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Mardi 2 juillet 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 77

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaite la bienvenue à M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), dont je rappelle qu’il a succédé il y a quelques mois à M. André-Claude Lacoste. Notre commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’intéresse aux questions liées à la radioprotection et la sûreté nucléaire comme sur les déchets radioactifs. Sur ce dernier point, nous avons créé dès le 18 juillet 2012 une mission d’information qui nous remettra prochainement son rapport. M. Chevet va bien entendu nous parler de l’état de la sûreté nucléaire en France, et évoquera non seulement l’avis que l’ASN a rendu sur la transition énergétique mais également l’avis rendu à la demande d’Électricité de France (EDF) sur la prolongation au-delà de quarante ans de la durée d’exploitation des réacteurs nucléaires.

M. Pierre-Franck Chevet est accompagné de MM. Michel Bourguignon et Jean-Jacques Dumont, commissaires, de MM. Jean-Christophe Niel, directeur général, Alain Delmestre, directeur général adjoint et Nicolas Oussouf, directeur de cabinet, ainsi que de Mme Evangélia Petit, chef de bureau.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN. Il est important pour l’ASN d’être entendue par le Parlement. Vous savez, Mmes et MM. les députés, que nous sommes une autorité administrative indépendante, ce terme signifiant que nous sommes indépendants de toutes les parties prenantes qui portent des messages sur la politique de l’énergie, qu’il s’agisse des Gouvernements successifs ou d’associations. Nous avons néanmoins un ancrage institutionnel au Parlement, et nous rendons compte régulièrement de notre action aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, en premier à celle du développement durable mais également à la commission des affaires économiques pour les questions liées à l’énergie, comme à d’autres commissions, y compris celle des affaires sociales en raison de la part médicale croissante de notre activité ou celle des affaires étrangères, car la sûreté nucléaire revêt un aspect européen et international comme le montre l’analyse des conséquences de l’accident de Fukushima. Conforter le statut de l’ASN dans la durée passe par ces liens avec le Parlement.

Nous avons publié, le 16 avril dernier, un état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France ; il s’agit d’un épais document, dont certains d’entre vous ont sans doute pris connaissance et que nous avons adressé à chaque membre du Parlement ainsi qu’à de nombreux élus locaux, en l’accompagnant d’une lettre qui opérait, pour chaque destinataire et pour la première fois, une analyse de la situation dans le ressort géographique où il était élu.

Nous considérons que la situation est « globalement assez satisfaisante ». J’ai d’ailleurs indiqué que je n’aurais pas été satisfait d’avoir une telle appréciation sur un carnet scolaire. Chaque mot ayant un sens, je précise que « globalement » signifie que nous avons constaté des disparités dans les installations ; « assez satisfaisante » est à la fois un encouragement à poursuivre les actions de renforcement de la sûreté et un rappel des incidents que l’ASN a relevés. Notre compétence est large, puisqu’elle s’étend à EDF, à AREVA ou encore au Commissariat à l’énergie atomique, mais également aux installations de radiothérapie ou d’imagerie que l’on trouve dans de nombreux hôpitaux.

Premier message : nous vivons actuellement une période particulière, celle qui suit l’accident de Fukushima. Les expériences de Three Miles Island et de Tchernobyl démontrent qu’il faut dix ans pour tirer les leçons complètes de tels événements. C’est pourquoi, je suis frappé par des discours ou déclarations à très courte vue, indiquant que le cas de Fukushima est clos, ou encore que les raisons en sont liées à des spécificités culturelles japonaises. Ce n’est pas le jugement de l’ASN, qui souhaite analyser les facteurs technologiques, humains, institutionnels et sociaux qui permettent d’expliquer un accident.

À Fukushima, en ce qui concerne les facteurs humains, le rôle des sous-traitants a été fondamental pour la gestion même de la crise, alors que cette importance n’avait pas été estimée, et nous devons comprendre comment ils doivent demeurer présents sur site en cas de problème grave. C’est un sujet dont nous discutons, de manière ouverte, avec les exploitants, les sous-traitants, des juristes ou encore des organisations non gouvernementales. De même, nous devons réfléchir à la manière d’accompagner les personnels d’une centrale quand se produit un tel événement : ce dernier a de larges conséquences sur l’ensemble de la société et les personnels se préoccupent – naturellement et inévitablement – de la sécurité de leurs familles. Il leur est difficile de faire simultanément face à deux situations stressantes. La gestion de crise devient un élément crucial de notre mission, mais nous avons peu de repères… La décision d’EDF de créer une force d’action rapide nucléaire répond à cette préoccupation. La capacité des pouvoirs publics à aider la centrale était faibles car ils avaient d’autres priorités légitimes : il faut donc que les exploitants aient en leur sein les moyens de faire face à de telles crises.

L’impact de l’accident de Fukushima s’étend à 80 kilomètres autour de la centrale. Il faut transposer cette réalité au contexte de certaines régions européennes, densément peuplées, pour mesurer la manière dont nous devrions gérer une telle situation au niveau européen. C’est donc une gestion multipays de la crise. L’ASN a d’ailleurs eu un avant-goût de ce que pourrait être un contexte de crise, puisque nos personnels ont répondu à d’incessantes questions pendant l’accident de Fukushima, puis dans les deux mois qui ont suivi. Nos équipes avaient des difficultés à faire face à un flot d’interrogations alors qu’il s’agissait d’un accident à des milliers de kilomètres… S’il devait survenir en France, nous aurions certainement besoin de l’aide des pays limitrophes, d’où l’importance en Europe de fluidifier l’information et de déterminer des critères les plus homogènes possibles d’intervention.

Je souhaite également appeler votre attention sur le renforcement de la sûreté des installations françaises. Il faut pouvoir déterminer les agressions extrêmes que nous prenons en compte et faire face à des situations extrêmes, grâce à des moyens appropriés, en continuant à disposer de réserves d’eau et d’un approvisionnement en électricité. Nous réfléchissons à ces problèmes et devrions prendre des décisions cet été, afin que les exploitants puissent déployer les moyens sur le terrain.

Quatrième point, s’agissant de l’après-Fukushima : un cadre international renforcé en matière de sûreté est indispensable. Un travail est en cours, qui s’achèvera en 2014, dans lequel la France joue un rôle moteur, en vue d’établir un référentiel partagé, afin que les accidents graves n’aient pas de conséquences de long terme autour des installations. On voit qu’à Fukushima, à cause des effets de long terme, une zone de vingt kilomètres autour de la centrale est totalement désertée alors même que les habitations n’ont été que très peu endommagées. Ce travail est extrêmement important. La France y participe via l’ASN et également par le Gouvernement. Je signale que ce travail est présidé, à l’échelle internationale, par mon prédécesseur à la tête de l’ASN, M. André-Claude Lacoste.

Le deuxième domaine de notre activité est le secteur médical. On ne parle pas là de grosses installations bien sûr, mais des nombreux appareils de radiothérapie utilisés notamment pour le traitement des cancers, mais aussi par les dentistes, etc.… C’est un nucléaire beaucoup plus diffus mais dont les enjeux sont forts. Je vous invite à vous référer aux attendus du jugement rendu en première instance sur l’accident qui a eu lieu en 2005-2006 à Épinal et qui avait causé vingt décès. Cette affaire montre bien que si, dans le traitement des cancers, on délivre des doses trop fortes ou au mauvais endroit, on peut aboutir non pas à éliminer le cancer mais à tuer le patient. La difficulté réside dans la capacité de maîtriser le fonctionnement d’appareils de plus en plus sophistiqués mais aussi de plus en plus complexes. C’est la tâche de la personne chargée de leur réglage : le radio-physicien. Nous préconisons, notamment depuis cet accident, une augmentation du nombre de radio-physiciens aux côtés des médecins. On constate heureusement une amélioration significative sur ce point.

Le secteur de l’imagerie médicale couvre les traitements de routine et de prévention. En 10 ans, dans les pays industrialisés, la dose totale reçue par la population au titre de ces traitements a doublé. C’est évidemment un progrès puisque la détection des pathologies est meilleure, mais c’est parfois injustifié : dans certains cas, on a recours à l’imagerie en 3D là où une image de qualité moindre suffirait pour détecter une tumeur. Or plus la qualité de l’image est forte, plus elle nécessite une dose élevée de radiations. Nous travaillons avec le personnel médical, pathologie par pathologie, pour identifier les meilleures pratiques, c’est-à-dire la juste pratique. Dans certains cas par exemple, une technologie comme l’IRM, non dosante, permet d’obtenir les mêmes résultats. Nous souhaitons donc un développement de l’IRM, avec là aussi une augmentation du nombre des radio-physiciens.

Dans le cadre du débat en cours sur l’énergie, nous avons apporté notre contribution sous forme d’un avis sur deux questions :

Premièrement, nous avons rappelé l’existence d’un risque plausible d’incident générique pouvant nous amener à décider d’arrêter de 5 à 10 réacteurs en l’espace d’une semaine. Une des caractéristiques du parc français de réacteurs est d’être standardisé. Ça peut être un atout en termes de sûreté, car cela permet de mettre au point dans de bonnes conditions des méthodes de réparation, et surtout de les déployer très vite. C’est un avantage en termes de sûreté, mais aussi un avantage industriel et un avantage en termes de coûts. Mais à condition que les anomalies soient détectées de manière très précoce, ce qui n’est pas toujours le cas.

Ainsi, au début de 1990, lorsqu’une corrosion a été constatée sur les couvercles de cuves, donc sur le point névralgique des réacteurs, pendant une semaine on s’est demandé s’il ne fallait pas arrêter de 5 à 10 réacteurs. Fort heureusement EDF a trouvé une solution technique permettant de suivre l’état des cuves en temps réel sans avoir besoin d’arrêter les réacteurs, mais autrement il aurait fallu procéder à ces arrêts. Le risque est donc avéré. Le débat en cours doit en tenir compte. Il faut notamment s’assurer d’une capacité électrique suffisante. Savoir comment assurer celle-ci ne relève pas de notre compétence.

Deuxièmement, en ce qui concerne le renouvellement du parc nucléaire : les centrales ont été conçues pour une durée de 40 ans, qui est une moyenne. C’est la référence en matière de sûreté. On ne peut pas exclure que l’arrêt d’un réacteur soit nécessaire plus tôt, suite à un contrôle de sûreté comme nous en effectuons tous les dix ans dans chaque centrale. On peut aussi avoir de bonnes nouvelles, avec le constat qu’un réacteur pourrait aller au-delà de 40 ans. Je ne suis pas en mesure à ce jour de dire si de telles nouvelles, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, sont garanties.

La construction du parc s’est déroulée de manière très rapide, pour l’essentiel entre 1980 et 1990. Par conséquent, on peut s’attendre à des arrêts massifs entre 2020 et 2030. Il faut impérativement s’y préparer aujourd’hui. Les moyens de prévenir ou de compenser, les moyens d’y faire face, nécessitent une dizaine d’années pour être effectifs, qu’il s’agisse d’outils de production amendés, d’économies d’énergie ou de nouveaux moyens de production. Le plein déploiement d’une politique d’économies d’énergie s’étale forcément sur 5 à 10 ans même dans le cadre d’une action méthodique. Il y a donc urgence.

Et au-delà de 40 ans ? Sur ce sujet, l’ASN vient de rendre un avis, qui est publié, EDF ayant posé cette question en 2009. Notre avis porte uniquement sur la méthode proposée par EDF, pas sur l’opportunité de la décision. Après avoir sollicité de nombreux experts, nous avons rendu un avis globalement positif sur cette méthode, mais en demandant à EDF que le niveau de sûreté servant de base à l’appréciation soit fixé au regard des standards de sûreté les plus récents, ceux correspondants aux réacteurs de dernière génération, et pas sur les standards datant d’il y a quarante ou cinquante ans.

Nous insistons d’autre part dans cet avis sur un certain nombre d’aspects techniques, notamment le problème des cuves des réacteurs, dont l’état n’est pas satisfaisant et qui ne peuvent pas être remplacées, et le problème des piscines de combustible nucléaire situées à côté des centrales, dont la sûreté doit être renforcée.

J’insiste sur le fait que notre avis ne porte que sur la méthode. Nous serons peut-être amenés à présenter un premier avis sur ces questions en 2015.

Un dernier point : nous avons demandé à EDF de préciser la durée de vie de chacun des différents réacteurs. Si l’objectif d’EDF est de faire passer la durée de vie des réacteurs de 40 à 60 ans, il n’est nullement acquis que cela soit possible pour tous les réacteurs. Il s’agit là de bien autre chose que de poursuivre l’exploitation d’un réacteur pendant un an ou deux au-delà de 40 ans. Nous demandons donc qu’EDF précise son propre calendrier.

Quelles que soient les conclusions du débat en cours, il y aura toujours des enjeux de sûreté nucléaire. Les exploitants doivent donc impérativement être dotés des moyens économiques et techniques d’assurer cette sûreté, y compris pour le démantèlement.

D’autre part, l’ASN elle-même doit être confortée dans la durée et dans son action : nous souhaitons ainsi que nos pouvoirs de sanction soient accrus. Actuellement nous disposons de deux instruments : pour les incidents les moins graves, la mise en demeure ou le procès-verbal, rendus publics, ou bien pour les cas extrêmement graves, la décision d’arrêter une installation – que nous pouvons prendre à tout moment. Pour les situations intermédiaires, qui ne sont pas d’une extrême gravité mais qui se prolongent dans le temps, ce qui se produit souvent en période de ralentissement économique comme celle que nous traversons, nous ne disposons pas de la sanction adaptée : l’une n’est pas assez forte, l’autre l’est trop.

La loi qui suivra la clôture du débat en cours pourrait nous donner la possibilité de prononcer des astreintes journalières, c’est-à-dire une sanction adaptée à ces cas. Cela manque à notre compétence, de manière conjoncturelle et de manière pérenne.

Un autre point important est celui de la robustesse budgétaire. Pour 2014, l’ASN a obtenu la préservation de ses moyens humains et financiers consacrés à la sûreté et à la radioprotection. Dans le contexte budgétaire actuel, particulièrement tendu, il s’agit là d’une bonne nouvelle. Au-delà de trois ou quatre ans, la pérennisation de cette situation nous exposerait néanmoins à un certain nombre de risques. Une problématique similaire affecte les exploitants, dont les capacités financières sont tendues et qui sont confrontés au vieillissement des centrales, au vieillissement de leur personnel et aux enjeux de sûreté du post-Fukushima.

Je voudrais évoquer, pour conclure, la question de la transparence. La transparence a longtemps été entendue comme un concept « passif ». Il me semble que nous devons désormais aller au-delà et susciter le débat – ce que, de fait, nous faisons déjà depuis plusieurs années. Sur plusieurs sujets compliqués auxquels nous sommes confrontés, nous partons directement en « mode ouvert » : depuis 2003, un groupe de travail pluraliste travaille ainsi sur la gestion des déchets radioactifs, auquel participent des ONG et l’ensemble des parties prenantes, que j’ai parfois présidé et qui fonctionne. Un deuxième exemple est celui du facteur humain dans les installations nucléaires : on peut rester en « mode étude » pendant dix ans, nous avons préféré prendre immédiatement le parti d’un groupe pluraliste. Un dernier sujet est celui du traitement des conséquences de long terme d’un accident nucléaire majeur : un groupe a été mis en place dès 2005, bien avant l’accident de Fukushima, associant les exploitants de l’installation, les populations concernées, les ONG, les agriculteurs, les acteurs économiques locaux, etc.

Nous devrons prolonger cette approche à l’avenir, aller au-devant des questionnements, ouvrir nos travaux dès leur lancement : cela ne peut qu’enrichir notre propre réflexion, c’est aussi un moyen que l’autorité du contrôleur soit mieux ancrée par des regards extérieurs provenant des acteurs, des parties intéressées, des commissions locales d’information, etc.

M. Jean-Paul Chanteguet, Président. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le bilan actuel, en termes de sûreté, de la centrale nucléaire de Chinon ?

Une proportion importante des cinquante-huit réacteurs en exploitation a été construite dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, qui atteindront donc les quarante années entre 2020 et 2030. Les deux réacteurs de Fessenheim arriveront eux-mêmes à cette durée dès 2017 : il s’agit donc là d’une échéance très rapprochée.

L’Autorité de sûreté a répondu à EDF sur la question de la méthode pour une éventuelle prolongation de la durée d’exploitation. Dans l’avis en date du 28 juin dernier, vous indiquez « qu’il est important que l’ASN dispose de tous les éléments utiles, et notamment des échéances de mise à l’arrêt des réacteurs actuels ». L’exploitant EDF devrait donc, en retour, vous préciser les dates auxquelles il envisage l’arrêt des réacteurs actuels – ou sollicitera une prolongation d’exploitation : EDF répondra-t-il à cette demande et, si oui, dans quels délais ? Il s’agit en effet là d’une information essentielle.

S’agissant des demandes d’autorisation au-delà de quarante ans, l’Autorité de sûreté estime pouvoir présenter ses premiers avis à partir de 2015 : pourquoi cette date et quels seraient les réacteurs susceptibles d’être concernés par une telle prolongation ?

J’avais cru comprendre que les réacteurs avaient été conçus, à l’origine, pour des durées de trente ans. Nous parlons désormais de durées de quarante ans. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de ce glissement ?

M. Philippe Plisson. J’ai connu la période précédant la création de l’ASN et de l’IRSN, où EDF s’autoévaluait. Alors qu’était survenu un incident de niveau 2, j’étais président d’une CLIN et j’avais dû faire effectuer un audit extérieur par la CRIIRAD pour être complètement rassuré sur la sûreté de l’installation. La création de l’Autorité de sûreté marque une incontestable avancée par rapport à cette période, en termes de clarté et de sûreté, et votre discours est rassurant, car il n’est pas complaisant.

L’Autorité s’est récemment penchée sur le futur Centre industriel de stockage géologique profond de déchets radioactifs, dit « projet Cigéo ». Sans remettre en cause ce projet, l’Autorité a émis une série de critiques concernant sa conception générale. Pourriez-vous nous rappeler la teneur de votre avis et les raisons qui ont motivé vos réserves ?

Afin de réduire les risques et de protéger les populations et l’environnement, la Commission européenne a proposé de réviser la directive de 2009 relative à la sûreté nucléaire et de mettre en place des audits réguliers de sûreté, sur l’ensemble du système européen. Prenez-vous cette disposition pour un désaveu ou jugez-vous au contraire que grâce à l’ASN, la France est en avance sur ce sujet ?

Tout se change dans une centrale, sauf la cuve du réacteur où se déroule la fission. Pensez-vous logique, possible et surtout raisonnable de prolonger les centrales nucléaires françaises jusqu’à soixante ans ?

L’argument économique et celui de l’emploi sont souvent avancés pour s’opposer à la décision du Gouvernement de fermer la centrale de Fessenheim. Pourriez-vous nous confirmer la durée d’un siècle pour le démantèlement complet d’une installation, avancée par le directeur de l’IRSN ?

M. Guillaume Chevrollier. Il est important, pour la représentation nationale, de pouvoir auditionner l’Autorité de sûreté sur la thématique du nucléaire. Il s’agit d’un secteur essentiel pour notre pays, dans le droit fil de la vision stratégique du Général de Gaulle dès les années soixante.

Une information impartiale et équilibrée est nécessaire, tant le nucléaire suscite d’inquiétudes et alors que l’accident de Fukushima a alimenté un climat anxiogène. Je me félicite que des outils appropriés aient été mis en place, qu’il s’agisse de la manière d’aborder une crise nucléaire ou d’une coopération renforcée entre États membres de l’Union européenne. Pour ce qui concerne les moyens affectés à la sûreté nucléaire, les annonces de diminution du budget du ministère chargé de l’environnement suscitent-elles votre inquiétude ?

Les commissaires UMP sont pleinement conscients de l’apport du nucléaire à la production énergétique française : le nucléaire a toute sa place dans notre bouquet énergétique. Avons-nous néanmoins « mangé notre pain blanc » en la matière, eu égard au vieillissement du parc et aux coûts prévisibles de son entretien et de sa sécurisation ? Le dernier rapport de l’ASN indique ainsi que six centrales présentaient des défauts en termes de radioprotection. Les efforts à consentir pour la maintenance vont-ils avoir des répercussions sur le développement de réacteurs nucléaires de quatrième génération ? Ces nouveaux réacteurs seront-ils plus économes, plus fiables et plus respectueux de l’environnement que leurs prédécesseurs ? Dans ce domaine, notre pays dispose-t-il véritablement d’un savoir-faire unique et serait-il dommageable de ne pas l’exploiter ?

L’ASN intervient également dans le domaine médical. Le développement de la radiographie, de la radiothérapie, de la curiethérapie et de la médecine nucléaire ont permis des avancées significatives au cours des dernières années. Quelle est la part du domaine médical dans votre activité ? Avons-nous fait des progrès en termes d’efficacité et de fiabilité de ces procédés ? Quelle place la France occupe-t-elle aujourd’hui dans ce domaine ?

M. Denis Baupin. Merci pour le langage de vérité que l’ASN tient, depuis de nombreux mois, à la suite de l’accident de Fukushima. L’Autorité a indiqué qu’un accident nucléaire majeur était possible sur notre territoire ; elle a eu le courage de reconnaître que le bilan du nucléaire n’était globalement « qu’assez satisfaisant » et que nous n’en étions qu’au début des enseignements post-Fukushima.

Je voudrais tout d’abord évoquer les arrêts fortuits de centrale nucléaire. Pour le seul mois de juin 2013, 46 arrêts ont été enregistrés, soit en moyenne 1,5 arrêt par jour, alors que de tels arrêts étaient au nombre de 134 pour la totalité de l’année 2012. Il y a donc une multiplication par cinq du nombre d’arrêts fortuits : à la seule centrale de Cattenom, 7 arrêts pour les trois tranches ; 8 arrêts à Flamanville 1 et 2 ; aujourd’hui, 2 juillet 2013, arrêt de Fessenheim 2 ; Flamanville 1 arrêté les 26 et 28 juin ; Chinon 4, le 29 juin ; Blayais 1, le 25 juin ; Chinon 3, le 25 juin ; Flamanville 1, Bugey 5, Belleville 2, Blayais 1, le 24 juin ; Gravelines 6, Flamanville 2, Belleville 1, le 23 juin, etc. Le 7 juin dernier, un incendie à Cattenom ; le 23 juin, un important dégagement de vapeur à Flamanville ; le 24 juin, un incendie au Bugey ; le 27 juin, un pic inexpliqué de radioactivité, etc.

M. Julien Aubert. Quel réquisitoire !

Mme Catherine Quéré. Mais c’est la vérité !

M. Denis Baupin. Et encore, je ne les cite pas tous ! Mais j’arrête là l’énumération, qui n’est pas exhaustive. Le journal Les Échos titrait même, il y a quelques jours, qu’un tiers des réacteurs nucléaires d’EDF était à l’arrêt. Comment expliquer cette multiplication par cinq des arrêts des réacteurs : est-ce la vétusté du parc, est-ce la sous-traitance, est-ce le résultat du sous-investissement souligné récemment par la CRE ?

Cette même CRE a présenté, il y a quelques jours, un rapport dans lequel est évoquée l’hypothèse d’EDF d’amortir les réacteurs sur une durée de cinquante ans. La note que vous venez de présenter, qui appelle des réponses de la part d’EDF, évoque quant à elle des réflexions pour une éventuelle prolongation à quarante ans. On voit bien que les exigences de remise à niveau coûteront extrêmement cher à l’exploitant, bien au-delà des 50 milliards d’investissement envisagés par EDF. Peut-on alors considérer comme sincères les comptes d’une société cotée en bourse, figurant au CAC 40 et qui espère amortir sur 50 ans des réacteurs dont nul n’est sûr qu’ils passeront tous les 30 ans, voire les 40 ans ? J’aimerais connaître l’avis de l’ASN sur ce point, alors que l’agence Fitch vient de récemment de dégrader la note d’EDF, du fait de son endettement et des coûts du nucléaire à venir.

M. Jean-Marie Sermier. Vous semblez vous en réjouir ?

M. Denis Baupin. S’agissant, en dernier lieu de Fessenheim, le directeur général de l’IRSN avait indiqué, le 30 mai dernier, que le risque sismique avait été sous-évalué lors de la construction de la centrale. Une étude du Land de Bade-Wurtemberg aboutit aux mêmes conclusions, estimant que Fessenheim aurait été fermée s’il s’était agi d’une centrale allemande. Quel usage faisons-nous des études conduites par nos voisins, s’agissant notamment du référentiel de sûreté applicable ? Le point est d’autant plus important que le Conseil d’État vient, quant à lui, d’estimer que le dimensionnement avait été correctement effectué. Qui, du Conseil d’État et du directeur de l’IRSN, est compétent et a raison ? Les autorisations de travaux données par l’ASN sont-elles pleinement pertinentes ?

M. Jacques Krabal. Le lien entre la nation et sa politique énergétique se délite, aussi ne puis-je qu’accueillir favorablement l’organisation de votre audition, monsieur Chevet.

Dans votre rapport, vous rappelez la situation de notre parc vieillissant, avec ses 58 réacteurs nucléaires, ses 19 centrales, et l’obsolescence physique de celui-ci, qui a pour conséquence l’augmentation de la fréquence des incidents de fonctionnement. Quel sera, dans ces conditions, l’avenir de nos installations nucléaires de base ?

Quelle appréciation portez-vous sur l’opposition de M. Bernard Laponche à la prolongation de la durée de vie de nos centrales au-delà de quarante ans ? Comment, dans ces conditions, peut-on élever notre niveau d’exigence en matière sûreté nucléaire ?

Concernant le laboratoire de l’ANDRA implanté à Bure, appelé projet Cigéo, l’avis de l’ASN en date du 22 mai 2013 a fait grand bruit. La conclusion de cet avis serait-elle que l’ANDRA n’est pas encore prête à mener à bien un tel projet ?

En matière de coopération européenne, l’ASN a participé à la conférence européenne sur la sûreté nucléaire qui s’est tenue, à l’initiative du Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (ENSREG), les 11 et 12 juin 2013 à Bruxelles, et je m’en félicite. La décision de renforcer la coopération entre autorités nationales en charge de la sûreté nucléaire me paraît essentiel notamment dans le domaine de l’harmonisation des procédures et des moyens à déployer en cas de crise. Même si l’on ne peut que se féliciter de l’extension des contrôles mutuels entre États, quelles seront cependant les conséquences pour la France d’un élargissement des contrôles effectués par les pairs ?

Vous avez évoqué, à propos de l’amélioration de notre réaction en cas de crise, la constitution d’une force d’action rapide par EDF. Pouvez-vous préciser sur quels moyens elle pourra s’appuyer ?

L’accident de Fukushima a entraîné, vous l’avez dit, un mouvement de révision générale de la politique de sûreté de nos installations nucléaires, notamment vis-à-vis des phénomènes naturels, et en particulier des secousses sismiques. Cependant, les mesures permettant de mettre en œuvre ce mouvement ne pourront pas se traduire dans les faits avant 2017. Comment peut-on accélérer leur traduction concrète et surtout s’assurer de leur bonne exécution ?

Lors du débat sur la sûreté nucléaire organisé à l’Assemblée nationale le 30 mai dernier, la ministre chargée de l’énergie, Mme Delphine Batho, a rappelé que la sûreté nucléaire devait reposer sur deux piliers : la transparence et le débat démocratique. A cette aune, comment s’articulent à la fois les mesures de sûreté issues des nouvelles exigences « post-Fukushima », et leur pérennité dans leur temps qui doit coïncider avec une vision de long terme qui doit être celle d’un régulateur comme l’ASN ?

Mme Catherine Quéré. Un rapport de la Commission européenne sur la sûreté nucléaire, publié en 2012, a mis en lumière des carences du parc français de réacteurs, notamment en matière d’équipements à déployer d’urgence en cas d’accident grave, de catastrophe naturelle, de séisme ou d’inondation. Vous avez reconnu cet état de fait avec honnêteté, même si cela nous a inquiétés. L’ASN a chiffré la mise à niveau du parc actuel à 10 milliards d’euros : quelles précisions pouvez-vous nous apporter à ce sujet ?

Membre de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je suis très attachée à cette égalité ainsi qu’au principe de la parité. Or, l’organigramme de votre agence révèle que, au-delà des membres élus du collège, au sein de la direction générale, seul un poste sur six est occupé par une femme, pour deux sur huit dans les directions comme dans les divisions territoriales. Les femmes demeurent donc extrêmement minoritaires. La composition de votre délégation à l’occasion de votre audition révèle le même déséquilibre : vous n’êtes entouré, monsieur le directeur général, que d’hommes ! Ce constat n’est pas propre à l’ASN et montre qu’il faut engager des mesures spécifiques et volontaires visant à promouvoir la parité hommes-femmes au sein des organes de direction des organismes publics. En ce qui vous concerne, monsieur le directeur général, quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour atteindre cet objectif ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Je rappelle que nous recevons M. Pierre-Franck Chauvet dans le cadre d’une réunion de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et pas de la délégation aux droits des femmes. Je dis cela, évidemment, sous forme de boutade.

Mme Catherine Quéré. Je rappelle que la Délégation aux droits des femmes compte des représentants dans chaque commission permanente de notre Assemblée, de façon à exercer une veille sur les sujets de sa compétence.

M. Jean-Marie Sermier. Je pense qu’il ne faut pas s’arrêter au nombre, ni au genre des intervenants, mais plus à leur qualité… (Sourires)

Pour revenir à notre sujet, la question centrale reste celle des conditions dans lesquelles nous pourrions prolonger la vie de nos centrales. Car, cela a été rappelé, à échéance de la prochaine décennie, puis de la suivante, nous allons être confrontés à l’arrêt de certains réacteurs, puis à la cessation d’exploitation de l’ensemble de notre parc, ce qui serait naturellement préjudiciable à la poursuite de l’activité économique. Or l’énergie nucléaire reste décarbonée, cet atout prenant toute sa force dans un contexte où la crise climatique, dont on parle bien moins que de la crise économique, viendra se placer tout naturellement au centre de nos réflexions prospectives.

Les incidents connus, analysés, répertoriés, au sein de notre parc ; les mises à l’arrêt, à titre préventif, de réacteurs : autant de signes positifs pour nos concitoyens. Que pouvez-vous nous dire de façon à les tranquilliser ? J’attends par ailleurs vos explications sur l’incident qui a conduit, ce matin même, à la mise à l’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim.

Au-delà de l’actualité, quels travaux menez-vous sur l’histoire du secteur ? Dans l’est de la France, le nuage de Tchernobyl a durablement marqué les esprits : de quelles études épidémiologiques disposez-vous concernant la multiplication après 1986 des cas de cancers de la thyroïde, dont certains continuent à rendre responsable ce nuage radioactif ?

Mme Geneviève Gaillard. Vos propos m’ont à la fois rassurée, lorsque j’ai cru y détecter une analyse sans concession des dangers liés à l’utilisation du nucléaire, et angoissée, car je constate que nous ne sommes pas au « top » en matière de sûreté. Les années qui viennent risquent d’être difficiles même si je ne reviendrai pas, comme l’a fait Denis Baupin, sur la multiplication des incidents.

Concernant l’activité médicale, vous nous avez appris qu’en dix ans, nous avions multiplié par deux les doses moyennes reçues par nos concitoyens. Même si la solution dépend du corps médical et de l’ensemble des thérapeutes, quelles procédures et quels moyens prévoyez-vous de mettre en œuvre pour informer le public, ce qui me paraît primordial afin d’éviter des difficultés que je vois croissantes compte tenu des progrès de la technologie ?

Il semblerait que, selon un sondage, les Français fassent plus confiance à la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIRAD) qu’à l’ASN. Vous savez qu’après la catastrophe de Fukushima, les données rassemblées par la première ne recoupaient pas exactement celles de la seconde. Monsieur le directeur général, quels rapports entretenez-vous avec la CRIRAD, qui a par ailleurs relevé de nombreuses anomalies dans le travail de votre agence ?

Concernant le stockage géologique profond, comment abordez-vous la question des contrôles ? Ce choix comporte en effet des risques.

M. Martial Saddier. Ma première question porte sur la gestion des crises éventuelles : quelle importance accordez-vous aux risques naturels dans celle-ci ? Ma deuxième a pour objet l’allongement de la durée de vie des réacteurs de quarante à soixante ans : avez-vous une idée du coût global de démantèlement de l’ensemble du parc, obtenu à partir du coût moyen pour une « centrale-type » multiplié par le nombre de réacteurs ?

Concernant le secteur médical enfin, et compte tenu de l’accident dramatique de radiothérapie que nous avons connu à Epinal, et étant très impliqué dans un établissement public de santé, je souhaite connaître les moyens que consacre l’agence à la sûreté dans le domaine des traitements médicaux.

M. Arnaud Leroy. Je reviens sur l’aspect juridique du débat sur l’allongement de la durée de vie de nos centrales : peut-on l’envisager avec les outils légaux dont nous disposons actuellement ? S’agissant des dossiers d’aptitude à la poursuite de l’exploitation, dans votre note, au point n° 9, vous demandez à EDF des compléments – en bref l’entreprise est sommée d’élargir son travail – sur des composants et dans des domaines où ses dossiers ne sont pas nécessaires. Ne serait-il pas judicieux de passer l’ensemble des composants sous le régime du Dossier d’aptitude à la poursuite d’exploitation (DAPE) ? Aujourd’hui, si l’on considère une centrale, quels composants dépendent de ce régime ? Quels autres composants dépendent d’un régime différent ? Nous touchons là des éléments-clé en matière de sûreté.

Quant à l’aspect budgétaire et financier, il me semble gênant en tant que parlementaire de ne disposer que d’une seule source d’information concernant le coût du démantèlement.

M. Jean-Pierre Vigier. Le département dont je suis l’élu, la Haute-Loire, ne compte aucune installation nucléaire. La « division voisine », celle de Lyon, à laquelle est rattachée la région Auvergne, en comprend de nombreuses, dont quatre centrales : un incident aurait donc des conséquences sur le territoire alto-ligérien. En 2012, 316 événements significatifs ont été déclarés à l’ASN par les exploitants de la division de Lyon : l’un d’entre eux, le 30 octobre de la même année, sur le site de Romans sur Isère exploité par Areva, a même été classé de niveau 2 sur l’échelle INES. Comment peut-on acquérir la certitude que les mesures de sûreté mises en œuvre par les exploitants des installations sont de nature à mettre fin aux incidents, et ce quelle que soit leur gravité ?

M. Jean-Louis Bricout. Les missions de l’ASN peuvent être découpées en trois pôles : la réglementation en amont, le contrôle de son respect, et l’information du public, public qui se montre d’ailleurs de plus en plus attentif. De ce point de vue, les commissions locales d’information (CLI) jouent un rôle essentiel : quel bilan dressez-vous de leur action ?

L’ASN a dans son champ de compétence l’ensemble des rayonnements ionisants : les centrales, mais aussi la recherche, le transport de matières et de combustibles, les secteurs industriel et médical (radiothérapie, scanners, radiothérapie, médecine nucléaire). Elle réalise chaque année près de 2 000 contrôles. En matière médicale, quel bilan dressez-vous de ceux-ci et quelles améliorations suggérez-vous d’y apporter afin d’améliorer leur efficacité, dans le double objectif de garantir la sécurité des patients et de conserver une bonne qualité des soins prodigués ?

M. Julien Aubert. Pour offrir à la population française le degré de sûreté le plus élevé, et indépendamment de la question du coût, vaut-il mieux allonger la durée de vie de notre parc nucléaire ou procéder à son renouvellement ? Faut-il prolonger ce que l’on connaît ou investir sur une génération de réacteurs plus modernes ? En réalité ne faut-il pas agir simultanément dans ces deux directions, dans un mix à définir ? L’ASN a-t-elle une position arrêtée sur la méthodologie qui pourrait s’appliquer à cette double démarche, ou estime-t-elle que cela est prématuré ?

M. Jean-Luc Moudenc. La conjonction du vieillissement de notre parc électronucléaire et de la raréfaction des ressources publiques, tout comme un mouvement d’opinion mettant en avant le coût de la filière, nous obligent à une réflexion de nature nouvelle. L’ASN a-t-elle travaillé sur un scénario de substitution, où l’énergie produite aujourd’hui grâce à nos réacteurs pourrait avoir demain une source différente, de façon à ce que notre pays continue à faire face à ses besoins énergétiques ?

M. Christophe Bouillon. Nous apprécions, monsieur le président, la réactivité de l’ASN et le fait que ses représentants, à chaque audition, répondent à de plus en plus de questions que se pose la représentation nationale.

L’acceptabilité du nucléaire repose à la fois sur la sûreté et sur le devenir des déchets. On a coutume de dire que la sûreté n’a pas de prix, mais qu’elle a un coût. Êtes-vous en mesure de déterminer la part de la sûreté dans la facture d’électricité de nos concitoyens ? D’autre part, quelle est votre position quant aux coûts inflationnistes du projet Cigéo ? Si vous n’en avez pas aujourd’hui, à quelle échéance l’agence pourra-t-elle la rendre publique ?

Lors d’un débat devant notre Assemblée, l’IRSN a chiffré le coût d’un accident nucléaire majeur. Vous êtes-vous déjà livrés à un tel exercice ? Comment allez-vous aborder cette hypothèse, compte tenu notamment de son implication en termes de provisions et de risque assurantiel pour les opérateurs ? Sera-ce selon vous un exercice utile, compte tenu du fait que les opérateurs en question étant tous cotés en bourse, ce type de chiffrage peut avoir des conséquences sur leurs finances ?

M. Jean-Jacques Cottel. La centrale nucléaire de Gravelines, dans le nord, a été construite entre 1974 et 1985. Elle se situe au milieu de 13 sites dits « Seveso » et à moins de 500 mètres d’un dépôt pétrolier. Quelle appréciation porte l’ASN sur cette situation atypique et sur la fiabilité de l’installation ? Par ailleurs, en matière de sûreté, des simulations visant parfois à évacuer la population du site sont organisées, mais elles ne s’avèrent pas toujours concluantes. Comment peut-on les rendre plus probantes ? Comment définir le périmètre d’évacuation autour d’un réacteur, de façon à protéger réellement les populations concernées ?

M. Jean-Paul Chanteguet. C’était la dernière question d’une longue série, preuve que le sujet intéresse grandement la commission. Nous écoutons maintenant les réponses de notre invité.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN. Nous nous attachons depuis quelques années à établir un classement des centrales avec trois critères : sûreté, radioprotection et environnement. Le site de Chinon est plutôt en retrait en termes de sûreté et d’environnement, mais sa radioprotection est performante. Quant à Gravelines, c’est un site que nous jugeons dans la moyenne. Je vous invite à consulter les publications du site internet de l’ASN pour une évaluation plus précises de ces deux installations.

Pour donner une idée de nos appréciations, nous avons mis en avant pour leur qualité en matière de sûreté les sites de Penly, du Blayais et de Fessenheim – sur ce dernier, je constate que nous avons en ce moment des réponses toujours très rapides et très positives. Pour ce qui est de la radioprotection, les installations du Blayais, de Saint-Laurent-des-Eaux et de Golfech sont placées en tête. Quant à la protection de l’environnement, Dampierre se classe devant tous les autres réacteurs.

Comme il existe un tableau d’honneur, nous avons aussi dressé la liste des sites moins performants. En sûreté nucléaire, des efforts sont à accomplir à Civaux, Paluel, Chinon et Cruas. En radioprotection, Fessenheim et Cattenom doivent progresser. Enfin, l’activité de Belleville, Chinon et Tricastin a un impact excessif sur l’environnement. J’insiste sur le fait que nous actualisons ce tableau tous les ans, car les réacteurs pointés du doigt par l’ASN travaillent généralement beaucoup pour améliorer rapidement leur situation.

Le contrôle de la sûreté ne fonctionne correctement qu’en présence de seuils extrêmement bas pour la détection d’incidents, ce qui explique le nombre important d’événements déclarés et publiés. Leur recensement exhaustif permet de détecter une éventuelle anomalie générique, en faisant apparaître des signaux annonciateurs. Nous veillons particulièrement à ce que tout ce qui se produit près d’un réacteur fasse l’objet d’une procédure. Les incidents qui concernent le domaine de la sûreté – ce qui n’est pas le cas de tous – sont au nombre de 1 200 chaque année, soit une centaine par mois et, donc, trois par jour. Mais nous n’avons eu que deux incidents de niveau 2 dans l’année qui vient de s’écouler : cette base ne nous permettrait en aucun cas de travailler efficacement. Nous revendiquons de procéder sur les données les plus nombreuses possibles, de façon à les filtrer à la mesure des enjeux. Je comprends les sentiments que provoquent des chiffres apparemment importants, mais nous sommes sans doute le pays qui s’assigne les seuils les plus stricts, précisément pour garantir une meilleure sûreté et un contrôle poussé des installations. C’est justement dans le cas contraire, si nous recensions très peu d’événements, qu’il faudrait redouter une mauvaise surprise.

Qu’un incident provoque un arrêt automatique du réacteur est une bonne chose, c’est une sécurité qui devrait rassurer. Je précise que nous conduirons demain une inspection à Fessenheim pour expertiser les causes des incidents récents.

Monsieur le président, nous souhaitons avoir communication des échéances prévues pour la mise à l’arrêt des centrales actuelles car c’est une donnée essentielle de notre grille d’analyse. Nous attendons donc un positionnement d’EDF sur chaque réacteur, sans doute au cas par cas. Nous pouvons patienter jusqu’à 2015, mais le plus tôt sera le mieux – même si nous sommes conscients que la constitution du dossier demandé réclamera un travail certain.

Peut-on devancer la date de 2015 ? Les dossiers comportent des questions excessivement complexes, que je ne vais pas énumérer ici. La cuve et l’enceinte de confinement sont des éléments essentiels, mais d’autres ne le sont pas moins. Certains générateurs de vapeur ont déjà été changés. Je ne pourrai donc pas dresser la liste des composants que nous contrôlons. Dans une des annexes de la lettre, nous posons la question de l’analyse du retour d’expérience étranger pour avoir une vision prospective des pièces qui seraient – et non pas seulement qui sont – vouées à connaître des défaillances.

Les États-Unis ont déjà octroyé des autorisations d’exploitation pour soixante ans, et l’idée de quatre-vingts ans n’est pas absente du débat public outre-Atlantique. Les Américains ont pris le parti de prononcer des prolongations sur la base des standards de l’époque de la conception des équipements, même si naturellement ils vérifient l’absence d’un vieillissement rédhibitoire pour la durée considérée. Ce n’est pas l’approche française, qui est partagée par l’Union européenne, car les nouvelles générations de réacteur comme Flamanville constituent une alternative.

L’ASN n’a aucune compétence sur la question des coûts. Certaines dépenses sont liées à des modernisations consécutives aux leçons tirées de l’accident de Fukushima. EDF les estime à dix milliards d’euros étalés jusqu’à 2018. Les investissements consécutifs à un prolongement à quarante ans de la durée de vie des installations ne me sont pas connus. Nous n’avons que les chiffres venant d’outre-Atlantique, mais qui correspondent à des exigences différentes, et les déclarations de M. Proglio, qui parlait de 500 millions d’euros par réacteur. Pour ma part, je ne sais pas, d’autant que nul ne peut affirmer que toutes les installations pourront ou non être prolongées au-delà d’une certaine date.

Les dossiers de justification en termes de sûreté ont été établis sur une durée de quarante ans, pour les réacteurs comme pour les cuves. C’est un point sur lequel je me souviens avoir travaillé au début de ma carrière. Des durées de trente ans ont pu susciter des calculs, mais ces derniers tenaient à des considérations d’amortissement et non à une préoccupation de sûreté. Je laisse sur ce point sa responsabilité à EDF, mais je répète que cela ne signifie pas que les quarante ans sont d’ores et déjà actés : conception et réalisation sont deux choses différentes.

Beaucoup de question concernent Cigéo. Nous n’avons pas remis, il y a un mois, un avis de circonstance. L’importance du sujet est identifiée de longue date, et l’ASN y travaille depuis de nombreuses années. Le rendez-vous important est la demande d’autorisation de création, conditionnée à la tenue du débat public et à des conclusions positives tirées par le Gouvernement. Il faudra encore que l’ANDRA constitue le dossier nécessaire. L’horizon d’une position technique de l’ASN se situe donc vers 2015 ou 2016. Vous avez pu noter que notre avis se borne, pour partie, à énumérer un certain nombre de points auxquels nous serons attentifs le moment venu, car ils ne sont pas encore concrétisés aujourd’hui. La question des déchets qui seront stockés, ou non, est essentielle en termes de sûreté ; elle l’est tout autant pour la sincérité du débat public : un changement dans l’inventaire aurait des conséquences évidentes sur notre jugement.

Un projet de directive européenne a été approuvé par le collège des Commissaires, pour une adoption prévue au premier semestre de l’année prochaine. C’est une initiative que nous soutenons, parfois d’ailleurs avec un sentiment de solitude. Même si le droit actuel n’est vieux que de quelques années, il faut prendre en compte les leçons de Fukushima pour franchir un pas dans une approche continentale de la sûreté. Le « contrôle par les pairs » constitue un excellent moyen d’avancer, car les conclusions publiques provoquent une réaction des acteurs.

Deux dispositions me semblent essentielles. D’une part, les résultats des tests de résistance lancés après l’accident japonais sont globalement jugés positifs : cette démarche devrait être réitérée tous les six ans sur les aspects sensibles conjointement déterminés, et tous les dix ans sur la pertinence du fonctionnement de l’autorité de surveillance. D’autre part, chacun attend une avancée sur la transparence.

Nous serons particulièrement vigilants, en revanche, sur l’unicité du gendarme du secteur : lui seul rend compte, devant les élus et devant la justice, et lui seul engage sa responsabilité. Si l’Europe s’orientait vers l’institution d’une seconde autorité de contrôle, nous aurions à craindre une déresponsabilisation et une baisse de la qualité des inspections, chaque organisme se reposant implicitement sur l’autre. Je précise qu’il n’y a pas d’obstacle technique à passer à une autorité européenne : nous exigeons seulement, alors, qu’elle soit seule en charge des questions de sûreté. Pour ces raisons, je regrette les ambiguïtés que recèle le projet de la Commission européenne.

La directive se bornerait, en l’état, aux seuls réacteurs. La France souhaite élargir son champ aux autres installations sensibles comme les usines de retraitement. Nous ne voyons pas ce qui justifierait de les écarter, moyennant évidemment l’adaptation de certaines procédures du fait de la spécificité de ces équipements.

Construction, fonctionnement et démantèlement d’une installation nucléaire s’étendent sur une durée de l’ordre d’une centaine d’années. Ce n’est donc pas un engagement anecdotique. La phase de démantèlement peut s’étaler sur trente ans ; elle nécessite un chantier lourd dont personne ne minore l’importance.

Je ne dirai pas que mon budget est mauvais, comme on me le suggère. Au contraire, j’ai plutôt tendance à me réjouir de la stabilité de la dotation de l’ASN compte tenu de la contrainte budgétaire. Toutefois, la charge va croître rapidement à l’avenir, et il conviendra que les ressources fassent de même. Ceci pose la question de leur pérennisation, donc de leur provenance.

Je ne sais pas si nous avons « mangé notre pain blanc » pour ce qui concerne l’efficacité des réacteurs. En tout cas, il est difficile de déduire des données dont je dispose que les choses se dégradent. Le taux de disponibilité a atteint des niveaux assez bas il y a quelques années, ce qui n’est sans doute pas dénué de lien avec des investissements exagérément limités lors de la précédente décennie, par exemple dans la maintenance préventive. La sûreté des installations n’en a jamais pâti ; leur disponibilité a fortement reculé. Si nous sommes attentifs aux moyens dont disposent les exploitants, chacun comprend ici pourquoi.

Nous consacrons un quart de nos moyens à la surveillance médicale, et nous envisageons d’accroître notre action. La radiothérapie, l’imagerie médicale, constituent des enjeux majeurs qui justifient un regard plus attentif. Les patients doivent être correctement informés, et nous organisons fréquemment des réunions publiques à cette fin avec les associations. En 2014, nous conduirons une campagne sur le thème : « La radiologie, ça se justifie ! ».

En ce qui concerne l’absence de parité au sein de l’Autorité, j’admets que nous ne pouvons faire mieux que une pour quatre, et que deux de nos huit directeurs seulement sont des femmes. Mais le fait est que les grandes écoles d’ingénieurs ne forment guère que 10 % à 20 % d’ingénieures, et que nous sommes tributaires de leurs promotions pour notre recrutement.

Par principe, nous prenons en compte les études tierces qui sont conduites sur notre activité. Nous avons donc bien pris réception des analyses prononcées sur Fessenheim par l’Öko-Institut de Fribourg-en-Brisgau. Le rapport allemand a été présenté à la CLI de Fessenheim ; nous avons formulé nos commentaires auprès de cette même CLI. Sa conclusion n’est d’ailleurs pas qu’une telle centrale serait fermée en Allemagne, même s’il pointe certaines différences intéressantes. Nous avons examiné, de même, le rapport de Greenpeace. Je ne veux pas entrer dans le fond du sujet : l’essentiel pour moi est de confirmer à l’Assemblée nationale que nous n’écartons aucune opinion extérieure. Je me bornerai à indiquer que, suite à Fukushima, nous réévaluons à la hausse les marges de sûreté pour dimensionner le noyau dur, à Fessenheim comme pour tous les réacteurs français.

Le suivi des recommandations formulées à la suite de Fukushima, qui avaient donné lieu à un épais rapport de l’ASN, est en cours. Nous allons probablement publier un tableau pour une meilleure compréhension par le grand public des enjeux liés à ces mille prescriptions. Chaque inspection permet de vérifier le respect des échéances assignées : la semaine dernière, nous avons, par exemple, constaté à Fessenheim le renforcement du radier – le sol en béton situé sous le réacteur. La lettre de suite de cette inspection est publiée sur le site internet de l’ASN, conformément à nos bonnes pratiques.

Les études post-Tchernobyl font l’objet d’un point annuel accessible sur le site de l’IRSN. La surveillance ne se relâche pas, même après pratiquement trente ans.

La relation des risques naturels et nucléaires a été illustrée à Fukushima. Le renforcement des installations face à d’éventuels événements naturels est au cœur de notre démarche depuis deux ans. Tout le monde pense aux raz-de-marée et aux séismes, mais ne négligeons l’impact éventuel d’une vague de grand froid, d’une canicule prolongée, d’un avis de tempête. Tous les pays sont concernés, mais nous bénéficions aussi des travaux des pays étrangers – ainsi les États-Unis soumis au phénomène des tornades.

Pour revenir à la prolongation éventuelle de la durée de vie des réacteurs, celle-ci ne rencontrerait aucun obstacle de nature légale. L’interrogation est essentiellement technique.

Rhône-Alpes connaît beaucoup d’incidents, simplement parce que c’est notre plus grosse division, recelant le plus grand nombre d’installations, et donc en proportion le lieu de fréquents événements recensés.

En ce qui concerne les CLI, elles ont pour mission d’ouvrir le débat sur le territoire des installations, sur le fondement d’une circulaire remontant aux années 1980 et intégrée depuis dans la législation. Leur travail donne satisfaction, d’autant que leurs moyens ont été récemment renforcés pour leur permettre de diligenter des contre-expertises.

La conséquence du passage à 50 % de la part nucléaire dans la production électrique en 2025 est une excellente question de politique énergétique ; vous comprendrez que je me garde de formuler une opinion à son propos. L’alternative existe entre une prolongation du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs : le meilleur choix est évident en termes de sûreté, il appartient aux industriels et aux autorités politiques d’analyser les autres éléments du débat. Il faut s’interroger sur la durée acceptable des hiatus entre les normes nouvelles et les constructions anciennes, puisque tout ne peut être fait tout de suite.

Les exercices de crise ne sont pas toujours concluants, ai-je entendu. C’est vrai : c’est justement la raison pour laquelle ils sont organisés. L’ASN compte parmi ceux qui demandent que les simulations soient les plus réalistes et les ambitieuses possibles, de façon à identifier et à corriger ce qui ne fonctionne pas.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour la précision de vos réponses, dont les députés apprécient la franchise. Je souligne avec intérêt votre demande d’une plus grande implication du Parlement dans l’activité de l’ASN. Nous ne manquerons pas de vous inviter à nouveau pour poursuivre notre dialogue.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Réunion du mardi 2 juillet 2013 à 17 heures

Présents. - M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Alexis Bachelay, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Christian Jacob, M. Edouard Philippe, M. Napole Polutélé, M. Gabriel Serville