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Mercredi 12 juin 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 71

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur « La métropolisation dans la future décentralisation », avec la participation de MM. Frédéric Gilli, directeur de la Chaire « Ville » à Sciences-Po Paris, Gilles Pinson, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon, et Philippe Langevin, maître de conférences à la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université d’Aix-Marseille

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur « La métropolisation dans la future décentralisation », avec la participation de MM. Frédéric Gilli, directeur de la Chaire « Ville » à Sciences-Po Paris, Gilles Pinson, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon, et Philippe Langevin, maître de conférences à la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université d’Aix-Marseille.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il y a quelques jours, le Sénat a examiné en première lecture le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Sur ce texte, la commission de l’Assemblée nationale saisie au fond est la commission des lois, qui a nommé Olivier Dussopt comme rapporteur. Quatre autres commissions se sont saisies pour avis et ont désigné leur rapporteur : Christine Pirès-Beaune  pour la commission des finances ; Stéphane Travert  pour la commission des affaires culturelles ; François Pupponi  pour la commission des affaires économiques. Pour sa part, la commission du développement durable a nommé Florent Boudié.

Je suis heureux d’accueillir en votre nom Frédéric Gilli, directeur de la chaire « Ville » à Sciences-Po Paris, Gilles Pinson, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon et Philippe Langevin, maître de conférences à la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université d’Aix-Marseille, qui traiteront de la métropolisation dans la future décentralisation. Nous commencerons par Lyon ?

M. Julien Aubert. C’est la seule métropole qui fonctionne !

M. Gilles Pinson. Nous verrons ! (Sourires)

La première partie de mon exposé tentera de répondre à cette question : de quoi la métropole est-elle le nom ?

Quatre éléments permettent de définir ce que l’on entend aujourd’hui, dans les sciences sociales, par « métropolisation ».

En premier lieu, on entend par là un ensemble de formes et de processus de transformation spatiale. Bien évidemment, les métropoles d’aujourd’hui ne sont pas les métropoles d’hier. Elles ont en commun un rayonnement et un poids démographique. Mais alors que les métropoles d’antan étaient denses, continues, monocentriques, pleines et distinctes de leur contour rural, les métropoles actuelles renvoient à des espaces dilatés, discontinus, polycentriques, pleins de vides et diffus.

La métropolisation est un processus à la fois d’homogénéisation et de différenciation : d’une part, une urbanisation générale du territoire, avec un effacement de la distinction séculaire entre l’urbain et le rural ; d’autre part, des logiques fortes de différenciation – d’étirement, notamment – des hiérarchies urbaines.

Les métropoles sont enfin caractérisées par la multiplication des mobilités et, surtout, par leur éclatement.

En second lieu, la métropolisation correspond à des dynamiques économiques. Elle a largement partie liée à la mondialisation. Le redéploiement de l’appareil productif, notamment industriel, à l’échelle mondiale, a induit parallèlement la concentration des fonctions de commandement dans une poignée de très grandes villes, notamment les villes monde – voire de villes plus secondaires dans la hiérarchie urbaine.

La métropolisation est aussi le produit d’une transformation de la logistique des firmes. Vous avez sans doute entendu parler du « just in time », des flux tendus, qui conduisent les entreprises à regrouper leurs pôles logistiques dans les plus grandes villes vers lesquelles se concentrent des réseaux d’approvisionnement. Le développement de ces pôles logistiques amène de l’emploi, de la consommation et, par un effet boule de neige, le renforcement de certains pôles urbains et l’affaiblissement d’autres pôles.

La métropolisation est également liée à des transformations de l’organisation des firmes, notamment à des phénomènes d’externalisation et de désintégration. Les entreprises se débarrassent d’un certain nombre de services qu’elles ont besoin, de ce fait, de retrouver dans leur environnement territorial. Cela induit la concentration des activités dans les territoires qui leur offrent cette diversité de services.

La métropolisation est aussi un mystère : les capacités à communiquer à distance ne cessent de croître, et pourtant, les hommes ont tendance à se concentrer sur un certain nombre de points du territoire. Cela s’explique en partie par le paradigme relationnel de la « nouvelle économie » : aujourd’hui, les performances, la productivité sont liées à la possibilité d’entrer en contact direct, d’accéder rapidement à l’information pour être à la pointe de l’innovation, à la pointe de l’information sur les marchés – ce qui renforce, là encore, un certain nombre de pôles urbains en nombre limité.

En troisième lieu, la métropolisation renvoie à des configurations sociales. Les métropoles sont à la fois des espaces d’opportunité, en termes d’emploi, et des espaces d’exacerbation des inégalités. Mieux vaut être pauvre à Paris qu’à Auxerre ou à Brive, puisque les possibilités de trouver un emploi sont plus nombreuses dans la capitale. En même temps, on y est confronté à des logiques d’emballement des marchés immobiliers qui rendent l’accès au logement plus compliqué. Tout cela concourt à l’accroissement des distances socio-spatiales et des logiques d’entre soi qui se développent entre les groupes sociaux. Pour ne pas trop ternir le tableau, remarquons que les métropoles sont des lieux où la tolérance vis-à-vis de la diversité et des inégalités est plus grande.

Mais, et c’est notre quatrième point, la métropolisation n’est pas, à l’instar de la mondialisation, une opération du Saint-Esprit, pas plus que le débouché naturel de processus inéluctables. C’est aussi le produit de choix. Ainsi peut-on assimiler la métropolisation actuelle à un certain nombre de choix opérés à l’échelle nationale, européenne et internationale en termes de libéralisation.

Nous serions passés, d’une certaine manière, de la métropolisation colbertiste, au cours des Trente glorieuses – l’État keynésien développe un discours et des politiques en direction des métropoles, pendant que l’État providence favorise le développement des réseaux urbains – à une métropolisation d’une toute autre nature. Aujourd’hui, les politiques de métropolisation sont conçues par les décideurs comme des moyens de réduire les déficits, ou comme des substituts à la planification et aux politiques industrielles. Comme on ne sait plus orchestrer le développement économique par des politiques publiques, on concentre les activités en pensant que cela permettra de renforcer la compétitivité et l’emploi ; d’où la multiplication de dispositifs récents, qui se sont traduits par la concentration des investissements de l’État et des collectivités dans une poignée de pôles comme le plan Campus, les pôles de compétitivité ou le Grand Emprunt.

Le tableau qui vous est présenté retrace l’évolution de la dispersion du revenu moyen des foyers fiscaux par commune entre 1984 et 2004 pour les quinze plus grandes métropoles françaises (indice de Gini). Vous pouvez constater que les métropoles où les inégalités sont les plus grandes et où elles ont augmenté sans doute le plus rapidement sont Paris, Lyon, Marseille, mais aussi, ce qui est plus étonnant, Rouen ou Grenoble. D’autres réussissent économiquement tout en maintenant des taux d’inégalités relativement raisonnables comme Nantes, Strasbourg ou Rennes.

La deuxième partie de mon exposé portera sur la manière dont sont conçues les possibilités de gouverner les métropoles. Schématiquement, il y en a trois.

Tout d’abord, la solution « gouvernement » ou « Gargantua ».

Pour gouverner des ensembles de plus en plus étalés, l’idée est de constituer des gouvernements métropolitains, en lieu et place des unités de base, notamment des communes. Ils sont dotés d’assemblées élues au suffrage universel direct et d’exécutifs auxquels sont transférés un certain de compétences stratégiques, et bénéficient de ressources propres. Cette solution a finalement été très peu expérimentée : dans quelques villes assez isolées comme Portland dans l’Oregon ; à Toronto ; dans des situations où la ville et la région se confondent comme à Madrid ou dans les villes hanséatiques allemandes ; en Angleterre, avec les Metropolitan Counties, qui ont été dissous par Margaret Thatcher.

Ensuite, la solution « marché » ou « public choice » – la solution « Île-de-France ». L’idée est que la fragmentation institutionnelle est une bonne chose, parce qu’elle produit à l’échelle des métropoles un marché concurrentiel de services territoriaux qui permet aux entreprises et aux ménages de choisir. Et si les ménages et les entreprises « votent avec leurs pieds » et s’en vont, c’est un signal, pour les communes qui ont démérité, qu’elles doivent améliorer leur offre de services.

On considère, dans cette approche, que les « Gargantuas », c’est-à-dire les gouvernements métropolitains, engendrent la gabegie, les « déséconomies » d’échelle et un éloignement entre les citoyens et les institutions. Cela a débouché, notamment, sur le sécessionnisme municipal, notamment en Californie, sur la « dé fusion » de la métropole de Montréal qui avait été au préalable un gouvernement métropolitain, et en Angleterre, en 1986, sur l’abolition des Metropolitan Counties par Margaret Thatcher.

Enfin, la solution française, la solution « gouvernance », entre « marché » et « tout gouvernement ». On reconnaît, dans cette approche, la nécessité de changer d’échelle, de coordonner les politiques publiques, tout en se méfiant des formes trop institutionnalisées, qui peuvent générer des blocages et des rigidités politiques et qui, surtout, institutionnalisent des frontières empêchant la coopération de se développer au-delà des structures intercommunales. Ce système favorise des formes souples de coopération et de coordination. Il présente l’avantage d’une gestion souple des problèmes publics, mais l’inconvénient d’une opacité démocratique absolument totale.

Je me suis demandé où l’on pouvait situer la réforme actuelle des métropoles.

D’une certaine manière, cette réforme prolonge la tradition « gouvernance » de la coopération intercommunale à la française avec ses avantages et ses inconvénients : elle préserve les intérêts municipaux comme la solution intercommunale ; elle définit des périmètres au gré des affinités et des opportunités politiques ; elle préserve le déficit démocratique, qui est souvent jugé fonctionnel par les élus ; elle garantit une certaine souplesse en termes de compétences, de coordination et de négociation.

En même temps, elle tire vers la solution « Gargantua » : le risque est qu’en créant ces métropoles, on rigidifie ces échelles de coopération – comme à Lyon – et qu’on oublie ce qui se passe au-delà ; mais surtout, la réforme codifie sans doute excessivement un certain nombre de mécanismes de coordination qui n’avaient pas besoin d’être présents dans la loi – par exemple, les conférences métropolitaines ou les conférences territoriales des maires.

J’en viens à la troisième partie de mon exposé, intitulée « métropolisation et gouvernance métropolitaine à Lyon » et illustrée par plusieurs cartes et schémas.

Tout d’abord, Lyon a un statut indiscutable de « second city » à l’échelle nationale – j’ai pris comme indicateur le nombre des emplois métropolitains supérieurs – derrière Paris, et joue un second rôle à l’échelle européenne. Pour autant, dans la métropole multipolaire formée de Lyon et Saint-Étienne, la primauté lyonnaise n’est pas discutée. Vous pouvez observer, sur l’une de ces cartes, que les aires urbaines de Lyon et Saint-Étienne se touchent quasiment.

Ensuite, la gouvernance du Grand Lyon pourrait être qualifiée de « colbertisme à l’échelle urbaine ». La communauté urbaine fonctionne un peu à l’image de l’État français : État fort, prépondérance du couple exécutif/technostructure » et marginalisation assez nette des commissions et des « petits » élus.

Le Grand Lyon joue un rôle pilote dans un certain nombre de politiques : planification, logement, rénovation urbaine, internationalisation, recherche et enseignement supérieur, prospective, redistribution fiscale. À ce propos, il a su utiliser le passage à la taxe professionnelle unique comme un outil de redistribution entre communes riches et communes pauvres, ce dont la région Île-de-France pourrait s’inspirer.

Le système a malgré tout ses limites : une focalisation sur les grands équipements de prestige au détriment des services aux populations – que l’on peut sans doute attribuer à la montée en puissance de la structure intercommunale ; une logique implacable d’institutionnalisation. Le Grand Lyon prend un nombre sans cesse plus important de compétences, au risque de marginaliser la société civile et ses expressions. Je pense plus particulièrement aux politiques de développement économique qui, jusqu’à récemment, faisaient l’objet d’une coopération forte entre la Chambre de commerce de Lyon et le Grand Lyon et qui, aujourd’hui, sont de plus en plus monopolisées par un acteur fort et prédominant, qui est l’administration du Grand Lyon.

