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Mercredi 3 juillet 2013

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 79

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur la gestion des matières et déchets radioactifs (MM. Christophe Bouillon et Julien Aubert, rapporteurs)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport de la mission d’information sur la gestion des matières et déchets radioactifs (MM. Christophe Bouillon et Julien Aubert, rapporteurs).

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Dès la mise en place de la Commission du développement durable, au début de la présente législature, celle-ci a décidé la création d’une mission d’information sur la gestion des matières et déchets radioactifs, dont les conclusions nous sont aujourd’hui présentées.

M. Christophe Bouillon, corapporteur. Cette mission d’information a été effectivement été créée le 18 juillet 2012 et a travaillé pendant plusieurs mois sur ce sujet complexe, à l’intersection de dimensions techniques, économiques et sociétales, avec le souci d’éviter les postures idéologiques. Ce souci était d’autant plus nécessaire que notre rapport est présenté dans un contexte complexe, alors que le débat sur la transition énergétique est engagé et que celui sur Cigéo traverse des turbulences.

On entend parfois que les déchets nucléaires seraient le « talon d’Achille » de la filière électronucléaire. Il est vrai que les Français, interrogés sur l’acceptabilité du nucléaire, mettent au premier rang de leurs préoccupations la sûreté des réacteurs et le devenir des déchets. Nous héritons des déchets de nos prédécesseurs et continuons nous-mêmes à en produire. Nous ne pouvons en revanche laisser aux générations futures le soin de les gérer : ces déchets existent, ce ne sont pas des déchets comme les autres et nous devons les prendre en charge.

Le législateur a donc précocement posé un certain nombre de principes et de règles du jeu, qui doivent permettre d’aborder aujourd’hui le sujet dans les meilleures conditions possibles, au regard notamment d’une exigence de sûreté qui n’est pas négociable.

La première question est celle de la définition et de la caractérisation de ces déchets. Ces déchets sont, d’une part, classés en fonction de leur niveau de rayonnement, de la très faible activité à la haute activité. Ils peuvent l’être, d’autre part, en fonction de leur période de demi-vie. Le croisement de ces principes de caractérisation permet de définir les filières de gestion de ces déchets, à savoir : les déchets à vie très courte, issus des applications médicales de la radioactivité ; les déchets à très faible activité ou TFA, qui sont des déchets inertes de type béton ou gravats ; les déchets à faible-moyenne activité et à vie courte ou FMA-VC, qui sont des déchets issus de l’exploitation et de la maintenance, comme des vêtements, outils, gants, filtres, etc. ; les déchets à faible activité et à vie longue ou FA-VL, comme les déchets de graphite issus de la filière UNGG, les déchets radifères, les colis de bitumes, certains résidus de l’usine Comurhex à Malvési, etc. ; les déchets à moyenne activité et à vie longue ou MA-VL, comme les déchets de structure des installations nucléaires ou les gaines de combustible, etc. ; les déchets à haute activité ou HA, qui comprennent les colis de déchets vitrifiés issus des combustibles, contenant les produits de fission et les actinides mineurs. Chaque déchet a donc sa filière, selon le principe « séparer et confiner, plutôt que diluer et disperser ».

Un rôle important est dévolu à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui, à partir de son inventaire triennal, doit évaluer le volume de ces déchets, en identifier l’origine et mettre en place les filières de gestion. Concrètement, les principaux volumes concernent les déchets de faible activité à vie courte et les moins conséquents, les déchets de haute activité. Afin de situer les ordres de grandeur, les stocks étaient de 360 000 mètres-cubes de déchets TFA en 2010 (27 % du total), 830 000 m3 de déchets FMA-VC (63 %), 87 000 m3 de déchets FA-VL (7 %), 40 000 m3 de déchets MA-VL (3 %) et 2 700 m3 de déchets HA. La radiotoxicité se concentre essentiellement dans les déchets HA : ceux-ci représentent en effet 0,2 % du volume total des déchets, mais totalisent 96 % de leur radioactivité. Ces déchets stockés font, pour la plupart d’entre eux, l’objet d’un traitement sous forme d’un compactage et/ou d’une vitrification.

Dans le cadre d’une réflexion prospective, l’ANDRA a étudié l’impact sur le stock et la composition des déchets de deux scénarios contrastés à échéance 2020-2030, en fonction du choix qui serait fait de poursuivre ou au contraire de cesser le traitement du combustible usé. Si ce traitement des combustibles et matières est interrompu, l’impact sur la quantité de déchets à stocker sera direct et substantiel – à travers notamment le dimensionnement d’une installation comme Cigéo.

Dans l’écosystème de la gestion des déchets nucléaires, le rôle de l’ANDRA apparait essentiel et ses moyens et son indépendance doivent être garantis, vis-à-vis notamment des producteurs de déchets. Il faut également mentionner le rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, expert technique de l’ASN, du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire et de certains partenaires comme les commissions locales d’information.

La représentation nationale elle-même s’est investie très tôt sur ces sujets, à travers notamment la loi de 1991, dite « loi Bataille », qui définissait une série d’orientations et d’axes de recherche (séparation-transmutation, entreposage de long terme en subsurface et stockage géologique), et la loi de 2006, dite « loi Birraux », qui a fait du stockage géologique profond et réversible la solution de référence. Le Parlement aura de nouvelles occasions de revenir sur le sujet, dans le cadre du débat sur la transition énergétique – qui inclura un volet « déchets » – ou dans celui d’une loi à venir en 2015, qui aura à préciser les conditions de cette réversibilité.

Nous nous sommes également posé la question du seuil de libération. La France a fait le choix de n’en introduire aucun, ce qui aboutit à considérer que l’ensemble des déchets radioactifs, quel que soit leur niveau de radioactivité ou de radiotoxicité (à de très rares exceptions près), devaient faire l’objet d’une prise en charge en stockages séparés. Certains pays ont fait d’autres choix, introduisant donc un « seuil de libération » en-deçà duquel des matières très faiblement radioactives étaient autorisées à faire l’objet de traitements et de recyclages dans des filières conventionnelles. Nous estimons opportun de poser la question de l’introduction, en France, d’un seuil de libération conditionnelle, c'est-à-dire d’autoriser le traitement et le recyclage de certains déchets radioactifs – comme des aciers ou des métaux rares issus du démantèlement d’une installation – dans le cadre de cycles fermés, impérativement circonscrits à la seule filière nucléaire. Il y a là une question essentielle, au regard du volume des déchets, de sa croissance attendue et de cette ressource rare qu’est une capacité de stockage disponible.

M. Julien Aubert, corapporteur. Il en va des déchets radioactifs et du seuil de libération comme de l’impôt sur le revenu : une partie des contribuables doit-elle ne pas payer l’impôt et qu’advient-il du dernier décile, cette petite partie qui représente la majorité de l’impôt, c'est-à-dire de la radioactivité ? De quelles solutions disposons-nous pour ces déchets à haute activité ?

Notre déplacement en Suède nous a permis de nous rendre compte que nos voisins du nord considèrent le sujet de manière pragmatique et dépassionnée : les déchets sont là, ce sont nos déchets et il est de notre responsabilité de les gérer. Certains élus antinucléaires, que nous avons rencontrés, sont en faveur du stockage : les questions sont considérées de manière disjointe et il est clair, dans leur esprit, que rechercher des solutions de traitement des déchets ne vaut en aucune manière validation d’une politique énergétique.

La question du stockage des déchets HA est une question complexe. Les instances internationales, qu’il s’agisse de l’Agence internationale de l’énergie atomique ou de l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE, soutiennent la solution du stockage géologique profond comme seule solution sûre et pérenne. Plusieurs pays dotés d’une industrie nucléaire développée comme la Finlande ou la Suède ont également retenu cette option, d’autres États en sont encore à des réflexions préliminaires.

D’autres options existent-elles ? On pense à la solution de placer les déchets au fond des océans : cette solution a été utilisée entre 1946 et 1982, elle est aujourd’hui abandonnée du fait de l’impact désastreux sur l’environnement et de l’impossibilité d’assurer un quelconque suivi. Les attitudes des États vis-à-vis de la mer sont parfois ambiguës, les Suédois projetant par exemple de construire leur centre de stockage profond sous celle-ci et n’ignorant pas qu’à terme, les résidus risquent d’être captés et dilués par les eaux. Le rejet direct en mer est néanmoins interdit depuis 1993 et on n’imagine pas, à l’heure actuelle, de revenir sur cette interdiction.

Envoyer les déchets dans l’espace met en présence d’un problème économique, car le coût d’envoi à la tonne serait prohibitif.

Certaines organisations non gouvernementales défendent la solution de l’entreposage à long terme, en surface ou subsurface. Cette solution vise à ne pas engager les générations futures par des décisions malaisément réversibles et à maintenir la possibilité d’une surveillance directe des colis de déchets. Le problème est consubstantiel à la solution elle-même : il faudra assurer la surveillance, le suivi et l’entretien du site pendant des centaines et des milliers d’années, ce dont rien ne garantit la possibilité ou la certitude. Sur un plan plus philosophique, se trouve aussi posée la question de la relation des politiques publiques au temps : nous sommes en train de bâtir une réflexion sur un sujet plurimillénaire, qui échappe totalement au temps politique – voire à la conscience humaine.

Une dernière voie était constituée par les recherches sur la séparation-transmutation, c'est-à-dire la tentative de retirer des déchets les actinides mineurs, principaux contributeurs à la radiotoxicité. Les travaux tendent à montrer qu’il ne s’agit pas là d’une solution industriellement réaliste, à court et moyen termes, et que l’exploitation d’installations de séparation et de traitement des actinides mineurs serait par elle-même génératrice de nouveaux déchets, qu’il faudrait à leur tour traiter et enfouir. La question du stockage demeurerait donc posée.

Le législateur s’est saisi du sujet du stockage depuis vingt-cinq ans, dans le cadre de la loi Bataille de 1991, d’abord, puis dans celui de la loi Birraux de 2006. Cette dernière a fait du stockage géologique profond et réversible la solution de référence, dont le laboratoire du Bure et le projet Cigéo constituent les déclinaisons. Après qu’une série de travaux ont permis d’étudier la roche et les méthodes de creusement et de scellement, on imagine un système d’alvéoles en puits profond. La question du dimensionnement de l’installation se pose parallèlement au débat sur la transition énergétique : les simulations montrent qu’une prolongation de dix ans de la durée de vie des centrales ne se traduirait que par une augmentation de l’ordre de 6 % du volume des déchets à stocker dans Cigéo.

Un débat public sur Cigéo a été lancé, mais il rencontre de grandes difficultés du fait de la stratégie d’obstruction mise en œuvre par les adversaires du projet. Cette situation devrait nous conduire à nous interroger – j’exprime ici un point de vue purement personnel – sur la manière dont nous conduisons nos débats : alors que ceux-ci visent à faire émerger un consensus acceptable, on constate qu’en définitive certains s’emploient à créer le blocage et à empêcher la diffusion de l’information. L’exemple suédois est, de ce point de vue, riche d’enseignements : le débat y a duré dix ans et non six mois, avec le souci de convaincre les habitants un par un en leur faisant visiter les installations, en allant les rencontrer à leur domicile et en invitant les salariés du site à assurer sa promotion auprès de leur entourage.

