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Mercredi 4 juin 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 65

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la réforme territoriale, avec la participation de Mme Béatrice Giblin, géopoliticienne, M. Gérard-François Dumont, géographe, et M. Patrick Le Lidec, sociologue

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission a organisé une table ronde sur la réforme territoriale, avec la participation de Mme Béatrice Giblin, géopoliticienne, M. Gérard-François Dumont, géographe, et M. Patrick Le Lidec, sociologue.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Conformément au Règlement de l’Assemblée nationale, c’est la commission des lois, compétente en matière d’organisation territoriale, qui examinera au fond le ou les projet(s) de loi de réforme territoriale. La commission du développement durable, saisie pour avis au titre de l’aménagement du territoire, aura une plus grande liberté dans la conduite des auditions qu’elle organise sur le sujet.

J’ai souhaité aujourd’hui que notre commission reçoive, non pas des représentants de collectivités institutionnelles, mais des chercheurs et des universitaires qui travaillent depuis de longues années sur le fait territorial.

Nous accueillons donc Mme Béatrice Giblin, géopoliticienne, directrice de la rédaction de la revue Hérodote et spécialiste de la géopolitique des régions, professeur de géopolitique à l’Université Paris-8, ainsi que M. Gérard-François Dumont, économiste et géographe, spécialiste des questions de démographie locale, professeur de géopolitique à l’Université Paris-Sorbonne et ancien recteur d’académie, et M. Patrick Le Lidec, sociologue, chargé de recherches au CNRS et enseignant à Sciences Po Paris, spécialiste des questions de gouvernance locale.

Mme Béatrice Giblin, géographe. La géopolitique régionale et locale fonde l’analyse non seulement sur des considérations économiques, sociales et culturelles, mais aussi sur les rivalités de pouvoir qui s’exercent pour le contrôle des territoires. Comme en matière de géopolitique internationale, les stratégies de conquête et les luttes de pouvoir permettent bien souvent d’expliquer certaines situations de blocage ou certaines aberrations.

La carte des régions dessinée par le Président de la République en est la parfaite illustration : la réforme territoriale ne peut pas être dissociée du contexte politique local. En cela, elle est bien géopolitique. La meilleure preuve est le cas de l’Alsace. Les promoteurs de la réforme affirment vouloir préserver l’identité régionale. Jean-Yves Le Drian, militant de la cause régionaliste, a ainsi obtenu que sa Bretagne reste seule : le département de la Loire-Atlantique aurait pu être adjoint à cette dernière, si le choix avait été fait de démanteler les régions, mais cela aurait à coup sûr empêché la réforme de voir le jour et la sagesse l’a emporté. Pour justifier la fusion de l’Alsace et de la Lorraine, on invoque la nécessité d’unir les régions qui ne comptent que deux départements : mais cette règle n’a prévalu ni pour le Nord-Pas-de-Calais ni pour la Corse. En vérité, si l’intégrité de l’Alsace n’est pas préservée, outre qu’elle est actuellement la seule région de droite, c’est parce que personne n’a défendu la nécessité de maintenir la solidarité et la dynamique nées de l’identité alsacienne. L’Alsace-Lorraine est une représentation héritée de l’annexion par l’Allemagne, en 1871, de l’Alsace et de la partie de la Lorraine de langue germanique, mais cet ensemble ne coïncide pas avec la réalité actuelle de ces deux régions. Même si elles sont toujours associées dans l’imaginaire national, on aurait pu songer à réunir Lorraine et Champagne-Ardenne, et à laisser l’Alsace seule au nom de l’identité régionale.

La France serait irréformable à cause de ses 36 700 communes. C’est faux. Certes, depuis 1982, le découpage territorial n’a pas été modifié, mais de nombreuses réformes ont été menées. Cependant, la fusion des communes se heurte à deux difficultés : l’histoire politique des communes liée à la Révolution française, où elles ont remplacé les paroisses, et leurs fonctions régaliennes, notamment d’état civil. La France représente un vaste territoire, le plus grand de l’Union européenne, avec parfois de faibles densités, ce qui justifie une organisation différenciée.

J’en reviens à notre sujet : quelle réforme territoriale pour quels territoires ? Je devrais dire : pour quels objectifs ? Les économies, grâce à la chasse aux doublons, sont constamment mises en avant. La réforme permettra certes d’en réaliser, mais elle occasionnera de nouvelles dépenses. En outre, il me semble que les collectivités territoriales ne sont pas nécessairement responsables de la dette de l’État. Je rappelle qu’elles ne peuvent emprunter que pour couvrir des dépenses d’investissement. De même, la France a beaucoup changé grâce au travail de ces fonctionnaires territoriaux qu’on accuse de peser sur les budgets.

La France a-t-elle besoin de grandes régions pour faire face à la concurrence de ses voisins ? Les Länder, qui sont régulièrement cités en exemple, ont pour la plupart été délimités par les Alliés victorieux de 1945 ; ils ont des tailles très variées. Certains, comme le Land de Hambourg, sont fort petits. Or, les Allemands ne passent pas leur temps à s’interroger sur le découpage de leur territoire.

Les métropoles étant censées jouer le rôle de locomotives du développement économique régional, chaque nouvelle région devrait donc en compter une. Or la future région regroupant Poitou-Charentes, Centre et Limousin, en est dépourvue. À l’inverse, la fusion de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon ferait coexister deux métropoles, ce qui risque de poser un problème de prépondérance. Cette fusion ne s’explique d’ailleurs que par le décès de Georges Frêche, qui ne l’aurait jamais acceptée.

Paris a bloqué, involontairement, le développement de métropoles régionales dans sa périphérie, à l’exception de Rouen. Pourquoi Lille ne fait-elle pas partie des métropoles à statut particulier, à l’instar de Lyon, Paris et Marseille, puisque sa communauté urbaine compte 1,2 million d’habitants ? La lecture politique de l’absence de Lille est indispensable.

Le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités, prenant la relève des départements, est un bon principe, car il peut contribuer à rationaliser le maillage communal. Je précise tout de même que nous ne sommes pas le seul pays d’Europe confronté à l’éparpillement des communes.

M. Gérard-François Dumont, géographe. Alors que nous commémorons le centième anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès, je citerai l’une de ses formules célèbres : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » Pour comprendre le réel, il paraît nécessaire de répondre à dix questions.

Un projet semblable de réduction du nombre de régions est-il envisagé ailleurs ? Existe-t-il un autre pays démocratique qui envisage de réduire d’un tiers le nombre de ses régions ? La réponse est : nulle part.

Les régions sont-elles plus vastes dans les autres pays européens ? La taille moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder. Dans les pays alentour, de nombreuses régions sont plus petites que la plus petite des régions françaises, à savoir l’Alsace. La réforme prévoit pourtant d’agrandir encore les deux régions les plus importantes, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées, comme si la grande taille procurait automatiquement des avantages.

Les régions sont-elles plus peuplées dans les autres pays d’Europe ? Beaucoup de régions européennes, et certains États américains – le Dakota du Nord, le Vermont et le Wyoming –, sont moins peuplés que le Limousin, région française la moins peuplée.

Les régions actuelles ont-elles une identité ? Elles ne sont pas nées sous X. Leur dénomination en témoigne : le nom de treize régions renvoie à l’histoire ; le nom de trois régions, sur les quatre qui sont désignées par deux noms accolés, comporte au moins une dimension historique ; enfin, trois régions portent un nom qui correspond à l’addition d’anciennes provinces. Cela nous rappelle que, en 1790, les limites géographiques ont été fixées selon les convenances locales. Notre découpage régional est l’héritage de cette longue histoire. Une seule région – les Pays de la Loire – est marquée par une identité plus faible : cependant, il n’est pas proposé de la redécouper.

Existe-t-il un optimum régional ? J’ai publié, en 2006, un article intitulé « L’optimum régional ou le sexe des anges », qui demeure d’actualité, car il n’y a pas d’optimum régional. Ainsi, en Espagne comme en Italie, le taux de chômage est plus faible dans les petites régions, tandis que l’Allemagne connaît des situations très diverses. La réforme fixe un seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités afin de garantir l’attractivité et l’emploi, mais l’optimum local n’existe pas non plus. Un seuil de 20 000 habitants ne signifie rien. En observant la carte des territoires qui ont révolutionné leur économie, vous constaterez que leurs dimensions sont très variables : on recense des communes de 200 habitants qui parviennent à stimuler leur activité.

Le millefeuille, si indigeste, est-il un mythe ou une réalité ? Il relève, dans une certaine mesure, du mythe, car tous les pays étrangers connaissent, pour des raisons géographiques, des échelons territoriaux différenciés qui permettent d’apporter une réponse adaptée à chaque problème : ce ne sont pas les mêmes échelons qui doivent décider de la construction d’une école maternelle et de la localisation d’une gare TGV. Le millefeuille est donc très répandu : l’organisation de la Bavière est particulièrement difficile à comprendre, mais le taux de chômage y est de 3,1 %. En Chine, cinq niveaux de collectivités territoriales coexistent avec une diversité au sein de chaque niveau. Le millefeuille n’est pas une spécificité française, mais il y est compliqué par la multiplication des types d’intercommunalités.

La refonte de la carte des régions sera-t-elle source d’économies ? Une telle réforme entraîne d’abord des coûts directs. Quatre ou cinq ans seront nécessaires pour fusionner les régions et aligner les conditions des personnels sur le statut le plus avantageux. Or on observe déjà une baisse de la productivité des agents territoriaux qui s’interrogent sur leur avenir. Des coûts indirects sont également à prévoir : le temps que les élus et leurs collaborateurs consacreront au meccano institutionnel manquera pour l’essentiel de leur tâche, à savoir développer l’attractivité du territoire. Cette réforme pourrait également s’avérer coûteuse une fois mise en œuvre : d’une part, en vertu de la loi de Parkinson, les coûts de structure croissent avec la taille puisque des services de coordination et des administrations relais sont nécessaires ; d’autre part, les régions risquent de ne plus avoir le temps de se consacrer à des tâches structurantes et à l’investissement. Trop occupées par la gestion quotidienne, elles délaisseront l’aménagement du territoire.

Le regroupement des régions sera-t-il favorable à leur développement ? Les exemples récents montrent le succès du local. Pour s’investir dans leur territoire, les gens ont besoin de s’identifier à lui. L’intégration est-elle préférable à l’émulation ? Le Futuroscope a créé, pour le département de la Vienne, une dynamique dont de nombreux élus se sont inspirés pour développer des projets. Il ne faut pas oublier non plus l’échec des villes nouvelles, créées ex nihilo.

La réforme peut-elle faciliter la transition énergétique ? Je suis sceptique. Comment mettre en synergie Lyon et Clermont-Ferrand, dont les régions sont fusionnées, alors que le trajet en train entre ces deux villes dure au minimum deux heures vingt-cinq ? Il ne faut pas négliger les risques écologiques, alors même que l’heure est au développement des circuits courts et de l’économie circulaire.

Enfin, y a-t-il un risque de double centralisation ? À la recentralisation nationale, avec la suppression des élus départementaux et le maintien des préfets, s’ajoutera une centralisation régionale, les grandes régions s’appropriant les réflexes jacobins et oubliant le principe de subsidiarité.

Pour aller à l’idéal, plusieurs autres pistes de réforme devraient être envisagées : démocratiser la décentralisation, décentraliser véritablement et faciliter la gouvernance des élus. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI)

M. Patrick Le Lidec, sociologue. Contrairement aux intervenants précédents, je me place du point de vue de la science politique et de la comparaison des systèmes d’administration en Europe. J’aurai donc un point de vue différent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Le modèle territorial français présente la particularité d’être resté en l’état depuis 1982. Il se caractérise par trois éléments historiques : d’abord le faible poids des dépenses publiques locales dans le PIB ; ensuite la très forte fragmentation des pouvoirs locaux, en particulier l’émiettement communal qui n’est pas sans lien avec l’inachèvement de la décentralisation – le processus de décentralisation a presque toujours été bloqué par l’insuffisante taille des collectivités ; enfin l’absence d’ordre dans les relations entre les différents niveaux : toutes les collectivités se trouvent formellement sur un pied d’égalité en raison du principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre, principe d’abord inscrit dans la loi puis dans la Constitution. De ce désordre, il résulte une efficacité médiocre et des coûts de coordination et de transaction élevés.

Ces trois caractéristiques historiques commandent un quadruple agenda.

En premier lieu, il convient d’augmenter la taille des collectivités en poursuivant quatre objectifs. Premier objectif, il faut atteindre une taille critique pour recevoir de nouvelles compétences. La taille est toujours un frein à la prise de responsabilité : on a pu observer récemment la réticence de certains présidents de petites régions à se voir transférer des compétences. L’accroissement de la taille des régions permet de sortir du modèle de cogestion trop systématique dans certains domaines de compétence. La recherche de la taille critique vaut également pour les intercommunalités dont certaines sont incapables de prendre en charge les attributions des conseils généraux. Le deuxième objectif est d’optimiser la fourniture des biens publics locaux afin d’en minimiser le coût. Le troisième objectif est d’éviter les effets de débordement, d’internaliser la gestion des externalités et de s’adapter à une société de mobilité. Le dernier objectif est d’assurer la péréquation. La gestion des services publics à plus grande échelle permet d’améliorer la redistribution, en mobilisant une plus grande capacité contributive, de réduire la concurrence fiscale et de résorber mécaniquement une grande part des inégalités de richesse. En effet, les disparités se développent fortement lorsque la taille des circonscriptions fiscales est réduite. C’est pourquoi je souscris à l’idée d’intercommunalités de plus de 20 000 habitants et de grandes régions.

En deuxième lieu, il faut modifier la répartition des compétences. Il ne me paraît pas déraisonnable de partager les compétences départementales au profit de trois entités distinctes : la région pour assurer la cohérence et les économies d’échelle, les intercommunalités pour la proximité, et l’État ; il ne me semble pas choquant que certaines responsabilités sociales des départements soient prises en charge par l’État ou par la sécurité sociale, puisque les pouvoirs locaux n’ont aucune maîtrise des prestations définies au niveau national.

En troisième lieu, une remise en ordre s’impose. Il faut dépasser le principe de non-tutelle et faire en sorte que l’éloignement ne nuise pas à la réactivité. Il faut parvenir à concilier l’impératif d’économies et de réduction des coûts de transaction et le besoin de proximité et de connaissance du terrain. La dévolution de compétences élargies à des régions de plus grande taille, qui les délèguent ensuite à l’échelon infrarégional, constitue une bonne formule. C’est celle qui a été choisie pour la réforme de l’administration territoriale de l’État ; elle s’est traduite par une diminution de plus de 150 000 équivalents temps plein au cours des six dernières années. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles suit la même logique s’agissant des métropoles à statut particulier : la souveraineté est transférée à la métropole et l’exercice de certaines compétences est délégué à des territoires. Cette méthode est nécessaire pour faire cesser une concurrence inflationniste entre région et département. La fonction de péréquation et, plus généralement, les fonctions de solidarité doivent être confiées à l’échelon le plus vaste. À cet égard, la gestion du revenu de solidarité active (RSA) à l’échelle départementale ne me paraît pas appropriée, car elle est facteur d’inégalités.

Enfin, le découpage de la carte des régions doit être revu. La proposition du Président de la République semble aller globalement dans le bon sens. Outre la taille des nouvelles régions, deux règles semblent avoir présidé à l’établissement de la nouvelle carte : la première qui consiste à prendre en compte l’aire de rayonnement des métropoles ou, à défaut, des grandes agglomérations ; en la matière, il est possible de mieux faire. Seconde règle, fusionner des entités existantes et refuser la vente à la découpe des régions ; cette mesure de précaution est bienvenue pour accroître les chances de réussite de la réforme. Dans le cas contraire, les régions risquaient de revendiquer les départements les plus riches et ceux qui votent dans un sens favorable au pouvoir en place.

Je note néanmoins deux anomalies : le Nord-Pas-de-Calais qui fait figure de microrégion, et la macrorégion rassemblant Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon pour laquelle la présence de deux métropoles risque de poser problème. Sous réserve de quelques ajustements, la démarche me semble aller dans le bon sens.

En conclusion, je recommande de privilégier un paysage institutionnel à trois niveaux, qui correspond au modèle le plus répandu en Europe.

M. Florent Boudié. Je remercie M. Le Lidec pour son intervention ainsi que les deux orateurs précédents, mais je m’étonne que ces derniers se soient fourvoyés en faisant du découpage des régions le sujet essentiel de la réforme territoriale. Pourtant, à l’exception des médias, personne – en tout cas ni le Président de la République ni le Premier ministre – ne l’a présentée ainsi.

Le sujet que nous avons à traiter est celui des deux niveaux d’organisation territoriale : le premier, hérité de l’Ancien Régime et de la Révolution autour du couple département et commune ; le second, né de la volonté modernisatrice des années cinquante, développé par les lois Defferre et Chevènement, autour du couple région et intercommunalité. Ces deux niveaux peinent à se compléter, gênés de surcroît par le principe de non-tutelle.

La majorité propose de faire un choix entre ces deux niveaux que leur superposition rend illisibles pour nos concitoyens. Pour monter un dossier, aussi banal soit-il, il faut aujourd’hui mettre autour de la table cinq ou six intervenants de tous les niveaux de collectivités territoriales, sans oublier les syndicats intercommunaux – on en compte 13 000, dont 6 000 épousent les frontières territoriales d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

On peut s’interroger sur le périmètre des régions, et particulièrement sur la création de régions élargies. Mais le principal objectif reste d’atteindre la taille critique permettant de recevoir de nouvelles compétences stratégiques : l’économie, les transports, les infrastructures, la formation.

Quant aux intercommunalités, alors que les citoyens manifestent une défiance forte à l’égard de la politique et des responsables publics, elles offrent sans aucun doute une solution adaptée pour les politiques de proximité. Le seuil de 20 000 habitants est-il pertinent ? Je suis réservé sur l’existence d’un critère unique. Il me semble nécessaire de l’assouplir pour tenir compte de la réalité locale.

Vous avez évoqué le rôle de l’émiettement des collectivités dans le creusement des inégalités. S’agissant de la solidarité territoriale, vous avez abordé la péréquation verticale, mais pas la péréquation horizontale. Quels mécanismes suggérez-vous en la matière ?

M. Martial Saddier. Le groupe UMP se félicite de la saisine pour avis de la commission sur les projets de loi relatifs à la réforme territoriale, à laquelle il convient d’ajouter l’audition des ministres concernés.

Quarante-huit heures après l’annonce d’une réforme qui, si j’en crois les nombreux commentaires de la presse quotidienne régionale, semble mal engagée, nous savons que les arbitrages ont été rendus à la dernière minute dans le bureau du Président de la République. Vous ne pouvez donc pas prétendre que le découpage des régions n’est pas au cœur de la réforme, que le Président de la République et le Premier ministre n’y sont pour rien !

Après deux jours de réflexion, quel est, selon vous, l’état d’esprit des Français sur la réforme proposée ? La logique aurait voulu qu’elle soit précédée d’un audit de l’existant. À cet égard, quel jugement portez-vous sur l’évolution de la décentralisation ? Il semble que, parallèlement à l’ambition décentralisatrice affichée, l’État n’a eu de cesse de vouloir centraliser à nouveau.

À partir des modèles étrangers, pensez-vous qu’une méthode idéale existe pour accomplir une telle réforme ? Certains pays européens ont-ils réussi là où la France échoue ?

Enfin, je suis stupéfait que le Président de la République ait pu écrire dans la même tribune deux phrases qui se contredisent, l’une affirmant que la République n’a plus besoin de l’échelon départemental pour fonctionner correctement, l’autre concluant que « le département en tant que cadre d’action publique restera une circonscription de référence essentielle pour l’État, autour des préfets et de l’administration déconcentrée ». On se demande qui a osé lui faire signer une lettre pareille ! Une autre phrase est passée inaperçue, qui propose de donner « toute sa légitimité démocratique » aux EPCI, qui laisse entendre leur élection au suffrage universel. Qu’en pensez-vous ?

Depuis 1982, la République ne se heurte-t-elle pas au même problème : apprendre à faire confiance à ses territoires ?

M. Stéphane Demilly. Cette réforme territoriale relève, en effet, du « meccano des territoires ». L’UDI est favorable à la simplification de l’organisation actuelle : tous les praticiens de la vie locale sont confrontés à la lourdeur des « lasagnes territoriales », et il faut avoir le courage d’y remédier. Mais on ne peut traiter les territoires comme les pièces d’un meuble Ikea. Chacun en a fait l’expérience : à consulter la notice, tout paraît d’une simplicité enfantine ; c’est quand on commence le montage du meuble que les difficultés commencent, et il n’est pas rare qu’on se retrouve à la fin avec des pièces en trop, dont on ne sait quoi faire. Il faut donc aborder ce sujet avec prudence et humilité, et éviter le ton professoral.

Pour filer la métaphore, s’agissant du temps de montage, le Président de la République veut aller vite, mais il faut pourtant tenir compte du temps long des territoires. Vous ne pouvez pas négliger l’évolution séculaire qui, à partir des provinces de l’Ancien Régime, a donné naissance aux régions, et redessiner la France à Paris sur un coin de table. Un collègue socialiste m’a dit que, dans la même soirée à l’Élysée, la Picardie a changé trois fois de partenaire. Ce n’est pas sérieux ! Il faut associer les territoires au processus de décision et respecter leur histoire.

L’ordre de présentation des pièces a aussi son importance. On ne peut pas redécouper les régions et supprimer les conseils généraux sans avoir répondu, au préalable, à trois questions : quelle répartition des compétences, quelles missions pour l’État, quelles ressources fiscales ?

Pour faire évoluer la carte communale et ses 36 700 communes, il faut explorer deux pistes de réflexion. D’une part, faut-il fixer un seuil de population en deçà duquel le rattachement à une commune plus importante serait automatique, ce qui risque de poser problème pour les territoires ruraux et les zones de montagne ? D’autre part, faut-il fusionner des communes présentant une continuité territoriale, ce qui risque de poser problème pour les territoires urbains denses ?

M. Patrice Carvalho. La décentralisation a débuté en 1982 avec la transformation des départements et des régions en collectivités élues et dotées de compétences identifiées. La logique de la réforme annoncée le Président de la République lundi soir, au terme de multiples volte-face, est tout autre.

Commençons par dénoncer cette escroquerie qui consiste à justifier la réforme territoriale en invoquant « le millefeuille ». Ceux qui crient au loup aujourd’hui, quitte à faire preuve d’un certain populisme, sont ceux-là mêmes qui ont multiplié les strates administratives, à commencer par les intercommunalités. Avec les conseillers territoriaux, Nicolas Sarkozy avait inventé une usine à gaz consacrant le cumul des mandats et promettant vainement des économies. François Hollande a d’abord manifesté son attachement aux départements, au travers du redécoupage cantonal et de l’instauration d’un binôme d’élus, dont la durée de vie sera courte puisque les départements sont appelés à disparaître à l’horizon 2020, sous réserve d’une révision constitutionnelle. Voici qu’un nouvel épisode nous est proposé avec le passage de vingt-deux à quatorze régions, épisode dont la cohérence demeure obscure et dont le scénario a été écrit loin du terrain, dans de petits arrangements entre amis.

Cette réforme ne dit pas comment le millefeuille perdra des feuilles. Elle laisse plusieurs questions sans réponse. Qui siégera dans les conseils régionaux fusionnés ? Les départements sont-ils voués à être vidés de leur substance au profit, sans doute, des intercommunalités ? Qui exercera les compétences de proximité, comme l’action sociale ou l’entretien des routes ? Tout cela semble relever de l’improvisation la plus totale. Au terme de ce feuilleton à rebondissements, une autre impression domine, celle d’une navigation à vue, au gré de ce que les élus et les populations semblent en mesure d’accepter.

Ces dernières années, les intercommunalités sont montées en puissance, dépouillant les communes de leurs compétences les plus structurantes. Une nouvelle étape s’annonce dans laquelle les métropoles engloutiront les départements, tandis que de grandes régions seront créées en accéléré. Ces mouvements éloignent sans cesse davantage le citoyen des centres de décision.

Le schéma administratif et politique se résume désormais à une Europe à qui les États doivent soumettre leurs choix budgétaires, des régions et des intercommunalités parfois géantes quand elles sont métropoles. Il s’agit d’un chamboulement complet des principes hérités de la Révolution française, qui met en cause la citoyenneté, l’unité nationale et l’égalité des territoires. Le thème du millefeuille n’est agité que pour convaincre nos concitoyens du bien-fondé, contestable, de la réforme territoriale, et pour dissimuler l’essentiel, la profonde modification de l’organisation de la nation que vous préparez.

Enfin, je suis choqué que les sociologues puissent parler de tout sans dire un mot des hommes et des femmes qui vivent sur les territoires. L’essentiel est pourtant là.

M. François-Michel Lambert. Une fois de plus, la preuve est faite que la France, toujours gauloise et querelleuse, rechigne à accepter les évolutions. Qui peut croire qu’un autre gouvernement et un autre Président de la République auraient agi différemment pour conduire cette réforme ?

Une dynamique est enclenchée ; il nous appartient de la faire évoluer. Pour ma part, j’ai toujours milité pour la création d’une grande région, regroupant Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) autour de la Méditerranée, puisque cette mer est le lieu d’échanges appelés à se développer avec le continent africain.

La réforme doit permettre d’aller vers l’Europe des régions, dans laquelle l’État libère les énergies et garantit la justice républicaine. Elle doit relever les défis du XXIe siècle, pas ceux de la fin du XVIIIe : la transition énergétique, la mobilité pour tous, la mondialisation et les réseaux sociaux. Elle ne doit pas s’arrêter à ce redécoupage et à cette seule carte. Elle relève de choix politiques qui peuvent être discutés.

Quels sont les obstacles juridiques au démembrement des régions ? Comment pourrions-nous, dans un second temps, ajuster la carte proposée en détachant certains départements – le Gard et l’Hérault rejoindraient par exemple la région PACA ? Peut-on imaginer de transférer des cantons ?

Une autre question se pose : des grandes régions pour quoi faire ? Comment les citoyens peuvent-ils s’approprier cette nouvelle collectivité ? Il est indispensable de donner aux régions, aux intercommunalités et aux métropoles la légitimité que confère le suffrage universel direct et proportionnel.

Enfin, la plus grande responsabilité donnée aux régions suppose des moyens financiers. Quelle peut être leur autonomie en la matière ?

M. Jacques Krabal. Je suis quelque peu embarrassé après ces interventions très contrastées qui n’éclairent pas vraiment le débat. Je souhaite saluer la volonté du Président de la République, si souvent accusé d’immobilisme, de s’engager résolument dans une réforme territoriale qui ne s’écrit pas sur une page vierge. Ce sujet fait partie des préoccupations politiques depuis plus de vingt ans. Les tentatives de réforme n’ont pas manqué, avec les résultats que l’on connaît. Après le message transmis par les citoyens lors des élections européennes, nous ne pouvons pas rester au lendemain de 1792 pour les départements et au lendemain de 1956 pour les régions. Nous devons avancer. Certes, la réforme ne réglera pas tous les problèmes, mais une simplification s’impose, chacun en convient.

Nous n’en sommes qu’au commencement du débat. On peut adresser tous les reproches au projet proposé – il a été écrit sur un coin de table, mais n’était-ce pas le cas de la réforme de 1956 ? –, toutefois il a le mérite de proposer une carte et de fixer des objectifs. Je pourrai dire que je suis très heureux que la région Picardie soit unie à la région Champagne-Ardenne, car les arguments historiques, identitaires et économiques plaident en ce sens. Mais la carte n’est pas tout. Ce projet va dans le sens de l’histoire et du XXIe siècle.

Comparaison n’est pas raison, et chacun connaît la diversité de taille des régions d’Europe, mais il n’est pas seulement question ici d’arithmétique. J’ai apprécié le souci de faire vivre la proximité dont a témoigné M. Le Lidec, avec ce que cela implique en matière de circuits courts et d’économie circulaire. L’enjeu est bien celui-là : comment faire vivre la démocratie locale à travers les regroupements de régions ?

M. Alain Calmette. Globale, cette réforme dépasse la seule question du découpage des régions – promise à une discussion sans fin. L’émergence de l’intercommunalité en est l’élément fondamental. Nier le caractère illisible de l’organisation actuelle n’est pas sérieux. Un des intervenants a avancé que le développement économique d’une commune n’avait rien à voir avec sa taille ; certes, mais, dans le cas de petites communes, il est surtout le résultat, non d’une activité endogène, mais de la collaboration avec d’autres territoires ou d’une péréquation.

Comment envisagez-vous la solidarité territoriale au sein même de grandes régions afin que les territoires ruraux puissent surmonter l’impression d’éloignement provoquée par la réforme ?

M. Jacques Kossowski. Le Président de la République, dans sa tribune, a indiqué que le redécoupage territorial va mener l’État à « renoncer à exercer les compétences reconnues aux collectivités ». Ainsi, les nouvelles entités régionales vont devoir jouer un rôle primordial dans la transition énergétique et sans doute obtenir des compétences élargies en matière environnementale et énergétique. Dès lors, certaines institutions nationales, comme l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), auront-elles leur place dans cette nouvelle architecture ? Les organismes étatiques et régionaux ne risquent-ils pas de doublonner ? D’autre part, en matière environnementale toujours, les différentes normes seront-elles édictées au niveau national ou bien des expérimentations régionales seront-elles laissées au libre arbitre des nouvelles entités ? Est ainsi posé le problème plus général du juste équilibre entre autonomie des régions et équité territoriale.

M. Jean-Christophe Fromantin. Partir des dynamiques nous éviterait peut-être tous ces échanges sur les bonnes ou moins bonnes fusions. Il s’agit de prendre en compte la réalité, de savoir comment vivent les gens, dans quelles villes ils vont, dans quelles universités étudient leurs enfants… Les relations entre territoires ruraux et métropoles sont l’un des grands sujets de la réforme. Or, de ce point de vue, la carte proposée est très inéquitable.

L’idée selon laquelle, en 1790, entre les confins d’un département et son chef-lieu, il devait y avoir une journée de cheval tout au plus, n’était pas à l’origine de la délimitation des départements, mais la remarque a posteriori d’un député. Nous pouvons nous poser la même question : mettons-nous tout le monde à moins d’une heure et demie d’une métropole connectée au monde ? Il en va de même concernant la zone d’influence des grands ports maritimes : dans un espace qui se globalise, où les conteneurs vont constituer un élément structurant du commerce international, on peut se demander si la carte qu’on nous propose met équitablement toutes nos industries à bonne distance de nos ports maritimes. Nous avons étudié, il y a un an, cinquante modèles d’organisation de nos grandes entreprises ; leur carte de France, celle de la réalité économique et de la réalité sociale, est en décalage avec celle qui nous est soumise.

Il faut donc veiller à ne pas dessiner une carte trop administrative, vue de Paris voire de l’Élysée. Construisons une carte qui colle aux réalités économiques et sociales, faute de quoi nous risquons d’être en décalage par rapport à des flux ou à des modèles existants et d’être contraints d’ajuster en permanence la géographie conçue par des états-majors à celle de la France telle qu’elle vit.

M. Gilles Savary. Il est normal d’affecter ici de considérer que seule une carte nous serait proposée. La France adore la polémique : on est accusé d’immobilisme quand on ne bouge pas et, quand on bouge, de réaliser une mauvaise réforme. Or l’ambition du Président de la République est d’une tout autre portée – une portée considérable – puisqu’elle va redessiner complètement l’organisation territoriale de la République.

Nous sommes quelques-uns à pouvoir nous prévaloir de quelques heures de vol en rase-mottes ce qui, certes, ne donne pas une grande hauteur de vue académique, mais au moins savons-nous comment fonctionne une collectivité locale. Nous savons qu’existent plusieurs services de développement économique à tous les étages, plusieurs services de tourisme à tous les étages. Si le système marchait, nous aurions une croissance à trois chiffres et un taux de chômage négatif. Ce n’est pas le cas ; il faut donc rationaliser.

Je suis heureux que les préfets soient amenés à subsister, car je suis attaché à l’unité de la République. Reste une question : quels contre-pouvoirs apporter aux exécutifs régionaux ? Car il n’existe pas de presse locale pluraliste, pas d’équivalent des grands corps de contrôle de l’État.

Enfin, la péréquation ne se fait pas que par la taille : il y a en effet des régions riches et des régions pauvres qui n’ont pas de grandes métropoles. Il faut donc prévoir des dispositifs de péréquation entre régions et de proximité. Avez-vous des idées en la matière ?

M. Michel Heinrich. Depuis quarante-huit heures, les annonces du Président de la République suscitent de nombreuses contestations faute de définition d’objectifs, d’études d’impact ; or, à l’aune de l’exposé que nous venons d’entendre, nous mesurons à quel point un débat de qualité aurait pu conduire à élaborer une réforme acceptable pour tout le monde.

Lors de la précédente législature, nous avons proposé d’instaurer le conseiller territorial, qui devait siéger à la fois à l’assemblée départementale et au conseil régional. N’était-ce pas une bonne façon de réussir la réforme ?

La population connaissant mal ses représentants régionaux, faut-il un mode de scrutin proportionnel ou un mode de scrutin prévoyant un élu pour un territoire ?

M. Yannick Favennec. Je puis affirmer, en tant qu’élu de la Mayenne et donc ligérien, que la région Pays de la Loire n’est pas à vendre, n’est pas née sous X et ne souhaite pas être démantelée : elle représente en effet, avec ses cinq départements, la plus forte croissance économique et démographique de France.

Je souhaite connaître l’avis des intervenants sur le mariage raté entre les Pays de la Loire et la Bretagne. Comment expliquer la résistance bretonne ? Croyez-vous inéluctable le rattachement, à un moment ou à un autre, de la Loire-Atlantique à la Bretagne et, dans l’affirmative, pourquoi ? Le maintien en l’état de la région des Pays de la Loire ne risque-t-il pas de l’isoler, de l’affaiblir, de diminuer son attractivité et sa compétitivité face aux deux grands blocs qui l’entoureront, la Bretagne avec une forte identité, et la nouvelle région Poitou-Charente-Centre-Limousin ? En proposant la création de cette dernière, le Président de la République n’a-t-il pas déposé une bombe à retardement sous les fenêtres de Jacques Auxiette, président de la région des Pays de la Loire ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Personne ne nie la complexité administrative française qui tient au refus de toucher aux 36 700 communes. C’est aussi ce qui explique la création, en 1992, des intercommunalités qu’il est bon de renforcer puisque, dans l’esprit de nos concitoyens, elles sont censées assumer des missions de proximité. J’ai trouvé très intéressante l’idée que les régions puissent déléguer des compétences à des niveaux inférieurs, notamment aux intercommunalités, dans la mesure où elles portent une partie du développement local. Il serait en effet erroné d’opposer le couple intercommunalité-proximité au couple région-développement : les intercommunalités devront jouer ces deux rôles.

Dans ce contexte, quelle sera la mission des communes, celle de l’État – qui, en matière sociale, semble aller de soi ? Ce dernier ne pourrait-il pas reprendre à sa charge les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ?

Enfin, le dernier scrutin a montré une consolidation du vote en faveur du Front national dans les zones périurbaines. Le regroupement des intercommunalités, s’il prend en compte lesdites zones, ne peut-il être un facteur de diminution du sentiment de déclassement qui profite à ce parti ?

Mme Sophie Rohfritsch. L’organisation de cette table ronde montre que le président Chanteguet sait prendre des risques pour garantir la transparence de nos débats : ce n’est pas une découverte, mais nous pouvons le saluer à nouveau pour cela.

La qualité des interventions nous a bien éclairés sur la réalité de cette réforme – encore que je peine à la nommer ainsi puisque nous avons confirmation qu’elle a été réalisée sur un coin de table sans tenir compte de la nécessité pour le pays d’assurer le développement économique de ses territoires, développement qui pourrait notamment être fondé sur les lourds investissements déjà réalisés au titre des pôles de compétitivité, des restructurations des universités, du programme « Investissements d’avenir ». Ces investissements, irriguant le tissu social et économique, commencent en effet à porter leurs fruits : les entreprises innovent et lancent de nouveaux projets. C’est de cela que nous vivrons demain, et on ne l’a absolument pas pris en considération.

L’Alsace, par exemple, aurait beaucoup à gagner d’un découpage qui intégrerait ses pôles de compétitivité – dont certains sont très performants. Elle a été l’une des premières régions, après l’Île-de-France, à bénéficier de ces investissements.

Par ailleurs, on n’a pas entendu un mot sur la réforme de l’État alors qu’elle est le préalable à une vraie réforme territoriale intelligente et performante. Voulons-nous un État fédéral ; demeurons-nous un État jacobin ?

M. Philippe Plisson. J’ai entendu plusieurs interventions dont je n’approuve ni le fond ni la forme. Je suis en revanche assez d’accord avec M. Le Lidec. Je suis maire d’une commune de 500 habitants, président d’une intercommunalité de 12 000 habitants et conseiller général ; j’ai été rapporteur de la commission de coopération intercommunale en Gironde et je crois avoir une vision assez claire de ce qui est nécessaire. Une commune de 500 habitants ne sert plus à rien. Le conseil général ne sert plus à grand-chose non plus – il faut avoir le courage de le faire disparaître. Les intercommunalités, quant à elles, ont pris une importance capitale et c’est à ce niveau que l’organisation territoriale doit se réaliser. (Murmures sur les bancs UMP)

Dès lors que ce diagnostic est partagé presque par tous – Xavier Bertrand lui-même a déclaré que la réforme territoriale était nécessaire –, ne pourrions-nous pas, sur un sujet d’une importance aussi capitale, chercher un vrai consensus ? Nous pouvons continuer de faire de la politique politicienne : reste que c’est d’une dynamique pour réformer le territoire que nous avons besoin. Vous avez tenté de le faire avec l’institution du conseiller territorial. Nous devons tous nous mettre autour de la table pour élaborer la meilleure réforme possible pour nos concitoyens.

M. Laurent Furst. Cette réforme a-t-elle une chance de survivre à une alternance ? (Murmures sur divers bancs) Non, clairement non, car nous n’avons pris le temps ni de la réflexion ni de la discussion. Vous faites précisément ce qu’il ne faut pas faire, alors que la vie quotidienne de tous les Français est concernée, alors que votre réforme touche à ce qui leur est cher : leur commune, parfois leur département, parfois leur région. Or la France n’est pas un fromage qu’on découpe ; elle a des traditions et des intérêts multiples. En tant qu’élu local, c’est l’addition réglementaire qui me pèse le plus. Nous pouvons réaliser des économies à condition que le droit soit plus léger, plus efficace. Par ailleurs, on peut être plus pertinent dans la conduite des politiques publiques en réorganisant les centres de décision.

Les Français tiennent beaucoup à la proximité, à la possibilité d’interpeller et de critiquer directement leurs élus. Ils ne veulent pas d’une nouvelle technocratie.

M. Philippe Duron. Il faut partir du principe que tout découpage est arbitraire et que celui qu’on nous propose en vaut d’autres. D’ailleurs, la réforme envisagée satisfait un certain nombre de régions. Elle va transformer l’organisation du territoire, influer sur la géographie des flux, faire évoluer les repères démocratiques.

Quel est l’avenir des capitales régionales qui ne le seront plus parce qu’elles sont des métropoles incomplètes, parce qu’elles n’ont pas accédé à ce statut administratif, statistique de métropole ? Comment éviter à certains territoires les effets négatifs de la perte de certaines compétences de services ? Comment les aider à jouer un rôle différent d’animation des territoires ? Quel est l’avenir de ces lieux intermédiaires essentiels à la structuration du territoire ?

M. Alain Leboeuf. Cette réforme, qui doit conduire à un élargissement des régions et à une affirmation des métropoles, ne se traduira-t-elle pas une fois de plus par une concentration des pouvoirs et des richesses dans quelques grandes villes au détriment des zones rurales et des villes moyennes ?

La disparition programmée des départements, qui exercent une fonction de solidarité territoriale, ne conduira-t-elle pas les régions à concentrer leur action sur leurs chefs-lieux – j’en veux pour preuve l’exemple de la région des Pays de la Loire qui a concentré ses crédits sur Nantes, Le Mans ou Angers ?

M. Alexis Bachelay. La passion française pour la géographie est si forte qu’elle a surtout abouti, ces dernières années, à ne rien décider. Cela aurait sans doute fait plaisir à Paul Vidal de La Blache, le fondateur de l’école française de géographie ; mais force est de constater que, pour la simplification du fonctionnement de nos administrations, la lisibilité et le contrôle des politiques publiques, le compte n’y est pas.

Au-delà de l’obsession des frontières, tout à fait légitime mais non essentielle, il y a la question des compétences, de l’autonomie financière et – j’insisterai sur ce point – de la démocratie. Comment, dans des régions agrandies, maintenir une certaine proximité entre l’institution et le citoyen ? L’idée de transformer nos conseils régionaux en parlements locaux composés d’élus directement choisis par les citoyens dans le cadre de circonscriptions serait peut-être un moyen d’éviter cette distance déjà ressentie dans le système en vigueur.

M. Guillaume Chevrollier. Nous partageons tous l’idée que la réforme du millefeuille administratif doit permettre le redressement du pays. Elle doit toutefois être menée de façon cohérente, réfléchie et courageuse – qualités qui ne semblent pas caractériser le président Hollande : on a aboli l’institution du conseiller territorial, votée par la précédente majorité, et qui permettait le rapprochement entre le département et la région ; on a créé l’ineptie du binôme paritaire qui entraîne le redécoupage de l’ensemble des cantons au détriment de la ruralité, alors que les départements ont vocation à disparaître…

Que de revirements sur le nombre de régions : il devait rester stable dans un premier temps, avant de passer à onze puis à quatorze. Si l’on s’en tient à l’exemple de la région des Pays de la Loire, dont je suis élu, on nous apprend que nous étions rattachés à la région Poitou-Charentes avant que, quelques heures plus tard, à la suite d’interpellations de responsables socialistes, le Président ne change d’avis pour nous laisser finalement seuls. Quel est donc le fil conducteur de cette réforme ? Obéit-elle à une logique économique, démographique, géographique ? Nul ne le sait. Nous avons d’un côté des régions énormes et, de l’autre, un statu quo qui peut se révéler préjudiciable pour une région comme les Pays de la Loire, voisine de la Bretagne et d’une grande région Poitou-Charentes-Centre-Limousin.

Il semble donc que l’arbitraire politique caractérise ce projet plutôt qu’une vision d’avenir pour le pays, alors que chacun s’accorde sur la nécessité de réformer. Or nous sommes dans le flou : vous ne nous proposez aucune étude d’impact, nous n’avons aucun chiffre concernant les économies devant être réalisées. Les collectivités territoriales, les élus locaux, les fonctionnaires territoriaux, inquiets, méritaient mieux.

M. Charles-Ange Ginesy. Quand on veut mener une grande réforme, il convient de savoir ce que l’on veut faire. Or il me semble que nous n’avons pas suffisamment discuté la répartition des compétences. Le Président de la République a présenté ce projet de découpage de façon précipitée. Au-delà de mon regret de voir disparaître le conseil général, alors qu’il me paraît être un échelon de proximité important, je n’ai pas vu qu’on ait engagé un débat, une concertation avec les acteurs concernés. Quelle est la position des intervenants sur les compétences et sur la nécessité de cette concertation ?

M. Jean-Marie Sermier. Cette réforme n’est évidemment pas à la hauteur des attentes de la population et il est clair que le président Hollande a réalisé la nouvelle carte à la va-vite, probablement pour répondre à la colère de son électorat. Mais on garde telles quelles sept régions comprenant plus de 33 millions d’habitants : un Français sur deux n’est donc pas concerné par la nouvelle carte.

En ce qui concerne les départements, c’est la valse à trois temps : on nous avait annoncé leur suppression pour 2021, puis pour 2016, et on évoque aujourd’hui 2020. Cette suppression n’est-elle donc qu’un leurre ? Les services seront toujours là, les compétences aussi, en matière sociale, scolaire, de voirie. La bonne solution ne consisterait-elle pas à avoir un élu dans une circonscription territoriale, donc un représentant identifié gérant à la fois le département et la région ?

M. Jean-Pierre Vigier. Cette réforme est menée dans la précipitation, en totale déconnexion par rapport à la réalité du terrain. A-t-on demandé l’avis des élus locaux qui vivent dans ces territoires, qui en connaissent les besoins ? En instituant de grandes régions, en renforçant l’attractivité des métropoles, on ne va pas favoriser la proximité ; on va même étouffer la vie en milieu rural. Aussi, comment éviter la dualité entre territoires ruraux et métropoles ? C’est important, car la ruralité, qui concerne 20 % de la population sur 80 % du territoire, participe à l’équilibre du pays.

M. David Douillet. Je ne reviendrai pas sur l’amateurisme dont ont fait preuve le Président de la République et le Gouvernement – ce dernier n’étant d’ailleurs même pas au courant de ce qui se décidait. Il est temps d’élaborer des stratégies pour donner du travail aux Français. L’exportation est la grande solution. Le découpage proposé a-t-il été conçu pour que nous ayons, demain, des champions de l’exportation et du savoir-faire français ? On parle de péréquation, de nouveaux impôts, mais, lorsque les Français n’auront plus d’argent parce qu’ils n’auront plus de travail, que va-t-on faire : plumer un œuf ? Ce n’est pas possible.

M. Jacques Alain Bénisti. La question n’est pas de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise réforme mais, dans le contexte de crise que nous connaissons, si elle est prioritaire, voire opportune. La masse salariale représente près de 60 % du budget des régions. Or nous savons pertinemment que, avec la fusion des régions, elle va augmenter. Prétendre que ce projet permettra de réaliser des économies relève de l’imposture.

M. Alain Gest. Nos remarques ne signifient pas que nous ne partageons pas l’idée avec laquelle tout le monde s’accorde : il faut faire évoluer le système. En revanche, certains doivent reconnaître qu’on peut ne pas être convaincu par l’efficience de nouvelles régions qui seraient des monstres territoriaux, ni par l’idée que l’efficacité d’un territoire serait fonction de sa superficie. L’efficacité me paraît davantage liée aux compétences.

Avez-vous une idée des éventuelles économies que la réforme sera susceptible d’engendrer ? Surtout, la seule économie possible n’est-elle pas la suppression de la clause de compétence générale au risque d’une singulière diminution des investissements réalisés par les collectivités territoriales ?

M. Gérard-François Dumont. Vous avez bien compris que, dans mon exposé liminaire, je n’ai pu qu’établir le diagnostic de la situation. Il est vrai que des élus se sont montrés réticents à l’évolution de la décentralisation à partir des années 2000, pour la simple raison qu’ils avaient vécu la première décentralisation au cours de laquelle l’État n’avait pas toujours reversé les moyens dont il disposait alors que, dans le même temps, il transférait des compétences.

Je l’ai vécu moi-même en tant que recteur. Dans l’académie où j’exerçais mes fonctions, le taux de croissance de la population scolaire était très important et j’ai fini par manquer de personnel. J’ai découvert que je pouvais disposer de personnels détachés depuis presque vingt ans – soit après les premières lois de décentralisation – à la direction départementale de l’équipement pour s’occuper des collèges et des lycées – relevant aujourd’hui, en l’occurrence, du conseil général des Alpes maritimes et du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur. J’ai écrit au directeur départemental de l’équipement pour lui demander le retour de ces personnels. Je pensais qu’il me proposerait de me les rendre progressivement. Or il me les a renvoyés d’un coup. J’ai procédé de la même manière avec le département du Var et j’ai ainsi récupéré, en un instant, vingt personnes qui ne faisaient rien depuis vingt ans ! La résistance des élus à l’acte II de la décentralisation est liée au fait qu’ils ont vécu cette grande difficulté.

Ensuite, je suis d’accord sur la nécessité de clarifier les compétences. Il faut réaliser un audit très précis des doublons non seulement entre communes, intercommunalités, départements et régions, mais aussi et surtout de doublons avec l’État dont les services ont conservé des personnels qui ne sont plus censés assumer des compétences qu’il a transférées.

Enfin, les dernières élections, dont je déplore les résultats, ont mis en évidence la question de l’intercommunalité : nos concitoyens, qui n’ont rien contre la mutualisation de certains services, exigent qu’elle se traduise par une diminution des impôts locaux et par une amélioration des services publics. Or ils ont constaté que l’intercommunalité a donné des effets inverses. Elle a été imposée de façon jacobine. Cela m’a conduit, après plusieurs visites dans les territoires français, à dresser une typologie des intercommunalités.

Le premier type est l’intercommunalité centralisatrice qui, donc, a la volonté de tout centraliser, y compris des détails qui devraient relever de telle ou telle commune.

On a ensuite l’intercommunalité consensuelle : l’État a promis de l’argent aux communes qui se mettaient ensemble sans qu’elles définissent pour autant de projets collectifs. Ainsi, quand la ville de Nice a souhaité obtenir le statut de métropole, il était écrit noir sur blanc sur son site internet que c’était pour toucher davantage de dotations financières.

Enfin, l’intercommunalité subsidiaire est malheureusement minoritaire. Ici, les communes rassemblées décident d’avoir un projet commun, et c’est au niveau de l’intercommunalité que sont gérés les problèmes communs à l’ensemble des territoires concernés, mais où prévaut une logique de subsidiarité : l’intercommunalité renvoie même de l’argent aux communes si nécessaire pour la réalisation de projets à l’échelon inférieur.

Il serait très important d’évaluer l’intercommunalité. Vous savez fort bien que le nombre de fonctionnaires de la fonction publique territoriale, au sein des communes et des intercommunalités, a augmenté sans que les citoyens constatent une amélioration des services publics.

Martial Saddier a évoqué l’état d’esprit des Français. Il ressort de tous mes déplacements qu’ils me paraissent dubitatifs : cette réforme ne passe pas comme une lettre à la poste. Certains journalistes pensaient qu’elle serait acceptée d’emblée et n’envisageaient pas d’en parler ; désormais je suis appelé par cinq journalistes chaque jour.

La France ne cesse d’opposer Girondins et Jacobins. Je rappelle que les cahiers de doléance de 1789 étaient girondins, mais que ce sont les Jacobins qui l’ont emporté en utilisant des moyens coercitifs – je vous renvoie au monument de Bordeaux ou à ce qui s’est passé à Lyon et qui a provoqué la mort de milliers de personnes. Or la logique jacobine continue d’exister : un certain nombre de représentants de la haute fonction publique n’a jamais accepté la décentralisation. Depuis 1982, de nombreuses décisions de recentralisation ont été prises, la plus importante ayant été la recentralisation fiscale de la fin des années 1990 avec la fin de l’autonomie fiscale des régions – si bien que les citoyens ne savent pas combien leur coûte leur région, puisque les impôts locaux régionaux qu’ils paient ne représentent qu’une part minoritaire des recettes régionales.

Ces décisions de recentralisation se constatent au niveau intercommunal. La région est en effet chargée de l’aménagement du territoire. Qui devrait être responsable de la carte de l’intercommunalité ? Évidemment la région. Or on a décidé que ce serait l’État, à travers ses préfets qui auraient la science infuse en la matière. Or – il faut dire les choses crûment – le sous-préfet s’intéresse plutôt à la façon dont il pourra être nommé préfet grâce aux relations qu’il entretient à Paris, le préfet n’exerce ses fonctions dans un département que temporairement, alors que le conseiller général, le conseiller régional et le député connaissent le territoire par cœur et ont vocation à réfléchir au long terme. Les très nombreuses décisions de recentralisation posent donc un réel problème. (Applaudissements)

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question des communes. Ici aussi, comme disait Jaurès, il faut comprendre le réel. La taille des communes est très différente selon les départements. La France était jusqu’au XIXe siècle le pays le plus peuplé d’Europe, deux à trois fois plus que les pays voisins. Les paroisses correspondaient ainsi aux besoins d’un pays à très forte densité. Si, dans le Nord-Pas-de-Calais, les communes sont beaucoup plus petites que dans le département des Landes, c’est parce que le peuplement y a justifié une organisation territoriale plus serrée.

La plupart des communes étant de nos jours faiblement peuplées, faut-il pour autant les supprimer ? Elles ne coûtent pas cher : la quasi-totalité des conseillers municipaux agissent gratuitement pour le bien-être de leurs concitoyens. Les supprimer empêcherait les habitants de ressentir leur identité communale. Ceci ne signifie pas qu’on ne peut pas imaginer que les communes n’aient plus de budget. Il s’agirait de rendre des services de proximité comme le font tous les conseillers municipaux dans les communes rurales. Reste qu’il faut absolument garder le niveau communal où l’on continue de prendre des initiatives fondamentales, dans le monde rural comme dans le monde urbain.

Certains d’entre vous ont évoqué l’Europe des régions. S’agit-il d’un scénario souhaitable, possible ? J’ai publié une étude sur les régions d’Europe montrant une très grande diversité institutionnelle. Aussi le scénario d’une Europe des régions n’est-il pas viable parce que les régions sont tantôt entre guillemets, si je puis dire, tantôt entre tirets, et donc très importantes – comme dans les États fédéraux. Le « Comité des régions » de l’Union européenne n’est d’ailleurs pas un comité des régions, mais un comité des collectivités territoriales, car l’échelon régional est fondamentalement différent d’un pays à l’autre.

Tous les exemples de réussite locale que j’ai donnés sont des exemples de croissance endogène, ceux de gens qui se sont mobilisés pour dynamiser leur territoire.

L’attachement identitaire est fondamental pour la dynamique territoriale. Ainsi, bien que dépourvu de métropole, le Puy-de-Dôme compte deux grandes entreprises internationales : Michelin et Limagrain – troisième producteur mondial de semences. Comment l’expliquer ? Les dirigeants de ces entreprises sont attachés à leur territoire et tiennent à rester dans cette dynamique favorable à l’Auvergne. S’ils obéissaient à une logique financière, ils auraient vendu leur entreprise, qui ne serait plus française, et ils vivraient de leurs rentes. Il paraît essentiel d’insister sur cette dimension identitaire forte et sur le fait qu’il n’est pas nécessaire pour une entreprise d’évoluer dans une métropole pour avoir une dimension internationale – et j’aurais pu aussi évoquer le groupe Bénéteau ou d’autres exemples d’entreprises internationales très connues dont le siège social n’est pas dans une métropole. Règne en France une idéologie métropolitaine. Or les résultats des métropoles sont très différents en Europe. L’attractivité d’un territoire n’est pas fonction de l’existence d’une métropole.

J’ai évoqué les Pays de la Loire de façon quelque peu provocatrice. Débattre du découpage revient sans doute à discuter du sexe des anges, mais avec des conséquences qui peuvent se révéler dommageables pour les territoires. La région des Pays de la Loire recèle des forces centrifuges qui justifient certainement le maintien des départements. La meilleure preuve en est que les échanges économiques entre la Loire-Atlantique et la Vendée ne sont pas extraordinaires en raison de réalités locales très fortes qui se traduisent d’ailleurs par de faibles taux de chômage – d’où la nécessité de tenir compte de ces réalités culturelles. Prenons à cet égard les chiffres de la Vendée : son taux de chômage était très faible en 2007 ; il a augmenté avec la crise, mais les entreprises locales se sont très rapidement réadaptées et il a diminué. Il faut toujours avoir présent à l’esprit que le taux de chômage national n’est que la moyenne de taux de chômage très différents selon les territoires. C’est ce qui m’amène à considérer qu’il y a de petites Allemagne en France et de petites France en Allemagne – puisqu’en Allemagne aussi le chômage, dans certains territoires, est élevé. Il ne faudrait pas qu’une centralisation sur une capitale régionale fasse fi des succès de certains départements.

En ce qui concerne le mode de scrutin régional en vigueur, sauf à choquer, il faut bien admettre qu’il favorise un système d’apparatchiks. Il s’agit certes d’hommes et de femmes comme les autres qui pensent au bien commun, mais qui sont souvent contraints par les objectifs de leur parti politique plus que par le souci de la région. Le mode de scrutin actuel n’est donc pas propice à la démocratie. Il paraît essentiel que les élus soient des élus de terrain, de terroir, pour qu’on sache qui ils représentent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI)

L’addition réglementaire, évoquée par l’un d’entre vous, est en effet extraordinaire. Si les collectivités territoriales ont des coûts relativement élevés, c’est parce qu’elles sont obligées de respecter des réglementations trop complexes. Si l’on veut créer une crèche de cinquante berceaux, l’épaisseur du dossier ne sera pas de cinq centimètres, mais de plus de deux mètres ! Il faut donc mener un travail de simplification des réglementations.

Le risque de centralisation est réel. Par exemple, dans la périphérie de la région Rhône-Alpes, on a le sentiment que la région est le moyen pour Lyon de dominer l’ensemble du territoire.

Ce qui est important, comme l’a souligné David Douillet, ce sont le développement économique et la lutte contre le chômage, qui supposent que l’État améliore le cadre permettant aux élus de mieux gouverner leur territoire, et donc abolisse des règles qui les en empêchent. Cela suppose le développement de la concertation et une clarification des compétences – préférable à une suppression de la clause de compétence générale.

Mme Béatrice Giblin. Quels sont les objectifs de la réforme territoriale ? Simplification, économies, proximité… certes. Mais la question fondamentale est de savoir quel type d’État on veut : si l’on institue de grandes régions pourvues de forts budgets et de compétences importantes, on sera, qu’on le veuille ou non, plus près d’un État fédéral que de notre État centralisateur. C’est peut-être une très bonne chose, mais il convient de lancer ce débat et de ne pas engager cette réforme comme si elle ne devait pas avoir ce type de conséquences. Il ne s’agit pas d’une réforme d’ordre technique, mais bien d’ordre politique.

Considérer que les communes et les départements correspondraient à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, et que les intercommunalités et les régions seraient seules adaptées au XXIe siècle, relève d’une pensée d’experts, hauts fonctionnaires comme universitaires, alors que la situation est beaucoup plus politique. On n’aura pas tout résolu parce qu’on aura supprimé les départements et fusionné les communes.

La question de la représentativité démocratique des intercommunalités – destinées à être renforcées – est revenue dans de nombreuses interventions. La réforme semble prévoir qu’on regrouperait les communes afin d’atteindre un seuil de 20 000 habitants. S’agit-il d’un bon chiffre ? Sans doute pas, puisqu’il conviendra ici quand le seuil de 5 000 habitants sera préférable là. C’est seulement après avoir réalisé un diagnostic précis des densités de population, des flux des bassins de vie et des modes de vie, qu’il faudra penser l’intercommunalité. Fixer un seuil unique de 20 000 habitants relève d’une vision technocratique. La France n’est pas un espace-plan sur lequel dessiner ce qui nous donne l’impression, selon notre vision cartésienne, que tout est clair et net. Il faut s’adapter aux caractéristiques historiques, géographiques, culturelles et même politiques des territoires.

Pour ce qui est du système électoral, M. Dumont s’est montré très favorable à ce qu’un élu représente un territoire. J’y suis beaucoup plus réticente. L’idée que seul un homme puisse incarner un territoire fera du président d’une région puissante un petit Président de la République. La personnalité d’un individu risque de peser très fort. Or la démocratie me semble devoir supposer un minimum de proportionnalité. Notre histoire politique n’est certes pas celle de la négociation ou du consensus. Ainsi, l’expérience de la IVe République a semblé abominable alors qu’elle n’a pas été sur bien des plans aussi négative. La logique de la Ve République implique qu’on dégage de fortes majorités pour pouvoir agir, logique qu’on retrouve à tous les niveaux. C’est le cas avec la réforme de l’Université : il n’y a plus d’opposition, plus de contre-pouvoir. Or la question des contre-pouvoirs est fondamentale. Il n’est pas de démocratie sans contre-pouvoirs et, en effet, la presse quotidienne régionale n’en est pas un. Il faut réfléchir aux lieux de débat et d’information ouverte. Le scrutin proportionnel présente l’avantage de donner la parole à des opposants qui peuvent construire des projets communs et porter des débats sur la place publique. Nous, Français, devons apprendre à travailler dans le consensus, la négociation pour, ensuite, avancer ensemble. Le succès de la réforme territoriale n’est pas seulement fonction du choix de tel meccano, mais aussi de choix en matière de culture politique. C’est le moyen d’éviter les phénomènes de recentralisation au niveau régional à cause desquels on s’éloignera de nouveau des citoyens. Les derniers scrutins, municipal et européen, doivent nous faire réfléchir sur le sentiment de perte de repères éprouvé par nos concitoyens.

La complexité réglementaire, pour sa part, est imputable à notre culture de la défiance, le clivage droite-gauche n’y entrant pour rien. Nous produisons un grand nombre de règles au nom, d’une part, de l’égalité – elles servent de garde-fou –, et, d’autre part, parce que nous ne savons pas faire confiance. La haute fonction publique française, qui a une très haute image d’elle-même – parfois à juste titre –, a toujours considéré les élus territoriaux moins compétents qu’elle. Les collectivités territoriales sont sans cesse brocardées par ceux qui sont passés par Sciences Po et l’ENA : elles coûteraient cher, compteraient trop de fonctionnaires territoriaux, seraient égoïstes, ne négocieraient pas entre elles.

Or la clause compétence générale a permis la réalisation du Louvre à Lens – plus d’un million de visiteurs en moins d’un an ! Si la région, les communautés d’agglomération, le département du Pas-de-Calais, ne s’étaient pas mis autour de la table, aurait-on pu réunir les 150 millions d’euros nécessaires à la construction du bâtiment alors que l’État n’a contribué qu’à hauteur de 2 millions d’euros ? Ce projet dynamise de façon remarquable le bassin minier. Sauf à vous choquer, il me paraît important de réunir les différents niveaux de collectivités pour porter ensemble des projets qui vont irriguer tout le territoire. C’est pourquoi je suis moins favorable que d’autres à l’idée selon laquelle tout irait pour le mieux si chacun restait chez soi – ce qui serait le meilleur moyen de créer de fortes tensions avec des métropoles très puissantes qui ne tiendraient dès lors aucun compte de ce qui se passerait autour d’elles dans la région.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’entends ce que vous dites à propos de la clause de compétence générale, mais on aurait pu imaginer que, demain, la région porte totalement, d’un point de vue financier, le projet évoqué sans qu’on ait besoin de solliciter la commune, l’intercommunalité et l’État.

Mme Béatrice Giblin. Si l’on n’avait pas sollicité plusieurs niveaux de collectivités, ce projet n’aurait pas suscité le même engagement de la part de l’ensemble des élus : les impliquer dans un projet devenant le leur, et non plus seulement celui de la région, a conduit à une mobilisation remarquable. Il est important de négocier et de discuter ensemble alors que nous en avons très peu l’habitude.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre débat sur le mode de scrutin est très riche. Il est bon de recueillir des points de vue différents. L’incompréhension qu’on a pu constater ici entre les uns et les autres est la conséquence du mode de scrutin avec lequel nous avons été élus – majoritaire, uninominal et à deux tours. Est-il normal que, dans certains départements, sur trente-six conseillers généraux, trente-cinq appartiennent à la même majorité ? Où sont, dans ce cas de figure, les contre-pouvoirs ?

M. Patrick Le Lidec. Il y a eu une continuité dans l’action des gouvernements successifs depuis cinquante ans en matière de réforme territoriale : tous ont cherché à promouvoir les intercommunalités au détriment des communes et les régions au détriment des départements. On peut ainsi considérer la loi Chevènement comme un avant-projet de la loi Perben. Cette continuité s’est traduite par une superposition des structures puisque, de deux catégories de collectivités, on est passé à quatre.

La France est le seul pays d’Europe à avoir une seconde chambre, le Sénat, dont le collège électoral est constitué de représentants des communes élus dans un cadre départemental – raison pour laquelle a été conservé ce tissu de 36 700 communes.

Il faut désormais en venir à une logique de soustraction et passer de quatre à trois voire à deux catégories de collectivités. On doit tenir compte de plusieurs indicateurs économiques. D’abord, nous avons un taux d’administration locale – à savoir un ratio entre administrateurs et administrés – deux fois plus élevé qu’en Allemagne. La dispersion de la population française a certes un coût, la population allemande habitant davantage les grandes villes, mais il faut tenir compte de l’existence, chez nous, de ces quatre niveaux de collectivités par ailleurs très largement concurrents. Je rappelle que l’augmentation nette des effectifs du bloc communal, au cours des dix dernières années, a été, par an, de 34 000 emplois à champs de compétences constants.

Qu’ont fait nos voisins ? Ils ont procédé à des fusions assez systématiques en deçà d’un certain seuil – en général de 500 habitants. Il y a une opportunité à saisir avec la proposition de loi Pélissard. Le président de l’Association des maires de France est ouvert à l’idée de fusionner les plus petites communes. Le fonctionnement des intercommunalités, surtout si on doit les porter à 20 000 habitants minimum, sera des plus complexes car, si chaque commune doit avoir un représentant, les assemblées seront pléthoriques. Nous devons donc, quand c’est possible, constituer de nouvelles communes ou fusionner, créer des intercommunalités d’au moins 20 000 habitants. Les comparaisons internationales permettent de mesurer quelles économies d’échelles sont susceptibles d’être réalisées en fonction de la taille des collectivités. Ces comparaisons dessinent une « courbe en U » qui montre des surcoûts pour les collectivités peuplées de moins de 50 000 habitants et pour celles qui en comptent plus de 50 000. La taille idéale de la collectivité de base est donc de 50 000 habitants.

On peut envisager une articulation différente entre pouvoirs communaux et intercommunaux. Le sens de l’histoire devrait conduire au transfert de la souveraineté communale vers le niveau intercommunal, qui déléguera ensuite des compétences de gestion de proximité. On pourra s’inspirer du modèle de Paris, Lyon et Marseille, où la souveraineté appartient à la ville qui délègue la gestion de certains équipements à ses arrondissements, manière d’optimiser l’organisation territoriale.

La carte proposée n’est certainement pas idéale, mais elle tient assez largement compte du rayonnement de certaines métropoles. Il est important de muscler notre organisation territoriale à partir des métropoles. Les chiffres sont clairs. Si l’on prend le cas de la seule métropole mondiale française, l’Île-de-France, elle représente 18 % de la population mais 30 % du PIB. Si l’on veut stimuler la croissance et assurer une redistribution vers d’autres territoires, il faut mettre l’accent sur certains investissements métropolitains pour rendre ces territoires attractifs et la vie plus confortable en matière de transports et de logement.

Il convient de mener une réflexion sur l’utilité sociale des investissements. Ainsi, le réseau routier français – on s’en rend compte une fois à l’étranger – est d’une exceptionnelle qualité dont on peut se demander si elle n’est pas le fruit de surinvestissements au détriment, par exemple, des investissements réalisés dans les universités, qui sont souvent dans un état de délabrement avancé. On note une insuffisance française des dépenses en recherche et développement, très nettement inférieures à ce qu’elles sont dans les pays d’Europe du Nord – ce qui explique le succès économique de ces derniers.

Pour ce qui concerne les modes de scrutin, le personnel politique marque une préférence générale pour le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, notamment pour la stabilité qu’il confère et pour l’indépendance qu’il donne vis-à-vis des organisations politiques. Toutefois, autour de nous en Europe, presque tous les pays – à l’exception du Royaume-Uni – utilisent des scrutins de liste ou des scrutins mixtes. Il me paraîtrait très intelligent que nous nous orientions vers un usage plus large du scrutin mixte, d’autant que la taille de nos collectivités est amenée à s’accroître et qu’il permettrait d’améliorer la représentation de la diversité des opinions politiques, de s’affranchir d’une culture d’affrontement.

La question des contre-pouvoirs au sein des collectivités recouvre un champ beaucoup plus vaste que celui des modes de scrutin. Pour en finir avec une anomalie française, nous devrions nous inspirer du modèle corse qui distingue les présidences de l’exécutif et de l’assemblée délibérante – exception qu’on retrouve au niveau national. Enfin, l’idée de confier la présidence de la commission des finances aux oppositions locales serait bienvenue, de même que l’idée de renforcer le statut des directeurs généraux des services en leur donnant des attributions propres.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Au nom de tous les députés présents, je remercie les trois intervenants. Notre commission est la seule à organiser des tables rondes sur des sujets particulièrement forts, comme celui-ci, et je m’en félicite.

—fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 4 juin 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Jacques Alain Bénisti, Mme Gisèle Biémouret, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, Mme Sophie Errante, M. Claude de Ganay, M. Christian Jacob, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Gilles Savary, M. Lionel Tardy