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Mercredi 27 novembre 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le 5e rapport du groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), avec la participation de M. Jean Jouzel, climatologue, Mme Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA, responsable de l’équipe « Dynamique et archives du climat », M. Philippe Dandin, directeur de la climatologie de Météo-France, et M. Alexandre Magnan, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)

– Information relative à la Commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur le 5e rapport du groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a décidé de publier son cinquième rapport en trois volumes. Le premier, consacré aux études scientifiques, a été publié en septembre dernier. Les deux autres volumes, consacrés aux impacts et aux politiques d’atténuation, seront publiés dans les six prochains mois. Le premier volume confirme l’origine anthropique du changement climatique, l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe, l’élévation du niveau des océans et l’accélération de la fonte des glaciers.

Cette table ronde nous permettra de dresser une synthèse des principaux enseignements de ce cinquième rapport, d’identifier ses implications et de préciser les enjeux climatiques auxquels la France métropolitaine et l’ensemble des territoires ultramarins seront exposés au cours des décennies à venir.

Nous accueillons à ce titre :

- M. Jean Jouzel, climatologue, que nous avons déjà auditionné le 13 mars dernier sur la transition énergétique ;

- Mme Valérie Masson-Delmotte, corédactrice du 5ème rapport ;

- M. Philippe Dandin, qui a été directeur de la climatologie à Météo-France ;

- M. Alexandre Magnan, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et coauteur du rapport « Les outre-mer face au défi du changement climatique » réalisé en 2012 pour l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).

M. Jean Jouzel, climatologue. Il est important que les parlementaires accueillent la communauté scientifique. Nous y sommes très sensibles et vous remercions d’avoir organisé cette table ronde.

Je suis parmi vous au titre de mon implication au sein du groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) dont le président est M. Rajendra Kumar Pachauri et dont je suis membre du bureau : ce dernier est composé de trente personnes, et aucun pays, à l’exception de l’Inde, n’est représenté deux fois. Chacun des trois groupes de travail y est représenté – je suis vice-président du groupe I, consacré aux études scientifiques. La France est également représentée au sein du bureau par Nicolas Bériot, secrétaire général de l’ONERC.

Je voudrais dire quelques mots du processus qui a abouti au rapport du groupe scientifique qui a été adopté à Stockholm il y a plus d’un mois.

Le GIEG est né suite au cri d’alarme qu’ont lancé les scientifiques dans les années 1970-1980 devant la menace du réchauffement climatique. Il a été mis en place sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale et de la branche environnement des Nations Unies en 1988. Notre instance obéit donc aux règles onusiennes.

Le rapport du groupe II, relatif à l’impact, à la vulnérabilité et à l’adaptation aux changements climatiques, sera adopté à Yokohama à la fin du mois de mars, et le rapport du groupe III, sur les moyens d’atténuer le changement climatique, sera adopté en Allemagne début avril. Ces travaux seront complétés par un rapport de synthèse qui sera présenté en octobre prochain à Copenhague.

Les membres du bureau sont généralement élus pour la durée de l’établissement du rapport d’évaluation. Toutes les décisions sont prises par une assemblée plénière où sont représentés tous les pays.

Nous proposons l’organisation du contenu du rapport, et lorsque celle-ci est approuvée, nous sélectionnons les auteurs sur des critères scientifiques, géographiques et de genre. C’est un tel honneur d’être rédacteur d’un rapport du GIEC que nous recevons de nombreuses candidatures. Ainsi, 259 auteurs ont participé à la rédaction de ce 5ème rapport, pour laquelle nous avions reçu un millier de candidatures.

Chaque chapitre est rédigé sous l’égide d’une douzaine d’auteurs et de deux coresponsables, auxquels peuvent s’adjoindre des contributeurs.

Nous avons ensuite quatre rendez-vous, tous les six à huit mois, de la première rédaction, dite « draft zéro », aux rédactions suivantes auxquelles sont adjoints des commentaires. Nous avons ainsi recueilli plus de 55 000 commentaires qui seront pris en compte. Il s’agit d’un processus collectif et transparent.

Les coprésidents de notre groupe sont MM. Thomas Stocker (Suisse) et Qin Dahe (Chine). Sous la responsabilité des coachs et d’un sous-groupe de rédacteurs, un résumé technique à l’intention des décideurs est établi – il s’agit de passer d’un millier de pages à cinquante pages – et c’est ce document qui fera l’objet d’un processus d’adoption auquel personnellement je suis très attaché. Certains considèrent qu’il est politique, mais je ne le pense pas. D’ailleurs, ce résumé reste la propriété des scientifiques et les représentants des gouvernements ne peuvent en modifier le contenu.

Je précise que le rôle du GIEC est non pas de faire des recommandations, mais d’établir un diagnostic. En clair, nous nous devons d’être policy-relevant et non policy-prescriptive. En revanche, à l’issue de ce processus, les décideurs sont censés prendre des mesures – j’emploie à dessein le mot « censés » car nous considérons que ces mesures ne sont pas prises assez rapidement.

Le rapport du GIEC doit être le livre de chevet des négociateurs du climat et il semble que l’objectif soit atteint.

Mme Valérie Masson-Delmotte, corédactrice du 5ème rapport. J’évoquerai brièvement les principaux éléments du résumé à l’usage des décideurs du 5ème rapport du GIEC.

Ce rapport, qui repose sur 9 200 publications scientifiques, est organisé en 14 chapitres auxquels est adjoint un atlas qui donne accès à des cartes présentant les simulations des évolutions futures du climat dans les différentes régions sur une échelle de temps allant de 30 à 100 ans.

Le constat de ce rapport est le suivant : le réchauffement du système climatique est sans équivoque et beaucoup de changements observés depuis les années 50 sont sans précédent sur une échelle de temps remontant à plusieurs milliers d’années.

Nous observons un réchauffement de l’atmosphère et chacune des dernières décennies a été successivement plus chaude que les précédentes. Dans l’hémisphère nord, les derniers 30 ans ont été les plus chauds depuis plus de 1 400 ans.

L’océan s’est réchauffé et contient la plus grande partie de l’énergie emmagasinée dans le système climatique. Sur 100 % d’énergie supplémentaire, 1 % se traduit par le réchauffement de l’atmosphère, plus de 90 % sont stockés dans les océans, 3 % font fondre les glaces et 3 % réchauffent les sols. Le surplus d’énergie est donc en grande partie emmagasiné dans les océans, et cela pour longtemps.

La quantité de neige a diminué dans l’hémisphère nord, en particulier au printemps, et la masse des glaciers et des calottes polaires ne cesse de se réduire. Enfin, on observe un recul très important de la banquise autour de l’Océan Arctique.

Le réchauffement des océans et la fonte des glaciers a entraîné une montée du niveau des mers de 20 cm environ au XXème siècle, ce qui constitue une rupture par rapport au niveau relativement stable observé au cours des deux précédents millénaires.

Les activités humaines, il n’y a plus aucun doute sur ce point, sont responsables de l’augmentation des teneurs en gaz à effets de serre dans l’atmosphère. Les concentrations actuelles en dioxyde de carbone, méthane ou oxyde nitreux sont exceptionnelles par rapport aux résultats des enregistrements effectués par carottes de glace qui permettent de mesurer ces concentrations sur plus de 800 000 ans.

Depuis la fin de la période préindustrielle, en 1750, la concentration en dioxyde de carbone a augmenté de 40 %, en premier lieu du fait de la combustion d’énergies fossiles, et en second lieu du fait des changements d’usage des sols, en particulier la déforestation. L’océan a absorbé environ 30 % de nos émissions de dioxyde de carbone, ce qui a conduit à l’acidification de l’eau.

S’agissant de l’influence des activités humaines sur le climat, nous constatons l’effet réchauffant des gaz à effet de serre et un léger effet refroidissant, plus incertain, lié aux particules de pollution. Pour vous donner un ordre de grandeur, l’effet réchauffant net lié aux activités humaines a été détecté dès 1950. Cet effet a doublé entre 1950 et 1980, pour doubler à nouveau entre 1980 et 2011.

L’influence humaine sur le système climatique est donc clairement établie. L’homme agit sur les échanges d’énergie entre la terre et l’espace. L’impact des activités humaines sur le climat se traduit par le réchauffement observé de l’atmosphère et des océans, l’augmentation de la quantité de vapeur d’eau dans une atmosphère plus chaude, la transformation des glaces, la montée du niveau des mers et la survenue d’événements climatiques extrêmes : vagues de chaleur, fortes précipitations.

Le 5ème rapport renforce le constat de l’impact de l’homme sur le climat. Nous en concluons qu’il est extrêmement probable que l’influence humaine ait été la cause principale du réchauffement observé depuis 1950.

J’en viens aux risques futurs. Évaluer les conséquences futures des activités humaines sur le climat nécessite des travaux de modélisation qui sont établis à partir de différents scénarii.

Selon le premier scénario, à savoir la mise en place rapide, dans les vingt prochaines années, d’un contrôle mondial des émissions de gaz à effets de serre, celles-ci disparaîtraient quasiment à l’horizon 2060. Ce scénario, qui repose sur des politiques climatiques, est le plus bas.

Le scénario haut – la poursuite d’une consommation croissante d’énergies fossiles au niveau mondial – aurait pour conséquence de multiplier par quatre l’impact des activités humaines sur les échanges de rayonnement. Je précise que c’est le scénario que nous avons suivi, en termes de consommation d’énergies fossiles, au cours de la dernière décennie.

Dans le scénario le plus bas, nous pourrions, avec un degré de confiance élevé, connaître un réchauffement de l’ordre de 2 degrés, peut-être même inférieur, par rapport au climat de la période préindustrielle, et qui plafonnerait à partir de 2050.

Dans tous les autres scénarios, nous serions confrontés à un réchauffement supérieur à 2 degrés et qui se poursuivrait au-delà de 2100. Dans le scénario le plus haut, nous atteindrions 4 degrés de réchauffement en 2100.

Ce changement est exceptionnel par rapport à l’histoire du climat des derniers millions d’années et il est extrêmement rapide. Pour vous donner un ordre de grandeur, le dernier changement le plus rapide que nous connaissons est une augmentation de 4 degrés entre un climat glaciaire et un climat chaud, mais cette augmentation s’est produite à un rythme de 1,5 degré par période de mille ans.

Ce changement affectera en outre profondément le cycle de l’eau. Il augmentera les contrastes en provoquant des précipitations plus abondantes dans les régions humides et moins abondantes dans les régions sèches, en particulier celles qui bénéficient d’un climat méditerranéen. Nous envisageons également l’aggravation des phénomènes extrêmes – vagues de chaleur, fortes précipitations, tempêtes tropicales.

Ce changement de température se manifestera également au niveau des océans en accélérant la fonte des glaces. Dans le scénario haut, l’Océan Arctique sera libre de glace en été à l’horizon 2050, tandis que, dans le scénario bas, une couverture réduite de glace de mer sera maintenue sur l’Océan Arctique.

Quant au niveau moyen des mers, selon le scénario le plus bas il continuerait à monter, et plus vite qu’au XXème siècle, pour atteindre 40 cm en 2100 selon l’estimation la plus probable. Dans le scénario haut, l’estimation la plus probable situe autour de 75 cm l’augmentation du niveau des mers à l’horizon 2100, et l’on ne peut exclure que celle-ci atteigne un mètre.

Cette montée du niveau des mers, du fait de l’inertie de l’océan et de la réponse dans le long terme des calottes de glace, se poursuivrait, dans le scénario haut, pour se situer entre 1 et 3 mètres à l’horizon 2300.

Plus nous émettrons de dioxyde de carbone, plus nous acidifierons les océans. Dans le scénario le plus bas, le PH de l’eau continuerait à baisser au même rythme qu’actuellement ; dans le scénario le plus haut, nous aurions une perte de PH de 0,3 unité, soit 1 000 fois plus d’ions hydrogènes dans les océans, ce qui aurait des conséquences difficiles à anticiper sur les écosystèmes marins.

L’élément le plus important de ce rapport est qu’il fait apparaître une relation linéaire entre le cumul des émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effets de serre et l’évolution des températures. Cela signifie que le cumul des émissions passées, présentes et futures détermine l’évolution du climat. Nous pouvons donc relier le contrôle des températures au cumul des émissions admissibles. En d’autres termes, si nous voulons limiter le réchauffement à 2 degrés, le cumul d’émissions admissibles doit être de l’ordre de 800 gigatonnes de carbone. Or nous avons déjà émis 515 gigatonnes et le rythme actuel des émissions est de 10 gigatonnes par an. Si nous ne changeons rien, d’ici 20 à 30 ans, nous connaîtrons donc inéluctablement un réchauffement de plus de 2 degrés.

Enfin, et nous n’en avons pas nécessairement conscience, une part du changement climatique est irréversible par rapport à la durée d’une vie humaine. En effet, 20 % des émissions actuelles de dioxyde de carbone continueront à produire un effet sur le climat dans plus de 1 000 ans.

M. Philippe Dandin, anciennement directeur de la climatologie à Météo-France. L’action de Météo-France en matière d’étude du climat est double.

L’établissement public a reçu une mission de mémoire du climat – dire le temps qu’il a fait hier, il y a dix ou cent ans. À ce titre, nous servons différents utilisateurs de l’information météorologique et nous fournissons aux organismes de recherche des éléments de diagnostic recueillis en métropole et outre-mer.

L’autre aspect du travail de Météo-France est lié aux travaux de modélisation et aux recherches sur le climat effectués au Centre national de recherches météorologiques de Toulouse, qui dépend de Météo-France et du CNRS, et au sein duquel nous participons, aux côtés de nos collègues de l’Institut Pierre Simon Laplace, aux travaux que vous ont présentés les intervenants précédents.

Comment se traduiraient, en France, les chiffres présentés dans le rapport du GIEC ? Notre pays suit une trajectoire parfaitement similaire à celle présentée dans le 5ème rapport. Nous avons observé au XXème siècle une augmentation de 1 degré sur le territoire métropolitain, qui s’est accélérée de 0,3 à 0,5 degré au cours des trois dernières décennies. Nous avons connu récemment des années record comme l’année 2011, la plus chaude jamais enregistrée en métropole, qui constitue une anomalie par rapport à la normale calculée sur la période 1961-1990.

J’attire votre attention sur ces chiffres. Lorsque l’on considère une moyenne globale de température, une augmentation de quelques degrés peut paraître peu significative, mais plus nous régionalisons le diagnostic et les projections climatiques à l’échelle de notre continent, de notre pays, voire de nos régions, plus les augmentations sont marquées, tout comme les variabilités entre les saisons. Pour vous donner un ordre de grandeur, la canicule de 2003 est une anomalie de 3,1 degrés par rapport aux normales saisonnières.

Il existe naturellement des disparités régionales sur notre territoire, sans même parler de l’outre-mer. Les températures minimales, qui sont un paramètre important pour la santé publique, ont évolué en France, au XXème siècle, de 0,9 degré  à 1,5 degré dans les régions du Nord-ouest – Bretagne, Normandie, Nord. Les outre-mer ont connu la même évolution, avec une particularité liée à leur environnement océanique.

Les températures sont l’élément le plus robuste du diagnostic et des projections obtenues par modélisation, mais le diagnostic est beaucoup plus difficile à établir en matière de précipitations et de tempêtes, en dépit de la richesse des informations dont la France dispose dans le domaine météorologique. Ainsi au XXème siècle, la moyenne annuelle des précipitations a augmenté de 10 %, avec des disparités saisonnières marquées par une augmentation en hiver, ce qui prédispose à la survenue d’inondations, et une diminution en été, ce qui prédispose aux sécheresses. Ces phénomènes illustrent l’amplification des extrêmes que l’on commence à bien mesurer et à mieux comprendre.