Il existe une série de questions en suspens intéressant le projet Cigéo. La première est celle de son coût et de son financement. Le chiffrage initial s’établissait aux alentours de 15 milliards d'euros, il a depuis été réévalué à 35 milliards d'euros. Cette progression s’explique par le coût des études préliminaires – avec des sujets techniques, comme les modalités de creusement des tunnels – mais aussi par la prise en compte de coûts d’exploitation et de charges pluri-décennaux, qui ont été revus à la hausse. Ramené au prix du kilowattheure payé par le consommateur, l’incidence n’est pas très significative ; sur les comptes et les provisions d’EDF, l’impact est en revanche de 4 milliards d'euros… ce qui explique les tensions parfois perceptibles entre l’ANDRA et ses financeurs. On a d’ailleurs le sentiment que le choix implicite de la France, c’est aujourd’hui « ceinture et bretelles », afin de couvrir tous les risques, avérés, potentiels et hautement improbables. Cette attitude est extrêmement responsable au regard des enjeux de sûreté, mais elle représente un coût financier considérable. En voulant isoler tous les déchets, en se refusant à introduire un seuil de libération, en traitant de la même manière le déchet HA exposant à un risque mortel et le gravats issus de démantèlement ou la tenue du visiteur occasionnel, on apporte des solutions identiques à des problèmes différents. En toute hypothèse, il appartiendra au nouveau ministre de l’écologie, à l’automne prochain, d’arrêter le cadre du chiffrage financier.

Se pose également la question de la réversibilité. Cette réversibilité était un concept essentiel porté par la loi de 2006. De quoi s’agit-il exactement ? On pourrait penser qu’il s’agit de récupérer les déchets nucléaires afin de pouvoir ensuite les retraiter. Ces déchets étant en réalité vitrifiés, la réversibilité doit plutôt s’entendre comme la possibilité de récupérer les colis pour les stocker ailleurs : elle s’apparente donc à une forme de flexibilité dans le processus, pendant un siècle – car ce sera plus difficile au-delà, pour des raisons de sûreté. Il y a donc une dimension politique de la réversibilité : les déchets nucléaires sont et seront invisibles aux populations et il est donc important qu’elles puissent être assurées que, dans certaines limites, il sera possible d’aller rechercher les colis si nécessaire. Là encore, la question du coût spécifique de la réversibilité mérite d’être posée, notamment au regard de la proposition de l’ANDRA d’organiser des clauses de rendez-vous décennales à partir du lancement de Cigéo.

Mon collègue Christophe Bouillon et moi-même sommes enfin sensibles au fait que Cigéo, implanté sur une petite partie du territoire, serait le récipiendaire d’un bien collectif de la Nation – ces déchets nucléaires, que nous avons tous collectivement produits et dont les désagréments en termes d’image, de nuisances ou de voisinage ne seront subis que localement. Ceux qui accepteront l’installation Cigéo sur leur sol et dans leur sous-sol rendront un service d’intérêt national. Nous proposons donc de réfléchir à la création d’une « Zone d’intérêt national » en Meuse/Haute-Marne, qui serait bâtie sur le modèle des zones franches et ouvrirait droit à une série d’avantages – notamment, des avantages fiscaux. Le dispositif serait placé dans un cadre juridique extrêmement protégé sur le temps long et serait complété par un effort massif d’investissements d’avenir, de jeunesse et d’éducation.

Le rôle de l’ANDRA a été contesté par les producteurs de déchets et la question du chiffrage a tendu les relations entre les différents acteurs. Nous pensons que ce rôle doit être conforté et réaffirmé, car le stockage géologique profond concernera d’autres pays que la France à l’avenir – même si certains ont fait le choix du granite plutôt que de l’argile – et que le savoir-faire que l’ANDRA est en train de développer est susceptible d’être exporté et vendu. Il y aura là une forme de retour sur l’investissement consenti par notre pays au titre de Cigéo.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je donne la parole aux représentants des groupes politiques.

M. Jean-Yves Caullet. Je salue la lucidité des propos de nos rapporteurs et la qualité de leur travail, et j’avais envie de vous dire, à titre liminaire : « Enfin, nous y voilà ! » Après quarante ans, il est établi que les déchets nucléaires constituent un vrai problème. Nous sommes devant cette réalité et, à l’image de nos amis suédois, face à nos responsabilités. La réalité technique est transparente et connue ; la réalité financière est en revanche plus incertaine car nous ne savons pas évaluer les conséquences de l’ensemble de ce problème…

Pensez-vous que l’expérience acquise par notre pays dans la gestion des déchets puisse lui permettre de développer une filière économique, d’apporter des solutions tout en assumant ses responsabilités envers les pays auprès desquels il a recommandé la filière nucléaire ? Est-ce qu’intérêt économique et principe de responsabilité pourraient se rejoindre ?

Quant au débat sur Cigéo, je relève qu’il a fallu plusieurs dizaines d’années pour accepter l’idée d’un démantèlement des centrales et de la gestion des déchets. Il faudra en conséquence garantir que la surveillance des déchets dans les années à venir se poursuive avec la même unanimité. Il faut éviter que la question de la responsabilité soit à nouveau posée dans dix ou vingt ans. Nous avons en charge cette responsabilité pour de très longues années ; il nous faut donc nous assurer que le contrôle démocratique du processus soit assuré aussi longtemps qu’on peut l’imaginer.

Je rappelle que le discours tenu aux populations qui accueillent les sites de stockage met en avant l’intérêt national. Je souscris volontiers à cette idée mais cette situation est également celle des populations vivant à proximité des centrales nucléaires. Il serait intéressant de tirer un bilan de la manne que ces populations ont reçue au nom de l’intérêt national.

Enfin, comme l’ont souligné nos rapporteurs, nous sommes tous interpellés par l’échelle de temps de la gestion des déchets, qui dépasse la durée qui nous sépare de l’apparition de l’être humain sur la planète. Notre responsabilité n’est pas simplement celle d’un moment, d’une représentation politique ou encore d’un État… C’est une responsabilité qui sera assumée par les générations qui nous succèderont. Nos rapporteurs ont-ils des idées sur ce point ?

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. La parole est à M. Bertrand Pancher, qui, je le rappelle, est élu de la circonscription où se situe le futur site de Cigéo.

M. Bertrand Pancher. J’associe à mes questions notre collègue Jean-Louis Dumont, député de la Meuse. Nos rapporteurs ont accompli un remarquable travail, qui ne remet pas en cause, mais au contraire conforte, la stratégie française de stockage et de traitement des déchets nucléaires. Je souligne également la qualité du travail de l’ANDRA, en formant des vœux pour le maintien de ses moyens humains et financiers. Il ne faudrait pas traiter cet organisme comme d’autres services de l’État, car l’essentiel de ses moyens provient des opérateurs eux-mêmes – à travers des contrats commerciaux et les recettes de la taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base (INB). Il convient de conforter l’indépendance de l’agence, dans un contexte où les producteurs de déchets nucléaires ont un intérêt objectif à tenter de diminuer le coût de traitement de ces déchets et préconisent donc des solutions rapides, moins onéreuses, mais qui posent des questions en termes de sûreté.

Vos réflexions sur l’introduction d’un seuil de libération conditionnelle et sur la récupération de certains matériaux de valeur dans le cadre du démantèlement d’une INB me semblent très pertinentes.

Vous soulignez également le consensus international sur le stockage des déchets à vie longue. Ce consensus est important, notamment pour les pays qui renoncent à l’énergie nucléaire et, en ce sens, peut-être pourriez-vous analyser la position de l’Allemagne, qui réfléchit également sur des types de stockage équivalents ?

Je terminerai par deux questions : d’une part, le CEA travaille-t-il réellement sur la transmutation ? D’autre part, comment améliorer la gouvernance nationale et locale de la surveillance des déchets ? Derrière cette question, se trouve naturellement celle de l’acceptabilité de cette politique.

Pour ma part, je souhaiterais transmettre votre rapport à la Commission nationale du débat public, dans le contexte des évènements fâcheux qui se sont récemment déroulés dans la Meuse. Alors que 80 % des personnes interrogées dans un récent sondage aspirent à un débat public ouvert sur le projet Cigéo, la représentante régionale d’Europe Écologie–Les Verts a été conspuée et empêchée de parler, alors même qu’elle venait expliquer pourquoi elle s’opposait à la tenue de ce débat : il y a là une logique qui m’échappe…

M. Martial Saddier. Je salue à mon tour la qualité du travail de nos rapporteurs qui sont – sans ironie – les témoins vivants de la qualité de la sûreté nucléaire en France. (Sourires) Je rappelle, notamment à notre collègue Jean-Yves Caullet, que le Parlement débat de cette question depuis 1991, avec ce que je qualifierais de « temps fort législatif » en 2006. L’installation Cigéo est une première mondiale, ce qui suscite naturellement des questions, seuls les États-Unis disposante d’une expérience partiellement comparable avec celle France, dans le cadre du traitement de leurs déchets radioactifs militaires.

Le véritable défi d’une politique de déchets est de les réduire. Telle est ma première interrogation, consistant à savoir s’il existe de telles perspectives… Je rappelle ensuite le soutien du groupe UMP à l’ANDRA. En 2006, c’est notre majorité qui avait voté la taxe additionnelle assise sur les producteurs pour assurer l’indépendance et le financement de cette agence. Les députés UMP y sont très attachés et souhaitent que cette indépendance soit sacralisée malgré le contexte budgétaire actuel…

Nos rapporteurs n’ont pas abordé les incidences de la prolongation de la durée d’activité de nos centrales nucléaires. Des précisions seraient sans doute utiles sur ce point. La difficile question de la réversibilité du stockage a été évoquée, elle a animé fortement nos débats en 2006, je n’y reviens donc pas…

Il reste à nous interroger sur la solidarité environnementale. Les communes qui acceptent de telles installations sur leur territoire le font pour toutes les autres et ce choix n’est jamais facile pour leurs élus locaux. C’est un véritable acte de solidarité. Pensez-vous que la solidarité envers les territoires qui accueillent ces infrastructures soit suffisamment forte ?

Mme Laurence Abeille. L’industrie nucléaire représente un terrible danger et ce rapport démontre de manière involontaire l’urgence de sortir du nucléaire. La question des déchets, traitée dans ce rapport, est centrale et s’ajoute aux risques inconsidérés que cette industrie fait courir à la population. En cinquante ans, notre pays a produit 33 000 tonnes de déchets radioactifs. Il s’agit de déchets dont nous ne savons que faire, ce qui est problématique car leur nocivité porte jusqu’à 4,5 milliards d’années, pour l’uranium 238. Où en sera alors l’Homo sapiens et par quelle créature aura-t-il été remplacé ?

La solution serait l’enfouissement en couche géologique profonde, mais cette solution est loin d’être optimale. En outre, nous n’arrivons pas à en discuter sérieusement car le débat public sur cette question – notamment celui sur Cigéo – est un simulacre qui entérine une décision déjà prise. Lorsque nous avons examiné le projet de loi sur la mise en œuvre de la participation du public au regard de l’article 7 de la Charte de l’Environnement, le groupe Écologiste a défendu l’idée qu’un débat public devait commencer bien en amont d’un projet, sans quoi il était inutile. Dans le cas de Cigéo, aucune solution alternative n’est proposée, ce qui montre le caractère artificiel de la concertation, alors que le pays s’interroge sur la manière de mettre en œuvre la transition énergétique.

