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Mardi 13 novembre 2012

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Ruffin, chef du service Prospective, études, évaluation et observation territoriale de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), sur la démarche de prospective « Territoires 2040 » et les zones de revitalisation rurale

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) et M. Michel Ruffin, chef du service Prospective, études, évaluation et observation territoriale de la DATAR, sur la démarche de prospective « Territoires 2040 » et les zones de revitalisation rurale.

M. le président Jean-Paul Chanteguet.  À l’occasion de la table ronde que nous avions consacrée, le mercredi 26 septembre dernier, à la prise en compte des enjeux d’aménagement du territoire par les administrations publiques et à laquelle participait M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, nous avions convenu d’entendre la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DATAR) sur la démarche prospective « Territoires 2040 ». M. Emmanuel Berthier étant retenu par d’autres travaux, je suis heureux d’accueillir M. Michel Ruffin, chef du service Prospective, études, évaluation et observation territoriale de la DATAR. Il est accompagné de Mme Amélie Durozoy, chef de cabinet à la DATAR.

M. Michel Ruffin, chef du service Prospective, études, observation territoriale et évaluation de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale. Mon ambition n’est évidemment pas de vous présenter dans leur intégralité deux années de travail, mais de vous indiquer le sens et les principaux enjeux de la démarche que nous avons engagée à travers « Territoires 2040 », et qui n’est pas encore achevée.

Toutes les démarches de prospective, quelles qu’elles soient, s’appuient sur le postulat que l’avenir n’est pas écrit mais qu’il se construit. L’enjeu est d’identifier les futurs possibles à moyen et à long termes — les « futuribles », pour reprendre un terme qui est quasiment devenu une marque déposée — en repérant les tendances lourdes, les signaux faibles, les faits porteurs d’avenir. Il s’agit de construire, si possible collectivement parce que l’on pense mieux à plusieurs, des visions contrastées, non pas pour le pur plaisir de la recherche intellectuelle, mais pour proposer aux décideurs des futurs cohérents, contrastés, argumentés, qui leur permettent de définir des stratégies. Nous ne sommes, ni dans une démarche purement intellectuelle, ni dans la préconisation ou la définition d’une stratégie, mais à mi-chemin de ces deux démarches, laissant aux décideurs la liberté de sélectionner les futurs qui leur semblent préférables et d’identifier les leviers à actionner.

La démarche « Territoires 2040 » s’inscrit dans la tradition des grands exercices de prospective auxquels se livre régulièrement la DATAR depuis sa création, il y a près de cinquante ans. J’ai à peine besoin de vous rappeler certains travaux emblématiques qui ont ponctué la vie de l’institution. Vous avez tous entendu parler du « Scénario de l’inacceptable », qui avait fait grand bruit dans les années soixante-dix : ce scénario prospectif, resté dans les annales, était une projection sur le long terme des tendances du développement socio-économique en dehors de toute intervention politique. L’image de la France ainsi obtenue était celle d’un territoire éclaté en quelques zones structurées, entourées de grands espaces vides. Cette carte était censée représenter le risque majeur pesant sur l’organisation du territoire français.

Le « Livre blanc du bassin parisien », publié en 1992, a également fait date. L’objectif était non seulement de tenter une démarche prospective au niveau régional, mais aussi d’ouvrir un débat public impliquant l’ensemble des parties prenantes. L’exercice avait abouti à l’élaboration de trois scénarios contrastés : la « métropole concentrée », la « métropole multipolaire centralisée » et le «  réseau métropolitain maillé ». L’enjeu était là encore de décrire, à l’échelle du territoire étudié, des futurs possibles, grâce auxquels orienter la décision.

Après « La France en 2015 », élaboré en 1993, «  Aménager la France en 2020 » constitue le dernier grand exercice de prospective de la DATAR. Il comporte quatre scénarios : « l’archipel éclaté », « le local différencié », « le centralisme rénové » et « le polycentrisme maillé ». C’est ce dernier scénario qui avait été retenu par l’État pour orienter sa politique d’aménagement du territoire.

Le programme « Territoires 2030 », réalisé de 2004 à 2009, se voulait plus opérationnel et resserré autour de certains thèmes tels que le développement durable, les services ou l’aménagement numérique.

L’exercice « Territoires 2040 » a été lancé à la fin de l’année 2009. Une première étape s’est achevée à l’été 2012.

Trois spécificités majeures caractérisent ce nouveau programme de prospective. Premièrement, il donne un rôle central aux représentations, notamment la mise en image, la cartographie et les schémas, à partir du principe qu’ils n’ont pas seulement une fonction illustrative, mais qu’ils sont nécessaires pour imaginer l’avenir et construire la réflexion.

Deuxième caractéristique, il s’agit d’une prospective « des » territoires, et non plus « du » territoire. Pour la première fois peut-être, on substitue à une vision centralisée et surplombante l’attention aux dynamiques territoriales et l’appréhension des logiques infranationales, où les territoires sont des acteurs du changement.

Cette démarche prospective se caractérise enfin par l’identification d’espaces fonctionnels. L’idée sous-jacente est que la diversification croissante des territoires français, en termes de ressources, mais aussi de fonctions, induit une diversification des modèles de développement possibles et que la réflexion prospective doit donc s’inscrire dans le cadre de chacun de ces modèles.

Mais si les territoires sont de plus en plus diversifiés, ils sont aussi de plus en plus interconnectés. L’image de la France que nous voulons mettre en exergue, c’est celle d’une France en réseaux, en systèmes, où les territoires sont reliés par des flux organisés de personnes, de capitaux, de marchandises, d’idées ou d’innovations.

Quand les enjeux sont désormais ceux d’un monde « glocal », c’est-à-dire qui va du local au global, cette nouvelle prospective des territoires ne peut pas se contenter d’un seul niveau d’appréhension. Des questions comme le développement durable ou le réchauffement climatique sont des exemples types de questions qui relèvent d’une approche autant « micro » que « macro ».

Pour décrire la France d’aujourd’hui, « Territoires 2040 » met en prospective huit espaces fonctionnels, à l’aune desquels penser le fonctionnement, le mode de développement et le futur possibles de chaque territoire, étant entendu que certains territoires peuvent relever de plusieurs de ces catégories.

« L’urbain métropolisé français dans la mondialisation » est le premier de ces systèmes territoriaux. Il permet d’appréhender la problématique de l’interconnexion des grandes villes françaises avec le reste du monde. Deuxième cadre logique, « les systèmes métropolitains intégrés » permettent de réfléchir aux modalités d’organisation des relations entre les métropoles et leur environnement territorial. La catégorie des « villes intermédiaires et leurs espaces de proximité » permet d’envisager le rôle joué par ces espaces dans le fonctionnement du territoire français. J’exposerai plus loin le quatrième système territorial, celui des « espaces périurbains ». Viennent ensuite les « espaces de la faible densité », les « espaces de développement résidentiel et touristique », les « espaces de la dynamique industrielle » et enfin les « portes d’entrée de la France dans les systèmes territoriaux de flux ».

Afin que vous compreniez bien la logique d’ensemble de cette démarche, je m’attarderai plus longuement sur les espaces périurbains et les espaces de la faible densité.

Les espaces périurbains sont au cœur du débat politique, comme les dernières élections l’ont montré. La croissance de ces territoires en grande partie sensibles et fragilisés suscite des problématiques fortes d’aménagement du territoire – organisation de l’espace, infrastructures de transports, aménagement numérique – mais aussi dans le domaine du développement durable.

La DATAR a élaboré cinq scénarios, désigné chacun par une image, pour décrire l’avenir possible de ces espaces. Le scénario du « corridor » prévoit un arrêt de la périurbanisation ; une partie de cet espace se densifie et s’intègre aux villes, tandis que l’autre connaît une évolution inverse de dédensification urbaine. Dans le deuxième scénario, celui du « rivage », le périurbain devient un espace valorisé entre la ville et la nature, recherché pour la qualité de vie qu’il dispense. Le scénario de la « réserve » imagine que, dans un contexte de très fortes contraintes environnementales, le périurbain devient une sorte d’espace technique permettant d’assurer une densification urbaine croissante. L’hypothèse de la « nébuleuse » suppose que l’évolution technologique, en mettant à disposition une énergie renouvelable, en assurant le recyclage et une gestion environnementale des ressources, permettra une dispersion des activités et une occupation de plus en plus souple de l’espace. Dans le cinquième et dernier scénario, celui de la « synapse », le périurbain devient l’espace de l’intermédiation dans un contexte d’intensification des échanges entre les aires urbaines et de forte mobilité.

Ces différents scénarios sont autant de cadres, de schémas où la pensée peut se projeter. Tous les territoires périurbains n’ont pas forcément vocation à connaître le même destin ; ils peuvent s’inscrire dans des logiques différentes. L’objectif n’est pas d’épuiser tous les futurs possibles, mais de construire des visions cohérentes et contrastées. Il ne s’agit pas non plus d’indiquer le scénario le plus souhaitable, ni même le plus probable : cela dépendra des décisions que prendront collectivement les acteurs, sur la base du diagnostic qu’ils feront de leur situation, de leurs souhaits et des stratégies qu’ils mettront en place à partir de ce cadre de référence.

Si seuls 6 à 6,5 % de la population française habitent des espaces de faible densité, cette catégorie couvre 42 % du territoire national. Ce n’est pas donc pas un sujet mineur, d’autant qu’il pose de redoutables problèmes d’aménagement du territoire. La DATAR propose cinq scénarios pour définir les futurs possibles de ces territoires. Dans le scénario dit du « repli communautaire », la dérégulation et la flambée des prix de l’énergie entraînent l’isolement de ces espaces et un retour de la ruralité « à l’ancienne », de la sédentarité et des communautés locales. Dans le scénario de « l’absorption », ces espaces sont progressivement gagnés par la périurbanisation – c’est l’hypothèse de l’étalement urbain continu. Dans la troisième hypothèse, ces territoires deviennent « l’avant-scène des villes », valorisé en tant que cadre de vie pourvoyeur d’aménités aux métropoles : c’est le règne de la culture paysagère, des appellations d’origine protégées, du ressourcement. Le scénario de la « plateforme productive » assigne à ces espaces la fonction d’assurer les bioressources et la fonction carbone au profit de villes de plus en plus compactes et denses, consommant de plus en plus de ressources énergétiques. Enfin le scénario du « système entreprenant » voit dans ces espaces un refuge pour ceux qui rejettent les grandes villes et qui pourront, grâce aux réseaux numériques, créer de petites entreprises dans des territoires dont ils assureront la renaissance.

Désormais « Territoires 2040 » mobilise plusieurs groupes d’experts chargés de déterminer, à partir des catégories que je viens de vous décrire, mais aussi de l’identification de tendances structurantes comme le vieillissement de la population, l’urbanisation croissante ou le réchauffement climatique, quels sont les principaux enjeux de l’aménagement du territoire. Ces enjeux doivent être présentés dans le cadre d’un séminaire « Prospective Info » qui se tiendra en janvier prochain.

La première phase de « Territoires 2040 » nous enseigne d’ores et déjà la nécessité de changer le logiciel de l’aménagement du territoire. En effet, les approches sectorielles ou strictement top-down se sont révélées inefficaces ou limitées dans leurs effets.

Deuxièmement, l’accompagnement des territoires doit tenir compte de la diversité de leurs modèles de développement et de leur complémentarité : c’est la notion de « mise en capacité », qui voit dans l’ensemble des territoires français des acteurs possibles de la compétitivité et du rayonnement de la France, dès lors qu’ils ont une vision commune de leur positionnement, des choix qu’ils veulent opérer et de la stratégie qu’ils entendent mettre en œuvre.

Troisième idée importante, l’échelle de référence varie selon la problématique en cause : celle-ci peut être appréhendée à l’échelle d’une métropole, d’une région, d’un bassin versant, d’une inter-région ou à l’échelle nationale, ce qui suppose de travailler avec des acteurs différents selon les problèmes en cause. Il n’y a plus un échelon pertinent a priori, quelle que soit la question.

Quatrièmement, les usages sociaux doivent être au cœur des politiques d’aménagement. La question des infrastructures et des équipements ne doit pas être dissociée de celle des services et des besoins des habitants : il faut désormais « coconstruire » certaines politiques d’aménagement du territoire avec les habitants des territoires et leurs représentants.

L’aménagement du territoire doit enfin prendre en compte l’enjeu du développement durable. On peut dire, à la limite, que la nature doit devenir un acteur à part entière des politiques d’aménagement du territoire et des dynamiques territoriales. C’est une façon pour nous de reconnaître la prégnance de sujets tels que l’organisation de l’espace urbain et périurbain, les politiques environnementales, le réchauffement climatique, la valorisation des services ou la génération de nouvelles activités et « co-activités ».

M. Jean-Yves Caullet.  En dépit de son apparence très conceptuelle, le sujet que vous venez de nous présenter nous concerne tous : dans nos fonctions respectives, nous vivons le territoire d’aujourd’hui et réfléchissons à celui de demain, d’après-demain ou de 2040. C’est pourquoi il est important que la DATAR mène ces travaux de prospective de façon indépendante et ouverte : c’est ce qui permet aux différents échelons de prendre en toute liberté les décisions qui conviennent.

Votre exposé m’inspire trois sortes d’interrogation. Les territoires, ce sont d’abord les gens qui y vivent : comment articulez-vous la vie des habitants de ces territoires avec les différents scénarios que vous nous avez présentés ? Par exemple, nos concitoyens ne restent pas toujours dans le même territoire, mais divisent leur temps entre lieux de travail, de résidence ou de récréation : comment aménager une complémentarité des territoires en fonction de chaque vie, qui soit propice à l’épanouissement des capacités de chacun au service de la société ?

Deuxièmement, pourrait-on imaginer une synergie entre les différents champs de décision ? Aujourd’hui, en effet, l’aménagement du territoire apparaît comme une sédimentation de déterminismes différents – politiques, économiques, sociaux, individuels, voire climatiques – sans qu’il soit toujours possible d’identifier un décideur unique.

Comment enfin garantir, dans un contexte de restrictions, une affectation rationnelle et pertinente des ressources au regard des différents scénarios que vous avez imaginés ?

M. Martial Saddier. Vous n’avez pas évoqué des phénomènes pourtant incontournables, tel que le vieillissement de notre population : d’ici à 2040, 25 % de la population de notre pays aura plus de soixante-cinq ans. Quelle est votre vision de chercheur sur ce nouvel équilibre sociétal ?

Vous n’évoquez pas davantage le phénomène tout aussi inéluctable du réchauffement climatique et son impact sur nos territoires, alors qu’il est à craindre que ses effets ne se fassent directement sentir sur 30 à 50 % de ceux-ci. Comment avez-vous intégré ces éléments dans votre réflexion ?

La France consent-elle aujourd’hui en matière de nouvelles technologies un effort équivalent à celui qu’elle a fourni après-guerre pour développer son réseau électrique ou son réseau d’adduction d’eau ? Par ailleurs, alors que l’industrie représente 22 % des actifs en France, qu’en sera-t-il en 2040 ? Quelle sera la part des industries vertes ?

Vous avez par ailleurs mis en doute l’intérêt des politiques sectorielles. Est-il donc encore utile de parler dans notre pays de politique de la montagne, de la ville, de la mer, de politique périurbaine ou de politique rurale ?

Dans le cadre, enfin, de « l’acte III de la décentralisation », qu’on ne cesse de nous annoncer, la loi pourra-t-elle continuer à s’appliquer uniformément en tout point du territoire ?

M. Bertrand Pancher.  Si nous percevons clairement les graves menaces qui pèsent sur nous d’ici 2040 – flux migratoires, changement climatique, raréfaction des matières premières – il conviendrait également de faire la liste des opportunités, qu’il s’agisse de la relocalisation des productions, du retissage du lien social, etc., de façon à les faire partager à nos concitoyens.

Par ailleurs, on s’est parfois contenté dans le passé de plaquer les modèles de la DATAR sur les territoires sans que les élus aient leur mot à dire. Comment impliquer l’ensemble des acteurs locaux et les populations concernées dans le débat sur les différents scénarios d’aménagement du territoire ? Cette question en entraîne une autre : quelle gouvernance pourrait porter ces orientations sur le plan local ?

Je mets en garde contre toute remise en cause brutale des outils actuels de l’aménagement du territoire, tels que les zonages : les acteurs locaux qui en ont assuré la mise en place se sont fiés à la parole de l’État et en ont tiré certaines contreparties, financières notamment.

Comment enfin faire le lien avec les réflexions que nous menons sur les infrastructures de demain ?

Mme Laurence Abeille. La démarche « Territoires 2040 » de la DATAR est une démarche qu’il faut saluer, à une époque trop souvent gouvernée par un certain « court-termisme ».

Dans quelle mesure intégrez-vous le phénomène de l’artificialisation des terres à votre travail de prospective ? D’ordinaire, la DATAR et plus généralement les politiques d’aménagement du territoire, dont l’objectif est plutôt centré sur le développement économique, passent ce problème sous silence, alors que la lutte contre ce phénomène devrait être une priorité.

Celle-ci suppose notamment un habitat plus dense, tel l’habitat participatif, notion assez vaste englobant les habitats groupés, autogérés et coopératifs. Ce mode d’habitat est plus développé chez nos voisins allemands et d’Europe du Nord. Envisagez-vous un essor important en France de cette forme d’urbanisme dans les prochaines années ?

La crise économique et budgétaire actuelle nous conduit à une « rationalisation » des dépenses, qui se traduit par un désengagement des services publics, notamment dans les territoires ruraux. Or la présence de services publics est l’une des conditions de l’attractivité d’un territoire. Sans hôpital, sans école, sans collège, sans lycée, sans crèche, sans bureau de poste, les territoires se vident et un cercle vicieux se crée : les habitants quittant ces territoires, il y a encore moins de raisons d’y maintenir des services publics. Comment votre travail prend-il en compte ce désengagement de l’État ?

Les éco-quartiers sont encore trop souvent conçus comme des projets isolés, faisant l’objet d’expérimentations ici ou là. Il serait nécessaire de passer à une phase plus « industrielle », où tout projet d’urbanisme comporterait un développement en éco-quartiers. J’aimerais connaître votre opinion sur ce point.

M. Jacques Krabal.  L’exposé de M. Laurent Davezies, que nous avons entendu il y a quelques jours, bien que traitant d’une problématique similaire, relevait d’une approche radicalement différente de la vôtre. Nous avons été fortement interpellés par son analyse, de caractère strictement statistique, qui ne voyait un avenir qu’aux zones où se crée de la valeur ajoutée. Votre exposé a un caractère plutôt géographique, voire poétique. In fine, il s’agit toujours de prendre de la hauteur tout en gardant les pieds sur terre. Votre analyse nous invite à une réflexion globale, sans orientation précise. J’approuve pour ma part une telle démarche, qui tranche avec ce que les services de l’État nous proposent d’habitude.

Je souhaiterais cependant poser la problématique du pilotage territorial de l’organisation, que vous avez laissée de côté. Par ailleurs, en cette période de discussion budgétaire, j’aimerais connaître l’état de vos réflexions sur les modalités de la solidarité territoriale, notamment sur la péréquation, dont on a tant parlé ce matin.

Pourriez-vous enfin nous dire selon quelles modalités ces questions d’aménagement du territoire pourraient faire l’objet d’une réflexion collective ?

Mme Geneviève Gaillard. Quelle place accorder aux démarches de développement durable visant à concilier équité territoriale, développement économique, qualité urbaine, préservation de nos réservoirs biologiques et gouvernance participative ? Par ailleurs, les espaces de densité moyenne, travaillant souvent en réseaux, sont dans notre pays porteurs d’innovation et d’opportunités de développement : comment mieux prendre en compte les deux défis qui s’annoncent pour l’avenir de ces territoires souvent oubliés, à savoir leur propre capacité à maîtriser leur destinée et à trouver une place au sein du système spatial que vous nous présentez, et la nécessaire valorisation écologique de leurs ressources ?

M. Jean-Marie Sermier. Je salue ce travail considérable, qui a abouti à la définition de vingt-huit scénarios pour huit espaces. Mais la DATAR a-t-elle au préalable vérifié si ses précédents exercices de prospective avaient reçu une traduction sur le terrain ? Avez-vous mesuré l’écart entre les scénarios proposés par la DATAR au cours des décennies précédentes et ce qui est effectivement arrivé ? Il serait intéressant de savoir si la prospective n’est qu’un exercice intellectuel, ou si elle peut proposer des solutions aux décideurs politiques.

Par ailleurs, ce travail fera-t-il l’objet d’une diffusion plus large, afin que les élus puissent s’approprier ces scénarios et leur donner une traduction dans leur collectivité ?

M. Christophe Bouillon. Je voudrais saluer à mon tour le travail accompli. Il me semble cependant que trois mots ont manqué dans votre exposé : « crise », « Europe » et « mer ».

Avez-vous pu intégrer les effets de la crise dans vos différents scénarios ? Votre exercice de prospective prend-il en compte les axes de développement européens, notamment dans le domaine des infrastructures, et plus largement l’inscription de notre pays dans les échanges européens ? Enfin la France a-t-elle encore un avenir maritime ? La dimension maritime de notre pays est également à prendre en compte dans un scénario de changement climatique.

M. Jean-Pierre Vigier. Élu d’un territoire de faible densité, je veux rappeler que le développement de ces territoires passe par le maintien de la population ; celui-ci suppose la préservation ou le développement de l’activité économique, qui supposent eux-mêmes que nous rattrapions notre retard en termes d’infrastructures routières ou de nouvelles technologies. Votre scénario va-t-il dans ce sens ?

M. Jean-Jacques Cottel.  Si le développement du réseau numérique a facilité les échanges, il n’a pas supprimé la nécessité des déplacements. Or ceux-ci restent difficiles en milieu rural, rendant souvent nécessaire la disposition d’une voiture. Comment faciliter les déplacements en milieu rural ?

Quelle est votre vision de l’avenir du transport maritime fluvial au regard des exigences du développement durable ?

Quand pensez-vous que les zones de revitalisation rurale (ZRR) pourront être redéfinies selon de nouveaux critères, tenant compte notamment de la fermeture de certains sites ?

M. Michel Heinrich.  Ce sont les travaux de la DATAR en général qu’il faut saluer : nous avons une chance extraordinaire de disposer d’un tel outil.

Faut-il continuer à sectoriser les politiques ? Dans une démarche prospective, ne vaudrait-il pas mieux parler d’équilibre ou de complémentarité plutôt que d’égalité des territoires ? Pourriez-vous enfin analyser les conséquences de la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques et proposer des moyens de l’améliorer ?

M. Yannick Favennec.  Les critères démographiques, économiques et institutionnels présidant au classement en zone de revitalisation rurale paraissent aujourd’hui quelque peu dépassés. Ne pourrait-on pas imaginer d’aller plus loin en définissant des zones franches rurales, destinées à encourager la création de nouvelles activités par des mécanismes d’exonérations ou d’allégements de charges et bénéficiant d’une meilleure mobilisation des fonds communautaires ?

Mme Laurence Abeille. Pouvez-vous définir plus précisément ce que sont des « signaux faibles » dans une problématique d’aménagement du territoire ?

M. Yann Capet. Ce dernier exercice de prospective de la DATAR traduit une rupture méthodologique par rapport au programme « Aménager la France de 2020 », qui avait privilégié le scénario du polycentrisme maillé, dans la logique traditionnelle d’une politique nationale d’aménagement du territoire. Vous semblez avoir la volonté de diversifier les scénarios du possible et de laisser la définition des scénarios du souhaitable aux acteurs et aux territoires. Mais à quels territoires et à quels acteurs ?

Mme Valérie Lacroute.  Territoire en apparence dynamique, l’Île-de-France est en réalité très diversifiée. Les franges de cette région présentent des caractéristiques proches de celles de la province et me semblent pouvoir être classées dans la catégorie des espaces périurbains. Ces espaces souffrent de la désindustrialisation et doivent faire face à la suppression de services publics. Avez-vous intégré dans vos hypothèses pour 2040 la montée en puissance des communautés de communes, le projet du Grand Paris, ainsi que tous les outils d’aménagement du territoire à notre disposition, tels que les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les plans d’aménagement et de développement durable (PADD) ou les contrats de développement territorial (CDT) ?

M. Philippe Duron. Si vous avez beaucoup insisté sur le développement du périurbain durant ces cinquante dernières années, vous avez peu parlé de la ville, qui joue pourtant un rôle croissant dans nos sociétés et participe fortement à l’attractivité des territoires et de notre pays. Mais elle est aussi très fragilisée par le développement du périurbain, la pauvreté, qui s’y concentre plus que dans les autres territoires, et l’alourdissement des charges de centralité. Quel avenir pour les villes-centres dans les trente ans qui viennent ? Comment parviendront-elles à établir un équilibre avec la périurbanité ? Quelles sont leurs perspectives démographiques ?

M. Charles Ange Ginésy.  Définir des scénarios de prospective territoriale à l’horizon 2040 permet d’élaborer des concepts et de dessiner des orientations ambitieuses. Quelles adaptations seront nécessaires pour passer de notre monde de 2012 à ces scénarios pour 2040 ? Comment les outils d’aménagement qui sont aujourd’hui à la disposition des décideurs devront-ils évoluer, notamment face à la mondialisation ? Avez-vous suffisamment pris en compte les résistances à la mondialisation qui sont apparues ces dernières années ?

M. Christophe Priou. On peut constater la permanence des enjeux d’aménagement du territoire à travers les années. Ceci dit, beaucoup a été fait au cours de la mandature précédente, notamment dans le domaine de l’urbanisme de projet. Quel rôle pourrait jouer la DATAR en la matière ?

M. Alain Calmette. Les scénarios que vous nous avez présentés ont-ils vocation à être subis ou à être construits ? Certains d’entre eux ne sont guère réjouissants, notamment ceux qui vouent les espaces de faible densité à être des zones de récréation, voire des protectorats des grandes métropoles voisines.

Pour que l’avenir ne soit pas subi, encore faut-il que les gens qui vivent dans ces espaces aient les moyens d’envisager la possibilité de le construire. Ne pensez-vous pas que cela suppose que leur soit garantie l’existence d’un socle commun, en termes d’infrastructures notamment, permettant à chacun de mener son propre projet de développement ?

M. Michel Ruffin. Il m’est impossible de répondre à certaines de vos questions sans être entraîné sur des terrains qui ne sont pas les miens. Ainsi, ce qui relève de la mise en œuvre de politiques publiques n’est pas de mon ressort.

S’agissant du socle commun, je peux vous rassurer : l’aménagement du territoire a toujours du sens à l’échelle nationale. La démarche de « Territoires 2040 » se fonde simplement : premièrement, sur le constat que les territoires obéissent à des logiques de plus en plus différenciées ; deuxièmement, sur ce changement institutionnel majeur qu’est la décentralisation, puisque la montée en compétence des acteurs locaux et la multiplicité des initiatives nous obligent à modifier le cadre de référence de la prospective territoriale et des politiques d’aménagement qui pourraient en découler.

Il n’est pas surprenant que certains des scénarios que je vous ai présentés inquiètent : ils sont là pour faire réfléchir, mais aussi pour faire réagir. Nous ne prétendons pas cependant qu’ils épuisent le sujet. Mais il y a un moment où il faut quitter le simple constat pour se risquer à construire une vision, aussi imparfaite et critiquable soit-elle. Ceci dit, si nous avons été à l’initiative de la démarche, si nous l’avons coordonnée et pilotée, ces scénarios ne sont pas le produit de la seule DATAR : chacun des espaces fonctionnels que je vous ai présentés a été pris en charge par un groupe de travail réunissant experts et acteurs locaux, qui ont construit une réflexion collective.

L’année 2040 est un terme à la fois proche et éloigné. S’agissant de questions d’aménagement du territoire, c’est la bonne échelle de temps pour réfléchir, prendre des décisions et les voir porter leurs fruits. C’est ce qui explique la tradition prospective de la DATAR, les sujets que nous sommes amenés à traiter nous contraignant à nous projeter dans le moyen et long terme.

C’est faute de temps que je n’ai pas davantage développé le rôle des villes. Celui-ci apparaît notamment dans les scénarios imaginés pour « l’urbain-métropolisé français dans la mondialisation », « les systèmes métropolitains intégrés » ou « les portes d’entrée de la France ». De même, si je n’ai pas parlé de l’Europe, développer comme espace fonctionnel « l’urbain dans la mondialisation » revient clairement à dire que nous ne vivons pas en circuit fermé et que l’approche territoriale doit se concilier avec l’approche du grand large. C’est aussi une invite à repenser sous cet aspect nos politiques d’aménagement du territoire. Le territoire français tend à se structurer autour d’un certain nombre de grandes villes fonctionnant en réseaux, à la fois ouvertes sur le grand large et structurant le territoire environnant. Tout l’enjeu est de parvenir, à partir de l’identification du fonctionnement de ces systèmes urbains, à construire des stratégies de développement à l’échelle de tout un territoire.

Dans cette perspective, nous avons pu cartographier la France des réseaux, c’est-à-dire déterminer les modalités d’organisation des flux entre les principales métropoles françaises : sans surprise, il apparaît que les flux dominants relient Paris aux grandes villes, mais d’autres flux se développent entre les métropoles de province, et entre elles et le tissu urbain dans lequel elles s’inscrivent. Il y a là une carte à jouer en termes de définition de projets de développement territorial. C’est toujours la question de l’échelle pertinente pour définir une stratégie et la porter collectivement.

En prospective, les « signaux faibles » permettent d’identifier des tendances dès leur émergence et de déterminer un futur possible. Les tendances structurantes, quant à elles, sont des phénomènes comme le vieillissement – si je ne l’ai pas développé en tant que tel, c’est par souci de la clarté de l’exposé – le réchauffement climatique ou l’urbanisation, qui ont des conséquences sur le fonctionnement des territoires et doivent être pris en compte en tant que tels.

Je n’entrerai pas dans le débat sur les ZRR, ce sujet n’étant pas du tout de mon ressort. Je voudrais simplement insister sur le fait que les espaces ruraux eux-mêmes connaissent une diversification croissante. Il est désormais difficile de parler du monde rural comme d’un monde unifié et homogène : s’il existe une ruralité traditionnelle, dans des zones très peu denses, parfois vieillissantes et centrées sur l’agriculture, certains espaces ruraux connaissent au contraire un renouveau économique et industriel.

Loin de nous l’idée que le numérique est la panacée. Il peut constituer une forme de réponse aux besoins de développement des territoires, qu’il s’agisse de créer des entreprises ou d’accéder à certains services publics, mais il ne réglera pas tout, et notamment pas la problématique des déplacements. Celle-ci ne se limite pas à la rénovation d’infrastructures de transports parfois vieillissantes : elle appelle des solutions innovantes pour répondre aux besoins réels de la population. Dans cette mesure, le numérique a un rôle à jouer, ne serait-ce que pour diffuser l’information sur cette nouvelle offre, fluidifier les nouveaux modes de déplacement et faciliter de nouvelles mobilités, y compris dans des territoires peu denses.

Si je n’ai pas évoqué la réflexion menée par la DATAR sur les espaces littoraux, c’est, encore une fois, pour ne pas allonger excessivement mon exposé. Une des évolutions significative du peuplement de la France au cours des dernières années est une transition forte vers les espaces littoraux. Il est vrai cependant que les activités économiques liées à la mer n’ont pas été prises en compte en tant que telles.

La diffusion de nos travaux est assurée à travers diverses publications. En outre, les travaux cartographiques de « Territoires 2040 » ont fait l’objet d’une exposition au Conseil économique, social et environnemental, qui sera présentée prochainement au Salon des maires et doit circuler dans toute la France au cours de l’année 2013, à l’occasion du cinquantenaire de la DATAR.

Vous avez été plusieurs à me demander comment agir. Le temps de l’analyse est désormais derrière nous : il faut maintenant tester les différentes hypothèses sur le terrain. Dans cette perspective, nous sommes en train de nouer des partenariats avec des territoires afin qu’ils puissent s’approprier ces outils. Des conférences de terrain ont déjà permis d’expliquer la démarche et d’évaluer sa pertinence dans des contextes locaux. Certains territoires ont souhaité aller plus loin et tenter de décliner à leur niveau le cadre d’analyse proposé, afin de construire une stratégie de développement. Je tiens cependant à souligner à nouveau le caractère d’abord théorique de notre démarche ; libre à chacun de se l’approprier en fonction de sa situation et de ses intérêts. Notre objectif n’est absolument pas de dire aux uns et aux autres ce qu’ils doivent faire, d’autant moins qu’il peut arriver que les territoires, n’étant pas forcément monofonctionnels, relèvent de plusieurs cadres analytiques.

Mme Suzanne Tallard.  Vous n’avez pas évoqué l’outre-mer ?

M. Michel Ruffin. La démarche de «  Territoires 2040 » ne traite pas de tel ou tel territoire en particulier ; elle identifie des espaces fonctionnels, avant de les décliner dans des contextes locaux. Ainsi les travaux de « Territoires 2040 » ont été présentés à La Réunion il y a quelques semaines afin de mesurer la pertinence de l’analyse dans ce contexte particulier et de voir comment concevoir, à partir de là, une stratégie de développement pour l’outre-mer. Il faut cependant avoir conscience que ce travail est beaucoup plus complexe dans les outre-mers, où les enjeux dépendent étroitement du contexte international dans lequel ces territoires s’inscrivent.

M. le président Jean-Paul Chanteguet.  Il y a quelques jours, Laurent Davezies avait ici même dressé le constat du décrochage de certains territoires, constat que nous pouvons partager là où nous exerçons des responsabilités locales. Je sors de cette présentation de « Territoires 2040 » avec le sentiment que tous nos territoires ont un avenir, et que cela dépend de nous, élus. Je vous en remercie, au nom de tous les parlementaires ici présents.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 13 novembre 2012 à 16 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Christophe Bouillon, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, Mme Sabine Buis, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Rémi Pauvros, M. Edouard Philippe, M. Gabriel Serville, M. David Vergé, M. Patrick Vignal