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Mardi 14 janvier 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Thébault, ambassadeur délégué à l’environnement.

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean-Pierre Thébault, ambassadeur délégué à l’environnement.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission. La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire souhaite suivre les négociations environnementales internationales car, d’une part, elles concernent nos secteurs de compétence – les affaires maritimes, la biodiversité terrestre et marine, l’accessibilité à l’eau, les questions liées à la désertification et au reboisement – et d’autre part, notre pays y occupe une place essentielle.

Dans le cadre de la préparation de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, qui a eu lieu du 11 au 22 novembre dernier à Varsovie, nous avons auditionné le 30 octobre M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations internationales sur les changements climatiques.

Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Marc Thébault, ambassadeur délégué à l’environnement, qui va nous informer sur le déroulement des autres négociations environnementales internationales ainsi que sur les positions défendues par la France et les États les plus impliqués.

Monsieur l’ambassadeur, je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Quels sont les enjeux des négociations actuelles et sur quels thèmes portent-elles ?

M. Jean-Marc Thébault, ambassadeur délégué à l’environnement. Je vous remercie, monsieur le président, et vous adresse, ainsi qu’aux membres de la Commission du développement durable, mes meilleurs vœux durables pour la nouvelle année.

Qu’est-ce qu’un ambassadeur délégué à l’environnement ? Ce poste a été créé par les autorités françaises, en 2000, suite à un rapport qui visait à tirer les conclusions de la nouvelle donne internationale après les négociations du premier Sommet de la terre de Rio et l’adoption d’un certain nombre de grandes conventions internationales. Ces négociations, de par leur multiplicité et la transversalité des sujets abordés – la notion de développement durable nécessite de traiter simultanément des sujets environnementaux, mais également économiques et sociaux – posaient à la France un certain nombre de difficultés. J’ai pris mes fonctions en juin 2010 en tant que cinquième titulaire du poste.

Que recouvre le champ d’action de l’ambassadeur délégué à l’environnement ? Tout ce qui a trait à l’environnement et au développement durable, hors climat, dans le cadre des négociations internationales, même si, au fil du temps, pour des raisons liées à la politique interne ou à la dynamique des négociations, les autorités ont autonomisé certaines négociations.

Ce fut le cas d’abord des négociations liées aux pôles, pour lesquelles un ambassadeur spécifique a été désigné – il s’agit de l’ancien Premier ministre Michel Rocard – puis, en 2007, des négociations climatiques internationales, qui ont été séparées du champ global de l’environnement lors de la création d’un grand ministère de l’environnement, du développement durable, de l’énergie, du logement et de la mer.

Il reste à l’ambassadeur délégué à l’environnement tout ce qui concerne la planète, à l’exception des pôles, donc, et de l’atmosphère. Il participe ainsi aux négociations relatives aux sols – prévention de la désertification et de la dégradation des sols, forêts, biodiversité – aux océans et aux mers, aux produits chimiques. Il suit en outre les instruments financiers internationaux liés à ces sujets, notamment le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), et les institutions internationales en charge de ces sujets, en particulier le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Il s’intéresse à l’ensemble des sujets transversaux relevant du développement durable, tout particulièrement au sein des institutions new-yorkaises comme le Forum politique de haut niveau pour le développement durable, et enfin il participe aux négociations transversales comme le Sommet de la terre – j’étais le chef de la délégation française lors de la Conférence dite « Rio+20 » qui s’est achevée il y a deux ans.

Maintenant que je vous ai présenté l’essentiel de ma mission, je voudrais insister sur trois points.

Je veux avant tout vous dire que tous ces sujets finiront devant vous, parlementaires, à un moment où à un autre, qu’il s’agisse de traités internationaux devant être ratifiés ou de projets de loi portant mise en œuvre d’engagements internationaux.

Vous aurez à connaître de ces sujets à travers les conséquences de ces textes. Les négociations sur tous ces sujets ayant un aspect transversal – à la fois environnemental, social et économique – elles ont un impact sur les règles internationales dans les domaines des échanges, de la propriété intellectuelle, de l’industrie et du développement économique, social et environnemental.

Ce sont enfin des sujets en forte croissance, dont l’importance, en termes de conséquences et de décisions prises, est de plus en plus grande. Il ne s’agit plus de déclarations de principe, mais de textes susceptibles d’une mise en œuvre concrète. En outre, les enceintes internationales s’emparent de nouveaux sujets qui finissent par s’ancrer – je pense au changement des modes de production et de consommation, qui fait l’objet d’objectifs définis au niveau international pour développer l’économie circulaire, consommer autrement et faire face aux défis de la planète de manière soutenable – pour l’ensemble des pays, des économies et des populations.

Telles sont les raisons pour lesquelles ces sujets sont importants et méritent toute votre attention.

Ces sujets ne sont pas optionnels. Que nous le voulions ou non, ils s’imposent à nous. Car nous partageons une planète unique, et la population est passée de 5 milliards d’individus il y a une trentaine d’années à 7 milliards. La terre comptera 9 milliards d’habitants en 2050 et probablement 11 milliards en 2100. Or notre planète ne dispose pas, en l’état actuel des modes de production et de consommation, des ressources suffisantes pour faire face aux besoins légitimes d’une population sans cesse croissante.

L’enjeu auquel sont confrontés l’ensemble des États, individuellement et collectivement, sachant que les ressources renouvelables sont minoritaires, est de faire face aux besoins de populations comme la nôtre, qui souhaitent vivre mieux, ce qui suppose consommer plus, et de populations qui vivent actuellement sous le seuil de pauvreté ou accèdent à peine au confort et qui souhaitent également consommer plus. C’est un point que nous abordons dans le cadre de nos discussions sur l’économie circulaire.

Les négociations internationales, dont le point de départ semble environnemental, ne se comprennent donc que dans une perspective globale de développement durable et s’appuient sur la prise en compte de l’écosystème planétaire et de sa relation avec les populations. Elles portent essentiellement sur la question environnementale, mais elles ont des impacts sociaux et économiques, et relèvent de la diplomatie car c’est bien des relations entre les pays, les peuples, voire les communautés, que dépendra le règlement pacifique de ces contradictions.

L’exemple du Sahel est la parfaite démonstration de cette continuité. Cette région, qui il y a 30 ans comptait 200 millions d’habitants, en compte aujourd’hui près de 500 , et en comptera bientôt un milliard. Au Sahel, 90 % de la population est rurale et tente de survivre en exploitant de plus en plus intensivement des terres qui, par ailleurs, pour de nombreuses raisons, sont de moins en moins étendues. Pour cette population, la variable d’ajustement est l’émigration, d’abord des campagnes vers les villes, puis des villes vers l’extérieur, ce qui a de lourdes conséquences. Ce peut être aussi la concurrence pour l’usage des sols, qui commence entre les nomades et les agriculteurs, notamment au Soudan et au Mali, et la concurrence entre les peuples, ce qui exacerbe les différences ethniques, religieuses et nationales. Depuis 10 ou 15 ans, la désertification et la dégradation des sols sont devenues des éléments de paix et de sécurité qui relèvent des affaires étrangères.

Si nous observons l’extension des zones arides ou en voie de désertification et les lieux où sont apparus des phénomènes terroristes au cours des 20 dernières années, nous constatons une parfaite adéquation. Nous pourrions presque déterminer où auront lieu les prochains phénomènes de déstabilisation.

J’insiste sur la dégradation des sols car, bien que mal connu, ce problème affecte entre un et deux milliards de personnes dans le monde. La France a beaucoup agi dans ce domaine par le passé et pourrait encore le faire.

La dégradation des sols n’est pas seulement un phénomène rural, elle a des conséquences extrêmement importantes sur le climat. Les scientifiques estiment que les terres dégradées ou désertifiées contribuent à l’effet de serre à un niveau égal à celui de la déforestation, lui-même égal à l’effet produit par les transports routiers. Ce n’est donc pas un sujet mineur, d’autant moins que la dégradation des sols est le domaine dans lequel l’euro investi est le plus rentable puisqu’il permet non seulement de prévenir l’évolution du changement climatique mais aussi de maintenir les surfaces agricoles, ce qui a un impact social, économique et politique dans les régions concernées.

J’en viens au calendrier des manifestations.

Les grandes conventions internationales sont rythmées par des Conférences des parties (COP) annuelles ou biannuelles. L’année 2014 sera marquée par la douzième Conférence des parties (COP 12) de la Convention sur la diversité biologique, et par une Convention sur les produits chimiques dangereux et le traitement des déchets. L’année 2015 sera chargée avec une Conférence sur les changements climatiques (COP 21), la Conférence des parties sur la Convention sur la lutte contre la désertification, et la Conférence internationale sur les forêts au cours de laquelle sera négociée la création d’un instrument spécifique pour les forêts.

Parallèlement, des négociations sur la désertification sont en cours et devraient aboutir en 2014 ou en 2015. Il s’agit tout d’abord, dans le cadre de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), de faire de la zone saharo-sahélienne un exemple de coopération internationale en matière de prévention de la dégradation des sols. La France est très engagée dans ce dispositif intergouvernemental. Par ailleurs, une négociation très importante est en cours aux Nations Unies à propos de la création, très attendue, dans le cadre du traité sur le droit de la mer, d’un statut juridique pour les aires marines protégées en haute mer. Cet enjeu, soutenu par la France, permettrait de revivifier le traité du droit de la mer et de concrétiser la prise en compte des enjeux environnementaux en haute mer.

Les années 2014 et 2015 seront enfin marquées par des négociations sur plusieurs sujets qui ont fait l’objet de conclusions lors de la Conférence de Rio, notamment la définition d’objectifs de développement durable qui devraient compléter les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et faire du développement durable un objectif universel.

Enfin, en juin 2014 se tiendra à Nairobi la première assemblée des Nations Unies pour l’environnement. Le programme des Nations Unies pour l’environnement sera défini également dans le courant de l’année. Ce sera l’occasion pour la France de défendre concrètement la mise en œuvre des engagements pris à Rio, notamment en ce qui concerne le renforcement de la place du développement durable et la participation active de la société civile aux négociations environnementales internationales.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre action, à nous parlementaires, pourrait demain s’exercer par le biais du forum interparlementaire d’origine britannique Globe International dont nous avons, il y a près d’un an, créé une antenne en France, avec l’autorisation du président et du bureau de l’Assemblée nationale. Nous essaierons de faire avancer la réflexion au sein de Globe International, qui s’intéresse à la biodiversité, aux océans, au climat, à la déforestation.

Dans quelques semaines, le Gouvernement nous présentera un projet de loi relatif à la biodiversité dont l’un des articles portera sur la ratification du protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages (APA). L’Union européenne devrait ratifier ce protocole. Disposez-vous d’informations sur son rythme de ratification ?

M. Jean-Yves Caullet. Je voudrais, au nom de mes collègues du groupe SRC, vous poser quelques questions susceptibles d’aider les parlementaires à définir leur action.

Vous évoquez le risque de conflits. Il est vrai que, dans l’histoire de l’humanité, les défis ont été plus souvent réglés par un conflit que par un accord. Combien parieriez-vous sur la probabilité que des conflits surviennent face aux défis que vous avez évoqués ?

Vous parlez de sujets qui s’imposent, comme si le contexte international faisait redescendre en pluie fine sur les États des contraintes plus ou moins surprenantes – c’est ainsi que nous les vivons parfois, étant insuffisamment impliqués dans la préparation des négociations. Globe International représente en effet une diplomatie parlementaire qui influe sur les négociations gouvernementales ou internationales, mais comment les parlementaires français peuvent-ils se préparer pour affronter ce contexte ?

Existe-t-il une interaction entre l’action publique et les organisations non gouvernementales ? Les ONG internationales ont des composantes françaises. Comment faire en sorte que les thématiques soutenues par les composantes française et européenne d’une ONG soient reprises par l’ONG au niveau international ? Pouvez-vous agir en ce sens ? Que pouvons-nous faire pour vous aider ?

Parmi les autres thématiques, je voudrais évoquer la forêt, la francophonie et la protection de l’environnement. Je rappelle que dès 1948 a été fondée l’union des pays pour l’environnement, devenue l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Une diplomatie forestière est-elle possible entre les grands pays forestiers que sont le Canada, le Brésil, la France ou la Finlande ? C’est une question à laquelle je suis très attaché. Nous avons intérêt à faire participer des communautés d’intérêts pour obtenir un consensus capable de surmonter la fausse uniformité des objectifs. Car tout le monde est d’accord pour protéger la planète, mais chaque pays a par ailleurs des intérêts particuliers.

La dégradation des sols est aussi une réalité en France, où le cycle de la matière organique n’est plus maîtrisé. Il faut 5 à 10 ans pour détruire un sol, mais il en faut 50 à 80 pour le reconstituer. Quels sont les moyens mis en œuvre au plan international ? Que peut faire l’Europe en la matière ?

Enfin, vous évoquez une conférence internationale sur la forêt. Je ne sais si c’est le bon outil, mais entre la préservation de la forêt primaire, illustrée dans de magnifiques documents cinématographiques, la réalité des enjeux du bois, l’exploitation des grandes forêts arctiques ou subarctiques et ce qui se passe dans nos forêts cultivées, il faut savoir ce dont nous parlons exactement quand nous parlons de forêt, de déforestation, d’exploitation forestière ou de valorisation du bois.

M. Martial Saddier.  Mes collègues du groupe UMP et moi-même vous adressons, monsieur l’ambassadeur, nos meilleurs vœux pour l’année 2014. Nous sommes très attachés à tous les enjeux que vous avez évoqués, qu’il s’agisse des pôles, des sols, de la forêt, de la biodiversité, des océans, des mers et de la gestion des produits chimiques. Sur quels sujets la France se situe-t-elle parmi les bons élèves, et sur quels autres sujets est-elle un mauvais élève ?

Même si tous ces sujets sont des priorités, il convient d’établir une hiérarchie en vue de répartir les financements, comme l’illustrent les difficultés des pays du Nord pour s’accorder sur la fameuse compensation annuelle de 100 milliards de dollars versés aux pays du Sud. Pouvez-vous nous dire quelques mots de l’étape de 2015 et de l’objectif de 2020 ?

Nous pouvons nous mettre d’accord sur le bilan et le constat et reconnaître la bonne volonté que manifestent certains pays qui se mettent autour de la table pour inverser la tendance, mais cela ne se fait pas sans mal – l’exemple le plus emblématique est la décision de maintenir le réchauffement climatique à 2 °.

La France, avant de faire partie du monde, se situe dans l’Union européenne. Or notre pays a un certain nombre de contentieux en cours. Comment s’articulent vos travaux dans le cadre des négociations internationales et vos relations avec la Commission et la Cour de justice européennes ? Quels sont les sujets sur lesquels la France fait l’objet d’un précontentieux ou d’un contentieux – autres que celui portant sur la qualité de l’air ?

Enfin, notre commission a voté à l’unanimité un rapport sur l’affichage environnemental des produits qui préconise dans ses conclusions que la France pèse enfin dans l’expérimentation européenne. Ce point entre-t-il dans le champ de vos compétences ? Avez-vous travaillé sur cette question ? La position française a-t-elle une chance d’être entendue à l’échelle de l’Union européenne ?

M. Yannick Favennec. Au nom du groupe UDI, je vous remercie pour votre exposé, monsieur l’ambassadeur, et vous présente mes meilleurs vœux pour cette année au cours de laquelle vous allez préparer la Conférence Paris Climat 2015, point d’orgue des négociations internationales sur le climat.

En septembre dernier, le Gouvernement annonçait qu’il voulait aboutir à un accord juridiquement contraignant, ambitieux et applicable à tous qui permettrait de respecter la limite de 2 ° de réchauffement climatique. À l’issue de la Conférence de Varsovie, on peut affirmer sans être pessimiste qu’on en est encore très loin. Le nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) préconisait pourtant l’engagement immédiat, sans attendre 2020, de l’ensemble des pays sur des réductions importantes d’émissions de gaz à effets de serre. Mais l’Australie, le Canada et le Japon ont revu leurs objectifs à la baisse pour 2020, tandis que l’Union européenne, elle, se refuse à revoir les siens à la hausse. Or ce sont 8 à 12 milliards de tonnes de CO2 qui sont émis en trop, chaque année, par rapport à la réduction des émissions qui nous permettrait ne pas dépasser les 2 ° d’augmentation de température d’ici à la fin du siècle, ce qui représente environ 20 fois les émissions de la France.

Les contours d’un accord pour la période post 2020 sont encore très flous et les objectifs de réduction des émissions sont repoussés à plus tard et confiés au libre choix de chacun des pays. En se rapprochant de la position des États-Unis, qui consiste à laisser chaque pays définir lui-même son niveau d’engagement, l’Union européenne perd toute possibilité de leadership.

La Conférence de Paris peut être une immense occasion de redonner un sens politique à ces négociations, mais le choix des alliances du Gouvernement, en France et au sein de l’Union européenne, décidera largement du contenu de l’accord final. Comment le Gouvernement français peut-il agir dans la perspective de la Conférence de 2015, et quels doivent en être, selon vous, les objectifs ?

M. François-Michel Lambert. Je vous souhaite à mon tour, monsieur l’ambassadeur, au nom des députés du groupe Écologiste, une bonne année remplie d’espoir.

Vous avez abordé les enjeux planétaires, le changement climatique, les tensions dues à la raréfaction des ressources, la préservation de la biodiversité. Nous avons besoin d’une vision planétaire de ces sujets, au lieu de la vision franco-française dans laquelle nous sommes installés, pour comprendre comment ces enjeux planétaires sont pris en compte dans chaque territoire, chaque pays, chaque peuple, chaque culture et chaque religion. Pouvez-vous nous y aider ?

Comment s’articule votre mission avec les membres du Gouvernement en vue de la Conférence de 2015 ?

Comment percevez-vous l’action de Pascal Canfin, ministre chargé du développement, qui a reconfiguré l’action de la coopération française et semble lier son ministère aux grands enjeux mondiaux ?

Mme Geneviève Gaillard. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, pour votre présence parmi nous et vous adresse mes vœux de bonheur et de réussite pour l’année qui commence et les années ultérieures, car les défis sont énormes et votre travail ne doit pas vous laisser beaucoup de repos. (Sourires)

Vous nous confirmez l’importance de l’enjeu démographique par rapport aux ressources naturelles et aux changements qui se produiront au niveau planétaire. Abordez-vous ces sujets dans le cadre des négociations et comment, selon vous, évoluera cette problématique ? Serons-nous capables de relever rapidement ce défi ?

Nous connaissons les intérêts contradictoires de ceux qui consomment les services de la nature. Le regard porté par certains chefs de gouvernement sur la préservation de la nature a-t-il évolué ? Que pensez-vous des actions menées par l’Agence française de développement (AFD) ?

Enfin, j’ai eu l’honneur d’assister aux conférences de Rio, de Nagoya et d’Hyderabad. La biodiversité est un sujet auquel je suis particulièrement sensible. La préservation de la biodiversité est-elle, selon vous, en bonne voie au plan international ? Sachant qu’un projet de loi qui, je l’espère, portera création de l’Agence française de la biodiversité, nous sera bientôt présenté, la France fait-elle partie des pays exemplaires ?

Enfin, considérez-vous que les financements dont vous disposez sont suffisants ? Comment vous organisez-vous pour mener à bien la mission qui vous a été confiée ?

M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur l’ambassadeur, je vous souhaite à mon tour mes meilleurs vœux pour 2014.

Vous avez souligné dans différentes interventions la nécessité de reconnaître le rôle essentiel des investissements à long terme pour favoriser le maintien et l’élargissement du développement durable. C’est une vision intéressante.

Cependant, la crise économique mondiale et le fait que la reprise ne se dessine pas clairement risquent de privilégier les investissements à court terme, moins coûteux.

Vous dites souhaiter que de nouvelles ressources soient mises en place. La taxe sur les transactions financières, impulsée par la France, peine à prendre forme. Mais il y a quelques jours, Paris et Berlin ont décidé de prendre une initiative commune dans ce dossier. La création de cette taxe peut-elle, selon vous, intervenir rapidement ? Avez-vous d’autres propositions innovantes pour assurer le financement du développement durable au niveau mondial ?

Mme Sophie Errante. Je vous souhaite moi aussi une bonne santé et surtout beaucoup de courage…

Concernant REDD+, le programme de coopération de l’ONU sur la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement, quelles doivent être pour la France les priorités à défendre concernant la forêt amazonienne ? Avez-vous des préconisations pour gérer durablement les forêts majeures qui se trouvent sur notre territoire ?

J’ai récemment assisté à Varsovie à une conférence de Globe International sur la protection du climat. Que proposez-vous pour évaluer financièrement les services rendus par la nature ? Sur ce point, nous sommes plus proches du conflit que de l’accord.

Les pays émetteurs de gaz à effets de serre (GES) doivent participer au financement du fameux Fonds vert pour le climat, mais il est très difficile d’obtenir les crédits prévus. Que préconisez-vous pour atteindre l’objectif fixé ? Comment analysez-vous l’après-Varsovie ?

M. Christophe Priou. Je vous souhaite quant à moi longue vie, monsieur l’ambassadeur… (Rires)

On ne peut considérer notre pays comme le centre du monde, mais la France doit sa présence planétaire aux mers et aux océans. Quel est le rapport de force, au sein des organisations internationales, entre ces deux philosophies : celle des Pays-Bas, qui depuis la catastrophe de 1953 ont réalisé des ouvrages pour se protéger des inondations, ou celle qui consiste à agir sur les causes de l’évolution climatique, qui exige un consensus international ?

Nous, nous avons subi deux marées noires sur le littoral atlantique, mais ces catastrophes étaient d’origine matérielle et humaine, et non naturelle. L’Europe a pris un certain nombre de mesures en matière de sécurité maritime – contrôle des bateaux, formation des personnels – mais lorsqu’elle a souhaité les étendre au niveau international, elle s’est heurtée au blocage d’un certain nombre d’organisations comme l’Organisation maritime internationale (OMI). Quel est actuellement le rapport de force entre les deux tendances ? Laquelle, selon vous, risque de l’emporter face à une menace qui est devenue une certitude ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pouvez-vous nous dire un mot sur la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer ?

M. Jean-Pierre Thébault. Je vais tenter de répondre à vos questions, mesdames et messieurs les députés, même si chacun des sujets que vous avez abordés mériterait à lui seul un débat de fond.

J’ai oublié de vous indiquer qu’en tant qu’ambassadeur je suis diplomate de carrière et qu’à ce titre j’ai été nommé par le Président de la République, mais mon rôle et ma mission sont définis à l’échelle interministérielle. Je dispose d’une lettre de mission signée conjointement par le ministre des affaires étrangères et le ministre en charge de l’environnement, de telle façon que les négociations soient bien menées en association avec l’ensemble des administrations compétentes. Je joue un rôle d’animateur d’équipes interministérielles, composées naturellement de représentants des ministères des affaires étrangères et de l’environnement, très souvent accompagnés de représentants des ministères de l’agriculture, des finances et de l’industrie.

Mon rôle est également d’assurer dans la durée la présence de la France au sein des multiples enceintes internationales où je suis le chef de la délégation et représente, en cas d’absence du ministre concerné, la voix politique de la France dans les négociations.

La création du poste d’ambassadeur délégué à l’environnement est un dispositif original. De rares pays l’ont repris, même s’ils sont généralement incapables de le mettre correctement en pratique car la nature de ses fonctions s’oppose à leur organisation sectorielle. De ce point de vue, la France est plutôt exemplaire.

J’en viens aux questions que vous m’avez posées.

Vous allez effectivement être saisis prochainement d’un projet de loi relatif à la biodiversité. Il s’agit d’un texte symbolique qui s’inscrit dans une dynamique que la France a la capacité d’encourager ou de bloquer, ce qui dépendra en partie de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, notamment du titre IV qui traite de la transcription en droit français de l’accord sur le partage des ressources (APA).

Sur les trois grandes conventions de Rio, celles sur la diversité biologique et sur les changements climatiques ont pris leur essor. La négociation de Nagoya a débouché sur un accord important dont le protocole APA est le point central. Ne pas le ratifier dans des délais raisonnables aurait un impact sur la crédibilité de l’Union européenne et le dynamisme des négociations sur la biodiversité.

L’accord sur le partage des ressources issues de la biodiversité doit être ratifié par 50 États pour entrer en vigueur. À ce jour, 28 États l’ont ratifié, dont quelques grands pays émergents. Une deuxième Conférence des parties est prévue en octobre en Corée pour évoquer un certain nombre de questions, en particulier celle du financement de la protection de la biodiversité au niveau international. Cette réunion sera, nous l’espérons, l’occasion de constater l’entrée en vigueur de l’accord APA, à condition que les 28 États membres de l’Union européenne l’aient ratifié, à la fois séparément et collectivement, même si un projet de règlement à effet immédiat règlera une partie des questions au niveau communautaire.

Ces difficultés illustrent le rôle important que jouent les Parlements nationaux quant à la crédibilité des négociations. Mais vous rencontrerez sans doute sur votre chemin des sujets difficiles. Ainsi le protocole APA aura un impact sur la réglementation de la propriété intellectuelle et créera des droits collectifs au profit des communautés indigènes et autochtones, ce que demandent un certain nombre d’États européens, dont la Suède et le Danemark. C’est donc un sujet éminemment sensible que nous devrons veiller à aborder dans les débats franco-français de manière apaisée. Il serait dommage que la France soit l’État qui empêche la ratification de l’accord par l’Union européenne.

La Conférence des parties qui se tiendra en Corée sera l’occasion de mettre en œuvre une stratégie de financement international de la protection de la biodiversité. Sur ce point, la France et les États européens devront prouver le sérieux de leur position car nous avons pris à Hyderabad des engagements sur le doublement des financements dédiés à la protection de la biodiversité et nous avons demandé aux autres États de les prendre également.

Tous ces sujets sont doublement importants, d’une part pour les enjeux qu’ils représentent et parce qu’ils font apparaître la nécessité d’adopter un regard différent sur le développement économique. Ils font également apparaître que nous, Européens, sommes de moins en moins influents au niveau international, non seulement parce que nous sommes moins compétitifs mais également parce qu’un certain nombre de pays se sont aperçus que, contrairement à eux, nous n’avions pas de ressources naturelles. Cette réalité leur donne une nouvelle assurance. Ils considèrent que si nous insistons sur l’économie des ressources, c’est que nous n’en avons pas, et que si nous adoptons de nouveaux concepts comme l’économie verte et le changement des modes de production et de consommation, c’est pour essayer de prendre le contrôle de leurs propres ressources.

S’ils veulent conserver un certain niveau de consommation et trouver les voies d’une nouvelle compétitivité, les pays qui ne disposent pas de ressources naturelles doivent être capables d’inventer de nouveaux modes de production et de consommation crédibles. Si des affrontements surviennent entre les pays émergents, les pays pauvres et les pays anciennement riches sur ces différents sujets, nous savons tous qu’à un moment donné nous serons obligés collectivement d’inventer ces nouveaux modèles.

Les négociations internationales sont également, pour les pays comme le nôtre, l’occasion de comprendre cette nouvelle donne et d’en tirer les conséquences en termes d’éducation, de formation, de recherche et d’innovation opérationnelle.

Quelques pays émergents, comme le Brésil, dont le territoire est assez vaste pour accueillir une population plus importante et qui dispose de ressources sans limites, n’ont aucun intérêt à changer leur modèle de développement. Ils considèrent que si nous les y incitons, c’est pour les empêcher de profiter de notre modèle.

Les négociations mettent en lumière la nécessité pour nous d’inventer de nouveaux modes de production et de consommation et de faire de certaines d’entre eux des opportunités dans les domaines de l’industrie, de la recherche, de l’éducation afin de redevenir des pays compétitifs. Il ne faut pas croire que nos pays ont découvert l’environnement et le développement durable au détriment des autres pays du monde, qui l’ignorent mais pourraient se laisser tenter parce qu’ils sont pauvres ou qu’ils disposent d’importantes ressources. Aujourd’hui, de nombreux pays sont en train d’adopter ce raisonnement. C’est le cas du Brésil, où la chambre de commerce de Sao Paulo est très en pointe sur tous ces sujets : les Brésiliens se rendent compte que les modèles économiques évoluent et ils adoptent de nouvelles valeurs, en particulier la reconnaissance des services rendus par la nature, en vue de ce qui pourrait être la troisième révolution industrielle.

En bref, au-delà de leur intérêt spécifique et sectoriel, chacun de ces sujets nous invite à développer une nouvelle compétitivité et à adopter de nouvelles valeurs.

Monsieur le député, la probabilité de voir apparaître des conflits face à ces nouveaux enjeux est très forte, même en étant très optimiste… Ce qui pourrait provoquer le grand conflit du XXIème siècle, ce sont les OPA internationales qui permettent à des sociétés chinoises d’acheter des sociétés brésiliennes ou des filiales de sociétés canadiennes dans le domaine des ressources. La rareté affectera peut-être tout d’abord l’énergie, mais la liste des ressources minérales rares et non renouvelables s’allonge.

Le conflit est certes possible, mais il est en même temps inconcevable car il se produirait à une telle échelle qu’il ne pourrait conduire qu’à une forme d’annihilation. À cet égard, il est urgent de prévenir un tel risque.

Non, madame Geneviève Gaillard, la croissance démographique, même si son ampleur pourrait déclencher un conflit, n’est pas prise en compte dans les négociations internationales car nous ne pouvons évoquer cette question sans apparaître comme des malthusiens, ce qui a des résonances extrêmement négatives pour un certain nombre de pays. C’est d’ailleurs un sujet sur lequel nous ne sommes pas d’accord au sein même de l’Union européenne.

Toutefois, la croissance démographique se dessine en creux dans les négociations. Le calcul, pour réduire le risque potentiel de conflit, consiste à rechercher les nouveaux modes de production et de consommation qui permettront de produire des quantités extrêmement plus importantes qu’aujourd’hui avec des ressources beaucoup plus rares. Il consiste à permettre à une fraction de plus en plus grande de la population mondiale de sortir de la pauvreté et d’amorcer la transition démographique. Si, dans les 10 à 20 ans qui viennent, ces négociations aboutissent, nous n’éviterons pas les 9 milliards d’habitants prévus en 2050 mais nous éviterons peut-être les 11 milliards en 2100.

Il reste que certaines réalités sont perturbantes. En termes de production agricole, nous avons suffisamment sur la planète de quoi nourrir 11 milliards d’habitants, voire plus. Mais nous ne savons pas mettre fin au fait que 50 % des productions agricoles sont détruites – environ 25 % avant leur mise sur le marché et 25 % après leur mise sur le marché.

Comment agir et avec qui ? Je ne peux que vous encourager, mesdames et messieurs les parlementaires, à utiliser tous les canaux, comme Globe International – que la France, malheureusement, a laissé aux mains des Anglo-saxons, ce qui en fait un outil peu francophone –, mais il en existe d’autres. Globe sera un succès lorsqu’il sera franco-britannique ou anglo-français et qu’il permettra de travailler dans les deux langues car il est regrettable que 50 à 60 pays francophones soient de facto exclus des négociations internationales.

La France souhaite que les négociations ne se limitent pas aux États et que la société civile – parlementaires, ONG, entreprises, collectivités locales, syndicats – y soit associée. Cette proposition provoque les réticences de nombreux pays comme la Chine, la Russie, sans parler de la Syrie ou du Soudan. Cela dit, notre voix est de plus en plus entendue par des populations qui prennent conscience des enjeux de ces négociations.

La situation de la francophonie est un drame permanent. Quels que soient nos efforts pour y remédier, notre langue nous exclut car nous avons, nous Français, des difficultés à parler l’anglais qui est devenue la langue standard des négociations. L’anglais exclut encore plus les pays francophones en voie de développement. Alors que la Namibie joue un rôle de coordonnateur dans les négociations sur la biodiversité du G77, l’ensemble des pays africains francophones en sont totalement exclus. C’est une vraie difficulté que nous ne savons pas traiter.

Vous évoquez les forêts, madame Sophie Errante, sous l’angle de REDD+. C’est dommage, car cet objectif est l’antithèse de ce qui devrait être fait. En effet, les forêts y sont traitées non pas en tant que telles mais sous l’angle des puits de carbone. Lors du Sommet de Rio en 1992, nous étions nombreux à souhaiter une convention sur les forêts, mais un certain nombre de pays, dont le Brésil, s’y sont opposés.

Il existe plusieurs sortes de forêts. La définition de la FAO est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire puisqu’elle définit les forêts uniquement sous l’angle de leur densité et de leur hauteur. Or il n’y a aucun point commun entre une forêt primaire et une forêt subarctique, ni entre les forêts du pourtour sahélien et la forêt du Congo.

Comment progresser sur cette question ? Sachant que certains pays s’opposent à la création d’un instrument général pour les forêts, est-il possible de mettre en place des instruments spécifiques ? C’est ce que nous tentons de faire, d’ailleurs en juin une réunion se tiendra en Europe pour évoquer la possibilité d’un premier accord légalement contraignant sur la forêt européenne.

La protection des forêts, pourtant essentielle, est inexistante. Et lorsqu’on demande aux États africains ce qu’ils pensent des grandes négociations internationales, en particulier de la REDD+, ils répondent qu’ils ne sont pas concernés puisqu’ils n’ont jamais reçu le moindre financement… Ils n’ont pas totalement tort. Plus un État déboise et ce faisant attire l’attention de l’opinion internationale, plus il reçoit de financements. La plus grande forêt primaire intacte, qui se trouve sur le bassin du Congo, reçoit beaucoup moins d’aides que d’autres grands bassins, et les ministres de l’environnement de ce pays ont du mal à expliquer à leur chef de Gouvernement que le palmier à huile n’est pas une bonne solution…

Les problèmes liés à la forêt sont multiples et très complexes ; la gestion du foncier génère des réactions contradictoires au sein d’un même gouvernement, sans parler de la politique soutenue par cette célèbre organisation internationale qui commissionne des études sur le potentiel agricole des territoires couverts par les forêts tropicales. Nous ne traitons pas la question des gaspillages des productions agricoles et nous créons de nouvelles terres agricoles, mais nous ne faisons rien pour faire cesser la désertification. Nous savons pourtant que les terres pauvres ont une durée de vie très courte.

J’en viens à l’état des sols, qui est un véritable drame. Entre 1,5 et 2 milliards de personnes dans le monde dépendent directement de sols pauvres qui nourrissaient les populations depuis plusieurs milliers d’années mais ont été surexploités – ce que l’on appelle la pression anthropique. Pourtant amender les sols ne coûte pas cher. Mieux, un sol devenu stérile pendant quelques années conserve la capacité de se régénérer. Il y a des exemples très intéressants, en Afrique notamment, de communautés villageoises, souvent des associations de femmes, qui amendent les sols devenus stériles au profit des agriculteurs qui les exploiteront. Hélas, cette politique ne bénéficie d’aucun financement : c’est une vérité terrible car ces populations, parmi les plus pauvres du globe, devraient bénéficier de la solidarité internationale. La Convention sur la lutte contre la désertification et la prévention de la dégradation des sols, soutenue par la France à Rio en 1992, à la demande des pays africains, a été poursuivie pendant quelques années, mais c’est vraiment la convention des pauvres, créée par les pauvres et pour les pauvres…

L’Observatoire du Sahara et du Sahel, créé par la France, associe l’ensemble des États du pourtour saharien, 25 dont le Kenya, la Somalie, le Burkina Faso, l’Algérie. On peut parler d’une remarquable réussite, mais les moyens de l’Observatoire, déjà faibles, ne cessent de décroître. Il est regrettable que nous nous intéressions peu à cette Convention car elle ne coûte pas cher et pourrait avoir un impact considérable. La France a un atout en la matière : la nouvelle secrétaire exécutive de la Convention est une Française – il s’agit de Monique Barbut, ancienne directrice générale du Fonds pour l’environnement mondial (FEM).

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur le climat : je ne suis pas compétent en la matière, mais je puis vous dire que nous réussirons les négociations non seulement parce qu’il devient nécessaire de trouver un accord mais aussi parce que notre diplomatie se mobilise pour y parvenir, et je peux porter témoignage de l’engagement de l’État, en particulier du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Mais pour gagner un accord sur le climat, il nous faudra accepter de traiter la question sous tous ses aspects, à savoir les sols, les forêts et les océans, et nous montrer très dynamiques lors des négociations relatives à la biodiversité.

Nous devons être conscients du fait que les financements dont nous parlons aujourd’hui sont essentiellement consacrés à l’évolution climatique, au détriment des autres conventions. La Convention sur la désertification reçoit un budget de 20 millions, le programme des Nations Unies pour l’environnement un budget de 200 millions, tandis que la Convention climat en reçoit cinq fois plus. À cet égard, nous avons peut-être mis tous nos œufs dans le même panier, ce qui est quelque peu antithétique avec les notions de développement durable et d’écosystème.

Quant à la hiérarchie des priorités, elle nous amène à diriger notre effort là où nous pouvons réussir, mais la priorité n’est pas la même pour chaque État. En la matière, la diplomatie nous oblige à adopter une vision transversale et une attitude ambitieuse.

La France est-elle, monsieur Martial Saddier, un bon ou un mauvais élève ? Elle est à la fois l’un et l’autre. Elle n’est pas un mauvais élève par volonté mais plutôt par manque de moyens, parce que les arbitrages n’ont pas été faits ou que les politiques menées ne sont pas dans sa tradition. Nous essayons d’être de bons élèves, mais ce n’est pas aisé. À Nagoya, Chantal Jouanno avait exprimé le souhait que la France augmente significativement les financements au profit de la biodiversité. Elle pensait avoir obtenu les engagements nécessaires mais elle a appris par la suite que ce n’était pas envisageable car la direction du Trésor n’avait pas été consultée. Pendant ce temps-là, l’Allemagne engageait cinq fois plus de moyens en faveur de la biodiversité.

L’articulation avec l’Union européenne, qu’il s’agisse de la Commission ou de la Présidence, est permanente. Mais nous conservons toujours – et c’est mon rôle – une marge de manœuvre nationale, à travers des contacts privilégiés. Nous avons aussi, parfois, une meilleure analyse de certaines situations.

Nous sommes d’autant plus influents que nous sommes exemplaires et que nos parlementaires, nos ONG, nos collectivités locales sont engagés. Même si ces acteurs savent se montrer extrêmement dynamiques, l’influence majoritaire au sein des négociations reste anglo-saxonne. C’est l’un de nos problèmes.

L’affichage environnemental des produits est un outil intéressant en ce qu’il contribue au changement des modes de production et de consommation, qui donnera de la France et de l’Europe une image dynamique. Ce n’est pas une politique facile à défendre, même si un certain nombre de pays non européens nous suivent sur ce point. J’ai moi-même animé à New York un atelier sur ce thème dans le cadre de la Commission du développement durable de l’ONU, en présence d’une entreprise chilienne qui avait accepté de participer à l’expérimentation française.

La vision planétaire que vous appelez de vos vœux, monsieur François-MichelLambert, n’existe pas. C’était tout l’intérêt du Sommet de la terre, dont je regrette beaucoup qu’il n’ait pas suscité une participation plus large, notamment de la part des faiseurs d’opinion que vous êtes. Outre les personnes intéressantes que nous y avons rencontrées, il était fascinant de voir à quel point la vision du monde est très différente selon le pays où l’on vit, que ce soit au Brésil, en Chine ou en Inde, dont les représentants nous ont opposé des arguments qui ne sont pas dénués de bon sens.

Nous avons appris que les messages que nous avions diffusés avaient eu un écho, en particulier l’engagement du Gouvernement français de mettre en place de nouveaux indicateurs de richesse, le « PNB+ » mais la France semble s’être détournée de cet objectif, ce qui suscite une certaine déception au niveau international. À l’exception du Brésil, l’Amérique Latine s’oppose à nous sur les nouveaux modèles de développement qui prônent le « bien vivre » au détriment du « consommer plus ». Il n’est pas inintéressant de le savoir, car cela peut nous permettre d’expliquer à nos chefs d’entreprise et aux différents relais d’opinion comment conquérir ces marchés.

Ces sujets ne feront pas la différence lors de la COP de 2015, mais ils auront une influence et nous ne devrons pas les délaisser au cours des deux ans qui viennent. Nous parlerons beaucoup de climat et engagerons d’importants moyens, mais le succès peut venir des autres compartiments de la négociation internationale. N’oublions pas la leçon de Durban. Après le Sommet de Copenhague, si les renégociations ont repris, c’est grâce au soutien de l’Afrique et des petits États insulaires qui a permis à l’Union européenne de contraindre les grands États émergents à revenir autour de la table des négociations.

Pour être entendu par les pays d’Afrique, il faut parler des forêts et de la désertification, mais pour être entendu par les petits États insulaires, il faut parler des océans. C’est pourquoi nous devons suivre avec la plus grande attention la négociation du troisième protocole de mise en œuvre de la Convention de Montego Bay sur la protection environnementale en haute mer ainsi que les conventions régionales. Nous disposons d’instruments très intéressants sur les plans politique, économique, social et environnemental en Méditerranée, en Atlantique Nord-Est, dans l’Océan Indien et dans les Caraïbes, et nous sommes très influents, même si ces instruments manquent de visibilité et de moyens au niveau français.

La taxe internationale sur les transactions financières est aujourd’hui la seule source additionnelle de financement que nous ayons pu identifier. Elle sera utile dans le cadre des grandes négociations, nous permettra de travailler ensemble sur les nouveaux modes de production et de consommation et de soutenir l’innovation et l’éducation dans le domaine du développement durable.

Nous avons le sentiment, madame Sophie Errante, que la prise en compte des services rendus par la nature a attiré l’attention d’un certain nombre de pays, mais la crise nous a détournés de cet objectif. C’est dommage car les pays qui y ont cru se retrouvent un peu orphelins… Quoi qu’il en soit, même si certaines idées ne peuvent être incarnées dans l’immédiat, il ne faut pas cesser d’enfoncer le clou.

Enfin, la Convention de Montego Bay est un traité admirable qui avait déjà raison en 1980, mais il est un peu dépassé. Nous y sommes néanmoins toujours attachés, car il a permis de résoudre des contentieux très lourds. Nous ne souhaitons pas le remettre en cause, mais au contraire le fortifier. Encore faut-il prendre en compte les nouvelles problématiques et en particulier celles de la haute mer, qui couvre les deux tiers de la surface de la planète et est devenue pour la diplomatie internationale l’une des nouvelles frontières. Or aujourd’hui, au-delà des zones sous juridiction, ne sont applicables que des réglementations minimales et sectorielles : celle de l’OMI, quelques réglementations sur les déchets. Le principe général qui s’applique est celui de la liberté. Cela pose un problème car la perspective de l’épuisement des ressources remet en question l’exploitation des ressources de la haute mer, et les grandes catastrophes ont montré que ce qui se passe en dehors des zones sous juridiction a des conséquences sur ces dernières. Il nous faut donc trouver un modus vivendi sur la gestion de la haute mer.

Aujourd’hui, nous pouvons simplement espérer la mise en place d’un statut juridique international qui permette de créer des aires marines protégées. Certes, ce statut ne correspondra qu’à une partie infime de la haute mer, mais il démontrera que toutes les institutions concernées peuvent travailler ensemble pour atteindre un objectif commun.

La France est très en avance sur ce sujet, qu’elle avait défendu à Rio et qu’elle souhaite voir aboutir avant la fin de la prochaine assemblée générale des Nations Unies qui s’achèvera en 2015. Réussirons-nous ? Ce sera difficile, mais nous n’abandonnerons pas. L’Europe a pris une position forte sur ce point, initiée par la France, mais nous faisons face aux fortes réticences de pays comme les États-Unis, le Canada, le Japon, la Russie, ce qui amène d’autres pays comme le Brésil, la Chine ou l’Indonésie à les croire justifiées.

Pour résumer, les pessimistes considèrent que toutes ces négociations sont comme le tonneau des Danaïdes, que l’on remplit avec des crédits et de bonnes intentions, mais qui se vide continuellement. C’est ce qui se passe lorsque l’on n’investit peu. La France, sur ces questions, a une légitimité historique et politique et à plusieurs reprises, quelle que soit la majorité qui se trouvait aux responsabilités, elle a initié des projets qui ont aidé à faire progresser les choses. À l’inverse, notre pays a une faiblesse due à l’insuffisance des moyens qu’il engage dans ces négociations, à l’exception de la négociation climat, et il ne peut se prévaloir d’une continuité dans l’action. On ne peut songer sans regret au fait que des pays comme la Suède, le Danemark, la Norvège et la Finlande ont la réputation d’être des pays en pointe sur ces sujets, alors qu’ils n’oublient jamais leurs intérêts économiques. La France est capable d’innovation et de créativité, mais elle n’a pas cette image qui aiderait nos entreprises à réussir sur le plan international.

En tant que diplomate chargé des négociations environnementales internationales, je n’ai aucun problème à parler d’économie, de compétitivité ou de marché. C’est la règle du jeu. Ces négociations sont une excellente occasion de promouvoir ce que nous savons faire.

Ces défis s’imposent à nous. Ils s’imposeront moins si la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale s’empare de ces sujets et élabore une position parlementaire propre à inciter l’État à suivre ces sujets dans la durée et de manière cohérente.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, pour la qualité et la tonalité positive de votre intervention. Il est clair que nous avons nous aussi, au sein de l’Assemblée nationale, un travail pédagogique à entreprendre. (Sourires)

Vous avez à plusieurs reprises évoqué le changement des modes de production et de consommation. Nous y sommes particulièrement sensibles et je me réjouis qu’en tant qu’ambassadeur délégué à l’environnement, vous partagiez notre analyse. Je vous en félicite.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 14 janvier 2014 à 17 heures

Présents. - M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. François-Michel Lambert, M. Christophe Priou, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Stéphane Demilly, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Jean-Luc Moudenc, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville