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Mardi 3 juin 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Marc Blanc et Allain Bougrain Dubourg, rapporteurs de l’avis « Agir pour la Biodiversité » au nom de la section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission a entendu MM. Marc Blanc et Allain Bougrain Dubourg, rapporteurs de l’avis « Agir pour la Biodiversité » au nom de la section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission. Nous nous réjouissons d’accueillir MM. Marc Blanc et Allain Bougrain Dubourg, auteurs du rapport « Agir pour la biodiversité », car c’est un thème cher à notre Commission du développement durable et cela d’autant plus que l’Assemblée nationale examinera dans quelques semaines le projet de loi relatif à la biodiversité.

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire est celle qui reçoit le plus grand nombre de rapporteurs du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et j’en suis particulièrement fier. C’est un engagement que j’avais pris à l’égard du président du Conseil et d’Anne-Marie Ducroux au début de cette législature.

Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Votre commission est effectivement celle qui a accueilli le plus souvent des représentants du Conseil, en particulier des membres de la section de l’environnement.

Notre section est une création récente dont le champ d’actions, très vaste, comprend la biodiversité. Nous avons rendu en 2013 un avis sur la transition énergétique et un avis sur l’adaptation climatique, et nous rendrons prochainement un avis sur l’atténuation climatique. Tous ces avis ont pour but d’aider la France à préparer la 21ème conférence climat qui sera accueillie en France en 2015 (COP21).

Nous nous sommes saisis à deux reprises de l’enjeu de la biodiversité. La première fois, ce fut en 2011 sur saisine du Gouvernement. Notre avis a donné lieu à plus de 200 recommandations, dont l’une portait sur le suivi même de ces recommandations.

La deuxième fois, sur auto-saisine, nous avons rendu un avis en amont de la conférence environnementale et de l’examen du projet de loi relatif à la biodiversité pour permettre au Parlement et au Gouvernement de connaître les recommandations des acteurs du CESE. Cet avis a été voté à une large majorité.

M. Allain Bougrain Dubourg, co-rapporteur de l’avis « Agir pour la Biodiversité » au nom de la section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’avis « Agir pour la biodiversité », que nous avons souhaité concis, est centré sur trois thématiques : tenir les engagements internationaux de la France, amplifier la mobilisation des acteurs et améliorer la gouvernance.

Avant d’aborder nos recommandations sur ces trois thèmes, je voudrais vous faire part de notre analyse des avancées qui se sont produites depuis juin 2011 dans le contexte de l’adoption de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) 2011-2020 et des engagements de la France à Nagoya. Ce texte public de référence accorde la gouvernance au Comité national de suivi de la Stratégie nationale et insiste sur l’implication de l’ensemble des acteurs. Nous considérons que ce processus innovant doit être plus dynamique et inspirer les autres politiques publiques.

Nous constatons que les Français, malgré le contexte économique et social dégradé, sont beaucoup plus sensibilisés à la perte de la biodiversité, comme le montre l’enquête du CREDOC en 2013. Celle-ci conforte l’analyse du CESE qui recommande de placer l’éducation et la formation au cœur de l’action de l’État.

Les membres du CESE se réjouissent de la volonté de la France d’être un pays exemplaire en matière de reconquête de la biodiversité, mais il y a urgence. En effet, en dépit des évolutions positives, les écosystèmes et la biodiversité continuent de se dégrader, comme le rappellent les travaux du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et de l’Institut français de l’environnement (IFEN) : une espèce de batraciens sur trois, une espèce de mammifères sur quatre disparaissent et de nombreuses espèces d’oiseaux sont menacées. L’enjeu n’est pas simplement de protéger les « petites bêtes » mais de préserver l’ensemble du vivant.

Le CESE considère que la France doit mettre davantage en œuvre ses engagements internationaux dans le cadre de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). En dépit de quelques avancées notoires initiées par Nicolas Hulot et le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, nous constatons que les effectifs des douanes restent en sous-capacité.

M. Marc Blanc, co-rapporteur de l’avis « Agir pour la Biodiversité » au nom de la section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Je vais évoquer les principales préconisations que nous avons formulées dans notre avis « Agir pour la biodiversité ».

Afin de tenir nos engagements internationaux en faveur de la biodiversité, il faut animer la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Cette dimension n’est pas directement évoquée dans le projet de loi, mais l’article L. 131-9 du code de l’environnement en fait l’une des prérogatives de l’Agence française pour la biodiversité (AFB). Notre avis insiste pour que le mandat de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) soit formalisé et que ses moyens soient confortés. Nous regrettons l’absence dans le projet de loi de référence à la FRB, d’autant qu’elle fut l’un des moteurs de la mise en œuvre de la plateforme intergouvernementale.

Pour nous conformer aux enjeux du protocole de Nagoya, il convient de favoriser l’accès et la répartition équitable des avantages pour les populations impliquées dans la gestion durable des ressources et de dynamiser la recherche publique et privée française en impliquant les ONG compétentes.

L’encadrement juridique du mécanisme d’accès et de partage des avantages (APA) devait être régulé au niveau de l’Union européenne : cela semble être le cas puisqu’il figure dans l’exposé des motifs du projet de loi.

Nous avons choisi d’approcher différemment la préservation de la biodiversité dans l’hexagone et dans les départements et collectivités d’outre-mer.

S’agissant de l’hexagone, nous proposons deux possibilités, l’une basée sur la déclaration nationale des collectes, l’autre sur la reconnaissance préalable des structures, publiques ou privées, à charge pour ces dernières de proposer des avantages au niveau national contre un libre accès aux ressources génétiques. Le projet de loi retient la première solution.

Nous proposons que tous les fonds issus du partage des ressources génétiques soient concentrés au niveau national avant d’être redistribués, sous le contrôle de l’État, en fonction des plans d’action engagés et selon une gouvernance appropriée. C’est ce qui sera fait, semble-t-il, puisque l’article 18 en confie la responsabilité à l’AFB.

Concernant les collectivités ultramarines, nous avons considéré qu’il était indispensable que les modalités d’accès et de partage fassent l’objet d’une négociation bilatérale avec les exécutifs et les acteurs locaux.

Nous notons la volonté du législateur, par le biais d’une sécurité juridique accrue, de promouvoir l’innovation et le partenariat au bénéfice de l’ensemble des acteurs, et de laisser les assemblées de Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte décider de l’accès et de l’utilisation des ressources.

M. Allain Bougrain Dubourg. Le deuxième thème que nous avons retenu est la mobilisation des acteurs et le choix des bons leviers. Dans le préambule du volet « Agir ensemble » de la SNB 2011-2020, nous constations que freiner l’érosion de la biodiversité exigeait la mobilisation de l’ensemble de la société. Or, malgré un certain nombre d’initiatives positives, nous constatons que les acteurs et les moyens ne sont pas mobilisés à la hauteur des enjeux. L’État doit engager les moyens nécessaires afin de promouvoir un véritable dispositif d’intégration interministérielle des enjeux de la biodiversité dans les politiques publiques. De même, la future loi cadre et la déclinaison concrète de la SNB devront amplifier la dynamique de mobilisation des acteurs.

Le thème de l’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD) a été abordé lors de la dernière conférence environnementale et a fait l’objet d’une saisine du Gouvernement. Nous proposons de faire de cet outil essentiel une stratégie globale et de faire en sorte que l’éducation à l’environnement soit dispensée tout au long de la vie, dans le cadre de l’éducation nationale et de la formation professionnelle continue. Nous avons développé ces recommandations devant vous ici même il y a quelques semaines.

Nous avons également considéré que la mobilisation des acteurs économiques et sociaux devait être renforcée. La biodiversité devient progressivement une priorité, tant pour les grandes entreprises que pour les PME, les TPE et les artisans. Mais leur niveau d’engagement est encore limité et hétérogène, c’est pourquoi nous préconisons de renforcer le dialogue social en vue de définir le contenu d’un bilan biodiversité et les modalités de son application, et d’élargir les responsabilités des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à l’environnement.

Les acteurs du monde agricole se disent attentifs à la préservation de la biodiversité et à ses interactions avec les pratiques agricoles, mais le syndicat agricole n’adhère pas à la SNB. Le CESE espère l’adhésion d’un plus grand nombre d’agriculteurs.

Améliorer la performance environnementale, ce qui est l’un des objectifs du Grenelle de l’environnement, nécessite la mise en place d’outils spécifiques susceptibles d’aider les agriculteurs à s’orienter vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement.

Si l’Association des régions de France (ARF) a signé la SNB, à ma connaissance seules quatre régions se sont engagées. L’Association des maires de France l’a signée, mais trop peu de villes. Le projet de loi insiste très peu sur la mobilisation des acteurs, ce qui nous semble très préjudiciable.

L’État, lui aussi, doit s’engager en faveur de la biodiversité. Sur la base du principe « mieux connaître pour mieux agir », le CESE avait clairement recommandé à l’État de se montrer exemplaire en la matière. Pour cela, il doit intégrer la valeur de la biodiversité dans les décisions publiques et établir un état des lieux dans les territoires dont il a directement la charge. Il est étonnant de constater que l’État, s’il a parfaitement identifié son patrimoine culturel, n’a jamais réalisé la synthèse de son patrimoine naturel, constitué du Conservatoire du littoral et d’un grand nombre de réserves naturelles nationales, de parcs nationaux, de forêts domaniales, de terrains militaires… Le CESE renouvelle sa recommandation d’établir un inventaire national du patrimoine naturel et de présenter périodiquement le bilan de gestion de ce capital, dont la valeur pourrait apparaître dans les grands comptes de l’État.

M. Marc Blanc. La politique de l’urbanisme est un autre outil majeur. La fragmentation et l’artificialisation des habitats et des terres ont de réels impacts sur la préservation de la biodiversité. Nous nous réjouissons de l’annonce qui figure dans la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) d’un transfert automatique de la compétence du plan local d’urbanisme (PLU) aux communautés de communes et d’agglomération, même si nous considérons que ces transferts devront être réalisés progressivement et en concertation avec les acteurs locaux.

Nous proposons d’aller plus loin et de compléter le principe « Éviter, réduire et compenser » par la notion de reconquête – ou requalification. Pour cela, il faut engager une concertation avec l’ensemble des acteurs dans l’objectif de définir les conditions de cette reconquête.

Un autre sujet sensible et complexe que nous avons abordé est celui de la compensation. Nous recommandons une approche graduée, qui s’appuie sur l’idée selon laquelle compenser doit intervenir en dernier ressort. Cette compensation doit se faire en surface, en apportant des équivalents sur le plan écologique chaque fois que c’est possible. Dans les cas où elle serait contre-productive, elle pourrait être monétarisée, mais dans tous les cas de figure un dispositif de suivi et de bilan de la compétence écologique doit être mis en place.

Nous constatons avec satisfaction que le principe « Éviter, réduire et compenser » est inscrit dans l’article 2 du projet de loi, de même que la prise en compte dans toute décision publique du principe de solidarité écologique.

La promotion du patrimoine naturel à l’égal du patrimoine culturel est un élément de nature à renforcer la mobilisation de nos concitoyens. Le patrimoine naturel français est particulièrement riche, tant en métropole qu’en outre-mer, et constitue un atout pour l’industrie du tourisme, au même titre que le patrimoine culturel. Pour promouvoir le patrimoine naturel, nous devons imposer une idée positive et festive de la biodiversité en intégrant le patrimoine naturel dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, ce qui sera le cas en 2014, ce qui montre que cette préconisation a fait son chemin auprès des responsables politiques, en particulier du ministère de l’écologie et du développement durable. Cette préconisation n’est pas inscrite dans le projet de loi, ce que nous regrettons vivement.

M. Allain Bougrain Dubourg. La gouvernance nationale et territoriale comprend trois volets.

Il convient tout d’abord de conforter les évolutions engagées ou envisagées. À ce titre, certaines dispositions du projet de loi relatif à la biodiversité vont dans le bon sens – je pense à la mise en place d’un Comité national de la biodiversité (CNB) dédié à la concertation et à la consultation, en lieu et place du comité de suivi de la SNB, et d’un Comité national de la protection de la nature, qui serait une instance d’expertise scientifique et technique.

Pour assurer le fonctionnement de ces instances, des commissions remplaceraient certains comités existants. De même, des articulations sont prévues avec le Comité national de la transition écologique (CNTE). Il nous semble souhaitable de compléter ce schéma par des dispositifs permettant d’articuler le CESE avec la SNB et le CNTE.

L’eau, la mer et les paysages s’inscrivent dans la démarche de préservation de la biodiversité. Il sera donc nécessaire, à terme, pour assurer l’efficacité du nouveau dispositif, de clarifier les liens entre le CNB et les différentes structures existantes – Conseil national de l’eau, Conseil national de la mer et des littoraux, Conseil national du paysage. Or ce point n’est pas abordé dans le projet de loi.

Chacun sait à quel point l’ancrage territorial des politiques de conservation et de restauration de la biodiversité est essentiel. Sur ce point, nous disposons d’un certain nombre d’outils, en particulier le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), mais les actions engagées en matière de préservation et de restauration, si elles sont nombreuses, souffrent d’un manque de cohérence. C’est pourquoi nous souhaitons faire de la région le chef de file de toutes ces actions. Cela demandera beaucoup d’efforts, notamment pour améliorer l’articulation entre les instances nationales et territoriales, et entre les différents niveaux de celles-ci. Nous estimons que la biodiversité doit trouver toute sa place dans le cadre des nouveaux contrats de projets État-régions, d’autant que le Fonds européen de développement régional (FEDER) fait de la protection de l’environnement un axe prioritaire. Or la notion de région chef de file n’apparaît pas dans le projet de loi, pas plus que le rôle du CNB à qui doit revenir la responsabilité de vérifier les articulations afin d’optimiser les moyens humains et financiers.

Sauf erreur de ma part, il ne me semble pas avoir entendu le Président de la République citer l’environnement comme étant l’une des compétences des régions. Cela m’inquiète, car je considère que la région a un rôle central à jouer en la matière.

M. Marc Blanc. La SNB 2011-2020, dont les orientations s’inspirent des accords de Nagoya, a pour originalité d’inciter les acteurs à adhérer à cette stratégie. Le nombre des organismes adhérents est passé de 350 lorsque nous avons rédigé l’avis à 400. L’État doit inciter non seulement les acteurs mais également les régions à adhérer à la SNB. Nous sommes convaincus que seul un copilotage État-régions permettra de mobiliser et d’impliquer tous les acteurs. C’est donc avec satisfaction que nous constatons que l’article 4 du projet de loi modifie l’article L. 110-2 du code de l’environnement pour engager les régions à définir une stratégie régionale pour la biodiversité.

Le dernier volet que nous proposons pour la gouvernance consiste à doter les actions pour la biodiversité d’un outil solide et incontestable. Deux préfigurateurs de la future Agence nationale de la biodiversité, Jean-Marc Michel et Bernard Chevassus-au-Louis, ont été nommés afin de définir la structuration et les missions de l’Agence. Les cinq missions qu’ils proposent nous paraissent donner à l’Agence l’autorité et les compétences nécessaires pour développer les politiques favorables à la biodiversité, même si leur contenu doit être encore précisé.

Le projet de loi propose de confier à l’Agence six missions.

Afin d’accompagner la négociation technique des directives européennes et des conventions internationales, il confie à l’Agence une action internationale dans la mission 2 « Appui technique et administratif ». Cette mission mériterait d’être précisée, notamment au regard de l’action menée jusqu’à présent par l’AFB.

La mission de soutien financier, à l’image des aides financières apportées par l’ADEME, est parfaitement logique. En revanche, les missions de police administrative et de police judiciaire relatives à l’eau, aux milieux aquatiques et à la biodiversité, qui sont des prérogatives sensibles, doivent selon nous relever des services déconcentrés de l’État et des opérateurs.

Afin d’assurer à l’Agence une efficacité maximale, sa mission consistant à regrouper un maximum d’organismes devra s’accompagner de moyens suffisants, en cohérence avec les ambitions régionales.

Dans la configuration proposée dans le projet de loi, trois missions font cruellement défaut à l’AFB : la coordination avec les organismes de recherche, un pouvoir de coordination avec les structures qui ne lui sont pas rattachées, et la déclinaison de son action au niveau régional.

N’ayant pas l’ambition de nous substituer aux concertations en cours, nous ne nous sommes pas prononcés sur un sujet éminemment sensible, à savoir l’origine des ressources nécessaires au bon fonctionnement de l’Agence.

M. Allain Bougrain Dubourg. Sur ce sujet des ressources, nous avons été un peu lâches ! (Rires)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Cela se comprend !

M. Marc Blanc. Pour autant, nous sommes convaincus que l’Agence sera incapable d’infléchir le déclin de la biodiversité si l’État ne lui accorde pas les moyens de sa politique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La biodiversité est un enjeu fondamental et prioritaire auquel nous devons consacrer du temps, de l’énergie et de la réflexion. Le travail que vous avez effectué nous aidera à légiférer dans les meilleures conditions possibles.

Je suis sensible aux propos d’Allain Bougrain Dubourg. Les collectivités territoriales, en particulier les régions, font des efforts financiers plus importants que l’État en matière de préservation, de protection et de mise en valeur de la biodiversité. Cette réalité doit être concrétisée sur le plan juridique. Je me battrai pour que nous donnions aux régions une véritable compétence dans ce domaine, qui d’ailleurs est inscrite dans la première loi sur la décentralisation que nous avons votée. Il faudra aller beaucoup plus loin lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité.

Je me dois de vous informer que notre Commission se saisira de ce texte dans trois semaines mais qu’il ne sera vraisemblablement examiné en séance publique qu’au mois de septembre.

Je remercie les intervenants pour le travail qu’ils ont effectué. Leurs réflexions, qui rejoignent parfois les nôtres, nous permettront de travailler le plus efficacement possible.

Je vais maintenant donner la parole aux représentants de chaque groupe politique, en commençant par la présidente du conseil d’administration du Conservatoire du Littoral.

Mme Viviane Le Dissez. Je vous remercie, au nom du groupe SRC, d’avoir accepté une fois encore notre invitation.

Le projet de loi relatif à la biodiversité, sur lequel j’ai l’honneur de travailler avec la rapporteure Geneviève Gaillard, sera examiné par notre commission dans quelques semaines et à ce titre nous auditionnerons la semaine prochaine Mme la ministre de l’écologie.

L’avis « Agir pour la biodiversité » établit une liste de recommandations en faveur de la reconquête de la biodiversité. Malheureusement, celle-ci n’est pas encore suffisamment considérée comme un enjeu prioritaire par un grand nombre de décideurs et une partie de la population, pourtant elle engage les générations à venir. La prise de conscience de la nécessité de protéger notre biodiversité, extraordinaire mais également ordinaire, se développe lentement.

Vous avez rendu votre avis alors que le projet de loi était en cours d’élaboration, mais les trois axes de vos recommandations – tenir nos engagements internationaux, amplifier la mobilisation des acteurs et améliorer la gouvernance des politiques publiques – sont déclinés en partie dans le texte du Gouvernement. En outre, ce texte modernise les concepts juridiques relatifs à la biodiversité présents dans le code de l’environnement et introduit le principe « éviter, réduire et compenser » et la notion de solidarité écologique.

Le projet de loi met en place une nouvelle gouvernance et reconnaît le rôle des régions dans la mise en place de la stratégie nationale.

Quant à la création de l’AFB, elle permettra d’améliorer l’efficacité des politiques publiques en faveur de la protection en regroupant les connaissances, en les valorisant et en les diffusant auprès des citoyens, et apportera son appui aux porteurs de projets en faveur de la biodiversité ainsi qu’aux collectivités.

En revanche, de nombreuses interrogations subsistent quant aux contours de la future agence, qui représente essentiellement la biodiversité aquatique et marine. Quelle est votre position sur ce point ?

L’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages correspond à la mise en œuvre du protocole de Nagoya en France. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas dans l’ensemble des pays européens. À nous de promouvoir ce projet.

Pour ce qui est de l’outre-mer, une table ronde réunissant des représentants des collectivités d’outre-mer nous donnera l’occasion d’approfondir cette question.

Le projet de loi mentionne les sites inscrits parmi les outils de protection des espaces naturels : il nous semble important de les maintenir.

M. Jean-Marie Sermier. Les députés du groupe UMP se félicitent de cette audition très intéressante qui traduit la prise en compte par le Parlement de la biodiversité, thématique que nous faisons progresser collectivement depuis la mise en œuvre du Grenelle 1. Que de chemin parcouru en quelques années !

À vous entendre, j’ai le sentiment que l’écologie et la biodiversité peuvent être traitées avec un peu de plaisir et d’humour, et que nous devons nous réjouir, en France, d’avoir collectivement franchi la première marche.

S’agissant de l’érosion de la biodiversité, disposez-vous des chiffres qui permettraient de comparer notre pays avec ceux de l’Union européenne et du monde ?

L’éducation tout au long de la vie est importante, mais celle des jeunes l’est plus encore. L’éducation nationale est-elle en mesure, selon vous, de dispenser cette formation ? Les enseignants ont-ils une bonne connaissance factuelle de la biodiversité ?

L’agriculture biologique ne représentant qu’une faible part de la production de notre pays, ne serait-il pas plus utile de travailler avec l’agriculture conventionnelle qui depuis quelques décennies fait un effort exceptionnel pour rationaliser le recours aux produits phytosanitaires, utiliser au mieux les terres et préserver les zones humides ?

Que pensez-vous de la chasse ? Je suis certain que les chasseurs – dont les associations sont présentes sur tout notre territoire – sont des amoureux de la nature.

Je suis favorable au transfert des compétences d’urbanisme aux intercommunalités, mais n’est-il pas plus important de dynamiser les centres urbains pour les aider à accueillir des populations qui ainsi ne viendront pas s’agglutiner en périphérie ?

Qu’en est-il des engagements des autres pays ? La France a-t-elle vocation à les aider à préserver la biodiversité ?

M. Bertrand Pancher. Au nom du groupe UDI, je vous remercie, madame, messieurs, pour votre présence et pour vos exposés.

Comment envisagez-vous la complémentarité entre l’IPBES et le GIEC ?

Le projet de loi n’évoque pas la participation des acteurs au sein de structures comme les conseils supérieurs de l’agriculture, de la forêt, de l’industrie, qui ont pourtant un rôle important à jouer en matière de biodiversité. C’est regrettable car cela aurait contribué à renforcer la place de la société civile.

Pour améliorer la participation du public, je partage votre souhait d’élargir les Journées du patrimoine au patrimoine naturel et je suis favorable à l’éducation à l’environnement.

La question des moyens alloués est stratégique, même si l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, lors de la dernière conférence environnementale, avait exprimé des doutes quant au fonctionnement de la future Agence de la biodiversité, qui occuperait un millier de personnes – soit moins que le nombre des agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Les moyens de l’Agence peuvent-ils être gravés dans le marbre ?

L’Agence est compétente pour l’eau mais pas pour la terre et elle n’intègre pas l’ONCFS. Elle n’intègre pas non plus l’ONF au motif qu’il s’agit d’un EPIC. Ces instances ne peuvent-elles être regroupées au sein d’une même agence ?

Nous avons été un certain nombre à soutenir la notion de compensation lors de l’examen du projet de loi dit ALUR. Pouvez-vous nous indiquer quelques pistes de réflexion sur la façon dont nous pourrions compléter ce principe avec les notions de reconquête et de requalification ?

Enfin, vous n’avez rien dit sur la police de l’environnement, qui joue pourtant un rôle stratégique. Le projet de loi s’y intéresse peu. La police de l’eau intègre l’AFB, la police de la faune sauvage reste dans le giron de l’ONCFS, mais les collectivités, elles, n’ont pas les moyens d’assurer la police de l’environnement. Pourtant nous sommes un certain nombre d’élus militant pour une police de l’environnement locale, municipale ou intercommunale. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Patrice Carvalho. Je m’exprime au nom du groupe GDR. Une étude du CREDOC publiée en mars 2013 montre que l’opinion publique a pris conscience des menaces pesant sur la biodiversité et de la nécessité d’agir : 62 % des Français disent savoir ce qu’est la biodiversité – plus 3 % par rapport à 2010 – 35 % considèrent que les atteintes à la biodiversité ont déjà un impact sur leur vie quotidienne – plus 7 % par rapport à 2010 – et 77 % pensent que les pouvoirs publics ne font pas assez en la matière.

Le projet de loi dont nous discuterons prochainement, qui fait suite aux travaux de la Conférence environnementale de 2012 et aux débats menés dans les régions, a pour ambition de rendre plus efficace l’action publique en la matière. Il met en place une gouvernance claire avec la création d’un grand opérateur public, l’Agence française pour la biodiversité, et propose une palette d’outils gradués pour renforcer l’action des acteurs publics, de l’État, des collectivités et du secteur privé en faveur de la préservation et de la reconquête de la biodiversité.

Toutes ces propositions sont louables, mais plusieurs questions se posent, à commencer par les moyens nécessaires pour conduire cette politique. L’Agence sera-t-elle plus efficace que les structures multiples qui œuvrent dans différents domaines ? Elle ne saurait travailler à moyens constants, voire avec des moyens en recul, ce qui est probable en ces temps de disette budgétaire. Pour être efficiente, elle doit disposer d’un secteur recherche et développement (R&D) et des moyens correspondants.

Vouloir mobiliser les acteurs économiques et sociaux est une perspective intéressante, mais avec quel outil juridique, sachant qu’au niveau international la pression est forte pour se débarrasser des contraintes ?

Ces questions sont au cœur des négociations en cours sur le traité de libre échange entre les États-Unis et l’Europe.

Les niveaux de conscience sont très inégaux à l’échelle des 28 pays de l’Union européenne. Beaucoup d’entre eux voient dans l’absence de contrainte les conditions de leur développement et commettent les mêmes erreurs que les pays riches lorsqu’ils ont commencé à se développer.

Il reste une question essentielle mais elle n’apparaît pas en pleine lumière, ce qui traduit la faiblesse des ambitions affichées : quel mode de développement économique voulons-nous ? Un mode libéral, avec peu ou pas de contraintes, ou un mode destiné à répondre aux besoins humains, respectueux de l’environnement et de la biodiversité ? Selon la réponse que nous apporterons à cette question, la lutte pour la biodiversité ne sera pas la même.

Je ne suis pas chasseur moi-même, mais je me dois de reconnaître que dans mon territoire, sans la chasse et les réimplantations régulières de certaines espèces par les chasseurs, celles-ci auraient disparu…

M. Allain Bougrain Dubourg. Vous parlez du faisan importé d’Asie ?

M. Patrice Carvalho. Tout à fait !

Savez-vous que les écureuils roux sont éliminés par les écureuils gris venus d’ailleurs, que les populations de vers de terre, de grenouilles, d’écrevisses sont détruites par des prédateurs venus d’ailleurs ? Pourtant personne n’en parle et des milliers d’avions continuent de circuler en permanence autour du monde, favorisant ainsi la dispersion d’espèces.

Savez-vous que l’application de la loi sur l’eau nous oblige à détruire des digues qui existaient depuis plusieurs siècles, ce qui a pour conséquence de réduire considérablement le débit de certains cours d’eau. Est-ce ainsi que nous préserverons la biodiversité ?

Mme Laurence Abeille. Au nom du groupe Écologiste, je remercie les intervenants pour leur présence parmi nous.

Votre rapport mentionne l’importance des politiques d’urbanisme en vue de la reconquête de la biodiversité. Je me suis intéressée à ce sujet lors de la discussion du projet de loi ALUR et j’avais suggéré à l’époque d’inscrire dans la loi l’obligation, pour toutes les constructions ou rénovations, d’installer des toitures ou des murs végétalisés, ainsi que la création de zones urbaines vertes.

Il faut certes lutter contre l’artificialisation des terres, mais la densification urbaine est tout aussi préoccupante sur le plan de la biodiversité. Le projet de loi n’en faisant pas état, que nous proposez-vous pour reconquérir la biodiversité en milieu urbain ?

L’AFB ressemble plus à une Agence de l’eau qu’à une agence dédiée à la biodiversité sous toutes ses formes. L’intégration de l’ONCFS est indispensable. Il faut que le dialogue s’instaure avec les chasseurs pour que les territoires prennent en charge la biodiversité, tant ordinaire qu’extraordinaire, tant terrestre qu’aquatique.

Quant à l’intégration de l’ONF, elle est également essentielle, même si son format actuel d’EPIC ne le permet pas. Il faut étudier les moyens juridiques qui permettraient de l’intégrer à l’Agence.

Je pense à titre personnel que le projet de loi relatif à la biodiversité devrait nous permettre de débattre du statut juridique de l’animal sauvage. Qu’en pensez-vous ?

S’agissant du principe « Éviter, réduire, compenser », je crains que le dernier terme soit plus utilisé puisqu’il a vocation à prendre le pas sur les deux autres.

Le suivi des mesures de compensation pourrait être assuré par l’AFB. Qu’en pensez-vous ? Faut-il réaliser une étude d’impact sur cette question ?

Le principe de non régression du droit à l’environnement ne figure pas dans le projet de loi, en dépit du souhait de l’ensemble des ONG environnementales et du travail mené lors des états généraux de la modernisation du droit de l’environnement. Ce principe doit-il être inscrit dans la loi ?

En ce qui concerne l’agriculture, je ne partage pas les propos de notre collègue qui vante les efforts engagés par les agriculteurs pour promouvoir une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Quelle est la position du CESE sur la biodiversité des sols, qui ont été en grande partie altérés, voire détruits par l’usage de produits phytosanitaires ?

M. Gilles Savary. Je ne pense pas une seconde que les chasseurs accepteront de voir fusionner l’ONCFS et un organisme national s’occupant de biodiversité, même si j’ai pu noter une évolution considérable de leur comportement.

Monsieur Bougrain Dubourg, dans mon département, la Gironde, vous avez réussi, avec une grande bravoure, à faire cesser la chasse à la tourterelle de printemps dans le Médoc.

M. Allain Bougrain Dubourg. Pas sans mal (Sourires) ! Mais j’ai simplement fait respecter le droit !

M. Gilles Savary. La Fédération des chasseurs de Gironde travaille en collaboration avec un laboratoire qui, à partir de l’observation des milieux humides et de la faune, produit des publications de très haut niveau scientifique sur la faune sauvage terrestre et les oiseaux. Ces publications, accessibles au grand public, sont diffusées dans les familles des chasseurs. À défaut de fusionner les organismes, pourquoi ne pas responsabiliser l’ONCFS sur ces sujets ?

Je suis étourdi par la diversité des zones de protection – zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), espaces naturels sensibles, zones Natura 2000, périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PPEANP)... Pourquoi ne pas les harmoniser sous une même appellation ? Cette multiplicité des zonages est difficile à gérer et n’est pas très lisible, ce qui pose des problèmes lorsqu’il s’agit d’établir des documents d’urbanisme. Qu’en pensez-vous ?

Notre production de bois est en déficit. Dans ma région, qui est une grande région forestière, j’observe la disparition des espaces naturels, donc de la biodiversité, du fait de l’intensification de l’exploitation du bois pour les industries de pâte à papier. Ce dossier mériterait qu’on lui apporte une plus grande attention.

M. Guillaume Chevrollier. Le succès des Journées du patrimoine profite exclusivement au patrimoine culturel, or notre pays possède un patrimoine naturel très important qui n’est pas suffisamment valorisé auprès du grand public. Ainsi mon département, la Mayenne, est riche de ses nombreux châteaux mais aussi de sa biodiversité. Un certain nombre d’initiatives ont été prises – je pense au Refuge de l’Arche, à Château-Gontier, qui est le site le plus visité du département. Avez-vous reçu du Gouvernement un accueil favorable s’agissant de la mise en valeur du patrimoine naturel, et à travers quels types d’événements ?

M. Yannick Favennec. La prise de conscience collective de la nécessité de préservation et de reconquête de la biodiversité nous conduit à nous interroger sur les impacts de l’action de l’homme sur son environnement et sur la façon de mieux concilier activité humaine et biodiversité. Pour atteindre cet objectif, la mobilisation de tous les acteurs est indispensable.

Les forêts sont au cœur de la transition énergétique et constituent un refuge de biodiversité. C’est pourquoi il est nécessaire d’intensifier les efforts pour maintenir et développer la biodiversité dans les forêts privées. Les propriétaires, que j’ai rencontrés récemment dans ma circonscription, y sont tout à fait prêts. À ce titre, il faudrait les encourager à s’investir dans des projets de valorisation de leur forêt. Quelles actions pourrions-nous mener en ce sens ?

M. Jean-Louis Bricout. Je vous remercie, messieurs, pour cet avis qui prouve que nous ne partons pas de rien.

Vous vous prononcez en faveur de la mise en place dans les entreprises d’un bilan biodiversité, sur le modèle des bilans carbone. Comment envisagez-vous ce bilan, et comment comptez-vous mobiliser les entreprises ?

Par ailleurs, vous appelez de vos vœux la tenue systématique dans chaque commune d’un atlas de la biodiversité. J’ai quelques doutes sur la mise en œuvre effective de cette disposition car les petites communes n’en auront ni les moyens financiers ni les compétences nécessaires en ingénierie. Que préconisez-vous pour les y aider ?

Je m’interroge enfin sur la mise en place d’une police de la biodiversité au plus proche des territoires.

M. Allain Bougrain Dubourg. Madame Viviane Le Dissez, je ne m’exprime pas toujours au nom du CESE. Chacun de nos avis étant établi à partir d’un consensus que nous n’obtenons qu’après de longs échanges, je ne veux pas engager le CESE là où il n’aurait pas voulu mettre les pieds… (Sourires)

Les ONG sont à l’origine de 27 des amendements qui seront déposés sur le projet de loi. L’un d’entre eux vise à revisiter la composition du conseil d’administration de l’AFB pour y intégrer l’ONCFS, ce qui répond à une demande pressante des personnels de l’Office.

La gestion des réserves naturelles doit être laissée à des structures dont l’objet statutaire principal est la protection du patrimoine naturel, et non à des intérêts particuliers – ce que sont les comités de pêche ou de conchyliculture…

L’article 67 du projet de loi, dans un but de simplification de la gestion des parcs naturels régionaux, propose un gestionnaire unique. C’est une erreur fondamentale ! Le secteur associatif, qu’il s’agisse des chasseurs ou des environnementalistes, fait preuve d’un dynamisme admirable, ne coûte pas cher à la société et fait office de lanceur d’alerte. Si nous laissons intervenir des intérêts particuliers, il sera plus difficile de faire respecter le droit. Certes, les systèmes de protection sont trop nombreux et complexes, mais notre pays possède des structures historiques, qui sont reconnues partout dans le monde. Nous devons les conserver en l’état.

La liste des sites inscrits, qui est l’antichambre des sites classés, joue un rôle considérable. Cet outil doit être maintenu.

Monsieur Jean-Marie Sermier, je commencerai par vous citer Pierre Dac : « Il faut arrêter de changer les pansements, il faut penser le changement »… Je ne souhaite pas engager un débat éthique sur le thème de la chasse, mais je me dois de vous dire que le président de la Fédération nationale a voté favorablement les deux saisines, l’une relative à l’éducation à l’environnement et au développement durable, l’autre à la biodiversité. Sur le terrain, nous travaillons de façon remarquable avec les chasseurs, sans nier que certains d’entre eux sont des « margoulins ». Il est inacceptable que des élus soutiennent le braconnage aux ortolans et aux pinsons, dans les Landes et ailleurs, qu’ils se permettent de bafouer le droit et de plaisanter sur le braconnage d’espèces que le Muséum national classe parmi les espèces en déclin. Nous travaillons en bonne intelligence avec certains chasseurs pour la préservation d’espèces comme l’outarde canepetière, ou l’aigle de Bonelli dans l’Hérault, mais nous avons parfois affaire à des « viandards » qui refusent toute forme de protection. Est-ce bien raisonnable de continuer à chasser des espèces qui sont préservées dans le reste de l’Europe ? La réponse est non ! Nous sommes allés à plusieurs reprises devant le Conseil d’État pour faire respecter le droit, et nous avons gagné, à partir de simples données biologiques. Dans ces conditions, les chasseurs peuvent-ils être de bons gestionnaires de la biodiversité ?

Le président de la Fédération des chasseurs des Landes reconnaît bien volontiers qu’il y a trop de sangliers dans son département et qu’il est inacceptable de continuer à agrainer les sangliers en hiver et de laisser se développer les élevages simplement pour permettre à certains de faire des cartons.

M. Patrice Carvalho. Ce que fait pourtant régulièrement l’ONF dans les grandes forêts !

M. Allain Bougrain Dubourg. Ce n’est pas la même chose. Je connais Henri Sabarot depuis longtemps : si nous pouvons travailler ensemble sur certains sujets, il n’en reste pas moins qu’il est tout à fait opposé à l’entrée de l’Office de la chasse au sein de l’Agence.

Il faut voir la biodiversité de façon positive. Notre culture, c’est la convivialité, c’est partager avec le plus grand nombre le bonheur de toucher, sentir, écouter, caresser. C’est pourquoi nous avons initié la Fête de la nature, qui rencontre de plus en plus de succès. Mais notre job fait aussi de nous des lanceurs d’alerte. Et lorsque nous nous retrouvons devant les tribunaux, nous sommes certains de ne pas nous tromper.

Avec le Muséum d’Histoire naturelle, nous établissons des bilans périodiques, notamment via le programme STOC – Suivi temporel des oiseaux communs – qui nous a permis de constater le déclin très marqué des espèces dans les terres agricoles à utilisation intensive, un déclin certain en zone forestière, et, paradoxalement, la renaissance de certaines espèces dans les centres urbains. Nous avons également constaté que les animaux qui survivent le mieux sont ceux qui ont une capacité d’adaptation alimentaire. Ceux qui sont spécialisés, comme les insectivores, voient leur population régresser de façon très nette. Or l’absence d’oiseaux entraîne le déclin de toute la chaîne alimentaire.

Le sous-sol est un élément capital de la biodiversité qui mérite toute notre attention car il s’avère un indicateur très utile.

J’en viens à l’agriculture. J’ai rencontré Xavier Beulin, président de la FNSEA, au cours d’une journée consacrée au thème « Agriculture et biodiversité » initiée par la Fédération. Selon M. Beulin, l’Europe serait trop contraignante. Pourtant les agriculteurs sont à l’origine de plusieurs initiatives encourageantes en matière de préservation de la biodiversité. J’ai initié avec Christiane Lambert le Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (FARRE). Ce fut une expérience très difficile, les associations me soupçonnant de faire du greenwashing pour la FNSEA.

La Fédération s’oppose à beaucoup d’initiatives. Je trouve surréaliste que M. Xavier Beulin écrive au Président de la République pour lui dire que l’animal n’est pas un être sensible. Les éleveurs que je rencontre sur le terrain sont effrayés par de tels propos ! Après les scandales de la vache folle et de la viande de cheval, il faudrait nier la sensibilité du bétail ? Ne nous étonnons pas si les Français se détournent de l’agriculture et deviennent végétariens ! (Sourires et murmures sur divers bancs)

Monsieur Patrice Carvalho, pour sensibiliser les gens il n’y a pas que les règlementations, il y a aussi l’enthousiasme. Les petites communes se lancent dans des opérations qui enthousiasment les jeunes, les collectivités, les touristes. Il y a quelques semaines, les martinets sont arrivés. Dites autour de vous que cet oiseau ne se pose jamais, sauf pour pondre, couver et élever les jeunes. Vous verrez que les gens regarderont les martinets différemment. Le partage correspond à un besoin. Beaucoup d’élus nous contactent parce qu’ils souhaitent installer des nichoirs et des mangeoires dans leur commune. Ces opérations connaissent un succès formidable !

Mme Catherine Quéré. Je me souviens d’une époque où nous laissions les portes des granges ouvertes pour que les hirondelles et les martinets viennent y faire leur nid. Cela prouve que les agriculteurs ne sont pas nécessairement opposés à la préservation de la biodiversité.

M. Allain Bougrain Dubourg. Ils n’y sont pas opposés, bien au contraire ! En partenariat avec l’Union européenne, nous avons mis en place le plan LIFE de sauvegarde de l’outarde canepetière : les agriculteurs s’en sont emparés et ont pris en main la préservation de l’espèce.

La démarche qui consiste à associer le patrimoine naturel et le patrimoine culturel doit être pérennisée. Nous avons obtenu à l’arrachée – je suis allé jusqu’au Président de la République – que les Journées du patrimoine 2014 aient pour thème « Patrimoine culturel, patrimoine naturel ». Mais ce n’est pas gagné ! Il faut que dans l’esprit des Français, la notion de patrimoine recouvre à la fois culture et nature, à l’instar de l’Unesco qui, en 1970, a englobé dans la notion de patrimoine les îles Galapagos, les constructions de Vauban et le Val-de-Loire. La France est un pays admirable, que les étrangers apprécient pour autre chose que la Joconde. (Sourires)

Je voudrais pour terminer vous faire part, sans aucune démagogie, de la reconnaissance des associations pour le travail que vous accomplissez en tant que parlementaires, vous qui êtes la cheville ouvrière du futur. Nous vous livrons des informations qui sont le fruit d’un travail très honnête et engagé, mais l’avenir vous appartient. Le fait que des parlementaires choisissent le thème du développement durable nous fait chaud au cœur. (Sourires)

M. Marc Blanc. La majeure partie des questions que vous nous avez posées dépasse le cadre de notre avis. Pour ce qui est par exemple de mobiliser les acteurs économiques et sociaux, quelques entreprises s’approprient la thématique de la biodiversité, aidées en cela par les associations, mais elles le font de leur propre initiative. En faire une obligation mettrait un frein à leur enthousiasme.

Nous avons voulu dans notre avis être pragmatiques. C’est pourquoi nous préconisons, dans un premier temps, la mise en place d’une concertation avec l’ensemble des acteurs économiques et sociaux pour déterminer ce que recouvre un bilan biodiversité.

En ce qui concerne la reconquête et la compensation, le principe figure dans l’exposé des motifs du projet de loi mais on ne le retrouve nulle part dans le texte même. Au CESE, avec le groupe des entreprises et la section de l’agriculture, nous avons fait en sorte que ces notions aient un sens et les quelques propositions que nous avons formulées ont fait l’objet d’un consensus. Le groupe agriculture a voté cet avis, alors qu’il n’avait pas voté l’avis de 2011 sur la biodiversité.

L’éducation nationale a beaucoup progressé pour promouvoir l’éducation à l’environnement, mais il reste encore à faire. Nous proposons de remettre au goût du jour les classes « découverte », mais elles soulèvent des difficultés en termes de financement et de sécurité des élèves.

M. Patrice Carvalho. Ce n’est pas l’Éducation nationale qui paie les classes vertes !

M. Marc Blanc. Oui, il faut aller plus loin pour développer l’urbanisme vert car l’artificialisation des sols est un problème crucial – la surface d’un département disparaît tous les sept ans. Les stratégies régionales devraient permettre de défendre la biodiversité. Il faudra bien trouver un équilibre entre l’intensification des villes et l’artificialisation des sols.

Nous avons abordé la complémentarité entre IPBES et GIEC dans nos avis dédiés aux impacts du réchauffement climatique, d’autant que la section environnement compte un éminent représentant du GIEC en la personne de Jean Jouzel. Le GIEC n’abordant pas la question de la biodiversité, ou bien de manière très marginale, il est indispensable de développer progressivement une complémentarité entre ces deux instances internationales.

Nous n’avons pas mené jusqu’au bout nos discussions sur l’AFB, en particulier en ce qui concerne sa composition et les moyens dont elle doit disposer, nous contentant d’indiquer qu’elle devait intégrer un maximum de structures et disposer de moyens importants. Mais les organisations syndicales et les représentants du personnel de ces différentes structures voient ce changement avec une certaine inquiétude. Il faut considérer l’AFB comme une étape et nous souvenir que la mise en place de l’ADEME avait posé un certain nombre de problèmes qui ont été par la suite résolus.

Concernant le suivi de la biodiversité, les indicateurs mis en place par l’Observatoire national de la biodiversité, même s’ils ne sont pas totalement finalisés, nous permettent de constater les évolutions positives et négatives des espèces, et de détecter les plus fragiles.

L’ONCFS doit naturellement faire partie de l’AFB.

Quant aux moyens dont devra disposer l’Agence, nous n’avons pas eu le temps de les chiffrer car nous ne disposions que de trois semaines pour rédiger cet avis.

Mme Anne-Marie Ducroux. La question de M. Bertrand Pancher concernant la réciprocité de la consultation entre les instances ne figure pas dans l’avis du CESE, mais elle est particulièrement pertinente.

Chaque acteur a à cœur de faire en sorte que ses efforts soient reconnus et valorisés, mais s’il y a un acteur à qui nous devons rendre hommage, c’est bien le ministère de l’environnement qui a organisé une concertation réunissant l’ensemble des acteurs. J’ai vu des acteurs participer très spontanément à notre démarche et défendre avec force leurs arguments, mais lorsque nous avons évoqué l’ouverture possible du Conseil national de l’industrie ou de certaines instances de l’agriculture ou de la forêt, j’ai pu constater que cette attitude n’était pas du tout réciproque.

Réjouissons-nous du fait que le ministère ait mis au point cette méthode qui permet de mobiliser les acteurs, ce qu’au CESE nous appelons régulièrement de nos vœux. Le débat changerait d’échelle si d’autres ministères adoptaient la même méthode et accueillaient des acteurs de l’environnement dans les domaines qu’ils ont à traiter.

La force du dialogue permet d’avancer. Les membres du Conseil ne peuvent répondre très précisément à chacune de vos questions car nous sommes nombreux et nos oppositions sont très marquées, mais vous pouvez, pour prendre des décisions, vous appuyer sur nos avis car ils sont le fruit d’un vrai consensus. C’est le service que nous souhaitons rendre au Parlement.

Je vous remercie de votre accueil. C’est toujours un plaisir pour nous de venir vous voir et j’espère que nous aurons l’occasion de vous présenter une nouvelle production.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation et d’avoir présenté votre avis.

—fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 3 juin 2014 à 17 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Yannick Favennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - M. Alexis Bachelay, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Vincent Burroni, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville, M. Jean-Pierre Vigier

Assistait également à la réunion. - M. Gilles Savary