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Mardi 22 octobre 2013

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Lesage, sur son rapport d’évaluation de la politique de l’eau en France

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Michel Lesage, sur son rapport d’évaluation de la politique de l’eau en France.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Nous auditionnons aujourd’hui notre collègue Michel Lesage, membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui a récemment été nommé parlementaire en mission sur le sujet de l’évaluation de la politique de l’eau en France et a remis son rapport au Premier ministre en juin dernier.

M. Michel Lesage. Le rapport qui m’a été confié s’est inscrit dans le prolongement de la réunion du Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) de décembre 2012, qui avait décidé de faire procéder à l’évaluation d’une quarantaine de politiques publiques – parmi lesquelles, la politique de l’eau. Deux missions ont été confiées à des parlementaires : l’une, à Philippe Martin, sur les enjeux quantitatifs de la gestion de l’eau, c’est-à-dire essentiellement les problèmes liés à l’irrigation et aux conflits d’usage ; l’autre, à moi-même, sur les aspects qualitatifs et la mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau (DCE) n° 2000/60/CE du 23 octobre 2000. Par ailleurs, une mission interministérielle CGEDD / IGF / CGEIET /CGAAER / IGA pilotée par Anne-Marie Levraut a conduit sa propre évaluation de cette politique et remis son rapport le mois dernier.

L’ensemble de ces travaux ont préparé la conférence environnementale de septembre 2013 qui, pour la première fois, a consacré une table ronde à l’eau. À l’issue de ses travaux, une feuille de route a été publiée par le Gouvernement.

La politique de l’eau se caractérise par sa grande complexité et sa technicité, qui la rend difficile à appréhender hors le cercle des praticiens et des acteurs de terrain. Peu de débats y sont consacrés au plan national, un seul groupe d’études parlementaire existe – celui que j’ai l’honneur de présider à l’Assemblée nationale, depuis sa création il y a deux ans – car elle est segmentée, parcellisée, parfois cloisonnée. Pourtant, l’eau n’est pas un bien comme les autres : elle est un bien commun, patrimoine de la nation, mais tiraillé entre des usages multiples et concurrents. Elle est un marqueur de notre société et symbolise l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés : elle se situe au cœur d’enjeux économiques, sociaux, environnementaux et autres. Comme l’écrit Érik Orsenna, « dis-moi ce que tu fais de ton eau, je te dirai qui tu es. ».

L’eau est confrontée à de multiples enjeux, d’ordre quantitatif (les conflits d’usage) mais aussi liés aux inondations, aux sécheresses, au réchauffement climatique, à la santé publique, à l’accès à l’eau pour tous ou à la fiscalité – peu nombreux sont ceux qui savent que les flux annuels liés à la politique de l’eau représentent aujourd’hui 23 milliards d'euros, dont 17 milliards d'euros pour le « petit cycle » et plus de 5 milliards d'euros pour le « grand cycle ». Le secteur mobilise un certain nombre de très grandes entreprises, une dizaine de redevances sont prélevées par les agences de l’eau dans la limite d’un plafond fixé à 2,2 milliards d'euros par an. Quant aux enjeux démocratiques, ils sont également considérables : la gouvernance de l’eau est structurée à différents niveaux – Conseil national de l’eau, agences de bassin, commissions locales de l’eau, etc. – et l’articulation de ces différents niveaux s’avère souvent complexe.

Il faut par ailleurs avoir conscience que la plupart des politiques publiques sont impactantes dans le domaine de l’eau, qu’il s’agisse d’économie, d’aménagement du territoire, de tourisme, d’énergie, d’agriculture, d’urbanisme ou de logement. Entre une approche institutionnelle des politiques menées par catégories d’acteur (État, régions, départements, collectivités territoriales) et les approches sectorielles et fonctionnelles développées, par exemple, par les agences de bassin, il faut réinstaurer des transversalités et des complémentarités intelligentes.

La politique française de l’eau est aujourd’hui largement structurée, dans ses textes et dans les obligations instituées, par le droit communautaire : 80 % de la réglementation en matière d’environnement sont en effet issus de l’Union européenne et c’est encore plus vrai dans le domaine de l’eau. Cette situation a d’ailleurs induit une rupture dans les politiques publiques, puisque la France doit régulièrement rendre compte des efforts qu’elle accomplit pour se rapprocher des objectifs assignés. La DCE impose des résultats à atteindre sur le bon état des masses d’eau, alors que la tradition administrative française s’en tenait habituellement à des obligations de moyens. D’où ma préconisation d’un « agir mieux » au niveau de l’Europe, très en amont pour associer l’ensemble des acteurs et défendre notre vision et notre modèle auprès de la Commission européenne. D’où également ma proposition de créer un lieu de pilotage national, sous forme d’une commission parlementaire de six membres responsable du suivi de l’élaboration et de la mise en œuvre des différentes directives européennes.

La mission a été extrêmement intéressante, mais parfois difficile : délais courts, faiblesse des moyens mis à disposition par le Gouvernement, difficulté à composer entre des ambitions et des intérêts à la fois antagonistes et pleinement légitimes – reconquête de la continuité écologique des cours d’eau vs soutien aux énergies renouvelables et à l’hydroélectricité, défense de la compétitivité de l’agriculture vs protection des captages et des nappes phréatiques, etc.

J’en viens maintenant aux soixante-dix actions que je suggère de mettre en œuvre au regard de la douzaine d’objectifs principaux à atteindre : lutter plus efficacement contre les pollutions diffuses d’origine agricole, préserver la continuité écologique des cours d’eau, sauvegarder et restaurer les zones humides, etc.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique agricole commune, nous devons nous engager de manière plus volontaire dans des modèles économiques respectueux de l’environnement, limitant progressivement et durablement les intrants – engrais et pesticides. Ceci suppose des instruments réglementaires mais aussi des signaux-prix pertinents à travers une fiscalité écologique suffisamment incitative. Pourquoi ne pas imaginer ainsi, comme certains le préconisent, une redevance sur l’azote minéral ou une taxation alourdie des pollutions diffuses ? Mais il faut également plus de formation des acteurs et de conseil afin de réorienter les pratiques.