Enfin, il est intéressant de noter qu’au-delà du Grand Lyon, se sont mises en place plusieurs coopérations à l’échelle métropolitaine associant, notamment, Saint-Étienne : l’association Région Urbaine de Lyon qui, depuis 1989, mène des études, essaie de porter des projets en matière de transports, de tourisme et de promotion à l’étranger ; le G4, association de quatre agglomérations : Grand Lyon, Saint-Étienne métropole, la Communauté d’agglomération des portes d’Isère et la Communauté d’agglomération de Vienne, qui ont formé le pôle métropolitain en 2012. On se demande d’ailleurs ce que le pôle métropolitain deviendra, avec la réforme des métropoles.

J’en viens à ma conclusion.

Sans doute êtes-vous au courant que la métropole de Lyon va être créée par la fusion du Grand Lyon et du département du Rhône sur le périmètre de ce dernier. À Lyon, on y voit un véritable coup d’État métropolitain – puisque les élus l’ont appris par la presse – validé par la loi. C’est une réforme qui ne règle pas le déficit démocratique métropolitain : pas d’élection directe des conseils métropolitains, même si on essaie de faire passer le fléchage comme tel ; reconduction du présidentialisme métropolitain ; pas de séparation de l’exécutif. D’une certaine manière, on reconduit tous les défauts de la coopération intercommunale à la française.

On peut par ailleurs se demander ce que deviendront les coopérations avec Saint-Étienne. La ligne de TER Lyon-Saint-Étienne est la plus empruntée de France après les lignes franciliennes. Ne risque-t-on pas une cristallisation des frontières de la métropole sur une partie du périmètre du département du Rhône, et un abandon des coopérations métropolitaines au-delà de ce périmètre ?

M. Frédéric Gilli. Pourquoi le Grand Paris intéresse-t-il l’Assemblée nationale ? Derrière la question de Paris, se pose une question éminemment française. Ce n’est pas parce que les Franciliens ne sont pas arrivés à se mettre d’accord. C’est parce que l’ensemble de la communauté nationale a un intérêt éminent à ce que cela se passe bien à Paris.

Les relations entre Paris et la province ne sont plus marquées par l’opposition qui existait entre « Paris et le désert français ». Les relations entre Paris et Lyon, l’ensemble des métropoles et, au-delà, l’ensemble du territoire national, ne sont plus dans un rapport de domination. Paris est une porte d’accès vers l’international. Entre Paris et l’ensemble des territoires régionaux, les relations sont beaucoup équilibrées au quotidien, au sein des entreprises ou dans les laboratoires de recherche. C’est donc aussi une question républicaine parce qu’elle touche à l’organisation de la République française.

On n’avait pas besoin des émeutes dans la région parisienne – comme ce fut le cas à plusieurs reprises dans les années 2000 – pour se rendre compte que, lorsque la région parisienne implose, c’est une partie du pacte républicain qui est attaquée. Et les questions de solidarité qui se posent de manière accrue dans la région parisienne nous amènent à nous interroger sur la capacité de la République française à faire coexister l’ensemble de ses citoyens dans un territoire commun.

C’est enfin une question démocratique. Il se trouve qu’à côté de mes activités de recherche, j’organise des actions de démocratie participative. À ce titre, nous avons accompagné Paris Métropole qui organisait, à l’automne dernier, des débats dans l’ensemble de la région parisienne – une vingtaine de débats, 3 000 participants, assez représentatifs des différences sociales, générationnelles, etc. de la région parisienne.

À cette occasion, les habitants nous ont dit qu’ils vivaient depuis longtemps dans la métropole, qu’ils faisaient confiance à leurs élus pour transformer leur cadre de vie mais que la situation n’était plus tenable et qu’ils ne savaient plus à qui s’adresser pour régler leurs problèmes. De fait, ils se tournent de plus en plus souvent vers vous et à tout propos. Or vous avez de moins en moins de moyens. Dans la région parisienne, que pèse le maire d’une commune de 250 ou 500 hectares devant Vinci, Veolia, Bouygues, Siemens, EDF, ERDF, la RATP, la SNCF ou Bertrand Delanoë quand il s’agit de faire des choix politiques ou d’aménagement ? Je ne dis pas que c’est impossible. Mais confrontés à la dureté des rapports politiques à l’intérieur de la région parisienne et à la puissance des mécanismes fonciers et immobiliers, il est très compliqué pour les élus locaux franciliens de se battre pour porter des projets urbains cohérents et puissants au service de leurs habitants.

M. Martial Saddier. Nous ne sommes pas comme cela en province.

M. Jean-Yves Caullet. C’est certain qu’on ne fait pas de bêtises quand on ne peut rien faire ! (Rires)

M. Frédéric Gilli. Et les habitants ne s’y trompent pas. En fin de compte, les habitants se demandent s’ils ont collectivement les moyens de peser sur leur avenir. À moins que tout ne soit déjà écrit et qu’on n’ait plus qu’à mettre la clé sous la porte ? Je n’ai pas besoin de vous rappeler la baisse des taux de participation aux élections successives…

Je pense malgré tout qu’il est possible de mieux gouverner la région parisienne. Celle-ci a évolué, le territoire est en mutation, ce qui pose une question institutionnelle. Après avoir évoqué ces deux points, j’aborderai la question des enjeux et des pistes.

Le territoire de la région parisienne est en mutation. Reste à savoir de quel territoire on parle.

Si l’on se rapporte à la courbe qui retrace l’évolution de la population sur les 200 dernières années, on s’aperçoit que le territoire qui comptait 1,5 million d’habitants en 1800 en compte 12 millions aujourd’hui et en comptera 13 d’ici à 2040, avec une courbe d’accélération et de croissance de la population qui devrait se maintenir. On s’aperçoit également que dans les cinquante dernières années, le territoire est passé d’à peu près 5 ou 6 millions d’habitants, Paris intra-muros représentant la moitié du poids démographique régional, à un territoire de 12 millions d’habitants, dans lequel Paris ne représente plus qu’un cinquième à un quart du poids démographique régional.

Si l’on m’interroge, à l’international, sur ce qu’est la région parisienne, je réponds qu’on y trouve : le premier aéroport d’Europe continentale ; deux des plus grandes destinations touristiques de la planète avec le château de Versailles et Eurodisney ; le plus grand centre d’affaires concentré d’Europe continentale avec La Défense ; la plus grande concentration de chercheurs de la planète, avec le plateau de Saclay et sa périphérie ; 5 millions d’emplois et 8 millions d’habitants… plus Paris. Aujourd’hui, sans Paris, la région parisienne est déjà plus puissante, en termes de PIB, d’équipements et de création de valeur que Chicago ou des villes équivalentes. C’est vous dire l’inversion, dans certains domaines, du rapport de forces intervenant dans le fonctionnement quotidien de la région parisienne.

Mais à quelle échelle travaille-t-on ?

Les taches qui apparaissent sur cette carte de France correspondent aux zones d’emploi dans lesquelles on observe une sur représentation des groupes nationaux ou internationaux dans l’emploi local. Même si ce n’est jamais explicité, on observe à l’échelle nationale ce que l’on observe autour de toutes les grandes métropoles comme New York, Chicago, Rio, Shanghai, Tokyo : une zone de 250 ou 300 km de rayon autour du cœur métropolitain (Murmures), qui est un peu la région économique, l’espace où se pense l’organisation économique. Ainsi, aujourd’hui, en Thiérache, en Basse-Normandie, certaines personnes travaillent au quotidien avec des centres de marketing, des services juridiques ou des services de recherche qui sont dans la région parisienne.

La région économique de Paris représente huit régions : c’est le Bassin parisien avec, derrière lui, au-delà même de l’Île-de-France, un espace dans lequel tout fonctionne de manière quasi quotidienne. C’est un territoire de 13 ou 14 millions d’habitants, qui englobe une grosse partie de l’Oise, qui touche une partie de la Champagne-Ardenne, de la région Centre et de la Haute-Normandie. Et avec l’effet TGV, des villes comme Reims, Vendôme, sont de plus en plus pleinement intégrées dans les mouvements pendulaires – on sait que les TGV arrivent à l’heure, ce qui n’est pas le cas pour les RER…

La densification de la banlieue parisienne s’est matérialisée par le fait qu’il n’y a plus de nappe unique. La région parisienne s’organise de manière quotidienne autour de grands pôles économiques, qui n’existent pas de manière institutionnelle parce que le processus intercommunal est encore très fragmenté en Île-de-France : autour de la Défense, de Roissy, de Viry-Châtillon, de Saclay, etc.

Ces territoires économiques très puissants polarisent les habitants. Quand on regarde comment fonctionnent les migrations alternantes, on observe un phénomène assez intéressant : les distances moyennes parcourues par les Franciliens augmentent – ils sont de plus en plus nombreux à faire les traversées métropolitaines – alors qu’en même temps les distances médianes – celles parcourues par la majorité de la population, celle qui bouge le moins – diminuent. En effet, l’augmentation de la densité en emplois dans la banlieue amène de la relocalisation et de la repolarisation.

Ces évolutions posent une question institutionnelle.

En 2000, plutôt qu’une région, il y avait, de fait, quatre régions, l’Oise étant immédiatement concernée par les mouvements pendulaires, avec huit départements plus dix départements limitrophes. À cette époque, subsistait un clivage très puissant entre Paris et sa banlieue. Le Gross Paris, hérité de la Kommandantur, était encore très présent dans le discours public et toute position un peu intégratrice provoquait des levées de bouclier. De ce fait, les intercommunalités concernaient à peine 10 % des 1 200 communes.

Paris est-il comparable à la France ? Non, car c’est une grande ville mondiale. Il se joue, sur ces territoires de 10, 12, 13 millions d’habitants, des processus et des mécanismes qui n’existent pas dans les autres territoires. En effet, les départements des Hauts-de-Seine ou de la Seine-Saint-Denis, par exemple, concentrent des masses humaines aussi importantes que les villes métropoles les plus importantes de France. Plaine Commune, une petite intercommunalité de la région parisienne, qui regroupe seulement huit communes, compte plus de 400 000 habitants. Ces processus font que ce qui se passe à l’intérieur de la région parisienne est incomparable, en termes de logique, avec ce qui se passe à l’intérieur du territoire. Et pourtant, ce qui se passe dans la région parisienne est incomparable de ce qui se passe à Londres ou à New York parce que l’on est dans un système institutionnel, culturel, politique, français.

La région parisienne est-elle comparable à ses voisines ? Je vous invite à regarder ce schéma, qui reproduit, pour chaque région française, le taux des communes appartenant à des intercommunalités. En 1999, ce taux n’était que de 10 % et il est aujourd’hui d’à peine 60 % alors que la couverture est quasiment terminée dans toutes les autres régions. En outre, comme vous pouvez le voir avec ces deux camemberts : en région, 5 % seulement des intercommunalités sont composés de deux communes, la majorité dépassant les 10 communes ; en Île-de-France, 20 % seulement des intercommunalités dépassent les 10 communes, la majorité étant composée de moins de 5 communes.

On observe donc une fragmentation en région parisienne. Cela dit, on observe également une montée en puissance des intercommunalités et des recompositions sont en cours. La Conférence métropolitaine organise, depuis 2006, un dialogue entre Paris et sa banlieue, inexistant auparavant. Bon an mal an, la région a réussi à remettre son SDRIF – Schéma directeur de la région Île-de-France – en discussion. Et l’État, en intervenant via les contrats de développement territoriaux et le Grand Paris Express, a amené quelques solutions.

Je terminerai sur les enjeux et les pistes.

Il faut d’abord être conscient que tout ne se réglera pas, dans la région, de manière institutionnelle. La résolution des problèmes de logement, par exemple, ne passera pas nécessairement par la création d’une autorité du logement ou par un PLH – Programme local de l’habitat – intégré. Ces problèmes demandent une intervention plus précise et plus poussée, peut-être une loi sur le logement, qui aurait un volet francilien.

Il faut ensuite déterminer l’échelle à laquelle on fonctionne : une région intégrée, une communauté urbaine ou un conseil métropolitain ? Pour cela, nous devons répondre à trois questions – une question opérationnelle, une question de solidarité et une question démocratique.

Premièrement, une question opérationnelle. Elle consiste à se demander qui fait la ville dans la région : les maires, des communautés urbaines renforcées, une communauté urbaine plus large encore, éventuellement à l’échelle de la région ?

Ma conviction est que les maires n’ont pas aujourd’hui suffisamment de pouvoirs, face à tout ce qui se passe autour d’eux dans la région parisienne pour s’occuper, notamment, d’urbanisme. Faut-il confier l’urbanisme opérationnel à un directeur des services de l’urbanisme ?

M. Martial Saddier. Mais on sait bien aujourd’hui que c’est le directeur de l’urbanisme qui détient le pouvoir ! (applaudissements et exclamations sur divers bancs)

M. Frédéric Gilli. Je vous laisse imaginer le pouvoir d’un directeur des services de l’urbanisme d’une collectivité de 8 millions d’habitants. Pour avoir travaillé assez longtemps dans l’administration française, je considère qu’il est plus démocratique de confier le pouvoir à un maire ou à un conseil élu…

Deuxièmement, une question de solidarité. Aujourd’hui, dans la région parisienne, on ne peut plus fonctionner avec les politiques sociales gérées à l’échelle des départements. En effet, il y a trop d’écart entre les départements pour organiser de manière efficace une redistribution. Pour contrebalancer le phénomène, on est en train d’essayer d’inventer des mécanismes de péréquation qui vont dans tous les sens et auxquels plus personne ne comprend rien.

M. Jacques Kossowski. Sauf celui qui conçoit !

M. Frédéric Gilli. Et sans doute aussi celui qui reçoit.

Les Belges, dont le territoire est équivalent à celui de la région parisienne, le disent très bien : quand on organise des mécanismes de redistribution avec des flux et des tuyaux, les gens finissent par voir trop facilement les tuyaux et plus la solidarité. Voilà pourquoi, à un certain moment, il faut intégrer le fonctionnement de toutes les politiques sociales. À quelle échelle ? La première couronne ou la région ? J’aurais tendance à opter pour la seconde. Je suis prêt à entendre que ce serait trop compliqué du point de vue de la loi. Dans ce cas, il faut intégrer au moins la première couronne pour organiser les systèmes de redistribution.

Troisièmement, une question démocratique. De mon point de vue, l’un des principaux problèmes que posait le texte dans la version qui a été rejetée par le Sénat résidait dans la composition du Conseil métropolitain. Le déséquilibre en faveur de Paris était trop important, et le risque de non-représentation des oppositions évident. En outre, si seules les têtes d’intercommunalité sont représentées, cette assemblée ne sera pas complètement paritaire, peu diverse. Et si l’exécutif n’est composé que des présidents des très grosses intercommunalités – pour être opérationnel – seuls des hommes blancs de plus de cinquante ans seront concernés. D’où un problème de représentativité démocratique – représentativité territoriale, politique et représentation de la diversité. (Exclamations)

Enfin, il faudra absolument que vous garantissiez « la capacité d’agir ». Se contenter du statu quo amènerait au blocage. Or ni les citoyens, que j’ai pu rencontrer massivement, ni les chefs d’entreprise, ni les associations avec lesquelles je discute très régulièrement ne pardonneraient à la représentation nationale un blocage sur ce texte-là.

M. Philippe Langevin. Je parle au nom du Midi. Après vous avoir dit quelques mots sur la métropolisation, je vous expliquerai en quoi notre situation est catastrophique. (Sourires)

Dans la société où nous vivons, l’étalement urbain, les déplacements quotidiens, les séparations entre lieux de vie, de travail, d’emploi font qu’il n’y a plus de ville, plus de campagne, mais des territoires nouveaux, avec une péri-urbanisation mal contrôlée. Hors de la distinction traditionnelle entre l’urbain et le rural, ces territoires ne sont ni urbains, ni ruraux : ce sont des territoires du n’importe quoi ! (Sourires) Ils sont difficiles à saisir parce qu’ils n’ont ni limites précises, ni vocation particulière. Pourtant, ils sont créateurs d’emplois, d’activités et de jeunesse.

Ce mouvement concerne la totalité des territoires, et pas uniquement les territoires métropolitains. Il concerne les petits territoires, les petites communes qui débordent de leurs limites historiques traditionnelles. S’installent à la périphérie des lotissements de plus en plus nombreux, de moins en moins jolis, des zones d’activités de moins en moins maîtrisées.

La situation est quelque peu contradictoire. D’un côté, on observe une tendance générale à l’étalement des fonctions. Nous passons d’ailleurs la moitié de notre temps dans les transports – généralement individuels parce qu’en matière de transports collectifs, il y a plus de croyants que de pratiquants ! (Sourires) D’un autre côté, on observe un processus également global de concentration des fonctions supérieures – la direction, l’organisation, les services dits supérieurs, les services métropolitains. Une économie supérieure viendrait ainsi compenser l’économie inférieure du monde rural, du monde des paysans fatigués dont nous sommes les héritiers.

Nous sommes à la recherche d’un processus qui permettrait de mettre en place une gouvernance à peu près organisée, structurée, en tout cas possible, et de relier les territoires de la centralité à ceux de la péri urbanisation, dans des ensembles qui se joueraient sur la complémentarité, et non sur la concurrence. Tel est l’objet du débat.

Mais nous nous heurtons à un problème de taille : tout territoire n’a pas une vocation métropolitaine, même si toute communauté d’agglomération qui se respecte se qualifie de « métropole ». La métropole est devenue objet de désir, davantage qu’une réalité économique et sociale.

À partir de quand un territoire peut-il être qualifié de métropolitain ? Sur ce point il n’existe aucune réponse scientifique organisée. Pour l’INSEE, certaines fonctions essentielles permettent au territoire concerné de se considérer comme tel, que ce soit dans le domaine artistique, financier, en informatique et dans la recherche. La connaissance est aujourd’hui le principal facteur de développement, l’économie de la connaissance ayant une vertu particulière que n’ont pas d’autres économies : contrairement à la tarte aux pommes, elle augmente quand on la partage ! (Rires) Or l’idée même de la métropolisation consiste à partager les compétences pour gagner en efficacité. Elle n’est pas d’opposer des roitelets locaux pour être plus concurrentiels. (Sourires)

Selon le projet de loi, la création d’une métropole doit répondre à un critère démographique – 300 000 ou 400 000 habitants. Pourquoi pas ? Mais l’important réside dans les fonctions métropolitaines. Dans quelle mesure un territoire bénéficie de fonctions métropolitaines qui lui permettent de jouer dans les transports, l’université, la santé, les grands équipements, etc. un rôle important, un rôle de polarisation sur les autres territoires ?

Le problème est que les territoires économiques évoluent beaucoup plus vite que les territoires politiques. D’où cette contradiction difficile à gérer : l’espace de légitimité des élus locaux n’a aujourd’hui plus aucune réalité économique. Les communes et même les intercommunalités n’existent pas en matière économique. L’économie se mondialise et les flux vont dans tous les sens.

L’espace de légitimité des communes, que l’on peut comprendre pour des raisons historiques, sociologiques, culturelles, ne correspond plus à un territoire pertinent pour réguler une activité économique. La décentralisation qui a reconnu et qui reconnaît de plus en plus de capacités aux collectivités pour mettre en œuvre les politiques publiques, définir des mesures d’accompagnement, améliorer l’attractivité, résoudre les problèmes d’emploi, s’exerce sur des territoires qui n’ont pas de sens, qui ne veulent plus rien dire économiquement parlant. Il y a maintenant d’un côté les territoires économiques, de plus en plus élargis, et les territoires politiques restreints, dans la limite démocratique de la légitimité – les communes, les départements ou les régions.

On pourrait laisser aux hommes de l’art le soin de définir les territoires pertinents. Sauf que ces derniers sont à géométrie variable. Les territoires efficaces d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a dix ans. Qu’un équipement, une entreprise, des habitations s’installent, et le territoire s’étale. Inversement, qu’une crise économique éclate, qu’une entreprise ferme, et le territoire se rétrécit. Il n’y a rien de plus mobile que le territoire. Et il n’y a rien de plus immobile que le pouvoir sur le territoire.

En fin de compte, ce qui fait aujourd’hui le territoire, ce n’est pas l’histoire, ni le patrimoine, ni même l’économie : ce sont les déplacements, les mobilités. Le lieu d’emploi, le lieu de vie, le lieu de consommation, le lieu de pouvoir, ne se superposent pas. On n’est jamais au même endroit. Cette difficulté est d’autant plus importante que nous avons de nouveaux défis à relever, qui impacteront directement les territoires : problèmes de transports, problèmes d’environnement, liés notamment aux changements climatiques, montée des inégalités, etc.

Le débat étant lancé, j’en viens, monsieur le président, à la deuxième partie de mon exposé : la création de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence, qui est une nécessité absolue.

Dans ce territoire du verbe, mesdames et messieurs les députés, on ne se parle pas, on s’engueule ! Il est bien difficile de parvenir à y tenir un discours cohérent, commun, constructif entre tous les acteurs qui sont chargés de l’animer, que ce soient les élus, les sénateurs, les députés, les maires, les préfets, les chambres de commerce, etc.

Notre position géographique est tout à fait particulière : nous sommes ouverts sur la Méditerranée, nous sommes capitale européenne de la culture en 2013, Marseille est la dernière ville du Sud des pays du Nord et la première ville du Nord des pays du Sud. Objectivement, notre territoire est au centre du monde ! (Rires) Mais ce territoire, fortement dépendant de la mondialisation, est composé d’un certain nombre de villes – Marseille, Aix, Aubagne, La Ciotat – qui ont, chacune, mené de façon concurrente leur développement économique, leurs entreprises, leur propre intercommunalité. Comment voulez-vous que nous fassions le poids par rapport aux grandes villes internationales ?

Depuis vingt ans, pourtant, nous réfléchissons et nous écrivons sur les métropoles. Mais les nombreux ouvrages universitaires n’ont pas rencontré de succès malgré notre volonté d’organiser un système de métropole, sur un territoire où les déplacements sont de plus en plus nombreux. Personne ne nous lit !

M. Martial Saddier. Rassurez-vous ! C’est pareil pour nous…

M. Philippe Langevin. Aujourd’hui, comment se présente donc le projet de métropolisation ?

Si l’on se réfère à cette carte, on voit que le futur territoire métropolitain couvrira pratiquement tout le département des Bouches-du-Rhône. On aurait pu l’élargir vers le département du Var, du moins du côté de Saint-Maximin, qui est polarisé par Marseille. Ce territoire englobera plusieurs intercommunalités, dont les limites n’ont pas été plus intelligemment fixées que celles des communes, mais qui ont réussi, peu à peu, à organiser leur développement. Quoi qu’il en soit, maintenant que l’on est passé des communes à l’intercommunalité, il faut passer de l’intercommunalité à la métropole. Si nous voulons peser dans l’économie mondiale, nous avons intérêt à mettre nos efforts en commun plutôt que de nous lancer des invectives et de nous concurrencer à tous les niveaux et dans tous les domaines – développement, zones d’activité, universités, etc.

J’observe que nos équipements – théâtres, vélodromes, équipements hospitaliers – sont déjà des équipements métropolitains. Qu’ils se situent à Marseille, à Aix-en-Provence, à Aubagne ou à Martigues, ils bénéficient à tous les habitants. De fait, la métropole existe au niveau économique, au niveau universitaire, au niveau des grandes concentrations d’entreprises. Elle existe partout, sauf en termes de pouvoir. Mais alors, comment concevoir l’invraisemblable, dans la mesure où, jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à construire un véritable projet métropolitain ?

Les conseils de développement des agglomérations d’Aix, Marseille et Aubagne, que j’anime, avaient souligné le caractère métropolitain de tous ces équipements et la nécessité qu’il y avait à travailler ensemble pour produire un projet cohérent. Mais comme nous nous en sommes incapables, l’État le fait. Préfets, sous-préfets et énarques débarquent ! Ce n’est pas forcément la bonne méthode. Mais cela signifie que la Métropole d’Aix-Marseille-Provence n’est pas une alternative, ni un choix, mais une nécessité absolue.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci. Je passe la parole aux représentants des groupes.

M. Jean-Yves Caullet. Les sociétés se sont toujours organisées pour assurer leur autosuffisance et leur sécurité. Or les modèles que vous nous présentez aujourd’hui sont plutôt caractérisés par leur interdépendance, qui suppose de nombreux déplacements, de nombreux échanges et entraîne une certaine fragilité. Quelle est donc la solidité de ces modèles ? Pourraient-ils fonctionner, le cas échéant, en mode dégradé ? Sont-ils durables ? La séparation entre les fonctionnalités de la vie, la résidence, le travail, le commerce et les loisirs suppose la mise en place de transports toujours plus performants. Mais le processus n’a-t-il pas ses limites ?

Par ailleurs, comment définir le territoire métropolitain ? Est-ce un fief, qui se caractérise par une certaine continuité et l’intégration de diverses activités ? Est-ce un réseau qui se constitue entre différents partenaires, autour de différents lieux aux activités complémentaires ? Les métropoles seront-elles reliées entre elles au niveau national, international et mondial ?

Enfin, je suis l’élu d’une circonscription qui se trouve elle aussi au centre du monde : à égale distance de Lyon et de Paris. (Sourires) Nous nous demandons si nous allons devenir les partenaires de ces grandes entités métropolitaines, ou si nous y sommes déjà intégrés. Pour nous, ce n’est pas neutre, ni en termes d’organisation, ni en termes de démocratie.

M. Martial Saddier. Les députés UMP sont globalement très favorables à la décentralisation, comme au fait métropolitain. N’oubliez pas que nous sommes à l’origine de la création des pôles métropolitains, en 2010, et que nous avons initié la réflexion autour du Grand Paris. À ce propos, je rejoins l’un de nos intervenants et affirme que, quel que soit l’endroit dont nous sommes les députés, nous sommes fiers de notre capitale et que nous pensons que le rayonnement de Paris va bien au-delà de sa propre couronne. Il rejaillit sur l’ensemble de notre pays.

J’aimerais savoir ce que deviendront les pôles métropolitains que nous avions inscrits dans la loi de 2010. Ensuite, j’aimerais savoir ce que pensez du fait métropolitain transfrontalier, que nous avions abordé dans la loi de 2010. En effet, ne serait-ce qu’en Alsace ou dans le Jura, certaines zones, qui ont la particularité d’aller au-delà de la frontière, méritent d’avoir le rayonnement de grandes métropoles françaises et européennes.

J’aimerais également savoir si le Parlement doit aller plus loin en matière de simplification administrative. La métropolisation n’aboutira-t-elle pas à modifier, à terme, l’organisation de l’État ?

Je remarque par ailleurs qu’à l’origine, le Gouvernement avait annoncé un seul texte de décentralisation. Cela nous aurait permis de parler à la fois du fait métropolitain, des régions, des territoires et de la solidarité. Or, le calendrier est clair, nous allons d’abord travailler sur la métropole, puis sur la région, puis sur la solidarité. Vous comprendrez qu’au moment où l’on vient de nous annoncer que d’ici à la fin de la mandature, l’enveloppe des collectivités territoriales baisserait de 4,5 milliards et demi d’euros, soit de 10 %, nous nous interrogions. Le fait métropolitain va forcément s’accompagner de dotations de l’État. Mais d’où viendra l’argent ? Le texte sur la solidarité sera examiné en dernier lieu. Enfin, que deviendront les territoires qui ne seront pas intégrés à la métropole ? Il me semble, monsieur Pinson, que c’est le cas d’une partie du département du Rhône. Une telle situation risque d’avoir pour ces territoires de graves conséquences financières et empêchera d’avoir une vision globale de l’aménagement du territoire.

Enfin, le critère retenu pour la constitution des pôles métropolitains est le nombre d’habitants. D’après vous, quel autre critère aurions-nous intérêt à inscrire dans la loi ? Ces critères étant remplis, quelles compétences territoriales faudra-t-il transférer au pôle métropolitain ou à la métropole de demain ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Je pense moi aussi que les textes sur la décentralisation qui nous sont proposés ne sont pas suffisamment inspirés par des approches économiques et sociales, et le sont trop par des approches de périmètres, de gouvernance ou d’administration.

Je voudrais par ailleurs revenir sur les questions de mobilité.

On a trop tendance aujourd’hui à opposer des territoires ruraux à vocation plutôt productive – artisanat, agriculture et industrie – à des territoires métropolitains qui seraient la quintessence de l’économie du XXIe siècle. Notre intérêt serait pourtant que les territoires se rapprochent des métropoles. En effet, les fonctions métropolitaines sont des éléments de qualification pour une économie productive. Le principal enjeu, en matière d’aménagement du territoire, ne serait-il pas de créer les conditions d’un dialogue et donc d’une mobilité entre les zones métropolitaines avec leurs fonctions nouvelles, et les zones productives qui souffrent aujourd’hui et qui ont besoin, pour être compétitives, d’agréger la valeur ajoutée apportée par les métropoles ?

Je remarque qu’au niveau logistique, la containérisation a changé la donne. Je lisais récemment qu’il revient maintenant moins cher d’acheminer un container de Hong-Kong à Anvers que d’Aix-en-Provence à Dijon ! Dans ces conditions, la proximité d’un grand port maritime devient un élément fondamental dans l’équation métropolitaine et dans l’aménagement du territoire entre les zones productives, moins denses, et les zones sur lesquelles se concentre l’économie.

Cela me conduit à traiter des mobilités infra territoriales. Au lieu de parler d’égalité, ne devrait-on pas plutôt parler d’équité territoriale et faire en sorte qu’à n’importe quel point de la France, chacun soit à proximité d’une métropole connectée au reste du monde ? On n’a pas fait autre chose, à la fin du XVIIIe siècle, lorsque l’on a dessiné la nouvelle carte administrative.

Je terminerai sur les liaisons intermétropolitaines, au niveau français ou au niveau européen. Chacun est bien conscient qu’elles sont susceptibles d’agréger, elles aussi, de la richesse.

Dans ces conditions, ne prend-on pas un mauvais départ ? Ne faudrait-il pas faire de la mobilité l’élément central de la réforme territoriale ?

Ensuite, on voit bien que le monde se configure sur de nouvelles échelles et de nouveaux rythmes. Ne devrait-on pas mettre en place des exécutifs susceptibles de mieux synchroniser nos compétences économiques, sociales, de mobilité, d’aménagement du territoire, au lieu de continuer à les disperser ? Cela nous permettrait d’être plus en phase avec l’économie réelle.

Enfin, dans le cadre du Grand Paris, n’est-il pas contradictoire de vouloir mettre en place des grandes intercommunalités de 200 000 ou 300 000 habitants et de conserver les départements ? Six ou sept, voire huit couches administratives vont se superposer, ce qui entraînera un risque d’inefficacité maximum.

M. Patrice Carvalho. La mise en place des communautés de communes, des communautés d’agglomération ou des métropoles n’a fait qu’éloigner le citoyen du centre de décision. De ce fait, celui-ci n’a plus de levier à actionner, à tel point que l’on peut s’interroger sur l’opportunité d’organiser, demain, des élections municipales. À quoi servent-elles en effet ? Le pouvoir de mon beau-frère, qui est maire d’une commune de la région de Compiègne, se résume à la gestion de l’état civil. Y a-t-il vraiment besoin d’un maire pour cela ? Ne faut-il pas faire comme les Allemands, il y a quelques années, et désigner un bourgmestre, rémunéré par l’État, pour assumer cette responsabilité ? (Exclamations sur divers bancs) On pense toujours que la situation va s’améliorer. Mais ce n’est pas le cas et l’on est bien obligé de reconnaître la réalité telle qu’elle est.

Je remarque que M. Langevin veut imposer à des élus, sur Marseille, ce qu’ils ne souhaitent pas. Mais qu’on les laisse décider ! Après tout, ils ont été désignés par les citoyens sur la base d’un programme et d’une politique. Ensuite, les mêmes citoyens pourront se déterminer à nouveau.

Je voudrais maintenant parler de la péréquation. Ma commune, Thourotte, paie une péréquation, avec 37 % de logements sociaux et 85 % d’un budget en fonctionnement, à l’agglomération de Compiègne. Est-il normal de la considérer comme une commune riche ? Mais le système est complètement vicié ! Il ne correspond pas à la réalité.

Le Grand Paris nous intéresse, monsieur Gilli, car il est pour nous un passage obligé. Or, jusqu’à présent, nous avons du mal à accéder et à traverser l’agglomération parisienne. Si vous voulez vous rendre à Figeac en train à partir de Thourotte, qui est tout de même sur la ligne Paris-Bruxelles, il vous faut dix heures. Si vous voulez vous rendre à Marseille, vous pouvez prendre le train à Roissy, mais entre Thourotte et Roissy, il vous faudra prendre la voiture.

À ce propos, monsieur Langevin, à vous entendre, les gens seraient davantage des croyants que des pratiquants lorsqu’il s’agit de prendre les transports en commun. Mais c’est la réalité qui les y amène ! Qui prendrait sa voiture pour aller à Paris s’il avait des facilités pour y accéder en train ? Cela dit, je ne conteste pas que l’on ait fait preuve d’un certain individualisme en matière de transports, et je reconnais qu’il faudra du temps pour abandonner cette « culture ».

Enfin, j’affirme, comme les autres, que je suis, moi aussi, au centre du monde…

Mme Laurence Abeille. Le débat est extrêmement intéressant et le sujet traité éminemment politique : nous sommes amenés à reconsidérer le monde dans lequel on vit et la société dans laquelle on a envie de vivre.

Nous débattons au sein de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. C’est en effet à l’aune du développement durable que l’on doit envisager les transitions organisationnelles de la société. Celles-ci sont la conséquence de choix politiques – par exemple, empilement des structures administratives – ou le fruit de luttes sociales – construction, ou non, de logements sociaux. Mais maintenant, nous devons nous mettre d’accord sur des gouvernances communes, sur des bases démocratiques – pour les écologistes, le suffrage universel direct. Ce n’est pas simple.

S’agissant des métropoles, il ne faut pas avoir une vision trop tranchée. On ne peut pas dire que la métropole concentre tous les maux, ni qu’elle est l’avenir de la société dont elle assure le rayonnement économique et la compétitivité. Ce ne seraient que des mots qui correspondraient pas à notre volonté d’assurer à nos territoires un développement durable.

Il ne faut pas non plus ne parler que de métropoles et négliger les territoires qui ne sont pas concernés par le fait métropolitain. D’ailleurs, on ne peut pas envisager la métropole sans les territoires qui n’en font pas partie. Pour ces derniers, ne devrait-on pas réinstaurer les pays ? C’est une proposition que nous portons. Ne serait-ce pas le moyen retisser un lien entre les futures métropoles et le reste du territoire ?

Nous savons par ailleurs qu’une métropole ne saurait être figée. Son évolution est liée, nous a-t-on dit, à la mondialisation de l’économie et aux flux tendus. Nous espérons, pour notre part, qu’un changement de modèle et de développement économique nous amènera, dans dix, vingt ou trente ans, à d’autres formes d’organisation de la société – économie circulaire, circuits courts, relocalisations, fonctionnements plus durables, au service de l’économie et des habitants du territoire.

Je dirai un mot de la métropole parisienne. Il y a longtemps, là où nous sommes, ce n’était qu’un faubourg de Paris, le Pré-aux-Clercs. Un peu plus loin, c’était le village de Vaugirard. Puis la construction du périphérique imposa des limites – pour de bonnes et de mauvaises raisons. Aujourd’hui, la Métropole de Paris doit intégrer, dans son territoire, la petite couronne. Mais elle ne doit pas se confondre avec la région. La métropole doit être un lieu de vie et d’échanges, avec une gouvernance directe, et la région le centre des décisions pour l’ensemble des territoires. Faire autrement serait un non-sens géographique, économique et humain. Nous devons, entre autres, éviter l’artificialisation des terres et l’étalement urbain.

En résumé, il faut que nous nous engagions avec prudence vers la mise en place des métropoles qui ne constitueront peut-être qu’une étape vers une société moins concentrée et moins tournée vers le réchauffement climatique.

M. Olivier Falorni. Merci à nos trois intervenants pour la grande qualité de leurs exposés.

Parler de démocratie locale, d’organisation décentralisée de la République ou simplement de décentralisation, nous renvoie à un débat ancien, où s’expriment des conceptions différentes de la Nation. Le groupe RRDP soutient clairement une conception girondine de la République : une décentralisation réelle qui recrée du lien entre la décision publique et les citoyens, au plus proche des territoires et de la vie concrète de nos concitoyens.

La pratique de la démocratie se réalise bien évidemment, pour nos concitoyens, d’abord dans leur cadre de vie quotidien, par l’intermédiaire de nos collectivités, en particulier dans les territoires ruraux. Nos communes, nos agglomérations, nos départements et nos régions sont les espaces premiers de la vitalité démocratique. C’est à ces niveaux-là que s’exprime d’abord le désir de vivre ensemble, au sens où l’exprimait en son temps Ernest Renan, qui a été souvent été caricaturé au cours du mauvais débat sur l’identité nationale. Mais je suis convaincu que les élus, ancrés dans un territoire, savent que le consentement actuel – ce qu’il appelait « le plébiscite de tous les jours » – s’exerce en premier lieu dans un cadre local, au-delà même du drapeau de la religion ou de la langue.

C’est par ce rôle de corps intermédiaires que les collectivités deviennent les garants de notre cohésion sociale nationale, les relais de la mise en œuvre des politiques nationales. Dans l’exposé des motifs du projet de loi, l’objectif général est clair : renforcer l’efficacité de l’action publique à tous les échelons pour améliorer les services publics en clarifiant l’exercice des compétences.

Mais avec cet objectif louable, le concept du « fait urbain » s’invite dans le débat dans une acceptation très maximaliste. Il me semble que penser en termes d’isolats séparés nous empêche de penser l’organisation territoriale en termes de réseaux. En faisant l’impasse sur l’organisation des réseaux, sur leur gouvernance, le risque existe que ce projet de loi ne parvienne pas à limiter les effets pervers du phénomène de développement de certaines métropoles au détriment de ses voisines et au détriment du pouvoir d’unification et de péréquation des territoires par les départements et par les régions.

Selon les domaines, il faut évidemment clarifier et prévoir des niveaux d’intervention différents. Mais surtout, et nous insistons là-dessus, il ne faut pas oublier la coordination. Et cela ne doit pas se faire « sur le dos » du tissu rural. Même si l’on nous explique que cela est dû au redécoupage du texte, nous attendons que l’on nous donne des garanties sur la prise en compte du monde rural. Il convient effet d’assurer le développement équilibré de nos territoires.

J’aurai quelques questions.

Alors que les souverainetés sont partagées, j’aurais aimé avoir votre avis sur la gouvernance. En effet, ne vous semble-t-il pas que la gouvernance implique la mise en réseau d’un ensemble d’acteurs, que ce soit les villes, les territoires, les institutions, les entreprises, les associations, dans une relation à la fois horizontale au quotidien entre les acteurs locaux, et verticale entre les acteurs institutionnels ?

Enfin, comment incarner la dimension politique de la métropolisation au-delà de cette forme du territoire ? Comment transformer le contenu du mandat électif et lui donner un sens au-delà de son territoire d’élection ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je rappellerai que la réforme que nous allons examiner dans les semaines qui viennent est d’abord et avant tout destinée à servir l’intérêt du citoyen. Il s’agit de renforcer l’efficacité de l’action publique et d’améliorer la qualité du service rendu en matière de logement, de transports, etc.

Ce texte intervient, comme l’a fait remarquer notre collègue de l’UMP, dans un contexte financier très contraint. On nous a effet annoncé que les collectivités locales verraient leurs dotations baisser de 4,5 milliards d’ici à 2015, afin de participer au redressement des comptes publics. Mais cette baisse ne doit pas être un prétexte à repli sur soi ni à moins de solidarité. J’aimerais donc savoir si nos trois intervenants ont étudié les conséquences financières induites par la création des métropoles, tant sur les dotations de l’État que sur les péréquations, qu’elles soient verticales ou horizontales.

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Le projet de loi déposé par le Gouvernement, dans son article 31, comportait deux dispositions impératives pour la création des futures métropoles. La première était l’obligation de structurer les intercommunalités existantes en métropoles, avec un seuil de population qui a été rectifié depuis, la transformation devant se faire par décret. La seconde consistait à organiser, sur le mode lyonnais, le transfert automatique d’une série de compétences départementales au 1er janvier 2017.

On sait que ce scénario a été jugé trop radical par le Sénat. Et le caractère impératif de la transformation des intercommunalités en métropole et du transfert de compétences a été remis en cause. Pensez-vous qu’il faille réintroduire l’automaticité voulue par le Gouvernement ? N’est-ce pas à ce prix que nous serons en mesure de rattraper notre retard sur nos voisins européens en termes de métropolisation ?

Je m’interroge par ailleurs sur la clause de compétence générale. La question ne porte-t-elle pas davantage sur son élargissement aux EPCI et aux métropoles que sur son rétablissement pour les régions et les départements ?

Enfin, vous avez souvent parlé, dans vos interventions, du « reste du territoire », c’est-à-dire des territoires ruraux. Comment interprétez-vous la création, par le Sénat, d’un pôle rural d’aménagement et de coopération ? Est-ce un bon outil, dans la forme que propose le Sénat ? Faut-il aller plus loin ? Ce syndicat mixte fédérerait les intercommunalités existantes. En effet, dans de nombreux territoires, l’éclatement des intercommunalités pose un vrai problème et il est sans doute nécessaire de trouver, en face des métropoles, un outil de structuration et d’organisation et de solidarité territoriale.

M. Jacques Kossowski. J’ai le sentiment que le citoyen est le grand absent de la construction des métropoles. D’ailleurs, lui-même ne voit pas toujours ce qui va changer dans sa vie quotidienne. Il a l’impression que ce sont des projets futuristes, à vingt ou trente ans. Il serait important de se fixer avec plus de conviction, notamment dans le projet de loi, des objectifs quantifiés de développement économique, de croissance, d’emplois, de formation, de recherche ou de construction de logements. Le citoyen doit avoir le sentiment que ce projet véhicule une ambition mobilisant les acteurs locaux.

Par ailleurs, et je le dis à l’adresse de M. Gilli, dans la région Île-de-France, la péréquation se discute au sein de Paris Métropole, où toutes les sensibilités sont représentées. Bien sûr, pour ceux qui paient, c’est trop cher, et pour ceux qui reçoivent, c’est insuffisant. Mais cela vient du fait que l’on ne connaît pas toujours l’utilisation des sommes correspondantes.

M. François-Michel Lambert. Je suis député des Bouches-du-Rhône, d’une circonscription qui mord sur les trois agglomérations d’Aix, Marseille et Aubagne. Je suis donc concerné par le débat, même si je suis le seul député non marseillais favorable au projet de métropole d’Aix-Marseille-Provence. Cela étant, je suis aussi le député du territoire de Manon des Sources et de Jean de Florette, dont l’histoire prouve que les territoires qui s’ignorent finissent par s’assécher…

Je tiens à remercier M. Langevin pour ses propos. J’observe, par ailleurs, que la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence sera effective au 1er janvier 2016. Ne pourrions-nous pas consacrer l’année 2014 à un débat public, qui serait conduit par la CNDP et dont l’objectif serait de définir le projet métropolitain et de nous l’approprier ? En nous remettant autour de la table, nous porterions cette ambition collective. Que pensez-vous de l’idée ?

M. Philippe Plisson. Le phénomène de métropolisation se traduit par une attractivité croissante dans les plus grandes villes et une concentration de la production de richesses dans ces territoires. Or, grâce au développement des réseaux de transport, les relations entre les grandes métropoles se développent, amenant à la constitution d’archipels métropolitains. Parallèlement, les zones rurales vieillissent, se dépeuplent et surtout, s’appauvrissent. Or la campagne ne saurait être une zone de relégation où seraient cantonnés ceux qui n’ont pas les moyens de vivre en ville.

Ces deux types d’espaces sont complémentaires. Pour autant, l’organisation métropolitaine risque de se mettre en place au détriment de l’arrière-pays, en accroissant la facture territoriale si le monde rural reste géré par des structures balkanisées, et donc souvent inopérantes. Le raisonnement que tenait M. Langevin à propos de Marseille peut s’appliquer à l’ensemble du monde rural – dissensions, difficultés à se regrouper, obstacles qui tiennent davantage à la nature humaine qu’à l’aménagement du territoire qui devrait guider les démarches.

Que penseriez-vous d’une démarche de métropolisation du monde rural, sous forme d’intercommunalités à dimension pertinente, à l’échelle d’un pays ou d’un arrondissement ?

M. Yannick Favennec. De quelle façon la métropolisation peut-elle aider à réduire les inégalités existant entre les différents territoires, en particulier entre les territoires ruraux et les grandes villes, que ce soit en termes d’accessibilité aux services publics, aux transports et aux services de santé, ou en termes de ressources financières ? Faut-il intégrer les territoires ruraux au sein des métropoles pour qu’ils ne soient pas délaissés ? En un mot, l’avenir des territoires ruraux passe-t-il par la métropole ?

Par ailleurs, les maires représentent les fondements de la démocratie locale, grâce à la relation qu’ils entretiennent avec leurs concitoyens. Quels seront le rôle et la place des communes dans la métropole ? La métropolisation annonce-t-elle la disparition de ces cellules de base de notre démocratie, qui sont des repères pour nos concitoyens et, par conséquent, la disparition du mandat de maire ? La métropolisation va-t-elle entraîner un « choc de simplification » entre les différentes strates territoriales ? Sera-t-elle à l’origine de la création d’un échelon supplémentaire ?

M. Guillaume Chevrollier. Je constate moi aussi que certaines villes ont tendance à se développer, non pas en complémentarité avec les autres, mais concurremment aux autres. Donc, si l’on veut que certains projets aboutissent, il y encore des efforts à faire.

La métropolisation dans la décentralisation amènera à définir des espaces cohérents assurant ce développement. Mais il faudra le faire dans une logique d’optimisation et de rationalisation des coûts, de diminution de la dépense publique, en raison d’un contexte budgétaire très contraint.

Je remarque, par ailleurs, qu’aucun intervenant n’a évoqué la notion de « bassin de vie ». Or celui-ci, qui dépasse les frontières administratives et politiques, a sa cohérence. Il faudrait l’intégrer dans la réflexion que nous menons pour mieux articuler les espaces ruraux et la métropole.

J’aimerais enfin savoir comment on pourrait définir les frontières de ces espaces métropolitains, afin de les figer dans le temps.

M. Christian Assaf. Monsieur Langevin, je suis d’un territoire qui n’est pas au centre du monde, pas plus qu’il n’est au Sud-Ouest que nous laissons à Bordeaux et à Toulouse, pas plus qu’il n’est au Sud-Est, que nous laissons à Marseille et à Nice : il est au « vrai » Sud, avec Montpellier comme centre de gravité.

Vous avez parlé de la compétitivité des villes dans un modèle économique mondialisé. Pourtant, le morcellement de nos institutions politiques n’a-t-il pas été un atout pour l’attractivité de nos territoires ? Il a en effet amené la multiplication des équipements structurels, des pôles de santé et des pôles universitaires sur l’ensemble de notre territoire.

Vous avez également mis en avant l’idée qu’il fallait adapter le territoire à nos pratiques sociales. N’est-il donc pas incohérent de fixer des seuils de population à nos bassins de vie ? Pour moi, la question est de savoir si, au nom du fait métropolitain, une aire urbaine comme Montpellier a vocation à être absorbée par une aire métropolitaine comme Marseille ou Toulouse, ou à demeurer leur banlieue.

M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur le président, en tant que défenseur des territoires ruraux, je suis inquiet. En effet, le projet de loi intitulé initialement « de décentralisation » est maintenant saucissonné en trois parties. Selon moi, cette division nuira profondément à une vue d’ensemble du territoire français, qui est pourtant indispensable à une décentralisation efficace et autonome.

Ainsi présenté, le projet de loi risque d’opposer, au final, les trois grandes métropoles, retenues sur un critère purement démographique, au reste du pays et, notamment, aux territoires ruraux, alors qu’il est au contraire nécessaire de favoriser la complémentarité et de renforcer la solidarité entre les territoires urbains et les territoires ruraux. Quelles en seront les conséquences, notamment pour les régions rurales à faible densité de population, sachant qu’il est prévu de faire baisser les dotations des collectivités territoriales ?

M. Alexis Bachelay. Monsieur Gilli, je sais que vous avez beaucoup travaillé sur la métropole francilienne. J’aurais donc plusieurs questions à vous poser à ce sujet.

Quel est le coût de l’absence de gouvernance dans cette métropole ? Moi qui suis un élu de la proche banlieue, je me rends compte au quotidien que certaines questions, qui ne peuvent être traitées qu’à une échelle métropolitaine, ne le sont pas.

Quel est le coût de l’absence de péréquation, qui génère des inégalités territoriales qui s’accroissent d’année en année ?

Quel est le coût de l’absence de simplification politico-administrative ? Dans les années soixante, on avait redécoupé les départements. Depuis cette époque, on n’a fait que rajouter des couches – les régions et les intercommunalités – sans en enlever aucune. Cette stratification rend évidemment de moins en moins lisibles et de moins en moins efficaces nos politiques publiques. C’est une véritable gabegie ! Certaines structures font doublon dans tous les départements, parfois même dans les communes et les intercommunalités.

Enfin, quel est le coût de l’absence de représentation démocratique de ces territoires ?

Mme Sophie Rohfritsch. Tout en étant passionnant, notre débat demeure théorique. Nous sommes loin, de plus en plus loin, des préoccupations des citoyens. C’est un débat d’experts : l’idée est excellente, le marketing très bon. Mais je pense, sincèrement, que les citoyens n’y comprendront rien, ce qui ne sera pas de nature à restaurer le lien de confiance avec les élus. Nous devons aller plus loin dans le texte, « faire le ménage » et conférer aux métropoles de réelles compétences.

Je me réjouis par ailleurs que Strasbourg soit devenue « Eurométropole », car cela valide son statut de capitale européenne. Malgré tout, je vous rappelle que nous avons déjà un Eurodistrict qui ne fonctionne pas et une Région métropolitaine trinationale du Rhin supérieur, dont on ne sait pas vraiment à quoi elle correspond. Certes, nous disposons de nombreux outils, mais je m’inquiète de la façon dont nos concitoyens appréhenderont le millefeuille institutionnel dont nous avons déjà beaucoup parlé en Alsace, et que nous avons essayé de rationaliser – sans beaucoup de succès, d’ailleurs.

Il faut donc y aller franco ! Il faut se décider à faire le tri parmi les différentes compétences. Notre commission doit se prononcer et faire, par exemple, du développement durable, une compétence de la future métropole.

M. Julien Aubert. En entendant M. Pinson, je me suis aperçu que la « métropole Gargantua » était à l’inverse de l’esprit de la réforme de 1982, qui avait abouti à une « reconcentration décentralisée » avec des administrations pléthoriques, mais régionalisées.

Par ailleurs, en observant les modèles de métropoles, celles de Paris, Lyon ou Marseille, j’ai remarqué que l’approche pouvait être différente selon les villes. Ainsi, le modèle de métropolisation parisienne semble beaucoup plus souple que celui qui a été imaginé pour Marseille – je précise que je suis député du Vaucluse et élu de la communauté du pays d’Aix.

Cette observation étant faite, j’aimerais savoir quelles sont les compétences que l’on doit donner à la métropole pour qu’elle fonctionne. À ce propos, je pense qu’il faudrait mettre à l’honneur le principe de subsidiarité.

Ensuite, a-t-on imaginé, ou pourrait-on imaginer, un modèle de métropole avec un cœur métropolitain qui serait intégré et une aire métropolitaine qui serait plus diffuse, avec des compétences moins marquées ou des missions ? Cela permettrait d’associer un hinterland au cœur métropolitain.

Enfin, personnellement, je suis plutôt favorable au projet de métropole, mais quand je vois que celle-ci devrait s’étendre jusqu’à Pertuis, dans le Vaucluse, je m’interroge : ne risque-t-on pas de réinventer « Gargantua » ?

M. Édouard Philippe. Les intervenants ont estimé que les aires métropolitaines pourraient s’étendre sur un rayon de 200 ou 300 kilomètres. Je souhaiterais savoir comment ils envisagent les rapports entre Paris et les métropoles situées à 100 ou 200 kilomètres de la capitale. Je précise que je suis maire du Havre et député de Seine-Maritime et que je m’intéresse tout particulièrement aux rapports entre la métropole parisienne et son accès à la façade portuaire.

Pour terminer, je répondrai à M. Fromantin qu’il coûte en effet moins cher de faire venir un container de Hong-Kong à Anvers que d’Anvers à Paris. Mais la prochaine fois qu’il aura besoin d’envoyer un container en France, je lui conseillerai de le faire passer par Le Havre : ce sera bon pour l’économie française, pour le port du Havre et pour tout le monde ! (Sourires)

M. Michel Heinrich. Je voudrais revenir, moi aussi, sur l’appropriation, par la population, de ces constructions institutionnelles et poser une question à M. Pinson.

Celui-ci a mis en doute, et la constitution et le fonctionnement de la Conférence métropolitaine. Selon lui, dans l’idéal, comment cette conférence devrait-elle fonctionner ?

Est-ce que la construction de la métropole lyonnaise aura une influence sur le pôle métropolitain ? Entraînera-t-elle une modification du fonctionnement de celui-ci ?

Enfin, que deviendra le reste du département, qui doit représenter à peu près 400 000 habitants ? Comment va-t-il fonctionner ? Comment va-t-il s’articuler avec la métropole ?

M. Yves Albarello. Je suis ravi de constater que le débat qui nous anime ce matin a été, en définitive, relancé par l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, à travers son projet de loi sur Grand Paris. Le Grand Paris, devenu le Grand Paris Express, à la suite de l’accord historique passé entre l’État et la région, et qui devient le Nouveau Grand Paris, à la suite des arbitrages rendus par l’actuel Premier ministre.

Je souhaite apporter quelques précisions à M. Gilli. Vous avez dit que la révision du SDRIF avait été entamée par la région Île-de-France. Je vous rappelle que cette révision est une conséquence de la loi du Grand Paris. Vous avez parlé du logement. C’est un domaine abordé par cette loi, qui dispose que nous devons construire 70 000 logements par an.

Vous avez également parlé de la liaison des grands clusters qui ont été identifiés en dehors de la capitale. Je rappelle que dans le premier projet qui avait déposé au Parlement, le projet « Blanc », un métro ferrique reliait un certain nombre de clusters comme le plateau de Saclay, la cité Descartes à Marne-la-Vallée ou la Cité de l’aéronautique au Bourget. Cette liaison a été substantiellement modifiée par l’accord historique. Puis, sont intervenus les derniers arbitrages du Nouveau Grand Paris.

Je remarque qu’il n’existe pas de grand projet structurant de transports pour le Grand Marseille. Je me souviens d’ailleurs être allé faire une conférence à l’Agora de Marseille sur le Grand Marseille, et j’ai constaté que les élus étaient sceptiques sur la possibilité de réaliser, sur place, un projet équivalent à celui de Paris.

Cela m’amène à vous poser cette question : comment expliquez-vous que le Sénat, dans sa grande majorité, ait rejeté toutes les propositions sur le Grand Paris ? Ne pensez-vous pas que les élus de la proche périphérie craignent de perdre à la fois leur identité et leur pouvoir ?

M. Jean-Marie Sermier. Lors de l’audition de Mme Marylise Lebranchu, j’avais déjà déploré l’existence du millefeuille institutionnel. Aujourd’hui, nous en rajoutons une : nous en sommes donc à 1 001 feuilles, ce qui constitue une exception française.

Depuis un certain nombre de décennies, on court après une chimère, en tentant de confondre les territoires, les compétences et la gouvernance. Or il n’est pas possible de mettre en place, sur chacun des territoires, et pour chaque compétence, la bonne gouvernance, ni de mettre une collectivité territoriale en face de chacune des compétences et de chacune des gouvernances. Autrement dit, nous risquons l’émiettement et la balkanisation des responsabilités. Comme l’ont fort justement rappelé certains collègues, nous ne serons plus en phase avec les citoyens qui ne comprendront plus qui décide quoi.

Il est donc urgent qu’à chaque fois que l’on envisage de créer une nouvelle collectivité ou de rajouter une nouvelle couche à notre millefeuille, nous réfléchissions à la façon de supprimer une des feuilles. À votre avis, à terme, quelle collectivité devrions-nous supprimer, pour rester en phase avec nos concitoyens et faire en sorte que notre démocratie continue à être reconnue et appréciée ?

M. Frédéric Gilli. Je ne vais évidemment pas pouvoir répondre à toutes les questions. Mais celles-ci nous renvoient à une question plus générale : qu’est-ce que c’est qu’une ville, aujourd’hui ?

Dans mon intervention, j’avais insisté sur l’opérationnalité urbaine. Même si ce n’est plus le cas, à partir de la Seconde guerre mondiale et pendant des décennies, on a construit des villes fonctionnelles, inspirées notamment de la charte d’Athènes, avec des barres de logement pour optimiser notre production de logements, avec des grands centres commerciaux pour massifier la consommation. On installait de grandes usines et on organisait, avec de grandes autoroutes et de grands flux de mobilité, la circulation des habitants entre tous ces éléments. Cette méthode s’est révélée inefficace : les concentrations de logements sont de plus en plus délabrées, les autoroutes, les systèmes de transport de plus en plus saturés, et les centres de consommation à repenser. Et je ne parle pas des usines qui ferment. On doit donc maintenant se demander comment refaire des villes à partir du citoyen. Je précise que le citoyen est entendu ici comme une unité de base intégrant toutes les fonctions – repos, travail et consommation. Dans la ville, au quotidien, le citoyen ou le consommateur est aussi un acteur du système de production.

Vous m’avez interrogé sur la façon d’intégrer les territoires en situation difficile – territoires ruraux, périurbains, socialement très défavorisés ou enclavés – dans le système productif. Il se trouve que j’ai conduit des travaux, notamment pour la DATAR, sur le rôle des territoires dans les politiques d’innovation – nous avions alors travaillé avec des experts, des chefs d’entreprise et des élus sur l’importance des territoires dans la reterritorialisation de la mondialisation. Je vous répondrai qu’il ne suffit pas de décréter des circuits courts. Il faut affirmer que la capacité d’innovation de notre pays passera par une façon différente de faire nos villes – qu’il s’agisse de la mobilisation des artisans ou des modèles de construction – et par l’invention de nouveaux outils, de nouveaux instruments et de nouveaux produits. De ce point de vue, la région parisienne pose question.

Dans son intervention du 6 mars dernier, le Premier ministre disait que pour faire un Nouveau Grand Paris, il fallait repenser la territorialisation du système de transport. Il posait la question institutionnelle et la question du développement économique en confiant celle-ci à la région. Or le « saucissonnage » du texte, que vous avez été plusieurs à dénoncer, posera un problème évident.

La question du développement économique du Grand Paris renvoie en effet directement à celle des compétences de la région ; comment celle-ci va-t-elle renforcer son pouvoir d’animation économique, en relation avec des territoires opérationnels et puissants d’un point de vue urbain ? Il faudra sans doute renforcer les intercommunalités pour restructurer les territoires de l’échelle locale. Vous avez parlé des bassins de vie. Mais je vous ferai remarquer qu’à l’échelle de la région parisienne, les contrats de développement territorial – CDT – qui ont été créés dans la loi de 2010, ont vu progressivement leurs contours bouger – ils sont en train de devenir des CDT généralistes et non plus thématiques – et que de nouveaux territoires, comptant 300 000, 400 000, 500 000 habitants et couvrant 5 000 ou 6 000 hectares, sont en train de s’organiser. Ce n’est pas pour rien que, dans sa version originale, le seuil de population avait été fixé à 300 000 habitants – et pas à 200 000.

Sur la question des départements, j’ai déjà donné mon avis. Je pense qu’en région parisienne – je ne parle pas de la province où la situation est très différente – les départements sont un vecteur de diminution de la solidarité. Ils organisent et ils accroissent les inégalités au lieu de favoriser et d’améliorer l’intervention de l’État et des collectivités publiques en matière de solidarité. Donc, soit vous les supprimez, soit vous les fusionnez.

La solidarité passe, certes, par des mécanismes de péréquation. Mais les inégalités nées des marchés du travail, des marchés fonciers et du logement, sont renforcées par l’organisation institutionnelle, ce qui est tout de même un comble. Vous disiez tout à l’heure que l’objectif de cette loi était d’améliorer notre façon de fonctionner. Or le cloisonnement de notre système accroît les difficultés au lieu de les résoudre. Stopper le processus constituerait déjà un progrès. Cela dit, je ne sais pas si la fusion à laquelle on pourrait procéder devrait se faire au niveau de la région ou de la proche couronne.

Maintenant, faut-il des territoires figés ? Je pense qu’il faut des territoires lisibles et clairs. Mais j’appelle votre attention sur le fait que la région parisienne a beaucoup souffert du périphérique : ce n’était pas seulement une autoroute, c’était surtout une barrière mentale, psychologique et urbaine, qui a organisé les rapports humains et politiques pendant des années. À l’occasion d’une récente enquête, les Parisiens ont dit que depuis une dizaine d’années, ils commençaient à pouvoir aller plus facilement en banlieue, mais qu’ils n’avaient pas encore suffisamment envie d’y aller. De fait, les échanges entre Paris et la banlieue ne sont pas encore suffisants. Il ne s’agirait pas de reproduire la même chose à l’échelle de la petite et de la grande couronne. Aujourd’hui, de grands équipements sont en train de s’installer en grande couronne, à Évry, Roissy, Versailles, Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise, etc. Ces territoires font-ils ou non partie de la métropole ? Il pourrait être judicieux de renforcer les intercommunalités et de les autoriser à rejoindre le département unifié du centre. Vous pouvez autoriser des modifications de contours. Après tout, c’est vous qui faites et défaites la loi. D’une certaine façon, il ne faut rien vous interdire.

Passons à la question du « hors Paris », et aux relations de villes comme Le Havre, Auxerre, ou Reims, avec la capitale. Il se trouve que j’ai commencé ma vie professionnelle à l’INSEE en travaillant pour la DATAR sur la question du Bassin parisien. J’ai alors pris conscience de l’importance de la relation entre Paris et les régions autour de Paris – pour Paris comme pour ces régions. Je pense qu’il faut encourager la politique de coopération et d’intégration de ces villes. Je travaille aujourd’hui sur la Basse Vallée de la Seine et j’ai constaté cette situation aberrante : l’un des principaux obstacles au développement du port du Havre, du port de Gennevilliers et de la plate-forme Seine Métropole est la difficulté que rencontrent les chargeurs, les armateurs et, en dernier ressort, les clients, à travailler ensemble faute d’une bourse d’échanges et de politiques intégrées. Il faudra donc, secteur par secteur, activité par activité, favoriser les coopérations intermétropolitaines et interrégionales. Car si les parlementaires ont un pouvoir et un devoir d’innovation fondamental, ils ne peuvent pas tout. Aujourd’hui, les villes sont faites autant par les lois que par les acteurs économiques, les acteurs associatifs et les citoyens.

Je terminerai sur les coûts – même si, évidemment, je n’ai pas de chiffres à vous communiquer.

Ce n’est pas pour rien que les émeutes de 2005 ont commencé en Île-de-France. Les jeunes des banlieues se plaignent de l’absence de connexion au marché du travail. Ils sont à proximité d’un des plus grands centres de création, d’innovation et de production de la planète et ils n’y ont pas accès ! De ce fait, nous nous privons de leurs capacités d’innovation. J’ajoute que je travaille avec des jeunes de toute la banlieue parisienne – du Val Nord, à Argenteuil, de Bobigny, de l’Essonne, etc. Lorsque les maires organisent des réunions entre ces jeunes, des responsables du MEDEF et des patrons d’entreprise, les jeunes ne viennent que parce que le maire leur a promis que des patrons seraient présents. Après deux ou trois réunions, le regard de tous les acteurs économiques institutionnels sur ce que sont ces jeunes et sur ce qu’ils portent change radicalement. Reste qu’aujourd’hui, une partie de nos problèmes est liée à la question institutionnelle : les territoires à l’échelle desquels on est capable de mettre les gens en relation ne sont pas adaptés pour leur donner accès à suffisamment d’opportunités.

Deuxième élément de coût : la question foncière et l’aménagement. Une ville se construit en redéployant la richesse capitalisée dans des rentes foncières élevées vers des territoires où existent des potentiels de croissance. Un promoteur immobilier ayant un parc qui rapporte de l’argent en zone centrale investira sur des territoires où il peut espérer rentabiliser son investissement. Le problème est que l’on n’investira dans ces territoires, et de manière intelligente pour la ville, que si ces gros investissements sont suivis par des investissements publics – équipements publics, crèches, routes, etc. Or aujourd’hui, le morcellement communal conduit à un coût par absence de développement. En effet, l’endroit où la richesse est accumulée ne peut pas investir dans les endroits où ce serait nécessaire. Voilà pourquoi je plaide depuis des années pour l’institution et la création d’un fonds mutualisé d’investissement à l’échelle de la métropole de Paris. Il faut permettre aux villes, aux communes riches de la région parisienne de prendre des participations dans les projets menés par les communes pauvres. Ce n’est pas de l’argent perdu qu’on donne à des communes pauvres, c’est de l’argent qu’on investit sur l’avenir de la région parisienne. En effet, si le territoire de Bagnolet, ou de Montreuil, ou de La Courneuve se porte mieux, la région se portera mieux et, à terme, nous en bénéficierons. Ce n’est pas à moi d’imaginer les contours d’un tel système, mais je pense que nous gagnerions à réfléchir à nouveau sur les outils et le fonctionnement de la péréquation.

Dernier élément de coût : l’absence d’animation de ce réseau. J’ai participé à deux aventures, finalement assez dramatiques : la stratégie régionale d’innovation d’Île-de-France, et les États généraux de l’industrie en Île-de-France. En effet, les différents acteurs nous ont dit qu’en province, les acteurs économiques, sociaux, industriels de la région s’étaient mobilisés de façon extraordinaire. Or ce ne fut pas le cas en Île-de-France. Les grands donneurs d’ordre industriels de la région se sont rendus aux États généraux de l’industrie nationaux et ont délaissé ceux de l’Île-de-France. Il est donc nécessaire de créer des interlocuteurs crédibles et des institutions qui constituent des repères forts, capables d’accompagner les entreprises à l’échelle de la région.

M. Gilles Pinson. Je rebondirai tout de suite sur ce que M. Gilli a dit concernant la force de la loi. Il est vrai que la loi peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Il serait dommage qu’en France, on cède encore une fois à cette pulsion institutionnelle, à cette tentation du « jardin à la française » en voulant à tout prix clarifier les compétences et figer les territoires.

Nous sommes confrontés à un changement de paradigme : nous sommes rentrés dans une société mobile, voire « hypermobile ». On peut certes attendre du fameux pic oil la raréfaction des ressources en énergie fossile pour que cette tendance s’inverse, mais je n’y crois pas trop. Je crains en effet que l’on ne trouve encore le moyen d’exploiter d’autres énergies fossiles.

Cette évolution entraîne des problèmes de gestion et de représentation politique.

En matière de gestion, nous sommes confrontés à des problèmes d’action publique, à des échelles et des périmètres qui varient en permanence. Voilà pourquoi parler aujourd’hui de bassin de vie ou de bassin d’emploi n’a plus de sens. Les géographes commencent même à se dire que c’est une vue de l’esprit de parler des bassins hydrographiques – qui fondent cette métaphore du bassin – dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les réseaux souterrains qui font qu’en fait les bassins des fleuves sont en réalité connectés entre eux. L’idée du bassin de vie suppose que l’on pourrait enclore un espace où les déplacements domicile-travail-loisirs seraient saisissables et gérables. Mais ce n’est pas possible. On est donc obligé de « bricoler ».

On peut bricoler avec des lois, qui associent la contrainte et l’intéressement ; de ce point de vue, la loi Chevènement – qui a par ailleurs réglé bien des problèmes – en fut un exemple. On peut bricoler avec des formes de gouvernance des métropoles que je qualifierais d’intergouvernementalistes. La comparaison entre l’Union européenne et les intercommunalités me semble d’ailleurs très adaptée : ces ensembles se gouvernent, souvent à huis clos, dans des cénacles très obscurs, auxquels les citoyens n’ont pas accès.

Certains d’entre vous ont déploré le flou des compétences. Faut-il clarifier celles-ci ? La clause générale de compétence est-elle un obstacle ? Je ne suis pas sûr qu’un système d’action publique, dans lequel il y a des chevauchements de compétence qui obligent les différentes institutions à se parler, à coopérer, à faire travailler leurs techniciens ensemble, soit un problème. Même si cela coûte peut-être plus cher, cela peut permettre, à terme, d’améliorer les décisions.

Donc, on bricole sur des territoires mouvants, qu’il faut bien se garder de figer. Bien sûr, il est légitime de s’interroger sur l’intérêt d’une simplification, surtout en période de disette budgétaire. Mais il ne faut pas avoir une vision simplificatrice de la simplification. Peut-être ne faut-il pas penser la simplification en termes de bornage très strict des compétences de chaque niveau. Peut-être faut-il la penser en termes différenciés.

Je pense que lorsqu’il a poussé à la création de la métropole de Lyon, Gérard Collomb avait en tête le modèle hanséatique adopté par certaines villes allemandes comme Berlin, Brême ou Hambourg : une ville avec un périmètre très large, compétente sur l’essentiel des compétences, certaines régions étant « boutées » en dehors de ce périmètre. Cela prend tout son sens à Lyon, dans le cadre d’un conflit très fort entre la région et la ville-centre, mais c’est peut-être un modèle viable. Peut-être pourrait-il cohabiter avec un autre modèle où le département – qui peut avoir un rôle à jouer, notamment dans les territoires ruraux – serait conservé.

Je n’ai pas de solution à vous proposer mais, globalement, je pense que l’on a intérêt à privilégier ce qui fonctionne. Certains se sont interrogés sur le bon périmètre, sur le bon seuil. Mais, à la limite, cela n’a pas d’importance : il faut voir ce qui fonctionne et quand cela ne fonctionne pas, peut-être faut-il avoir recours à la loi. C’est peut-être ce qu’il faudra faire à Marseille.

Évidemment, tout cela pose des problèmes de représentation politique. Le citoyen ne s’y retrouve plus. Jean Viard a parlé de la « démocratie du sommeil » : en effet, aujourd’hui, notre système représentatif est fondé sur l’idée que l’on vote là où l’on dort et non là où on travaille. Nous sommes toujours englués dans cette vision fixiste, territorialiste, de la représentation politique.

Les agglomérations fonctionnent à huis clos et voient émerger des oligarchies – c’est très clair à Lyon – constituées de grands élus et de grands techniciens qui gouvernent dans le plus grand secret avec l’alliance d’un certain nombre de grands intérêts, notamment immobiliers. J’observe tout de même que de tels phénomènes existaient déjà à l’échelle communale. Gardons-nous donc d’une nostalgie un peu déplacée sur la démocratie communale.

Le citoyen n’est pas le seul en cause. Dans les intercommunalités, de nombreux élus n’y comprennent rien. Plus généralement, ce n’est pas un problème de citoyens, c’est un problème d’évasion institutionnelle, de dérive oligarchique, de formes de gouvernements qui ne sont plus associés à des territoires bien circonscrits.

Cela signifie qu’il faut sans doute inventer de nouvelles formes de contrôle démocratique qui ne passent pas forcément par la fixité d’un territoire, par un régime d’assemblées ou par l’identification à un « leader féodal ». Peut-être faut-il aussi commencer à balayer devant nos portes, à observer le fonctionnement de nos institutions et mettre en place des solutions relativement simples, qui permettraient de mieux contrôler ces phénomènes de gouvernance métropolitaine intergouvernementale. Pourquoi n’a-t-on pas pensé à accompagner les conseils métropolitains d’un conseil, qui serait, à l’échelle métropolitaine, l’équivalent du Bundesrat ? Y seraient représentées les unités de base : les communes, les intérêts organisés, les citoyens, les associations, etc. Cette proposition a été faite, notamment, par un groupe de réflexion et d’action métropolitaine lyonnais.

Finalement, nous devons accepter le bricolage, l’intergouvernemental, le flou, le non figé. Nous devons faire notre deuil d’une démocratie municipale et « cloche-merlesque » bien assise dans ses bornes municipales. Pour autant, il faut rendre cette démocratie métropolitaine gouvernable.

Je répondrai maintenant rapidement aux autres questions.

D’abord, j’ai entendu dire que nous étions en retard par rapport aux autres pays européens. Certes, nous rencontrons des problèmes plus importants parce que nous avions un degré de fragmentation municipale plus élevé. Mais si vous regardez, par exemple, l’Italie ou l’Angleterre, ce retard ne saute pas forcément aux yeux.

Ensuite, s’agissant des territoires ruraux, on n’a pas parlé de la catastrophe qu’a été pour eux la réforme de l’administration territoriale de l’État menée sous la présidence précédente. Cette réforme les a en effet privés du soutien des services déconcentrés de l’État, et notamment de ceux de l’Équipement. Maintenant, faut-il les intégrer dans les métropoles ? Oui, quand c’est possible et que cela a du sens. Je pense, par exemple, qu’il serait utile que la future métropole de Lyon développe des compétences en matière de développement rural et qu’elle ne s’occupe pas stricto sensu de problèmes urbains.

On a peu parlé des régions. Il est vrai qu’elles sont un peu les grandes absentes de la réforme et de nos débats. Je vous renvoie à cette idée de modèle hanséatique. Peut-être faudrait-il, par exemple, priver Rhône-Alpes de la gestion de la métropole de Lyon, mais renforcer ses compétences en matière de politique industrielle. On dit depuis les années soixante que la région sera le grand ordonnateur des politiques de développement économiques, sauf qu’on ne lui en a pas donné les compétences, et qu’elle est entravée en permanence par le jeu des grands corps – notamment le ministère de l’industrie. Il y a donc quelque chose à faire de ce point de vue.

Je terminerai sur la péréquation. Pour ma part, en travaillant sur les logiques de redistribution fiscale à l’échelle des intercommunalités, j’ai constaté que la péréquation entre territoires pauvres et riches vient surtout – et peut-être pas suffisamment – de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. La péréquation se fait parfois, mais à quantité infinitésimale, à l’échelle des agglomérations lorsque celles-ci mettent en place des systèmes de redistribution via les dotations de solidarité communautaire. Mais en termes de redistribution fiscale, c’est l’État qui a un rôle important. La redistribution par les agglomérations passe essentiellement par les services, par les équipements, et par l’accès à l’expertise qu’elles offrent aux petites communes.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il est vrai qu’à la lecture de ce texte, on peut s’interroger. Que se passerait-il si, demain, la politique d’aménagement du territoire était portée uniquement par le fait métropolitain et donc par la métropolisation ?

J’ai noté, au travers de ce qui a été dit, qu’il fallait de la souplesse. J’observe que, même si ce n’est pas le cas partout, les élus sont capables de prendre des initiatives. Je pense à ceux de Lyon et à ceux de la région Alsace – bien que l’initiative de ces derniers n’ait pas abouti. Reste que nous nous posons des questions sur l’avenir d’un certain nombre de territoires. Peut-être notre commission sera-t-elle amenée, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, à déposer des amendements afin de trouver de meilleurs équilibres.

Certains considèrent que les territoires ruraux n’ont pas d’avenir, d’autres – comme Frédéric Gilli le laissait entendre – qu’ils en ont un. Pour ma part, je pense que ce texte risque de nous amener à une mauvaise lecture de la politique d’aménagement du territoire à mettre en œuvre. Cela m’inquiète tout particulièrement.

M. Philippe Langevin. Vos questions sont très riches et nous aurions besoin de davantage de temps pour en débattre. Je me contenterai de quelques réflexions générales.

Je rappellerai en premier lieu que nous sommes dans une démarche de construction, que nous n’avons pas de certitudes définitives, pas de territoires tout faits à vous proposer de prendre ou de ne pas prendre. Il est vrai que la question posée a été : quel est le bon territoire, le plus efficace, le meilleur pour développer l’économie ? Or il n’y en a pas. Comme disait Coluche, la bonne taille, c’est quand les pieds touchent le sol ! (Sourires)

Le territoire auquel nous avons intérêt à réfléchir est sans doute celui qui correspond à notre vie quotidienne : déplacement domicile-travail, domicile-entreprise, accès aux réseaux culturels et commerciaux. C’est sans doute un territoire équivalent à l’aire urbaine, au sens de l’INSEE, dont 700 ont été développées en France. Ces territoires ont une réalité. Mais cette réalité est sans doute provisoire. Peut-être que dans dix ans, ils ne seront peut-être plus les « bons » territoires.

Il faudrait introduire, dans nos réflexions, l’idée de relativité. Ils changent avec l’économie, avec la vie, avec l’évolution des choses. Il n’y a pas de territoires ancrés. Mais nous sommes tellement ancrés dans nos communes, avec leurs monuments aux morts et leur défilé du 11 novembre, que nous avons tendance à donner à cet espace historique et culturel une réalité économique qu’il n’a plus depuis très longtemps.

Certains ont parlé des relations de la métropole avec le monde rural. On ne peut pas estimer que la métropolisation remet en cause l’attractivité de ce dernier. Le monde rural a sa logique et sa cohérence. D’ailleurs, dans les espaces métropolitains, il y a des territoires ruraux – à l’intérieur de la métropole Aix-Marseille-Provence, je peux vous citer le Puy d’Aubagne et le pays d’Aix. Certaines régions agricoles et rurales se portent très bien. Il n’y a donc pas d’opposition entre les deux et il faut plutôt construire des complémentarités.

Si l’on va un peu plus loin, on s’aperçoit que les départements alpins ont aujourd’hui des caractéristiques économiques bien plus favorables que les départements littoraux. Le produit par habitant y est beaucoup plus important qu’à Marseille, Toulon ou Nice. Les taux de chômage y sont plus faibles et les créations d’emploi plus nombreuses. Cela permet un rééquilibrage. Il faut donc abandonner l’idée que le monde rural est un monde « en solde », en déperdition, alors que le monde urbain est un monde porteur, en innovation. La réalité de notre région montre bien qu’il y a une alternative à la métropolisation.

Certains ont évoqué la question des relations transfrontalières, qui est tout à fait essentielle. De fait, on ne change pas de civilisation lorsque l’on passe de Menton à Vintimille. Il est très important d’introduire cette dimension, qui constitue sans doute un élément de construction de l’Europe plus important que le prix des légumes. Il est sans doute très compliqué de mettre en place des politiques communes, mais on pourrait imaginer des territoires transfrontaliers. Des expériences ont été menées entre Menton et Vintimille, entre Perpignan et Barcelone. On l’a déjà rappelé, nous sommes face à une multiplicité de territoires.

Il serait erroné de penser qu’il y a un seul territoire, dans lequel on va se retrouver, qui serait cohérent, organisé, structuré, dynamique, productif et compétitif. Il faut arriver à jouer avec la multiplicité des territoires et reconnaître que, finalement, à chaque problème, à chaque question, correspond un territoire.

Néanmoins, la question clé est celle des limites – même provisoires. Regardez la métropole de Nice, qui ne ressemble à rien, car elle ne comprend ni Cannes, ni Sophia-Antipolis, ni Monaco, ni Menton. Dans ces territoires, il y a une dimension politique à prendre en compte. Comme on est en démocratie, ne se réunissent que les municipalités qui ont envie de travailler ensemble. Le problème est qu’elles ne sont pas forcément sur un territoire économiquement cohérent.

Prenez Aix et Marseille. Enfin, c’est le même endroit ! Pour ma part, je suis professeur à Aix et professeur à Marseille. Nous ne sommes plus ni marseillais, ni salonais, ni aixois, mais métropolitains. C’est sur ce territoire que notre pays s’organise et que notre vie se structure. Or depuis le roi René, Marseille et Aix ne se sont jamais parlé. Et ce n’est pas un problème de parti, mais un problème d’histoire. Reste que cette mésentente totale entre ces deux villes nous fait perdre de la valeur ajoutée, de la productivité et de l’efficacité. C’est un point qui a déjà été soulevé.

Il faut également éviter de penser qu’il y aurait d’un côté des territoires métropolitains productifs, et de l’autre des territoires non métropolitains résidentiels ; d’un côté une métropole active, organisée, structurée, exportatrice, et de l’autre monde rural fait pour accueillir des retraités fatigués ou des cadres prêts à faire 200 km par jour pour aller travailler. En effet, tout territoire a à la fois une fonction productive et une fonction résidentielle. Un territoire ne peut pas vivre uniquement avec de l’argent qui a été gagné ailleurs. Il doit parvenir à s’organiser et à se structurer. Il faut rappeler qu’à côté d’un projet métropolitain, il y a aussi un projet rural, qui est lui aussi tout à fait essentiel.

Certains ont parlé des pays – qui, aujourd’hui, ne sont pas en bonne posture politique. J’observe que ces nouveaux territoires ont été dotés de conseils de développement, précisément pour faire droit à la légitime revendication de citoyenneté. Or c’est la misère noire ! Notre société n’arrive plus à développer de véritables comportements citoyens. Cela dit, ce n’est pas spécifique à notre débat d’aujourd’hui. C’est le problème d’une société très individualiste. Chacun devient maître de son projet, de son destin, de sa vie, de son avenir, et les grands engagements collectifs, qu’ils soient politiques, syndicaux, sociaux, ont beaucoup de mal à s’exprimer. Mais il est vrai aussi que le système est très compliqué et qu’on n’y comprend plus rien. On ne sait même plus à qui s’adresser et qui engueuler !

Nous sommes bien d’accord qu’une simplification s’impose. Reste que nous sommes également confrontés à un problème d’éducation et de formation, ne serait-ce que pour expliquer aux gens ce que c’est que le pouvoir local, comment il s’organise et ce que sont des élections. Les gens ne votent pas s’ils ne comprennent pas comment cela se passe. Je pense que cette éducation, cette formation passe par l’enseignement primaire, secondaire, et par les universités. Moi-même, j’accompagne chaque année mes étudiants aux délibérations du conseil général, du conseil régional et du conseil municipal. Mais qui le fait, qui le sait ? Dans ce contexte, votre préoccupation citoyenne est tout à fait essentielle.

Derrière la question de la citoyenneté se profile la problématique de l’intérêt général. Dans les territoires, il faut savoir discerner, définir et dessiner un intérêt général, qui dépend du moment où on l’exprime, qui prend en compte l’ouverture internationale, les volontés locales et les acteurs du territoire. Car le territoire se construit davantage par ses acteurs que par ses élus, notamment en matière économique.

Que voulez-vous que fasse un maire ? On en a parlé à plusieurs reprises. Il y a bien un problème de dialogue, un problème de relations et un problème de capacité à construire des projets. Il faut sortir d’une méthodologie de la subvention pour s’organiser vers une réflexion en termes de projets : comment organiser un projet collectif ? Comment lui donner du sens ? Comment passer d’une économie du bien à une économie du lien ?

Cela me ramène à ce que vous avez souligné à propos des réseaux. Ce sont les réseaux qui font le développement, c’est la relation qui fait la croissance, c’est la connaissance qui fait la compétence, c’est la capacité à discuter qui fait le développement. Ce n’est pas l’enfermement dans des histoires de villes ou des histoires politiciennes qui ne sont pas compatibles avec l’intérêt général.

Le développement durable doit prendre en compte les défis énormes qui vont impacter directement les collectivités territoriales : le défi climatique, le défi environnemental, le défi culturel, le défi de la mondialisation. Nous n’aurons pas de réponses toutes faites, de cartographies ou de territoires « clés en main » à vous proposer. Vous aurez des chemins, plutôt que des autoroutes, à poursuivre et à organiser. C’est bien pourquoi le débat est absolument essentiel. Il faut organiser des débats publics, des conférences, aller dans les universités, dans la rue, pour fournir des explications aux citoyens. Or souvent, surtout sur mon territoire, de nombreux élus locaux, plutôt que d’expliquer aux gens le sens de la métropole, expliquent le sens de la « non métropole ».

Cela dit, on n’est pas devant quelque chose de carré, de définitif, d’irréversible. On est dans un morcellement. Montpellier n’est pas la banlieue de Toulouse, ni de Marseille. Montpellier, c’est Montpellier – ce qui n’est pas rien. Il ne faut pas penser qu’une ville dépend automatiquement de la ville qui est derrière elle. De même que Marseille n’est pas la banlieue de Paris, ni de Lyon.

Il faut aussi faire attention aux appellations utilisées. On parle du « Grand Marseille ». Les autres communes seraient-elles petites ? Cela n’a pas de sens. Il n’y a pas de Grand Marseille, ni de Grand Paris, ni de Grand Lyon. Il y a des communautés qui essaient de se construire, avec de grandes difficultés liées à l’existence de logiques économiques. Notre ambition est de faire que la gouvernance soit la plus proche possible de ces logiques économiques, qui sont à durée déterminée. Et dans dix ans, on refera les territoires. Parce qu’aucun territoire n’est inscrit dans l’histoire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Messieurs, je vous remercie très chaleureusement pour vos présentations qui nous permettront de poursuivre notre réflexion, dans le cadre de l’examen du projet de loi qui aura lieu dans quelques semaines devant notre commission, puis en séance publique.

——fpfp——

Les diaporamas présentés par MM. Gilles Pinson, Frédéric Gilli et Philippe Langevin sont accessibles à l’adresse suivante : www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-dvp/12-13/c1213071.pdf

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 12 juin 2013 à 9 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Christian Assaf, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Jacques Alain Bénisti, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Olivier Marleix, M. Philippe Martin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Edouard Philippe, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Patrick Vignal

Assistaient également à la réunion. - Mme Nathalie Appéré, M. Olivier Dussopt, M. Daniel Goldberg, Mme Christine Pires Beaune