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Mercredi 16 octobre 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Dominique Le Guludec, professeur de médecine nucléaire, candidate à la présidence du conseil d’administration de l’IRSN

– Informations relatives à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu Mme Dominique Le Guludec, professeur de médecine nucléaire, candidate à la présidence du conseil d’administration de l’IRSN.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Nous auditionnons aujourd’hui Mme Dominique Le Guludec, professeur de médecine nucléaire à l’hôpital Bichat (Paris), que le Gouvernement envisage de nommer à la présidence du conseil d’administration de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Cette audition n’intervient pas dans le cadre de l’article 13 de la Constitution, mais résulte de la combinaison des dispositions de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique et de la loi du 9 mai 2001, qui prévoient que la nomination doit être précédée d’une audition par le Parlement : il n’y aura donc pas de vote à l’issue de l’audition. Comme notre commission est compétente pour la désignation du directeur général de l’IRSN, il nous revient également d’auditionner pour la présidence du même organisme.

Mme Dominique Le Guludec. Mariée et mère de deux enfants, je suis cardiologue, spécialiste d’imagerie et de médecine nucléaire. En mes qualités de professeur des universités et de praticien hospitalier à l’université Denis Diderot – Paris VII, j’exerce une triple mission de soins, de recherche et d’enseignement. Pour ce qui concerne les soins, j’ai une petite activité de cardiologie et me consacre essentiellement à l’imagerie ; dans ce cadre, je suis responsable du service de médecine nucléaire de l’hôpital Bichat. En matière de recherche, je suis responsable d’une équipe de l’INSERM à Bichat, qui travaille sur l’imagerie cardiovasculaire. Pour ce qui concerne les activités pédagogiques, j’enseigne la biophysique en premier cycle et la médecine nucléaire en troisième cycle.

J’ai toujours eu le goût des responsabilités collectives : je suis membre du Conseil national des universités en biophysique, je fais partie du conseil de gestion restreint de mon UFR et je me suis depuis longtemps intéressée à la gouvernance de mon propre service. Lors de ma désignation aux fonctions de chef de pôle, j’ai ainsi souhaité approfondir ma formation et ai donc suivi des cours de management médical dans le cadre d’un master à l’ESSEC.

Par ailleurs, je suis membre du board exécutif de la Société européenne de médecine nucléaire et ai participé, pendant dix ans, aux travaux du Conseil supérieur d’hygiène publique, dans la section « Radioprotection » : l’ensemble des sujets dont je serai appelée à traiter ne sont donc pas nouveaux pour moi.

Comme vous le savez, l’IRSN est un établissement public et commercial, issu de lois de 2001 et 2002 modifiées en 2007. Cinq ministères en assurent la tutelle. En tant qu’expert public en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, l’Institut a trois missions essentielles : la recherche, l’expertise et la surveillance des risques, dans les domaines civil et militaire. Il concourt donc aux politiques publiques en matière de sûreté nucléaire et de protection des citoyens, de l’environnement et des matières lors de leur transport.

Les moyens de l’IRSN se chiffrent à plus de 1 700 personnes, dont plus de 75 % se consacrent exclusivement à la recherche et l’expertise et le budget est lui-même affecté à hauteur de 40 % à la recherche et 50 % à l’expertise. Ces activités débouchent sur un volume important de publications de niveau international – plus de 200 articles par an, plus de 300 communications dans des congrès – et le dépôt de nombreux brevets.

L’Institut a un rôle à jouer auprès des pouvoirs publics, de l’Autorité de sûreté et des exploitants, mais également auprès de la société civile – au titre du souci prioritaire d’une plus grande transparence. On ne saurait non plus oublier son rôle à l’étranger, car il existe une gouvernance internationale de la sûreté nucléaire à laquelle il prend part.

Le budget de l’IRSN est constitué, à hauteur des deux tiers, par une subvention de l’État et, à hauteur d’un tiers, par une contribution des exploitants et par des ressources propres issues de contrats ou de projets de recherche.

Les raisons de ma candidature à la présidence de l’Institut tiennent d’abord à mon propre parcours, puisque l’utilisation médicale des rayonnements ionisants est au cœur de mon activité professionnelle (radiothérapie, radiodiagnostic, médecine nucléaire) et que l’imagerie a pris largement sa place dans l’amélioration de la santé de nos concitoyens. Mon goût pour la recherche se trouvera également satisfait, puisqu’il s’agit d’une part importante de l’activité de l’IRSN.

Je suis également attirée par l’institution elle-même, qui bénéficie d’une reconnaissance et d’une visibilité internationales. Elles reposent sur son excellence scientifique, mais également sur sa déontologie. De ce point de vue, il y a des problématiques proches en santé et en sûreté nucléaires : c’est le cas, par exemple, des comparaisons bénéfices/risques ou d’enjeux stratégiques de sauvegarde des ressources humaines.

Dans les années à venir, j’aurai à cœur que soient conservés le potentiel de recherche, l’excellence des ressources humaines et la qualité du travail qu’attendent légitimement nos concitoyens. Les collaborations internationales, la transparence et l’ouverture à la société civile seront également au cœur de mon action. Excellence, indépendance, transparence : tels sont les piliers sur lesquels repose l’établissement, tel est l’acquis qu’il nous appartient de développer encore quels que soient les choix énergétiques opérés à l’avenir.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Le second contrat d’objectifs entre l’État et l’IRSN, signé le 11 avril 2011, arrivera à échéance à la fin de l’année 2013. Pourriez-vous nous dresser un premier bilan synthétique de sa mise en œuvre et de son degré de réalisation par rapport aux objectifs fixés par l’État ? Pourriez-vous, de même, nous indiquer les axes qui devraient structurer le prochain contrat d’objectifs, en cours de négociation actuellement et qui prendrait le relais du précédent à compter de 2014 ?

M. Jacques Krabal. Votre exposé très complet et votre curriculum vitae impressionnant m’ont convaincu que votre nomination à la tête de l’IRSN constitue une grande chance pour cet établissement. Vos compétences conjointes en matière de santé et de nucléaire constituent, pour cette responsabilité, un atout essentiel.

Je salue le projet d’ouverture européenne et internationale mais aussi de transparence renforcées que vous avez dit vouloir porter. Je suis également en plein accord avec votre volonté de maintenir l’indépendance de l’institution, qui me semble essentielle à la qualité et la crédibilité de la recherche, de l’expertise et de la surveillance.

Comment réagissez-vous aux perspectives de réduction du budget de l’Institut de vingt millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 ? Si, conjoncturellement, ce fléchissement des moyens devrait pouvoir être absorbé sans trop de difficultés, il n’en irait pas de même à l’avenir – aux dires de M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN – s’il devait être reconduit : le cœur des capacités de l’Institut serait alors menacé.

Des interrogations existent sur la parfaite maîtrise des risques, tant pour les personnels que pour les patients, liés aux substances radioactives en milieu médical. Comment comptez-vous aborder ce sujet dans vos nouvelles fonctions ?

Mme Geneviève Gaillard. Je vous souhaite la réussite la plus complète dans vos futures fonctions à l’IRSN. Cet établissement public a, vous le savez, par le passé et pendant de longues années, essuyé des critiques mettant en exergue son manque de transparence. Il a peu à peu fait sa place jusqu’à devenir, aujourd’hui, indispensable, notamment lorsqu’il a traité de la problématique des déchets radioactifs. L’IRSN a par ailleurs joué un rôle très important dans la gestion de la catastrophe de Fukushima, démontrant la qualité de ses équipes et de son expertise au plan international.

Comment voyez-vous votre action à la tête de l’IRSN ? De quelle façon allez-vous aborder le dossier du démantèlement de nos installations nucléaires ? Concernant Cigéo, quel est votre sentiment sur la façon dont l’ANDRA mène le projet, sous le contrôle de l’ASN ? Les débats publics ont parfois du mal à se dérouler normalement : quelles solutions préconisez-vous pour les améliorer ?

M. Martial Saddier. Les députés UMP saluent, madame Le Guludec, votre parcours et vos compétences. Nous ne pouvons que nous montrer sensibles à votre expérience de praticien hospitalier ainsi qu’à vos connaissances en matière de santé publique : élus locaux, nous sommes souvent investis de responsabilités dans la gestion d’établissements hospitaliers. Nous siégeons en effet souvent au sein des conseils de surveillance de ceux-ci.

Comment allez-vous organiser votre temps de travail, et le répartir entre la France et l’Europe ? J’en parle d’autant plus facilement que le président Jean-Paul Chanteguet ne souhaite plus, en raison de la lutte contre le cumul des mandats, que je sois maire de Bonneville. (Sourires)

Pensez-vous que l’IRSN dispose des moyens de garantir son indépendance ? Nous nous trouvons à un moment où celle-ci va devoir s’affirmer, face à un président de la République, avec lequel nous nous trouvons en désaccord. En effet, une grande ambiguïté règne en ce moment entre l’allongement de dix ans de la durée de vie des réacteurs nucléaires, et la fermeture annoncée de la centrale de Fessenheim.

Enfin, comme vous positionnez-vous dans le débat autour du stockage des déchets radioactifs ?

M. Yannick Favennec. Votre curriculum vitae, extrêmement brillant, parle pour vous et vos compétences pour exercer la présidence du conseil d’administration de l’IRSN ne font pas débat.

Mais, comme l’a rappelé le président Jean-Paul Chanteguet, vous risquez d’arriver à un moment particulier : la subvention pour charges de service public de l’IRSN subira - je me réfère au projet de loi de finances pour 2014 - une baisse de 10 %, ce qui représente 20 millions d’euros. Le comité d’entreprise de l’IRSN s’est élevé contre cette amputation budgétaire. Or la catastrophe de Fukushima a montré que l’industrie nucléaire devait, aujourd’hui plus qu’hier, faire des efforts d’investissement importants en matière de sûreté. Sous la précédente législature le président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, avait trouvé une solution inédite en décrétant la sanctuarisation du budget de l’IRSN. Je rappelle d’ailleurs que la question de la baisse du budget de l’IRSN a provoqué la démission de la précédente ministre en charge de l’écologie et de l’énergie, Delphine Batho. Peut-on se permettre d’hypothéquer de la sorte notre sûreté nucléaire ?

M. Patrice Carvalho. J’espère que vous ne serez pas un jour, madame, sous les feux de la rampe. Je reviens également sur la baisse de 10 % du budget de l’IRSN en 2014 : elle représente 20 millions d’euros et 36 équivalent temps plein (ETP) ! A-t-on-pris la bonne décision, alors que l’énergie électrique que nous produisons reste à 80 % d’origine nucléaire, et lorsqu’on écoute les syndicats d’EDF ? Le Gouvernement nous assure que cette baisse ne pèsera pas sur l’appui technique que l’Institut fournit à l’ASN, qui représente des crédits d’un montant de 80 millions d’euros par an… La saignée, de l’ordre de 15 à 20 %, s’opérera donc sur les activités de recherche, soit 110 millions d’euros par an : c’est grave, car elles seules permettent d’améliorer les prescriptions de sûreté. Songeons que la centrale de Fukushima répondait, avant le séisme du 11 mars 2011, aux exigences réglementaires de l’autorité de sûreté japonaise ! Je fais partie de ceux qui pensent que nous ne disposons pas aujourd’hui d’alternative fiable et à la hauteur de l’énergie nucléaire. Cela nécessite une maîtrise publique intacte de la sûreté nucléaire, et donc les moyens d’en accroître le niveau, d’où l’exigence de la recherche.

M. Jean-Marie Sermier. Nos concitoyens manifestent une inquiétude certaine, dès qu’on évoque la catastrophe de Fukushima ou le projet de stockage profond de Bure. Il leur semble que les réponses apportées à leurs questions restent empreintes d’un manque de transparence. Plus de vingt ans après, ils attendent toujours un bilan des conséquences et des retombées de l’incident de la centrale de Tchernobyl de 1986. Certes, en 2006, l’IRSN a rendu publique une étude sur les effets du nuage radioactif sur nos territoires : il n’empêche que dans l’est de la France, des craintes et des suspicions restent vivaces quant aux conséquences de ce nuage sur la santé. Comptez-vous rendre publiques, dès votre arrivée, toutes les informations qui permettront de comprendre ce qui s’est réellement passé à ce moment-là ?

Mme Geneviève Gaillard. J’aimerais ajouter deux questions à ma précédente intervention. D’une part, l’IRSN s’est vu confier la gestion du programme MIMAUSA relatif aux sites d’extraction d’uranium. Pouvez-vous nous en dire quelques mots et nous préciser si les investigations seront étendues aux exploitations du Niger ?

D’autre part, il serait bon que nous connaissions la nature de vos relations avec AREVA.

M. Olivier Falorni. Comme mes collègues, je ne doute pas que votre incontestable expertise soit un atout précieux pour assumer la mission régalienne qui est celle de l’IRSN.

Vous êtes pressentie pour présider l’organisme chargé de formuler un avis sur le niveau de sûreté des installations nucléaires de notre pays. L’exposition directe, planifiée et réglementée des travailleurs et des patients, dans le secteur médical comme dans l’industrie, a fait des progrès significatifs. Il existe un quasi-consensus sur l’absence de risque sanitaire grave. Ceci dit, la perception du risque a également progressé. Les accidents recensés, notamment dans les hôpitaux de l’est de la France en 2011, ainsi que les conditions de travail dans les entreprises sous-traitantes des grands énergéticiens, alarment nos concitoyens. Comment concevez-vous le rôle de l’IRSN face à ces dysfonctionnements ?

La fusion de l’ASN et de l’IRSN a toujours été rejetée, pour de bonnes raisons qui tiennent à l’indépendance de chacune. Toutefois, cette cohabitation provoque forcément des chevauchements et, parfois, des divergences. Un rapprochement serait-il utile à terme ? Dans le cas contraire, comment mieux organiser la coopération des deux organismes ?

Les géants du nucléaire ont un poids politique et financier important, quand ils ne sont pas directement dans la main de l’État du fait de leur structure capitalistique. Comment l’IRSN se fait-il respecter en dépit de sa taille très modeste ?

Enfin, s’agissant de la question fondamentale de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, quelle serait, selon vous, la meilleure méthodologie pour aboutir à un arbitrage impartial à même de satisfaire toutes les exigences en matière de sûreté et de sécurité ?

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Olivier Falorni pose une question importante quand il évoque l’hypothèse d’une fusion de l’IRSN et de l’ASN, sachant que le premier apporte à la seconde son appui technique. Que représente exactement ce soutien dans l’ensemble de vos activités ?

M. Jean-Pierre Vigier. Le nucléaire représente une part importante du bouquet énergétique de notre pays, et l’IRSN joue le rôle fondamental d’interlocuteur des entreprises qui doivent garantir un haut niveau de sûreté des installations. EDF sollicite une prolongation de dix ans de la durée de vie de ses équipements. Dans ce contexte, le budget 2014 prévoit une diminution des moyens et des personnels qui vous sont alloués. Cette coupe est-elle compatible avec l’exigence nationale de sûreté des installations ?

M. Guillaume Chevrollier. Quatre-vingts pour cent de l’électricité française provient du nucléaire, héritage de la vision gaullienne des années 1960. D’autres pays dans le monde utilisent l’atome à grande échelle. Quelles sont les relations de l’IRSN avec ses homologues étrangers, lorsqu’ils existent ? Sont-elles davantage marquées par l’échange d’informations ou par la confidentialité ?

Mme Dominique Le Guludec. Je vais devoir vous prier de m’excuser puisque, n’étant pas encore en poste, je n’ai pas la complète maîtrise de tous les aspects de l’activité de l’IRSN. Mais je serai à votre disposition pour revenir sur certains sujets particuliers si vous en ressentez le besoin.

Le contrat d’objectifs et de performance me semble un document particulièrement important. L’institution en a déjà connu deux, le prochain sera donc le troisième et sera signé pour cinq ans – contre quatre ans auparavant. Il donne à la fois un fil conducteur pour les actions de l’IRSN et des critères d’évaluation pour son contrôle administratif et parlementaire. Les orientations futures sont en cours d’analyse, et la discussion a évidemment commencé bien avant ma nomination. Parmi les axes forts, je retiendrai le développement de l’action internationale pour se nourrir des expériences étrangères, la pérennisation de l’expertise dans tous les stades de la vie d’une installation pour actualiser les standards des contrôles de sûreté opérés tous les dix ans au regard des connaissances nouvelles, et la transparence envers le grand public dont témoignent les deux millions de connexion sur notre site internet ainsi que notre participation aux commissions locales d’information.

En ce qui concerne mon emploi du temps, je ne suis pas aux 35 heures et je travaille le dimanche. (Sourires) Mes enfants sont grands et je ne suis pas encore grand-mère, j’ai donc de l’énergie et du temps.

Plusieurs députées. Mais il y a des grands-mères très actives ! (Sourires)

Mme Dominique Le Guludec. En outre, ma nomination me conduit à quitter l’instance de direction de la société savante à laquelle j’appartiens dès décembre prochain, afin de disposer d’une plus grande latitude pour remplir mes nouvelles fonctions.

Je ne dirai pas que la coupe budgétaire de vingt millions d’euros que nous subissons me réjouit. Mais cette baisse est conjoncturellement soutenable. Nos investissements dans le réacteur Cabri, à Cadarache, touchent à leur terme cette année, et nous ne ressentirons les coûts de fonctionnement qu’en 2016 : nous disposons donc de « liquidités » dans l’intervalle. Par ailleurs, toujours conjoncturellement, nous pourrons récupérer cinq millions d’euros de taxe sur les salaires. Le reste peut être prélevé sur le fonds de roulement de l’IRSN. Les programmes essentiels et les missions d’évaluation ne seront donc pas affectés. Mais il ne faudra pas que cette diminution des ressources perdure, sauf à mettre en péril nos capacités de recherche qui conditionnent la valeur de notre expertise. Nous réfléchissons aux moyens de la compenser, éventuellement en relevant le montant de la contribution versée par les professionnels du nucléaire, car nous aurons besoin de maintenir notre niveau de compétence quelles que soient les options retenues pour le bouquet énergétique de demain, qu’il s’agisse de bâtir de nouvelles installations ou d’accompagner les équipements en fin de vie.

La durée de vie des installations est arrêtée par l’autorité de sûreté. L’IRSN se borne à évaluer si les dispositions de sûreté que proposent les industriels sont suffisantes. Tous les dix ans, le niveau d’exigence augmente et l’IRSN conditionne la prolongation à la réalisation de travaux souvent coûteux. L’accident de Fukushima a ouvert une période marquée par l’exigence de bon fonctionnement dans des conditions extrêmes : c’est un bon exemple puisque l’IRSN a expertisé les solutions avancées par EDF, recherché les failles éventuelles et imposé des corrections actuellement mises en œuvre. Nous sommes dans un dialogue permanent, qui se produit à dix, vingt et trente ans, et qui se produira pareillement à quarante ans. Il n’y aura pas de position globale mais un examen au cas par cas de chaque installation, qui sera admise à poursuivre son fonctionnement, ou non, par les pouvoirs publics.

J’ai été précédée dans la fonction par une femme, Agnès Buzyn, brillant professeur des universités, qui a fait un travail remarquable et qui a largement participé à me convaincre d’occuper cette fonction. Même si le milieu nucléaire est très masculin, je note avec plaisir que les femmes sont de plus en plus présentes à des niveaux de plus en plus élevés. 38 % des cadres sont aujourd’hui de sexe féminin. Les écoles d’ingénieurs ne sont pas encore à ce ratio, hélas !

En prenant mes fonctions, je n’étais pas forcément au fait des détails de la gouvernance de la sûreté nucléaire. J’ai été agréablement surprise par l’intelligence avec laquelle elle a été conçue en quatre pôles : les exploitants d’un côté, les pouvoirs publics de l’autre, l’expertise en troisième lieu et, enfin, les différentes associations. Ces quatre piliers m’apparaissent préserver le rôle et l’indépendance de chacun. Cela exige une collaboration permanente entre l’ASN et l’IRSN avec plus de six cents avis sollicités chaque année. Le dialogue me semble satisfaisant et tout à fait productif.

La transparence fait l’objet d’une charte et fait partie du prochain contrat d’objectifs. J’ai déjà évoqué la mise à disposition du public d’un grand nombre d’informations et d’expertises à travers le site internet. C’est une condition indispensable à l’acceptabilité de l’atome par la population. Nous veillerons à la maintenir et à l’amplifier, à mettre la connaissance à la disposition de tous. Les données des balises de radioprotection sont, par exemple, accessibles à tous en permanence.

En ce qui concerne mes liens avec AREVA, c’est très simple : il n’y en a aucun, non plus qu’avec quiconque parmi les industriels du nucléaire. Mes travaux de recherche ont porté sur des produits radiopharmaceutiques ; je ne pense pas qu’ils mettent en cause mon indépendance.

Mme Geneviève Gaillard. Pardonnez-moi, je me suis mal exprimée. Je voulais parler des liens de l’IRSN avec les exploitants, non des vôtres propres.

Mme Dominique Le Guludec. S’agissant des liens entre L’IRSN et les exploitants, je souligne leur importance : d’eux découlent l’indépendance de l’Institut et de ses jugements, la collaboration, et en définitive l’acceptation de la sûreté. Pour avoir accès aux informations, un dialogue proche avec les exploitants - avec lesquels nous partageons, pour des raisons de coût, certains outils de recherche - s’avère primordial. Il faut aller sur place voir les installations, connaître les conditions locales d’exploitation : l’IRSN ne rend pas ses avis sur dossier. La charte de déontologie en vigueur à l’IRSN examine toutes les situations dans lesquelles le personnel de l’IRSN pourrait être mis en difficulté dans ses relations avec les exploitants. De plus les expertises reposent sur une démarche collective. Et enfin le partage de connaissance avec les exploitants, en amont, ne préjuge évidemment en rien du contenu des avis de l’IRSN. Celui-ci conserve son esprit critique, son indépendance vis-à-vis des exploitants, qu’il a largement démontrés par le passé.

Je rappelle enfin que l’ASN seule, et non l’IRSN, délivre les autorisations d’exploitation : cette séparation des tâches m’apparaît comme un point très important de la gouvernance de notre sûreté nucléaire. Elle permet à l’IRSN de nouer, avec des organismes de recherche et des universités, des échanges et des collaborations à l’international qu’il serait moins aisé d’obtenir en tant qu’autorité de sûreté. Ma modeste expérience, acquise depuis cet été au sein du conseil d’administration de l’IRSN, m’a permis de mesurer l’importance de son rôle au sein de cette gouvernance.

J’ai été interrogée sur le stockage des déchets radioactifs : il s’agit d’un bon exemple de la contribution de l’IRSN à l’expertise et à l’évaluation par des recherches d’amont, entre autres sur la réaction des matériaux ou des sous-sols, qu’il ne faudrait pas confier exclusivement à des industriels. Des experts indépendants et compétents garantissent la fiabilité de ces recherches.

La phase actuelle, nouvelle mais qui semble fonctionner, d’ouverture au débat et à la société civile des projets illustre la transparence qui s’est désormais imposée. Bien sûr l’expertise et la plus-value, que je juge d’excellent niveau, de l’IRSN seul ne suffisent pas : il faut des compétences multiples pour évaluer valablement de tels projets.

Les accidents dans les hôpitaux – pour l’essentiel dans les services de radiothérapie – concernent directement l’IRSN. Ce que l’on peut dire, c’est que par le passé nos hôpitaux n’ont pas accordé aux postes de radiophysiciens, à leur nombre ainsi qu’à leur répartition entre les services, l’attention qu’ils méritaient. Ces accidents – à quelque chose malheur est bon – ont occasionné une vraie prise de conscience sur le rôle de ces spécialistes. Le groupe hospitalier de Bichat dans lequel j’exerce, ne comptait il y a quelques années qu’un malheureux physicien : il compte désormais quatre radiophysiciens et un ingénieur en radioprotection, alors que nous ne pratiquons pas de radiothérapie, même si nous disposons de salles de cathétérisme et de services de radiologie et de cardiologie interventionnelles. Il a donc fallu mobiliser des moyens conséquents, ce qui n’a pas nécessairement été simple, mais nous avons beaucoup appris – et je vois là une réelle similitude avec la démarche de l’IRSN –de ce retour d’expérience.

L’imagerie médicale nous a permis, en grande partie, de gagner en Europe, en trois décennies, cinq années de vie en moyenne, soit près de deux mois par an. L’amélioration de l’offre de soins, la prévention par l’identification des facteurs de risques, mais aussi l’élévation du niveau socio-économique ont également, bien sûr, joué un rôle dans ce phénomène. S’agissant de la qualité des soins, les diagnostics précoces se sont avérés prépondérants : le ratio bénéfices – risques a incontestablement évolué en faveur du premier. Si la solution ne consiste pas à baisser au maximum les doses délivrées au cours des examens, la balle se trouve aujourd’hui à mon sens dans le camp des industriels. Qu’il s’agisse de scanner ou de médecine nucléaire, nous utilisons aujourd’hui, parce que nos outils sont plus sensibles, des doses inférieures de moitié, et parfois des deux tiers, à celles délivrées il y a quelques années encore. Le progrès médical nous permettra d’injecter à l’avenir des doses nanomolaires.

Mme Catherine Beaubatie. Les internes en radiologie en poste dans les hôpitaux publics de province nous interpellent souvent sur le sous-équipement en matériel d’imagerie médicale, qui allonge notamment les délais de traitements de prévention.

Mme Dominique le Guludec. La France a longtemps accusé un retard en matière d’équipements lourds : scanners, IRM, tomographes à émission de positons, ces derniers, dont notre pays a progressivement équipé ses régions, jouant un rôle majeur en cancérologie. En tant que membre d’un CHU de l’Assistance publique de Paris, qui est un peu privilégiée dans le domaine, je ne suis pas bien placée pour en parler. En tant que membre de commissions d’évaluation régionale, il me semble pourtant que la France a mené une politique d’investissement relativement satisfaisante. Même si tout n’est pas parfait, la situation s’est bien améliorée et des discussions avec les pouvoirs publics pour l’augmentation du nombre d’équipements restent possibles, au bénéfice des patients qui voient ainsi se raccourcir les délais d’attente. Pour un médecin, ça n’est jamais assez, mais qu’il s’agisse de radiothérapie ou de médecine nucléaire, il faut des gens derrière les machines. Les progrès de la médecine sont tellement rapides qu’il faut que la démographie médicale suive.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Les parlementaires ici présents ne voteront pas, car ce n’est pas prévu, mais je pense ne pas me tromper en affirmant que vous avez parfaitement réussi votre audition. Je suis persuadé qu’ils partagent mon sentiment : vous exercez déjà, depuis quelques mois et peut-être depuis plus longtemps, les responsabilités auxquelles vous aspirez. Je me permets de vous délivrer un satisfecit et de formuler tous mes vœux de pleine et entière réussite.

*

Informations relatives à la Commission

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire procède à la nomination d’un rapporteur pour avis sur le projet de loi de ratification de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (n° 459).

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. J’ai été désigné hier, par les membres de notre commission, rapporteur pour avis sur le projet de loi de ratification de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Notre collègue Catherine Quéré m’ayant, entretemps, fait part de sa disponibilité pour assurer cette fonction, je vous propose donc qu’elle soit désignée à ma place. (Assentiment).

Ce texte sera examiné par la commission le mercredi 23 octobre 2013 à 16h30, la commission des affaires européennes organisant par ailleurs, mardi 22 octobre à 16h45, une table ronde intitulée « Les projets européens d’infrastructures de transports : le Lyon – Turin en débat ».

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 16 octobre 2013 à 16 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, M. Franck Montaugé, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Laurence Abeille, M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. Alain Leboeuf, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville