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Mardi 10 décembre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Genty, président de France Nature Environnement

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Bruno Genty, président de France Nature Environnement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre commission auditionne pour la première fois M. Bruno Genty, président de France Nature Environnement. J’ai en effet souhaité rencontrer les grandes organisations environnementales que nous avons rarement l’occasion d’entendre hors des tables rondes thématiques que nous organisons.

France Nature Environnement (FNE), qui est une fédération de quelque 3 000 associations de protection de la nature et de l'environnement, regroupant plus de 850 000 adhérents, intervient sur de nombreuses questions, dont le champ serait trop large pour une seule audition et qui concernent notamment l’agriculture, la biodiversité, les déchets, les risques, l’eau, la forêt, l’énergie, la santé, l’environnement et les transports – nous reconnaissons dans cette liste la majorité de nos thèmes de réflexion.

J’ai donc demandé à M. Bruno Genty de présenter l'organisation, les missions et les moyens de FNE, en illustrant son propos par quelques dossiers d'actualité, puis d'intervenir sur deux thèmes qu’il a choisis : la fiscalité écologique et la modernisation du droit de l'environnement.

M. Bruno Genty est accompagné de Mme Morgane Piederrière, chargée des relations institutionnelles de FNE.

M. Bruno Genty, président de France Nature Environnement. France Nature Environnement est une fédération d’associations créée en 1968 et reconnue d’utilité publique depuis 1976. L’une des signatures de notre communication est la suivante : « partout où la nature a besoin de nous ». Notre fédération – qui, en vertu du décret du 12 juillet 2011 sur la représentativité, dénombre chaque année ses membres –, compte 800 000 adhérents, issus d’un peu plus de 3 000 associations présentes sur tous les territoires.

Les principaux adhérents de France Nature Environnement sont une dizaine d’associations nationales, comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO), et des fédérations et unions appartenant à toutes les régions métropolitaines et ultramarines – la Bourgogne seule présentant, pour des raisons historiques, des fédérations départementales. Nous disposons donc de relais d’opinion dans tous les territoires et nos actions de terrain sont aussi importantes que nos actions institutionnelles.

Notre philosophie politique consiste tout d’abord à connaître et à comprendre la complexité de la nature et de l’environnement, afin de bien les protéger. Nous réalisons à cet égard un travail de fond qui alimente nos positions.

Il s’agit ensuite de convaincre : nous dialoguons en permanence avec l’ensemble des parties prenantes et la société civile – de manière parfois un peu rude, il est vrai – et plaidons la cause de l’environnement auprès des décideurs. Nous sommes impliqués dans le débat public et, comme l’a montré le Grenelle de l’environnement, proposons des solutions concrètes pour avancer dans la voie de la transition écologique, sans prétendre pour autant détenir toutes les solutions.

Il s’agit également de mobiliser : les citoyens doivent être au cœur des enjeux environnementaux, car ce serait un comble que la nature, condition de la vie humaine sur la planète, soit réservée à des spécialistes. Nous menons donc des actions ciblées de sensibilisation en ce sens.

Nous menons aussi un travail de défense, alertons l’opinion publique et estons en justice lorsque le droit de l’environnement n’est pas respecté.

Nous adoptons en outre une approche systémique et nous attachons à veiller à la cohérence du discours, en matière par exemple de défense de la biodiversité et de transition énergétique. Nous sommes ainsi favorables au développement des énergies renouvelables, mais sommes également soucieux d’excellence environnementale – laquelle peut du reste se traduire par des gains de compétitivité pour nos entreprises.

Par ailleurs, notre indépendance constante vis-à-vis des partis politiques est le gage de notre engagement associatif et de notre crédibilité dans la durée. L’objectif de notre plaidoyer est que le plus grand nombre possible de responsables, notamment parlementaires, prenne en compte la nécessité de la transition écologique.

Notre culture du dialogue et notre capacité de proposition se sont notamment exprimées lors de l’élection présidentielle avec la diffusion d’un document cadre présentant un projet global. Nous avons alors invité tous les candidats républicains à participer au congrès que nous avons organisé à Montreuil et à nous faire part de leurs réactions et des éléments de nos propositions qu’ils comptaient reprendre s’ils étaient élus. Nous participons également aux conférences environnementales.

En matière de dialogue environnemental, nous privilégions le dialogue multilatéral, permettant à l’ensemble des parties prenantes de s’exprimer ensemble, alors que les lobbies défendant des intérêts commerciaux préfèrent le dialogue bilatéral, dans le cadre duquel ils ont les moyens d’être plus convaincants. J’observe du reste au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE) que certaines parties prenantes ne tiennent pas le même discours dans le dialogue bilatéral que dans le dialogue multilatéral. Pour une organisation citoyenne comme la nôtre, qui ne dispose pas des mêmes moyens que les lobbies industriels ou commerciaux, le dialogue environnemental revêt donc une très grande importance.

J’en viens au contexte, qui est aujourd’hui franchement défavorable à la transition écologique. Celle-ci est actuellement immobile, et recule même dans certains secteurs.

Les médias montrent que certains acteurs tentent de présenter l’environnement comme le bouc émissaire de la crise et de tous les problèmes de la France – c’est ce qu’illustre notamment le débat sur l’écotaxe, taxe qui n’a jamais été payée, mais qui est accusée de pénaliser la compétitivité. Il y a là beaucoup d’hypocrisie, car chacun sait que le vrai problème de l’écotaxe tient à la différence de coût du travail, qui explique par exemple que l’on envoie des bêtes à l’abattage en Allemagne et en salaison en Belgique.

Ce procès fait à l’environnement nous inquiète d’autant plus que la transition écologique est une réelle opportunité pour sortir de la crise économique, sociale et environnementale, provoquée par un fonctionnement à crédit qui commence par les banques, puis se transfère sur le budget de l’État et sur l’environnement. L’empreinte écologique en offre un indicateur simple : au niveau planétaire, le quota de ressources naturelles compatible à un fonctionnement soutenable est consommé de plus en plus tôt dans l’année – actuellement à la mi-août – alors que, par comparaison, le budget de la sécurité sociale n’entre en déficit que vers la mi-novembre. Si nous continuons ainsi, nous allons au-devant de nouvelles crises. Au niveau mondial, l’accès aux ressources naturelles mêle en effet les questions économiques et environnementales. Ainsi, lorsque la Chine a décidé, voilà deux ans, de ne plus exporter de terres rares, mais seulement des produits manufacturés apportant une plus-value, les réactions du président Obama ont montré qu’il était nécessaire de sortir de manière durable de la crise économique en intégrant les contraintes physiques, donc environnementales.

Ce contexte pose aussi des problèmes de gouvernance. Ainsi, il serait sans doute préférable, pour apaiser le conflit lié à l’écotaxe, d’améliorer le dispositif voté à la quasi-unanimité en 2009 plutôt que d’en repousser la mise en œuvre aux calendes grecques.

Notre base, soit environ 850 000 citoyens, après avoir exprimé depuis 2007 de nombreuses attentes quant à la transition écologique, a aujourd’hui le sentiment qu’au début de leur mandat, les gouvernements qui se succèdent présentent cette transition comme une solution, puis font marche arrière ou ralentissent le mouvement dès qu’il s’agit de traduire l’intention en actions objectives. Ce n’est pas ainsi qu’on pourra en évaluer le succès.

J’aborderai deux grands dossiers d’actualité : la remise à plat de la fiscalité, qui est une opportunité pour mettre en place une fiscalité écologique juste – sujet où les passions l’emportent parfois sur la raison –, et la modernisation du droit de l’environnement.

Une réforme en profondeur du système fiscal français est nécessaire et nous espérons que l’annonce de cette réforme est une démarche sincère, et pas seulement une manière de sortir de la crise provoquée par l’écotaxe. Il est pertinent de renouer avec les grands principes de la contribution commune, qui fondent le pacte républicain : progressivité, équité, redistribution et justice sociale. Cependant, France Nature Environnement, qui a demandé, à l’instar d’autres organisations environnementales, de pouvoir participer à ce chantier, s’est heurtée jusqu’à présent à une fin de non-recevoir. Ignorer, à l’aube du XXIe siècle, les enjeux environnementaux, ne nous paraît ni raisonnable, ni même soutenable, car la fiscalité écologique doit être un fil conducteur de la future réforme. Ce que nous entendons de notre base – certes partisane, car elle voit le monde à travers le prisme environnemental – se fait également entendre dans d’autres secteurs de la société : nous devons savoir où nous allons et avons besoin d’une vision, d’un horizon. Les difficultés sont certes réelles dans un contexte difficile pour tous, et la remise à plat de la fiscalité peut susciter des égoïsmes et la défense d’intérêts particuliers additionnés et contradictoires qui pourraient nous empêcher de construire dans l’intérêt de notre pays.

À tous ceux qui refusent une fiscalité écologique au motif qu’elle serait dommageable à la compétitivité des entreprises face à leurs concurrents européens, je rappellerai quelques chiffres publiés par le Gouvernement. La France était en 2010 à l’avant-dernière place de l’Union européenne, juste devant l’Espagne, en termes de fiscalité écologique – cette dernière représentait 1,86 % du PIB, contre une moyenne de 2,27 % pour les 27 États de l’Union européenne et de 2,21 % en Allemagne. S’il est impossible de balayer d’un revers de main les problèmes de compétitivité, il est cependant très dangereux d’incriminer la réglementation environnementale.

J’ai été très choqué de voir, sur une photographie d’agence de presse représentant la manifestation des « bonnets rouges », une pancarte portant la phrase : « Bravo les écolos : grâce à vous, on n’a plus de boulot ». Pour des militants qui, comme moi, défendent depuis des dizaines d’années la nécessité d’un nouveau modèle, notamment agricole, c’est dur. Cette attitude est à mettre en rapport avec la montée des populismes. La recherche de boucs émissaires accompagne la montée du mécontentement dans notre pays.

Je le répète, les normes protégeant l’environnement ne sont pas à l’origine des difficultés que rencontrent les entreprises françaises. Ainsi, l’écotaxe poids lourds ne pénaliserait pas les entreprises françaises. En effet, des redevances de cette nature sont déjà en vigueur dans de nombreux pays européens – par exemple en Allemagne depuis 2005, en Suisse depuis 2001 ou en Autriche depuis 2004. Le secteur des transports routiers souffre en effet d’une concurrence déloyale de certains pays en raison d’un véritable dumping social. En taxant le réseau des grandes routes nationales qui subissent un report des camions désireux d’éviter le réseau autoroutier payant, l’écotaxe ferait payer 800 000 camions, dont 200 000 de compagnies étrangères qui couvriront de toute façon des distances bien plus longues.

En outre, les citoyens de vos circonscriptions sont également soucieux de leur santé et de leur sécurité. La France, au carrefour d’importants nœuds routiers, ne doit pas attirer le transport routier sous prétexte qu’il s’y ferait aux frais du contribuable français, et non pas à ceux des utilisateurs professionnels du réseau routier.

À ceux qui invoquent le fameux « ras-le-bol fiscal » pour refuser une fiscalité écologique – ou, du moins, une fiscalité plus écologique –, je répondrai que les citoyens demandent de la clarté et de la lisibilité et que la fiscalité écologique est précisément fondée sur le principe assez simple et compréhensible du « pollueur payeur ». Elle est donc porteuse de sens et n’est pas faite pour pressurer quiconque, mais pour amorcer la transition écologique en induisant des changements de comportement.

En outre, elle peut permettre de financer notamment ceux qui adoptent volontairement des comportements plus vertueux sur le plan environnemental. Plutôt que de subir éternellement l’augmentation régulière du prix de l’énergie – qui joue un rôle important dans les problèmes économiques nationaux et mondiaux –, encourager dès maintenant des changements de pratiques permettrait aux entreprises et aux ménages de s’adapter en amont, par exemple par la rénovation des bâtiments. Des dispositifs d’aide aux plus démunis doivent être mis en place pour assurer cette transition.

La fiscalité écologique se traduit également par des économies pour l’État. On comptabilise chaque année en France, comme l’a montré le rapport de Guillaume Sainteny, 50 milliards de subventions ou d’aides publiques nuisibles à l’environnement, à comparer avec les 2 milliards d’euros consacrés aux emplois verts, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables. Les chiffres démentent donc le discours selon lequel on consacrerait trop de subventions à la transition écologique. La remise à plat de la fiscalité doit donc s’accompagner d’une remise à plat des aides nuisibles à l’environnement. La suppression de ces subventions ne saurait du reste être brutale, ce qui donne tout son sens à la notion de « transition ». La mise en œuvre doit être progressive pour être économiquement et socialement supportable pour les entreprises et les secteurs d’activité concernés.

Lors de la conférence environnementale de 2012, le Premier ministre s’était engagé à mettre en place cette fiscalité écologique, et notamment à rattraper le retard de notre pays par rapport à la moyenne européenne.

Dans ce cadre, la contribution climat-énergie, esquissée dans le projet de loi de finances pour 2014, marque le début de l’indispensable articulation entre les questions économiques, sociales et environnementales. Il faut aller beaucoup plus loin et, si le Gouvernement ne s’y emploie pas assez, nous espérons que les parlementaires l’aideront à être ferme dans ce domaine. La fiscalité écologique est, au-delà des incantations de début de quinquennat, le carburant de la transition écologique. Pour atteindre ses objectifs, il faut se doter des moyens nécessaires.

Il est donc impératif d’intégrer l’écologie aux réflexions qui seront menées dans le cadre de la réforme de la fiscalité et, à ce titre, de travailler notamment à la suppression des niches fiscales défavorables à l’environnement et au fléchage des recettes de la fiscalité écologique vers le financement des actions en faveur de la transition écologique.

Quant à la modernisation du droit de l’environnement, les besoins exprimés en termes d’efficience – terme préférable à celui de « simplification », qui se traduit souvent, dans les faits, par une certaine dérégulation – nous font souhaiter un droit de l’environnement plus lisible, plus cohérent et plus stable. Le code de l’environnement doit traduire une politique volontariste et porteuse de sens.

Le droit de l’environnement est un droit jeune et moderne, structuré par des principes nationaux et des engagements communautaires, notamment les principes internationaux de participation du public et de prévention des atteintes à l’environnement. Le terme de « modernisation » peut d’ailleurs paraître quelque peu incongru pour un code qui n’a que treize ans d’âge. Sa complexité, qui tient en partie à des redondances, s’explique aussi par une mauvaise articulation avec différents codes, comme celui de l’urbanisme. C’est la raison pour laquelle France Nature Environnement a d’emblée participé de bonne foi aux états généraux de la modernisation du droit de l’environnement et formulé des propositions constructives, comme 800 autres praticiens du droit de l’environnement. Nous avons été très déçus de constater que, bien qu’un processus de concertation ait été engagé par le Gouvernement, le Premier ministre a fait des annonces unilatérales qui en remettaient en cause le principe même. Certains reculs ont été observés, notamment avec le changement de régime des installations classées pour les élevages porcins, au moment même où la France est en mauvaise posture devant la Cour de justice de l’Union européenne du fait du non-respect de la directive nitrates.

La réforme du droit de l’environnement doit se fonder sur des évaluations solides et s’inscrire dans un principe de non-régression, comme l’ont affirmé les deux ministres de l’écologie qui ont eu la responsabilité des états généraux de modernisation du droit de l’environnement. L’efficacité de cette réforme suppose la déconstruction de clichés. Ainsi, le droit de l’environnement n’est pas un handicap, mais un atout pour la préservation de notre capital productif. En agriculture, en effet, un sol épuisé ne produit plus, sinon à grand renfort d’intrants coûteux.

Les normes de protection de l’environnement ne réduisent pas la compétitivité des entreprises, au moins au niveau européen, car ces normes sont européennes. En outre, la France ne surtranspose pas le droit communautaire ; elle est plutôt un mauvais élève en ce domaine – je rappelle que 14 procédures d’infraction au droit communautaire de l’environnement sont actuellement ouvertes par la Commission européenne contre notre pays. Pour le non-respect de la seule directive air, la France s’expose ainsi à une amende estimée par le ministère de l’écologie à 11 millions d’euros, auxquels s’ajoute une astreinte journalière de 240 000 euros jusqu’à ce que les valeurs limites de qualité de l’air soient respectées, ce qui représente au moins 100 millions d’euros pour la première année et 85 millions d’euros par la suite. Pouvons-nous nous le permettre en ces temps de difficultés budgétaires ? Quant aux coûts pour les Français en termes de santé et de qualité de vie, ils sont plus difficilement quantifiables, mais d’une importance vitale.

Pour conclure, je vous souhaite bon courage pour l’important calendrier législatif qui vous attend, marqué par de forts enjeux tels que la transition énergétique ou la loi d’avenir pour l’agriculture et la forêt ou la loi-cadre sur la biodiversité. France Nature Environnement participe depuis plusieurs mois à la préparation de ces lois au sein de nombreux groupes de travail et nous sommes à votre disposition pour échanger sur ces sujets.

De nombreux citoyens qui ne détruisent pas de biens publics pour se faire entendre sont aujourd’hui inquiets et certains mécontents car ils ont l’impression que, dans ces temps difficiles, nous n’avons plus de boussole. Or, l’absence d’horizon est dangereuse à moyen terme. Nous comptons donc sur vous pour nous aider à redessiner pour notre pays un horizon durable.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je rappelle qu’a été créé un Comité pour la fiscalité écologique animé par M. Christian de Perthuis et auquel participent des représentants de FNE. Ce comité a formulé des propositions, dont s’inspire notamment l’inscription de la base carbone dans la fiscalité sur les énergies fossiles, et travaille actuellement sur la fiscalité relative aux déchets. Certaines organisations, comme la CGT et FO, ne sont pas forcément défavorables à la mise en place d'une fiscalité écologique, mais considèrent qu'elle doit être mise en place dans le cadre d'une réforme globale de la fiscalité.

Le CNTE, au sein duquel a été mise en place une commission spéciale sur la future loi de transition énergétique présidée par Laurence Tubiana, se verra remettre prochainement les grandes orientations de cette loi. Monsieur Genty, avez-vous eu connaissance de ces orientations et, le cas échéant, qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Yves Caullet. La question qui se pose est celle de l’acceptabilité globale par la société démocratique de ses choix de développement durable. Comment déterminer le barycentre des trois piliers du développement durable, entre les élus, les corps intermédiaires et des réseaux sociaux plus prompts à canaliser les intérêts particuliers sous forme de lobbies qu’à faire émerger des compromis globaux ? Comment ces différentes légitimités peuvent-elles se combiner pour participer à l’émergence de l’intérêt général dans un cadre équilibré et construire l’acceptabilité des choix ? Dans tous ces domaines, les avancées et les reculs traduisent en fait une acceptation sociale globale insuffisamment aboutie. Le débat public, outil dont nous disposons depuis peu, doit permettre d’élaborer des décisions mieux comprises aux différents niveaux. Cette piste est-elle assez explorée aujourd’hui ?

Le Président de la République invoquait lors d’une manifestation agricole, pour équilibrer le principe de précaution, le « principe d’innovation », qui est aussi une dynamique d’évolution de la société. Comment conjuguez-vous l’innovation, la précaution et la responsabilité ? La situation actuelle n’est pas acceptable et ne saurait être figée : comment bouger, innover, en étant à la fois précautionneux et responsables ? Comment France Nature Environnement se positionne-t-elle par rapport à l’ensemble de ces choix ?

Je préfère par ailleurs envisager une « fiscalité performante sur le plan écologique » plutôt qu’une « fiscalité écologique » pour ne pas associer écologie et fiscalité dans l’esprit de nos concitoyens. Comment y parvenir ? Quant aux règles, elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont simples, bien comprises et partagées – et, surtout, qu’elles ne changent pas tous les jours.

En un mot, comment mettre en évidence la contribution de votre association dans le choix général, afin de montrer que l’écologie n’est pas un idéal de pureté inaccessible, toujours à conquérir, et qu’il est parfois possible d’obtenir des résultats ?

M. Martial Saddier. Monsieur Bruno Genty, le groupe UMP considère votre association comme un acteur incontournable des débats sur l’écologie. Pouvez-vous en présenter plus précisément la structure, en indiquant le nombre de ses salariés, son budget et ses ressources ? Comment les ressources issues de l’État ou des collectivités territoriales ont-elles évolué depuis deux ans ?

En deuxième lieu, comment FNE s’assure-t-elle que l’ensemble de ses adhérents tient à peu près sa ligne ? Existe-t-il un code de déontologie ou des signaux d’alarme ?

Quel regard portez-vous, par ailleurs, sur les deux premières années de cette législature ? À dire vrai, votre propos introductif a donné le ton et je suis un peu inquiet d’apprendre que le Gouvernement oppose une fin de non-recevoir à votre participation au grand débat sur la fiscalité écologique. Mon interpellation s’adresse donc plutôt à la majorité et au président de la Commission : une « action de groupe » serait opportune, car on ne saurait imaginer que le Premier ministre lance une grande réflexion sur la fiscalité sans que la fiscalité écologique fasse partie de ce débat.

Les députés du groupe UMP souhaitent comme vous que la fiscalité écologique soit fléchée : une augmentation des recettes liées à l’écologie doit financer l’écologie, et non pas le budget général de l’État.

Pour ce qui est de l’évolution du droit, comment vous positionnez-vous entre le droit au recours environnemental et le souci que ce recours serve bien l’intérêt général plutôt que l’intérêt particulier ?

Enfin, seriez-vous favorable à l’instauration d’une prime destinée à aider nos concitoyens les plus défavorisés à changer leurs véhicules les plus polluants ? Seriez-vous également prêts à envisager que les territoires portant les plus grands enjeux environnementaux, en matière notamment d’eau et de biodiversité – je pense au littoral et à la montagne – soient rémunérés pour leur fonction environnementale ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. D’après les informations dont je dispose, la fiscalité écologique fera bien partie de la réflexion sur la fiscalité. En tout état de cause, nous agirons pour qu’il en soit ainsi et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

M. Yannick Favennec. Monsieur Bruno Genty, le département de la Mayenne, dont je suis élu, connaît bien votre association, qui y est particulièrement bien implantée.

Pour concilier performance économique et environnementale, il est indispensable de tourner notre agriculture vers des modes de production plus durables et l’enseignement agricole peut être un vecteur de l’agro-écologie. Or, cet enseignement est insuffisamment rénové dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture. Le groupe UDI est convaincu que l’enseignement agricole doit devenir le laboratoire de l’agriculture durablement productive du XXIe siècle. Il faut apprendre à concilier production et développement durable, sans opposer les agricultures.

L’agro-écologie ne saurait constituer l’unique socle de la politique de développement agricole et de financement de l’agriculture. La modification des pratiques ne sera pérenne que si la rentabilité et le revenu sont confortés. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette question.

Par ailleurs, pour ce qui concerne les investissements dans le domaine du développement durable, l’objectif du deuxième programme d’investissements d’avenir est de renforcer à la fois notre compétitivité et le caractère durable de notre développement économique. Comment les critères de l’éco-conditionnalité doivent-ils être définis et quels sont les projets qui devraient être financés dans le cadre des investissements d’avenir ?

M. Olivier Falorni. La qualité de notre environnement est un sujet d’actualité et les questions se bousculent.

Le Gouvernement étudie actuellement de nouvelles pistes pour appliquer l’écotaxe, à laquelle votre organisation est favorable. La France est le septième pays européen à mettre en place une telle taxe, qui faisait l’unanimité et était même réclamée par la région Alsace. Dans son rapport budgétaire du 27 novembre dernier sur les transports, le sénateur Ronan Dantec propose d’exonérer certains secteurs, de taxer plus lourdement les poids lourds de 44 tonnes et de récupérer une partie des revenus des autoroutes liés au report du trafic en leur faveur. Seriez-vous favorable à ce que la majorité retienne ces propositions ? Dans cette hypothèse, ou dans le cas d’une redéfinition par le Gouvernement, ce n’est que dans le cadre de la prochaine loi de finances que ces mesures apparaîtront. L’écotaxe modifiée n’entrerait alors en vigueur qu’en 2015. Que pensez-vous de ce report dans un contexte d’apaisement ?

Quelles sont, selon France Nature Environnement les nouvelles pistes de travail à exploiter ?

Êtes-vous favorable, par ailleurs, à l’eurovignette qui pourrait être instaurée pour compenser l’abandon de l’écotaxe, mais qui serait moins équitable, car elle serait prélevée dès l’entrée du territoire et pour tout type d’infrastructure ? Cette suspension entraîne un retard important non seulement du financement programmé de nos infrastructures, mais aussi de la lutte contre les microparticules. Une étude financée par l’Union européenne et publiée dans une grande revue médicale britannique dresse à cet égard un constat alarmant. Si le chiffre frappant de 40 000 morts par an en France à cause du cocktail de microparticules n’est pas confirmé, la situation n’en est pas moins inquiétante et elle appelle des mesures urgentes. En effet, une exposition prolongée aux particules fines en suspension dans l’air a un effet néfaste sur la santé même lorsque les concentrations restent dans la norme édictée par l’Union européenne. Quelles mesures plus incitatives, voire coercitives, que la limitation de la vitesse souhaiteriez-vous voir adopter pour lutter contre cette véritable catastrophe environnementale et sanitaire ?

Votre responsable énergétique a critiqué vertement le fonctionnement du livret de développement durable : alors que ce dispositif aurait dû permettre de lever 9,2 milliards d’euros pour réaliser des économies d’énergie, seuls 2,7 milliards d’euros ont été prêtés. Qu’ont fait les banques du reste ?

Je conclurai en vous posant une question de mon collègue Jacques Krabal. Le ministre de l’écologie a refusé, le 28 novembre, de signer les arrêtés de mutation de sept permis du bassin parisien, dont celui de Château-Thierry, disant que les associations, grâce à leur mobilisation, avaient réussi à se faire entendre. Or, c’est en partie le fruit du travail de FNE. Le maillage territorial des associations doit être défendu et protégé. Notre Assemblée a voté l’article 7 de la Charte de l’environnement, qui vise à renforcer la gouvernance et la participation du public. Veillons à respecter cet article. Comment envisagez-vous l’avenir des associations en France ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Olivier Falorni, le Gouvernement n’a pas prévu de formuler des contre-propositions. Celles-ci émaneraient, le cas échéant, de la mission d’information mise en place par la conférence des présidents.

M. Patrice Carvalho. L’écotaxe, son report par le Gouvernement et la mobilisation dont elle fait l’objet occupent l’actualité. Face aux manifestations, ne soyez pas surpris que des excès répondent à des excès. Voilà en effet que des salariés dont on ferme l’usine vont manifester avec les transporteurs qui emportent leurs produits pour les traiter ailleurs : c’est là l’une des contradictions auxquelles nous sommes confrontés. Je partage cependant le point de vue de FNE sur cette question et tiens à insister sur l’enjeu que représente ce dispositif. Le rééquilibrage des modes de transport et la multimodalité sont des leurres si nous ne mettons pas un terme au choix du « tout poids lourds », qui a prévalu au cours de ces dernières années. Cela passe notamment par l’écotaxe.

Il s’agit, dans le même temps, de créer les conditions du développement du fret ferroviaire et du transport par voie d’eau : quand la SNCF affrète un TGV, elle paie en moyenne 13 euros par train et par kilomètre parcouru – ce qui s’apparente du reste à un racket et contribue à la flambée des prix des billets. Lorsqu’une péniche emprunte une voie d’eau entre Lille et Dunkerque, elle s’acquitte en moyenne de 63 centimes d’euro par kilomètre parcouru. Quand un poids lourd emprunte une route nationale ou départementale, il ne paie pratiquement rien, sinon la taxe à l’essieu, qui a fait l’objet d’une réduction, et bénéficie en outre d’un dégrèvement des taxes sur le gas-oil. Avec l’écotaxe, le péage devait s’élever à 13 centimes d’euro par kilomètre en 2014, ne concernant que 15 000 kilomètres de voies sur les presque 400 000 kilomètres de routes nationales et départementales de notre pays. Il s’agit donc du péage le moins cher de tous les modes de transport.

Par ailleurs, le Gouvernement souhaite aligner progressivement le prix du gas-oil sur celui de l’essence, avec l’objectif de réduire la part d’automobiles diesel, considérées comme polluantes. Si la part du diesel dans le parc automobile est actuellement de 60 %, ce n’est pas un hasard : les Français y ont été incités par un prix attractif. Or, à présent qu’ils se sont équipés de véhicules diesel, on leur explique qu’ils vont être taxés. C’est énorme.

Il convient tout d’abord de préciser qu’il n’existe pas un, mais deux moteurs diesel : celui, polluant, de l’ancienne génération, et celui d’aujourd’hui, issu des progrès accomplis depuis quinze ans et pour lequel l’industrie automobile française est à la pointe de la technologie. Augmenter le prix du diesel, c’est donc augmenter le chômage. Avec ces innovations, la question de l’émission de particules se pose en termes tout à fait différents : à froid ou à chaud, en ville ou sur route, le filtre à particules permet, en les piégeant et en les brûlant, d’en supprimer une très grande partie, y compris les plus fines. Combiné avec d’autres innovations tout aussi déterminantes, notamment la catalyse de l’oxyde d’azote, le moteur diesel de dernière génération est aujourd’hui un moteur propre, qui consomme 20 % de moins de carburant et émet 15 % de moins de CO2 que le moteur à essence.

Le défi ne consiste donc pas à réduire par la taxation la part du diesel, mais d’aider les automobilistes à remplacer leur ancien véhicule diesel par un véhicule de nouvelle génération équipé d’un filtre à particules et d’aider également le monde industriel à progresser encore dans ce domaine.

Enfin, en termes technologiques et industriels, il serait regrettable de sacrifier le rôle leader que joue la France dans le domaine du diesel – où notre pays est en effet le premier et le plus performant.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je rappelle que, sur 31 millions de véhicules de tourisme en France, 12 millions sont particulièrement polluants.

M. Martial Saddier. Êtes-vous favorable à une prime pour l’élimination des véhicules les plus polluants ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Oui, bien sûr. Une partie des moyens supplémentaires collectés par le rattrapage de la fiscalité du diesel par rapport à celle de l’essence doit servir à faire sortir du parc automobile les véhicules les plus polluants. Ma position a toujours été très claire sur ce point.

Mme Suzanne Tallard. Alors que les préoccupations environnementales sont de plus en plus partagées par nos concitoyens, les décideurs et les différents acteurs du territoire, quelle stratégie adoptez-vous pour réduire les oppositions, souvent très tranchées, entre protection des milieux et développement des territoires ?

Vous avez souligné votre attachement au dialogue et avez évoqué une gouvernance revisitée : quelle pratique avez-vous ou recommandez-vous dans ce domaine, sachant par ailleurs que les mesures environnementales adoptées devront être acceptées par le plus grand nombre ?

Que pensez-vous par ailleurs de la modération du Gouvernement dans la mise en place des aires marines protégées ?

M. Jean-Louis Bricout. La clause environnementale qu’introduit le projet de loi d’avenir de l’agriculture suscite l’inquiétude de certains exploitants agricoles, qui redoutent une modification du modèle économique de leur exploitation. Comment trouver le bon équilibre entre leurs préoccupations et la légitime sensibilité écologique de propriétaires soucieux de protéger leur bien, et entre performance économique et performance environnementale ?

M. Guillaume Chevrollier. Votre association fédère 3 000 associations sur tout le territoire. Y sont-elles représentées de façon homogène ? Le taux de participation au sein de FNE est-il en phase avec les fluctuations qu’a connues le vote écologiste ces dernières années ?

Vous venez par ailleurs de réaliser un coup médiatique en dénonçant le fait que l’air de Paris serait irrespirable. Or, France Nature Environnement prétend que l’air est aussi cancérigène dans les zones rurales qu’en ville. Pensez-vous vraiment que l’air des départements ruraux soit aussi pollué que l’air parisien ?

Quelle est, enfin, votre position sur l’aquataxe ? La création incessante de nouvelles taxes liées à l’écologie peut avoir des effets pervers : ne risque-t-on pas d’associer cette noble cause au « ras-le-bol fiscal » ?

M. Jean-Pierre Vigier. France Nature Environnement se déclare résolument opposée au développement de l’énergie nucléaire, qui représente environ 80 % de la production d’énergie électrique en France et permet de proposer au public des prix acceptables. L’objectif du Gouvernement est de réduire la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025, en développant des énergies diversifiées telles que le photovoltaïque ou l’éolien. Cette compensation sera-t-elle suffisante pour assurer les besoins des Français ? Ne faudra-t-il pas avoir recours aux énergies fossiles, plus polluantes, ou à des énergies étrangères, beaucoup plus chères ? Quel est votre sentiment à ce propos ?

M. Jean-Luc Moudenc. Le 2 octobre, vous avez adressé une lettre ouverte au Président de la République sur l’évolution du droit de l’environnement, regrettant en termes très clairs l’inconsistance de la feuille de route gouvernementale dans ce domaine. Avez-vous reçu une réponse et, si tel est le cas, quelle en est la teneur ?

M. Bruno Genty. La commission spéciale du CNTE se réunira pour la première fois cette semaine, mais, comme c’est hélas souvent le cas avec l’administration, nous ignorons encore l’ordre du jour.

Monsieur Jean-Yves Caullet, s’agissant du rôle que nous avons à jouer pour faire accepter les mesures prises, je ne veux pas me défausser mais la pédagogie est un véritable enjeu. J’ai souligné l’importance du dialogue environnemental parce que, quand on réunit les parties prenantes en amont des décisions, celles-ci sont mieux acceptées ensuite. L’écotaxe est à cet égard un bon exemple d’un manque de pédagogie. Elle aurait été dénommée « redevance poids lourds », les choses auraient sans doute été différentes. L’instrumentalisation est un autre écueil qui nous menace, mais, dans l’ensemble, nous jouons notre rôle d’aiguillon au service de l’intérêt général pour contribuer avec d’autres à la pédagogie de la décision.

Vous avez évoqué les avancées et les reculs depuis le Grenelle. J’avoue avoir du mal à accepter, pour des raisons éthiques, de voir des consensus négociés remis en cause par pur opportunisme.

Pour déterminer l’équilibre entre les contraintes économiques, sociales et environnementales, il faut instaurer le dialogue environnemental. Au fil du Grenelle, nous avons vu des commissions, où notre sensibilité était majoritaire, rejointes par de nouveaux partenaires, tels que le patronat ou les syndicats, qui ont fait basculer le rapport de forces. Mais nous jouons le jeu car nous avons conscience de l’enjeu de l’acceptabilité. Le dialogue environnemental permet de mieux gérer les équilibres. On nous reproche de rouspéter beaucoup… Voici un contre-exemple : le débat national sur la transition énergétique, même s’il a connu des ratés au départ, a permis de trouver des accords majoritaires et de mieux intégrer les contraintes économiques et sociales aux objectifs environnementaux.

Le principe de précaution vient d’être fusillé à bout portant par Jacques Attali au Conseil économique, social et environnemental en début d’après-midi. Cela dit, l’innovation n’est pas une fin en soi, et elle doit aider à surmonter des contraintes d’ordre économique, social ou environnemental. Pour dépasser notre modèle économique prédateur des ressources non renouvelables, l’innovation peut apporter des gains de productivité. Ainsi, dans les années quatre-vingt, j’avais milité pour que la ligne du TGV atlantique soit couverte en zone urbaine. La SNCF, qui comptait pourtant sur le soutien des militants écologistes, s’était plainte du surcoût pour la collectivité. Nous avons tenu bon et obtenu que la couverture soit végétalisée et transformée en coulée verte. Désormais, la SNCF a fait de ce savoir-faire un argument commercial ! Un produit attractif, adapté aux besoins et respectueux de l’environnement, peut être aussi source d’innovation et de compétitivité.

La fiscalité n’est pas le seul instrument de la politique écologique.

Selon M.  Jean-Yves Caullet, nous n’insistons pas sur les bons résultats. Pourtant, nous avons trouvé intéressant le travail mené par M. Thierry Tuot sur la réforme du code minier, en termes de gouvernance. Les différentes parties ont travaillé ensemble dans le bon sens, mais vous n’ignorez pas que les médias ne s’intéressent pas à nos communiqués de presse qui se félicitent de telle ou telle mesure, comme l’annulation des permis d’exploration de gaz de schiste par M. Philippe Martin, et qu’ils ne sont attirés que par l’odeur du sang... Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de l’expérimenter, ici même à l’Assemblée nationale, dans nos discussions avec le monde agricole.

Le débat public est un maillon important du dialogue environnemental. En revanche, on a raté la réforme des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER). J’avais indiqué au Gouvernement, dès la conférence environnementale, qu’il fallait profiter de leur prochain renouvellement pour créer un véritable collège environnemental qui compte aussi des entreprises dont l’activité soit en lien avec l’environnement. Une circulaire est parue en juin, pleine de bonnes intentions – parité homme-femme, prise en compte de l’économie sociale et solidaire – mais rien d’autre. C’est une occasion manquée alors que nous avons bien vu que le Grenelle n’avait pas pu relayer la dynamique nationale dans les territoires. D’ailleurs, les adhérents en région se plaignent que la gouvernance dans les territoires ne change pas. Maintenant, il va falloir attendre six ans. Il ne s’agit pas d’asseoir l’hégémonie de FNE mais de traduire dans les faits le « E » d’environnemental ajouté aux CESR.

Ma réponse à votre question, monsieur Martial Saddier, dépendra du point de vue où l’on se place. Notre organisation est fortement décentralisée, en vertu du principe de subsidiarité. La fédération nationale est dirigée par un conseil d’administration comptant vingt-quatre membres élus qui s’efforcent de tenir compte de la position des associations adhérentes, qu’elles soient nationales, à vocation thématique, ou sur le terrain. Toutefois, nous ne transigeons pas sur certains points. C’est aux associations bretonnes de discuter le pacte breton – elles ont d’ailleurs lancé une pétition pour que le pacte soit résolument tourné vers l’avenir –, mais nous gardons la main sur l’écotaxe parce que c’est notre cohérence globale qui est en jeu.

Le budget de la fédération nationale est d’un peu moins de 4 millions d’euros par an. Nos moyens sont maigres, et nous compensons par un engagement fort de nos bénévoles. Mais nous atteignons la limite. Je me bats pour parvenir à la parité dans nos instances dirigeantes et, compte tenu de la réalité des rapports homme-femme aujourd'hui, c’est très difficile. Les retraités aussi sont surreprésentés, comme ceux qui ont plus de facilité à gérer leur emploi du temps. Autrement dit, si vous êtes jeune, femme et salariée, vous aurez du mal à être présidente d’une fédération départementale ou nationale du FNE. D’ailleurs, dans la feuille de route résultant de la conférence environnementale, on trouve l’engagement de travailler à un mandat du responsable associatif bénévole. Nous tenons beaucoup à notre statut de bénévole élu, car nous sommes attachés à un fonctionnement démocratique. Mais il faut avoir à terme des moyens pour faire cesser les injustices. Pour le détail, je vous renvoie au rapport d’activité. Environ 50 % de nos ressources découlent de notre contrat d’objectif, 40 % de partenariats avec des entreprises privées et les 10 % qui restent proviennent de dons et legs. L’origine des financements est un paramètre important car elle conditionne notre politique. À notre échelle, nous essayons d’équilibrer les trois piliers qui nous soutiennent.

La fédération nationale emploie un peu plus de quarante salariés, mais l’ensemble du mouvement en compte plusieurs milliers sachant que certaines associations adhérentes en ont plus que nous. Cela traduit le parti que nous prenons d’impulser des lignes politiques fortes, suivies si possible par tous les adhérents, mais de laisser des initiatives aux territoires.

Quant à la cohérence du mouvement, j’ai commencé à répondre. Sachez que nous avons aussi des réunions régulières : la conférence des présidents d’associations adhérentes, le groupe des directeurs et des groupes de travail thématiques ouverts à tous les militants du mouvement pour faire des propositions. Nous faisons des efforts de cohérence pour les grandes options mais nous ne sommes pas une organisation paramilitaire. Auparavant, les tiraillements provenaient surtout des différents réseaux thématiques. Mais, grâce à notre plan stratégique, nous arrivons à une cohérence d’ensemble.

Pendant les deux premières années du Gouvernement, beaucoup de bonnes choses ont été faites ou annoncées : le débat national et la future loi sur la transition énergétique, la loi-cadre sur la biodiversité et la création d’une agence française de la biodiversité, avec un point d’interrogation sur ses moyens. En revanche, nous avons dénoncé des problèmes dans les méthodes de gouvernance et l’absence de moyens.

Quant à être mis, sous couvert d’intérêt général, au service d’intérêts particuliers, le problème est compliqué. Je m’insurge contre ceux de mes interlocuteurs – je pense à un chef d’entreprise que j’ai rencontré récemment – qui nous traitent de « nimbyistes », qui voient en nous des défenseurs de leur pré carré. Il est normal qu’un citoyen s’intéresse à l’environnement par le biais de ce qui se passe à côté de chez lui. Les élus sont aussi sensibles à ce qui se passe juste avant les élections. Le gros intérêt des fédérations est de permettre aux adhérents de passer du local au général. Tous nos contentieux ne sont pas dépourvus d’arrière-pensées mais une bonne partie d’entre eux permet de faire progresser la cause de l’écologie. Notre service juridique y veille.

Pourquoi pas une prime pour changer de véhicule ? Nous sommes favorables à l’alignement, ou plutôt au rattrapage du diesel, et ce serait un moyen d’aider à changer de voiture ceux qui habitent là où il n’y a pas de transport en commun. Toutefois, le cadre doit rester cohérent.

À quoi bon être compétitif si nous ne pouvons pas exporter nos moteurs diesel ? Ailleurs, le diesel n’est pas forcément moins cher que l’essence et ici, le rattrapage s’est fait au fil des années, et sans susciter de réaction. En 2002, l’écart était beaucoup plus grand que maintenant.

Oui à la rémunération des services écosystémiques, et la modulation de la DGF en est un début de traduction opérationnelle.

Je suis tout à fait d’accord avec M. Yannick Favennec pour miser sur l’enseignement professionnel – et pas seulement en agriculture –, pour apprendre à appliquer la transition écologique aux métiers. Nous pourrions faire ainsi des bonds de géant.

Mais il n’y aura pas de changement de pratique sans le soutien de la population. Donc, tout ce qui vise, par un projet cohérent – j’en parlais à M. Stéphane Le Foll pas plus tard que ce matin –, à soutenir la demande de produits de proximité à haute valeur environnementale, je ne dis pas bio, est important car les consommateurs doivent pouvoir aussi « voter avec leurs sous ».

M. Patrice Carvalho. Encore faut-il qu’ils en aient !

M. Bruno Genty. Sur ce point précis, l’ADEME a fait deux études « chariot », sur la base de 150 produits de consommation courante. Elles sont passionnantes et montrent que les consommateurs avisés et soucieux d’environnement peuvent s’y retrouver et économiser jusqu’à 600 euros par an et par personne. Il faut, chiffres à l’appui, combattre l’idée reçue selon laquelle les produits « écologiques » seraient forcément plus coûteux. N’oublions pas non plus qu’un produit qui dure plus longtemps est plus cher à l’achat, mais pas à l’usage. Ma grand-mère disait toujours : « nous n’avons pas les moyens d’acheter du toc ». Le problème vient de ce que ce sont les classes les plus défavorisées qui, faute de connaissances, sont les premières victimes de la mal consommation. Nous avons besoin d’un vrai programme d’éducation populaire à la consommation soutenable. Sinon, et on le voit avec la tarification incitative du traitement des déchets, les classes favorisées s’adaptent et paient moins alors que les plus défavorisés ne s’y retrouvent pas.

L’agriculture à haute valeur environnementale n’est pas toujours synonyme de bio.

Monsieur Olivier Falorni, d’accord sur l’écotaxe : on peut en effet procéder à des modifications pour rendre l’écotaxe plus acceptable, mais attention à ne pas répéter les erreurs de la taxe carbone ; il faut éviter qu’elle soit retoquée par le Conseil constitutionnel. Sans doute vaudrait-il mieux discuter avec ceux qui redoutent par exemple de passer très souvent sous les portiques. On pourrait imaginer des forfaits pour les déplacements de proximité qui ne pénalisent pas les locaux. Quant à l’eurovignette, il faudrait qu’elle soit cohérente avec l’écotaxe. J’aurais tendance à penser qu’il faut s’en tenir à ce qui a été négocié, c'est-à-dire la redevance poids lourds.

Au sujet des microparticules produites par le diesel, il faut tout de même réaliser que l’OMS, l’année dernière, a reconnu que l’air extérieur était cancérigène. C’est proprement hallucinant ! Le report modal est une des mesures à prendre, mais nous tournons en rond puisque c’est la redevance poids lourds qui devait le financer. Une autre piste pourrait consister à s’inspirer des autorités régulatrices de transport de personnes qui fonctionnent bien au niveau des régions, comme le STIF en Île-de-France. Vous connaissez l’importance de la pollution causée par les derniers kilomètres de livraison. Il faudrait une autorité régulatrice dans ce domaine alors que, pour le moment, chaque commune est libre de fixer ses propres règles.

Nous avons dénoncé le livret de développement durable parce qu’il y a tromperie sur la marchandise : moins d’un tiers de l’argent est dirigé vers ce qui lui vaut son appellation.

Vous vous préoccupez de l’avenir des associations de protection de la nature, monsieur Olivier Falorni. Nous aussi. Nous réclamons plus de dialogue, mais, paradoxalement, nous avons du mal à suivre. D’où notre appel à plus de moyens en faveur du mouvement associatif en France, car la lutte contre les lobbies économiques est inégale, et à un mandat pour les responsables bénévoles des associations pour l’environnement qui ont une organisation démocratique. En plus, cela ne coûterait pas forcément très cher à l’État.

Monsieur Patrice Carvalho, j’ai déjà commencé à vous répondre à propos des contradictions autour de l’écotaxe. Sans pédagogie, on favorise la montée des particularismes régionaux, la connivence absurde entre la victime et son bourreau. Je donne des cours à des étudiants de Master 2 à AgroParisTech qui m’ont demandé de leur expliquer ce qu’était l’écotaxe. Il y a encore du travail pédagogique à faire ! Oui au report modal et au développement du fret ferroviaire mais ne nous voilons pas la face, depuis combien de temps, malgré une bonne volonté évidente, les gouvernements qui se succèdent se heurtent-ils à des difficultés ?

Concernant le diesel, l’émission de particules fines coûte aussi en termes de santé. La place de leader que la France occupe sur le marché ne me convainc pas car il n’est pas certain que le diesel ait de beaux jours devant lui au plan international. Cette particularité du marché français peut même se transformer en handicap à l’exportation.

Madame Suzanne Tallard, la protection des milieux conduit-elle à exclure l’homme des territoires ? Notre congrès de 2007 a été l’occasion de travailler cette problématique et de mettre en exergue nos valeurs humanistes, mais les milieux naturels continuent de s’éroder et la biodiversité de reculer. Nous cherchons comment mieux concilier l’activité humaine et la préservation des milieux naturels à travers des projets concrets. Lutter contre l’artificialisation des sols constitue déjà un début de réponse. Défendre l’idée d’une trame verte et bleue, pour restaurer les continuités écologiques, s’inscrit dans cette démarche.

Pour défendre les aires marines protégées, nous nous heurtons au manque de moyens. L’Agence des aires marines protégées n’est pas en mesure de mener les études de projet. Nous ne sommes pas contre son intégration dans l’Agence française de la biodiversité, à condition que la mer ne soit pas perdante dans l’opération. La France a le deuxième domaine maritime du monde, et sa biodiversité très riche.

Nous travaillons beaucoup à la protection et au développement des territoires avec un réseau agriculture, avec un réseau forêts, avec un réseau mer et littoral. Notre approche n’est peut-être pas celle que voudraient les organisations professionnelles, mais nous ne faisons pas pour autant l’impasse sur la pêche et l’agriculture.

Mme Morgane Piederrière, chargée des relations institutionnelles de France Nature Environnement. Concernant la généralisation des baux environnementaux dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, il faut savoir que le dispositif existait déjà pour certaines parcelles et qu’il est question de le généraliser après que le bilan qui en a été dressé s’est révélé positif. Le consensus se fait autour de la nécessité de développer des modèles agricoles plus respectueux de l’environnement, mais à condition de ne pas introduire trop de rigidités. Tel est bien le but du bail environnemental, un outil souple puisqu’il s’agit d’un contrat. FNE espère que cet instrument sera conservé dans la version définitive du texte.

M. Bruno Genty. Monsieur Guillaume Chevrollier, nous avons des associations dans toutes les régions métropolitaines et ultramarines, sauf dans les collectivités à statut spécifique comme Wallis et Futuna et Saint-Barthélémy. Je peux difficilement vous répondre sur l’impact des scores de l’écologie politique dans la mesure où nous nous comptons depuis peu ; nous n’avons pas le recul suffisant. Mais, pour ce qui est du nombre d’associations membres, il n’y a pas de corrélation. À un moment donné, nous avons eu des inquiétudes, à des degrés variables selon les territoires, pour renouveler les cadres associatifs bénévoles, mais ça s’est arrangé. Il y a des territoires où nous avons beaucoup plus d’adhérents, mais c’est lié à la culture des différentes régions.

Notre récente campagne de communication « Irrespirable » a consisté à installer sur le toit d’un immeuble parisien un cube blanc sur lequel nous avons, à l’aide d’un pochoir, inscrit ce mot à la colle, et une caméra en face qui filmait en continu. Au bout de trois ou quatre jours, le mot « irrespirable » est apparu. Notre but, c’était de mobiliser un grand nombre de citoyens et ça a très bien marché. En quatre à cinq jours, notre vidéo a été visionnée 50 000 fois. Il n’est pas question de laisser entendre que la pollution de l’air est la même dans toutes les agglomérations et en milieu rural. Les polluants sont différents. Nous voulons seulement sensibiliser les citoyens, les impliquer dans les démarches de leurs collectivités, de l’État et de l’Union européenne pour la qualité de l’air. Le sujet est compliqué, je vous renvoie à des études montrant qu’on avait détecté autour de Jussieu des particules issues de pesticides en quantités relativement importantes. L’opposition rural/urbain n’est pas si nette. Nous n’avons pas suffisamment de moyens pour installer notre cube à plusieurs endroits différents pour mesurer les écarts.

L’« aquataxe », je suis désolé, ni Morgane Piederrière ni moi ne savons ce que c’est.

Monsieur Jean-Pierre Vigier, nous sommes pour un abandon progressif du programme électronucléaire. Il suffit de prolonger de dix ans la durée de vie des centrales pour faire baisser le coût de ce type d’électricité, au moins comptablement. Attention toutefois à « l’effet falaise » si on ne programme pas les fermetures – car une grande partie de nos réacteurs a été construite en une décennie. De plus, on joue aux apprentis sorciers : on a construit dans les années soixante-dix, avant Tchernobyl, avant Fukushima, et je trouve surprenant que l’on décide de prolonger de dix ans sans autre forme de procès. Le prix des déchets nucléaires n’intègre pas la santé. Or on voit les effets catastrophiques sur l’environnement de l’accident de Fukushima et ce n’est pas terminé. Le calcul ne doit pas être uniquement arithmétique, en jouant sur les durées d’amortissement ; il doit aussi tenir compte des conséquences pour la santé des personnes. C’est d’ailleurs ce qui a poussé les Allemands à abandonner le nucléaire. Il y a eu des accidents nucléaires majeurs en Union Soviétique, au Japon, nous avons un grand nombre de réacteurs nucléaires et les risques ne se limitent pas aux tsunamis et aux tremblements de terre...

M. Patrice Carvalho. Vous voulez dire que nous prenons des risques aujourd’hui ?

M. Bruno Genty. Oui, nous prenons des risques que nous ne maîtrisons pas vraiment. Il est tout de même hallucinant de penser que l’industrie nucléaire est la seule à ne pas être assurée. Ça en dit long sur les risques encourus qui sont multifactoriels.

J’entends d’ici vos griefs contre les Allemands qui font maintenant des centrales à charbon.

M. Patrice Carvalho. Mais c’est la vérité !

M. Bruno Genty. Oui, mais, en ce qui nous concerne, nous avons, dans nos contributions au débat sur la transition énergétique, insisté sur l’importance de réduire la consommation d’énergie. Ces propositions font sens au regard des finances publiques et de l’économie puisque cela permet de créer des emplois peu délocalisables dans l’isolation des bâtiments. Et les experts, notamment negaWatt, ont bâti des scénarios qui montrent qu’on peut se passer progressivement du nucléaire.

Monsieur Jean-Luc Moudenc, nous n’avons pas reçu de réponse à notre lettre ouverte sur l’évolution du droit de l’environnement. Et nous trouvons ce silence préoccupant.

Mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions de vos questions et de l’attention que vous avez portée à nos réponses.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est nous qui vous remercions, madame, monsieur. L’expertise de votre réseau d’associations qui maillent tout le territoire nous est très précieuse.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 10 décembre 2013 à 17 heures

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Michel Heinrich, M. Franck Montaugé, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Stéphane Demilly, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Jean-Claude Fruteau