter la totalité des cultures de canne à sucre que leur présentent les planteurs – dès lors que leur qualité est saine, loyale et marchande, comme le réclament les textes nationaux et européens.

Cette filière est le pivot de l’agriculture de La Réunion. L’île est un territoire contraint : sa superficie ne dépasse pas 250 000 hectares, dont les deux tiers sont occupés par le volcan et les cirques, ce qui est peu propice aux activités humaines. Pour vivre, travailler, se développer et se transporter, les Réunionnais sont confinés sur les côtes. L’île compte près de 45 000 hectares de terres cultivées, dont 24 000 hectares, soit un peu moins de 60 %, sont consacrés à la canne à sucre.

En valeur, la production agricole de La Réunion représente près de 400 millions d’euros, répartis équitablement entre la canne à sucre, les filières de diversification végétale et les filières animales. Si l’on intègre les activités de transformation, le sucre pèse naturellement d’un poids plus conséquent.

La Réunion connaît un taux de chômage supérieur à 35 %, qui atteint 60 % chez les jeunes. La filière canne-sucre représente 12 000 emplois, soit 5 % de l’emploi total sur l’île et 10 % des emplois marchands, mais il est vrai que les collectivités locales et la fonction publique emploient un grand nombre de personnes.

Le taux de couverture de nos échanges extérieurs est de 6,5 % – il était de 90 % en 1946. Les importations se sont considérablement développées depuis cette époque, tandis que nous exportons peu de produits. Le sucre représente 50 % en valeur et 80 % en volume des exportations totales de la production endogène, mis à part les déchets et les véhicules qui transitent sur l’île avant d’être réexportés à Mayotte.

Si nous parvenons à ces résultats – pour avoir voyagé au Brésil, au Mozambique, en Tanzanie, je peux en témoigner – c’est que La Réunion est extrêmement performante. Nous bénéficions de la présence d’eRcane qui est un centre de recherche parmi les cinq meilleurs au monde en matière de sélection variétale. Le niveau de performances industrielles est également excellent. Aucune des sucreries du groupe Tereos n’est capable de l’atteindre, tant en ce qui concerne les rendements industriels que la qualité de la production.

Le marché local de La Réunion ne représentant que 800 000 consommateurs, nous exportons 93 % de notre production de sucre, et ce uniquement en Europe. La moitié de la production de sucre est destinée à être consommée en l’état. Il s’agit de sucre « haut de gamme », à forte valeur ajoutée, appelé parfois sucre de spécialité. Cette production, constituée de 200 à 250 000 tonnes correspondant à l’appellation « sucre de canne roux », couvre la moitié du marché européen, le reste étant constitué de sucre de betterave. Nos principaux concurrents sont les Mauriciens et nous avons peu d’espoir de développement car aucun client n’accepte de ne dépendre que d’un seul fournisseur. Cela dit, nous sommes bien positionnés et nous avons une dizaine d’années d’avance sur la concurrence, ce que nous maintenons en investissant énormément, tant dans la recherche et développement que dans les installations physiques. Nos investissements sont presque trois fois plus élevés que ceux des grands groupes sucriers européens.

La deuxième moitié de notre production est destinée à être exportée en vrac dans des bateaux pour être transformée en sucre blanc dans les raffineries portuaires européennes. Lorsqu’elle est transformée en sucre blanc, nous n’avons plus aucun moyen de différencier notre production des 18 millions de tonnes de sucre de betterave produits en Europe.

Face à cette concurrence, jusqu’à présent, le système des quotas interdisait aux producteurs européens de dépasser un certain volume, ce qui laissait la place au sucre des départements d’outre-mer. Mais la prochaine réforme de l’organisation commune de marché (OMC) va démanteler le système des quotas. Le démantèlement interviendra en 2015, en 2017, ou en 2020, et dès lors nous nous retrouverons en pleine concurrence, sur la moitié de notre production, avec la production européenne.

En 2005, lorsque les règles de l’OCM actuellement en vigueur ont été mises en place, les deux sucreries de La Réunion produisaient en moyenne 100 000 tonnes chacune, soit 200 000 pour le département. À l’époque, les sucreries de l’Union européenne produisaient en moyenne 110 000 tonnes de sucre.

La réforme mise en place en Europe consistait à baisser fortement les prix du sucre afin d’obliger les sucreries les moins compétitives du continent à fermer. Cela a bien fonctionné puisque 42 % des sucreries européennes ont fermé, entraînant le licenciement de 51 % du personnel, et les sucreries restant en vie ont fortement augmenté leur production.

À La Réunion, sur les 150 sucreries qui existaient il y a 50 ans, deux seules subsistent. Nous sommes passés depuis 2005 de 100 000 à 105 000 tonnes de sucre par unité de production, soit 210 000 tonnes au total. Dans le même temps, la production européenne passait de 110 000 à 170 000 tonnes, et celle de la France à 192 000 tonnes. Aujourd’hui, nos sucreries sont deux fois plus petites que celles de nos concurrents.

Le système d’aides mis en place en 2005 est entièrement orienté vers les planteurs réunionnais. Sur l’ensemble des aides attribuées à la filière, celles qui relèvent du POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) et des aides nationales s’élèvent à 112 millions d’euros par an. Une petite partie de cette somme – près de 18 millions d’euros – sert à compenser les surcoûts liés à l’éloignement puisque notre marché obligatoire se trouve en Europe dont nous sommes éloignés de près de 10 500 km.

En revanche, le handicap dû au fait que nous répartissons la plupart de nos coûts sur une production de 100 000 tonnes (le sucre de spécialité) – pendant que l’Europe produit 200 000 tonnes – ne fait l’objet d’aucune compensation. Les aides qui transitent par les industriels sont reversées sous forme de soutien au prix de la canne à sucre et d’aides au développement à destination des planteurs.

Ces aides sont-elles justifiées ? Certains se posent la question. La surface agricole moyenne à La Réunion, pour les 3 500 exploitations agricoles de cannes à sucre, est de 7,5 hectares, soit la moitié de la surface moyenne de la production de betteraves, qui se situe entre 15 et 20 hectares. Sauf que la betterave ne représente que 20 à 25 % de l’activité des producteurs, qui dans la plupart des cas cultivent également des céréales.

Si nous divisons les 112 millions d’euros d’aides par les 12 000 emplois de la filière, nous parvenons à un chiffre de 9 000 euros par emploi, pour des personnes qui cultivent 7,5 hectares. Le chiffre équivalent pour les céréales avoisine les 30 000 euros pour des personnes qui cultivent une centaine d’hectares.

Quels sont les revenus des agriculteurs réunionnais ? Sachant qu’ils cultivent 7,5 hectares, avec un rendement de 75 tonnes à l’hectare, si nous exprimons le bénéfice de leur exploitation en le rapportant au SMIC, nous parvenons à un salaire situé entre 1,2 fois et 1,4 fois le SMIC. Il est extrêmement difficile, dans ces conditions, d’expliquer aux planteurs que l’on va diminuer leur revenu. C’est pourtant ce à quoi conduirait la diminution des aides. C’est un vrai problème.

En 2005, les pouvoirs publics français et européens nous avaient demandé de dépasser la barre des 2 millions de tonnes de canne à sucre. Nous avons tout fait pour y parvenir, mais nous nous sommes heurtés au maintien du foncier agricole. Si nous avions conservé les 26 000 hectares disponibles à l’époque, compte tenu des rendements des nouvelles variétés de canne, nous aurions déjà dépassé cet objectif de 2 millions de tonnes.

La marge de croissance existe, mais compte tenu de l’importance des aides publiques dans le revenu des planteurs – 45 euros sur 80 pour une tonne de canne – il ne leur resterait plus, au-delà d’un certain seuil, que la partie payée par l’industriel, soit 17 euros, et la fameuse prime énergie-bagasse, de l’ordre de 13 euros. Leur revenu tomberait alors à 30 euros, ce qui serait inférieur au coût marginal de production.

Pour ce qui est de la complémentarité entre les filières, 20 % des agriculteurs canniers pratiquent également la diversification végétale et animale, à laquelle ils consacrent 10 % des surfaces exploitées.

Cela dit, les filières animales, pour pouvoir se développer, doivent épandre les effluents d’élevage. Ceux-ci sont répandus à 100 % dans les champs de canne. Mais les effluents des élevages de volailles ne peuvent être épandus en surface et le sont donc uniquement au moment de la replantation. La diminution des surfaces et des replantations limite donc le développement des filières animales.

Concernant les filières végétales, le président de l’interprofession diversification végétale nous expliquait récemment qu’il ne pourrait se contenter de produire des fruits et des légumes parce que les banques n’acceptent de lui prêter de l’argent que s’il cultive de la canne à sucre et que celle-ci lui fournit 80 % de son revenu. Cette réticence des banquiers s’explique par plusieurs motifs : si un cyclone survient, dans le pire des cas il endommage 20 % de la production de canne, ce qui signifie que l’agriculteur conserve 80 % de son revenu ; si le cyclone passe au-dessus de productions de tomates, de carottes ou de mangues, l’agriculteur perd 100 % de son revenu et son exploitation n’existe plus l’année suivante ; en outre, la culture de la canne garantit à l’agriculteur qu’il écoulera 100 % de sa production, taux qu’aucune production végétale ou animale ne peut atteindre. Les cultures de carotte et d’oignon, qui ont été très affaiblies par une maladie, ont beaucoup de mal à retrouver leur place sur le marché. Enfin, le prix de la canne est garanti pour l’ensemble de la période par la part versée par l’industriel et les compléments d’aide d’État, ce qui n’est pas le cas pour les autres productions.

Nous consommons à La Réunion 124 000 tonnes de fruits et légumes, dont 87 000 sont produites localement, ce qui représente 70 % de notre consommation. Nous incitons les filières animales à récupérer une partie de la production. Nous ne mangeons pas uniquement des bananes et des ananas, mais également des pommes et des poires qui, elles, ne sont pas produites dans l’île. Si les filières animales récupéraient un tiers des importations, nous pourrions passer à 100 000 tonnes produites localement, soit un progrès de 10 à 15 %. La Réunion compte actuellement 7 000 hectares de terres en friche, qui pourraient s’ajouter aux 2 000 hectares que nous avons remis en culture au cours des cinq dernières années. Si nous pouvions consacrer 1 000 hectares pour moitié à la canne et pour moitié aux filières de diversification, nous atteindrions aisément les 100 % de la consommation locale, ce qui permettrait de créer une centaine d’emplois.

J’ai moi-même dirigé plusieurs entreprises de transformation industrielle, dont la chocolaterie Mascarin. J’ai produit des glaces et des sorbets, mais j’ai dû stopper mon activité à cause de la taille insuffisante du marché local. Ce handicap, en termes d’économies d’échelle, est impossible à surmonter. Il n’y a de la place à La Réunion que pour l’entreprise Royal Bourbon. Si nous avions poursuivi notre activité, celle-ci aurait coulé.

Ce problème est de plus en plus important, car plus l’évolution de la technologie s’accélère, plus il faut pouvoir investir rapidement. Or, nous sommes handicapés par les coûts d’investissement. J’ai voulu fabriquer des sucres en dosettes. La plus petite machine, que j’ai trouvée en Italie, correspondait à un marché douze fois supérieur au marché réunionnais. Et nous rencontrons ce problème dans toutes les activités de transformation industrielle. Face à cela, nous devons faire attention de ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

M. Thierry Robert. Je suppose qu’en 2013 il existe des usines capables d’adapter leurs produits aux besoins réels d’un territoire. Selon vous, il n’existerait pas à travers le monde une entreprise susceptible de fournir le matériel adapté à la fabrication du sucre en dosettes à La Réunion ?

M. Philippe Labro. Non, car peu de territoires se trouvent dans le même cas que La Réunion, où nous n’avons pas de continuité territoriale. N’importe quel producteur européen de sucre produit pour l’ensemble du marché européen – la production européenne de sucre s’élève à 18 millions de tonnes. Nous nous sommes rapprochés d’un pays comme l’Afrique du Sud, mais son marché intérieur ne représente jamais que 15 fois celui de La Réunion. Le plus intéressant pour nous est de travailler avec les Mauriciens pour conquérir des activités sucrières en Afrique de l’Est, au lieu de nous faire la guerre sur le marché européen. Cette collaboration fonctionne bien. Elle permet de valoriser les savoir-faire réunionnais et de maintenir le niveau de qualification de nos ingénieurs. Notre production de 2 millions de tonnes de cannes à sucre ne suffit pas pour amortir la recherche réalisée par eRcane à La Réunion. C’est pourquoi nous avons dû nous rapprocher de deux ou trois sucriers africains.

Tous les secteurs sont confrontés au problème de la transformation industrielle. Je prendrai l’exemple des coupeuses de canne. Nous souhaitons naturellement développer la mécanisation, mais il n’existe pas de coupeuse adaptée à notre territoire car 70 % de nos sols ont un PH faible à très faible – cette forte acidité est d’ailleurs très favorable à la canne à sucre. Nous avons donc importé des coupeuses d’Afrique du Sud que nous avons adaptées aux besoins locaux, ce qui a nécessité trois à quatre ans de travail et induit d’importants coûts de développement. Les fabricants de matériels agricoles sont allemands, italiens, espagnols ou brésiliens. Le groupe Tereos possède sept sucreries au Brésil, où leur taille moyenne est deux fois et demie supérieure à celles de La Réunion. Il n’existe pas dans le monde de matériels adaptés à d’aussi petites séries.

Le problème s’est accru avec le développement de la grande distribution, car celle-ci impose leur marge aux producteurs. Pour les confitures et les chocolats de ma fabrication, chacune des cinq chaînes de la grande distribution nous ont demandé des produits spécifiques, nous obligeant à mettre en place cinq process différents. En Europe, cela pose peu de problèmes aux producteurs qui, en échange de la marque du distributeur, demandent aux grandes chaînes de présenter leurs produits dans toute la France. C’est impossible à La Réunion puisque pour survivre, nous devons être présents dans l’ensemble de la grande distribution.

M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique). La filière banane en Guadeloupe et en Martinique a une longue histoire. En 1965, le Général de Gaulle a réparti le marché français entre les productions d’Afrique et des Antilles, ce qui a protégé la filière jusqu’en 1992. Dès l’ouverture des frontières et la mise en œuvre des nouvelles règles de commerce, la filière a été confrontée à la compétition internationale, en particulier à la concurrence des bananes d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud que l’on appelle « bananes dollar ».

Cette nouvelle donne a provoqué un séisme important dans la filière. Un grand nombre de planteurs ont disparu, les plantations ont été restructurées et notre modèle de production de bananes totalement remis en cause. En 2003 a été mise en place une organisation unique pour la commercialisation et la promotion de la banane de Guadeloupe et de Martinique sur le marché européen. Cette nouvelle organisation a donné lieu, en amont de la production, à la création de deux groupements de producteurs, l’un en Guadeloupe, l’autre en Martinique, qui encadrent près de 700 planteurs, et, en aval, à la mise en place d’une organisation de commercialisation et de promotion, l’Union des groupements. Elle a permis de développer l’Institut technique de la banane, devenu depuis l’Institut technique tropical, qui joue un rôle de passerelle entre la recherche fondamentale effectuée par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et les planteurs.

La banane de Guadeloupe et de Martinique est engagée, depuis 2008, dans ce que l’on appelle l’agro-écologie au ministère de l’agriculture et que nous appelons aussi le Plan banane durable. Ce plan était nécessaire car les pratiques culturales des Antilles ont permis pendant longtemps l’utilisation du chlordécone, ce célèbre insecticide qui, bien qu’autorisé jusqu’en 1993, a pollué durablement les sols martiniquais. Les planteurs ont réagi en démarrant une production d’excellence qui fait de la banane de Guadeloupe et de Martinique la production la plus vertueuse au monde, tant sur le plan du respect de l’environnement que sur celui du régime social des employés.

Aujourd’hui la filière est totalement structurée. J’en veux pour preuve l’acquisition, en 2009, d’un réseau de mûrisserie en France métropolitaine qui nous donne un accès direct au marché. Nous sommes à présent en mesure de développer un certain nombre de savoir-faire. Notre production est reconnue par une marque d’origine et elle est la seule production du monde à pousser en zone tropicale humide et dans le respect des réglementations française et européenne. C’est un atout considérable pour l’Europe, car partout ailleurs les productions bananières nécessitent l’apport d’un grand nombre de produits phytosanitaires ou utilisent des techniques totalement prohibées par notre réglementation. Nous pratiquons l’épandage aérien car nos cultures souffrent d’une maladie des feuilles, mais cette technique fait actuellement l’objet d’un débat et nous sommes la seule filière qui étudie la possibilité de recourir à des traitements alternatifs.

La mise en route du Plan banane durable a été difficile, d’autant qu’un événement climatique grave, le cyclone Dean, nous a obligés à replanter toute la bananeraie en Martinique, ce qui nous a donné l’occasion de développer de nouvelles techniques. Depuis deux ans, le volume de production de la filière a retrouvé sa croissance, notamment en Guadeloupe, où il est passé de 42 000 à 70 000 tonnes. Celui de la Martinique est revenu au niveau qu’il connaissait avant le cyclone. C’est une filière dynamique et l’absence de saisonnalité permet d’employer tout au long de l’année 6 000 salariés, dont 90 % en CDI. Dans leur grande majorité, les exploitations sont de petite taille – en moyenne 13 hectares – et pratiquent une agriculture familiale, mais il ne faut pas oublier qu’une exploitation de 10 hectares de bananes emploie dix salariés. Nous avons mis en place un accompagnement pour former ces salariés à l’évolution de la filière.

Le plan Banane durable, grâce aux aides pérennes du POSEI, offre aux producteurs la garantie d’une trésorerie régulière. Il a permis à nos territoires de se structurer et a amené de nouveaux planteurs à s’intéresser à la production de bananes et à la diversification, avec le soutien de l’Institut technique tropical. Et aujourd’hui de nombreux producteurs de bananes souhaitent accompagner la production de bananes, qui garantit un revenu régulier, d’activités de diversification dont les revenus sont plus saisonniers et aléatoires.

Après le passage du cyclone Dean, les producteurs ont mis en place un système vertueux consistant à laisser 20 % des sols en jachère pendant plus d’un an. Ce procédé a permis de réduire le recours aux insecticides et aux nématicides de 70 % depuis 1996 et de 50 % depuis la mise en place du plan Banane durable en 2008.

Nos concurrents colombiens, équatoriens, ivoiriens ou de République dominicaine n’exportent que les bananes de premier choix, réservant les bananes de second choix au marché local, qui représente plusieurs millions d’habitants. En Guadeloupe et en Martinique, les bananes de second choix, qui constituent 40 % de notre production, ne restent pas sur place : elles sont valorisées sur des marchés secondaires et des marchés de niche.

Nous avons exporté 250 000 tonnes de bananes l’année dernière et nous en exporterons 270 000 tonnes cette année. Les bananes sont transportées dans des containers frigorifiques qui, dans l’autre sens, approvisionnent la Guadeloupe et la Martinique en produits frais. La moitié d’entre eux repartent chargés de bananes, ce qui optimise le coût du fret.

Je le répète, nous sommes les seuls au monde à produire des bananes tropicales conformes aux réglementations européenne et française. Mais notre besoin en produits phytosanitaires, qu’ils soient destinés à de l’agriculture biologique ou conventionnelle, n’est couvert qu’à 35 %, ce qui signifie que, dans 65 % des cas, nous ne savons pas répondre à la maladie – et pour les autres cultures, ce taux de couverture est de 21 %. Pour les productions de diversification, dans 79 % des cas, nous n’avons pas de réponse phytosanitaire, ni biologique ni chimique. Ce phénomène est une véritable discrimination pour l’outre-mer et il est accentué en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane qui sont des zones tropicales humides. Ce n’est pas le cas pour La Réunion qui bénéficie en partie d’un climat tempéré.

Dans ces conditions, l’agriculteur qui rencontre un problème n’a que trois solutions : soit il laisse mourir sa production, ce qui se produit la plupart du temps, soit il détourne les usages des produits – ce qui présente certains risques – soit il utilise des produits interdits, ce qui arrive fréquemment en Guyane et aux Antilles.

Les producteurs qui choisissent la diversification et l’agriculture végétale, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, doivent d’abord se demander si cela est possible. Il faudrait par ailleurs faire évoluer les modes de consommation et demander aux habitants de Guadeloupe et de Martinique de cesser de manger des pommes de terre, des pommes, du raisin, des pêches, des nectarines, tout ce qui constitue les 62 % de la consommation de fruits et de légumes qui ne peuvent être produits localement.

Enfin, il s’agit d’un marché de taille très réduite que l’accroissement du nombre de producteurs déstabilise. Certaines productions sont tellement importantes que nous ne savons plus quoi en faire. Mais si nous importons des chrisophines et des aubergines, c’est que nous ne sommes pas en mesure de les produire tout au long de l’année.

La diversification n’est donc pas aussi simple à mettre en œuvre, et elle ne convient que pour de faibles tonnages.

Comment préfinancer les aides POSEI aux producteurs, les achats d’engrais et de produits phytosanitaires, faire en sorte que les produits n’arrivent pas tous au même moment sur le marché et soutenir la production de variétés adaptées à nos territoires ?

Nous travaillons avec les autres filières de production, dans le cadre d’échanges soutenus, en vue d’étendre les itinéraires culturaux que nous avons mis en place pour la banane. Nous avons organisé en novembre dernier une réunion regroupant les quatre départements d’outre-mer en vue de faire le point sur les produits phytosanitaires. Nous sommes désormais en mesure d’aider les filières de diversification à se développer.

M. Hervé Gaymard. Je m’intéresse à ces questions depuis près de 30 ans, à divers niveaux de responsabilité, et je peux témoigner des progrès qui ont été réalisés par les filières agricoles des outre-mer au cours des 25 dernières années, tant en ce qui concerne les cultures exportées que celles destinées à la consommation locale. Je tenais à le dire car nous entendons souvent un propos différent.

Les concertations organisées par le commissaire Ciolos ont fait resurgir certaines questions. Le programme POSEI, qui constitue l’un des volets de la PAC, doit-il devenir autonome ? Il est clair que nous sommes à la veille de certains bouleversements.

Mme Chantal Berthelot et moi-même avons été chargés par la Délégation de rédiger un rapport sur l’agriculture dans les outre-mer, rapport que nous remettrons à la fin du mois de septembre. Dans cette perspective, j’aimerais vous transmettre une série de questions qui seront évoquées dans le projet de loi sur l’agriculture et qui portent notamment sur les structures agricoles, le foncier, l’installation des jeunes, l’enseignement et la formation agricole outre-mer, le statut social des agriculteurs.

S’agissant du volet européen, je souhaite connaître vos « objectifs de guerre » à moyen terme afin de faire du lobbying efficace auprès du Parlement européen et de la Commission.

Je me souviens que lorsque j’étais ministre de l’agriculture, il nous a fallu déployer une énergie incroyable lors des négociations de l’OCM (Organisation commune des marchés) de la banane et du sucre.

M. Fabrice Monge, représentant d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture). Je centrerai mon propos sur les filières de diversification végétale en Guadeloupe.

La structuration de ces filières est relativement récente, contrairement à celle de la canne à sucre, qui est une culture ancestrale, et de la banane qui est cultivée depuis une centaine d’années. Cette structuration, initiée il y a à peine dix ans, a été réellement mise en place il y a 5 ou 6 ans. Les organisations de producteurs de Guadeloupe sont très récentes et presque toutes sont désormais agréées.

Malgré cela et contrairement à ce qui apparaît souvent dans les documents officiels et non officiels qui circulent en France et en Europe, cette structuration a vraiment eu lieu et a eu des effets très importants sur le marché local.

Depuis une dizaine d’années, et plus particulièrement depuis les événements de 2009, nous nous orientons vers l’autosuffisance alimentaire, ou, tout du moins, vers la couverture des besoins alimentaires de nos populations. Et si nous ne nous sommes pas encore orientés vers l’exportation, nous envisageons de le faire. Notre travail a porté ses fruits. Il demeure encore quelques progrès à accomplir : par exemple, en Guadeloupe et en Martinique, les populations consomment beaucoup de riz et de haricots rouges, mais nous ne savons pas les cultiver sur place. La culture du riz a été tentée à La Réunion, mais elle n’a pas été concluante.

Pour ce qui est des fruits et des légumes que nous sommes capables de produire sur place compte tenu de nos conditions climatiques et pédologiques, notre taux d’auto-approvisionnement avoisine les 100 %. Les statistiques présentées dans de nombreux documents intègrent aussi la pomme de terre, la pomme, la poire, le raisin, l’ail, l’oignon, le poireau... Tout cela est parfaitement légitime. Je ne vois pas pourquoi les Guadeloupéens et les Martiniquais n’auraient pas le droit de consommer ces fruits et légumes, sauf à interdire aux Bretons et aux Corréziens de consommer les fruits qui ne sont pas produits dans leur région ! Nous vivons dans un pays qui respecte la diversité : tout en cherchant à importer le moins possible, nous voulons consommer ce que nous avons envie de consommer.

Notre profession a fait un effort considérable et doit le poursuivre. Pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, nous avons besoin d’une surface comprise entre 400 et 600 hectares. Il convient de mettre ce chiffre en relation avec les 10 000 hectares de terres en friche dont nous disposons en Guadeloupe depuis une dizaine d’années, au mépris de la réglementation en vigueur.

Il nous reste des efforts à accomplir en matière d’agro-transformation des surplus. La transformation des aubergines ou des tomates nous permettrait de mieux maîtriser les prix et les quantités. Nous devons également envisager d’améliorer la qualité de nos produits.

Voilà quels sont nos objectifs.

La structuration de nos professions a pour but essentiel de garantir à notre population l’accès à des aliments de qualité, dont la traçabilité est assurée et qui ne comportent aucun risque sanitaire. Elle doit être poursuivie et intensifiée.

La concurrence entre les cultures dites traditionnelles d’exportation est souvent mise en évidence dans les documents européens. Or, cette concurrence n’existe pas. Aujourd’hui, les exploitations agricoles, petites et moyennes, pratiquent une polyculture mêlant intimement culture traditionnelle de la canne et diversification. Nous n’acceptons pas d’être mis en concurrence car nous sommes complémentaires, jusque dans les recherches. J’en veux pour preuve que l’Institut technique, qui à l’origine était dédié à la banane, travaille aujourd’hui autant sur la diversification que sur ce fruit. Certaines SICA cannières réalisent 60 % de leur chiffre d’affaires grâce à la diversification. Les deux activités sont intimement liées et nous cherchons aujourd’hui à nous rapprocher, non pas à nous mettre en concurrence.

M. Jean Jacques Vlody. Je vous confirme que les filières animales à La Réunion sont bien structurées, même si tous les problèmes ne sont pas réglés.

Il n’est naturellement pas question de demander aux ultramarins de cesser de consommer une partie de leur production, ni de produire tous les produits qui existent dans le monde. Si c’est la stratégie de notre agriculture, elle est vouée à l’échec. Pour autant, nous ne devons pas nous focaliser sur notre propre marché mais cibler les marchés que nous serions capables de conquérir. C’est l’orientation choisie par nos professionnels. Encore faut-il le dire clairement, mettre en place une stratégie de développement et accompagner financièrement certaines productions que nous aurons jugées stratégiques, au risque de mécontenter ceux qui veulent produire autre chose et qui considéreront que leur liberté d’entreprise est remise en cause.

Vouloir adapter les systèmes qui fonctionnent à d’autres territoires est une bonne chose, mais il est difficile d’adapter le système mis en place à La Réunion à d’autres territoires car l’île dispose d’espaces qui bénéficient de climats tempérés, ce qui n’est pas le cas de tous les départements d’outre-mer. Il en va de même des problématiques foncières ultramarines qui, en règle générale, ne sont pas transposables en Guyane.

Il faudra à un moment donné que nous nous demandions si notre réglementation est adaptée à nos territoires tropicaux. Savez-vous que les conditions d’épandage des produits phytosanitaires correspondent à un climat tempéré et à un type de végétation qui n’existe pas en milieu tropical ? Même si la recherche sur le milieu tropical n’est pas prioritaire pour la France, nous devrons un jour nous interroger sur la pertinence de l’utilisation de certains produits et sur leur adaptation à ce milieu.

J’ai été alerté par certains des propos qui ont été tenus. L’un des intervenants a indiqué que l’ouverture du marché des fleurs coupées aux pays de la zone avait tué la production locale. Nos territoires ne sont pas à l’abri de cette réalité. Si nous n’y prenons pas garde, La Réunion subira la concurrence des ananas de l’île Maurice et de la Côte d’Ivoire qui viendra étouffer la production locale, alors que cette dernière souffre déjà de difficultés d’acheminement dues au coût exorbitant du fret. Nous avons jusqu’à présent réussi à maintenir une production agricole de qualité, qui a obtenu des labels – nous essayons d’obtenir un label pour la vanille Bourbon –, mais si nous ne protégeons pas, d’une manière ou d’une autre, notre marché intérieur, nous allons rencontrer des problèmes.

Les représentants des Antilles souhaitent ouvrir leur marché intérieur à des produits de la zone provenant du Brésil pour faire baisser les prix. C’est leur droit. Je leur rappelle que nous produisons des bananes conformes aux contraintes européennes – alors si nous ouvrons le marché à des bananes qui ne sont pas produites avec les mêmes contraintes, nous ne vendrons plus les nôtres.

À La Réunion, nous ne consommons pas de bananes de Guadeloupe et de Martinique puisque, pour des raisons sanitaires, l’importation de la banane y est interdite, ce qui nous a obligés à produire des bananes sur place. De la même manière, nous n’importons pas d’œufs, la production locale répondant à tous nos besoins, ce qui inclut la transformation et la boulangerie-pâtisserie. C’est également le cas de la salade et de divers autres produits dont les importations ne sauraient entrer en compétition avec les produits locaux.

En bref, j’aimerais connaître votre sentiment sur la stratégie, l’adaptabilité et la protection de nos marchés et de nos productions.

M. Boinali Said. En tant qu’élu de Mayotte, je voudrais savoir si, en termes de réglementation, il faut parler de coopération décentralisée ou d’intégration régionale de l’agriculture. En ce qui concerne la culture du riz dans l’Océan indien, Madagascar ou la Guyane pourraient-ils être un espace de négociation ?

M. Jean-Philippe Nilor. Je remercie tous les intervenants pour la clarté et la précision de leur exposé. Je ne partage pas tous leurs arguments, mais je suis suffisamment honnête pour reconnaître qu’un travail a été fait et que nous devons continuer de le mener de front si nous voulons préserver l’avenir de nos productions.

Pour apporter de la valeur ajoutée à nos produits, nous devons nous orienter vers la production de produits de qualité, via la labellisation, et vers la transformation de ces produits. Cette démarche est, à mon avis, le seul moyen de nous différencier des pays qui disposent d’une main-d’œuvre à bas coût. Nous assistons actuellement dans l’économie mondiale à un renversement des valeurs : nous nous orientons de plus en plus vers des productions de terroir et de qualité. Saisissons la balle au bond pour entrer dans cette démarche sans arrière-pensée et sans nous poser de questions existentielles.

La recherche nécessite des moyens. Paris est-il prêt à engager ces moyens ?

S’agissant de la réglementation, je considère pour ma part que les obstacles ne sont pas seulement réglementaires mais sont également statutaires.

Cela dit, nous avons toujours beaucoup d’espoir. La valorisation des circuits courts pour la restauration scolaire, par exemple, a donné une chance à la diversification et garantit à nos producteurs un marché stable. À nous de doper ce marché et de promouvoir nos productions dans le cadre de l’école.

Nous sommes très à l’écoute, messieurs, de vos analyses et de vos propositions.

M. Élie Shitalou, secrétaire général d’Iguavie (Groupement interprofessionnel guadeloupéen de la viande et de l’élevage). Il nous est très souvent demandé d’améliorer la qualité de nos produits, mais c’est déjà ce que nous faisons. Les groupements d’éleveurs ont mis en place des cahiers des charges et ils les respectent. En Guadeloupe, les bovins sont élevés exclusivement à l’herbe, en plein air, et ils reçoivent très peu d’intrants, mis à part les protéines. Mais nos animaux, qui pourraient prétendre à la certification « bio », sont mis en concurrence sur le marché local avec des produits de qualité très différente puisqu’il s’agit de viandes issues de vaches laitières de réforme. C’est également le cas en Martinique et dans l’ensemble de la France. Les Français mangent essentiellement de la vache de réforme.

Par ailleurs, nos populations ont un faible pouvoir d’achat. Lorsque les consommateurs se rendent au supermarché, ils choisissent le produit le moins cher. Il faut donc leur proposer d’autres produits que des produits de qualité.

En Guadeloupe, le marché des produits frais est saturé. C’est le cas également des œufs à La Réunion et du poulet en Martinique. Les Guadeloupéens consomment 4 500 tonnes de porc, dont 1 350 tonnes sous forme de produits frais. Actuellement, nous avons 800 porcs charcutiers dont nous ne savons que faire : nous ne pouvons pas les écouler sur le marché local parce que les supermarchés importent de la viande de moindre qualité.

Il faut donc produire de la qualité, mais pas uniquement. Les 1 350 tonnes de porc commercialisées par les entreprises de Guadeloupe sont issues de 40 producteurs. Promouvoir le développement agricole, est-ce créer un club ? Naturellement non. Si nous voulons créer de l’emploi, maintenir de l’activité en milieu rural et développer de la richesse, il faut installer des personnes sur place et gagner des parts de marché. Il est clair que nous n’en gagnerons plus sur les produits frais. Nous devons donc en gagner sur les produits surgelés, bas de gamme, en provenance de France et de toute l’Europe.

Cette situation a amené les Réunionnais à mettre en place le programme Défi. Il y a des éléments intéressants à prendre en compte dans ce modèle qui permet de proposer des prix bas aux consommateurs, d’installer des producteurs et de gagner des parts de marché.

M. Philippe Ruelle, représentant de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique). Pour illustrer les problématiques liées à la qualité des produits et à la réglementation, je prendrai l’exemple de la production de bananes certifiées « bio », dont la principale production au monde est celle de la République dominicaine.

Les producteurs de bananes « bio » utilisent des produits agréés et homologués « bio » par l’Union européenne. Aucun de ces produits n’est autorisé en France ! Il nous est par exemple interdit d’utiliser la levure de bière. Dans notre pays, pour utiliser un produit phytosanitaire, il faut déposer un dossier d’homologation à la Direction générale de l’alimentation (DGAL) qui le transmet à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui procède à des tests. Le marché de Guadeloupe et de Martinique est tellement petit qu’aucune entreprise phytosanitaire ne dépose de dossier, d’autant que la plupart des sociétés a l’habitude des marchés du Brésil, de la République dominicaine et du Pérou où les produits sont homologués en deux jours ! Certains produits, comme les extraits de thé, les levures ou les bactéries, sont déjà homologués au niveau européen, mais, malgré cela, nous n’arrivons pas à les faire homologuer en France. C’est la raison pour laquelle nos producteurs ne cultivent pas de bananes « bio ».

M. Jean Jacques Vlody. Pourquoi ne demandez-vous pas des dérogations ?

M. Philippe Ruelle. Ce n’est pas tellement aisé.

M. Cyrille Mathieu, responsable d’Iguacanne (Groupement interprofessionnel guadeloupéen pour la canne à sucre). Aucune dérogation concernant les produits phytosanitaires n’est accordée en France depuis l’affaire de la chlordécone. Les filières canne-sucre des Antilles et de La Réunion sont actuellement confrontées à la disparition d’un désherbant, l’Asulam. Cette molécule, nécessaire à la culture de produits maraîchers à consommation directe, figure sur la liste positive européenne et ne présente aucun risque environnemental. Pourtant, la France refuse d’accorder une dérogation pour son utilisation, contrairement à six pays dont l’Angleterre, le Danemark, la Suède et la Belgique. Lorsque nous les interrogeons, la DGAL et le ministère de l’agriculture refusent catégoriquement de discuter de la mise en place d’une dérogation, au nom du principe de précaution. Ils devraient être en mesure d’apprécier le risque encouru et de savoir que nous ne prenons pas grand risque en utilisant des extraits de thé.

Nous parlons d’usages « orphelins » lorsque nous n’avons aucune solution de protection face à certaines maladies. Pour obtenir le droit d’utiliser telle ou telle molécule, il nous faudrait mettre en œuvre des procédures d’homologation, ce qui représente un coût et un investissement considérables. Aucune firme internationale n’entreprendra cette démarche pour un marché de la taille de celui des Antilles ou de La Réunion. Cela dit, nous pouvons essayer – mais c’est le combat d’une décennie – de faire homologuer des produits utilisés au Brésil ou ailleurs. Peut-on parler de diversification si nous ne savons pas traiter un ravageur ou une maladie ?

Cette difficulté renforce l’intérêt des producteurs des DOM pour la canne à sucre qui, hormis le ver blanc à La Réunion, n’est atteinte d’aucune maladie et ne reçoit aucun traitement, mis à part les herbicides. Si nos pratiques n’évoluent pas, la diversification ne pourra se développer dans nos régions.

M. Thibaut Laget, représentant de l’APOCAG (Association des producteurs d’ovins et de caprins en Guyane). Les vétérinaires guyanais rencontrent le même problème phytosanitaire et de façon plus cruciale encore. Nos voisins, dont le Brésil et le Surinam, utilisent certains produits. Pourtant, nous acceptons de consommer de la viande en provenance de ces pays. Un laboratoire brésilien a mis au point une molécule d’Ivermectine. Celle-ci, autorisée sur le marché, transite par la métropole où elle est empaquetée et étiquetée en français avant d’être renvoyée en Guyane. Il est naturellement plus intéressant pour nous de l’acheter de l’autre côté de la frontière, à un prix cinq fois moins élevé ! Les éleveurs savent qu’ils n’en ont pas le droit, mais il faut leur donner les moyens de ne pas tricher.

Et je pourrais citer d’autres aberrations. Beaucoup de produits détournés circulent, ce qui nous fait craindre des catastrophes écologiques à long terme.

S’agissant de la recherche, en association avec la Martinique et la Guadeloupe, nous avons créé un institut spécifique (Icare) qui regroupe des ingénieurs et des personnes qualifiées et qui est susceptible de répondre à nos préoccupations en tenant compte des spécificités de nos territoires. Les solutions existent. La recherche représente des coûts colossaux, mais sa mutualisation nous permet d’apporter des réponses plus cohérentes à nos besoins.

Le Brésil possède un institut de recherche agricole, l’Embrapa, situé dans une zone proche de la Guyane et qui travaille sur de nombreux sujets suscitant aussi notre intérêt. Nous pourrions utiliser leurs réponses techniques, mais nous serions confrontés aux mêmes difficultés phytosanitaires et vétérinaires. Nous connaissons les solutions, mais il ne nous est pas possible de les utiliser.

M. David Giraud-Audine, responsable de l’APIFEG (Association de préfiguration interprofessionnelle des filières d’élevage de Guyane). La structuration des filières agricoles est effectivement indispensable dans nos territoires. Le POSEI nous permet de poursuivre notre effort en ce sens.

Parmi les publics qui restent en dehors des structures, certains ne peuvent les rejoindre parce que cela les obligerait à procéder à une remise à niveau de leur exploitation. Il est absolument nécessaire de les accompagner. Certes, la Guyane est un cas particulier puisque nous ne recevons les crédits du POSEI que depuis deux ans et que le taux de techniciens, dans ce département, n’est pas très élevé. Néanmoins, nous souffrons d’un retard important et l’exportation ne fait pas partie de nos traditions. L’interprofession vient d’être mise en place. Il faut engager les moyens nécessaires pour inciter les personnes à rejoindre les différentes filières.

D’autres sont engagés dans la vente directe au sein d’une exploitation familiale. Ces producteurs, qui représentent une part importante de la production, ont, eux aussi, besoin d’être accompagnés. Cet accompagnement pourrait passer par le FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural) auquel ils ont déjà en partie accès, par le biais des aides à la modernisation, ou par celui des aides perçues au titre des mesures agro-environnementales (MAE), mesures actuellement en discussion. Nous souffrons en Guyane d’un retard particulier, nous avons donc beaucoup à gagner avec le développement de la structuration.

M. Bernard Sinitambirivoutin, gérant de la société d’intérêt collectif agricole : « Les Alyzées » (Société de commerce interentreprises guadeloupéenne de fruits et de légumes). La structuration des filières est un élément fondamental qu’il convient de poursuivre et de renforcer. Il ne s’agit pas d’envisager deux modèles d’agriculture, mais de conserver le modèle existant, de l’organiser et de le renforcer. Ce doit être notre priorité pour les prochaines années.

M. Bruno Wachter, représentant d’Iguaflhor (groupement interprofessionnel guadeloupéen des fruits, des légumes et de l’horticulture). Je rejoins MM. Monge et Sinitambirivoutin sur la problématique des produits phytosanitaires. En Guadeloupe, s’agissant des fruits et légumes, notre taux de couverture n’est pas très loin de l’équilibre. De ce fait, tout essor supplémentaire, s’il ne correspond pas à une nouvelle niche ou à une nouvelle culture, risque de déséquilibrer le revenu direct des producteurs. Toute nouvelle production, de tomate ou de salade, risque de faire chuter les cours et d’impacter le revenu des producteurs.

Nous devons travailler au développement de nouvelles niches et former les enfants en bas âge à consommer nos produits. Les jeunes ont trop souvent tendance à consommer des produits d’importation, à manger des poissons rectangulaires au lieu de manger du poisson frais. Apprenons-leur à consommer de la patate douce et de l’igname plutôt que de la pomme de terre. C’est de cette façon que notre agriculture pourra gagner des parts de marché.

Mme la présidente Huguette Bello. Il faut remettre au goût du jour l’autosuffisance alimentaire chère au général de Gaulle…

Mais nos productions se heurtent à des problèmes liés au foncier, à l’enseignement et à la formation des jeunes dans les lycées agricoles et au statut social des agriculteurs, qui perçoivent un revenu correspondant à 1,4 fois le SMIC.

S’agissant des produits phytosanitaires, prenons garde à ne pas reproduire l’erreur qui a été commise à La Réunion où pour éliminer une plante, la vigne marronne, nous avons réintroduit la mouche bleue, mais celle-ci a tué les abeilles et la production de miel s’en est ressentie. Ne jouons pas aux apprentis sorciers.

Je me félicite, Messieurs, d’avoir recueilli cet après-midi autant d’informations, d’autant qu’un projet de loi sur l’agriculture nous sera présenté prochainement.

M. Jean Jacques Vlody. En ce qui concerne le financement, qu’il s’agisse de la production en filières ou hors filières, n’entrons pas dans un schéma qui serait destructeur pour tout le monde. Il est certes indispensable de structurer nos filières agricoles sur des territoires exigus, mais nous ne pouvons interdire à quelqu’un de se lancer dans une production agricole en dehors de la filière, pour laquelle il percevra d’ailleurs des aides européennes.

En matière de structuration, j’évoquerai deux exemples extrêmes qui caractérisent La Réunion. Le premier est celui de la production laitière qui a été organisée, il y a une cinquantaine d’années, de la production à la commercialisation, en passant par la transformation. Aujourd’hui, la Sicalait a du mal à s’adapter aux nouvelles réalités du marché et du foncier.

À l’opposé, je citerai la filière fruits et légumes qui, longtemps, n’a été que la somme d’un certain nombre de productions individuelles. Celles-ci, exposées à une concurrence sauvage, se sont livrées à une compétition très dure avant de comprendre l’intérêt de se regrouper et de s’organiser en filière.

Nous n’empêcherons pas un agriculteur de vendre sa production au bord du chemin au prix qu’il a lui-même fixé, mais il ne lui sera pas possible de répondre à la demande publique en matière de restauration collective.

La filière doit garantir le revenu de l’agriculteur, mais il faut que chacun fasse son métier : l’agriculteur ne saurait être ni transformateur, ni transporteur, ni commercial. Lorsque chacun trouvera sa place dans ce schéma, nous aurons gagné la partie. Il a fallu attendre 2009 pour voir apparaître la première organisation de producteurs de fruits et légumes à La Réunion, alors que la première coopérative agricole est née il y a près de 50 ans. Il faut convaincre les producteurs de s’engager dans une démarche collective.

M. Georges Magdeleine. Je reviens sur la formation des agriculteurs. En Guadeloupe, ceux qui se sont installés en 1980 grâce à la réforme foncière ne sont pas encore partis en retraite. Chaque année, 400 jeunes sortent du lycée agricole et ont des difficultés pour s’installer. Il leur reste l’encadrement, mais les structures qui pourraient les accueillir ne sont pas nombreuses, ce qui les pousse à se diriger vers des filières autres que l’agriculture. C’est un vrai problème.

Mme la présidente Huguette Bello. La population ne cesse d’augmenter dans nos territoires, ce qui donne lieu à de nouveaux plans locaux d’urbanisme, les fameux PLU, mais ceux-ci se heurtent à la présence de terres agricoles. Tout le monde est conscient de la nécessité de densifier le tissu urbain pour protéger les terres agricoles, mais, dans la réalité, chacun veut posséder son lopin de terre ou veut que son terrain soit déclassé pour y bâtir un lotissement, voire pour spéculer. C’est une difficulté à laquelle tous les élus sont confrontés.

M. Thibaut Laget. En Guyane, le foncier n’est pas encore une limite, bien que la spéculation fasse son apparition, et les personnes qui s’installent, souvent hors du cadre familial, ont une expérience très limitée. Quelques lycées agricoles et maisons familiales rurales (MFR) dispensent une formation théorique à ces jeunes, mais leur formation pratique est un peu oubliée par les fonds publics. C’est dommage, car il est important pour ces jeunes de participer à des stages. Nous avons, par ailleurs, des agriculteurs expérimentés qui savent comment réagir aux aléas propres à notre territoire et qu’il serait intéressant de rapprocher des lycéens, mais, par manque de financements, nous ne sommes pas capables d’organiser cette transmission. Nous aimerions en avoir les moyens, par le biais, par exemple, des contrats de génération.

M. Gérard Bally. Nous avons, je crois, réussi à faire passer notre message. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir pris le temps de nous écouter. Nous sommes à la disposition des parlementaires qui souhaiteraient recevoir une information complémentaire.

Mme la présidente Huguette Bello. Je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures.