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Délégation aux Outre-mer

Mercredi 26 juin 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 22

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la filière « canne – sucre – rhum – bagasse », avec la participation de :

– M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS), accompagné de M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS,

– M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale,,

– M. Jean-Claude Cantorné, vice-président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT-DOM),

– M. André Erick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne/sucre/rhum de la Martinique,

– M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement

La séance est ouverte à 16 heures 15.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

La délégation aux Outre-mer reçoit à l’occasion d’une table ronde, ouverte à la presse, sur la filière « canne – sucre – rhum – bagasse » : M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS), accompagné de M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS ; M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale ; M. Jean-Claude Cantorné, vice-président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT-DOM) ; M. André Erick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne/sucre/rhum de la Martinique ; M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente de la Délégation et co-rapporteure. Je vous remercie, Madame, Messieurs, d’avoir accepté de participer à cette table ronde qui s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture outre-mer, sujet sur lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, M. Hervé Gaymard et moi-même.

Le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, ne participera pas à cette réunion car il accompagne le Premier ministre aux Antilles. Il m’a prié de le remplacer et de vous faire part de ses regrets.

Nous accueillons autour de cette table :

M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS), accompagné de Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS,

- M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale, et de M. Luc Domergue, président du cabinet LDC conseil,

- M. Jean-Claude Cantorné, vice-président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT-DOM),

- M. André Érick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne-sucre-rhum de la Martinique,

- M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de M. Emmanuel Detter, consultant, et de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur de la Délégation. Nous nous félicitons, Chantal Berthelot et moi-même, de conduire cette importante mission sur l’agriculture dans les départements d’outre-mer. Cette initiative de la Délégation, créée par la Conférence des Présidents au début de l’actuelle législature, s’accorde parfaitement avec le volet outre-mer du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt que le Gouvernement nous présentera dans le courant de l’automne.

Je me suis toujours beaucoup impliqué dans les questions propres à l’outre-mer et en particulier l’agriculture, qu’il s’agisse des productions liées aux organisations communes de marché ou des productions de diversification.

Je vais malheureusement devoir vous quitter dans quelques instants pour assister, en tant que membre de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, à l’audition de responsables d’un site industriel situé dans mon département savoyard.

M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins. Au nom de l’ensemble des professionnels de la filière, je remercie la Délégation aux outre-mer pour l’écoute dont elle fait preuve depuis le début de la nouvelle législature et la concertation qu’elle a entreprise auprès des acteurs économiques d’outre-mer.

La canne à sucre est cultivée dans la quasi-totalité des départements d’outre-mer, auxquels elle fournit deux de leurs trois grands produits d’exportation que sont le sucre et le rhum ainsi qu’un grand nombre d’emplois privés. La canne a en outre une dimension culturelle, presque identitaire, car les ultramarins sont très fiers de leur production et de ses produits dérivés que sont le rhum et le sucre. Ces deux productions arrivent en effet à être très compétitives sur des marchés internationaux fortement concurrentiels.

Ces filières bénéficient du soutien de l’État et des institutions communautaires – les aides du POSEI, communautaires et nationales, s’élèvent à plus de 400 millions d’euros par an pour l’agriculture des DOM, dont 164 millions sont destinés à la canne. Ce soutien est une condition essentielle pour que le sucre et le rhum restent attractifs sur des marchés internationaux qui se caractérisent par une compétition extrêmement vive.

Nul doute que la future loi d’avenir pour l’agriculture abordera la question de la diversification – il s’agit des productions autres que la canne et la banane – mais celle-ci doit être également posée sous l’angle budgétaire. Nous avons toujours, à Eurodom, soutenu la diversification des pratiques agricoles locales, nous accompagnerons donc bien évidemment, si vous le souhaitez, les réflexions en cours. Il faut toutefois garder à l’esprit que la canne et la banane connaîtront probablement, en 2013, une production significativement supérieure à celle des années précédentes si les tendances actuelles se confirment ; en outre, grâce aux politiques successives engagées en faveur de la diversification, nous assistons globalement à l’augmentation des surfaces consacrées aux productions diversifiées. Dans ce contexte, l’enveloppe du POSEI pourrait déjà s’avérer trop contrainte. Par suite, la mise en place de nouveaux outils destinés à renforcer la diversification ne peut pas, selon nous, faire l’économie d’un débat budgétaire sur l’augmentation des moyens qui y sont consacrés. Réfléchir à cette question avec une enveloppe fermée, c’est se contraindre à ventiler différemment les crédits disponibles. Or, c’est une chose que nous ne savons pas faire dans le contexte décrit plus haut. Il reviendrait donc aux pouvoirs publics soit de diminuer administrativement les surfaces consacrées à la banane ou à la canne, soit de faire baisser le niveau d’intensité de l’aide à la production. Cela signifierait, pour la banane, de contraindre à la fermeture les exploitations les plus fragiles et, pour la canne, de diminuer le revenu du planteur puisque presque 100 % du soutien public à la filière canne est reversé aux planteurs.

Enfin, je profite de cette table-ronde pour dire quelques mots du dossier du rhum. Comme vous le savez, la Commission européenne a adopté une position particulièrement dure s’agissant du renouvellement du différentiel fiscal dont bénéficie le rhum des DOM depuis le 1er janvier 2012. Je tiens à ce titre à remercier la Délégation aux outre-mer et notamment son président car, depuis que la Délégation s’est saisie de ce dossier, celui-ci est désormais abordé au niveau politique et nous avons constaté chez nos interlocuteurs un réel changement d’attitude. Je tiens à lui exprimer notre gratitude.

M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion. Le sucre de canne est une chance, non seulement pour la France mais aussi pour l’Europe.

La France est le seul pays producteur de sucre de canne en Europe et cette particularité, nous la devons aux départements d’outre-mer. 80 % du sucre produit dans le monde provient de la canne. La production de nos départements représente 275 000 tonnes – chiffre qu’il convient de comparer avec les 17 millions de tonnes que représente la consommation européenne de sucre – et elle est la seule qui correspond aux normes européennes, tant environnementales, économiques et sociales qu’alimentaires.

Le sucre produit outre-mer est destiné au marché européen dans le cadre d’une organisation commune de marché. La Réunion, qui produit près de 80 % de la production totale de l’outre-mer, exporte 95 % de sa production en Europe, pour moitié en France et pour l’autre moitié dans un certain nombre de pays européens.

Le marché du sucre étant très concurrentiel, l’Europe a mis en place en 1969 des quotas de production, mais la nouvelle organisation commune de marché du sucre, qui entrera en vigueur en 2015 pour une période de cinq ans, va abolir ces quotas. Un dialogue entre les différentes institutions européennes est en cours sur ce sujet. Cependant, avec la fin programmée des quotas, vraisemblablement en 2017 ou 2018, le marché sera encore plus ouvert et plus concurrentiel, ce qui inquiète les producteurs de sucre des DOM.

La moitié des 210 000 tonnes de sucre fabriquées à La Réunion est vendue en Europe sous forme de « sucre roux de canne », dont l’Europe ne consomme que 250 000 tonnes. Sur ce marché, notre production n’est donc pas en compétition directe avec le sucre européen, qui provient uniquement de la betterave, et elle se positionne devant l’Île Maurice et, a fortiori, devant le Swaziland et le Malawi, dont les productions sont inférieures.

Sur ces marchés, la compétitivité s’appuie plus sur la qualité du produit que sur son prix, et, sur ce point, nous avons une dizaine d’années d’avance sur nos concurrents. Notre sucre de canne est consommé tel quel sous les marques Béghin Say, La Perruche, Blonvilliers ou l’Antillaise, ou encore il est utilisé par des industriels désireux de mentionner sa présence dans leurs productions – je pense aux confitures.

Il s’agit pour nous de conserver les dix ans d’avance dont nous bénéficions actuellement. Pour cela, il nous faut continuer à investir massivement dans les domaines du process, de la recherche et développement, et du marketing. Pour conserver son avance qualitative, la filière sucre de La Réunion investit par tonne de sucre deux fois plus que les producteurs de sucre de betterave en Europe, d’où l’importance des aides publiques.

Mais nos perspectives de développement sont relativement limitées puisque nous représentons déjà une importante partie du marché et que nos clients n’acceptent pas de ne dépendre que d’un seul fournisseur.

La deuxième moitié de notre production est exportée en Europe pour y être raffinée et devenir du sucre blanc, ce qui la place en concurrence directe avec les 18 millions de tonnes produites en Europe. Or, sur ce marché, la compétitivité d’un produit dépend étroitement de son prix.

Les aides publiques, qu’elles soient nationales ou communautaires, ont une importance prépondérante pour l’industrie sucrière des DOM car celle-ci se heurte à deux handicaps d’ordre économique.

Le premier, structurel, est lié à l’étroitesse de nos territoires, à leur exposition à des catastrophes naturelles, en particulier les cyclones, et à des contraintes naturelles importantes liées au fait que La Réunion est une île volcanique, ce qui lui vaut des sols pierreux et une terre très acide.

Le second handicap, dû au coût des transformations industrielles, a été accru par la réforme sucrière engagée en 2006 par les autorités européennes. Il est lié à la taille de nos sucreries, qui constitue un frein à la réalisation d’économies d’échelles. En 2005, les sucreries européennes produisaient en moyenne 110 000 tonnes de sucre. Dans le même temps, chacune des deux sucreries de La Réunion – l’île en possédait 150 avant la restructuration de la filière – produisait près de 100 000 tonnes de sucre. Compte tenu de la géographie de l’île et de la répartition des bassins d’approvisionnement en canne, il n’était pas économiquement envisageable de ne disposer que d’une seule sucrerie. En Europe, la réforme de 2006, en réduisant leur nombre de 42 %, a entraîné la fermeture de 80 sucreries tandis que la production de sucre par employé passait de 400 à 650 tonnes et que l’allongement de la durée de la campagne sucrière permettait d’augmenter la taille des sucreries. Aujourd’hui, les sucreries européennes produisent un peu moins de 200 000 tonnes, tandis que la production de chacune des sucreries de La Réunion est passée de 100 à 105 000 tonnes. Les coûts étant essentiellement fixes, le fait qu’ils soient répartis sur un volume plus faible constitue un handicap pour notre compétitivité.

Les restructurations imposées en Europe n’étant pas envisageables dans les départements d’outre-mer, l’Europe et les pouvoirs publics nationaux avaient mis en place une aide forfaitaire au titre de laquelle La Réunion recevait 51 millions d’euros. En contrepartie, les industriels s’engageaient à payer la canne au même prix qu’avant la réforme et dans le même temps, les producteurs de sucre de betterave bénéficiaient d’une forte baisse du prix d’achat de la betterave.

La quasi-totalité des aides qui transitent par les industriels sont reversées aux planteurs pour soutenir le prix d’achat de la canne et mettre en place des actions de développement. Mais si la partie liée au coût d’achat élevé de la canne est compensée, l’écart de compétitivité lié à l’absence d’économies d’échelle, lui, ne l’est pas, or il ne cesse de s’accroître. Les orientations budgétaires, européennes ou nationales, ont donc un impact direct sur le revenu des agriculteurs. Nous devons faire en sorte de leur maintenir des revenus décents.

La canne est bien le pivot du modèle agricole réunionnais. La filière emploie 12 000 personnes, soit 10 % de l’ensemble des emplois marchands dans l’île.

En plus du sucre et de ses produits dérivés, la canne produit la bagasse qui fournit entre 10 et 12 % de l’électricité dont a besoin La Réunion.

M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d’agriculture de La Réunion et membre du CPCS. La culture de la canne à sucre à La Réunion occupe 24 000 hectares de terres et les surfaces consacrées à l’élevage sont passées depuis 2005 de 10 500 à 12 000 hectares. De plus, 5 000 hectares sont destinés à la diversification végétale, sachant que nos objectifs étaient d’atteindre respectivement 14 000 et 5 800 hectares en 2020 et qu’il reste entre 6 000 et 8 000 hectares de terres en friche à La Réunion. Pour atteindre les objectifs d’autosuffisance alimentaire définis dans les Cahiers de l’agriculture, il faudrait consacrer 300 hectares à la diversification végétale et 2 000 hectares à l’élevage.

Mais la diminution des surfaces cannières en faveur de la diversification mettrait à mal toute l’agriculture réunionnaise. Nous sommes parvenus, en produits frais, à près de 75 % d’autosuffisance alimentaire. Il sera difficile de faire mieux. Pour ce qui est de l’élevage, notre autosuffisance alimentaire est satisfaite à 72 %. Il y a là une marge de progression, mais consacrer 1 000 ou 2 000 hectares à la diversification végétale ou laisser 5 000 hectares en prairie auraient des conséquences pour l’ensemble des filières. Nous pensons qu’il est préférable de récupérer les terres en friche que de toucher aux filières existantes.

M. Florent Thibault, co-président du Comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre (CPCS) et président du Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre (CTICS). La filière canne de La Réunion est structurée en interprofession et se caractérise par la présence de deux usines, de 3 500 planteurs et de 12 000 emplois, directs et induits. Elle est régie par une convention canne signée par les planteurs et les industriels pour une durée de neuf ans. L’actuelle convention a été signée en 2006 et arrivera à échéance en 2015.

La canne occupe 24 500 hectares, soit 56 % de la surface agricole utile de La Réunion, sur des exploitations dont la surface moyenne est de 7,5 hectares – à comparer aux 15 hectares des exploitations sucrières en France qui s’insèrent dans des entités plus larges de cultures de céréales et d’oléo-protéagineux, l’exploitation totale atteignant une surface allant de 100 à 120 ha. Les conditions dans lesquelles la canne est récoltée sont également très différentes de celles de la betterave en métropole. En effet, l’île est située sur le passage des cyclones et elle est couverte de montagnes. D’autre part, les terrains sont souvent en pente, ce qui rend leur accès délicat, surtout après les fortes pluies. Telle est la raison pour laquelle 75 % des cannes sont récoltées à la main.

À ce handicap s’ajoute le faible tonnage de nos productions ultramarines qui nous prive de l’accès à certains produits phytosanitaires dont la canne peut avoir besoin. Car aucun grand groupe n’accepte de déposer un brevet ou de faire une demande d’homologation pour un marché de cette taille. Les autres pays qui cultivent de la canne disposent, eux, des produits nécessaires. Je précise que la canne est très peu gourmande en intrants et que ses besoins en herbicides et en engrais sont faibles.

Une autre différence vient du fait que, dans les DOM, la canne occupe 90 % de la superficie de l’exploitation, les 10 % restants étant consacrés à la diversification. À l’inverse, en métropole, avec 15 hectares, la betterave ne représente que 20 à 30 % de l’exploitation.

Sachant que le rendement de la canne à sucre est actuellement de 77 tonnes à l’hectare et que chaque tonne de canne rapporte environ 81 euros, on peut évaluer le chiffre d’affaires annuel du planteur à 6 300 euros par hectare. Sur ces 81 euros, 39 sont liés au prix fixé par l’industriel en fonction de la qualité de la canne, dont 22 euros sont issus des fonds POSEI, auxquels s’ajoutent différentes primes offertes par les industriels, ce qui représente entre 4 et 6 euros ; enfin, l’exploitation de la bagasse, qui a reçu le statut de biomasse en 2009, est valorisée à hauteur de 11 euros la tonne. Il faut ajouter les aides à la production et les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour un montant de 25 euros.

Sur les 81 euros versés aux planteurs, 47 euros proviennent donc de soutiens publics. On peut donc dire que la quasi-totalité des soutiens apportés à l’industrie sucrière sont affectés à la production, cela afin de soutenir le revenu des planteurs qui reste relativement modeste puisqu’il est de l’ordre de 1,5 fois le SMIC.

Une aide de 4 700 euros par hectare peut paraître importante si l’on se concentre sur la notion d’hectare cultivé, d’autant qu’en métropole, pour des productions similaires, elle se limite à 309 euros. En revanche, par producteur, les chiffres sont assez voisins puisque les producteurs de La Réunion perçoivent près de 36 000 euros et ceux de la métropole 35 500 euros.

Un emploi créé ou existant dans la filière sucre à La Réunion représente 9 476 euros de subventions publiques, contre 29 664 euros pour un emploi agricole en métropole. Ce qui montre que maintenir un emploi agricole coûte trois fois moins cher à La Réunion que sur le continent.

M. André Érick Eugénie, trésorier de Canne-Union (Association des planteurs de canne à sucre de la Martinique) et rapporteur-animateur de la commission de relance de la filière canne-sucre-rhum de la Martinique. La Martinique n’exporte plus de sucre. Sur les 182 usines qui existaient au début du siècle, une seule subsiste. Datant du début du XIXe siècle, elle a été modernisée grâce à des fonds publics et produit aujourd’hui 3 000 tonnes de sucre, alors que les besoins de la population – toutes consommations confondues – sont d’environ 6 000 tonnes.

La culture de la canne, la deuxième à la Martinique après la banane, occupe 3 900 hectares, dont 40 % de la production sont livrés à l’usine du Galion – qui achète la totalité des cannes dont elle a besoin aux planteurs – et 60 % sont destinés à la distillerie pour la fabrication du rhum AOC.

La canne représente 3 900 emplois directs et indirects à la Martinique et la filière joue un rôle important dans l’économie de l’île. Une étude réalisée par les professionnels montre qu’en 2012, la canne a reçu 9 millions de subventions mais qu’elle a rapporté à l’économie martiniquaise et nationale autour de 120 millions d’euros.

Cependant la production martiniquaise connaît de graves difficultés dues aux catastrophes climatiques que nous subissons sans relâche depuis neuf ans, depuis le cyclone Dean en 2007, les inondations de 2009, qui ont valu à la Martinique une déclaration de catastrophe naturelle, le cyclone Tomas en 2010, jusqu’aux pluies qui ont arrosé l’île du 1er janvier au 31 décembre 2011. L’année 2012 semblait bien partie mais le deuxième semestre a été caractérisé par une terrible sécheresse et la récolte 2013 est la plus mauvaise récolte que nous ayons jamais connue. C’est la raison pour laquelle l’usine du Galion, qui aurait besoin de 90 000 tonnes de canne, n’en a reçu que 41 000 tonnes et qu’elle est portée à bout de bras par les assemblées et les collectivités locales.

Les distilleries, quant à elles, produisent du rhum AOC destiné à l’exportation. Le rhum est un produit à grande valeur ajoutée, mais, cette année, les distilleries ne recevront que 140 000 tonnes de canne au lieu des 160 000 tonnes attendues. Globalement, l’île a besoin de 240 000 tonnes de canne, or elle n’en produira cette année que 181 000 tonnes.

En plus des catastrophes climatiques, la production de la Martinique est également confrontée au manque de matières actives pour lutter contre les herbes, bien que la canne soit une culture très propre. Dans les années 1960, nous avons engagé une lutte biologique contre un insecte, le borer, qui causait d’énormes dégâts dans les plantations. Nous avons réussi à l’éradiquer et aujourd’hui nous n’utilisons ni nématicide ni fongicide. En 2009, en application du principe de précaution et dans le respect du plan Ecophyto 2018, toutes les molécules que nous utilisions ont été supprimées. Depuis, nous subissons l’infestation des mauvaises herbes, notamment les graminées, qui ravagent les champs de canne. Or, sur les neuf molécules dont l’autorisation a été donnée pour la canne, aucune ne permet de lutter contre les graminées. La seule possibilité serait de procéder à leur extirpation – en embauchant des personnes pour le faire. Vous imaginez les charges qui seraient liées à une telle opération et l’impact psychologique de cette dernière. D’autant qu’il faudrait procéder à un arrachage massif, ce qui nous amènerait à demander aux pouvoirs publics d’abaisser les coûts de la main d’œuvre.

Tous ces handicaps découragent les acteurs de la filière. Le Premier ministre est attendu en Martinique : j’espère qu’il recevra la délégation qui se présentera devant lui pour évoquer ces difficultés.

Nous attendons beaucoup de la recherche, notamment de la recherche variétale. Nous entretenons depuis trois ans des liens très étroits avec eRcane, le laboratoire de recherche de La Réunion, dont le directeur, M. Bernard Siegmund, nous a conseillé des variétés qui s’étaient très bien adaptées à La Réunion. À la Martinique, en dépit des difficultés liées au relief, 80 % des cannes sont coupées à la machine. Si nous pouvions avoir des cannes plus résistantes, nous pourrions obtenir aisément de gros rendements au moment de la récolte. Nous espérons aussi obtenir des variétés qui nous permettront, grâce à des méthodes alternatives, de disposer d’autorisations de mise sur le marché provisoires de désherbants comme l’Asulox. Mais, depuis le scandale du Chlordécone, ces autorisations sont très difficiles à faire valider. Nous n’avons pas oublié que le Chlordécone a été catastrophique pour les sols martiniquais mais nous n’acceptons pas d’être sacrifiés au nom du principe de précaution. Nous mettons beaucoup d’espoir dans la recherche et nous espérons infléchir la courbe de notre productivité, qui est passée de 62 tonnes à 50 tonnes par hectare.

En dépit de ces difficultés, la production de canne est incontournable car la diversification n’a pas toujours donné de bons résultats.

En ce qui concerne le rhum, nous sommes en conflit avec la Commission européenne qui exige le remboursement de sommes qui représentent deux fois le chiffre d’affaires de la production de rhum des DOM. Nous espérons que les discussions en cours trouveront une issue favorable.

Mme Éricka Bareigts. Je vous remercie pour ces informations très précieuses. Nous devons, sur nos territoires, trouver un équilibre entre le maintien d’une agriculture toujours plus performante et l’évolution démographique.

Grâce à la recherche, la canne a atteint un seuil intéressant de rentabilité, et si nous voulons conjuguer l’espace et l’intérêt économique, il est impératif de poursuivre la recherche. Existe-t-il encore des marges d’évolution dans ce domaine ?

M. Philippe Labro. Je suis le président d’eRcane. Ce centre de recherche est considéré comme l’un des cinq meilleurs au monde en matière de sélection variétale, mais il ne pourra poursuivre son action que s’il perçoit des aides publiques.

Les nouvelles variétés de canne qu’eRcane a sélectionnées et créées à La Réunion au cours des dernières années ont été mises gratuitement à la disposition des planteurs, tandis qu’en Europe les betteraviers achètent les semences aux entreprises. Ces nouvelles variétés présentent des rendements supérieurs de 20 % en moyenne à ceux des variétés traditionnelles.

Oui, Madame la députée, nous avons des perspectives de développement. J’en veux pour preuve qu’en dépit de trois années de sécheresse, notre production non seulement n’a pas baissé mais elle a augmenté de près de 5 %, et cela grâce à l’implantation de nouvelles variétés.

Ce qui pose problème, c’est leur rythme de replantation. Celle-ci devrait avoir lieu tous les sept à dix ans, et non tous les douze ans comme c’est le cas actuellement. Nous comptons sur le soutien des pouvoirs publics pour encourager le renouvellement plus rapide des cannes.

M. Jean-Bernard Gonthier. Les nouvelles variétés de canne peuvent produire jusqu’à 150 tonnes à l’hectare et s’adaptent aux différents microclimats de La Réunion ainsi qu’à l’altitude. La marge de progression est là, sans compter les terres en friche que nous pourrions récupérer. Nous sommes prêts à atteindre les objectifs du Cahier de l’agriculture, pour peu que nous en ayons les moyens.

M. Patrick Lebreton. Nous sommes dans une période charnière pour l’agriculture outre-mer, notamment eu égard à la future loi d’avenir pour l’agriculture. C’est le moment de tenir un discours commun pour préserver une richesse unique.

Je fais partie de ceux qui ont dénoncé les propos malheureux que le commissaire Ciolos a tenu il y a quelques semaines à propos d’une réforme du POSEI qui, à l’horizon 2013, alignerait ce dispositif sur la PAC, notamment en découplant les aides à la production. Le ministre de l’agriculture, que nous avons interrogé, a bien compris la menace que représenterait une telle réforme pour la filière canne-sucre-rhum-bagasse. Le 15 mai dernier, il a déclaré qu’il la jugeait inacceptable, ce dont nous nous sommes félicités.

En tant qu’élu réunionnais, je réaffirme que la canne doit rester le pivot de l’agriculture dans les DOM compte tenu de son intérêt pour l’emploi et l’aménagement du territoire.

L’agriculture réunionnaise doit évoluer et se diversifier, mais il ne faudrait pas lâcher la proie pour l’ombre. Nous devons certes engager une mutation des modèles agricoles ultramarins, faisons en sorte qu’elle se déroule en douceur.

La culture de la canne est un modèle qui a fait ses preuves. Comment le faire évoluer sans mettre à mal la filière ? Quelles pistes comptez-vous explorer en matière de recherche et développement ?

M. Jean Jacques Vlody. Je vous remercie pour vos interventions. Je me réjouis que nous parlions de modèle pour qualifier la filière canne-sucre-rhum-bagasse de La Réunion. Il convient de le réaffirmer sans cesse, car cette réussite est le fruit de l’investissement des professionnels et de certaines décisions prises par les pouvoirs publics.

En ce qui concerne la préservation de la sole cannière face à la pression du foncier urbain, je rappelle que nos terrains ne sont devenus plats et faciles d’accès qu’à la suite d’investissements publics colossaux et d’importants travaux réalisés par la filière.

Ce modèle peut-il être généralisé et transposé aux autres territoires ultramarins, en particulier à la Martinique où la production cannière a quasiment disparu, laissant place à la friche ?

La filière canne repose sur la garantie de l’écoulement de la production au niveau européen et sur les quotas imposés sur le sucre. Si ces quotas sont supprimés, parviendrons-nous à maintenir la filière ? Aurons-nous les moyens de faire face à cette déréglementation ? La redoutez-vous ? Avez-vous les moyens de l’anticiper ? Envisagez-vous de vous battre ou de vous adapter ?

La mécanisation est encore peu développée à La Réunion, malgré les efforts soutenus des collectivités publiques et les aides de l’Europe. Ce retard est-il dû à la géographie de l’île ou au manque de dynamisme du dispositif d’aide financière aux améliorations foncières ?

Comment s’explique la régression de la production de la Martinique ? Quelles sont les perspectives d’avenir ?

Enfin, qu’attendez-vous, Messieurs, des pouvoirs publics ? Quelles sont les pistes sur lesquelles vous souhaitez attirer notre attention ?

Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale du syndicat du sucre de La Réunion. En dépit des difficultés conjoncturelles que rencontre la Martinique, la filière constitue toujours un enjeu du développement des DOM.

Les perspectives de croissance existent, mais nous devons rester vigilants, en premier lieu à cause de l’évolution du foncier. À La Réunion, nous avons réussi à stabiliser la sole cannière depuis quatre ou cinq ans autour de 24 500 hectares en surveillant la régularité des déclassements de terres. Mais si la sole cannière avait été maintenue à son niveau antérieur, nous aurions pu produire, compte tenu de l’augmentation des rendements obtenue grâce à la recherche, 2 millions de tonnes de canne, ce qui correspond à l’objectif des planteurs. L’innovation n’a servi qu’à compenser la perte des surfaces cultivées.

D’autres perspectives de croissance existent grâce à l’irrigation, qui a déjà permis d’améliorer les rendements et de mettre en valeur de nouvelles terres. Des projets sont en cours.

Il convient d’ajouter à ces perspectives les 7 000 hectares de friche recensés en 2012. Ceux-ci devraient nous permettre de consacrer 2 000 à 3 000 hectares à la culture de la canne, sans pour autant remettre en cause les perspectives de croissance de la diversification, végétale et animale, et d’offrir ainsi aux jeunes la chance de s’installer, ce qui représente un enjeu important eu égard à la situation de l’emploi à La Réunion.

La loi d’avenir pour l’agriculture s’appuie sur les propositions de l’ensemble des acteurs et sur les préconisations de la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) en vue d’améliorer les outils destinés à la surveillance foncière. Je citerai la simplification des procédures nécessaires pour la définition des zones agricoles protégées, la possibilité de mieux gérer les indivisions, la réalisation d’études d’impact pour anticiper les conséquences pour l’agriculture de toute nouvelle infrastructure. De nombreux efforts ont été accomplis sous couvert de la Commission départementale de consommation des espaces agricoles (CDCEA), mais nous attendons beaucoup de la loi d’avenir pour l’agriculture.

Nous attendons également de la loi qu’elle prenne en compte les besoins de nos régions en matière de produits phytosanitaires. En effet, les laboratoires étudient des molécules destinées au continent, au détriment des besoins des régions tropicales, ce qui fait que nous ne disposons pas toujours des produits qui conviendraient à nos territoires.

Une autre perspective de croissance existe avec l’augmentation des rendements que nous devons à la recherche. Celle-ci doit se poursuivre, voire s’accélérer, car le programme en cours prévoit la replantation de 6 % des cultures par an, ce qui équivaut à un résultat tous les 15 ans pour renouveler l’ensemble de la surface cannière. Cela est insuffisant, l’optimum étant de replanter tous les 7 à 10 ans.

L’optimisation et la valorisation de toutes les ressources de la canne offrent également de nombreuses perspectives, même si le fait qu’il s’agisse d’une filière intégrée nous oblige à ne pas descendre sous un certain seuil de rentabilité. Ces ressources sont les suivantes : la paille, destinée aux élevages, les écumes, que l’on utilise comme engrais, la bagasse, qui produit de l’énergie, et la mélasse, qui sert essentiellement à la fabrication du rhum et, dans une moindre mesure, fournit des aliments pour les animaux. Les perspectives consistent à mieux utiliser la paille, à améliorer notre connaissance de la composition des écumes pour nous affranchir davantage de l’apport d’intrants, et à développer la chimie verte.

Nous attendons donc beaucoup de la loi d’avenir pour l’agriculture ainsi que des prochains programmes, nationaux et européens, en particulier le POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) qui permet aux planteurs de compenser la petite taille de leur exploitation, et le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), qui regroupe les mesures d’accompagnement. Tous ces outils doivent être adaptés aux besoins des agriculteurs en matière d’innovation, d’encadrement technique, d’amélioration foncière et de plantation.

M. Patrick Lebreton. Quelles sont, à l’aube de la période de coupe, les perspectives de récolte de canne à La Réunion ?

M. Jean-Bernard Gonthier. Dans le sud de l’île, la récolte sera meilleure que les années précédentes grâce à l’implantation de nouvelles variétés et malgré trois années de sécheresse.

Monsieur Vlody, qui aurait pensé, il y a dix ans, que nous pourrions un jour utiliser une coupeuse tronçonneuse à Saint-Joseph et Saint-Philippe ? Or c’est possible aujourd’hui. Je pense que la mécanisation va se développer dans les cinq prochaines années. Nous avons déjà acquis quatre coupeuses supplémentaires dans le sud de l’île et un certain nombre de petites coupeuses pour la canne longue.

M. Florent Thibault. Dans le nord de l’île, nous attendons une production quasiment similaire à celle de l’an dernier. Le taux de mécanisation est passé de 20 à 25 % en très peu de temps du fait de l’emploi de petites coupeuses et de coupeuses intégrales, adaptées aux très petites surfaces et aux zones difficiles d’accès.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je donne maintenant la parole à M. Jean-Claude Cantorné pour qu’il nous parle de la production de rhum.

M. Jean-Claude Cantorné. La sole cannière de la Guadeloupe représente 43 % de la surface agricole utile de l’île et elle a progressé depuis 2007 de 3 %. La production annuelle de sucre oscille entre 60 000 et 75 000 tonnes, que se partagent deux sucreries.

La première, Gardel, transforme entre 55 000 et 70 000 tonnes de canne. L’entreprise a fait l’objet d’investissements considérables au cours des cinq dernières années, avec l’aide des pouvoirs publics nationaux et communautaires, et elle possède une centrale thermique charbon/bagasse qui fournit près du tiers de l’électricité de la Guadeloupe.

L’autre sucrerie, située à Marie Galante, transforme chaque année entre 10 000 et 12 000 tonnes de canne. Elle est soutenue à bout de bras par ses actionnaires, ne disposant d’aucun concours bancaire, et elle se bat depuis trois ans pour essayer d’obtenir un accord des pouvoirs publics locaux pour la construction d’une centrale thermique utilisant la bagasse. Nous espérons obtenir un résultat positif, qui pourrait d’ailleurs être annoncé par le Premier ministre lui-même dans les prochains jours. L’essentiel de la production de canne va en direction de ces deux usines, les distilleries n’en absorbant que 10 %.

S’agissant du rhum, nous sommes effectivement engagés dans un combat très difficile qui a fait l’objet, au Sénat, d’une proposition de résolution européenne sur le renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des départements d’outre-mer déposée le 27 mars 2013. Je salue la qualité de ce document remarquable qui contient une analyse très complète de la filière. Par ailleurs, je citerai également le rapport du cabinet Algoé consultants sur l’interprofession du sucre aux Antilles.

On distingue le rhum agricole, issu de la distillation directe du jus de canne, et le rhum de sucrerie, résultat de la distillation des mélasses issues de la fabrication du sucre. La part relative de chacune de ces productions varie d’un territoire à l’autre. Ainsi La Réunion produit presque exclusivement du rhum de sucrerie, tandis que la Martinique produit 83 % de rhum agricole et la Guadeloupe 45 %.

Le secteur du rhum représente 24 sociétés dans l’ensemble des départements d’outre-mer, dont 12 en Guadeloupe, 8 en Martinique, 3 à La Réunion et une en Guyane. C’est un secteur dynamique – la production d’hectolitres d’alcool pur a progressé de 17,8 % entre 2006 et 2011 – dont la caractéristique principale est l’intégration.

Contrairement à ce qui se passe dans les autres parties du monde, chaque département d’outre-mer ne peut produire du rhum qu’avec ses propres matières premières. Cette caractéristique, qui nous vaut une appellation d’origine et une indication géographique européenne protégée, justifie le soutien fiscal dont nous bénéficions depuis longtemps pour compenser les coûts qu’elle implique. Ce soutien, bien qu’entièrement supporté par le Trésor public français, fait malheureusement l’objet d’une autorisation communautaire et de la vigilance sans faille de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Or celle-ci semble davantage préoccupée par l’établissement de liens commerciaux très libéraux entre nos départements et le reste du monde que par la protection de notre rhum.

Il est à craindre que la multiplication des accords commerciaux avec des pays d’Amérique latine comme le Pérou et la Colombie et, un jour, avec les pays du Mercosur, ne contribue encore à augmenter nos difficultés. Nous sommes surpris par la politique menée par la Commission européenne, qui consiste à réduire la protection fiscale dont bénéficie le rhum des DOM en favorisant le développement d’une politique de libre-échange.

Il convient de rappeler ici que les États-Unis sont les premiers exportateurs de rhum en Europe. Cette situation est due au fait que les deux grandes marques multinationales de rhum, Bacardi et Diageo, dont la production est située aux Îles Vierges et à Porto Rico, reçoivent des subventions massives du gouvernement – 263 millions de dollars par an – qui leur permettent de mener une politique d’exportation très dynamique.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Comment les parlementaires peuvent-ils vous aider, concrètement, à consolider la filière rhum ?

Selon vous, l’accord transatlantique en cours de négociation représente-t-il un danger pour vos territoires ?

M. Jean-Claude Cantorné. Oui, d’ailleurs le Gouvernement nous a demandé s’il était préférable de retirer le rhum de la négociation, ce à quoi nous avons répondu positivement.

Ce que peuvent faire nos élus, c’est appuyer notre démarche pour obtenir le renouvellement du régime fiscal actuel, qui, je le rappelle, est en vigueur depuis 1922.

Cela dit, je crois beaucoup à l’avenir du rhum. Nos entreprises se développent, d’ailleurs nous conservons 22 distilleries, et la production du rhum est intégrée à la filière. À La Réunion, nous essayons d’écouler dans les distilleries locales la quasi-totalité de la mélasse produite et nous ne sommes pas loin d’avoir atteint notre objectif, et il en va de même en Guadeloupe. En Martinique, la voie à suivre serait d’utiliser la totalité de la canne pour produire du rhum.

Mais un phénomène plus inquiétant pèse sur nos territoires : il s’agit de la pression foncière et de l’urbanisation.

Dans le nord de la Martinique se trouvent deux des plus importantes distilleries de l’île, Depaz et Neisson. Il s’agit d’entreprises bien gérées, qui développent leurs exportations. Mais elles sont menacées par des forages réalisés sur le domaine de Pécoul, qui appartient à la distillerie Depaz. Ces forages, destinés à augmenter la production d’eau potable dans cette partie de l’île, sont certainement utiles pour la population, mais ils exigent une zone périphérique de protection de 80 hectares, ce qui menace l’avenir de ces deux sociétés.

M. André Érick Eugénie. La distillerie Neisson, qui est la plus concernée, risque de devoir geler 32 hectares, sur une superficie de 42 hectares de terres classées AOC. Les responsables de l’entreprise ont entrepris les démarches administratives nécessaires pour sensibiliser les pouvoirs publics sur l’utilité économique de la distillerie dans une région relativement sinistrée. Ils ont même proposé de forer dans une zone plus éloignée, mais cela n’a pas été permis au motif que la zone avait été choisie pour sa facilité d’accès. Nous avons du mal à comprendre de tels arguments.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Ce forage est-il réalisé par l’État ?

M. André Érick Eugénie. Je ne connais pas suffisamment le dossier mais je demanderai à Mme Neisson qui possède les terrains. Les services de l’État, notamment les représentants de la sous-préfecture de Saint-Pierre, se réunissent en permanence pour trouver des solutions, pourtant la situation ne semble pas se débloquer.

M. Jean-Claude Cantorné. Je suggère que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture insiste sur la nécessité absolue, dans les quatre départements d’outre-mer, de protéger la production agricole de l’emprise foncière.

Le maître d’ouvrage du forage est le Syndicat des communes de la côte caraïbe nord-ouest (SCCCNO). Il a commencé par un forage illégal sur des terres qui appartiennent à notre groupe, mais nous l’avons laissé faire considérant que le forage relevait de l’intérêt public. En outre, le forage devait être régularisé dans les trois ans. Non seulement il ne l’a pas été, mais aujourd’hui le SCCCNO demande que le dossier fasse l’objet d’une déclaration d’utilité publique. Il est clair que nous devons nous y opposer.

M. André Érick Eugénie. Ce forage, qui était au départ expérimental, a approvisionné en eau toute une zone sans que personne ne le sache.

M. Jean-Claude Cantorné. Le SCCCNO a fait une demande d’extension qui bloquerait au total 82 hectares de cultures de canne.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je salue le combat mené par le monde agricole et tous ses partenaires afin de trouver le bon équilibre entre les besoins de l’urbanisation et la préservation des terres agricoles. Je m’étonne, compte tenu des chiffres du chômage en Martinique, qu’une intercommunalité, présidée par des élus, puisse prendre une telle décision. J’espère, Messieurs, que vous avez alerté tous les élus du territoire.

M. Jean-Claude Cantorné. C’est un combat très difficile car le forage a pour but d’améliorer les ressources en eau potable et par là il est utile à la population.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. La loi fixe un cadre, mais je compte sur l’intelligence humaine pour en saisir l’esprit et faire en sorte qu’elle ne génère pas de contentieux. Quoi qu’il en soit, la loi d’avenir essaiera de répondre à toutes les problématiques que vous avez évoquées.

M. Bernard Lesterlin. La surface des périmètres de protection vous paraît-elle abusive ? La localisation des forages a-t-elle été déterminée par des soucis d’économie ou pour des raisons moins avouables ?

M. Jean-Claude Cantorné. Nous avons proposé au Syndicat de forer sur d’autres terres nous appartenant, mais, pour des raisons de commodité, il a préféré poursuivre le forage déjà engagé.

M. Benoît Lombrière. J’attire votre attention sur les délais de renouvellement du contingent annuel accordé par l’Union européenne. Le régime actuel arrive à expiration à la fin de cette année et les élections européennes auront lieu vraisemblablement dans le courant du deuxième trimestre 2014, ce qui fait qu’à partir du mois d’octobre le Parlement n’examinera plus aucune proposition de la Commission.

La France a demandé le renouvellement du contingent pour les années 2014 à 2020. La procédure veut que la Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière (TAXUD) se saisisse de la demande française, l’instruise et la transmette au Conseil et au Parlement, sachant que le Conseil ne peut statuer qu’après que le Parlement lui a donné son avis, même si celui-ci n’est que consultatif.

À la demande de la profession, la France va produire un complément à la demande examinée par la TAXUD. Or le temps nous est compté. Il faut que pendant le mois de juillet, la France adresse sa demande de rectification à la TAXUD, que celle-ci l’instruise et rédige le document qui servira de base à la délibération du Conseil, et que ce dernier le transmette au Parlement qui le lui renverra après en avoir débattu. Les délais sont donc très étroits et la prochaine opportunité ne se présentera que dans six mois, après l’élection du nouveau Parlement. Voilà un message concret, Messieurs les députés, que nous vous demandons de transmettre aux ministères concernés.

M. Bernard Lesterlin. Tous les problèmes que vous soulevez sont évoqués par M. Serge Letchimy dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre. Le Parlement et le Gouvernement partagent vos préoccupations.

Les aides publiques européennes du POSEI et du FEADER, si on leur adjoint les mesures fiscales de l’État français, peuvent-elles être assimilées aux aides du gouvernement américain ? Leurs masses sont-elles comparables ? La politique de l’Europe est-elle naïve face à l’interventionnisme américain ?

M. Jean-Claude Cantorné. L’aide apportée aux Îles Vierges et à Porto Rico est deux fois et demie plus importante que celle dont bénéficie le rhum des DOM.

M. Benoît Lombrière. Le soutien à la filière rhum pèse entre 80 et 100 millions d’euros sous forme d’allégements fiscaux, et les aides du POSEI à la canne s’élèvent à 164 millions d’euros.

Je tiens à rappeler une chose : certes, l’Union européenne a parfois des côtés urticants, mais, dans le contexte actuel, elle protège nos productions.

M. Emmanuel Detter, consultant auprès d’Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins). Vous nous demandez, Madame la présidente, comment le projet de loi d’avenir pour l’agriculture peut répondre à nos problématiques. Je vais évoquer la question de la protection phytosanitaire des cultures.

Les études montrent que les agriculteurs de la métropole sont capables de répondre à 90 % aux attaques qui affectent leur production, mais, dans nos îles, ce taux de couverture tombe à 15 %. C’est une véritable discrimination à l’égard de notre agriculture, qui s’explique par le fait que la notion d’agriculture tropicale n’a pas encore été introduite dans le code rural.

Pour adapter les molécules à nos territoires, il faudrait modifier les procédures d’autorisation de mise sur le marché de ces dernières. Aujourd’hui, ce sont les groupes qui vendent les molécules qui réalisent les études, or celles-ci coûtent plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers d’euros. Certes, nous bénéficions d’autorisations transitoires mais leur durée est réduite à 120 jours, ce qui nous oblige à les reconduire. D’autre part, les molécules dont nous disposons habituellement, parce qu’elles sont surexploitées, apparaissent comme étant de moins en moins efficaces : les parasites contre lesquels nous luttons développent des résistances.

Le système qui consiste à faire payer par le bénéficiaire les autorisations de mise sur le marché des molécules ne fonctionnera jamais dans nos îles compte tenu de la taille de nos marchés. Il faut donc prévoir une procédure permettant d’autoriser dans nos régions les molécules déjà autorisées en métropole.

Par ailleurs, la Commission européenne a proposé au Conseil, qui l’a accepté, un règlement autorisant une liste positive de molécules réservées pour les produits « bio ». Nombre de pays peuvent donc doter du label « bio » leur production d’avocats, de pamplemousses, d’ananas, de bananes, mais, outre-mer, nous ne pouvons pas le faire, faute d’avoir obtenu l’autorisation de mise sur le marché des molécules. Nous aimerions obtenir l’autorisation d’utiliser pour nos productions tropicales les mêmes molécules que nos concurrents directs. Pouvez-vous appuyer notre demande ?

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je vous remercie pour cet échange très fructueux. Mes collègues ont rappelé la nécessité de maintenir la filière canne en tant que pivot de l’agriculture réunionnaise, de donner à la Martinique la chance de reprendre sa place dans son environnement et de consolider la filière canne de la Guadeloupe. Je m’associe à leurs demandes.

Le Premier ministre a demandé à notre collègue, M. Serge Letchimy, d’indiquer comment, en application de l’article 349 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, il serait possible de donner aux outre-mer une existence réelle et de les prendre en compte, de façon globale et définitive, pour qu’ils ne soient plus obligés de demander des autorisations et des dérogations qui ralentissent leur développement.

L’établissement d’une liste positive présente un intérêt évident. En Guyane, nous pourrions utiliser des produits en provenance du Brésil, mais malheureusement ils ne correspondent pas aux normes européennes et nous n’avons pas le droit de les utiliser. Une molécule fait particulièrement défaut aux éleveurs de bovins. Le Premier ministre a demandé au ministre des Outre-mer et au ministre chargé des affaires européennes de défendre cette revendication auprès de l’Union européenne. Nous, parlementaires, allons nous attacher à redéfinir la relation entre les outre-mer et l’Union européenne pour que l’article 349 du traité de Lisbonne soit enfin appliqué dans sa globalité.

Si nous avons souhaité réaliser un rapport sur l’agriculture outre-mer, c’est que nous sommes conscients qu’il s’agit d’un secteur d’activité important pour nos territoires. Nous poursuivrons nos auditions au cours du mois de juillet et du mois de septembre et ensuite nos travaux nourriront le projet de loi d’avenir pour l’agriculture. Vous pouvez compter sur nous pour relayer vos propositions afin de rendre à l’agriculture sa vraie place dans l’économie de nos territoires.

Je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures quarante.