S’agissant de la protection des cours d’eau et des zones humides, les altérations écologiques sont cause du déclassement des masses d’eau dans un cas sur deux. Beaucoup de difficultés sont à affronter : il faut convaincre du bien-fondé de la restauration des milieux, les prises de conscience sont insuffisantes, les appuis techniques sont défaillants, les programmes d’action nationaux sont incomplètement activés, les visions des acteurs sont souvent divergentes, etc.

La lutte contre les pollutions diffuses et la reconquête de la continuité sont des objectifs qui font consensus. D’autres avancées sont, au contraire, sujettes à débat. Je pense notamment à l’évolution de la gouvernance, pour laquelle je propose une réappropriation par la puissance publique – c’est-à-dire par l’État et par les collectivités territoriales. La transversalité des politiques publiques et la multiplicité des enjeux imposent une présence étatique au cœur de l’action publique : par la connaissance et la recherche, mais aussi par la police de l’eau, par la mobilisation des territoires et par la clarification du droit. Ceci passe par le nouvel acte de décentralisation, sur lequel l’Assemblée nationale ne s’était pas encore prononcée lorsque j’ai achevé la rédaction de ce rapport. Ceci me conduit, aussi, à proposer la création d’une autorité nationale indépendante chargée de l’eau. Je pense que nous y reviendrons dans nos échanges.

En ce qui concerne les territoires, considérant qu’une politique pertinente ne peut s’inscrire que dans le cadre des bassins et des sous-bassins, je suggère de développer le trépied unissant en premier lieu les commissions locales de l’eau (CLE) que je qualifie volontiers de « parlement local de l’eau » dans la mesure où il associe tous les acteurs, en second lieu l’outil de planification par bassin versant que sont les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), et en troisième lieu les syndicats mixtes de collectivités portant les SAGE et assurant la mise en œuvre des actions. Je crois qu’il faut en passer par un contrat multithématique et pluriannuel pour une gestion optimale. Ce socle permettra de fédérer les acteurs sur les territoires.

Le modèle économique de financement de l’eau a, de mon point de vue, atteint ses limites. Les recettes sont en régression structurelle puisque la consommation d’eau diminue chaque année de deux à trois pourcents alors que le financement des infrastructures repose sur les quantités distribuées. Au contraire, chacun peut apprécier le caractère considérable des investissements à effectuer pour la modernisation et l’extension des réseaux, le perfectionnement des stations d’épuration, la lutte contre les pollutions, la prévention des inondations, etc. Comment appréhender ces enjeux financiers ? Quelle est la part de fiscalité à introduire, et au bénéfice de quel niveau de collectivité ? Les enjeux sont immenses, d’autant que le flux de vingt-trois milliards d’euros que j’évoquais précédemment apparaît fort peu lisible.

On peut s’interroger sur le caractère démocratique de notre modèle de gestion, sans pour autant renier ses aspects positifs. Certains pays voisins ont privilégié des gouvernances différentes. En Allemagne et aux Pays-Bas, ce sont les régions qui détiennent la compétence de gestion des eaux et il n’existe pas d’agences de bassin. Je précise pour autant que je ne préconise pas de supprimer celles-ci, ce qui est un mauvais procès fréquemment instruit contre mon rapport. Le bassin versant est une échelle pertinente, mais je pense que les institutions de la République que sont les collectivités territoriales doivent s’organiser, à travers des syndicats mixtes, pour dialoguer avec les agences : il faut définir une complémentarité intelligente entre ces deux échelles institutionnelle et fonctionnelle. Les agences de l’eau sont fréquemment critiquées par la Cour des comptes ; je constate dans mon territoire d’élection que l’agence Loire-Bretagne, située à Orléans, peine à définir une vision d’ensemble entre la baie de Saint-Brieuc et la distribution à Saint-Étienne, ce qui est compréhensible. Les agences ont une fonction de banque mutualiste pour les redevances et les financements, mais peuvent-elles intégrer les politiques publiques d’aménagement du territoire et de développement économique ? Je ne pense pas ; je plaide pour privilégier les collectivités.

Élu local depuis trente ans mais parlementaire seulement depuis 2012, je connaissais mal les structures nationales et la haute technocratie qui les peuple. Cet entre-soi, certes entre gens de qualité, me paraît impropre à une stratégie de reconquête de la ressource : car il faut être au plus près des territoires pour mobiliser efficacement tous les acteurs et perfectionner les politiques de l’eau.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je passe maintenant la parole aux intervenants des groupes.

Plusieurs députés de l’UMP. La majorité est peu représentée ; elle prend l’eau. (Sourires)

M. Jean-Yves Caullet. La gestion de l’eau doit répondre aux préoccupations de quantité et de qualité. En prônant une approche globale et transversale, on aborde directement les questions de gouvernance cruciales pour l’arbitrage entre les différentes priorités. Ce faisant, le cadre réglementaire doit être adaptable aux réalités locales : il n’y a ni bonnes règles ni bons choix si personne ne peut les mettre en œuvre et en contrôler l’application. Il faut aussi déterminer les bons circuits financiers.

La politique publique de l’eau doit approvisionner les personnes et les industries. C’est également un outil de transport à travers la navigation. C’est enfin le risque des inondations. Ces trois éléments génèrent les flux financiers nécessaires à leur satisfaction : les bateliers sont prêts à acquitter une redevance pour profiter de voies d’eau entretenues ; les détenteurs de biens exposés aux crues sont heureux de payer l’impôt pour élever les ouvrages publics retenant les flots ; la santé publique et la distribution aux populations justifient le financement d’un réseau. C’est en globalisation les enjeux que les choses se compliquent, car il faut mettre en cohérence l’amont et l’aval des bassins, avec des ressources et des intérêts divergents. Comment permettre l’acceptabilité de cette solidarité, en évitant de concentrer les contraintes sur les populations de l’amont au bénéfice des espaces plus peuplés de l’aval ?

Comment gérer les contradictions, notamment en matière agricole ? Je pense au maintien de la surface toujours en herbe des hauts bassins pour préserver la ressource en eau qui conduit à utiliser des intrants pour l’alimentation du bétail, ce qui intensifie l’élevage faute de pouvoir complémenter l’herbe en produisant des céréales – ce qui serait nocif, certes, mais peut-être moins que cette intensification de l’élevage. Comment avoir une politique agricole compatible avec ces objectifs ?

M. Martial Saddier. Les travaux et réflexions que vous avez mentionnés se fondent sur la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, elle-même fruit d’un travail conséquent qui s’est étalé sur deux législatures. C’est en effet le Gouvernement dirigé par M. Lionel Jospin qui avait ouvert le débat, mais quatre années supplémentaires avaient été nécessaires pour finaliser le travail et aboutir au vote de la loi. Les deux lois « Grenelle » ont également été l’occasion de revenir sur ce sujet, dans le cadre notamment des dispositions relatives à la biodiversité et au littoral. Dans les remerciements pour la qualité du travail accompli par des parlementaires, je voudrais associer à notre collègue M. Michel Lesage notre ancien collègue André Flajolet, qui fut président du Conseil national de l’eau pendant une décennie.

Le rapport que vous avez remis au Premier ministre reprend assez bien l’ensemble des enjeux techniques et organisationnels, dans un cadre posé tant par la loi de 2006 que la directive-cadre sur l’eau de 2000 et dans la perspective d’une réécriture des SDAGE à l’horizon de 2016.

Je souscris à votre attention portée à la spécificité des territoires et à l’idée selon laquelle d’éventuelles avancées législatives ne doivent pas venir anéantir des initiatives locales, qui existent déjà et ont fait leurs preuves. S’il est bon que toutes les politiques soient régulièrement mises à jour, nous pensons néanmoins que la politique française de l’eau constitue un modèle et un exemple en Europe, qui a permis de beaucoup progresser au cours des années récentes et qu’il ne faut donc faire évoluer qu’avec précaution.

« Évolution des agences, des comités de bassin et de la gouvernance » : nous sommes prêts à y réfléchir, sous réserve que l’État ne profite pas d’une telle réforme pour recentraliser les financements et limiter les initiatives et les adaptations locales. Je rappelle, pour mémoire, que l’article 32 du projet de loi de finances pour 214 prévoit un prélèvement de 210 millions d'euros sur le fonds de roulement des agences de l’eau.

S’agissant de la gouvernance, nous partageons votre constat selon lequel le bon niveau est constitué par le bassin versant et les commissions locales de l’eau sont un acteur essentiel, puisqu’on y retrouve les représentants de l’État, les collectivités territoriales et les différents usagers. C’est au niveau de ces commissions que le travail doit s’améliorer et s’intensifier et il faut veiller assurer la solidarité entre les différents bassins versants, de l’amont vers l’aval.

Les députés UMP unanimes ne soutiennent pas, en revanche, votre proposition de créer une Autorité nationale de l’eau. Notre pays se meurt de la prolifération des organismes : consacrons plutôt nos efforts à conforter les structures existantes.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Il n’en existe pas moins un problème de gouvernance au niveau des agences de l’eau.

M. Bertrand Pancher. Votre rapport, très détaillé, fait un certain nombre de propositions : voudrons-nous les concrétiser ? La question est posée, compte tenu des réticences au changement bien connues dans notre pays.

La France peine à atteindre les objectifs de bon état de ses masses d’eau fixés pour 2015. Beaucoup reste notamment à faire dans l’amélioration de la qualité des eaux de surface et les changements intéressant les eaux souterraines restent limités.

De nombreux rapports récents ont souligné les difficultés rencontrées dans la gestion de l’eau. C’est le cas du rapport public annuel 2013 de la Cour des comptes, qui met en lumière les nombreuses défaillances et irrégularités dans la gestion administrative et financière de l’ONEMA. Un récent rapport du CIMAP attire l’attention sur les questions de gouvernance, qui mériterait d’être renforcée. Quant au dernier rapport de l’agence de l’eau Rhône – Méditerranée – Corse, il estime, après dix ans de recherche sur la qualité des eaux souterraines, que 25 % des captages sont menacés par la pollution.

Depuis votre rapport, le contexte budgétaire s’est gravement assombri à travers la scandaleuse ponction de 210 millions d'euros sur les ressources des agences. Cette ponction est à mettre en regard des difficultés que connaissent les collectivités territoriales qui, jusqu’à présent, finançaient la politique de l’eau – notamment, les départements. Dans ce contexte, il est à craindre un ralentissement des actions engagées et le report des préconisations issues de la conférence environnementale – objectif de mille captages protégés au niveau national, suppression des produits phytosanitaires en ville, élimination des algues vertes, soutien aux pratiques culturales durables, etc.

Pourriez-vous détailler vos propositions tendant à renforcer l’application du principe, de bon sens, selon lequel « l’eau paye l’eau » ? Par où commencer ?

Dans quel cadre et selon quelles modalités de décentralisation améliorer le fonctionnement de la police de l’eau ? Avec quels acteurs ? Quant à la gouvernance des agences de l’eau, des progrès en matière de cohérence sont certes possibles, mais les acteurs locaux refusent que soit remis en cause un modèle qui a fait ses preuves.

Mme Laurence Abeille. Le rapport de notre collègue point bien les antagonismes liés à la politique de l’eau. Pour être efficace, celle-ci ne doit pas être cloisonnée et il lui faut prendre en compte de nombreux domaines – agriculture, urbanisme, production électrique, industrie, environnement, biodiversité, etc. L’idée d’un débat national sur l’eau nous semble donc essentielle pour parvenir à une vision transversale des problématiques.

Il n’en demeure pas moins que notre politique de l’eau doit être guidée par des objectifs clairs. Le premier de ces objectifs, inscrit dans la DCE, est de garantir le bon état écologique des masses d’eau. Nous savons que les deux causes principales de la non-atteinte de cet objectif sont la rupture des continuités écologiques, d’une part, et les pollutions diffuses d’origine agricole, d’autre part. (Murmures sur divers bancs) Sur ce dernier point, il ne s’agit pas de désigner des coupables et la solution réside dans un mouvement d’ensemble vers un modèle d’agriculture biologique.

Quelles solutions préconisez-vous en matière de restauration des continuités écologiques dans le cadre de la « trame bleue » et de quels projets doit-on se saisir prioritairement ? Selon certaines estimations, il y aurait aujourd’hui en France soixante mille barrages et seuils sur les rivières, dont 80 % n’auraient aucun usage économique avéré.

S’agissant, en dernier lieu, des structures et des financements, votre rapport recommande une nouvelle gouvernance, avec un État qui jouerait pleinement son rôle de pilote et la création d’une Autorité nationale de l’eau. Mais la difficulté à atteindre les objectifs écologiques tient-elle d’abord aux défauts de la gouvernance ou au manque de volonté politique ? Nous savons, d’une part, que la contribution des agriculteurs au financement des agences de l’eau est infime – ce qui va à l’encontre du principe « pollueur-payeur » – et, d’autre part, que le grand cycle de l’eau est mal financé – la majeure partie du budget des agences est consacrée au petit cycle de l’eau, à l’assainissement et à la dépollution, plutôt qu’aux actions préventives. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement au projet de loi de finances 2014, qui a été adopté par notre Assemblée et visant à ce que le prélèvement de 210 millions d'euros sur le fonds de roulement des agences ne se fasse pas au détriment du bon état écologique des masses d’eau.

Qui doit payer au final ? En matière d’énergie, on sait qu’il s’agit toujours de l’usager. En matière d’eau, le tiers-pollueur entre en jeu et s’il n’est pas pénalisé, rien ne l’incitera à modifier son comportement.

M. Olivier Falorni. Je salue l’importance du travail accompli, dans un délai particulièrement court puisqu’il s’agit du printemps 2013.

Vous postulez la nécessité d’inventer un nouveau service public de l’eau et soulignez le rôle majeur des collectivités territoriales pour pouvoir atteindre les objectifs fixés en matière de qualité des eaux. Vous mettez ainsi en lumière la dimension politique du projet, et le corollaire normatif qu’il induit. Dans la préface du rapport, vous rappelez que l’eau, « patrimoine commun de la nation », nécessite une vision politique et je ne puis qu’acquiescer à ce jugement. Mais je voudrais rappeler que le passage d’une vision à la réalité nécessite un ajustement qui n’est pas mince, puisqu’il s’agit des moyens. Le Premier ministre ne dit pas autre chose dans sa lettre de mission, lorsqu’il écrit que « la reconquête de la qualité de l’eau peut s’avérer (…) un exercice complexe, long et coûteux ».

Le contexte actuel est, de fait, délicat : la moitié du territoire agricole est classée en « zone vulnérable », du fait de fortes pollutions en nitrates ; les pesticides sont présents dans 90 % des eaux de surface et deux tiers des nappes phréatiques. La directive-cadre sur l’eau fixe l’objectif d’un bon état écologique des rivières, lacs et nappes souterraines pour 2015. En ramenant ce chiffre à 66 % des masses d’eau, le Grenelle de l’environnement a implicitement reconnu que l’objectif était irréalisable. Il n’en reste pas moins nécessaire d’impulser des politiques volontaristes en rapport avec nos ambitions, d’autant que notre incapacité à respecter les prescriptions du droit européen de l’environnement est régulièrement sanctionnée par la Cour de justice de l’Union européenne – ce fut le cas, encore récemment, s’agissant des dispositions de la directive « Nitrates ».

Historiquement, les politiques de l’eau ont toujours été contraintes par la nécessité de développer, en priorité, nos politiques agricoles, industrielles et énergétiques. Celles-ci se sont révélées si impactantes sur notre environnement, que nous sommes désormais forcés de repenser nos activités ainsi que les échelles de nos valeurs et de nos besoins, pour en minimiser l’incidence sur l’eau et les milieux aquatiques. Il devient impérieux d’intégrer les coûts environnementaux dans l’analyse économique de nos activités et d’avoir un mode de calcul des prix qui reflète adéquatement ce changement de paradigme.

Vous posez quatre constats pour étayer votre affirmation, selon laquelle le modèle français de l’eau serait désormais à bout de souffle : enchevêtrement des structures, multitude des acteurs, opacité d’ensemble du système, dispositif de financement déséquilibré. Vous préconisez alors douze orientations, dont les trois premières réaffirment le rôle prépondérant de l’État et la création d’une Autorité nationale de l’eau indépendante. Dans un contexte où l’État n’a que très peu de marges de manœuvre budgétaire, comment mettre en adéquation les moyens nécessités par ces orientations avec les objectifs qui nous sont assignés ?

Vous en appelez également à une forte mobilisation des territoires, à une nouvelle étape de la décentralisation et à une nouvelle gouvernance assurant la cohérence et l’efficacité d’une politique de l’eau moderne : ce transfert de compétences implique-t-il un transfert de moyens ou alors leur création ex nihilo ?

La sixième orientation met en avant les déséquilibres structurels et le problème du financement de l’eau, qui devient un enjeu fondamental : ne serait-il pas opportun de mettre en place une fiscalité assise sur une typologie de produit, pour imposer de nouvelles normes de production et de fabrication ?

M. Philippe Noguès. Je veux, à mon tour, féliciter Michel Lesage pour la qualité de son rapport. Ma question portera sur la gouvernance de l’eau, dont vous avez souhaité la territorialisation. C’est un objectif que je partage : les CLE doivent être l’élément de base car ce sont des instances démocratiques essentielles à la satisfaction des objectifs assignés par le droit européen. Nous devrons donc veiller à leur association à la définition des politiques publiques au niveau régional.

Je ne peux que me réjouir de votre proposition de régionaliser la politique de l’eau. Ceci permettra de mettre la gestion des eaux en cohérence avec le développement économique et l’aménagement du territoire. Que pensez-vous de la proposition des présidents des CLE de Bretagne qui souhaitent la création d’un guichet unique pour coordonner les dispositifs de financement ?

Comment accueillez-vous les demandes d’expérimentation des régions dans le pilotage de la politique de l’eau ?

Enfin, de nombreux groupes de pression menacent l’indépendance des CLE. Élu morbihannais, je peux attester des manœuvres en cours pour influer sur le SAGE Blavet dont les préconisations ont pourtant été plus que négociées. N’estimez-vous pas que les CLE aient besoin d’un soutien fort de la part de l’État ?

M. Yves Albarello. Quoique volumineux, votre rapport ne comporte aucun volet éducatif à propos du petit cycle de l’eau. C’est dommage. La reconstruction d’une station d’épuration, par exemple, se prête à la venue d’une classe de primaire pour mieux expliquer le fonctionnement du réseau. Cette initiative remporte un franc succès dans ma commune, et je pense qu’il serait pertinent de généraliser l’expérience dans la mesure où il n’existe pas, en France, une école de l’environnement.

Je préside un syndicat de rivière non domaniale et je confirme que les difficultés budgétaires sont importantes. Vous proposez un financement par redevance en cas de carence avérée. Pouvez-vous apporter des précisions ?

M. Yannick Favennec. Les pollutions d’origine agricoles constituent, on le sait, une des principales menaces qui pèsent sur la qualité de l’eau. Or, en dépit des efforts des agriculteurs pour concilier production agricole et préservation de la ressource, l’impact sur les milieux naturels reste une réalité. On ne pourra avancer qu’en accompagnant les exploitations, déjà durement éprouvées par la crise économique, sur le chemin d’une agriculture durable. Quel est votre point de vue ?

M. Gilbert Sauvan. Le sujet de l’eau soulève beaucoup de questions pour tout élu local qui s’est trouvé confronté aux difficultés inhérentes à sa gestion. J’écouterai avec beaucoup d’attention vos précisions sur le volet fiscal de l’action publique.

En ce qui concerne l’autorité de régulation que vous proposez de créer, et que vous aviez déjà évoquée à l’occasion de la conférence environnementale, elle me semble bienvenue dans la mesure où nous constatons une carence des pouvoirs publics en la matière. Le secteur de l’énergie pourrait valablement servir de modèle. Comment envisager cette autorité, sa composition, ses prérogatives, les garanties de son indépendance ? Il ne s’agirait pas de compliquer inutilement les procédures de gestion.

Je souscris à la nécessaire prise de conscience collective des élus, des usagers, des citoyens. Comment associer le plus grand nombre à la définition des stratégies de gestion de l’eau ?

Je suis élu dans les Alpes, qui ne connaissent pas les problèmes de protection des nappes phréatiques puisque l’approvisionnement est assuré par les eaux de résurgence. Nous subissons, en revanche, des effets torrentiels de nos cours d’eau, qui nous conduisent à édifier des seuils pour briser régulièrement les ondes excessivement vigoureuses. Or ces aménagements sont remis en cause pour préserver la continuité écologique. Le conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, que j’ai l’honneur de présider, s’est prononcé en défaveur de cette évolution normative qui mettrait en péril la sécurité des biens et des personnes.

Mme Valérie Lacroute. Un des grands défis du modèle français de gestion de l’eau réside dans la préservation de la qualité de la ressource. Si les pollutions urbaines, industrielles et domestiques connaissent une régression constante, force est de constater que les pollutions agricoles, liées à l’usage de nitrates et de pesticides, sont en augmentation. Le commissariat général au développement durable a constaté que 90 % des cours d’eaux français subissent une contamination généralisée de pesticides. La Seine-et-Marne, constituée aux deux tiers de terres agricoles, n’est pas épargnée : elle est même pointée du doigt par la revue 60 millions de consommateurs comme l’un de ceux dont l’eau est la plus polluée. Le plan départemental de l’eau n’a produit que des résultats très insuffisants.

L’État doit prendre des initiatives. Quelles mesures préconisez-vous pour endiguer la pollution de nos cours d’eau ? La baisse de 20 % des budgets des agences de l’eau met en péril les aides au soutien des investissements indispensables : comment préserver ces financements ?

Mme Sophie Rohfritsch. Vous soulignez avec justesse l’intérêt de soutenir la recherche. Il ne faudrait pas faire table rase de structures déjà existantes : deux pôles de compétitivité se penchent déjà sur le sujet de l’eau, et notamment sur l’élimination des résidus médicamenteux dissous dans les rejets. Des appels à projets spécifiques pourraient utilement venir au soutien de leurs investigations.et renforcer l’implication des entreprises du secteur.

Concernant les eaux souterraines, ma région d’élection abrite une nappe phréatique parmi les plus importantes d’Europe qui excède largement les limites hexagonales. La gouvernance future devra intégrer un paramètre transnational, car les initiatives de coopération lancées par les collectivités territoriales ne peuvent pleinement se substituer au dialogue entre États.

M. Philippe Plisson. Votre excellent rapport témoigne de la contamination généralisée des cours d’eau. Ce n’est malheureusement pas surprenant : la condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne, en juin dernier, trois jours après l’abandon du projet de taxation des engrais à base d’azote minéral, nous avait déjà alertés.

Vous préconisez que les communes et leurs groupements structurent la gouvernance de l’eau. J’y souscris, mais cela équivaut-il à la disparition des associations syndicales autorisées (ASA) auxquelles la gestion de l’eau a souvent été déléguée depuis des années de façon erratique, sans moyens financiers, suivant des logiques parfois peu compatibles avec l’intérêt général et contradictoires suivant qu’elles soient dominées par des céréaliers ou par des chasseurs ?

La loi prévoit que les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) mettant en œuvre un SAGE peuvent demander aux comités de bassin une majoration de la redevance sur les prélèvements d’eau. Pouvez-vous aider les collectivités à obtenir sa mise en œuvre ?

Je m’inquiète du fonctionnement des agences de l’eau, sur lesquelles beaucoup repose, mais dont les moyens diminuent régulièrement.

Enfin, quel regard portez-vous sur l’annonce ministérielle d’une levée du gel sur les aides aux retenues d’eau agricole ? Le bon sens ne suggère-t-il pas de cultiver les espèces adaptées à chaque terroir et à chaque contexte pédoclimatique ?

M. Michel Heinrich. Vous faites état d’une diminution des recettes liées à une baisse de la consommation, ce qui est plutôt une bonne chose. Mais les besoins de financement demeurent considérables. Pensez-vous que le prélèvement de 210 millions d’euros effectué sur les agences est compatible avec les préconisations de votre rapport ?

Vous recommandez aussi de mieux impliquer les collectivités territoriales. En quoi les considérez-vous insuffisamment présentes aujourd’hui ?

M. Jean-Marie Sermier. Le petit cycle de l’eau, c’est-à-dire l’assainissement et l’eau potable, est géré soit en régie municipale, soit par des entreprises délégataires du service public. Mais nos concitoyens redoutent, à bon droit, des insuffisances techniques dans le premier cas et un manque de contrôle démocratique dans le second. Les décisions idéologiques prises par certaines collectivités territoriales ont concouru à jeter le trouble. Une troisième voie existe dans d’autres pays : confier le service public de l’eau à des sociétés d’économie mixte (SEM) réunissant collectivités et entreprises. J’ai déposé une proposition de loi en ce sens hier sur le bureau de l’Assemblée nationale. Je crois savoir que le groupe SRC fera de même, et que même le Sénat prendrait prochainement une initiative en faveur de ces « SEM contrat ». En effet, ce système permet de concilier la compétence des entreprises et la surveillance des élus locaux. Quel est votre sentiment à ce propos ?

M. Guillaume Chevrollier. Votre rapport illustre bien le rythme incessant des réformes qu’a vécues, de plus en plus en souvent sous l’égide de Bruxelles, le secteur de l’eau. Or des effets pervers voient le jour : on peut s’interroger sur la généralisation des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), car certains départements, comme celui de la Mayenne dont je suis l’élu, ont laissé, à la satisfaction de tous, le conseil général animer la commission locale de l’eau du SAGE. La mission de ces EPTB – la mise en cohérence de la gestion de l’eau sur le territoire et l’accompagnement des collectivités – est donc d’ores et déjà remplie.

Second effet pervers : la complexification de la mise en œuvre des SAGE, qui doivent désormais être rendus compatibles avec les schémas directeurs de gestion des eaux, au risque d’obliger les collectivités concernées à mettre en œuvre, tous les six ans, une procédure de révision qui s’avère extrêmement lourde et contraignante.

Troisième effet pervers : les laboratoires de nos départements sont menacés depuis que les ARS s’en trouvent désormais commanditaires. On constate que ces agences font toujours appel aux mêmes laboratoires, au détriment de ceux qui maillent notre territoire, notamment en zone rurale.

La définition de la conformité des systèmes de collecte et de traitement par temps de pluie pose également problème, le critère envisagé – des 20 jours de déversement au niveau des ouvrages de surverses de réseau – entraînerait dans de nombreux départements des travaux lourds et coûteux. Le milieu récepteur et son acceptabilité ont été négligés dans ce dossier.

Nous sommes bien entendu favorables à une amélioration de la qualité de l’eau dans notre pays, mais il faut bien mesurer l’aspect financier des mesures préconisées.

M. Jean-Luc Moudenc. Nous fêterons l’an prochain le cinquantième anniversaire de la première loi sur l’eau, initiée en décembre 1964 par le général de Gaulle. Depuis, de nombreux textes législatifs se sont succédé, mais nos concitoyens manquent aujourd’hui, malgré cet acquis, de repères et d’informations sur la qualité de l’eau, en dépit du fait qu’elle constitue un élément essentiel de leur vie quotidienne. Vous proposez – par exemple page 154 avec cette idée de jurys citoyens – des solutions pour remédier à cet état de fait, mais il me semble, pour corroborer les propos qu’a tenus Yves Albarello, que des actions fortes et spécifiques de sensibilisation de la jeunesse s’imposent. Il me semble que cette dimension reste un peu absente de votre rapport : pourquoi ne pas prévoir des cycles pédagogiques, à l’école, comme au collège et au lycée ? Cela constituerait un moyen de fond de pallier, à terme, ce manque d’information de nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Vigier. Vous suggérez dans votre rapport un renforcement du pilotage de l’État, en sensibilisant et en mobilisant les acteurs locaux. Il s’agit d’une très bonne solution. Un exemple ? Sur l’axe Loire-Allier, un des volets du plan Loire grandeur nature a prévu la réintroduction d’une espèce qui avait quasiment disparu, le saumon. À travers cette réintroduction, les élus se sont mobilisés, par exemple, en réhabilitant leur réseau d’assainissement, ce qui a eu pour résultat d’améliorer la qualité de l’eau et de reconquérir l’habitat. Or aujourd’hui, au moment de renouveler ce plan, la poursuite de cette réintroduction risque d’être remise en cause, et ce contre l’avis des élus locaux. Peut-on donc avoir, sur un sujet aussi sensible que la qualité de l’eau, une gouvernance qui place les élus locaux au centre des processus de décision ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Pour quelle raison cette réintroduction du saumon est-elle remise en cause ?

M. Jean-Pierre Vigier. Parce qu’au sein du comité de pilotage, certains scientifiques estiment que le niveau actuel de la population de l’espèce – 800 individus, dont 600 provenant d’élevage salmonicoles, et 200 de pure souche – autorise sa reproduction. Or cette position menace la présence même du saumon dans les eaux de l’Allier : les élus locaux souhaitent, eux, porter la population à 1 600 individus, seuil qui permettrait la survie et la réinstallation de l’espèce. Or ils ne participent pas à la décision, car aucun d’entre eux ne siège au comité de pilotage.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. C’est donc bien à nouveau une question de gouvernance de la qualité de l’eau !

M. Michel Lesage. Contrairement à certaines auditions de notre commission, je ne dispose pas des quatre ou cinq collaborateurs qui me permettraient de répondre aux questions nombreuses et pertinentes que vous avez bien voulu me poser. (Sourires) Je rappelle que mon rapport est le résultat d’un travail personnel autour des aspects qualitatifs de la gestion de l’eau, et qu’il n’avait pas vocation à traiter l’ensemble des questions que vous avez abordées. Bien entendu, la question de la qualité ne peut être abordée indépendamment de celles de la quantité, du financement, ou de la gouvernance. Mon travail a consisté à remettre à plat ce secteur, et à faire des propositions, soumises au débat, visant à nous permettre d’affronter les enjeux, présents et à venir, dont il reste porteur. Le système actuel a apporté des avancées, mais il présente certainement des limites.

La création d’une haute autorité indépendante – j’ai proposé qu’elle prenne la forme d’une structure souple – a suscité de nombreux articles de presse, questions et critiques. Pourquoi donc envisager une telle création ? Certains ont mis en valeur les atouts des organismes existants : ainsi, à ma grande surprise, certains membres du conseil national de l’eau, qui n’a qu’un rôle consultatif puisqu’il rassemble tous les acteurs, ont affirmé que cette instance pourrait jouer ce rôle. Cela rejoint une de mes réflexions : trop souvent en matière d’eau on raisonne en termes de structures, pour ne pas dire de pouvoir. Il me semble qu’il faut au contraire s’interroger sur l’évolution de notre politique publique, sur notre niveau de pollution, sur nos condamnations par la Cour européenne et sur notre mode de gouvernance du secteur.

Il n’existe pas aujourd’hui d’autorité administrative indépendante régulant le secteur de l’eau dans notre pays. Pourquoi ? Très clairement, la politique de l’eau reste pour l’essentiel gérée par le ministère en charge de l’écologie, qui se trouve très clairement « coincé » entre les finances, l’agriculture, l’énergie, etc. Comment peut-il, dans ces conditions, mener une politique environnementale, compte tenu du poids des autres départements ministériels que je viens de citer ? Le morcellement des compétences, comme les conflits entre logiques présidant aux politiques publiques, pénalise la nécessaire régulation de ce secteur.

Pendant la préparation de mon rapport, j’ai assisté, à l’invitation de ses membres, à toutes les réunions du groupe de travail sur la politique de l’eau du conseil national de l’eau. Le président de ce groupe, le sénateur Henri Tandonnet, avait sous son autorité, à 80 %, des représentants socioprofessionnels, ce qui explique que quasiment jamais il n’a pu aboutir à un consensus. C’est normal, car l’addition d’intérêts catégoriels n’a jamais construit une politique publique. Le résultat du vote – 20 pour, 17 contre – sur le rapport relatif à la politique de l’eau illustre bien mes propos.

Les agences de l’eau restent des opérateurs et les comités de bassin des instances de concertation. On ne peut, de mon point de vue, jouer à la fois le rôle d’opérateur et celui de régulateur.

Le pilotage par l’État, ce qui inclut à mon sens les collectivités avec toute la chaîne, de la politique de l’eau doit donc être amélioré : il lui faut reposer sur des outils, comme cette autorité administrative indépendante dont je viens de parler. Elle s’impose d’autant plus, à mon avis, que l’ONEMA – qui regroupe police, recherche, et système d’information, et dont on connaît les difficultés – sera peut-être intégré dans l’agence française de la biodiversité, mais nous aurons ici l’occasion d’y revenir.

La création d’une autorité de régulation constituerait également une réponse aux conflits d’intérêt potentiels qui peuvent émerger dans le domaine. À titre d’exemple, les mêmes acteurs distribuent et reçoivent, au niveau local, des subventions.

La Cour des comptes et le Conseil d’État nous enjoignent d’approfondir notre connaissance, et d’améliorer la transparence, des flux financiers – les fameux 23 milliards d’euros – circulant dans le secteur. Dans son rapport, Anne-Marie Levraut suggère d’ailleurs qu’une mission complémentaire soit lancée sur cette question.

Je relève enfin que de nombreux autres secteurs de l’économie – l’énergie, les mobilités – bénéficient de l’existence d’une autorité de régulation, et que plusieurs de nos voisins européens, comme l’Angleterre, l’Italie et le Portugal, s’en sont dotés précisément dans le secteur de l’eau. La mise en œuvre d’une régulation dans ce secteur fait par ailleurs partie des recommandations de l’OCDE, et des conclusions d’un rapport sénatorial. Bref, la création d’une autorité de régulation de l’eau ne me paraît pas scandaleuse eu égard aux enjeux du secteur. Je préconise d’ailleurs une gouvernance répondant à ces enjeux, avec des représentants des corps de contrôle ou des autorités juridictionnelles, comme le Conseil d’État, la Cour des comptes ou la Cour de Cassation et des représentants du Parlement. Il s’agirait d’une structure légère.

Dans les territoires, la gouvernance est organisée autour des commissions locales de l’eau (CLE), avec comme principal outil les schémas d’aménagement des eaux, qui s’emboîtent – et l’on retrouve ainsi l’articulation grand cycle / petit cycle – dans les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), élaborés par les comités de bassin et les agences de l’eau. Toute ma région d’origine, la Bretagne, en dispose, sur 100 % de son espace. Nous considérons qu’il s’agit d’outils pertinents et adaptés : aussi proposé-je que nous les généralisions sur l’ensemble des territoires, et que leur mise en place soit assurée par des syndicats mixtes mis en œuvre par le bloc communes – EPCI, qui disposera de la compétence intégrale grand et petit cycle de l’eau. Il s’agit d’outils de proximité, dont la capacité de mobilisation des acteurs est grande et qui permettent une bonne appropriation des enjeux de toutes les politiques d’aménagement du territoire. Les CLE constituent, au niveau local, de véritables parlements de l’eau, car leur composition intègre des représentants de la société civile, des associations, des représentants du monde économique, et, bien sûr, les élus. Puisque le dispositif fonctionne bien, il n’y aucune raison que ce ne soit pas le cas dans les territoires où ils pourraient voir le jour. Proximité, transversalité, volonté, solidarité, voilà leurs maîtres-mots.

S’agissant des pollutions diffuses d’origine agricole, les exploitants doivent connaître les spécificités des intrants qu’ils utilisent, et faire appel à l’expertise des chambres d’agriculture. On assiste ensuite à une appropriation des diagnostics et des plans d’actions, dont la mise en œuvre s’effectue au plus près du terrain. Un rapport récent du Conseil économique, social et environnemental (CESE) relevait justement que la terre ne se cultive pas sans eau, et que l’eau ne se gère pas sans la terre. L’agriculture reste au cœur des politiques publiques de l’eau : il ne faut pas la stigmatiser, car elle a adopté après-guerre un modèle intensif qui aujourd’hui évolue, à la fois dans le choix des productions mais aussi des pratiques culturales. L’agro-écologie, que le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll a défendu ici-même, me paraît une bonne approche car elle marie rentabilité économique et respect de l’environnement. Bien sûr, la PAC et la directive cadre sur l’eau (DCE) doivent être mieux articulées, et même si des enjeux de verdissement de la PAC existent, c’est d’abord sur les territoires, à l’échelle de la parcelle, que se trouvent les réponses.

La question des financements est naturellement fondamentale. On entend beaucoup que les principes sur lesquels repose le modèle de l’eau, « l’eau paye l’eau » et la récupération des coûts, seraient de bons principes. Élu territorial depuis une trentaine d’années, je n’ai pourtant jamais vu ou entendu que le « transport devrait payer le transport », « les déchets, les déchets », « la restauration scolaire, la restauration scolaire », etc. La mise en place d’une politique publique s’accompagne toujours de la recherche d’un équilibre entre ce que paye l’usager et ce qui relève d’une solidarité territoriale ou nationale. À l’heure actuelle, le système de l’eau pèse plus largement sur les consommateurs que sur les responsables des pollutions : il semble donc inéquitable et j’appelle de mes vœux son rééquilibrage. La question de sa viabilité même à moyen terme se trouve posée, à l’aune des enjeux considérables liés au grand cycle de l’eau, aux problèmes des pollutions, aux inondations, etc. Le temps des petits ajustements techniques, à la marge, est révolu et il doit laisser place à un débat d’ensemble, et en particulier au Parlement.

Certains ont évoqué la question de la démocratie dans les agences de l’eau. Il est exact que seuls quelques élus ont la possibilité de participer à leurs travaux, mais le travail que réalisent leurs 1 500 salariés est absolument nécessaire pour la connaissance de l’eau. Il serait d’ailleurs opportun que puissent se développer, en complément, de véritables capacités d’ingénierie publique au niveau local. Les compétences des collectivités territoriales sont essentielles pour intégrer la globalité du cycle, de l’aval à la mer, et pour laisser le choix selon les territoires – ce qui n’empêche nullement la conclusion de partenariats avec de grands opérateurs privés, dans le cadre de délégations de service public ou de sociétés publiques locales.

En matière de financement, l’article 35 B du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, en cours de discussion devant le Parlement, ouvre des pistes intéressantes, avec la création de nouvelles taxes pour financer quatre nouvelles compétences attribuées aux ensembles constitués par les communes et les EPCI : ceux-ci se trouveront ainsi attributaires de l’ensemble de la compétence « eau », c’est-à-dire non plus seulement le petit cycle, mais également le grand cycle.

Le rôle des régions dans le domaine de l’eau est également appelé à se renforcer, dans le cadre des conférences techniques de l’action publique mises en place par ce même projet de loi. Et au vu de certains sujets : sécheresse, inondations, etc.

Au regard de certaines problématiques du grand cycle, il est clair que le niveau du bassin versant n’est pas suffisant – sans même parler de toutes petites structures comme les trente-et-un mille services publics de l’eau et de l’assainissement. Il faut rationaliser et simplifier, pour avoir une ingénierie suffisante permettant d’agir aux échelons pertinents. L’amélioration des services rendus conduit d’ailleurs quelquefois à des recrutements supplémentaires à l’échelon intercommunal.

Pour ce qui concerne les aspects quantitatifs de la gestion de l’eau, notamment évoqués par Philippe Plisson, je ne peux que renvoyer aux rapports de Philippe Martin et Anne-Marie Levraut, qui formulent de nombreuses préconisations sur les usages et le partage des ressources en eau, par exemple avec le projet de schéma territorial concerté.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Le ministre Philippe Martin a confirmé la reprise des aides aux retenues d’eau agricoles, les financements nationaux permettant à leur tour le déblocage de moyens par l’Union européenne.

M. Michel Lesage. S’agissant, en dernier lieu, du prélèvement de 210 millions d'euros sur la trésorerie des agences, celui-ci fait suite au rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité affectée, rendu public le 4 juillet 2013. Je rappelle que de tels prélèvements ont déjà été opérés par le passé, car la trésorerie des agences semble abondante et elle n’est pas toujours consommée.

Mais au-delà, le Conseil des prélèvements obligatoires remet en cause l’ensemble du système financier des agences : il pointe que l’entorse au principe d’universalité prive le Parlement d’une partie de son pouvoir de décision et de contrôle budgétaires ; il observe que certaines taxes laissent une marge de manœuvre importante à leur affectataire ; il regrette que l’État peine à définir une stratégie claire pour ses agences et les politiques publiques conduites ; il souligne que les coûts de collecte des agences ne sont pas nécessairement moins élevés que ceux de l’administration, etc.

Une série de questions majeures se trouvent ainsi posées, par-delà des sujets de pure technique financière. Il me semble que nous pourrions poursuivre la réflexion sur ces sujets au sein de notre commission car il existe désormais une feuille de route gouvernementale.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Cette suggestion me paraît tout à fait à propos. A-t-on idée des moyens financiers que mobiliserait une redevance sur les pollutions diffuses et une taxation de l’azote d’origine minérale ? Nous savons tous combien le coût de certaines pollutions est élevé.

M. Michel Lesage. Tout dépendrait de l’assiette, du taux… Je n’ai aucun chiffre à avancer, mais je crois me souvenir qu’un rapport récent de l’IGF explore cette possibilité.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie Michel Lesage d’avoir consacré presque deux heures à nous transmettre une partie des leçons retirées de ses travaux. Je retiens que nous devons poursuivre collectivement, au sein de cette commission, la réflexion publique engagée à propos de la gestion de l’eau.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 22 octobre 2013 à 17 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Philippe Bies, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, M. Franck Montaugé, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Jean-Jacques Cottel, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Christian Jacob, M. Napole Polutélé, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville