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Mardi 23 avril 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 58

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur les infrastructures de réseaux dans la transition énergétique, avec la participation de M. Philippe Boucly, directeur général de GRTgaz, M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de Transport d’Électricité (RTE), Mme Monique Delamare, directrice générale de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF), Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d’Électricité Réseau Distribution de France (ERDF), Mme Sandra Lagumina, directeur général de Gaz réseau Distribution de France (GrDF), M. Martial Saddier, président et M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics et des organismes constitués par les collectivités locales (ANROC), ainsi que M. Guillaume Garros, directeur des ventes et marketing, et M. Patrice Caillaud, directeur commercial électricité de la société Itron

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les infrastructures de réseaux dans la transition énergétique, avec la participation de M. Philippe Boucly, directeur général de GRTgaz, M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de Transport d’Électricité (RTE), Mme Monique Delamare, directrice générale de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF), Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d’Électricité Réseau Distribution de France (ERDF), Mme Sandra Lagumina, directeur général de Gaz réseau Distribution de France (GrDF), M. Martial Saddier, président et M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics et des organismes constitués par les collectivités locales (ANROC), ainsi que M. Guillaume Garros, directeur des ventes et marketing, et M. Patrice Caillaud, directeur commercial électricité de la société Itron.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La commission du développement durable a décidé d’organiser différentes tables rondes sur la question de la transition énergétique, afin de préparer son travail sur un projet de loi qui nous sera bientôt soumis. Aujourd’hui, nous recevons les acteurs spécialistes des réseaux de transport et de mécanismes de distribution. Je cède sans tarder la parole à nos invités, que je remercie de leur présence.

M. Philippe Boucly, directeur général de GRTgaz. GRTgaz est une entreprise jeune, créée en 2005. Elle assure le transport du gaz naturel sur les trois quarts du territoire métropolitain, le quart restant étant couvert par TIGF. Le réseau exploité s’étend sur 32 000 kilomètres : c’est le plus long d’Europe. Nous employons 3 100 salariés pour un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Nous avons aujourd’hui une centaine de clients expéditeurs, c’est-à-dire d’utilisateurs du réseau de transport. Nous livrons le gaz à seize clients distributeurs : GrDF est évidemment le plus important, les autres sont des entreprises locales de distribution. Près de 900 clients industriels sont également reliés directement au réseau de transport.

Le système mis en place depuis 2005 a permis la création d’un marché de gros efficace du gaz naturel. D’après la Commission de régulation de l’énergie (CRE), 83 % des sites industriels raccordés au réseau, ce qui représente 99 % de la consommation, ont choisi de faire appel à des offres de marché pour leur approvisionnement en gaz.

Les réseaux de transport haute pression sont les vecteurs majeurs de la transition énergétique. Le « système gaz », c’est-à-dire l’association du gaz naturel et du réseau de transport, est déjà le complément indispensable des énergies renouvelables, amenées à se développer mais par nature intermittentes.

Dès à présent, nous alimentons treize cycles combinés à gaz pour une puissance de 5,4 gigawatts, c’est-à-dire l’équivalence de trois réacteurs EPR. Nous déplorons l’arrêt de certains projets et la mise sous cocon de plusieurs unités : cela est bien sûr dû à la baisse des prix de la tonne de charbon, ainsi qu’à l’effondrement de la tonne de CO2.

Nous préparons dès aujourd’hui l’injection de biométhane, c’est-à-dire de gaz renouvelable, directement dans notre réseau : à ce jour, nous avons signé dix conventions d’étude et nous encourageons le développement du biométhane notamment par la mise en ligne, sur notre site, de Réso’Vert, carte interactive qui permet à chacun de se localiser par rapport au réseau. L’injection de biogaz dans le réseau devrait être possible dès 2014.

Demain, l’électricité excédentaire sera stockée grâce à l’hydrogène et injectée directement dans notre réseau de transport. Nous avons réalisé une étude qui montre que le réseau de transport offre une solution de stockage massif de l’électricité excédentaire, d’origine éolienne ou photovoltaïque, après sa conversion en hydrogène par électrolyse.

Après-demain, nous envisageons le transport de gaz de synthèse, obtenu par recombinaison chimique de l’hydrogène et du gaz carbonique capté, ou encore le transport de biométhane par gazéification de la biomasse. Nous venons d’achever une étude qui montre que le potentiel de production de biométhane et de gaz de synthèse peut être évalué à 220 térawattheures, à comparer à une consommation actuelle de gaz naturel en France de 520 térawattheures, hors procédés utilisant les micro-algues et production à partir de cultures dédiées. Cette étude montre que, avec une subvention de l’ordre de 5 milliards d’euros, c’est-à-dire de l’ordre de grandeur de celle accordée aux énergies renouvelables d’origine électrique d’ici 2017, on pourrait développer 150 térawattheures de biogaz à l’horizon 2050.

La transition énergétique devra nécessairement s’appuyer sur des réseaux fiables, puissants, intelligents. Notre société investit beaucoup, pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en France, pour permettre une mutualisation des moyens, pour faciliter l’accès à des sources diversifiées et fluidifier le transit sur le réseau, pour assurer l’équilibrage. Bref, il s’agit de faire vivre la solidarité énergétique entre les territoires et la continuité de l’alimentation, et donc de permettre la péréquation tarifaire entre les régions. Pour ce faire, nous avons absolument besoin d’une visibilité à long terme – cinquante ans plutôt que dix.

Pour la période 2009-2012, nos investissements s’élevaient environ à 2,5 milliards d’euros, et, pour la période 2013-2016, nous prévoyons d’investir 3,2 milliards d’euros.

L’évolution du transport de gaz ne saurait se concevoir qu’à l’échelle européenne. GRTgaz possède déjà deux filiales, l’une en Allemagne et l’autre en Autriche ; nous travaillons au renforcement des interconnexions avec les pays voisins. L’objectif de la Commission européenne est que l’Europe dispose d’un grand marché du gaz naturel, intégré et solidaire : nous nous inscrivons pleinement dans cette perspective. Nous sommes impliqués dans la création d’une Europe de l’énergie : nous avons contribué activement à la mise en place d’une plateforme (PRISMA) de réservation de capacités entre un grand nombre de transporteurs européens : elle est opérationnelle depuis le 1er avril. Enfin, je me rends demain à Bruxelles : GRTgaz et un opérateur suédois vont rejoindre trois autres opérateurs européens pour manifester notre intention d’accueillir sur nos réseaux 100 % de gaz décarboné à l’horizon 2050.

M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE). L’ouverture à la concurrence du transport d’électricité, facilité essentielle, n’a pas paru pertinente – je souhaiterais d’ailleurs bien du plaisir à un concurrent qui voudrait développer un nouveau réseau d’électricité. RTE est donc chargé du transport de l’électricité, c’est-à-dire de son acheminement entre grands producteurs et grands consommateurs ; nous alimentons également, bien sûr, les postes de distribution. Au total, nous gérons 100 000 kilomètres de réseau, dont un quart est constitué de lignes à 400 000 volts, visibles, qui ne sont pas toujours du goût de tout le monde.

Juridiquement, nous sommes une filiale à 100 % d’EDF, mais avec des conditions tout à fait particulières et dérogatoires au code des sociétés : notre actionnaire ne fixe ni nos tarifs ni nos investissements – c’est le régulateur qui le fait. Nous suivons des codes de bonne conduite, et nous avons à demeure un contrôleur général de la conformité, qui veille au respect de nos obligations d’indépendance et de neutralité à l’égard de notre actionnaire.

Nous sommes chargés de construire, d’entretenir et de développer le réseau, missions pour lesquelles nous avons les compétences et les moyens – nous n’avons pas connu les affres du secteur ferroviaire. Le régime est celui d’une concession d’État : nous sommes propriétaires du réseau.

Nos ressources viennent de péages, acquittés par les « soutireurs » : c’est une sorte de système de timbre-poste inversé, où ce n’est pas l’émetteur qui paie mais le destinataire. Ces tarifs sont établis par le régulateur ; un nouveau tarif devrait être fixé prochainement pour les trois ans à venir. Notre chiffre d’affaires est de 4 milliards d’euros. La part du coût du transport dans la facture du consommateur domestique est de l’ordre de 8 %, chiffre qui devrait rester stable.

Nous sommes également responsables de l’équilibre fin entre l’offre et la demande, puisque l’électricité se stocke aujourd’hui difficilement. Les producteurs sont censés fournir au réseau autant d’énergie électrique que les clients sont supposés en consommer. Mais même s’ils sont de bonne foi et excellents prévisionnistes, les changements de température ou les aléas de l’activité peuvent faire naître des écarts. Nous sommes donc chargés du réajustement instantané, en mobilisant ou, au contraire, en suspendant des moyens de production. Nous sommes enfin chargés de gérer les interconnexions avec les pays voisins.

À l’avenir, alors que la consommation d’électricité est stable, nous devrons investir davantage : en effet, un réseau relie des moyens de production et des consommateurs ; or, si la consommation évolue peu, la production – sous l’effet de la transition énergétique – va changer, et les nouveaux lieux de productions d’électricité n’ont aucune raison de coïncider avec les lieux historiques. On construira des éoliennes où il y a du vent, non où existe une centrale thermique !

Malheureusement, on observe une discordance entre les délais de développement des nouvelles sources de production – notamment pour les énergies renouvelables – et les délais de développement du réseau. Ainsi, en Allemagne, en 2009 et en 2010, 7 gigawatts de panneaux solaires photovoltaïques ont été, chaque année, connectés au réseau de distribution, et ont aussi alimenté les réseaux de transport. En Italie, en une seule année, 9 gigawatts ont été connectés au réseau ! Or il nous aura fallu dix ans pour installer, en Normandie, un réseau de 2 gigawatts, quand certains pays qui, comme le Danemark, n’ont pas la réputation de ne pas prendre en considération l’opinion de leurs concitoyens ou les questions environnementales, arrivent à construire de grands ouvrages en trois à quatre ans.

Si nous négligeons cette question, le réseau électrique risque de ne pas être au rendez-vous de la transition énergétique. C’est d’ailleurs la situation que connaissent nos voisins allemands ou espagnols. Cela aboutit à des dysfonctionnements du marché : des excédents de production locale ont pour conséquence des prix négatifs de l’électricité. Cela peut paraître intéressant pour le consommateur, mais je ne suis pas sûr que ce soit arrivé jusqu’à lui ; c’est surtout un signal désastreux pour les investisseurs et les opérateurs.

Mme Monique Delamare, directrice générale de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF). TIGF est le deuxième transporteur français de gaz après GRTgaz. Nous sommes une entreprise de 500 personnes, connue dans le sud-ouest depuis plus de soixante ans. Nous gérons un réseau de transport de 5 000 kilomètres, mais aussi un stockage de gaz souterrain, qui représente près du quart des capacités de stockage en France. Notre assise régionale est forte puisque nous disposons de 500 points de livraison pour la distribution du gaz aux consommateurs locaux et aux industriels.

TIGF veut être un acteur de la transition énergétique, et nous croyons que toutes les énergies ont leur place dans cette transition : la croissance des sources renouvelables, par définition intermittentes, oblige à créer de fortes synergies avec les énergies traditionnelles. Le gaz est une énergie primaire, qui ne nécessite aucune transformation avant d’être livrée au consommateur final. Il est disponible et contribue à la sécurité de notre approvisionnement énergétique – les réserves mondiales représentent, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 250 ans de consommation, et la France dispose d’un approvisionnement sûr et diversifié, ainsi que d’infrastructures de réseau et de stockage souterrain sûres et propres à répondre aux besoins dans les circonstances climatiques les plus rudes. Enfin, le gaz est propre : sa combustion émet moins de CO2 que celle des autres combustibles fossiles, ne rejette aucune particule dans l’air et ne produit aucun déchet. Les infrastructures gazières, enterrées, s’insèrent discrètement dans le paysage.

L’avenir est aux initiatives locales, et nous participons pleinement à ce mouvement. Notre réseau régional irrigue le tissu résidentiel et industriel et accompagne la montée en puissance du biogaz : le biométhane, énergie renouvelable, est miscible à 100 % dans le gaz naturel. TIGF accompagne directement des dossiers de production de biogaz pour une injection directe dans nos réseaux : nous instruisons aujourd’hui vingt-cinq projets, dont deux devraient aboutir dès 2014.

À plus long terme, la gazéification de la biomasse sèche – bois ou paille –, la méthanisation de la biomasse issue de la production industrielle de micro-algues et la production d’hydrogène issue de l’électricité excédentaire d’origine renouvelable permettront d’obtenir des quantités additionnelles de gaz vert, stockables et utilisables sur les réseaux existants.

L’avenir est aussi au développement du gaz en Europe : TIGF développe des ouvrages d’interconnexion avec d’autres pays, ce à quoi invitaient fortement les dernières directives européennes. Cela permet d’accroître encore la disponibilité de l’énergie, exigée par le consommateur final.

De meilleurs standards de sécurité, une disponibilité constante du gaz même en période critique de grand froid, de fortes synergies entre les infrastructures de stockage et les infrastructures de transport, d’importants travaux de développement de réseaux entre la France et l’Espagne et une très bonne intégration environnementale par l’adaptation de nos tracés : tels sont nos projets.

Les transporteurs de gaz comme TIGF, expérimentés et reconnus, seront indispensables à la transition énergétique, et entendent y participer pleinement. Le gaz naturel est une énergie fiable, économique, maîtrisée et implantée au plus près du consommateur résidentiel ou industriel : il pourra accompagner sereinement la montée en puissance des énergies renouvelables. L’émergence imminente de la production de biogaz permettra aussi à TIGF de soutenir le succès de la transition énergétique : le biogaz pourrait ainsi prendre une part significative dans le bouquet énergétique de demain, particulièrement dans des zones de forte activité agroalimentaire comme le sud-ouest. TIGF est enfin volontaire pour soutenir des projets de recherches sur l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel.

Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d’Électricité Réseau Distribution France (ERDF). ERDF est au service de l’ensemble des territoires et de leurs habitants. Nous assurons des missions de service public : la gestion et le développement d’un réseau de distribution long de 1,3 million de kilomètres, en moyenne et basse tension, c’est-à-dire en aval du réseau de transport dont il a été question tout à l’heure.

Nous avons 35 millions de clients ; notre chiffre d’affaires s’élève à 13 milliards d’euros, dont 4 milliards sont reversés à RTE, puisque c’est nous qui collectons le tarif d’acheminement. Si nous desservons 95 % du territoire, nous travaillons au quotidien avec les entreprises locales de distribution (ELD) prévues par la loi depuis 1946 : si les réseaux appartiennent aux collectivités locales, ERDF en est à la fois le gestionnaire et le concessionnaire.

Pour nous, la transition énergétique est un défi quotidien. Nos 35 000 salariés, répartis sur plus de 1 000 implantations, interviennent de façon permanente, conformément à nos missions de service public. De la reconstruction du pays après la guerre au changement du plan de tension et à la mise en place du « compteur bleu », qui a permis le développement de l’électroménager, du développement de l’électronique – qui accroît l’exigence de qualité d’électricité – à l’urbanisation de notre territoire, notre entreprise a accompagné toutes les évolutions de la société française. EDF, puis ERDF à partir de sa création en 2008 comme filiale à 100 % d’EDF, ont permis à la France de bénéficier d’un prix de l’électricité parmi les plus bas d’Europe, avec une bonne qualité moyenne : selon la Cour des comptes, nous bénéficions du meilleur rapport qualité-prix sur le continent. La péréquation tarifaire est totale, ce qui n’allait pas de soi au vu des difficultés techniques pour approvisionner certains territoires – elle n’a d’ailleurs été mise en place qu’en 1959.

Aujourd’hui, la transition énergétique fait partie intégrante de notre projet d’entreprise. Pour réussir, il nous faudra resserrer nos liens avec tous les échelons de collectivités territoriales : j’ai d’ailleurs, dans ce dessein, réorganisé ERDF en créant vingt-cinq directions régionales.

EDF remplit son rôle de service public de l’électricité en accompagnant clairement et volontairement le développement des énergies renouvelables : cela n’a pas été facile, car, en quelques mois, nous avons accueilli 10 gigawatts, soit l’équivalent de dix tranches nucléaires, sur un réseau de distribution qui n’a pas été conçu pour cela. Plus de 270 000 installations de production – photovoltaïque et éolienne – sont aujourd’hui connectées, et 95 % d’entre elles sont raccordées au réseau de distribution moyenne et basse tension. Notre réseau est arborescent : il partait des grandes centrales de production pour aller, par des ramifications de plus en plus fines, jusqu’au consommateur final ; aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables se fait sur les territoires, là où le réseau est en plus basse tension. À l’horizon 2020, nous devrions investir entre 40 et 45 milliards d’euros.

On pourrait imaginer que le développement des énergies renouvelables signifierait un moindre appel aux réseaux. Il n’en est rien : les énergies renouvelables sont intermittentes, et leur géographie est rarement celle des lieux de consommation. Elles sont, certes, réparties, mais surtout localisées là où existe une énergie primaire suffisante – soleil au sud, vent au nord et à l’ouest –, mais aussi un foncier accessible. Le développement du photovoltaïque en est la parfaite illustration : il se fait où le coût du terrain permet d’optimiser la rentabilité du projet, ce qui oblige à développer des réseaux au milieu de nulle part. Les projets qui seraient les plus utiles au système électrique, et donc à la collectivité nationale, sont situés au plus près des lieux de consommation, mais ce n’est pas toujours là que l’on trouve le foncier disponible : le développement de ces projets est plus long.

Sans doute pourrait-on prévoir, dans la loi sur la transition énergétique, un caractère d’intérêt général compatible avec les règles européennes pour des projets d’énergies renouvelables en milieu urbain, souvent d’ailleurs portés par les collectivités locales : ce serait une véritable avancée.

Si nous voulons être collectivement plus efficaces, nous devons trouver des lieux de concertation, d’échange et d’arbitrage sur les investissements, afin que l’évolution du bouquet énergétique national se fasse de façon pragmatique et supportable économiquement. ERDF souhaite renforcer ses liens avec les associations professionnelles, les filières industrielles et les collectivités locales. Les exemples de l’Allemagne et de l’Espagne doivent nous inciter à revenir à une forme de planification, de programmation pluriannuelle des investissements, transparente et contrôlable.

Plus d’énergies renouvelables, c’est plus de réseaux et plus intelligents : il faut en permanence gérer l’intermittence de ces énergies et assurer la sécurité du système électrique. Si nous n’y prenons pas garde, les réseaux risquent d’être demain un obstacle à une transition énergétique réussie.

Nous voulons aussi renforcer la solidarité entre les territoires et lutter contre la précarité énergétique. ERDF est, je l’ai dit, très attachée au maintien de la péréquation tarifaire, et celle-ci est liée au maintien du monopole historique national, ce qu’explique la Cour des comptes dans son dernier rapport public : la péréquation est un facteur essentiel de solidarité entre les territoires. Certes, nous gérons la distribution dans le cadre de contrats de concession avec les autorités organisatrices de la distribution, mais ce sont des contrats particuliers : ils ne portent pas sur le prix, fixé nationalement par le régulateur ; les limites administratives de ces concessions sont, de plus, variables. Il y a trois ans, plus de 1 200 contrats de concession étaient conclus ; aujourd’hui, il n’y en a que 600, sans que le service rendu aux clients en ait été modifié.

Nous voyons monter la précarité énergétique : il faut imaginer de nouvelles solidarités ; un dispositif de dernier recours permettrait aux plus fragiles de ne pas être privés d’électricité. Je veux toutefois préciser qu’il n’y a pas de lien direct entre précarité énergétique et chauffage électrique de base. Les formes de précarité sont multiples : les populations les plus fragiles sont les personnes âgées qui occupent de grands logements dont elles sont propriétaires, d’une part, et les familles monoparentales logées dans le parc locatif privé, d’autre part. Il faut, comme par le passé, adapter nos réponses à l’évolution de la société : nous sommes prêts à accompagner vos réflexions.

Notre mission est enfin d’innover en permanence et de soutenir les filières industrielles françaises. Nous avons, depuis une dizaine d’années, développé les automates et les réseaux intelligents : trente et une agences de conduite pilotent l’ensemble du réseau en moyenne tension ; demain, nous devrons conduire le réseau en basse tension, et c’est à cela que serviront les compteurs communicants, qui accroîtront la stabilité et l’efficacité du réseau et permettront d’intégrer les énergies renouvelables, tout en donnant un rôle actif au consommateur. Nous nous préparons également à la croissance des véhicules électriques. Notre programme d’investissement, supérieur à 3 milliards d’euros annuels, crée de nombreux emplois ; nous accompagnons les investissements des collectivités locales, à hauteur de 750 millions.

S’il fallait résumer notre mission en deux mots, je dirais : servir et innover.

Mme Sandra Lagumina, directrice générale de Gaz réseau Distribution France (GrDF). GrDF a la conviction que le réseau de distribution de gaz est l’un des vecteurs essentiels de la mise en œuvre de la transition énergétique.

Notre réseau de gaz naturel est le plus étendu d’Europe : près de 200 000 kilomètres courant sur tout le territoire, 80 % de la population française raccordée, 11 millions de clients et 9 600 communes. Nous sommes très attachés à ce lien avec les communes.

Ce réseau a une importante capacité d’absorption. Il permet notamment, dès aujourd’hui, de mettre en place des interactions entre réseaux et énergies : soutien au réseau de distribution électrique par la production décentralisée de gaz, ou encore la récupération de la chaleur résiduelle sur les réseaux d’eaux usées. La complémentarité entre les réseaux électrique et gazier est réelle et permet d’intégrer les variations de production d’énergies renouvelables. Ainsi, nous sommes associés au pacte électrique breton, que vous connaissez certainement.

Le réseau de gaz naturel permet aussi une complémentarité dans les usages avec d’autres énergies. Notre ambition est de répondre aux attentes de nos clients, qui veulent des technologies performantes et éco-efficaces. La diversité des solutions proposées, bien plus innovantes que ce que l’on imaginait, permet au gaz naturel de se combiner avec certaines énergies renouvelables. Il y a une filière industrielle qui innove en fabriquant des chaudières hybrides, par exemple. Plus généralement, nous apportons notre savoir-faire à des projets locaux : c’est le cas des éco-quartiers de La Courrouze à Rennes. Toutes ces complémentarités existent d’ores et déjà ; la transition énergétique est l’occasion d’aller plus loin.

Nous avons, nous aussi, à relever le défi d’arriver à introduire le gaz vert dans nos réseaux : le biométhane se développe considérablement ; c’est pour nous une deuxième transition énergétique gazière. Là encore, cela se vérifie sur le terrain, à Sedequin, dans le Nord, ou avec l’usine de méthanisation de Morsbach. Nous soutenons 350 projets autour du biométhane. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) croit à l’avenir des gaz verts, puisqu’elle estime qu’ils représenteront 14 % de la consommation de gaz en 2030, et 56 % en 2050. La transition énergétique permet également l’usage du biométhane comme carburant. Notre filière se met en route et peut agir sur la qualité de l’air des villes : nous en avons des exemples dans le domaine du transport collectif.

Nous développons enfin les réseaux intelligents. Nos salariés ont choisi le nom de Gazpar pour notre compteur communicant : il permettra aux consommateurs d’être mieux informés afin d’optimiser leur consommation de gaz, mais aussi aux collectivités et aux gestionnaires de parc d’avoir accès à des données agrégées afin de mieux définir, par exemple, les politiques de rénovation. Comme vous le savez, nous sommes actuellement en phase de concertation ; nous espérons rapidement déployer ce compteur auprès de nos 11 millions de clients. Le cadre réglementaire devrait être en place avant l’été.

Le réseau de distribution de gaz naturel est donc déjà un acteur engagé de la transition énergétique : appui aux solutions décentralisées, optimisation des réseaux et complémentarité entre réseaux, innovation verte. Cela fait partie de nos missions de service public ; c’est aussi une occasion de développement de notre entreprise. Dans notre tradition de dialogue pragmatique et d’ancrage territorial, nous écoutons nos interlocuteurs pour concilier l’optimisation des schémas nationaux et la souplesse des modèles locaux, le tout à un coût maîtrisé et dans des conditions techniques sûres.

M. Martial Saddier, président de l’Association nationale des régies des services publics et des organismes constitués par les collectivités locales (ANROC). Je tiens tout particulièrement à remercier de son invitation le président de la commission. L’ANROC est une association loi de 1901, que je préside depuis trois ans : la ville dont je suis maire, Bonneville, est sous régime de distribution locale d’électricité depuis 1911. Il n’est pas inutile, par les temps qui courent, de préciser que cette présidence est totalement bénévole ; je n’en retire aucun avantage.

Si cette association est présidée par un élu, c’est que, dès son origine, le système énergétique français a placé les élus et les communes au cœur du débat. La loi du 15 juin 2006 a confié les gestions des réseaux aux collectivités locales. Les entreprises locales de distribution (ELD), anciennement appelées distributeurs non nationalisés, sont nées au XIXe siècle pour le gaz, au XXe siècle pour l’électricité ; elles sont surtout présentes à l’est de la France car les initiatives locales étaient souvent liées à l’hydroélectricité. Leur existence a été sacralisée par la loi fondatrice instituant un grand service public national de distribution d’électricité, en 1946 : les ELD ont été reconnues et figées en leur périmètre existant, le législateur s’assurant qu’elles soient dirigées par des élus.

Nous bénéficions du monopole de distribution dans notre zone de desserte, mais certains de nos clients – notamment ceux opérant dans plusieurs sites – sont éligibles à la fourniture d’électricité en dehors de notre périmètre. Seule évolution constatée depuis 1946, les ELD, qui ne distribuaient que de l’électricité, ont progressivement fourni du gaz, et certaines d’entre elles s’orientent dorénavant vers les nouvelles technologies – fibre optique, distribution d’énergie pour véhicules propres –, mais toujours à l’intérieur de leur zone de desserte. Dans tous ces domaines, nous offrons aux citoyens un guichet unique d’information et la qualité d’un service assuré par un opérateur unique. La loi de 1946 ne fut modifiée qu’à une reprise, pour permettre aux communes fusionnées d’harmoniser la distribution dans leur nouveau territoire.

Les ELD – 150 entreprises ayant de 100 à plus de 400 000 clients – couvrent environ 5 % de la consommation nationale avec 1,8 million d’utilisateurs et 3,8 millions d’habitants répartis dans 2 800 communes. Elles emploient un peu plus de 5 000 salariés.

Nous nous inscrivons dans le modèle national des réseaux disposant du monopole de distribution. Ceux-ci structurent le système électrique français, garantissent l’alimentation et assurent une appréhension cohérente des enjeux européens. Nous nous fondons sur les deux grands principes d’engagement local – qui a émergé à l’époque de l’électrification – et de monopole – issu de la loi de 1946. Le principe de la péréquation tarifaire s’avère fondamental pour les ELD, souvent situées dans des territoires à faible densité. Sans péréquation, le prix du timbre varierait d’une région à l’autre, et les zones rurales, montagnardes et littorales – qui, pour les plus touristiques d’entre elles, connaissent une forte variation saisonnière de leur population – ne bénéficieraient plus du même tarif d’électricité.

Nous voulons prendre toute notre part dans la transition énergétique, même si les projections dont nous disposons, rares et toutes à court terme, permettent mal d’envisager l’intégration des nouvelles sources d’énergie dans le réseau et le rôle qu’elles joueront dans le système garantissant l’alimentation de nos concitoyens. Nous disposons d’atouts, forgés par notre histoire centenaire, mais nous pâtissons également de handicaps. Les zones de production ne sont pas nécessairement les zones de consommation, et il convient d’adapter le maillage territorial à cette donnée. Nous sommes prêts à contribuer à cette tâche.

M. Guillaume Garros, directeur des ventes et marketing de la société Itron. La société Itron France est le leader mondial des solutions de comptage intelligent. Elle conçoit et produit des éléments de communication et des suites logicielles permettant une maîtrise des ressources d’eau, d’électricité et de gaz. Présente en France depuis 130 ans, Itron emploie environ 1 000 collaborateurs directs – dont 250 travaillent dans la recherche et le développement (R&D) –, possède six sites de production dans notre pays – à Chasseneuil-du-Poitou, Reims, Mâcon, Haguenau, Argenteuil et Massy – et sept de R&D ; son activité la situe au cœur de cette filière d’avenir qu’est la transition énergétique.

Pour réussir cette transition, il faut moderniser les infrastructures et rendre les réseaux intelligents, donc en premier lieu déployer des compteurs communicants pouvant fournir des données fiables sur la consommation. La gestion des réseaux doit gagner en efficacité pour répartir les points de tension et orienter les flux énergétiques en temps réel. Il convient, en outre, de moduler la production d’électricité pour faire face aux pics de consommation. La nécessaire décentralisation sera l’occasion d’intégrer les énergies renouvelables – solaire, éolien, biogaz. Le consommateur final devra accompagner ces évolutions et mieux piloter sa consommation d’énergie grâce à un accès élargi à des informations précises, pas seulement estimées.

Formidables vecteurs de développement, l’installation de compteurs communicants s’avère un préalable indispensable à la transition énergétique. Les deux projets développés en France – Linky d’ERDF et Gazpar de GrDF – feront l’objet d’appels d’offres dans les semaines à venir. Par leur envergure – 35 millions de compteurs d’électricité et 11 millions de compteurs de gaz –, ils offriront de grandes opportunités à notre filière gazière et électrique, en France comme à l’étranger, ne serait-ce qu’en termes d’emplois directs et indirects. Nous disposons de champions nationaux dans le secteur énergétique, et tous les pays du monde suivent la situation française.

Notre site de Chasseneuil-du-Poitou s’apprête à produire des compteurs Linky, et trois de nos implantations fabriquent déjà des compteurs Gazpar. Depuis 2008, Itron a consacré près de 10 millions d’euros d’investissement à la production de compteurs industriels en France – à Chasseneuil-du-Poitou et à Reims – et engagera une nouvelle tranche de 2 millions d’euros cette année. La transition énergétique vise bien sûr à réaliser des économies d’énergie, mais elle constitue également une occasion de créer des emplois à haute valeur ajoutée, d’innover et d’envisager le développement de nos exportations.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le Président de la République, comme d’autres responsables politiques avant lui, a évoqué l’Europe de l’énergie. Quel contenu pourrait-elle revêtir ?

Plusieurs membres de cette commission participent au débat national sur la transition énergétique, duquel il ressort que les associations d’élus locaux portent avec insistance le thème de la décentralisation énergétique. Comment en envisagez-vous la mise en œuvre ?

M. Denis Baupin. Les réseaux de gaz et d’électricité jouent un rôle important dans la transition énergétique et représentent des atouts pour la diversification des productions d’énergie. La Côte d’Azur bénéficie certes d’un ensoleillement plus généreux que le nord de la France, mais en produisant de l’énergie photovoltaïque dans le nord du pays, on sollicite moins le réseau pour la transporter ; les questions de la multiplication des sites, du rapprochement des lieux de production et de consommation, du stockage et des réseaux intelligents se trouvent au cœur du débat sur la transition énergétique.

Les réseaux et les compteurs intelligents doivent être au service du consommateur, non de la technocratie, afin que celui-ci maîtrise mieux sa consommation d’énergie. J’espère que les prochaines propositions sur le compteur Linky iront dans ce sens.

Ayant été, pendant dix ans, responsable du contrôle de la concession du gaz et de l’électricité pour la ville de Paris, j’ai constaté que certains concessionnaires agissent davantage comme des racketteurs que comme des partenaires. La Chambre régionale des comptes d’Île-de-France a signalé le détournement de centaines de millions d’euros de provisions au profit des comptes de la maison mère du concessionnaire, et la Cour des comptes pourrait utilement étudier les relations financières entre collectivités locales et concessionnaires. Séparer les producteurs d’électricité des transporteurs et des distributeurs est une exigence de la démocratie.

Les coûts de raccordement des énergies renouvelables s’avèrent excessifs et il convient de les diminuer.

Est-il normal que des réseaux appartenant aux collectivités locales apparaissent dans le bilan d’une société de distribution d’électricité ?

L’ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) estime que le financement du démantèlement des centrales nucléaires et de la gestion des déchets doit reposer sur des circuits fluides, alors que ces montants sont gagés sur des actifs immobiles. Trouvez-vous cela optimal ?

M. Philippe Plisson. Notre génération fait face à des défis climatiques et énergétiques inédits qui exigent une réflexion approfondie. Mais, plutôt que de considérer la conjoncture comme un danger pour notre civilisation, nous appelons à la regarder comme un levier pour bâtir un nouveau modèle de société durable et solidaire. La transition énergétique qui s’engage en France doit, comme le soulignait le Président de la République, faire émerger une société sobre en énergie et en carbone, grâce aux économies d’énergie et à l’augmentation de l’efficacité énergétique.

Cette volonté bouleverse notre conception de la politique énergétique. Elle incite à abandonner une politique énergétique centralisée et orientée vers la demande pour adopter une approche décentralisée et déterminée par l’offre, de manière à éviter la surproduction et les consommations superflues. Cette transition interpelle les réseaux de distribution au sens large et nécessitera des infrastructures modernes, souples et innovantes, pouvant accueillir le mix énergétique qui composera notre approvisionnement futur. Sans trop m’avancer, je crois que l’on peut parler de véritable « big-bang » énergétique tant les changements seront profonds.

D’un point de vue technique, le réseau sera bidirectionnel et moins descendant. Il devra assurer la connexion des lieux de consommation et de production locaux et nationaux. En outre, les enjeux de pilotage et d’anticipation seront centraux pour les énergies renouvelables qui, pour 95 % d’entre elles, s’insèrent déjà dans le système électrique global. Grâce au stockage, la nature intermittente de ces énergies tend à décliner. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? Préconisez-vous plutôt le stockage centralisé ou décentralisé ? Quels seront les impacts et les bénéfices pour le réseau électrique, notamment, pour celui de la distribution ?

Afin de relever ces défis, il conviendra d’agir avec les territoires et de prendre en compte tous les projets de production. Comment envisagez-vous la programmation de ce travail avec les collectivités territoriales ?

Le projet de communauté européenne de l’énergie germe dans les esprits ; le Président de la République a confirmé son attachement à cette idée fin 2012. Elle mobiliserait solidarité, responsabilité et cohérence pour répondre à l’urgence énergétique européenne. La France possède d’ores et déjà des interconnexions avec l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, la Suisse et bientôt l’Espagne. Quelle est votre position sur cette communauté de l’énergie et quels moyens mettez-vous en œuvre pour la construire ?

La transition énergétique impliquera de nombreux changements et, pour conserver notre compétitivité, il faudra investir massivement : à combien ces investissements devront-ils s’élever et quel sera leur contenu ?

La France gagnerait à développer les économies d’énergie et les énergies renouvelables, dont nous aspirons à augmenter la part dans notre bouquet. Les délais de mise en place des projets de production énergétique d’origine renouvelable seront réduits. Les outils mis à votre disposition pour planifier le raccordement futur – schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE), plan climat énergie territorial (PCET), et, surtout, schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) – risquent de devenir obsolètes. Quelles sont vos préconisations pour résoudre les éventuels problèmes de raccordement ?

S’agissant du secteur éolien, pourquoi les constructions d’ouvrages autorisées dans les zones de développement de l’éolien (ZDE) avant la date de référence arrêtée par RTE ne sont-elles pas intégrées dans la définition de l’état initial ? Selon vous, quelle est la différence entre la création et le renforcement d’ouvrages ? Pourquoi considérez-vous que l’ajout d’un nouveau transformateur ou d’une nouvelle cellule dans un poste s’apparente à une création d’ouvrage ? Pourquoi, dans le cadre de l’élaboration du S3REnR, les sollicitations des professionnels de l’éolien sont-elles si rares et si tardives ? Avez-vous vérifié que l’ensemble des projets en développement y était inclus et comment avez-vous répertorié les professionnels consultés ?

Concernant le petit éolien, les délais théoriques de la remise de la proposition technique de raccordement s’élèvent à six semaines, mais ils s’avèrent plus longs dans la pratique. La cause réside dans l’absence de communication avec les services techniques : comment y remédier ? Si la production doit être décentralisée, quelles sont les pistes réglementaires que vous nous proposeriez pour favoriser les plus petites unités ?

Quelle est votre stratégie pour que le réseau soit intelligent, y compris localement ? Où en est-on en ce qui concerne le compteur à gaz intelligent ? Enfin, nous aimerions connaître votre position sur la solidarité énergétique entre les bâtiments du parc ancien et ceux du neuf, qui semble une solution pertinente pour accroître le nombre de chantiers de rénovation thermique, comme le souhaite le Gouvernement ?

M. Jean-Marie Sermier. Nous sommes tous favorables à la transition énergétique – déjà amorcée et présentée comme « fille aînée du Grenelle de l’environnement » –, qui permettra à tous d’avoir accès à une énergie produite selon des moyens variés et modernes. On nous assure que le temps des structures de grande taille produisant de l’énergie consommée par des entités de petite taille est fini et que s’ouvre l’ère de la production diversifiée, mieux répartie sur le territoire, mais nécessitant une adaptation des réseaux. En 2007, ont été menées les premières réflexions sur la mise en place de réseaux électriques intelligents ; l’expérimentation des compteurs Linky a été lancée en 2009. Ce mouvement doit maintenant s’accélérer. Pensez-vous que l’investissement de 3 milliards d’euros que vous évoquez, madame Bellon, sera suffisant ?

Le prix de l’électricité pourra-t-il rester stable dans un contexte d’évolution de la production d’énergie, notamment dans le cas où l’énergie nucléaire verrait sa part diminuer ou disparaître, comme le souhaite le Président de la République ?

L’hydrogène permettant de stocker l’énergie, avez-vous conduit des expériences instructives sur la possibilité d’injecter du gaz hydrogène dans les réseaux de gaz naturel, sachant que l’industrie sait déjà élaborer l’hydrogène fatal ?

Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) génère 90 % des recettes d’ERDF : comment assurer le financement d’ERDF si le TURPE n’était pas modulable ?

M. Bertrand Pancher. En ce qui concerne le gaz, il s’agit de faire correspondre l’offre et la demande, mais il semble qu’il n’y ait pas, en la matière, de grande révolution à attendre. Comment la production doit-elle évoluer dans les trente prochaines années ? Pendant combien de temps les réserves mondiales de gaz nous permettront-elles de nous approvisionner dans les conditions actuelles ? Quelle part pourrait prendre à l’avenir le biogaz ou l’hydrogène liquide ?

Dans le domaine de l’électricité, le Président de la République a fixé des objectifs forts : le tarif de rachat des énergies renouvelables entraînera une augmentation du prix de l’électricité et la substitution d’une partie de l’énergie nucléaire par des énergies renouvelables – la première devant passer de 75 % à 50 % de la production totale – sera ardue. Cette évolution est-elle réaliste ? Quel est le montant des investissements nécessaires et quel est le coût pour l’usager ? Nous ne voudrions pas être confrontés au même problème que l’Allemagne qui tente de tenir des promesses trop ambitieuses.

Mme Chantal Berthelot. Ma question s’adresse à Mme Michèle Bellon et à M. Dominique Maillard. La Guyane, qui connaît une démographie dynamique, a d’importants besoins énergétiques. Or le réseau s’avère dépassé puisqu’il est constitué d’une seule ligne à haute tension de 250 kilomètres reliant Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni, et qu’il n’existe aujourd’hui aucune alternative. Les opérateurs d’énergies renouvelables introduisent dans leurs plans de développement le coût élevé du raccordement au réseau, ce qui grève leur compétitivité par rapport aux énergies traditionnelles. Consacrerez-vous une partie des 40 milliards d’euros que vous comptez investir d’ici à 2020 au développement d’un réseau qui permette à la Guyane de tirer parti de ses ressources naturelles – hydraulique, biomasse, solaire et éolien – et de rapprocher les lieux de production et de consommation ?

M. Jacques Krabal. Vous avez passé avec succès l’épreuve technique des installations de production, mais vous avez commencé par les zones favorables qui ne requéraient pas la création de réseaux complexes. Les suivantes exigeront davantage d’efforts. Avez-vous élaboré une cartographie et un calendrier de ces chantiers ?

La direction générale de l’énergie de la Commission européenne estime à 140 milliards d’euros le montant des investissements nécessaires entre 2010 et 2020 pour adapter le réseau à la transition énergétique. Qui assurera ce financement et quelles seront les incidences pour les usagers ? L’estimation du coût de « So grid » et de Linky se situe dans une fourchette comprise entre 5 et 7 milliards d’euros, qui apparaît faible à certains. Ne risque-t-on pas de délaisser les zones rurales pour ne pas dépasser ce montant ?

La gestion du réseau électrique européen, constitué de réseaux nationaux interconnectés, devra répondre à une vision commune du fait du développement de la production, de la consommation et des moyens de stockage, ce qui imposera de renforcer la coopération en matière de planification, d’investissement et d’exploitation du réseau. Quelle est votre position sur cette question ?

Je crains que les élus locaux trouvent difficile de travailler avec vos services. Madame Michèle Bellon, vous vous félicitez de la mise en place d’un maillage régional mais, pour l’heure, celui-ci ne me paraît pas efficace.

Mme Sophie Rohfritsch. Nous devons préserver deux aspects de notre système énergétique : une électricité moins chère et la péréquation tarifaire qui garantit la cohésion sociale et territoriale. Quelle est la méthode la plus efficace pour assurer son maintien ?

Comme Mme Michèle Bellon l’a rappelé, de nombreux investissements sont nécessaires à la transition énergétique – notamment dans les compteurs intelligents, les Linky ; or la CRE ne se prononce sur le niveau des prix que pour cinq ans, ce qui ne vous permet pas d’intégrer leur évolution dans vos plans de développement. Ne faudrait-il pas que la CRE prévoie l’évolution des prix sur une plus longue période, afin que les entreprises bénéficient d’une vision de long terme pour leurs investissements ?

M. Jean-Jacques Cottel. Madame Michèle Bellon, je viens de visiter le terminal méthanier de Dunkerque, bel outil qui distribuera 20 % de la consommation nationale. Dans le département du Pas-de-Calais, ERDF réalise de nombreux investissements qui assurent la consolidation des lignes d’alimentation électrique.

Le prix et les conditions d’acheminement de l’électricité doivent être identiques sur tout le territoire, nous sommes nombreux à être attachés à ce principe. Il est regrettable que le gaz soit mal distribué dans les communes rurales : seul un tiers des localités du Pas-de-Calais sont alimentées.

Le SRCAE du Nord-Pas-de-Calais a prévu l’implantation d’éoliennes, mais il manque des postes sources et des mécanismes permettant de récupérer et de transporter l’énergie produite. Des opérations sont prévues pour pallier ces lacunes, les investisseurs et les collectivités locales sont prêts à les réaliser, mais je m’interroge sur les délais.

M. Yannick Favennec. Madame Sandra Lagumina, les réseaux intelligents permettront aux producteurs d’énergie de connaître l’état de la demande en temps réel pour mieux adapter la production. Quant au comportement des consommateurs, il tendra vers davantage d’efficacité énergétique ; pour ce faire, les habitants pourront mesurer facilement leurs économies d’énergie en matière de chauffage ou d’éclairage. Le système Linky favorisera une diminution de la consommation d’énergie, mais son déploiement a pris du retard, notamment en raison des critiques formulées par des associations qui estiment insuffisamment pris en compte les besoins des consommateurs.

M. Jean-Pierre Vigier. Nous venons de connaître un hiver rude qui a stimulé la demande énergétique, malgré la consigne, issue du Grenelle de l’environnement, de consommer moins et mieux. La France se trouve contrainte d’importer de l’énergie, car elle souhaite limiter sa production nucléaire – pourtant moins chère – en faisant face à l’augmentation de sa consommation ; en outre, la transition vers l’utilisation des énergies renouvelables rencontre des difficultés techniques. Dans ce contexte, la modification des infrastructures de réseau inquiète les consommateurs et les collectivités locales. Comment les producteurs perçoivent-ils cette situation ? Comment seront partagées les infrastructures entre les producteurs français et étrangers ? Quelles seront les conséquences financières pour le consommateur final ?

M. Alain Gest. Monsieur DominiqueMaillard, vous avez évoqué la nécessaire simplification des procédures pour faciliter l’implantation des énergies renouvelables. Que peut-on faire pour réduire les délais ?

Les énergies marines pourraient devenir une nouvelle source de production : êtes-vous d’accord avec cette hypothèse et quels moyens on déployer pour les développer ?

M. Guillaume Chevrollier. Alors que la majorité parlementaire vient d’adopter des dispositions qui risquent de miter nos paysages par la dispersion des éoliennes, la question du transport de l’électricité des sites de production jusqu’aux distributeurs et aux principaux consommateurs se pose avec acuité. La construction de nouvelles lignes paraît inéluctable ; l’Allemagne a fait l’expérience d’un gaspillage physique et économique, la production disséminée sur le territoire pâtissant d’un réseau de stockage et de transport insuffisant. La France doit éviter ces écueils. Que pensez-vous de l’établissement de petits champs d’éoliennes éparpillés dans les territoires ruraux ? Pour rendre les réseaux intelligents, les sites de production d’énergie renouvelable ne doivent-ils pas posséder une taille minimale ?

M. Alain Leboeuf. Dans le département de la Vendée, nous conduisons un projet de réseau intelligent en collaboration avec le syndicat départemental d’énergie et d’équipement, ERDF, RTE et un consortium d’industriels français. Nous mettrons en place pendant cinq ans un laboratoire de pilotage interactif du réseau électrique afin d’accroître progressivement le poids des énergies renouvelables, conformément aux décisions du débat sur la transition énergétique. Ce projet comprend un volet consacré à la formation ; de futurs ingénieurs spécialisés seront accueillis à la rentrée 2013. Préparer les jeunes aux nouveaux métiers de l’énergie constitue, en effet, une urgente nécessité.

Les réseaux joueront un rôle déterminant dans l’équilibre entre production et consommation d’énergie, l’objectif étant de permettre le développement des nouveaux usages de l’électricité, notamment la mobilité. Madame Michèle Bellon, comment et quand pensez-vous généraliser les réseaux intelligents, leviers de relance économique stratégique pour l’industrie française ?

M. François-Michel Lambert. Alors que Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, vient d’annoncer la présentation d’un projet de loi-cadre sur l’économie circulaire, en quoi les réseaux peuvent-ils aider à utiliser la gestion des déchets pour produire de l’énergie ? Quelles sont les contraintes à surmonter ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Quel est, madame Michèle Bellon, le programme de déploiement des compteurs Linky ? Le problème du financement est-il réglé ?

Plus généralement, que pense chacun de vous des différents scénarios élaborés dans le cadre du débat sur la transition énergétique, par l’ADEME, Négawatt, Négatep ou la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ?

M. Philippe Boucly. Je commencerai par exposer notre vision de l’Europe de l’énergie qui se traduit avant tout par un travail d’harmonisation des normes entamé depuis plusieurs années. GRTgaz est membre de l’ENTSOG, l’association européenne des transporteurs de gaz, au sein de laquelle nous élaborons les codes de réseau qui devront, demain, régenter l’ensemble de l’activité, qu’il s’agisse de l’équilibrage des réseaux, de l’interopérabilité ou de tous les moyens d’assurer un transit plus souple et plus simple au niveau européen. Dans l’immédiat, des initiatives sont prises en matière de coopération. C’est ainsi que dix-sept transporteurs, provenant de sept pays différents, se sont associés pour élaborer la première plateforme de réservation de capacités. Et demain, nous allons rejoindre des transporteurs belge, néerlandais, danois et suédois afin de nous engager fermement en faveur de la transition énergétique par l’accueil de gaz d’origine renouvelable dans nos réseaux à l’horizon 2050. Enfin, nous étudions la possibilité de mettre certains moyens en commun au niveau européen.

Nous assistons actuellement à un grand mouvement de vente de réseaux de transport. Non seulement la cession de TIGF est en cours, mais on peut s’attendre à des recompositions capitalistiques et à la constitution de grands opérateurs au niveau des grandes mailles régionales. L’ambition de GRTgaz est d’en faire partie et de contribuer à ce qui serait, dans le transport du gaz, l’équivalent d’EADS dans l’aéronautique.

Il est un point sur lequel nous devons faire preuve de vigilance : en cas de crise ou de tensions sur le réseau, on assiste parfois à des réflexes nationalistes. Les Allemands et les Italiens ont pu être tentés de conserver l’énergie disponible pour leurs propres besoins et de bloquer l’exportation, au risque de mettre la France en difficulté.

M. Jean-Marie Sermier s’est interrogé sur la possibilité de stocker l’hydrogène dans le réseau. À l’heure actuelle, on peut injecter, en volume, 6 à 7 % d’hydrogène, mais nous allons évidemment essayer de passer ce seuil. Nous avons lancé récemment une étude de faisabilité afin de déterminer les conditions dans lesquelles une expérience pourrait être réalisée. Nous songeons à un partenariat avec de grands groupes français – Areva ou Air Liquide. De son côté, EON réalise en Allemagne une expérience similaire.

S’agissant de l’état des réserves mondiales de gaz, évoqué par M. Bertrand Pancher, il est difficile de faire des prévisions. Mais l’AIE a pu parler d’un âge d’or du gaz : si l’on additionne aux réserves déjà connues les réserves de gaz non conventionnel, on parvient à des quantités permettant d’assurer 200 ans de consommation mondiale. Sans même parler du gaz de schiste, de nouveaux bassins de production seront exploités dans les années à venir, notamment dans l’est de l’Afrique, au large du Mozambique et de la Tanzanie.

En Europe, la question est de savoir dans quelle mesure la production de gaz non conventionnel pourra être acceptée. Mais cela ne nous empêche pas de travailler sur les gaz renouvelables, c’est-à-dire la production de biogaz. Avec une subvention équivalente à celle versée aux énergies renouvelables d’origine électrique à l’horizon 2017, soit environ 5 milliards d’euros, on pourrait développer un potentiel de 150 térawattheures, à comparer à la consommation française actuelle d’environ 500 TWh.

Le coût du transport du gaz représente 6 % du prix payé par le client final. Les investissements à réaliser, qui se chiffrent en milliards d’euros, peuvent donner le tournis, monsieur Jacques Krabal. Mais si vous multipliez la quantité de gaz consommé en France hors résidentiel, soit 300 TWh, par le différentiel entre les prix à long terme et les prix de marché, soit environ 4 euros, vous parvenez à un résultat de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an. Cela signifie que nous avons intérêt à développer les investissements et le marché pour récupérer cette somme.

M. Dominique Maillard. En matière d’électricité, nous développons aussi l’Europe de l’énergie – c’est un domaine où l’Europe n’a pas à rougir de son bilan. Il existe, aux États-Unis, cinq niveaux différents de très haute tension et trois zones très faiblement interconnectées entre elles. Même un pays de petite taille comme le Japon utilise deux fréquences différentes. L’Europe, de son côté, a réussi depuis soixante ans à harmoniser ses réseaux : nous échangeons depuis très longtemps l’électricité à 400 000 volts ou à 225 000 volts. Certes, il y a encore des progrès à faire, mais la situation est tout de même meilleure que dans d’autres régions du monde.

Sur le plan de la politique énergétique, on entend dire que nous sommes loin d’une intégration européenne parce que les Allemands, par exemple, ne font pas les mêmes choix que les Français. Mais quitte à être provocateur, je vanterai cette diversité des bouquets énergétiques qui permet la complémentarité. Elle nous conduit à effectuer des échanges, mais n’est-ce pas le but de l’Union européenne ? Au contraire, je serai inquiet le jour où tous les pays européens auront adopté le même bouquet énergétique. Je persiste à penser qu’il est plus intelligent de compter sur des panneaux solaires en Sicile et sur la biomasse en Finlande – d’autant qu’il ne reste plus tellement de forêt en Sicile. Les pays d’Europe sont diversifiés et chacun dispose de ses propres atouts, y compris sur le plan industriel. La France a développé l’énergie nucléaire et elle a acquis dans ce domaine un véritable savoir-faire, mais il n’y a aucune raison que tous les pays fassent le même choix. Ce n’est pas, à mes yeux, le critère d’une politique européenne. Les réseaux sont justement ce qui permet de valoriser la diversité, pour le gaz comme l’électricité.

J’en viens à la décentralisation énergétique. Il n’y a pas si longtemps, on utilisait à propos de l’Europe le beau mot de subsidiarité. Plutôt que de prôner la décentralisation – ou au contraire la centralisation –, je préfère considérer que certains sujets, y compris dans le domaine de l’énergie, sont traités plus efficacement à un certain niveau plutôt qu’à un autre. Si la construction d’un bâtiment à énergie zéro doit être envisagée au niveau le plus local, le zonage des énergies nouvelles relève évidemment du département ou de la région. Et d’autres sujets, comme les interconnexions, doivent être traités au niveau national, voire continental. Inversement, d’autres questions seraient plus naturellement du ressort des communes, qui témoignent depuis longtemps de leur implication. Peut-être est-il nécessaire de modifier la répartition des compétences.

M. Denis Baupin a posé une question que j’entends souvent, celle de l’impact de l’affectation de 50 % du capital de RTE au fonds de démantèlement des installations nucléaires. Sur l’activité courante de RTE, l’effet est nul. Cette opération ne signifie qu’une chose : en cas de dépense de démantèlement, EDF devrait se demander s’il conserve ces titres ou s’il les rend liquides. Selon la loi, ne peuvent être actionnaires de RTE que l’État, EDF ou un organisme public. En cas de nécessité, EDF pourra donc soit vendre les titres à ces derniers, soit remplacer sa participation dans RTE par une autre participation plus liquide.

Entre des stockages centralisés et décentralisés, ma préférence va vers un stockage réparti qui seul permettrait de faire une véritable économie de réseau. Un stockage centralisé – par exemple hydraulique gravitaire – nécessite de transporter l’électricité vers des barrages avant de la récupérer. Cela peut être une bonne solution, qui ferait surtout le bonheur de nos amis suisses. La France dispose d’environ 3 000 mégawatts de capacité dans des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), mais le potentiel de développement de cette technologie est faible dans la mesure où elle va rapidement se heurter à des exigences environnementales : il est difficile de noyer une vallée située dans une zone protégée. Il est également envisageable d’effectuer un stockage hydraulique avec un dénivelé moindre, à condition de bloquer pour cet usage des zones maritimes, ce qui semble difficile sur le littoral français.

La véritable alternative au développement des réseaux de transport, c’est, à terme, le stockage également réparti. À la limite, cela se traduirait par un stockage au pied de chaque éolienne. Ce serait une bonne solution, mais elle implique de développer certaines technologies à des coûts raisonnables.

Les schémas cités par M. Philippe Plisson – S3REnR, SRCAE – partent d’une bonne intention : répondre à la nécessité de planifier. Les investisseurs ont besoin de savoir où installer leurs équipements, et les opérateurs tels que RTE ou ERDF, de savoir où leurs réseaux doivent être renforcés. C’est pourquoi des procédures sont prévues pour consulter l’ensemble des acteurs. Dans ce domaine, nous essuyons les plâtres, ce qui peut expliquer certaines frictions. Les gestionnaires de réseaux font preuve de bonne volonté et sont attentifs aux besoins exprimés, mais un meilleur dialogue serait sans doute nécessaire.

Cela m’amène à la question de M. Jean-Jacques Cottel sur les délais de réalisation des ouvrages : ils ne tiennent pas tant aux problèmes de financement qu’au respect des procédures – qu’il faut absolument simplifier. Il n’est pas question de négliger l’avis des riverains, qui ont évidemment leur mot à dire. Mais il importe de comprendre pourquoi il faut huit ans, en France, pour parvenir à un résultat qu’au Danemark on atteint en trois ans et demi. Je le répète, ce pays n’a la réputation de négliger ni ses citoyens ni les questions environnementales. En fait, nous avons plus besoin de rationalisation des procédures que de simplification. Est-il utile de consulter trois fois la même commune à trois étapes différentes ? Pour peu que des élections aient eu lieu, portant une nouvelle équipe aux responsabilités, le même travail devra être répété. Nous devons donc organiser des enquêtes « valant pour », c’est-à-dire susceptibles de servir à différents usages ; cela nous permettra de gagner du temps.

Nous nous efforçons de respecter les délais de transmission d’une proposition technique et financière. En cas de dépassement, nous adressons à l’opérateur une notification en précisant les raisons. J’observe d’ailleurs que les dépassements excèdent rarement une quinzaine de jours. Il serait possible de les réduire en industrialisant le processus, mais il n’en demeure pas moins que nous devons respecter certaines dispositions.

M. Bertrand Pancher se demande si les objectifs visés par les différents scénarios de transition énergétique sont réalistes. Un ingénieur vous dirait que tous peuvent être atteints, mais ils ne le seront pas au même coût. Sans attendre l’issue du débat national, nous avons estimé que le coût du renforcement du réseau de transport à l’horizon 2025 serait compris entre 35 et 50 milliards d’euros. Cet écart de 15 milliards correspond à la plus ou moins grande intensité de la transition énergétique : plus grand sera le nombre de centrales déclassées, plus nombreux seront les moyens de production nouveaux, par nature localisés, et plus il faudra renforcer les réseaux.

En ce qui concerne l’approvisionnement de la Guyane en électricité, Mme Chantal Berthelot a bien conscience que ni moi, ni Mme Michèle Bellon ne sommes compétents pour lui répondre : celui-ci est assuré par un EDF-SEI, et je ne doute pas que ce dernier soit amené à analyser de façon détaillée les conditions de renforcement du réseau et l’adéquation entre offre et demande.

S’agissant du réseau électrique européen, il importe que la coordination entre les pays soit renforcée. Nous disposons déjà d’un certain nombre d’outils communs, comme Coreso, un centre de coordination régionale fondé par plusieurs pays d’Europe de l’Ouest. Il nous a permis d’anticiper et d’éviter certaines situations potentiellement dangereuses, dont vous n’avez heureusement pas entendu parler. Je rappelle que le dernier grand black-out a eu lieu il y a six ans. J’espère que nous n’en connaîtrons pas de nouveau avant un délai au moins aussi long, mais la tâche est difficile.

Les règles de partage d’infrastructures sont claires, monsieur Jean-Pierre Vigier. Nous devons laisser l’accès à tous les opérateurs ; en cas de congestion, une procédure d’enchères, prévue par la réglementation européenne, permet de réguler le système.

M. Alain Gest a également évoqué la simplification des procédures. J’ai parlé de rationalisation, mais on peut aussi envisager un système à cliquets dans la mesure où, en France, le dernier recours peut avoir pour effet d’annuler dix ou vingt ans de discussions. C’est ainsi que le Conseil d’État n’a pas autorisé la construction d’une ligne dans la région de Nice dont le projet avait demandé quinze ans de travail. Il en avait pourtant reconnu le caractère d’utilité publique, mais le tracé passait trop près des Gorges du Verdon : nous avons donc dû reprendre le projet à zéro. Bien sûr, il ne nous faudra pas autant de temps pour le relancer – la construction devrait commencer dans trois ans –, mais la réalisation coûtera plus cher et sera moins efficace. Dans d’autres pays, un recours juridique peut vous ramener quelques cases en arrière, mais jamais à la case départ. Ce serait une bonne idée de s’en inspirer.

Les énergies marines représentent un enjeu important. La France peut s’enorgueillir d’avoir fait partie des pays pionniers avec l’usine marémotrice de la Rance. Nous disposons également d’un important potentiel d’énergie hydrolienne, c’est-à-dire produite à partir des courants marins, qui a le mérite d’être très régulière et donc d’offrir, contrairement aux autres énergies renouvelables, une grande prédictibilité à très long terme : grâce au bureau des longitudes, il est possible de calculer la quantité qui sera produite le 22 avril 2047 à dix-neuf heures… Le potentiel disponible au large du Cotentin – environ 3 000 mégawatts, ce qui est considérable – pourra être exploité dans quelques années, mais cela nous oblige à renforcer le réseau. La ligne destinée à raccorder le réacteur de Flamanville n’y contribuera qu’en partie.

La question de M. Guillaume Chevrollier sur l’implantation des éoliennes est pertinente. Le choix de l’emplacement résulte d’un ajustement entre offre et demande. Nous mettons à la disposition des investisseurs des informations sur le potentiel de raccordement, mais ils restent libres de choisir d’autres sites d’implantation : soit en raison de la qualité du vent, soit parce qu’ils ont trouvé des terrains disponibles dont les riverains sont prêts à accepter de telles installations. Dans ce cas, nous leur indiquons les conditions de renforcement du réseau et les délais dans lesquels les travaux seraient effectués. C’est une des vertus des procédures de schéma de permettre le dialogue.

Enfin, monsieur le président, vous avez demandé notre avis sur les différents scénarios de transition énergétique, et je vous répondrai en tant que citoyen. Dans ce domaine, nous devons prendre en compte la dimension temporelle. Nous exprimons tous une certaine impatience à propos de la transition énergétique, que nous voudrions voir se réaliser immédiatement. Mais qu’il s’agisse de la production, du transport, de la distribution ou du stockage, rien ne peut être réalisé sans délai. Dès lors, il faut être conscient que les scénarios les plus ambitieux ne pourront être suivis qu’à un horizon plus éloigné. De nombreuses choses se passeront à l’horizon 2100 – il suffit de songer à tout ce que l’on ne pouvait pas imaginer il y a un siècle, lors du vote de la loi de 1906 sur les distributions d’énergie – mais, pour ce qui concerne les échéances plus rapprochées, nous devons nous montrer patients. Les scénarios les plus crédibles sont ceux qui ménagent une certaine concordance des temps.

Mme Monique Delamare. Je me contenterai de précisions, car M. Philippe Boucly a dit l’essentiel.

Il est vrai, tout d’abord, que tout est fait pour harmoniser les codes de réseaux et poser les conditions d’une émergence de l’Europe gazière. Nous devons toutefois rester vigilants, car une telle évolution est fragile. Nous l’avons vu en 2009, quand la crise russo-ukrainienne et les difficultés d’approvisionnement qui en ont résulté ont conduit de nombreux pays à fermer leurs frontières. Nous devons assurer la sécurité de notre approvisionnement en prévision de crises politiques similaires et pour faire face aux périodes de grand froid. À cet égard, le stockage représente un enjeu très important.

Au départ, le réseau français a été développé comme un réseau de distribution. Nous travaillons – en y consacrant d’énormes investissements – à le rendre plus fluide et à le transformer en un véritable réseau de transit. Mais il nous reste beaucoup à faire pour éliminer les points de congestion et faire en sorte que le gaz puisse nous parvenir depuis le nord de l’Europe et la Russie.

En ce qui concerne la collecte de l’énergie issue des déchets, monsieur François-Michel Lambert, il nous reste à résoudre le problème du raccordement des installations à notre réseau, ce qui passe par un travail avec notre régulateur, et à améliorer la qualité du gaz obtenu, ce qui pose un problème sanitaire. Si l’on met de côté ces deux aspects, les solutions techniques sont à notre portée.

Mme Michèle Bellon. M. Denis Baupin semble penser qu’installer des panneaux photovoltaïques dans le nord de la France permet de réduire la longueur des réseaux. Je ne peux pas laisser dire cela. Le photovoltaïque, c’est bien là où il y a du soleil, et dans la journée. Mais dans le Nord, l’hiver, à dix-neuf heures, cela ne marche pas. Il faut donc bien un réseau d’acheminement, ne serait-ce qu’en complément. Dès lors, davantage d’énergie renouvelable, cela signifie aussi davantage de réseaux.

M. Jean-Jacques Cottel l’a dit : grâce aux éoliennes, le département du Pas-de-Calais a un potentiel de production d’énergie trois fois supérieur au volume de sa consommation. Il faut donc créer de nouveaux postes sources, ce qui exige un délai de deux à cinq ans. Un poste source, c’est un transformateur en interface entre les réseaux de transport et de distribution : il en existe 2 200 en France. Nous avons prévu de lancer, pour la seule année 2013, la construction de dix postes supplémentaires dédiés exclusivement aux énergies renouvelables. Mais il s’agit d’infrastructures de grande taille, qui réclament des investissements importants – de 3 à 5 millions d’euros par poste – et de longues procédures. Nous devons donc être capables de faire preuve d’anticipation.

J’en viens à l’Europe de l’énergie. Du point de vue des producteurs d’électricité, il s’agit d’une construction récente et diverse. Dans certains pays, les distributeurs sont propriétaires des réseaux ; la péréquation n’existe pas partout ; dans deux pays, les compteurs sont en dehors du réseau de distribution ; quant aux bornes de charge des véhicules électriques, elles sont partout, sauf en France, incluses dans les réseaux de distribution. Les disparités sont donc importantes. En 2010, nous avons créé l’Association des distributeurs européens d’électricité – dont je suis présidente – pour mettre en commun notre expérience et grandir tous ensemble. Nous avons développé en commun des projets de réseaux intelligents qui font l’objet de subventions de la Commission européenne. L’Europe de l’énergie, pour nous, n’est donc pas seulement la normalisation et la standardisation, mais aussi un processus de comparaison de nos forces et de nos faiblesses qui doit nous emmener plus loin.

On nous a posé de nombreuses questions sur les investissements et les tarifs. J’ai dit que d’ici à 2020, nous avions besoin d’investir entre 40 et 45 milliards d’euros. Nous avons investi 3 milliards d’euros en 2012, mais les collectivités locales, de leur côté, ont apporté 750 millions. Au total, les investissements consacrés chaque année au réseau par le concessionnaire et les autorités concédantes sont de l’ordre de 4 à 4,5 milliards d’euros, l’essentiel étant assumé par ERDF. L’important, pour nous, est d’éviter les à-coups, les aléas, les fluctuations dans les investissements, qui doivent être réguliers, durables et représenter des volumes significatifs. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé, puisque nous avons connu des périodes de sous-investissement.

Les deux tiers de ces investissements sont dits imposés. Notre réseau se développe, notamment pour raccorder les sites de production d’énergie renouvelable. Beaucoup pensent sa longueur stable et que nous avons seulement besoin de l’entretenir mais, en réalité, nous raccordons environ 450 000 nouveaux clients chaque année. Nos obligations de service public nous contraignent à raccorder chaque producteur qui en fait la demande dans les meilleurs délais.

Le tiers restant concerne les investissements de qualité, c’est-à-dire le renouvellement et la modernisation : mise en place de capteurs, d’équipements électroniques, de fonctions avancées de conduite, de logiciels permettant de mieux piloter le réseau et d’être plus réactifs en cas de défaillance. Ces derniers investissements connaissent une augmentation modérée et peuvent se traduire par un tarif raisonnable, acceptable par le consommateur.

Le problème, il est vrai, est que le tarif est défini par le régulateur sur une période de cinq ans au maximum – et même quatre ans actuellement. La dernière décision de la CRE en ce domaine a même été annulée par le Conseil d’État. Or nous souhaiterions programmer les investissements sur une période de dix ans, comme le fait RTE. Cela supposerait une visibilité sur les recettes et le nombre d’installations ou de clients à raccorder. Le tarif, aujourd’hui, ne donne pas une telle visibilité. La possibilité d’élaborer des programmes pluriannuels d’investissement et de sécuriser le développement du réseau est pour nous un enjeu important.

Nous souhaiterions également améliorer le dialogue avec les collectivités locales qui, bien plus qu’il y a dix ans, se préoccupent des questions énergétiques. Elles ont toute légitimité à le faire compte tenu du développement de la production décentralisée d’énergie, de l’émergence des véhicules électriques, de l’aménagement de nouveaux quartiers ou de lignes de tramway et de la construction de bâtiments à énergie positive. On m’a interrogée sur les conséquences de la décentralisation énergétique : elle est synonyme d’une concertation plus importante, d’un plus grand nombre de lieux d’échanges, de dialogue, d’arbitrage, destinés à confronter notre expérience technologique avec la très grande connaissance que les élus ont de leurs territoires. Je suis donc convaincu qu’il s’agit d’une démarche gagnant-gagnant, à condition de trouver plus de lieux pour travailler ensemble.

Beaucoup de questions portaient sur le compteur communiquant. Linky a été expérimenté sur 300 000 compteurs, entre mars 2010 et mars 2011. En septembre 2011, Éric Besson, le ministre chargé de l’énergie à l’époque, en a décidé la généralisation aux 35 millions de foyers de consommation. Dix-huit mois plus tard, l’opération est en suspens. Cette période a toutefois été mise à profit pour améliorer les performances de l’appareil, étudier les évolutions possibles avec les fabricants, et surtout dialoguer avec les consommateurs et les associations qui les représentent, car il y a eu, dans un premier temps, un déficit de communication.

Le compteur que nous sommes prêts à déployer permettra à l’utilisateur de connaître sa consommation en temps réel, et donc d’adapter ses comportements. Non seulement il pourra maîtriser sa consommation, mais il pourra participer aux opérations d’effacement lors des phénomènes de pointe que notre pays connaît souvent, notamment en hiver aux alentours de dix-neuf heures. Nous avons également beaucoup travaillé sur l’aspect domotique, si bien que le compteur dispose de toutes les fonctionnalités nécessaires pour permettre aux consommateurs non seulement d’être acteurs de leur consommation, mais aussi de piloter les équipements de la maison. Bien entendu, cet appareil convient aussi bien au monde rural qu’au monde urbain. Son expérimentation a été réalisée pour une part – 200 000 compteurs – dans la zone urbaine située au nord-ouest de Lyon, et pour une autre dans un très rurale de l’Indre-et-Loire.

Le budget, validé par l’expérimentation, est de l’ordre de 5 milliards d’euros. Son montant final dépendra toutefois de plusieurs paramètres, tels que l’éventuelle intégration d’un émetteur ou le rythme d’installation, sur une durée de cinq ou six ans ou sur une période plus longue. Il pourrait être plus élevé, mais l’expérimentation a permis d’en donner une estimation relativement précise. La pose – qui n’est que de la main-d’œuvre – représente 51 % du total. Elle est plus chère en milieu rural, où un installateur ne pourra guère dépasser quatre ou cinq compteurs par jour, alors qu’en milieu urbain il est possible d’en installer vingt-cinq à quarante-cinq dans la même journée si l’on équipe un immeuble d’habitation. Le budget a été élaboré en tenant compte de ces paramètres.

La décision finale n’est toutefois pas encore prise, et il reste des interrogations relatives au financement, lui-même étroitement lié à la question de la sécurisation du monopole. L’objectif est que le remplacement des compteurs n’ait aucun impact sur la facture du consommateur, ce qui est tout à fait envisageable, dans la mesure où les économies dégagées viendraient compenser l’investissement. Par exemple, la possibilité d’intervenir à distance permet d’éviter 35 millions de kilomètres de trajets routiers, et le fonctionnement du nouveau compteur rend possible une importante réduction des pertes générées par le réseau. Mais pour que les économies permises par le nouveau matériel puissent amortir l’investissement réalisé pour l’installer, il est nécessaire de sécuriser le monopole.

Bien entendu, le recours aux compteurs intelligents va entraîner l’apparition de nouveaux métiers, souvent à forte valeur ajoutée : ingénieurs, gestionnaires de données, etc. Le simple déploiement de Linky permettra de créer environ 10 000 emplois par an pendant six ans. Ensuite, le développement des usages, la domotique, la maîtrise de la demande en généreront de nouveaux dans les filières d’électricité, d’électrotechnique et d’informatique. Cependant, la décision de généraliser l’installation de ces compteurs ne m’appartient pas. Elle serait, selon Mme Delphine Batho, prise avant l’été, de même que pour les compteurs de gaz. Il reste à résoudre la question du financement.

S’agissant des schémas régionaux de raccordement aux réseaux des énergies renouvelables, leur élaboration demande beaucoup de temps, d’autant qu’elle vient en aval de celle des schémas régionaux climat air énergie, également très longue. En outre, les S3REnR ne sont pas prescriptifs. Pour peu que des projets aient été déposés et des appels d’offres lancés durant leur élaboration, il peut arriver – cela a été au moins le cas dans une région – qu’ils deviennent obsolètes dès leur validation.

Les installations de biomasse ou de biogaz, les usines d’incinération de déchets sont depuis toujours raccordées au réseau. Ces technologies offrent généralement une bonne prévisibilité, puisque le temps nécessaire à la construction des installations suffit pour prévoir le raccordement. De plus, elles sont de petite puissance. Enfin, leur volume de production est relativement prédictible.

Pour finir, je rappellerai que nous sommes soumis aux lois de la physique. Les réseaux ont été construits à une époque déterminée, avec des marges de dimensionnement et à partir de prévisions en matière de développement du territoire qui ne permettent pas, aujourd’hui, d’accueillir toutes les énergies renouvelables. Bien entendu, nous allons nous adapter, mais nous avons besoin de temps. Le facteur temps compte autant que la capacité d’anticipation : plus tôt nous serons informés, et plus il y aura de chances que nous soyons au rendez-vous.

Mme Sandra Lagumina. Pour sa part, GRDF accompagne la filière de biogaz depuis sa création en 2008 et, dans ce dessein, collabore étroitement avec l’ADEME. Il faut procéder à des expérimentations, élaborer des projets concrets, mais aussi travailler sur ce que l’on appelle la « soft law », c’est-à-dire sur tous les éléments techniques permettant la réalisation du projet – la qualité du gaz, par exemple.

Pour ce qui concerne l’hydrogène, nous avons lancé à Dunkerque une expérimentation à laquelle nous croyons beaucoup.

S’agissant de la transition énergétique, il convient de la considérer avec une certaine modestie, tant l’ampleur du temps et des investissements nécessaires donne le vertige. Le scénario développé par GDRDF repose sur deux idées-forces : d’une part, la complémentarité – la transition exige de faire appel à tous les réseaux, électriques ou gaziers – et, de l’autre, la nécessité de gérer des pas de temps différenciés. Ce scénario est finalement proche de celui de l’ADEME. Il privilégie la piste du gaz naturel pour véhicule, qui offre un meilleur rendement, et insiste particulièrement sur la notion d’efficacité énergétique. Quant aux investissements, ils sont relativement maîtrisés, grâce aux marges de manœuvre qu’offre notre réseau de transport de gaz.

J’en viens à Gazpar, soit l’équivalent de Linky pour le distributeur d’électricité. Il s’agit d’un outil très « orienté clients » – comme d’ailleurs tous les compteurs communicants – et dont le fonctionnement est centré sur la maîtrise de la demande. J’ajoute que la filière industrielle de production de cet équipement est pour l’essentiel française, et que cette solution est ouverte aux entreprises locales de distribution. Quatre expérimentations ont déjà eu lieu. Le déploiement, s’il est décidé en juin comme je l’espère, se fera d’abord sur quatre sites pilotes, en 2015 et 2016.

Le projet a bénéficié d’un fort consensus au sein des parties prenantes, notamment chez les concédants et les associations de consommateurs. Bien sûr, il réclame un important effort d’investissement, mais celui-ci n’aura pas d’impact sur nos deux grands pôles d’investissement traditionnels que sont la sécurité et le développement.

M. Martial Saddier. Aucune question n’a été posée sur les entreprises locales de distribution. Nous ne le prenons pas comme un signe de désintérêt, mais plutôt comme la preuve d’une absence d’hostilité (sourires).

La construction de l’Europe de l’énergie, aujourd’hui presque inexistante, est indispensable. Nous en avons besoin pour harmoniser les normes, pour sécuriser les approvisionnements, pour améliorer le stockage. Alors que nous sommes interdépendants et interconnectés, il est regrettable que chacun continue à décider seul de son devenir énergétique.

Nous sommes bien évidemment favorables à l’acte III de la décentralisation. Par définition, cette réforme devra constituer un signal fort en faveur de la subsidiarité, de façon à donner un coup d’accélérateur aux initiatives locales. Mais, avant de les accélérer, il convient avant tout de ne pas entraver ces initiatives : mon ELD, qui avait dix ans d’avance dans le domaine de la fibre optique, est aujourd’hui bloquée à cause des schémas départementaux.

Par ailleurs, la nouvelle organisation territoriale devra permettre de maintenir une cohérence globale sur le réseau : c’est la ligne directrice de l’ANROC.

J’insiste une nouvelle fois sur l’importance de la péréquation. Il reviendra au Parlement de la pérenniser.

Pour que l’acte III de la décentralisation soit en mesure de favoriser les initiatives locales, il convient de se poser la question de la répartition des richesses qui en seront le fruit. Le fait que la construction de barrages hydroélectriques ait été une source de revenus pour les collectivités qui les abritaient a été un important facteur de leur développement. Si les territoires concernés n’avaient pas bénéficié d’un peu de la richesse produite, cette forme d’énergie propre n’aurait pas connu un tel succès en France.

On ne change pas du jour au lendemain une filière industrielle. À cet égard, le Gouvernement a choisi le bon terme en parlant de transition énergétique. Une transition, ce n’est ni un « big bang » ni une révolution. Elle doit permettre le maintien de la péréquation et l’extension des réseaux. Elle est synonyme d’évolution de l’outil industriel, de progressivité, d’adaptation. Une révolution ne permet pas tout cela.

Enfin, Jean-Marie Sermier a posé la question du coût de l’électricité. Nous bénéficions du coût le plus faible de tous les pays européens. Nous le devons à la qualité de nos réseaux, laquelle est indéniablement liée à l’existence d’un monopole, et au poids de l’industrie nucléaire dans notre pays. Si nous ne voulons pas voir exploser l’équilibre actuel, nous devons progresser doucement sur ces deux points.

Je vous confirme en tout cas que les entreprises locales de distribution seront des acteurs de la transition écologique. Et je note avec intérêt le fait que nos partenaires quotidiens sont demandeurs d’une plus grande concertation avec les collectivités locales.

M. Patrice Caillaud, directeur commercial électricité de la société Itron. Le monde industriel, en tant que promoteur des réseaux intelligents, est déjà un acteur de la transition énergétique. Mais il a besoin de décisions rapides pour pouvoir investir.

En Guyane, nous avons contribué à une expérience intéressante, consistant à relever tous les sites de production isolés du département de façon à améliorer la gestion du réseau électrique, à avoir une meilleure connaissance des incidents et à réaliser des économies. En Corse et en outre-mer, la production d’électricité est du ressort de la filiale d’EDF vouée aux systèmes électriques insulaires (SEI).

Dans les îles, la part des énergies renouvelables a augmenté au point, dans certains cas, de dépasser le seuil légal de 30 % au-delà duquel on a le droit de déconnecter le dernier entrant sur le réseau. Là encore, nous avons contribué à une expérience intéressante de réseau intelligent : tous les sites de production sont équipés de compteurs qui transmettent des informations à intervalles réguliers. Ainsi, toutes les cinq minutes, on est capable, en un point central de l’île, de savoir si le seuil est ou non dépassé, auquel cas le réseau peut devenir instable. Il est dès lors plus facile d’intervenir pour éviter un black-out. Nous avons aussi découvert, à cette occasion, que le simple passage d’un nuage pouvait entraîner une variation de production de 20 % en cinq minutes. Les îles sont un champ d’expérimentation intéressant, dont il est possible de tirer des enseignements valables pour la métropole. Car, demain, avec le développement des énergies renouvelables, les mêmes problématiques devront être traitées à l’échelle de toutes les mailles territoriales. Les enjeux sont donc très importants.

Une question portait sur le besoin des consommateurs. Je pense qu’il est pris en compte, comme l’a noté Mme Michèle Bellon. Les groupes mis en place après l’expérimentation ont permis à la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services et à la DGEC de vérifier la qualité de la liaison informatique vers le client final. Celle-ci rend possible la connexion de modules additionnels, dont les données télétransmises permettront de gérer les tarifs et la consommation à l’intérieur de la maison.

Rappelons que la consommation des 35 millions de ménages augmente plus vite que les autres formes de consommation. Si la consommation française augmente, ce n’est pas à cause des électro-intensifs ou du reste du monde industriel. De même, ce sont les ménages qui contribuent le plus aux pointes. À cause du secteur résidentiel, la pointe augmente de 5 % par an, et la consommation générale, de 2 % par an. Il faut donc donner aux ménages les moyens de gérer leur consommation et de réaliser des économies, d’autant que le mode de veille, gourmand en énergie, a été généralisé à tous les appareils des nouvelles technologies de l’information.

Mais sans un outil spécifique, sans un compteur intelligent équipé d’un afficheur déporté dans la maison, le particulier aura du mal à économiser l’électricité parce que, comme aujourd’hui, il ne découvrira sa consommation qu’a posteriori, en lisant sa facture.

Nous avons investi considérablement dans la filière des réseaux intelligents, mais les projets que nous développons n’ont pas encore l’envergure de Linky et ne nous permettent pas de donner un véritable coup d’envoi à cette révolution. L’expérience réalisée dans 300 000 foyers – à laquelle nous avons contribué pour un tiers – est achevée depuis 2010. La CRE a rendu ses conclusions en 2011, et les décrets et arrêtés sont prêts. La filière industrielle a absolument besoin que le projet se concrétise, sans quoi elle risque de connaître le sort des promoteurs du minitel, cette belle invention qui n’a pas su se transformer en internet. Le décollage des réseaux intelligents entraînera le développement de la filière des appareils de comptage, mais aussi de celle des appareils électriques domestiques, qui concerne des entreprises majoritairement françaises. Nous avons donc besoin, je le répète, de décisions rapides.

Il faut respecter non seulement les lois de la physique, mais aussi celles du monde industriel. La filière industrielle qui est sur le point de se mettre en place et d’exporter vers l’étranger pourrait rapidement se retrouver dépassée par ses concurrents. Rappelons que l’Italie est passée aux réseaux intelligents il y a plusieurs années ; l’Espagne, le Portugal et les pays du Nord y viennent également. La perspective de poser 35 millions de compteurs est une occasion à saisir.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les questions comme les réponses ont montré à quel point il était utile d’organiser cette table ronde. Bien entendu, nous aurons d’autres occasions de nous retrouver pour évoquer ces sujets si importants pour l’avenir. M. Martial Saddier a eu raison de noter à quel point le terme de « transition », retenu par le Président de la République, était pertinent. Et je me fais l’écho de l’appel que vous avez lancé aux pouvoirs publics afin qu’ils prennent sans tarder les décisions qui s’imposent.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 23 avril 2013 à 17 h 15

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Jean-Luc Moudenc, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Serge Bardy, M. Yann Capet, M. Christian Jacob, Mme Catherine Quéré, M. Gabriel Serville