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Mardi 24 juillet 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre de Juniac, Président-directeur général d’Air France

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Alexandre de Juniac, Président-directeur général d’Air France.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaite la bienvenue à M. Alexandre de Juniac. S’il a déjà été auditionné, le 25 juin 2012, par la Commission du développement durable de la treizième législature, tout comme son prédécesseur, Pierre-Henri Gourgeon, le 2 juin 2010, c’est la première fois que notre commission le reçoit depuis qu’elle s’est installée.

M. de Juniac est accompagné de : M. Xavier Broseta, directeur général adjoint chargé des ressources humaines ; M. Bertrand Lebel, directeur général adjoint chargé du développement durable ; M. Zoran Jelkic, son directeur de cabinet ; Mme Patricia Manent, chargée des relations avec le Parlement, et M. Jean-Charles Trehan, directeur du service presse.

Cette audition revêt un intérêt particulier à un moment où le transport aérien est en crise et la situation des compagnies aériennes européennes dégradée, alors même que certaines compagnies américaines ont redressé leur situation et que les compagnies asiatiques sont en pleine expansion.

Nous vous demanderons, monsieur de Juniac, d’évoquer les mesures économiques et sociales prévues dans le plan de redressement Transform 2015.

Les mesures de restructuration prévues ont-elles uniquement pour objectif de redresser les comptes ou d’inaugurer un nouveau modèle économique pour Air France ?

Ces mesures seront-elles suffisantes pour lutter contre la concurrence des compagnies étrangères d’Asie et du Moyen-Orient et des compagnies à bas coût ?

M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d’Air France. Mesdames et messieurs les députés, avant de répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser sur Air France, je me propose de vous présenter la situation du groupe. J’évoquerai d’abord le contexte dans lequel il évolue, puis sa situation économique, financière et industrielle, avant de vous présenter le plan Transform 2015 destiné à répondre aux difficultés que le groupe connaît et à relever les défis auxquels il doit faire face

Le contexte comporte quatre éléments distincts.

Tout d’abord, nous sommes confrontés depuis dix ans à une concurrence de plus en plus forte. Celle des compagnies low cost, qui développent des liaisons à des prix extrêmement attractifs et qui opèrent sous des formes juridiques et des statuts sociaux ne permettant pas une concurrence loyale. La concurrence également, sur le long courrier haut de gamme, de nouveaux acteurs très puissants et aux moyens considérables que sont les compagnies du Golfe – Qatar Airways, Emirates, Etihad – qui, depuis dix ans et plus particulièrement cinq ans, drainent une grande partie du trafic. Pour des raisons géographiques évidentes, leur cible privilégiée est la clientèle européenne qu’elles transportent vers l’Afrique de l’Est, l’Océan Indien, l’Asie du Sud.

Par ailleurs, le transport aérien est un secteur intensément capitalistique – le coût d’un A 320 est de 40 millions de dollars, celui d’un A 380 avoisine les 300 millions de dollars – qui exige de très lourds investissements. Mais il est également une industrie de main-d’œuvre : personnels navigants techniques (les pilotes) personnels navigants commerciaux (hôtesses et stewards) et personnels au sol en nombre très important. C’est un secteur qui concilie les deux contraintes économiques de la production : intensité du capital et intensité du travail.

En outre, l’industrie du transport aérien se caractérise par de gros volumes mais de très faibles marges. De gros volumes parce qu’elle s’adresse à la grande consommation : aujourd’hui, dans les pays développés, nombreux sont ceux qui ont les moyens d’acheter un billet d’avion. Depuis peu, et c’est une opportunité pour nous, en raison de la croissance en Chine, en Inde, en Amérique latine ou encore en Afrique, chaque année, 50 millions de personnes accèdent au pouvoir d’achat leur permettant de s’acheter un billet d’avion, puis deux… D’où une croissance importante du nombre de passagers, même si par ailleurs ceux-ci veulent payer leur billet d’avion de moins en moins cher…

Enfin, la plupart des compagnies aériennes sont des acteurs nationaux. Il y a quelques années, chaque pays possédait sa compagnie nationale – sauf les États-Unis, qui en avaient deux ou trois. Le secteur était très régulé par la convention de Washington. Aujourd’hui, il ne subsiste en Europe que trois grands acteurs nationaux : British Airways, qui s’est alliée avec Iberia ; Lufthansa, qui a pris le contrôle de Swiss, de l’ancienne Sabena et de Austrian Airlines ; Air France, qui a fusionné avec KLM.

Ces acteurs nationaux, dont les personnels sont régis par leur statut national, luttent entre eux dans le cadre d’une concurrence mondiale. Air France est probablement la plus nationale de toutes les grandes multinationales présentes sur notre territoire, puisque 95 % de ses salariés sont français et travaillent sous statut français, ce qui est une exception parmi les grandes entreprises opérant dans le secteur concurrentiel international.

Les seules entreprises réellement internationales sont les compagnies low cost. Quelle que soit leur nationalité, Ryanair et easyJet sont des compagnies européennes, et le même phénomène existe en Asie avec Air Asia ou Jet Star, qui ne sont pas attachées à un pays quelconque de la zone.

C’est donc un contexte très difficile, qui, en période de ralentissement économique, accroît la pression sur les acteurs du marché. Ainsi, notre activité cargo et fret – qui, comme vous le savez, constitue l’un des indicateurs avancés de la conjoncture – souffre énormément, soumise qu’elle est aux aléas de la conjoncture et du commerce mondial.

J’en viens à la situation financière, économique et stratégique d’Air France au sein du groupe Air France-KLM.

La situation financière est très difficile. Pour la quatrième année consécutive, le résultat d’exploitation du groupe est négatif, et la dette a été multipliée par trois, passant de 2,5 à 6,5 milliards d’euros entre 2008 et la fin 2011. Pendant trois ans, le groupe a investi un milliard d’euros de plus qu’il ne générait de cash flow, dont deux tiers pour Air France et un tiers pour KLM – ce qui explique d’ailleurs l’augmentation de notre dette. Nos indicateurs financiers sont extrêmement dégradés. Air France et l’ensemble du groupe Air France-KLM ne peuvent continuer dans cette voie.

Sur le plan économique, cette dégradation résulte de plusieurs éléments.

Le premier d’entre eux est le ralentissement de nos recettes depuis la crise de 2008. Après un fort déclin en 2009 suivi d’une reprise en 2010, qui laissait augurer un début de sortie de crise, l’année 2011 a été marquée par un nouveau ralentissement ; 2012 serait plutôt une année intermédiaire.

Le second tient à des coûts trop élevés. Selon les études de différents cabinets et celles engagées par nos organisations syndicales, sans oublier le benchmarking que les compagnies aériennes elles-mêmes pratiquent les unes envers les autres, les coûts chez Air France sont plus élevés de 30 % par rapport à ceux des meilleurs élèves européens. Pour les grandes compagnies européennes comme Lufthansa ou British Airways, cette différence est de 20 %.

Cette dégradation s’explique enfin par l’insuffisante adaptation de notre offre au marché. Sur le segment du haut de gamme et du long courrier, nous avons été sérieusement mis en cause par l’arrivée des compagnies asiatiques et celles du Golfe, qui proposent des prestations de classe internationale à des prix intéressants et sur lesquels nous devons nous aligner.

Sur le segment du court et moyen-courrier, les compagnies low cost ont imposé des références de prix très basses, divisant par deux ou trois la référence habituellement pratiquée. Cela dit, elles ont créé un nouveau marché en permettant à de nombreuses personnes de prendre l’avion alors qu’elles n’auraient pu le faire à un prix plus élevé. Face à cette situation, comme nos homologues de British Airways, de Lufthansa, d’Iberia, nous n’avons pas adapté notre offre suffisamment vite. C’est également le cas de Delta, aux États-Unis, qui lutte avec force depuis dix ans contre les compagnies low cost. Il y a donc une inadaptation de notre offre et de nos produits à un nouveau marché très concurrentiel, avec des nouveaux acteurs extrêmement dynamiques.

J’en viens à la situation stratégique du groupe, que j’aborderai sous deux angles.

La question est de savoir s’il faut remettre en cause le modèle de compagnie généraliste d’Air France, fondé sur deux réseaux : un réseau long courrier et un réseau court et moyen-courrier, le premier étant alimenté, à travers le hub de l’aéroport de Roissy–Charles- de-Gaulle, par le second. La réponse est probablement non, bien que d’autres compagnies européennes aient fait un choix différent. Ainsi, British Airways s’est séparé de son réseau court et moyen-courrier, tandis qu’Iberia et Austrian ont scindé leur activité en deux parties. Le débat est ouvert. Il s’agit de savoir si le hub est un bon outil stratégique pour la compétitivité de la compagnie. Nous pensons, nous, qu’il faut conserver les deux réseaux, à certaines conditions. Le hub constitue un atout pour Air France, en particulier celui de Roissy car l’Île-de-France, deuxième zone économique d’Europe, draine un trafic important. Sachez qu’un passager sur deux volant sur nos avions et qui transite à l’aéroport Charles-de-Gaulle est en correspondance. L’apport du réseau court et moyen-courrier pour le réseau long courrier est significatif, et l’inverse est également vrai aussi bien à Paris qu’à Amsterdam. Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause le modèle du hub.

En revanche, le maintien du périmètre de la société, conservant son réseau court et moyen-courrier et son réseau long courrier, ne peut fonctionner que si nous réalisons les efforts de compétitivité nécessaires pour redresser nos fondamentaux économiques, et c’est l’un des éléments du pari du plan Transform, destiné à faire face à la situation financière et industrielle.

Ce plan de redressement, qui a été lancé en janvier, comporte un volet industriel et un volet social.

Le volet industriel comporte plusieurs éléments.

Le premier d’entre eux et le plus urgent est celui du redressement de la compétitivité du groupe. Cela passe notamment par une baisse des coûts, par une coupe assez sévère dans les investissements et les frais généraux, et par le blocage des salaires, des augmentations générales et des avancements.

Un autre élément du volet industriel est la restructuration de notre réseau court et moyen-courrier, qui concentre la quasi-totalité de nos pertes et qui est confronté à la concurrence du low cost. Cette restructuration s’organise autour de trois pôles : le pôle Air France, qui alimente le hub – d’où l’importance de celui-ci dans la stratégie industrielle d’Air France ; le pôle régional, qui dessert les transversales, intérieures et européennes, à partir de nombreuses villes de province ; le pôle Transavia, notre filiale low cost – celle-ci est appelée à alimenter le segment loisirs, le seul en croissance dans le marché du court et moyen-courrier – filiale qui intéresse les passagers voyageant pour leurs loisirs mais refusant, malheureusement, de payer un prix trop élevé.

Le réseau long courrier d’Air France-KLM – le premier au monde, particulièrement présent sur les liaisons vers l’Amérique latine, la Chine, l’Afrique – a plutôt besoin d’une optimisation que d’une restructuration forte. Il nécessite toutefois un investissement massif dans le produit, à savoir la rénovation des cabines et des équipements au sol, pour nous permettre de retrouver le plus haut niveau mondial en termes de prestations, de services et de produits. La rénovation des cabines représente à elle seule un investissement de 550 millions d’euros, sachant qu’un siège d’avion en business class coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros et qu’un siège en première classe en coûte plusieurs centaines de milliers.

Le cargo, troisième activité du groupe, fait l’objet d’une restructuration importante, du fait des grandes difficultés économiques que connaît le commerce mondial et de la surcapacité en avions cargos, notamment des compagnies asiatiques. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande a entraîné l’effondrement des prix. La compagnie KLM sera amenée à limiter ses liaisons avec Shanghai et Air France a cessé ses liaisons avec Hong Kong, qui étaient il y a seulement quelques années extrêmement florissantes.

J’en termine avec le volet industriel. Le groupe Air France-KLM compte 15 000 emplois industriels, principalement dans la maintenance des moteurs et des équipements, domaine dans lequel Air France est le numéro 2 mondial et qui a d’importantes perspectives de croissance du fait de l’augmentation du nombre d’avions en service dans le monde. Notre activité de maintenance des avions, quant à elle, est déficitaire et doit être restructurée entre les différents sites français et la filiale que nous avons créée avec Air Maroc à Casablanca.

J’en viens au volet social du plan Transform. Nous l’avons mis en oeuvre dès le mois de janvier pour répondre à la nécessité de revoir les accords qui régissent les trois catégories de personnel du groupe – personnels au sol, personnels navigants commerciaux et personnels navigants techniques, les règles d’emploi de ces derniers étant régies par des accords touffus et complexes, dont certains datent de 1971 – avec pour objectif de parvenir à des gains de productivité de 20 %. C’est dans une totale transparence quant à nos objectifs et nos intentions que nous avons abordé le dialogue avec les organisations syndicales.

Celles-ci ont compris notre démarche et sont entrées dans la négociation en faisant preuve de beaucoup de responsabilité et de courage, sachant que les efforts demandés étaient très importants. La majorité d’entre elles nous a suivis. La négociation sur le volet social, qui s’est déroulé sans une journée de grève – jusqu’à demain – a débouché sur trois projets d’accord en vue de réaliser des gains de productivité de 20 % : un accord signé par les organisations syndicales des personnels au sol – accord applicable puisque la représentativité de ces organisations dépassent le seuil de représentativité de 30 % ; un projet d’accord soutenu par les principaux syndicats de pilotes, qui sera soumis à un référendum et devrait être conclu à la mi-août ; un projet d’accord soumis à référendum par les trois organisations syndicales des personnels navigants commerciaux, dont le résultat devrait être connu au milieu de la semaine. Nous avons veillé à respecter scrupuleusement à la fois les objectifs économiques que nous nous étions fixés, l’équité entre les personnels et le dialogue social avec les organisations syndicales, qui, dans leur grande majorité, se sont montrées très responsables.

Le volet social du plan Transform traite également des sureffectifs, qui sont le produit, malheureusement, du plan industriel et des gains de productivité que nous devons réaliser. La suppression de ces sureffectifs, au nombre de 5 122 à l’horizon 2013 pour la seule compagnie Air France, a été annoncée, expliquée et discutée avec les organisations syndicales. S’agissant des modalités de traitement, sachez que le volet social exclut tout recours à des départs « non volontaires ». Tous les départs du groupe se feront, autant que faire se peut, sur la base du volontariat et seront accompagnés.

Tels sont les éléments du projet Transform et les défis que nous allons essayer de relever, avec pour objectif de revenir à la profitabilité en 2014 et de redevenir le numéro 1 mondial en 2016.

M. Martial Saddier. Je vous remercie, monsieur le président-directeur général, pour cette présentation exhaustive de la situation.

Afin d’éclairer la commission, pouvez-vous nous dire quelle est la situation des autres grandes compagnies historiques ? Ont-elles déjà pris ou vont-elles prendre des mesures de restructuration, et si oui lesquelles ?

Quelles sont les perspectives de développement de Transavia ? Vous dites vouloir redonner à Air France sa première place mondiale en 2016 : quelle sera la place de sa filiale low cost ?

Nous sommes nombreux ici à nous intéresser au regroupement des filiales régionales et son incidence sur les dessertes. Quelles sont vos intentions en la matière ?

Vous avez abordé le climat social et je vous en remercie. Êtes-vous confiant quant à la réussite des consultations en cours ?

La compagnie Air France a souvent été pénalisée par des grèves survenues à des moments stratégiques, comme les départs en vacances. Des mesures d’accompagnement sont-elles prévues pour limiter leur impact ?

Vous avez souligné le rôle constructif qu’ont joué les partenaires sociaux dans la négociation mais vous n’avez pas mentionné l’État, qui pourtant est actionnaire à hauteur de 15 % du capital de la compagnie. Quelle est la position du nouveau Gouvernement sur la situation actuelle ?

En tant que membres de la Commission du développement durable, nous nous intéressons à la taxe carbone. Plusieurs pays ont fait part de leur opposition à une taxe européenne. Quelle est la position d’Air France sur cette question ?

Je voudrais pour terminer rendre hommage aux compagnies Air France et KLM pour leur engagement en faveur de l’environnement, lequel a trouvé sa traduction dans douze documents : premier rapport sur l’environnement d’Air France en 1996, Charte sociale et éthique en 2001, Pacte mondial des Nations unies en 2003, Charte du développement durable pour les fournisseurs d’Air France... Dans le contexte difficile que vous avez décrit, reste-t-il de la place pour le développement durable ?

M. Jean-Yves Caullet. Vous n’avez pas évoqué la concurrence que représente le transport ferroviaire. Selon vous, l’augmentation du transport aérien de passagers – mais cela vaut aussi pour le fret – va-t-elle se poursuivre ou s’inverser devant les nécessités du développement durable ? Dans dix ans, l’objectif sera-t-il encore d’aller toujours plus vite, plus loin et plus souvent par la voie aérienne ? Quelle sera la place du transport aérien dans l’ensemble de l’offre de transport ?

M. Stéphane Demilly. Le plan de redressement Transform prévoit 2 milliards d’euros d’économies sur trois ans pour restaurer la compétitivité de l’entreprise et pour faire face à l’effet de ciseaux entre la baisse des recettes et les coûts d’exploitation trop élevés. Dans ce cadre, vous prévoyez une réduction d’effectifs, de plus de 5 000 postes sur 18 mois. Toutefois, ces 2 milliards d’économies ne pourront être obtenus uniquement en réduisant la masse salariale. Vous allez donc utiliser d’autres leviers, dont le prix du carburant, et l’on sait que la maîtrise du coût du carburant est un atout important pour les compagnies aériennes du Golfe, qui figurent parmi vos principaux concurrents. Quelles sont, monsieur le président-directeur général, vos pistes de réflexion dans ce domaine ? Quels sont vos projets en matière de carburants alternatifs, notamment d’origine végétale ? Lors du Salon aéronautique de Farnborough, le responsable de la technologie au sein du groupe EADS, Jean Botti, a déclaré qu’il croyait beaucoup au potentiel des biocarburants pour le transport aérien, notamment à celui issu de la transformation des algues. Qu’en pense le directeur chargé du développement durable qui vous accompagne ?

En février dernier, la précédente majorité parlementaire a adopté une proposition de loi visant à encadrer l’exercice du droit de grève dans le transport aérien et s’inspirant des dispositions existant dans le transport ferroviaire. Ce texte impose notamment aux grévistes de poser des préavis individuels de 48 heures et aux compagnies aériennes de publier des prévisions de trafic 24 heures en amont. Bien que très attendu par les usagers des transports aériens, lassés des grèves à répétition qui font malheureusement la réputation des aéroports français, le groupe Air France n’était pas très favorable à cette loi en raison du difficile dialogue avec le syndicat majoritaire des pilotes de ligne. À l’heure où certains voudraient l’abroger, quelle est la position de la compagnie Air France sur ce texte et que proposez-vous pour répondre aux attentes des passagers ?

Mme Laurence Abeille. Monsieur le président-directeur général, votre plan de redressement comporte un volet industriel et un volet social mais pas de volet environnemental. Cela dit, je sais que votre compagnie a reçu un certain nombre de prix pour sa démarche environnementale : elle a par exemple réalisé un vol expérimental en utilisant un kérosène d’une composition différente. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le volet environnemental, qui est un élément essentiel d’un développement du transport aérien en harmonie avec les politiques de lutte contre le dérèglement climatique ?

De quels moyens de pression dispose une compagnie aérienne pour contraindre les constructeurs à développer des avions moins gourmands en carburant?

Actuellement le kérosène est exonéré de taxes, ce qui crée une distorsion de concurrence qui favorise le transport aérien au détriment du rail. Les députés du groupe écologiste s’interrogent donc sur l’opportunité d’une taxation du kérosène. Ils considèrent qu’il faut remettre en question les exonérations fiscales dans la mesure où elles ont un impact environnemental, d’autant que, selon les prévisions de l’aviation civile, les émissions de CO2 liées au transport aérien augmenteront de 88% entre 2005 et 2020, et de 100% d’ici à 2050.

Depuis janvier 2012, les compagnies aériennes utilisant les aéroports de l’Union europénne sont obligées d’acheter des quotas pour compenser leurs émissions de carbone. Il paraît que la Chine a menacé de riposter en interdisant aux compagnies chinoises de se soumettre à cette obligation. Ce système est-il mis en place ? Quel est son impact sur la compagnie Air France ? Quel en sera le coût ?

M. Jacques Krabal. Vous arrivez, monsieur le président-directeur général, à un moment particulièrement difficile de la vie sociale de votre entreprise. Comment entendez-vous augmenter la compétitivité de l’entreprise ? Quel est le devenir des lignes régionales ? Que deviennent vos projets de coopération européenne ? Que vont devenir les titulaires des 5 000 postes supprimés ?

La Suède, le Royaume-Uni et le Danemark ont choisi d’imposer la pollution. Or, depuis les années 1940, en France, les carburants destinés aux vols internationaux sont exempts de toute taxe, aussi bien de la TICPE que de la TVA, soit un manque à gagner pour l’État. Quelles sont, selon vous, les perspectives d’économies d’ordre écologique ?

Quelle est votre position sur la nécessité d’abaisser le seuil des nuisances sonores ? Certes, un rapport fait apparaître une baisse de celles-ci, mais il semblerait que ce soit en Île de France et non dans les territoires voisins ; ainsi, de plus en plus de vols sont détournés au-dessus de l’Aisne, qui subit dès lors des nuisance sonores de plus en plus fréquentes.

M. Alexandre de Juniac. Toutes les grandes compagnies américaines – Continental, Delta, United, Northwest, et plus récemment American Airlines – sont passées par le chapter 11, ce qui signifie qu’elles ont toutes fait faillite. Je rappelle que le chapter 11 permet de réduire les créances, de renégocier les dettes et l’ensemble des accords qui régissent les règles d’emploi des personnels d’une manière plus favorable à la compagnie. Depuis certaines compagnies ont retrouvé une bonne santé financière, comme Delta et United.

La situation des compagnies asiatiques est le reflet des énormes taux de croissance du continent. Si les compagnies chinoises sont encore centrées sur leur marché national, qui croît à une vitesse très rapide, les compagnies comme Cathay Pacific ou Singapore Airlines affichent une santé florissante.

En revanche, les compagnies européennes connaissent toutes d’importantes difficultés. Ainsi, Lufthansa vient de lancer un plan très dur de restructuration qui exige 3 500 suppressions d’emplois, et la plupart de ses filiales, dont Austrian et Swiss, sont en restructuration, tout comme SN Brussels, le successeur de Sabena. De même, Iberia, partie espagnole de l’International Airlines group – regroupement de British Airways et d’Iberia – connaît des difficultés en raison de l’état de l’économie espagnole. Le transport aérien européen est actuellement celui qui se porte le plus mal.

Transavia, originaire de KLM, est la filiale low cost du groupe Air France-KLM. Transavia France dispose de huit avions. C’est trop peu pour en faire une compagnie rentable et pour satisfaire le segment loisirs. Nous avons donc décidé de développer Transavia et de faire en sorte qu’elle dispose de 20 à 22 avions à l’horizon 2015-2016.

Au-delà de 2016, l’évolution de Transavia se fera en fonction du marché. S’il continue de croître dans sa dimension low cost, Transavia aura vocation à se développer par rapport au reste du périmètre court et moyen-courrier d’Air France. Si l’évolution du trafic global est favorable, le réseau Air France augmentera parallèlement à Transavia. Compte tenu des aléas de la conjoncture économique, il est assez difficile de prévoir lequel des deux réseaux se développera le plus vite.

Plusieurs d’entre vous m’ont interpellé sur le pôle régional français, qui est le regroupement de nos trois filiales : Brit Air, dont le siège est à Morlaix, Régional, dont le siège est à Nantes, et Airlinair, dont le siège est à Rungis. Le but est de constituer un réseau qui assure des liaisons transversales européennes, opérées par de petits avions de 50 à 110 places car les flux de trafic ne justifient pas le recours à des appareils de la classe des Boeing 737 ou des Airbus A 320, qui ont une capacité de plus de 150 places. Ce pôle régional opèrera sur deux types de réseaux : un réseau sous affrètement Air France destiné à alimenter le hub de Charles-de-Gaulle et d’Orly et un réseau en propre, sous sa propre marque, qu’il aura la liberté de développer comme il l’entend sur des liaisons transversales françaises ou européennes, au départ de Paris comme de la province.

Nous entendons redonner à ce pôle un projet de développement et beaucoup de liberté, en lui procurant le « ballast » de l’affrètement Air France à hauteur de 40 % de ses revenus, ce qui est important, ainsi que la puissance commerciale du groupe Air France pour lui garantir la couverture des contrats firmes et des engagements d’acheminement pris avec nos principaux clients.

Pour la bonne information de votre commission, je précise que le coût d’exploitation au siège d’un avion de petit module – de moins de 150 places – représente plus du double de celui d’un grand module.

J’en viens à quelques éléments sur le climat social et les référendums.

S’agissant du personnel au sol, il n’y aura pas de référendum puisque l’accord a été signé par des organisations syndicales qui représentent environ 45 % des voix aux dernières élections professionnelles. Le seuil légal de représentativité de 30 % étant dépassé, l’accord sera applicable à compter du 1er janvier 2013.

Pour ce qui est des personnels navigants techniques, l’accord est soumis à référendum, avec le soutien du principal syndicat, le SNPL, qui représente 70 % des voix aux dernières élections concernant les pilotes. Nous attendons le résultat pour la mi-août et, bien que n’étant pas un expert en pronostic électoral, je ne crois pas trop m’avancer en disant que le soutien du principal syndicat ne devrait pas constituer un handicap.

Pour ce qui concerne les personnels navigants commerciaux – PNC – deux syndicats sur trois se sont prononcés plutôt contre le projet d’accord qui a été négocié ; un seul syndicat s’est déclaré en sa faveur. Des référendums ont lieu cette semaine et la probabilité d’un vote « contre » me semble plus élevée que celle d’un vote « pour ». Dans cette hypothèse, nous serions amenés, en mars 2013, soit à l’échéance du principal accord qui gouverne les règles d’emploi des PNC – lequel constitue le seul accord à durée déterminée – à appliquer un texte différent, comme la loi nous y autorise. Les contreparties ne pourraient pas être les mêmes que celles accordées aux organisations qui se sont rapidement et courageusement engagées dans le processus de négociation.

Plusieurs de vos questions portaient sur l’impact des grèves sur les départs en vacances et les désagréments qui en découlent. Je rappelle que nous avons négocié des accords très difficiles sans que cela n’occasionne un seul jour de grève pour la compagnie Air France. Deux conflits ont lieu ces jours-ci. L’un concerne la compagnie Régional et il est motivé par le fait que le chantier de négociation a été décalé dans le temps. Nous avons démarré plus tard pour les compagnies régionales car les règles n’étaient pas finalisées, mais il faut savoir qu’elles bénéficieront des mêmes conditions que celles accordées à Air France, qu’il s’agisse des modalités de négociation ou des conditions sociales. Nous n’avons aucune raison de traiter nos filiales différemment du reste du groupe. Je rappelle aussi que Régional est une petite entité qui ne représente que 3 % de nos clients. Les effets sur le trafic sont donc restés limités.

Cela me donne l’occasion de répondre aux questions sur l’application de la loi Diard du printemps dernier. Ce texte permet de limiter l’impact des conflits sociaux sur les passagers car il permet de concilier l’exercice de deux droits fondamentaux : le droit de grève et celui de se déplacer librement. Les personnels qui concourent au transport aérien doivent en effet déclarer 48 heures à l’avance leur intention de faire grève, ce qui nous donne deux jours pour réorganiser notre programme de vol et pour prévenir nos passagers. Dans le cas récent du conflit de Régional, cela nous a permis de ne procéder à aucune annulation « à chaud », c'est-à-dire lorsque les passagers découvrent sur les écrans de l’aérogare que leur vol est annulé, voire alors qu’ils ont déjà embarqué, ce qui constitue à mes yeux une perturbation inacceptable, mais que nous avons connue dans le passé. En l’espèce, nous avons supprimé un tiers des vols de Régional sans aucune annulation « à chaud ». Tous les passagers ont été prévenus à l’avance et cela a permis d’éviter les troubles à l’ordre public qui se manifestent parfois dans les aérogares en pareille circonstance, en particulier en période de vacances. La loi Diard doit donc continuer à trouver à s’appliquer, dans le respect total de l’exercice du droit de grève puisque je rappelle que 70 % des personnels de Régional étaient grévistes.

Je me permets de regrouper les questions concernant le développement durable et l’ ETS. La Commission européenne a lancé le projet de taxer les compagnies aériennes au moyen du paiement de quotas carbone, non seulement pour les vols à l’intérieur de l’Europe mais aussi pour les liaisons internationales au départ ou à l’arrivée en Europe, et ce pour l’intégralité du segment. Autrement dit, une compagnie chinoise opérant un Pékin-Londres serait taxée sur l’intégralité de son parcours. Cette décision a été prise avec le soutien unanime des gouvernements européens et elle est entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2012 pour une application en avril 2013, les premiers paiements d’ETS par des compagnies aériennes devant intervenir à cette date. La procédure présente un caractère unilatéral qui la rend difficile à expliquer. Au reste, les principaux partenaires de l’Europe s’y opposent, qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde, de la Russie, des États-Unis ou du Canada. Sur le fond, les États ne souhaitent pas que leurs compagnies soient assujetties à une taxe assise sur un ressort qui leur est étranger, ce qui peut sans doute se comprendre, tant aux plans juridique que politique.

Notre position constante est d’être favorable au paiement d’une taxe carbone limitée au territoire européen, dans lequel l’Europe est légitime à taxer les vols qui affectent son environnement. Autrement dit, une fois encore, un vol Pékin-Londres pourrait être taxé à partir de l’entrée de l’appareil dans le ciel européen, à la frontière finlandaise. La légitimité d’une taxation sur le segment entre la Chine et la Finlande nous semble plus difficile à défendre ; nous l’avons toujours dit, même si nous n’avons pas été entendus.

Air France est animée de deux soucis permanents qui lui imposent des efforts considérables : la sécurité des vols et la préservation de l’environnement, qu’il s’agisse de lutter contre la pollution – émissions de CO2 ou de Nox – ou de nuisances sonores. Il reste que nos moyens de pression sur les constructeurs demeurent limités. Les constructeurs intègrent la triple contrainte de moins consommer de carburant, de moins polluer et de faire moins de bruit. Les principaux axes de recherche d’améliorations en ces domaines concernent l’aérodynamisme, le poids et le rendement des moteurs. S’agissant plus précisément du bruit, sans doute avez-vous vu ces prototypes où les moteurs sont placés au-dessus des ailes plutôt qu’en dessous, ce qui ne peut avoir qu’un effet favorable. Je crois pouvoir dire que l’ensemble de la filière industrielle aéronautique est consciente de l’enjeu majeur que constitue le respect de l’environnement. Mais les progrès sont très longs à réaliser tant le champ de recherche est vaste : nous sommes dans des domaines où l’on « tutoie » les limites de la physique !

Comme vous l’imaginez, nous ne sommes pas plus favorables à la taxation sur le kérosène qu’à toute autre forme de nouvelle taxation sur le transport aérien (sourires). Comme j’ai tenté de le démontrer dans mon propos liminaire, il s’agit d’un secteur sans marge. Nous sommes écrasés par une concurrence très dure dont les règles ne sont pas forcément harmonisées – je crois que cela a été mentionné pour ce qui concerne certaines compagnies du Golfe. Quant aux passagers, ils ont des références de tarif extrêmement basses à cause des compagnies low cost. Enfin, nos fournisseurs sont puissants et ne nous laissent que de très faibles marges de négociation. Dans notre secteur, les volumes d’activité sont forts et les chiffres d’affaires importants mais les marges extrêmement réduites. Le cimetière des compagnies aériennes n’est pas pauvre en pierres tombales ! Les compagnies sont mortelles et beaucoup ont déjà trépassé. Ceux qui voyageaient aux États-Unis dans les années 1980 se souviennent sans doute que les trois principales compagnies étaient TWA, Pan Am et Eastern : que sont-elles devenues ? Plus près de nous, Spanair a disparu il y a six mois de même que la compagnie hongroise Malev. En dépit des volumes brassés, le secteur est donc assez fragile.

Une nouvelle taxe kérosène serait donc d’autant plus malvenue qu’elle viendrait augmenter encore le coût du carburant et nous n’aurions pas d’autre solution que de le répercuter sur le prix des billets. En outre, une telle taxe ne peut s’envisager qu’au plan mondial pour ne pas pénaliser plus encore les compagnies européennes.

Plusieurs députés du groupe SRC et du groupe écologiste. D’autres pays arrivent à le faire !

M. Alexandre de Juniac. Si vous pensez à la compagnie SAS, je me permets de vous faire remarquer qu’elle se trouve dans une situation extrêmement difficile. Je ne souhaite pas qu’Air France passe dans la catégorie SAS !

Vous m’avez interrogé sur la place du transport aérien au regard des autres modes de transport. S’agissant de l’intercontinental, j’imagine mal une autre solution. Pour ce qui concerne les liaisons continentales, la limite de compétitivité du transport aérien s’établit à trois heures. Au-delà de deux heures de trajet, l’avion retrouve une certaine compétitivité par rapport au train mais le véritable seuil se situe à trois heures de trajet.

En termes de régulation des modes de transport et de report modal, il faut savoir que le transport aérien représente 5 % des émissions de CO2. Nous sommes donc un acteur du risque carbone que je qualifierai, sinon de mineur, du moins de petit.

Du point de vue de la bonne utilisation des finances publiques, l’argent investi dans le transport aérien reste inférieur aux sommes consacrées au développement des lignes à grande vitesse (LGV). Il s’agit d’un simple constat et non d’un jugement de valeur.

S’agissant enfin de la régulation des différents modes de transport au titre de l’utilité sociale, il appartient au consommateur d’en décider. Vous comprendrez qu’il soit dans mon rôle de défendre en priorité la compagnie que j’ai l’honneur de présider. Je constate simplement que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à pouvoir acheter des billets d’avion, tant dans les pays émergents que dans les pays européens. À cet égard, je dois du reste reconnaître aux low cost le mérite d’avoir fait accéder le plus grand nombre au transport aérien.

M. Bertrand Lebel, directeur général adjoint chargé du développement durable. Nous nous battons depuis longtemps sur plusieurs axes pour contribuer à un transport aérien plus « vert ».

Par l’acquisition de nouveaux avions, nous renforçons l’efficacité opérationnelle de la compagnie. L’augmentation des cours du pétrole nous a conduits à accélérer le renouvellement de notre flotte. En long courrier, le prix du pétrole représente presqu’un tiers des coûts, et cela a au moins l’effet vertueux de nous inciter à éviter tout gaspillage.

Parallèlement, le Conseil pour la recherche aéronautique civile française (CORAC), issu du Grenelle de l’environnement, pousse à développer des aéronefs plus efficaces au plan énergétique et à contribuer au développement des biofiouls.

La consommation de fioul peut être réduite de 10 %, grâce notamment au regroupement des secteurs de contrôle aérien en Europe – les FABEC – et au projet européen CESAR qui vise à moderniser le contrôle aérien via les descentes continues, lesquelles présentent l’intérêt de réduire la consommation et de limiter la nuisance sonore.

De 2000 à 2010, Air France a réduit son empreinte sonore de l’ordre d’un tiers, grâce à la modernisation de la flotte et à la modification des approches menée de concert avec la DGAC. J’observe au passage que le transport aérien est la seule industrie à payer pour ses nuisances sonores, la taxe sur les nuisances sonores aériennes rapportant plusieurs dizaines de millions par an alors que les autres modes de transport – y compris les plus bruyants – s’en voient exonérés, même en Île-de-France.

Air France fait partie de différents consortiums qui favorisent la recherche en matière de biofiouls, en vue notamment de l’utilisation de la biomasse d’origine forestière. Une usine pilote pourrait voir le jour si l’État donne le feu vert, et il s’agit d’une piste extrêmement prometteuse. Les travaux de la Commission européenne visent à ce que d’ici à 2020, 4 % de l’ensemble du kérosène mis à disposition des compagnies européennes soit du biofioul. Cela vise à enclencher une démarche industrielle et l’on espère que, d’ici à 2025, les émissions de CO2 liées au transport aérien s’en trouvent très sensiblement réduites.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le président de Juniac, quel est le coût de l’ETS pour Air France ?

M. Alexandre de Juniac. Sur la base d’un quota carbone à 6 euros ou 7 euros la tonne, cela représente pour le groupe Air France-KLM une charge annuelle comprise entre 30 et 40 millions d’euros, sachant que, pour le groupe, la facture carburant représente entre 8 et 9 milliards d’euros, soit un tiers de nos coûts.

M. Christian Assaf. L’activité d’Air France est essentielle pour le dynamisme économique de nos régions. A l’aéroport de Montpellier – dixième aéroport de France – 60 % du trafic s’effectuent avec Paris et 10 % avec la province, grâce notamment aux compagnies du groupe Air France, dont nous connaissons à présent un peu mieux la situation après votre exposé. Nous pouvons par conséquent concevoir la nécessité de procéder à des ajustements structurels. Cependant, nous ne voudrions pas que ces évolutions mettent en danger le développement de nos territoires. Au titre de l’aménagement du territoire, comment Air France compte-t-il protéger les lignes Paris-province dans le cadre de son plan de restructuration ?

M. Jean-Marie Sermier. La loi Diard du 19 mars dernier a été évoquée. Dans les faits, avez-vous rencontré des difficultés pour faire appliquer la disposition visant à ce que les personnels susceptibles d’être grévistes se déclarent 48 heures à l’avance ?

S’agissant des petits aéroports, entendez-vous travailler avec vos concurrents – SNCF comprise – pour faire en sorte que Paris devienne un hub à l’échelle de l’ensemble de la France ?

Enfin, pour ce qui est des énergies nouvelles, vous n’avez pas évoqué la possibilité de recourir à l’hydrogène : qu’en est-il alors que ce mode est appelé à se développer ?

M. Gilles Savary. Malgré la clarté de vos propos, je n’ai pas tout saisi de votre stratégie de réaction par rapport aux low cost. Qu’est-ce qu’une compagnie low cost française ? A-t-elle un statut et des personnels français ? Si je vous ai bien suivi, vous entendez développer à la fois du low cost avec Transavia et le pôle régional. Estimez-vous que le pôle régional puisse constituer une bonne arme anti-low cost ou est-ce que Transavia va faire de la concurrence au pôle régional sur les moyens courriers européens ? Il me semble que votre stratégie sur ce point gagnerait à être clarifiée.

Enfin, dans le cas où les Chinois ou les Américains refuseraient d’acquitter l’ETS, y a-t-il une stratégie européenne ? Je sais que l’affaire est portée devant l’OACI mais peut-on imaginer que vous soyez les seuls à payer ?

M. Laurent Furst. Nous avons bien compris qu’une compagnie telle qu’Air France était mortelle. Pensez-vous que nos gouvernants – quels qu’ils soient – en aient conscience, de même que les personnels et que la population dans son ensemble ? Quelle est votre conviction intime à ce sujet ?

Le siège d’Air France-KLM est-il aux Pays-Bas ?

M. Alexandre de Juniac. Je réponds tout de suite. Non, il est en France.

M. Laurent Furst. Les personnels de Transavia sont-ils régis par le droit français ?

M. Alexandre de Juniac. Oui, pour ce qui concerne Transavia France.

M. Laurent Furst. En tant qu’utilisateur d’Air France, je trouve la qualité du service plutôt « sympathique ». En revanche, lorsque j’arrive à Paris, j’estime que les prestations connexes ne sont pas à la hauteur de ce que l’on constate à Francfort ou Londres. Quel est votre niveau d’exigence vis-à-vis de vos partenaires comme Aéroports de Paris ?

Enfin, nous apprenons aujourd’hui même que la ligne Strasbourg–Roissy-Charles-de- Gaulle serait supprimée. La dimension européenne de Strasbourg n’est-elle pas de nature à nous apporter votre soutien à ce sujet ?

M. Arnaud Leroy. Comptez-vous lancer Transavia à l’assaut des petits aéroports où n’est aujourd’hui présente que Ryanair ? Ou allez-vous la cantonner aux aéroports principaux où opère easyJet ?

En ce qui concerne l’ETS, malgré les difficultés diplomatiques que nous rencontrons avec certains de nos partenaires, la Commission européenne reste ferme sur ses positions. Il y a quelques mois, j’ai souvenir que certains, pour éviter l’ETS, indiquaient qu’à l’horizon 2050, le secteur aéronautique serait capable de proposer des réductions d’émissions de plus de 80 % : qu’en est-il selon vous ? D’accord pour prévenir une concurrence déloyale liée à l’ETS mais un tel objectif est-il tenable ?

M. Jean-Pierre Vigier. Au cours de votre exposé, vous avez indiqué que la dette d’Air France avait triplé entre 2008 et 2011 et que vos coûts excèdent de 30 % ceux de vos concurrents. Dès lors, pourquoi le plan Transform 2015 n’est-il pas intervenu plus tôt ? N’aurait-on pas pu envisager un plan Transform 2013 ?

M. Philippe Plisson. Compte tenu de la quantité physiquement limitée des ressources en énergies fossiles et de l’accélération du changement climatique, des choix pourraient être à faire dans un avenir proche pour ce qui concerne les déplacements aériens, avides de carburant et présentant une forte empreinte carbone. Dans cette logique, que penseriez-vous de l’idée de supprimer les lignes aériennes intérieures là où elles épousent le tracé d’une LGV ferroviaire ?

M. Guillaume Chevrollier. L’inquiétude des usagers face aux risques de grève a déjà été largement évoquée. Il me semble indispensable d’un tenir compte.

Le plan Transform 2015 prévoit 5 000 suppressions d’emplois : cela va-t-il concerner les filiales régionales ? Seront-elles les grandes perdantes de ce programme ?

Air France étant une industrie de main d’œuvre avec des marges faibles, considérez-vous que le coût du travail élevé dans notre pays soit un frein au développement de votre compagnie ? Les pouvoirs publics ne devraient-ils pas s’en préoccuper au premier chef ?

Mme Valérie Lacroute. Même si la question concerne plutôt la DGAC, êtes-vous en mesure de nous apporter des précisions sur les formations dispensées aux pilotes de ligne pour lutter contre les nuisances sonores ? Elue du Sud de la Seine-et-Marne, je suis régulièrement saisie à ce sujet alors que Roissy est à 110 kilomètres et Orly à 60. Est-il normal d’être réveillé par des avions à cinq heures du matin, alors même que la DGAC nous répond que tout va bien ?

M. Patrick Lebreton. Député de la Réunion, île située à 11 000 kilomètres de Paris, je n’ai pas besoin de vous rappeler les liens que les Domiens entretiennent avec l’hexagone. De même, vous n’êtes pas sans savoir que la continuité territoriale revêt une importance cruciale et que les compagnies aériennes y sont parties prenantes au premier chef.

Nombre de familles réunionnaises présentes dans l’hexagone sont de condition modeste, et un prix de billet compris entre 800 et 1000 euros leur interdit de voyager aussi fréquemment qu’elles le souhaiteraient. Or vous avez récemment décidé de réduire la franchise bagage à un seul au lieu de deux, comme cela était accordé depuis toujours. Une telle décision de supprimer l’autorisation d’un deuxième bagage dans la limite de 23 kilogrammes est-elle irréversible ? Allez-vous l’appliquer à des destinations comparables comme Madagascar ou l’Afrique subsaharienne ?

L’arrivée à la Réunion du nouvel opérateur XL Airways, avec un tarif de base de 600 euros, va-t-elle vous inciter à revoir votre politique tarifaire ? Ne disposez-vous pas toujours d’une marge conséquente lorsqu’on sait que, chez nous, les taxes aéroportuaires diverses représentent 370 euros par billet ?

M. François-Michel Lambert. Monsieur le président, vous avez présenté la politique que vous pilotez au sein d’une entreprise privée avec l’objectif de « sauver sa peau » afin qu’Air France ne rejoigne pas le cimetière des compagnies disparues.

Historiquement, Air Inter et Air France avaient pour mission de désenclaver nos territoires. Grâce au développement du ferroviaire et du routier, l’enclavement se limite aujourd’hui à quelques régions. Dès lors, est-il indispensable de maintenir des liaisons aériennes pour des destinations qui se trouvent à 2 heures ou 2 heures 30 de TGV de Paris ? Le cadencement – le « navettage » – avec des départs toutes les 30 minutes est-il toujours indispensable, par exemple entre Marseille et Paris ? Comment éviter une concurrence stérile entre l’avion et le TGV ?

Pourquoi Air France continue-t-il de proposer des navettes de petite taille alors que des avions plus grands et moins fréquents seraient plus économiques, moins polluants et moins bruyants ?

M. Alexandre de Juniac. Oui, nous allons protéger les liaisons Paris-province puisqu’il n’est pas prévu d’en supprimer dans le plan Transform 2015. Des ajustements de programme liés à la saisonnalité où à l’irruption d’événements indépendants de notre volonté comme la mise en service de LGV restent cependant toujours possibles.

S’agissant de Strasbourg, nous avons passé un accord avec la SNCF afin qu’elle alimente notre hub avec des horaires adaptés par l’achat de « blocs sièges » dans les trains qui relient directement Strasbourg à Roissy. Il faut être bien conscient que l’ouverture d’une liaison TGV qui met Paris à 2 heures ou 2 heures 30 d’une ville de province constitue un coup très dur pour Air France.

Hors une exception en Corse, qui a donné lieu à l’application de sanctions individuelles, nous n’avons pas rencontré de difficulté particulière dans l’application de la loi Diard.

À moyen terme, le moteur à hydrogène ne nous semble pas constituer une voie d’avenir pour l’industrie aéronautique.

Quelques précisions sur le low cost à la française : depuis un certain nombre de décisions intervenues récemment, les personnels d’une compagnie low cost opérant sur une base française sont placés sous statut français, ce qui a considérablement rééquilibré les conditions de concurrence. En outre, il existe aussi des low cost qui bénéficient de subventions de la part de collectivités ou d’aéroports régionaux. Ce sont des pratiques que nous contestons. C’est un risque assumé par les autorités locales que de favoriser de telles implantations.

Peut-on développer le low cost avec des personnels de droit français ? La réponse est oui : Transavia opère pour un coût de 5 centimes du siège kilomètre, soit un peu moins de 10 % de plus qu’easyJet.

S’agissant du non paiement des quotas carbone par les partenaires de l’Europe, je préfère renvoyer à la Commission européenne qui est en train de négocier sur ce point.

Nos personnels sont parfaitement conscients du caractère mortel d’Air France et le fait que nous leur expliquions avec la plus grande transparence la situation de la compagnie, y compris en leur divulguant des données stratégiques éminemment sensibles et confidentielles, n’y est pas étranger.

La compétitivité du hub de Charles-de-Gaulle est pour nous un élément clé, dans un contexte européen marqué par la concurrence entre Amsterdam, Londres, Francfort et Paris. Ce hub a accompli des progrès considérables en associant les différents partenaires, y compris le ministère de l’intérieur pour ce qui concerne le passage en douane. L’opération « Réussir ensemble » fonctionne bien, et 600 millions d’investissements ont été consentis pour nous mettre aux standards internationaux, notamment via le terminal S4. Ceux qui critiquent encore le hub de Charles-de-Gaulle le font injustement. Cela étant, il reste des points à améliorer, comme celui, critique, de la desserte de Paris, et, dans une moindre mesure, de la liaison entre les terminaux.

S’implanter dans les petits aéroports où sont subventionnées des compagnies low cost nous semble très difficile. Parmi les deux grandes compagnies qui opèrent chez nous, l’une en bleu et l’autre en orange (sourires), notre principale concurrente est la compagnie orange, très présente sur les grandes plateformes. L’autre est moins menaçante dans la mesure où les aéroports sont plus éloignés. Les conditions d’emploi sont en outre irréalistes et inacceptables. Air France ne peut pas et ne veut pas s’en inspirer.

S’agissant de la réduction des émissions polluantes à hauteur de 80 %, j’imagine que ce chiffre provient des constructeurs, entre les mains desquels se situe l’ensemble des progrès techniques imaginables. Ce chiffre me semble toutefois très élevé.

M. Bertrand Lebel. Le chiffre de 80 % introduit les mécanismes de compensation économique dont j’ai parlé tout à l’heure : stabilisation des émissions à compter de 2020 et paiement de compensations, par exemple par le biais d’un ETS généralisé au plan mondial. Même si les biofiouls ont vocation à se développer, nous allons rester dépendants des énergies fossiles pendant très longtemps.

M. Alexandre de Juniac. L’un d’entre vous m’a demandé pourquoi le plan Transform n’avait pas été anticipé. Replaçons-nous dans le contexte des années 2008-2011 : en 2008, la crise est arrivée de manière très inattendue et elle a été très brutale ; en 2010, l’on a constaté une vraie reprise du trafic porteuse de beaucoup d’espoir, puis la conjoncture a replongé dans les années 2011-2012. Dans ces conditions, la crise a certes révélé un manque global de compétitivité mais au fur et à mesure que les années passaient, pas immédiatement. Du reste, mes prédécesseurs avaient déjà engagé des plans d’économies assez significatifs. En Europe, avec le plan Transform, nous sommes parmi les premiers à avoir lancé un programme de restructuration d’une telle ampleur. C’est une consolation relative mais, tout de même, ce plan a le mérite d’exister.

Le plan Transform inclut les filiales régionales. Toutefois, j’indique que les chiffres de sureffectifs que j’ai cités tout à l’heure, les filiales régionales ne sont pas comprises puisque ce sont les chiffres de la seule compagnie Air France. En ce qui concerne les filiales régionales, le calendrier est le suivant : les travaux ont commencé début mai, les négociations s’ouvriront en septembre et le plan sera finalisé sur les mêmes bases qu’à Air France. L’évaluation d’éventuels sureffectifs – s’il y en a – ne pourra donc pas intervenir avant l’automne et le mode de traitement sera aligné sur ce qui se fait pour le groupe Air France.

Toute mesure visant à alléger le coût du travail, notamment par des transferts d’assiette de la protection sociale ne peut être considérée que comme favorable. Nous accusons encore un écart de plusieurs centaines de millions avec nos amis de KLM et ceux de Lufthansa.

La limitation des nuisances sonores ne constitue pas un élément de la formation des pilotes même s’ils sont parfaitement conscients de ces nuisances. Le plus efficace pour y remédier est d’établir un plan d’approche avec la DGAC, les autorités locales et l’ensemble des riverains.

Nous avons aligné la franchise bagage pour les DOM-TOM sur celle applicable à l’ensemble du réseau international à l’exception de l’Afrique, mais il faut noter que le prix du billet pour les destinations africaines est sensiblement plus élevé que pour l’outre-mer.

Air France peut-elle se développer lorsqu’arrive un TGV ? J’ai déjà eu l’occasion de dire que la réponse est plutôt négative. L’avion ne redevient vraiment compétitif qu’au-delà de trois heures de trajet.

Enfin, s’agissant, monsieur Lambert, de la taille des avions, nous l’adaptons bien évidemment aux flux de trafic. Si le flux moyen est inférieur à 100 passagers, on prévoit un petit module et on le fait desservir par le pôle régional. Si l’on met en place un avion trop gros, la rentabilité de la ligne est désastreuse. Sur la liaison Marseille-Paris, les avions sont pleins malgré le cadencement et la ligne est donc rentable.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le Président, nous vous remercions pour la qualité et la précision de vos réponses.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 24 juillet 2012 à 17 heures

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Christian Assaf, M. Serge Bardy, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, Mme Fanny Dombre Coste, M. Olivier Falorni, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, M. Olivier Marleix, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Yannick Favennec, M. Christian Jacob, M. Guillaume Larrivé, M. Edouard Philippe, M. Gabriel Serville, M. David Vergé

Assistait également à la réunion. - M. Patrick Lebreton