Contrairement à ce qui est écrit dans ce rapport, notre groupe ne dissocie pas la gestion des déchets nucléaires et nos choix de production d’électricité. Et je note avec étonnement – en page 25 du projet de rapport – votre affirmation selon laquelle arrêter la production d’électricité d’origine nucléaire génèrerait davantage de déchets de haute activité que si l’on poursuivait dans cette voie. C’est un raisonnement curieux, qui induit qu’il faut plus de nucléaire pour avoir moins de déchets…

Mes questions portent sur les points suivants : quelles garanties avons-nous sur nos capacités à conserver en mémoire les emplacements où les déchets seront stockés, quand l’échelle de temps se compte en millions d’années ? De même, sommes-nous sûrs que les sites retenus ne subiront pas de modifications tectoniques ou hydrogéologiques, comme cela s’est produit en Allemagne avec le site d’enfouissement d’Asse ?

À notre sens, arrêter la production d’énergie nucléaire est le seul moyen de ne plus créer de déchets, d’autant que cette énergie n’est pas la moins coûteuse, contrairement à ce que l’on l’entend trop souvent, dès lors que l’on prend en compte les frais d’assurance en cas d’accident, le démantèlement des centrales, la gestion des déchets et leur enfouissement pendant des dizaines de milliers d’années. Dans un rapport de 2011, la Cour des comptes a conclu que le coût de la gestion des déchets n’est pas connu et qu’il est presque impossible de l’évaluer.

Je souhaiterais également des précisions sur le recours à des personnels de surveillance des sites. Une fois enfouis, il convient en effet de garder en mémoire la localisation des déchets, d’où la nécessité de conserver des personnels dans des stations de surface pendant des milliers d’années. Le coût en est colossal, mais il serait irresponsable de ne pas y recourir au regard des dangers.

Enfin, quel lien peut-on établir entre l’enfouissement des déchets à Bure et la saturation des capacités de stockage à la Hague ?

M. Jacques Krabal. Je salue également la qualité du travail des rapporteurs sur un sujet qui s’appuie essentiellement sur le projet Cigéo. Le MOX pourra-t-il être stocké à Cigéo, et dans quelles conditions ? S’agissant du dimensionnement de ce projet, je voudrais rappeler que le Conseil national de la transition énergétique a présenté quatre scenarii, allant de la sortie totale du nucléaire à des combinaisons variées entre énergies renouvelables et énergies traditionnelles. Dispose-t-on d’un calcul assez fin sur chaque scenario ?

Toujours sur le problème du stockage, vous indiquez dans votre rapport l’existence des déchets sans filière tels que l’amiante et le mercure. Quelles sont les capacités de stockage nécessaires et quelles sont les capacités de l’ANDRA ?

Concernant la réversibilité, je ne reviens pas sur ce principe, mais sa mise en œuvre exige, outre une qualité sûre, la récupérabilité et la flexibilité. Selon la commission nationale d’évaluation, à terme le stockage de déchets radioactifs a vocation à être fermé. Les dispositions favorables à la réversibilité ne compromettent-elles pas la sûreté, tant pendant l’exploitation qu’après la fermeture ? Quel est votre avis sur les propositions de l’ANDRA sur ce point ?

Vous exposez l’idée d’un seuil de libération pour les déchets à très faible activité. N’est-il pas plus judicieux de parler de recyclage de ces déchets ? Peut-on recycler les TFA dans des enveloppes de confinement ? A-t-on, là encore, une estimation du gain de place et une évaluation économique et financière ? Enfin, quelles sont les possibilités de traçabilité de ces déchets TFA ?

Depuis 1991 ont été organisés plusieurs débats au sein de l’Assemblée nationale : pourquoi n’y a-t-il pas eu de débat sur ce grand projet ?

Vous vous référez dans votre rapport au concept de « zone d’intérêt national » pour le site de Bure. C’est une excellente idée, qu’il faut approfondir. Mais il conviendrait de faire le bilan de ce qu’ont apporté les différentes entreprises économiques sur le territoire. Quand j’entends le président du conseil général de la Meuse, le questionnement est très fort : les élus et la population ont accepté des risques, mais les résultats ne semblent pas à la hauteur des engagements qui ont été pris à l’époque.

Enfin, je souscris tout à fait, puisque j’ai pu vous accompagner sur place à un moment très difficile en termes de conditions météorologiques, au soutien à apporter à l’ANDRA, qui a vocation, à travers un projet comme celui-ci, à apporter une vitrine européenne et mondiale en matière de sûreté.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. S’agissant du MOX, il est fabriqué comme combustible pour 22 réacteurs. Quand ces 22 réacteurs ne fonctionneront plus, on ne produira plus de MOX. Par conséquent la question du stockage du MOX par Cigéo ne se pose pas.

Mme Catherine Quéré. Je remercie également les rapporteurs pour ce rapport très intéressant. L’inventaire national des déchets et matières radioactives publié par l’ANDRA prévoit un volume total de déchets TFA d’environ 1,3 million de mètres-cube fin 2030, soit le double de la capacité autorisée au CIRES à Morvilliers, et ce chiffre fait l’objet d’une réévaluation à la hausse à chaque inventaire triennal. C’est assez effrayant ! Quand on sait que certains déchets ont une durée de vie de plus de cent mille ans, même si ce n’est pas l’objet de votre réflexion, ne sommes-nous pas inconséquents de continuer à développer des centrales nucléaires ? Non seulement il y a les risques de séismes et d’inondations – n’oublions ni Tchernobyl, ni Fukushima – mais nous laissons à nos descendants un héritage indigne et irresponsable et ce, pour presque l’éternité.

Êtes-vous sortis indemnes dans votre vision du nucléaire ? (Sourires)

M. Laurent Furst. J’ai l’impression que l’on raisonne dans un monde qui a fini d’évoluer et nous avons eu raison de choisir des rapporteurs jeunes (Sourires). Si l’on regarde cinquante ans en arrière, on voit qu’il y a eu des évolutions. Et si l’on se projette dans l’avenir, on peut avoir l’espoir que de nouvelles solutions apparaissent. On ne se situe pas dans une situation figée, qui n’évolue plus. Il ne s’agit que d’une étape.

Ce qui m’intéresse, c’est que l’on ait une solution de stockage assurant la sécurité de la population, réversible, mais aussi que l’on ait une connaissance de qui a été fait dans le passé pour l’enfouissement et pour ce qui a été mis en mer, que ce soit par notre pays ou par d’autres pays, et une connaissance de ce que font actuellement les autres pays sur cette problématique.

Je trouve moi aussi très intéressante l’idée d’une compensation à assurer aux territoires qui acceptent de régler un problème pour l’ensemble de la Nation. D’ailleurs cette question se pose sur d’autres sujets.

M. Philippe Noguès. Je prendrai comme exemple des difficultés que soulève le démantèlement, la centrale de Brennilis, qui a été mise en service en 1967 et arrêtée en 1985. Il s’agit d’une toute petite centrale – 70 mégawatts – et qui devait être la première en France à subir un démantèlement total. EDF et le CEA comptaient en faire, à cet égard, une vitrine de leur savoir-faire. Mais au vu de l’état d’avancement des opérations, on peut avoir des doutes. En 2005, vingt ans après la décision d’arrêter la centrale, on ne se trouvait encore que dans la phase 2. La phase 3, qui se déroule à l’intérieur de l’enceinte du réacteur, génère de nouvelles catégories de déchets, faiblement ou moyennement radioactifs mais à très longue durée de vie. Or nous venons d’apprendre que le permis de construire du centre de stockage du Bugey, dans l’Ain, a été annulé, entraînant le report du démantèlement de Brennilis. Nous nous trouvons donc avec 67 000 tonnes de déchets, dont 10 % de déchets radioactifs, dont on ne sait que faire. Qu’en sera-t-il dans l’avenir, pour démanteler des centrales beaucoup plus grandes ? Je me réjouis de voir que ce sujet est enfin pris au sérieux !

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. En ce qui concerne le problème du démantèlement, notre commission a auditionné hier M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN : il a indiqué que le temps qui s’écoulerait entre la date de la construction d’une centrale et la fin de son démantèlement serait de l’ordre d’un siècle. Par conséquent, si la durée de fonctionnement d’une centrale est prolongée jusqu’à 50 voire 60 ans, cela signifie que son démantèlement prendra environ 40 ans. L’exemple de Brennilis est effectivement inquiétant.

Je reviens sur le MOX : le MOX usé a effectivement vocation à être dans le projet Cigéo, mais pas le MOX utilisé dans 22 réacteurs actuellement.

M. Yannick Favennec. J’ai une question sur le mode de fonctionnement de la CNDP. Il y a une vingtaine d’années, la Mayenne avait été pressentie pour accueillir un centre d’enfouissement des déchets nucléaires. Devant les très vives réactions de la population, le projet a été abandonné. La CNDP n’existait pas à l’époque. Aujourd’hui, elle existe mais il semble qu’elle ne puisse pas fonctionner correctement.

J’ai vu aussi, dans mon département, lorsque le projet de ligne à très haute tension Cotentin-Maine a été présenté, les conditions dans lesquelles fonctionne la CNDP et ce qu’il ressortait des débats.

Faut-il maintenir cette institution ? Ou bien revoir son fonctionnement en la « délocalisant » en petites réunions locales sous une forme minimaliste, ou ne lui laisser que la compétence pour les débats régionaux et locaux tandis que les débats nationaux seraient confiés au Parlement, sur le modèle de l’OPECST ?

M. Guillaume Chevrollier. En matière de valorisation des déchets radioactifs, pour l’instant les pistes apparaissent fragiles, puisque les filières de recyclage du fer et du plomb ont été arrêtées. On parle de recyclage des gravats de très faible activité, et de l’incinération des déchets solides et des liquides aqueux et organiques : la France a-t-elle progressé sur ces pistes ? La valorisation des déchets est un sujet majeur dans un contexte de raréfaction des matières premières, et représente un acte fort dans la politique de développement durable.

M. Olivier Falorni. Je voudrais poser quelques questions sur Cigéo et le site de Bure : c’est, comme vous l’avez dit, un projet hors norme, de haute technicité. Le rapport de la Cour des comptes évalue son coût à 35 milliards d’euros sur 100 ans. Pouvez-vous nous en dire plus, comment ce chiffre est-il calculé et dans quelle mesure est-il appelé à évoluer ?

On constate que le débat public, qui débuté depuis quelques semaines, ne se passe pas bien, qu’il y a eu des débordements lors des deux premières réunions et que les suivantes ont été annulées. Quelles leçons faut-il en tirer ?

Les opposants parlent d’un degré d’incertitude trop important, de risques significatifs, d’une récupérabilité des colis à préciser. Une loi doit être votée avant 2016 sur la question de la réversibilité.

On a heureusement beaucoup progressé depuis le nuage de Tchernobyl, il faut le répéter, et pour Cigéo, compte tenu des dépenses déjà engagées, il faut être réaliste : il n’y aura probablement pas de retour en arrière. C’est ce qui nourrit l’angoisse des opposants.

Selon vous, si le laboratoire de Bure donnait des résultats laissant entrevoir des risques potentiels, dans quelle mesure pourrions-nous revenir sur ce choix ? Comment garantir l’indépendance totale des chercheurs qui travaillent dans ce laboratoire et l’indépendance des contrôles de l’Autorité de sûreté nucléaire ?

M. Jean-Pierre Vigier. Il y un an, notre commission confiait à nos collègues Julien Aubert et Christophe Bouillon une mission d’information sur la gestion des déchets radioactifs, qui demeure un sujet inquiétant, dans la mesure où plus la recherche progresse, plus apparaît flagrante la difficulté de s’en débarrasser définitivement. En effet, leur diversité de nature, de volume et de radioactivité rend l’exercice complexe et délicat. L’enfouissement, quelles que soient les techniques utilisées, comporte des risques de souillure des sols, des nappes phréatiques et des cultures. Des techniques nouvelles de traitement ou de valorisation pourraient-elles apporter des solutions inédites et opérationnelles, à court ou à moyen terme ?

M. David Douillet. Je pose le problème de la sécurité des déchets radioactifs, si d’aventure ces déchets venaient à tomber entre de mauvaises mains, désireuses de les utiliser à des fins agressives et destructrices. Toutes les mesures ont-elles été prises autour du ou des sites d’enfouissement concernés ? Ont-elles fait la preuve de leur efficacité, primordiale compte tenu de la nature de ces matières ? Leur financement a-t-il été sécurisé ?

Étant d’un optimisme affirmé, je pense que les progrès de la science dans les siècles à venir permettront de mettre au point des techniques de traitement et de valorisation de nos déchets radioactifs pour les réinsérer dans une chaîne de production d’énergie. Cette réversibilité est géniale. Malgré tout, quelles études, et avec quels budgets, ont d’ores et déjà été lancées afin de concevoir ces techniques ? Existe-t-il une démarche proactive en la matière, ce qui me paraît nécessaire compte tenu du caractère extrêmement nocif de nos déchets radioactifs ? Aujourd’hui, la seule solution reste en effet de les enfouir.

M. Jean-Luc Moudenc. Connaît-on la position du Gouvernement concernant le projet Cigéo et la programmation envisagée ? L’avenir de nos déchets radioactifs passe aujourd’hui par le stockage souterrain : existe-t-il en la matière une politique européenne ?

M. Yves Albarello. Je suis effaré par le chiffrage à 35 milliards d’euros du projet Cigéo : il est supérieur à celui du Grand Paris que nous avons évoqué ce matin ! Peut-on en savoir plus ?

Immerge-t-on encore des déchets radioactifs en mer ?

Vous avez évoqué la création d’une Zone d’intérêt national : cela me paraît une excellente proposition. Les villes qui accueillent des centres de stockage bénéficient-elles de retombées économiques et de quelle nature sont-elles ?

Avez-vous identifié, lors de vos visites de terrain, des risques potentiels ?

Enfin, des déchets radioactifs provenant de l’étranger bénéficient-ils d’un stockage sur le territoire national ?

M. Christophe Bouillon, corapporteur. Nous avons essayé, comme le général de Gaulle avec l’Orient, d’aborder ce sujet complexe avec quelques idées simples. (Sourires)

Les déchets radioactifs existent, quoi qu’on puisse par ailleurs porter comme jugement sur la filière nucléaire : leur traitement nous incombe. Il s’agit-là de notre responsabilité première, et je note que la représentation nationale en a pris conscience depuis de longues années maintenant. Il est faux d’affirmer que la question de la gestion des déchets vient d’être découverte. Il faut la replacer dans le contexte de la construction de la filière, avec la mise en exploitation de différents réacteurs, au long des années 1970 et 1980. La première loi de 1991 a été préparée par de longues discussions qui lui sont bien antérieures. Dans le même temps, le Commissariat à l’énergie atomique et d’autres organismes ont lancé des programmes de recherche sur la gestion des déchets, ce qui a d’ailleurs valu à la France de jouer en la matière un rôle de pionnière. Je pense notamment à la vitrification et au bitumage. Si notre pays a été très tôt en capacité de disposer d’un processus de retraitement des déchets issus du combustible usé, c’est notamment parce qu’en amont il avait lancé les programmes de recherche qui ont prouvé leur efficacité. La question des déchets a donc été inhérente au développement de cette filière.

S’agissant des déchets HA-VL, à haute activité et à vie longue, dont la décroissance s’étale parfois sur des millions d’années, je souhaite répondre aux interrogations de nos collègues sur la métaphore de la porte d’accès. À mon avis, il vaut mieux que cette porte soit la plus hermétiquement close et la plus confinée possible, bref qu’elle soit quasiment infranchissable, et qu’elle offre le maximum de barrières, plutôt qu’elle soit aisément fracturable. C’est d’ailleurs le débat qui a entouré au départ les deux options envisageables : l’entreposage en sub-surface ou l’enfouissement profond. Celui-ci, avec un maximum de confinement, dans une couche géologique offrant les caractéristiques d’une grande stabilité, sur une échelle temporelle de millions d’années, me paraît du point de vue de la sûreté plus satisfaisant que la première option en surface, qui n’offre pas des conditions optimales.

On pourrait regretter la lenteur du processus, avec ses différentes échéances : 1991, 2006, 2015, 2025... Mais le temps, comme celui que nous nous sommes donné pour notre rapport, est aussi le temps long nécessaire à l’exigence de la réflexion, de la transparence et de la participation démocratique. Personne ne peut se plaindre de l’existence de ces rendez-vous, ni de la possibilité d’explorer, entre les intervalles de temps qui les séparent, des voies nouvelles, qu’il s’agisse de la technique, des aspects sociétaux ou de la recherche, qui intègre désormais les questions relatives à la mémoire du site. Soit on souhaite traiter cette question des déchets radioactifs avec un très haut degré d’exigence et, dans ce cas, cela implique des moyens financiers conséquents et du temps ; soit on considère qu’il faut l’évacuer, la « mettre sous le tapis » en attendant qu’une solution crédible et alternative à l’enfouissement émerge. Notre sentiment est qu’étant donné encore une fois l’existence de ces déchets, nous nous devons de nous donner les moyens d’en assumer la responsabilité, notamment vis-à-vis des générations futures, et que l’enfouissement géologique profond constitue un moyen pertinent de l’assumer.

Bertrand Pancher a soulevé la question de la transmutation : le législateur, en 2006, a demandé la poursuite des recherches dans ce domaine. Il faut savoir que la transmutation implique le développement de la quatrième génération de réacteurs nucléaires, dite à neutrons rapides : nous aurons donc à traiter de ce dossier – et à faire un choix – lors du débat sur la transition énergétique.

Je salue la démarche de nos prédécesseurs, qui ont prévu des rendez-vous à intervalles réguliers, car elle permet systématiquement une consultation de la représentation nationale pour décider et orienter les choix de la nation en la matière, en fonction des réponses apportées, au fur et à mesure, par la recherche. Il s’agit là d’une dimension démocratique essentielle à mes yeux. Chaque rendez-vous permet aux élus de la nation de s’exprimer et de décider.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Même si j’entends ce que vient de dire Christophe Bouillon, je rappelle que la décision de construction du parc électronucléaire en général, et l’édification des EPR en particulier, s’est déroulée sans un seul débat au Parlement ni une seule estimation des besoins. Et par conséquent elle n’a pas fait l’objet d’un choix de l’Assemblée nationale ni du Sénat. Nous n’avons jamais été consultés.

M. Christophe Bouillon, corapporteur. J’évoquais la question des déchets nucléaires, non celle de la construction des centrales. S’agissant du lien entre réversibilité et sûreté, nous avons le sentiment d’un niveau d’exigence de sûreté aux niveaux des installations et des processus plus élevé en France qu’en Suède : le futur site suédois sera implanté dans des milieux géologiques humides, où l’eau ruisselle de partout, alors qu’il est envisagé d’opérer le stockage en France dans un milieu extrêmement sec et très confiné. Il s’agit là d’une option qui semble extrêmement maîtrisée, les colis étant recouverts de plusieurs couches isolantes. Une fois l’installation refermée, on entre dans une logique de défense passive : tout est organisé pour que la radiotoxicité ne rejoigne jamais la surface de la terre, y compris dans plusieurs milliers d’années – ou alors qu’elle ait décru jusqu’à un niveau comparable à celui de la radioactivité naturelle.

M. Julien Aubert, corapporteur. S’agissant du démantèlement des centrales, les enjeux principaux tiennent à l’existence d’entreposages, mais surtout de capacités disponibles de stockage de déchets à faible ou très faible activité : les centres existants approchent en effet, plus ou moins rapidement, de la saturation.

Le coût de Cigéo est une question complexe et sensible, puisque certaines estimations montent même jusqu’à 50 milliards d'euros ! Le véritable débat est donc de savoir jusqu’à quel niveau la France accepte de payer pour avoir plus de sécurité et à quel moment le point d’équilibre bascule entre des exigences de sûreté sans cesse réévaluées et l’inflation concomitante des coûts. Notre responsabilité consiste, en l’état actuel de nos connaissances techniques et scientifiques, à ce que nous léguions aux générations futures une question qui soit réglée. Pourra-t-on, dans deux mille ans, nous reprocher de n’avoir pas su imaginer une solution plus intelligente ou plus sécurisée ? Certes pas, pas plus qu’on ne reproche aux hommes du Moyen-Âge de ne pas avoir utilisé les antibiotiques pour lutter contre la peste !

Tout ceci a donc un coût et pose aussi la question du seuil de libération. L’idée n’est naturellement pas d’autoriser l’envoi sans contrôle de matériaux nucléaires usagés dans des circuits conventionnels, mais bien d’autoriser leur réutilisation dans des circuits fermés et destinés à réapprovisionner la filière nucléaire elle-même. Avec l’ouverture des frontières, il peut d’ailleurs très bien advenir que nous achetions des couverts d’importation, fabriqués à partir de métaux utilisés auparavant dans une installation nucléaire étrangère : à partir du moment où nous acceptons ce risque dans la vie courante, pourquoi ne pas autoriser la filière nucléaire à recycler pour elle-même des matériaux dont elle a besoin ?

S’agissant des retombées économiques et environnementales de Cigéo, la question est celle du pacte républicain : il ne s’agit pas de compensation, il s’agit de s’engager sur l’avenir des populations intéressées et de leurs territoires, dans le cadre d’un contrat de très long terme entre l’État, la Nation et le local.

——fpfp——

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je sollicite votre approbation pour la publication du rapport d’information.

Mme Laurence Abeille. Au nom du groupe Écologiste, je souligne que notre accord quant à la publication du rapport ne vaut pas approbation de son contenu.

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a alors autorisé la publication du rapport de la mission d’information sur la gestion des matières et déchets radioactifs.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 3 juillet 2013 à 10 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Jacques Alain Bénisti, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, M. Olivier Marleix, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Thierry Solère, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, Mme Fanny Dombre Coste, M. Philippe Duron, M. Claude de Ganay, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Edouard Philippe, M. Napole Polutélé, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Dumont, M. Lionel Tardy