Il reste des paramètres et des phénomènes pour lesquels, par manque de recul historique, nous n’avons pas la possibilité de détecter un quelconque signal d’évolution. Cela ne veut pas dire qu’il faut cesser d’accumuler des informations. Météo-France s’est ainsi engagé à rechercher une mémoire du climat dans le cadre du Plan national d’adaptation au changement climatique et dans le contrat d’objectifs et de performance qui lie l’établissement à son ministère de tutelle.

S’agissant des projections, nous avons obtenu le même signal, en ce qui concerne la France et les territoires ultramarins, que celui présenté dans le rapport du GIEC, mais avec des variations plus importantes.

M. Alexandre Magnan, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). J’évoquerai la situation des outre-mer avant d’aborder les adaptations au réchauffement climatique.

Les outre-mer français sont caractérisés par des configurations spatiales extrêmement variées qui couvrent un large gradient latitudinal. Cette grande diversité de situations complexifie grandement les travaux de modélisation climatique. La bonne nouvelle, c’est que nous disposons ainsi d’excellents observatoires des changements environnementaux liés au changement climatique.

En 2012, l’ONERC a publié la première synthèse sur les impacts potentiels du changement climatique dans l’ensemble des outre-mer et pour différents secteurs socio-économiques et environnementaux.

Outre-mer, le changement climatique intergit avec d’autres processus climatiques que nous ne maîtrisons pas encore très bien – je pense au phénomène El Nino dans le Pacifique – et amplifie les phénomènes extrêmes.

L’incertitude climatique est normale, mais les scientifiques qui travaillent sur la question des impacts et de la vulnérabilité affirment que le changement climatique exacerbera des problèmes que nous connaissons déjà et qui sont liés à des modes de développement non soutenables.

On peut établir un parallèle entre le processus de changement climatique et le processus d’anthropisation et de développement  – densification de l’urbanisation, essentiellement sur le littoral dans les outre-mer, densification de l’occupation des sols occasionnant une dégradation qualitative et quantitative des ressources, et plus généralement une perturbation des activités économiques, notamment l’agriculture, la pêche et le tourisme. Mais des opportunités de développement peuvent aussi émerger. Le changement climatique pose problème à nos sociétés dans la mesure où il obligera fatalement à un redéploiement des activités et des stratégies d’exploitation des ressources, de conservation et de développement.

Dans ce contexte, les incertitudes ne sont pas une barrière infranchissable. Deux grands groupes de solutions existent en matière d’adaptation : celles qui existent et celles qui restent à inventer. Parmi celles-ci, je citerai le développement d’énergies renouvelables qui tiennent compte des évolutions futures de l’environnement, ou, dans le domaine du tourisme, la diversification de l’offre.

Mais de nombreuses solutions existent déjà, et c’est un message qui n’est pas suffisamment diffusé. Il faut d’abord poser un principe de base, « commencer par faire bien ce qu’on fait mal », c’est-à-dire cesser d’aggraver les problèmes qui se poseront dans le futur. Les scientifiques appellent cela « éviter la maladaptation aux changements climatiques ». C’est une première étape fondamentale du processus d’adaptation.

Dans le domaine de l’aménagement du littoral, il est ainsi indispensable de protéger les écosystèmes qui jouent un rôle tampon face à la mer et aux vagues – récifs coralliens, dunes de sable, mangroves – et de mettre fin à l’urbanisation des zones qui présentent un risque de submersion.

Les efforts de modélisation climatique doivent être poursuivis. Mais l’incertitude climatique n’est pas un frein à la prise de décision et à l’action parce que nous avons déjà une expérience, notamment dans le domaine des risques naturels, et c’est une bonne nouvelle.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Quels conseils pourriez-vous donner aux membres de la mission d’information sur les conséquences du réchauffement climatique pour que l’Assemblée nationale aborde dans de bonnes conditions le sommet de 2015 ?

M. Denis Baupin. Je remercie les intervenants de nous avoir rappelé la gravité du constat établi par le 5èmerapport du GIEC. Les précédents rapports en faisaient déjà état, mais nous n’avons rien fait et la situation s’est aggravée, comme en témoignent les récents événements climatiques. Les pires scénarii sont en train de se réaliser : le climat se dérègle progressivement et cela a des conséquences extrêmement graves pour des pays déjà très fragiles. Mais face à cette situation, nous l’avons constaté à Varsovie, certains États sont incapables de prendre des décisions.

La tenue de conférences successives peut donner le sentiment que rien n’avance, mais certains pays, comme les États-Unis et la Chine, commencent à faire évoluer leur politique en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, ce qui est positif. En revanche, l’Europe, qui pendant longtemps s’est prétendue à la pointe de la lutte contre le dérèglement climatique, n’est plus exemplaire en la matière. Elle doit le redevenir.

L’engagement que nous avions pris dans le paquet énergie-climat de réduire de 20 % nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020 sera largement atteint, ne serait-ce que parce que nous traversons une crise économique : en 2020, nos émissions devraient ainsi être réduites de 24 %. Si l’Europe veut donner un signal à la communauté internationale, elle doit fixer un objectif plus ambitieux, qui pourrait être une réduction de 30 % des émissions en 2020, comme cela était prévu, et pourquoi pas de 50 % à l’horizon 2030. Ce pourrait être l’objet du sommet européen qui se tiendra en mars prochain sur la politique climatique et énergétique. En tant que parlementaires, nous devons adresser ce signal aux États européens et à notre propre Gouvernement.

M. Philippe Plisson. La COP 19 – Conférence des parties – qui s’est déroulée à Varsovie a été conclue sur un accord caractérisé par un grave manque d’ambition, après le départ fracassant des ONG qui entendaient ainsi manifester leur désapprobation.

Le seuil de basculement irréversible des écosystèmes se rapprochant dangereusement, il devient urgent de se mettre en ordre de marche. Avez-vous la certitude qu’il existe un lien entre les activités humaines et l’accroissement des températures constaté depuis 1950 ?

Pouvez-vous d’ores et déjà statuer sur les conséquences du réchauffement, qui sera probablement compris entre 0,3 et 0,7 degré pour la période 2016-2035, et son coût pour la société, ou faudra-t-il attendre la synthèse des rapports des différents groupes ? Dans ce cas, à quelle date sera publiée cette synthèse ?

Quelles seront les conséquences les plus importantes du réchauffement climatique en France et en Europe au cours de ce siècle ?

Le risque d’emballement du changement climatique lié au relâchement du clathrate de méthane par le permafrost ou le fonds océanique est-il pris en compte dans votre rapport ? Une unité japonaise est en bonne voie pour exploiter des gisements de clathrate de méthane. Quelles conséquences cette exploitation pourrait-elle avoir sur le climat ?

Dans son rapport, le GIEC introduit la notion de géo-ingénierie, ce qui ouvre la voie à des méthodes de lutte contre le réchauffement climatique mais pas à la réduction des émissions. Quelles sont les limites de ces préconisations ?

Plus généralement, au vu des résultats des négociations climatiques, ne faut-il pas définitivement réduire les ambitions affichées et abandonner le scénario RCP 2.6, au profit du scénario RCP 8.5, plus réaliste ?

Enfin, après les échecs des conférences successives, que préconisez-vous, sur le fond et sur la forme, pour que la COP 2015, qui se tiendra à Paris, ne débouche pas sur la catastrophe annoncée ?

M. Martial Saddier. Les députés du groupe UMP vous remercient, madame, messieurs, pour votre présence et la qualité de vos interventions.

Je tiens avant tout à témoigner de l’engagement et de la sensibilité de mes collègues de l’UMP sur ce sujet de l’évolution du climat. En leur nom, je salue la communauté scientifique pour la qualité des documents qu’elle met à la disposition des décideurs, publics et privés.

Nous vous remercions, monsieur le président, pour la mise en place de la mission d’information sur les conséquences des changements climatiques. Nous sommes d’autant plus satisfaits que nous en avions aussi eu l’idée. Vous pouvez compter sur l’engagement des députés UMP. Quant le projet de loi sur la transition énergétique sera-t-il inscrit à l’ordre du jour du Parlement ?

Le constat des scientifiques est sans appel : la montée des températures, le réchauffement et l’acidification des océans, le recul des glaciers, l’élévation du niveau des mers et la multiplication d’événements extrêmes sont une réalité due aux activités humaines. Malheureusement, le Protocole de Kyoto, qui couvrait 33 % des émissions de gaz à effets de serre, n’en couvre plus que 15 %. Quels conseils pouvez-vous donner à la France pour que la Conférence de 2015 débouche sur un engagement ?

En ce qui concerne l’impact des activités humaines, pouvez-vous être plus précis sur le volet énergétique et la production d’électricité, qui est une source d’émissions de gaz à effet de serre ?

Pouvez-vous nous en dire plus sur la pollution de l’air, qui fait l’objet d’un contentieux européen et représente un vrai défi de santé publique ? Je pense aux particules fines et à l’ozone qui auront des incidences sur l’évolution du climat.

Enfin, pouvez-vous illustrer concrètement ce qui se passera pour les stations de ski, les villes, les campagnes, l’agriculture, les mers et les océans si nous n’arrivons pas à enrayer l’évolution du climat ?

M. Bertrand Pancher. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette rencontre, et je remercie les personnalités qui nous font l’amitié de leur présence.

Cette table ronde nous rappelle que si nous ne faisons rien, un drame absolu se produira à très court terme. Les chiffres que vous avez cités, et qui méritent d’être rappelés en permanence, font froid dans le dos. L’augmentation du niveau des océans de près d’un mètre en 2100 serait une catastrophe économique, humaine et environnementale que l’humanité n’a jamais connue.

Pourtant des solutions simples existent. Mais comment ne pas être frappé par l’absence de mobilisation de la communauté internationale ? J’ai assisté à plusieurs conférences internationales : j’en sors de plus en plus pessimiste. Je me demande comment nous ferons de celle de 2015 un succès, ou tout au moins un début de succès.

Si nous ne bougeons pas c’est parce que les grands pays développés, dont la France, sont tétanisés à l’idée de changer leur modèle de développement. Nous sommes tellement arc-boutés sur le développement économique, coûte que coûte et par tous les moyens, que nous en oublions l’essentiel.

Je fais partie de ceux qui pensent que si nous ne réussissons pas à mobiliser l’opinion publique, nous ne ferons rien, ni sur le plan européen ni sur le plan national. Ces dernières années ont démontré que la mobilisation française et européenne pouvait nous engager vers des modèles vertueux. Nous avons ainsi dépassé nos objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre : notre pays et l’Union européenne doivent continuer à s’engager dans ce modèle vertueux et montrer l’exemple en proposant un objectif de réduction de 50 % de l’émission des gaz à effet de serre à l’horizon 2030. En effet, si tel n’est pas le cas,  les ONG prétendent que nous n’arriverons pas à une décarbonisation totale en 2050. Pouvez-vous confirmer ces informations ?

Nous devons mettre en place des règles de bonne gouvernance, notamment en instaurant la taxe carbone à l’intérieur des frontières européennes pour inciter les grands pays émergents à faire de même.

Quelles seront les conséquences du changement climatique pour les agriculteurs, le tourisme, les habitants des zones littorales ?

Comment sensibiliser les opinions publiques et l’ensemble des leaders aux conclusions de votre rapport ? Comment pourrions-nous diffuser ces informations sur l’ensemble du territoire ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre mission d’information devra contribuer à cette action de sensibilisation. Je rappelle que nous disposons désormais d’un plan d’adaptation au réchauffement climatique. Nous aurons l’occasion ultérieurement de faire le point sur ce dossier.

M. Patrice Carvalho. J’étais parmi les parlementaires ayant accompagné le ministre de l’écologie Philippe Martin au sommet de Varsovie, qui devait préparer celui qui se tiendra à Paris en 2015. La tâche sera rude. Des engagements avaient déjà été pris au cours de sommets précédents, notamment à celui de Copenhague qui avait fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici à la fin du siècle. Or, au rythme actuel d’émissions, nous atteindrons les 4,6 degrés.

Une aide de 100 milliards de dollars avait été promise aux pays du Sud pour leur permettre de réduire leurs émissions de CO2 et s’adapter aux impacts du changement climatique. Il semble qu’ils n’aient encore rien reçu. Qu’en pensez-vous ?

Le rapport du GIEC montre pourtant qu’il y a urgence à agir, et le typhon qui vient de ravager les Philippines est une nouvelle alerte. Les océans se sont élevés de 19 cm entre 1901 et 2010, et cette hausse pourrait atteindre 26 à 98 cm avant 2100. Une grave menace pèse sur les zones côtières les plus peuplées comme New York, Miami ou Bombay. L’augmentation de la température des océans et l’intensité des pluies va multiplier les cyclones. Enfin, les vagues de chaleur ou de froid comme en ont connu l’Europe en 2003 et les États-Unis en 2012 seront de plus en plus fréquentes.

Le 5ème rapport du GIEC confirme le diagnostic : les activités humaines ont une responsabilité dans ce changement climatique. Pourtant la dérive se poursuit. Ainsi, la part du charbon dans les émissions de CO2 s’élève à 44 %. Depuis 2000, la production globale de charbon a progressé de 70 % pour atteindre 16,9 milliards de tonnes par an. Le charbon est l’énergie privilégiée non seulement par les pays émergents, mais aussi par les Allemands qui ouvrent des centrales à charbon pour compenser la fermeture de leurs centrales nucléaires. Ce rapport est un cri d’alarme qu’il serait urgent d’entendre avant le sommet de Paris en 2015.

Permettez-moi une question : quels seront les effets de l’augmentation de l’acidité des océans sur la faune et la flore ?

M. Jacques Krabal. Je remercie le président d’avoir prévu cette table ronde quelques jours après notre retour de Varsovie.

Madame, messieurs, je salue le travail formidable que vous avez accompli, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de vos souhaits. Vous avez rappelé que vous ne faites que formuler un diagnostic, à charge pour d’autres de prendre les décisions qui s’imposent.

Au-delà des résultats obtenus à Varsovie, nous devrions nous inquiéter, nous parlementaires, de voir que les décisions que nous prenons ne s’inscrivent pas toujours dans une démarche de limitation du réchauffement climatique.

Nous devons insister sur la gravité de la situation et dénoncer l’aggravation perpétuelle du phénomène. Comme le soulignait Stéphane Hessel, « Le dérèglement climatique s’aggrave et s’accélère, mettant à mal dès aujourd’hui les populations les plus pauvres de la planète et à moyen terme les conditions de vie civilisées sur terre ».

Les rapports de la Banque mondiale publiés le 18 novembre dernier avancent des chiffres alarmants : 2,5 millions de morts en 30 ans à cause du climat, 4 000 milliards de dollars de dommages causés par les événements climatiques extrêmes. Il ne faut pas remettre à plus tard la baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Pourtant, force est de constater que nos besoins d’énergies fossiles ne cessent d’augmenter, que nous redémarrons des centrales à charbon, que nous nous lançons dans l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. À ce propos, j’espère que notre ministre de l’écologie ne signera pas les permis de recherche en Seine-et-Marne et dans l’Aisne.

Je crains que la crise économique ne soit un prétexte, ici et ailleurs, pour diminuer l’effort engagé de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi ne pas envisager de changer de modèle de développement économique ?

Quel regard portez-vous sur la COP 19 ? Qu’en avez-vous retenu ? Peut-on espérer accroître les financements destinés à la lutte contre le réchauffement climatique dans un contexte économique défavorable ? Comment conjuguer croissance économique et réduction des gaz à effet de serre ? Quelle fiscalité écologique mettre en place ?

Je m’adresse à MM. Dandin et Magnan : si nous ne faisons rien ou pas plus, quelles seront demain les conséquences du réchauffement pour notre planète ? Comment l’étude du climat peut-elle éclairer notre futur ? Quels impacts réels aurait le réchauffement sur la vie ?

Monsieur Magnan, que recouvre le concept de « maladaptation aux changements climatiques » ?

Enfin, madame Masson-Delmotte, quelle pédagogie devons-nous adopter pour que la COP 21 de Paris soit une réussite ?

M. Philippe Noguès. Je remercie à mon tour les intervenants pour leur présence ainsi que pour la pédagogie et l’effort de vulgarisation dont ils font preuve. Le 5ème rapport et l’écho qu’il a pu trouver auprès des dirigeants du monde m’inquiètent. Alors même qu’il est confirmé que les activités humaines sont responsables du réchauffement climatique, nous nous engouffrons dans une crise écologique sans précédent dont personne ne maîtrise avec précision les impacts financiers et humains.

Les conclusions de la COP de Varsovie viennent assombrir le tableau. L’Australie et le Japon ont d’ores et déjà reculé sur les engagements qu’ils avaient pris en 2009, et les États-Unis refusent de parler d’« engagement » de réduction de l’émission de gaz à effets de serre, préférant évoquer une « contribution ». Les négociations portant sur le caractère juridiquement contraignant d’un accord qui s’appliquerait à tous sont au point mort. Et la commissaire européenne à l’action pour le climat nous a souhaité  « bon courage » pour l’organisation de la COP 21 à Paris.

En France, le tableau est peut-être un peu moins sombre, mais à quel prix ? Sans m’étendre sur le coût de fonctionnement de notre parc nucléaire, je constate que nous ne sommes pas capables de démanteler une seule centrale en France, et les récents événements de Fukushima nous ont démontré, si cela était nécessaire, notre vulnérabilité face à une technologie à très haut risque.

Que proposerons-nous demain si nous ne prenons pas rapidement conscience de l’urgence de la transition énergétique et de la nécessité de nous doter des moyens techniques, humains et financiers nécessaires pour développer sans modération les énergies renouvelables qui représentent, je le déplore, une part marginale de notre production énergétique ? Si nous ne le faisons pas, il nous restera peut-être l’autre solution, celle qui consiste à construire des digues, des arches, des bunkers et des abris anti-nucléaires. Auquel cas, il faut faire vite ! Mais je suis peut-être trop pessimiste…

M. Jacques Kossowski. J’ai été surpris par les résultats d’un baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat publié le 2 août dernier par le Commissariat général du développement durable. Selon cette enquête, 35 % de nos compatriotes sont climato-sceptiques et nient les conclusions du GIEC sur le sujet, 22 % considèrent que le changement climatique est une réalité mais qu’il n’est pas prouvé qu’il soit le résultat des activités humaines, 13 % doutent de la réalité du changement climatique et 4 % sont sans opinion. Certes, une majorité de Français – 61 % – est convaincue de la réalité du changement climatique et considère qu’il est dû aux activités humaines.

Un tel niveau de scepticisme ne remet-il pas en cause la communication publique des travaux des scientifiques du GIEC ? Car s’il est essentiel de rédiger un rapport, encore faut-il que ses conclusions soient massivement diffusées au sein de la population. Le Gouvernement a peut-être son rôle à jouer dans cette diffusion. Si nous voulons obtenir le consentement actif de nos compatriotes dans la lutte contre le réchauffement climatique, encore faut-il les convaincre qu’il est urgent de changer leurs habitudes de vie et de consommation.

Mme Sophie Errante.  Le rôle de poumon des forêts est essentiel en matière de lutte contre le réchauffement climatique. L’exemple de l’Amazonie, sur le territoire de la Guyane, montre qu’en séquestrant le carbone dans les sols et la biomasse, la forêt participe activement à la lutte contre le changement climatique.

Cette question était au cœur des discussions de la Conférence de Globe International qui s’est tenue la semaine dernière à Varsovie, parallèlement à la COP 19 et à laquelle j’ai eu l’opportunité de participer. À l’issue de cette conférence, de nombreuses questions restent sans réponse, comme celle de la valeur du service rendu par la nature. Comment calculer le prix du service rendu par les forêts qui captent les émissions de gaz à effets de serre ? Qui doit payer, et combien ? Comment calculer l’impact sur la santé et l’économie  de l’absence de considération du réchauffement climatique ?

M. Guillaume Chevrollier. Ma question s’adresse à M. Magnan. Les différents scénarii, même les plus favorables, prévoient que le réchauffement climatique va entraîner des perturbations considérables. Vous affirmez que les sociétés développées n’y sont pas nécessairement moins vulnérables que les autres.

On pourrait pourtant croire que les pays riches sont les plus aptes à se protéger des aléas climatiques puisqu’ils sont informés des conséquences et que les risques naturels sont identifiés. Pouvez-vous nous expliquer votre affirmation ?

M. Philippe Bies. Les derniers travaux du GIEC confortent le constat du réchauffement climatique et du rôle des activités humaines dans ce dernier. La réduction durable des émissions de gaz à effet de serre constitue un défi majeur pour les pouvoirs publics.

Au plan international, la France accueillera en 2015 la 21ème conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Elle devra porter haut l’engagement de réduction des émissions et peut-être proposer une nouvelle méthode de travail permettant d’obtenir de meilleurs résultats.

Au plan national, le Gouvernement s’est engagé à déposer une loi-cadre sur la biodiversité ainsi qu’une loi sur la transition énergétique. Cette dernière devrait encourager le développement des énergies renouvelables qui est le corollaire de la diminution de notre dépendance aux énergies nucléaire et fossiles.

Au plan local, les collectivités fédèrent de plus en plus les acteurs privés et publics au travers des plans climat-énergie et des contrats de performance énergétique. Ces instruments sont efficaces mais insuffisants. Nous savons que les financements innovants joueront un rôle moteur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Quelle doit être, selon vous, la stratégie française en la matière, non seulement dans les négociations internationales, mais aussi au niveau local pour mettre à la disposition des collectivités territoriales de nouveaux outils ?

M. Jean-Marie Sermier. Tout d’abord, je souhaiterais faire part de mon étonnement : tous les groupes parlementaires étaient-ils représentés à la conférence de Varsovie comme le voudrait le consensus qui existe sur le sujet ?

Je suis dubitatif : la France serait le seul pays vertueux tandis que les autres pays ne s’intéresseraient pas au problème du changement climatique – le Japon a réduit ses objectifs, les États-Unis sont sceptiques et la Chine est indifférente. Comment expliquez-vous que les gouvernants de ces pays ne soient pas sensibles à vos arguments ? Serait-il possible que certains dirigeants internationaux soient, à l’instar des Français évoqués précédemment, climato-sceptiques ?

On sait que les émissions de CO2 proviennent principalement des énergies fossiles. Quel serait l’impact d’une modification de la capacité de production d’énergie nucléaire sur les changements climatiques ? Avez-vous élaboré un scénario avec le nucléaire et un autre sans  le nucléaire ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. Bernard Deflesselles était, me semble-t-il, membre de la délégation parlementaire à Varsovie pour le groupe UMP, de même que M. Julien Aubert. Pour la prochaine conférence à Lima, je céderai s’il le faut ma place à un représentant du groupe UMP. (Sourires)

M. Jean-Pierre Vigier. Madame, messieurs, je vous remercie pour vos exposés qui dressent un constat alarmant. La conférence de Varsovie, loin d’être un succès malgré quelques avancées, a abouti à un accord minimal. Plusieurs pays émergents ont fermement refusé d’inscrire dans le document final le terme d’engagement, lui préférant celui plus équivoque de contribution. Pour l’Union européenne en revanche, l’engagement est le seul moyen de progresser dans la lutte contre l’effet de serre.

Comment, dans ces conditions, peut-on espérer un succès de la conférence de 2015 à Paris ? Comment peut-on imposer aux pays émergents des mesures de limitation de leurs émissions de gaz à effet de serre ?

M. François-Michel Lambert. Vous avez mis en évidence le lien entre l’hyperexploitation des ressources et le réchauffement climatique. Le commissaire européen, M. Potočnik, a évoqué l’urgence à passer d’un modèle de gaspillage à un modèle de préservation des ressources. Avez-vous évalué les conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre du gaspillage des matières premières et celles d’un modèle de développement vertueux fondé sur l’économie circulaire ?

Les subventions aux activités polluantes sont estimées à 50 milliards d’euros par an en France et entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars dans le monde. Que vous inspirent ces chiffres ?

Ne croyez-vous pas que nous sommes menacés d’une rupture de notre modèle de société, davantage que d’un glissement progressif ? La démographie, l’élévation du niveau de vie dans le monde, la raréfaction des ressources et l’aggravation des impacts climatiques en sont pour moi autant de signaux convergents.

M. Michel Heinrich. Votre constat est sans appel. Il est d’autant plus angoissant que l’Europe intensifie le recours aux centrales thermiques. J’ai été frappé par les commentaires, après la publication du rapport du GIEC, qui continuent à mettre en doute la corrélation entre réchauffement climatique et émissions de gaz à effet de serre.

M. Laurent Furst. La consommation des trois énergies fossiles – gaz, pétrole et charbon – est, avec le développement de l’agriculture, la principale responsable du changement climatique. Or, le seul élément susceptible de la limiter est le prix. Tant qu’une régulation ne sera pas mise en place, il n’y aura aucune politique mondiale de lutte contre le réchauffement climatique digne de ce nom… Le reste relève de la philosophie.

Comment peut-on mettre en place une régulation de la production et de la consommation de ces énergies ? L’intérêt économique de la France rejoint les exigences de la lutte contre le changement climatique pour imposer des politiques alternatives puisque 70 % de l’énergie sont aujourd’hui importés.

M. Jean Jouzel. Nous ne sommes pas armés pour répondre à toutes vos questions. Vous devriez interroger les spécialistes des impacts et les économistes – je pense à Roger Guesnerie, Jean-Charles Hourcade et Franck Lecocq – qui travaillent avec nous. Eux aussi réfléchissent aux positions que la France pourrait défendre dans les négociations.

Je suis d’abord un chercheur qui travaille à partir de données du passé nous renseignant sur le fonctionnement du système climatique. Mais, outre le rapport du GIEC, j’ai participé au Grenelle de l’environnement comme responsable du thème « énergie et climat » avec Nicholas Stern ainsi qu’au débat sur la transition énergétique au titre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour lequel je prends part à la rédaction d’un avis sur l’adaptation au réchauffement climatique.

Je vais répondre sur quatre points : la conférence de 2015, le rôle des activités humaines dans le changement climatique, les problèmes de communication et le nucléaire.

S’agissant de la conférence de 2015, je rappelle que nous sommes dans la deuxième phase du protocole de Kyoto qui prendra fin en 2020. L’Europe est aujourd’hui presque la seule à appliquer celui-ci puisque le Japon, le Canada et l’Australie ont annoncé à Varsovie qu’ils ne tiendraient pas leurs engagements. Après Bali en 2007, qui fut une date importante, et Copenhague en 2009, qui a substitué à l’objectif qualitatif un objectif quantitatif « tout faire pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés », la conférence de Durban a débouché sur la mise en place d’une plateforme. Les Chinois ont joué un rôle majeur dans le dénouement tardif de cette conférence en acceptant de commencer un cycle de négociations en vue d’un accord pour l’après 2020 qui engage tous les pays, alors que le protocole de Kyoto n’engage que les pays développés.

La conférence de 2015 comporte deux volets : le premier, souvent oublié, consiste à renforcer immédiatement les ambitions de réduction des émissions. Il est en effet avéré que seul un changement de modèle de développement dans la décennie à venir permettra de respecter la trajectoire d’un réchauffement inférieur à deux degrés. Il y a un fossé entre la trajectoire actuelle et celle vers laquelle nous devrions tendre. Nous savons déjà que les émissions sont supérieures de 15 à 20 % à ce qu’elles devraient être pour respecter l’objectif de 2020.

Le second volet porte sur la conclusion d’un accord qui engage tous les pays.

Les parlementaires ont un rôle actif à jouer dans la préparation de la conférence de Paris, pour laquelle Ban Ki-moon a déjà convoqué les chefs d’État en septembre prochain. Avant Paris, d’autres étapes intéressantes sont prévues, dont la conférence de Lima.

Pour préparer la COP 21, un comité se réunit régulièrement sous la présidence de Laurent Fabius. Outre les trois ministres – MM. Laurent Fabius, Pascal Canfin et Philippe Martin – il rassemble M. Pierre-Henri Guignard, qui en est le secrétaire général, M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, M. Nicolas Hulot, ambassadeur pour la planète, Mme Laurence Tubiana, M. Pierre Radanne, M. Ronan Dantec, M. Hervé Le Treut et moi-même. La prochaine réunion portera sur l’implication de la société civile. L’intervention de trois ministres dans l’organisation de cette conférence risque néanmoins de rendre la tâche difficile.

Je suis personnellement très attaché à l’implication de la communauté scientifique. Nous proposerons l’organisation d’une grande conférence début 2015, comme cela avait été fait à Copenhague. Le CESE devra aussi s’impliquer, de même que les parlementaires. Je vous remercie donc de nous avoir invités à discuter avec vous. On ne réussira pas 2015 si on n’attire pas les chercheurs, les jeunes et la société civile. Il y a beaucoup à faire et nous devons le faire ensemble.

Il faut savoir que la présidence joue un rôle dans les COP, même si la France n’est pas négociatrice puisque ce rôle est dévolu à l’Union européenne, et c’est d’ailleurs une bonne chose.

La conférence de Paris sera la seule réunion internationale importante en France sous la présidence de M. François Hollande. Nous devons tous nous mobiliser. Je suis sûr que les parlementaires pourront apporter beaucoup à cette conférence dans laquelle il est important que la France et l’Europe s’investissent fortement. L’adoption d’une loi ambitieuse sur la transition énergétique, répondant aux quinze enjeux identifiés du débat national, est un passage obligé. Une appréciation positive de cette loi à l’étranger crédibilisera la parole de la France. Il vous appartient donc de faire voter un texte à la hauteur des ambitions affichées. Le débat sur la transition énergétique, très riche, a fait apparaître des désaccords sur le nucléaire et les gaz de schiste.

La loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique du 13 juillet 2005 pose que la France soutient l’objectif d’une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés, qui correspond à la feuille de route de la conférence de Bali. Une division par deux des émissions mondiales à l’horizon 2050, sans nuire au développement, est possible et très souhaitable. Le coût de l’énergie dans nos importations – 70 milliards d’euros pour les combustibles fossiles – doit faire réfléchir.

Quant au rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique, les réponses sont, depuis le premier rapport du GIEC, chaque fois plus précises. Ce rôle a d’abord été qualifié de possible, ensuite de probable, puis de très probable dans le rapport de 2007. Aujourd’hui, le diagnostic est plus clair encore : il y a plus de 95 chances sur 100 pour qu’une part importante du réchauffement des cinquante dernières années soit liée aux activités humaines. Cette affirmation s’appuie sur des chiffres. Le réchauffement planétaire a été de 0,6 à 0,7 degré lors des cinquante dernières années quand il est presque le double en France. Nous faisons la part des causes naturelles – l’activité solaire, la variabilité naturelle, l’activité volcanique – mais elles ne représentent pas plus d’un dixième de degré de réchauffement. Les sept-dixièmes peuvent être expliqués par les activités humaines. En outre, tous les compartiments du système climatique se réchauffent, d’où des conséquences sur l’atmosphère, le niveau de la mer, la fonte des glaces.

Le diagnostic est aujourd’hui bien plus documenté et les arguments des climato-sceptiques sont minces. Personne dans la communauté scientifique ne remet en cause les conclusions du GIEC. La contestation n’a aucun fondement scientifique ; elle repose sur des considérations philosophiques. Malheureusement, ce sont celles-ci qui font que 30 % des Français restent climato-sceptiques. Le discours des sceptiques n’a rien à voir avec la réalité des faits. Dans le cadre du Haut conseil de la science et de la technologie que je préside, nous avons réfléchi à ce problème de perception. Il y a beaucoup à faire en matière de communication pour rétablir la confiance des citoyens dans le monde scientifique.

Enfin, s’agissant du nucléaire, je considère qu’il est normal de s’interroger, mais je ne suis pas antinucléaire. Il faut avoir en tête les chiffres suivants : le nucléaire mondial fournit 2 % de l’énergie finale et, même s’il connaît un développement sans frein, ce chiffre ne dépassera pas 6 %. À l’inverse, à l’horizon 2050, les énergies renouvelables permettraient de subvenir à 50% des besoins planétaires en énergie finale. Je plaide donc pour que la France investisse massivement dans les énergies renouvelables, car c’est là que les choses vont se passer dans les vingt ou trente prochaines années.

Mme Valérie Masson-Delmotte. Je revendique le scepticisme. Je suis rémunérée par de l’argent public non pas pour défendre une thèse, mais pour remettre en cause constamment l’état des connaissances.

L’action de l’homme sur le climat est l’objet d’un déni dont les causes sont multiples : absence de formation aux sciences du climat, fossé entre la perception quotidienne et le discours sur le climat, peur et impuissance. Ce déni porte parfois sur des faits avérés. C’est le cas pour l’action de l’homme sur la composition atmosphérique et son effet sur le climat, qui correspond à de la physique élémentaire. Or, le déni est alors en décalage complet avec les connaissances scientifiques.

Une présentation caricaturale laisse croire que seul le CO2 a une influence sur le climat, ce dont certains ne manquent pas de tirer argument pour contester les préconisations en matière de lutte contre le réchauffement. Or le système climatique est complexe. Il réagit à des facteurs naturels – soleil et volcans, avec un rôle déterminant pour ces derniers – et subit des fluctuations internes dont une part seulement est prévisible. Là encore, la formation et l’éducation sur le système climatique sont insuffisantes.

Le doute porte aussi sur le bien-fondé de l’urgence à prendre certaines mesures de court terme face aux conséquences d’un climat qui change. Cela demande selon moi d’une véritable réflexion politique.

Il est difficile pour les scientifiques de faire des recommandations à l’intention des politiques. Néanmoins, en tant que parlementaires, vous faites le lien entre le niveau national et le niveau local. Dans le même esprit, il serait utile de faire une synthèse nationale des plans territoriaux énergie-climat. Cette lecture serait intéressante pour les Français car elle permettrait d’identifier les vulnérabilités du territoire et les voies d’action.

La formation des élus est notoirement insuffisante, comme celle des professionnels. Quant à l’école, les enseignements manquent d’un fil conducteur.

Nous avons besoin d’une communication positive qui propose une stratégie en réponse à un constat qui est anxiogène. J’observe également un décalage croissant entre les élus et la jeunesse, faute de sensibilisation aux enjeux de long terme. La question du climat dépasse le temps d’un mandat et d’une vie humaine. Il faut parvenir à associer la jeunesse, à transmettre et à construire un lien entre les générations. Cette mobilisation de la jeunesse est également essentielle pour s’adresser à l’opinion publique.

Enfin, il ne faut pas séparer la question du climat des aspects sociaux et de l’emploi. Il s’agit non pas uniquement de sauver la planète, mais de construire un monde dans lequel on puisse vivre dignement et où le coût de l’action soit justement partagé. Il est évident que l’augmentation du prix de l’énergie est le seul levier efficace pour réduire la consommation. Mais comment faire appel à ce moyen de la manière la plus équitable possible, sans pénaliser ceux qui souffrent le plus aujourd’hui ? L’équité et la justice sociale sont indispensables.

Quant à l’impact de l’homme sur le climat, nous avons besoin de grands instruments d’observation et d’étude pour appréhender un système complexe. Cette science n’est pas disponible dans les pays pauvres. L’Afrique souffre d’un déficit de scientifiques du climat, ce qui pose problème pour réaliser l’adaptation locale. Il faut peut-être s’appuyer sur la francophonie pour transmettre les connaissances scientifiques et construire ensemble des moyens d’action communs pour surmonter les blocages nationaux.

Nous travaillons non pas sur les corrélations – aucun constat n’est fondé sur les corrélations entre gaz à effet de serre et climat –, mais sur la compréhension des processus en appliquant à un système complexe des lois de la physique bien établies.

La qualité de l’air, s’agissant de l’ozone et des particules, dépend des émissions. Dans un climat qui se réchauffe, la concentration d’ozone pourrait diminuer en surface. En revanche, plus les émissions de méthane sont importantes, plus la concentration d’ozone va augmenter. Dans les grandes villes, les pics de chaleur vont certainement augmenter la concentration ponctuelle en ozone et en particules fines, dont les effets importants sur la santé sont connus.

La question du dégel du permafrost, avec le risque de libération de gaz à effet de serre due au réchauffement des zones arctiques, est prise en compte dans le rapport du GIEC à partir de l’état des connaissances, qui demeure partiel. À l’horizon 2100, dans le scénario le plus haut, les rejets de méthane et de dioxyde de carbone pourraient représenter l’équivalent de 10 à 20 % des émissions humaines. Ces rejets de gaz à effet de serre viendront s’ajouter aux rejets actuels et occasionneront un réchauffement plus important. L’exploitation des hydrates de méthane sous-marins a-t-elle un impact ? C’est une source d’énergie fossile qui s’ajoutera aux autres.

M. Philippe Dandin. Je partage entièrement ce que vient de dire Mme Masson-Delmotte. Nous sommes engagés quotidiennement auprès des jeunes et de la société pour essayer de transmettre une part de nos savoirs.

Nous disposons d’éléments solides sur l’évolution des températures. En revanche, des incertitudes demeurent sur les précipitations. Nous alertons néanmoins sur la disponibilité de la ressource en eau du fait de l’évapotranspiration que provoque le réchauffement. Dans nos projections, la quasi-totalité du territoire pourrait, à la fin du XXIème siècle, connaître toute l’année une sécheresse similaire à celle de 1976. Dès la moitié du siècle, des zones importantes pourraient en être victimes. Quand on quitte les chiffres et les rapports pour faire appel à la mémoire – je pense à 1976 ou à l’épisode du printemps 2011 –, on peut éveiller l’attention et mettre en mouvement la société. Nous montrons parfois l’image d’agriculteurs appelant la pluie dans leurs prières devant un calvaire en 1976.

Notre premier travail consiste à parfaire la connaissance scientifique et à améliorer le diagnostic. Il y a dix ans, sur la carte d’évolution des précipitations par département, de nombreux départements n’étaient pas renseignés faute de données suffisamment solides, malgré une riche histoire météorologique. Nous avons entrepris un effort de reconquête qui s’apparente à de la paléoclimatologie dans les archives. Cet effort n’est possible qu’avec le soutien financier du mécénat, en complément du soutien institutionnel, en l’occurrence de la Fondation BNP Paribas.

Nous devons couvrir le territoire pour des raisons non seulement scientifiques, mais aussi politiques car certains élus nient la réalité. Or ces derniers doivent être de puissants relais d’opinion. Le message que nous portons est que notre devoir est de regarder la situation avec lucidité.

Les pays doivent s’adapter parce que le système climatique est en mouvement. L’adaptation consiste en une gestion des risques qui tienne compte d’échéances plus longues et plus complexes. En la matière, nous observons un fourmillement de bonnes volontés et d’actions qui demeurent isolées. Il manque une stratégie et une planification sur le modèle du plan que nous avons connu il y a quelques années.

Nous rencontrons des chargés de mission dans les collectivités territoriales, qui élaborent seuls dans leur coin des plans climat-énergie et nous appellent à la rescousse. Mais les climatologues ou les météorologues ne sont pas aptes à couvrir tous les champs des plans climat-énergie territoriaux. Ces chargés de mission sont parfois une manière de se donner bonne conscience.

Nous ne nous intéressons pas aux industriels et à ce qu’ils font dans ce domaine alors qu’eux ne peuvent pas se permettre de faire l’impasse sur l’analyse de tous les possibles.

Il faut accepter l’idée que l’adaptation a un coût, mais celui de la non adaptation est encore plus élevé. Il faut donc porter un nouveau regard sur nombre de secteurs de notre économie dont les activités ont un impact sur le climat.

Enfin, pour conclure, je veux répéter combien Météo-France est engagé en matière de changement climatique. L’établissement public travaille à cet effet en collaboration avec l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) et le Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (CERFACS), ainsi qu’avec toutes les communautés connexes à la météorologie, l’agronomie, l’hydrologie. Nous sommes en effet convaincus de la nécessité de renforcer la cohérence de l’action des organismes publics dans ce domaine. Nous avons ainsi créé une mission, baptisée « mission Jouzel » qui doit fournir une synthèse des scénarii climatiques pour la France métropolitaine et l’outre-mer. Nous souhaitons faire des projections sur l’ensemble du territoire des conclusions du GIEC, qui soient suffisamment unanimes et cohérentes pour être utilisées par tous les acteurs de l’action publique.

Nous ne sommes pas assez nombreux et devons encourager la participation de tiers capables de relayer l’information, d’être à vos côtés et aux côtés des industriels. Je n’ai malheureusement pas le temps de répondre à toutes les questions, mais si j’avais un seul mot à dire, ce serait : « plan ».

M. Alexandre Magnan. J’ai publié un livre dans lequel j’affirme que nous sommes tous vulnérables au changement climatique. La communauté internationale a tendance à penser que seuls les pays pauvres souffrent de vulnérabilité et que les pays développés n’y sont pas exposés. Réduire la vulnérabilité ne serait qu’une question de moyens. Cela est partiellement vrai. L’argent permet en effet de réduire les risques et de mettre en place des plans, mais il n’apporte pas une solution à tous les problèmes. Nos pays ne doivent pas se sentir à l’abri des impacts du changement climatique. Les pays plus pauvres, les atolls ou les territoires aux marges de l’Arctique, sont en première ligne car ils seront les premiers à subir les effets du changement climatique, mais cela ne signifie pas que les pays développés ne sont pas concernés. Nos exposés vous l’ont montré.

La « maladaptation » ne traduit pas une vision négative. Elle signifie que l’adaptation est une entreprise difficile. Au niveau local, les décideurs, qu’ils soient dans les entreprises ou dans les collectivités, sont confrontés à la même question difficile : comment développer une stratégie d’adaptation au changement climatique sans connaître les impacts précis de celui-ci ? Comment se préparer à l’inconnu ? Cette question est légitime et la réponse scientifique n’est pas claire.

Pour les milieux coralliens que je connais bien, nous pouvons expliquer aux décideurs : plus vous rejetez vos eaux usées sur les récifs, plus vous cassez les récifs pour construire des accès, plus vous perturbez la dynamique sédimentaire et plus vous serez confrontés à des problèmes d’érosion, plus vous limiterez la capacité des écosystèmes à répondre naturellement aux problèmes. Nous leur disons aussi : il y a une part d’incertitude, mais l’incertitude fait partie de votre métier. En outre, il y a aussi des certitudes sur la dégradation à l’œuvre du système climatique. L’idée de la « maladaptation » peut se résumer ainsi : il y a des choses à inventer, mais il y a aussi des choses sur lesquelles on sait comment agir. Il faut donc trouver les moyens de passer des discours à la réalité.

Vous avez demandé des exemples susceptibles de mobiliser l’opinion publique. Un bilan des plans climat-énergie territoriaux offrirait certainement de bons exemples. La tempête Xynthia fournit un autre exemple : elle a fait énormément de dégâts et elle a induit une évolution de la législation sur l’aménagement et la protection du littoral qui a marqué les esprits pour un temps. Je crois à la force de l’exemple, mais cela ne fait pas tout. Tant que les populations ne sont pas directement touchées par des catastrophes naturelles, la prise de conscience reste insuffisante.

S’agissant de la mobilisation de l’opinion publique, le problème vient de ce que le changement climatique est perçu comme un élément très négatif. Le message ne parvient pas à passer auprès de l’opinion publique car celle-ci n’a pas envie de se confronter à la peur. L’urgence et la catastrophe annoncée ne sont pas des messages mobilisateurs et efficaces. Il serait bienvenu d’introduire une vision positive mettant en avant les moyens dont nous disposons déjà pour agir. Les atolls, parce qu’ils sont confrontés aujourd’hui au changement climatique, sont dans l’obligation de trouver des solutions – bonnes ou mauvaises – permettant de répondre aux enjeux économiques et démographiques et de se protéger contre les risques naturels. On pourrait les présenter comme des pionniers de l’adaptation plutôt que comme des victimes du changement climatique. Cette approche positive serait davantage pertinente que la vision négative qui est improductive.

L’adaptation au changement climatique s’inscrit pleinement dans la logique du développement durable. Si le développement durable pose les principes de l’adaptation, le changement climatique impose les échéances. La Commission pourrait insister sur ces échéances car les conditions de l’action – les principes et les moyens – sont réunies.

Mme Valérie Masson-Delmotte. S’agissant de la géo-ingénierie, on nous a demandé s’il serait possible de compenser une partie de l’impact des gaz à effet de serre sur le climat grâce à différentes technologies, matures ou encore embryonnaires. On commence à évaluer les conséquences du déploiement de ces technologies. Dans le cas de l’injection massive de particules d’aérosols pour créer un effet parasol contre le réchauffement induit par les gaz à effet de serre, le rapport du GIEC montre que le recours à cette technique permettrait de compenser une partie du réchauffement de surface au détriment de changements majeurs dans le cycle de l’eau. Mais cette technologie devrait être utilisée indéfiniment car un arrêt de l’injection entraînerait un réchauffement brutal au lieu d’un réchauffement progressif. Cela fait aussi partie du travail du GIEC de fournir des éléments d’aide à la décision sur le déploiement de nouvelles technologies, à partir des méthodes utilisées pour évaluer les risques climatiques.

Le risque pour le niveau des mers de l’instabilité des parties marines de la calotte de l’Antarctique est difficile à quantifier. Dans le rapport, il est fait état d’un risque possible au cours du XXIème siècle d’une montée du niveau des mers de quelques dizaines de centimètres. Mais nous avons une incertitude majeure sur l’anticipation et la modélisation du glissement des parties marines de l’Antarctique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie une nouvelle fois tous les intervenants d’avoir consacré cette matinée à nous parler d’un sujet qui nous passionne et qui nous place devant nos responsabilités.

La conférence de 2015 sera pour nous tous une opportunité de réfléchir, de proposer et de faire de la pédagogie afin de sensibiliser les citoyens aux risques à venir.

La réponse au changement climatique réside dans la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement. C’est ainsi que nous ferons ressortir les éléments positifs.

Le changement climatique illustre le débat permanent entre l’urgence du court terme et les exigences de long terme. Il est de notre responsabilité de nous battre pour un nouveau modèle de développement afin de mieux lutter contre le réchauffement climatique. Il s’agit d’un vrai et long combat. À cet égard, la mission d’information que nous avons créée en vue de la conférence de 2015 est une bonne initiative.

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Information relative à la Commission

La Commission a ensuite procédé à la nomination des membres de la mission d’information sur les conséquences géographiques, économiques et sociales des changements climatiques.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Avant de commencer notre table ronde et afin de marquer l'attention que porte notre commission à la question du changement climatique, nous allons procéder à la nomination des membres de la mission d’information sur « les conséquences géographiques, économiques et sociales des changements climatiques » que le Bureau de la commission a décidé de créer.

J’ai reçu les candidatures suivantes :

Groupe SRC

Jean-Yves Caullet

Jean-Paul Chanteguet

Sophie Errante

Arnaud Leroy

Philippe Plisson

Groupe UMP

Martial Saddier

Jean-Marie Sermier

Charles-Ange Ginesy

Groupe UDI

Bertrand Pancher

Groupe Écologiste

Denis Baupin

Groupe GDR

Patrick Carvalho

Groupe RRDP

Jacques Krabal

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 27 novembre 2013 à 9 h 45

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Franck Montaugé, M. Yves Nicolin, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Jean-Christophe Fromantin, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Alain Moyne-Bressand, M. Napole Polutélé, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu