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Mercredi 4 juin 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 66

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, et M. Jacques Rapoport, président-directeur général de Réseau Ferré de France

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission a entendu M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, et M. Jacques Rapoport, président - directeur général de Réseau Ferré de France.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, et M. Jacques Rapoport, président-directeur général de Réseau Ferré de France (RFF) d’avoir répondu à notre invitation. La question, très médiatisée depuis trois semaines, de l’ajustement des quais de certaines gares aux nouvelles rames Régiolis d’Alstom et Regio2N de Bombardier, vous a conduits, messieurs les présidents, à une enquête interne dont vous avez présenté les conclusions au secrétaire d’État chargé des transports le 26 mai dernier.

Alors que l’Assemblée nationale va engager l’examen du projet de loi portant réforme ferroviaire après le vote du texte par notre commission mercredi dernier, il nous a paru nécessaire de vous entendre préciser les mécanismes de décision à l’origine de la commande des nouveaux matériels, comment se fera la prise en charge financière des travaux et quelles seront leurs conséquences sur les tarifs et le déploiement des rames.

M. Jacques Rapoport, président-directeur général de Réseau Ferré de France. Nous sommes particulièrement heureux de l’occasion que vous nous donnez de venir présenter devant votre commission l’arrivée des Régiolis et des Régio2N sur le réseau ferré national. En effet, ceux de nos techniciens qui ont activement travaillé à ce dossier depuis des années, avec un sens du service public et une bonne volonté sans faille, tant à la SNCF que chez RFF, ont été meurtris par sa médiatisation et par certains propos tenus. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, le ministre nous a demandé, dès que l’affaire a éclaté, de diligenter une enquête interne. Elle a été réalisée en quelques jours et remise au ministre dans la foulée. Je vous en présenterai les quatre principales conclusions.

Pour commencer, contrairement à ce que l’on a pu entendre, les trains Régiolis et Régio2N ne sont pas trop larges. Vous le savez tous, le trafic TER augmente, en Île-de-France et dans les grandes métropoles de province, bien plus rapidement que notre capacité d’accroissement du réseau. Nous devons donc veiller en permanence à améliorer la capacité de transport des lignes existantes ainsi que le confort des voyageurs, et permettre l’accessibilité aux personnes handicapées. Il paraît donc inconcevable de faire un autre choix que d’utiliser le gabarit maximal permis par les infrastructures et autorisé par la réglementation. Ce gabarit offre une capacité de transport sensiblement supérieure à celle des trains de la génération précédente, relativement ancienne, et une accessibilité parfaite, les nouveaux matériels assurant, conformément aux normes, une continuité entre le quai et le train. Aussi n’y a-t-il aucun doute : la décision, devrait-elle être reprise aujourd’hui, serait identique.

L’enquête interne souligne aussi que, à chaque fois que l’on introduit un matériel neuf, nos infrastructures, parce qu’elles sont anciennes de quelques décennies et parfois de plus d’un siècle – comme en Île-de-France, où l’on trouve sept hauteurs de quai différentes, fruit de cent quatre-vingts ans d’histoire – doivent être adaptées, comme ce fut le cas pour le TGV ou le Francilien.

Le troisième point porte sur le financement de ces adaptations. Nous avions estimé leur montant à une cinquantaine de millions d’euros ; l’audit l’évalue entre 50 et 60 millions – soit un ordre de grandeur comparable au nôtre – le coût de l’ensemble des travaux devant s’étaler jusqu’en 2016. C’est évidemment une somme considérable, mais elle ne représente que 1,5 % du coût total de ces 330 trains neufs à hautes capacité et accessibilité, qui s’élève à près de 3 milliards d’euros. Je précise que ce besoin de financement de 50 millions d’euros supplémentaires sur la période 2014-2016 est pris en compte dans le programme d’investissements de RFF, qui s’établit à 4 milliards d’euros ; il en représente 0,3 %. Je ne cherche nullement à minimiser l’importance de cette somme mais je tiens à souligner, compte tenu des malentendus apparus, que cet investissement ne coûtera pas un euro supplémentaire aux usagers par le biais de la tarification, ni aux autorités organisatrices par le prix des péages qu’elles acquittent. Enfin, ces adaptations n’ont entraîné aucun retard dans la mise en service de ces nouveaux matériels, mais il est vrai que les retards du constructeur ont facilité la programmation des travaux. Ces derniers sont donc réalisés en temps et en heure, en fonction du programme de livraison des matériels et des commandes des régions, et en fonction des indications qu’elles nous fournissent sur les lignes auxquelles ces trains sont affectés.

Enfin, nous avons effectivement noté un dysfonctionnement dans cette affaire, qui concerne nos processus. Pendant près de trois ans, entre le moment où le problème a été identifié, en 2009, et la fin de l’année 2011, nos deux entreprises se sont opposées sur la question de savoir qui devait financer les adaptations. L’affaire s’est débloquée à la fin de l’année 2011 parce que nos ingénieurs, à qui je rends hommage, ont voulu en sortir, estimant qu’une guerre de tranchées ne pouvait pénaliser plus longtemps le service public. C’est donc grâce à la mécanique technique et la logique de service au sein de nos entreprises que le programme a été défini et que les marchés ont été lancés au début de l’année 2012, puis votés par le conseil d’administration de RFF en mars 2013. Ce dysfonctionnement réel, auquel le projet de loi portant réforme ferroviaire mettra un terme définitif, n’a eu d’impact ni sur les voyageurs ni sur les autorités organisatrices, mais il a inutilement perturbé le bon fonctionnement de ce projet.

Tels sont, monsieur le président, les conclusions présentées au ministre et qui figurent dans l’enquête réalisée par nos auditeurs internes.

M. Guillaume Pepy, président de la SNCF. Je vous remercie de nous entendre aujourd’hui. Les 260 000 salariés que comptent la SNCF et RFF n’ont pas compris comment, en quelques dizaines de minutes, un article du Canard enchaîné a créé une polémique nationale devenue en une douzaine d’heures un « scandale d’État », ni comment la réalité des faits a disparu du débat aussi rapidement.

Au rapport remis au ministre, qui a été intégralement publié, sont annexées quelque 120 pièces qui illustrent la véritable histoire de la commande du Régiolis, commande passée par le comité des offres de l’Association des régions de France (ARF), coprésidé par
MM. Martin Malvy et Bernard Soulage. Ce dernier, qui n’était pas en France pendant que la polémique se développait, a affirmé à son retour que si c’était à refaire, il passerait la même commande.

Il le ferait parce que les trains Régiolis d’Alstom respectent le gabarit international. Vous en trouverez la preuve dans le dossier, qui présente l’homologation de ces trains par l’Établissement public de sécurité ferroviaire français. Le point central dans cette affaire est que les trains ne sont pas en cause, mais que le dommage infligé à notre industrie par une polémique de cette nature est considérable. Le Financial Times en a fait sa une et la trentaine d’articles publiés à ce sujet dans la presse internationale visait tous à démontrer que l’industrie ferroviaire française ne sait pas s’y prendre. Et, évidemment, les rieurs ne sont pas de notre côté.

M. Jacques Rapoport vous a tout dit des quais : on compte dans les 3 000 gares françaises environ 15 000 quais datant d’il y a quelques mois à 150 ans. Il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’en un siècle et demi, un quai ait bougé de quelques centimètres et qu’il faille le meuler pour que des trains au bon gabarit puissent circuler. Ce qui aurait été contestable, c’est que, la commande ayant été passée, nous ayons échoué ces dix dernières années à moderniser certains quais ; mais sur 15 000 quais, les enquêteurs n’ont recensé que deux ou trois fausses manœuvres. De même, il a fallu faire passer une bourreuse pour repositionner certaines voies qui avaient bougé en 150 ans. Vous trouverez d’ailleurs, annexés au rapport, des courriers de présidents de conseil régional demandant que ces travaux ne soient pas financés par les régions mais par RFF, ce qui a été fait.

Dès lors, le « scandale », puisque scandale il y a, ne porte pas sur ce qui a été dénoncé. Il réside dans le fait qu’entre la commande des trains, en 2008, et la reprise sérieuse du dossier, en 2011, c’est-à-dire pendant trois ans, les deux établissements publics se sont renvoyé la balle au lieu de se soutenir mutuellement. RFF estimait que son réseau était fonctionnel et qu’il revenait à l’opérateur de s’assurer que ses trains pouvaient y passer ; la SNCF de l’époque considérait que, ses trains étant conformes au gabarit, il revenait au réseau d’ajuster ses installations fixes. Heureusement, en 2011, des personnes de bonne volonté ont souhaité dépasser ce conflit stupide et reprendre les choses dans le bon ordre.

Cette affaire n’a eu aucune conséquence sur la mise en service des trains Régiolis, à une seule exception près, entre Tarbes et Montréjeau, où les travaux sur les voies n’ont pu être réalisés à temps ; le Régiolis y circulera donc avec quelques mois de retard par rapport au calendrier prévu. L’affaire n’a pas non plus eu la moindre conséquence financière, puisque ni les usagers ni les régions ne sont mis à contribution, le financement des travaux figurant dans le budget d’investissement de RFF.

Nous sommes manifestement de très mauvais communicants puisque c’est en vain que, toute la journée suivant la publication de l’article du Canard enchaîné, nous nous sommes efforcés d’en revenir aux faits, en soulignant que les élus des régions de France voulaient rendre les trains plus accessibles aux seniors, aux personnes à mobilité réduite – notamment à celles qui se déplacent en fauteuil roulant – et aux familles voyageant avec des poussettes, tous éléments qui expliquaient le choix d’un train utilisant le gabarit européen et le souhait d’une continuité maximale entre les quais et le plancher des rames. Nous poursuivrons dans cette voie, car le service public ferroviaire doit être accessible à tous, les personnes ayant des difficultés à se déplacer comprises.

À la suite de cette affaire, le ministre nous a demandé de rendre compte aux conseils régionaux de l’état d’avancement des programmes d’accessibilité. Il a également souhaité que nous certifiions désormais l’un et l’autre, avant la signature de l’acte d’achat de nouveaux matériels, que les conséquences de cette acquisition ont été analysées en détail, pour qu’il n’y ait plus aucun risque de malentendu entre nos deux établissements.

Enfin, le projet de loi portant réforme ferroviaire résout la question puisque l’une de ses dispositions centrales prévoit que le système ferroviaire français sera organisé dans son ensemble. Cela rendra impossible que le réseau et l’opérateur poursuivent chacun un chemin solitaire au lieu de coopérer étroitement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Messieurs, je vous remercie. La parole est aux représentants des groupes, puis aux autres membres de la commission.

M. Philippe Duron. Le groupe SRC a constaté que la question de la compatibilité des nouveaux matériels TER Régiolis et Régio2N – financés par les régions et mis en service par la SNCF – avec les quais des gares a fait l’actualité de ces dernières semaines. Après vous en être expliqués assez longuement lors d’une conférence de presse, le 21 mai, vous venez à nouveau de donner des explications claires et convaincantes.

Cela étant, n’y a-t-il pas eu un défaut de communication à l’égard des régions et de la presse au moment de la présentation de ces matériels ? Sans doute eût-il fallu leur expliquer que des adaptations structurelles seraient nécessaires. Celles-ci pourront-elles être réalisées plus efficacement au terme de la réunification prévue dans le projet de loi portant réforme ferroviaire ? Je vous invite d’autre part à suggérer aux fabricants de matériel français de s’intéresser aux productions helvétiques : j’ai eu l’occasion d’observer à Munich qu’au moment de l’ouverture des portes d’un train de construction suisse une plate-forme télescopique se déployait qui permettait une continuité parfaite avec le quai.

Les trains d’équilibre du territoire (TET) sont devenus un sujet de débat récurrent depuis qu’en 2005, l’État en est redevenu l’autorité organisatrice. Cette évolution a conduit certains voyageurs à déplorer la détérioration de la qualité du service ; toutefois, on a progressé. Il a en effet été décidé de remplacer tous les TET thermiques rapidement ; l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) a dégagé 510 millions d’euros d’autorisations d’engagement en 2013 et 100 millions d’euros de crédits de paiement à cette fin dès cette année. Mais je ne suis pas certain que les trains Régiolis et Régio2N qui remplaceront les TET soient adaptés à des lignes longues telles que les lignes Paris-Limoges, Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Cherbourg ou Nice-Bordeaux. Où en est la réflexion à ce sujet ? Un marché de définition va-t-il être lancé pour déterminer si l’on peut construire d’autres types de matériel, aussi confortables que sont apparus les trains Corail il y a une trentaine d’années ?

D’autre part, le projet de loi de réforme ferroviaire apporte des réponses fortes en matière de gouvernance et d’efficacité. Défendant un système intégré, le Gouvernement souhaite préserver le service public à la française, et la Commission européenne considère le nouvel ensemble compatible avec le quatrième paquet ferroviaire. Cependant, le résultat des récentes élections européennes et le fait que l’Italie exercera la prochaine présidence de l’Union européenne peuvent-ils faire évoluer la teneur du quatrième paquet ferroviaire lors de sa discussion finale au Parlement européen ?

M. Jean-Marie Sermier. Le groupe UMP avait très vite demandé la tenue de cette audition conjointe, et nous vous remercions, monsieur le président, de l’avoir organisée prestement, car il fallait faire toute la lumière sur cette malheureuse affaire. Les membres de mon groupe sont tous entièrement solidaires des agents, des techniciens, des ingénieurs et des cadres de la SNCF et de RFF, et en particulier de ceux qui ont travaillé sur ce projet et qui, comme vous l’avez souligné, messieurs les présidents, ont pu être meurtris par la polémique. Vous avez aussi rappelé l’image défavorable qu’elle a donnée de nous au niveau international. Je dis « nous » car le problème est, selon moi, national ; ce n’est pas seulement celui de deux entreprises de renom. Il est donc impératif d’apporter des explications claires à nos compatriotes, qui s’interrogent.

Vous nous avez clairement exposé le cheminement de cette affaire. Pourtant, dès le premier jour, plusieurs responsables politiques ont relayé les problèmes soulevés et le scandale qu’ils pouvaient susciter – à commencer par le président de l’ARF, qui a immédiatement indiqué que les régions ne verseraient pas d’argent supplémentaire et qui s’est étonné que ces problèmes n’aient pas été anticipés. Pouvez-vous nous assurer que l’ensemble des régions françaises savaient que les commandes de rames supplémentaires Alstom et Bombardier – commandes parfaitement compréhensibles, compte tenu des évolutions technologiques – provoqueraient des travaux sur les quais ? Vos collaborateurs et vous-mêmes étiez-vous informés de la nécessité de meuler certains quais ? La somme nécessaire à ces travaux, estimée entre 50 et 90 millions d’euros, avait-elle été programmée ? Vous nous indiquez qu’elle ne sera supportée ni par les clients, ni par les régions : qui l’assumera ? Enfin, avons-nous la certitude que les nouvelles rames pourront être utilisées dans toutes les régions et dans toutes les gares, et que des tests pourront être effectués dans la plus grande clarté ?

M. Bertrand Pancher. Pour le groupe UDI, cette affaire est dénuée de substance compte tenu de la faiblesse des investissements induits par ces commandes indispensables et de l’urgence à adapter notre matériel à l’augmentation constante du nombre de passagers. N’ayant jamais été étonnés par les décisions d’investissement de la SNCF et de RFF, nous sommes très satisfaits de vos explications et, une fois n’est pas coutume, de celles du secrétaire d’État aux transports. Que Mme Ségolène Royal parle une nouvelle fois trop vite ne nous a pas davantage surpris ; il aurait été préférable que la ministre de l’écologie ne réagisse pas dans la précipitation.

La véritable surprise a résidé dans l’emballement médiatique suscité par une affaire qui ne méritait pas trois lignes dans les revues spécialisées. Cela tient à la disparition des journalistes spécialistes des questions d’infrastructures de transport dans notre pays. Les rares qui demeurent suivant sans doute nos travaux, formons le vœu que les rédactions des revues et quotidiens les plus importants se dotent d’un minimum de professionnels de ce type et d’équipes pluridisciplinaires, au lieu de se limiter à recopier en boucle les inepties publiées par d’autres. Tout cela fait évidemment du mal, car on a beau publier de nombreux communiqués d’explications, comme nous l’avons fait, à l’instar sans doute de nos collègues des autres groupes, ces rumeurs prennent des proportions considérables.

Cela étant dit, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), dont nous souhaitons le renforcement dans le cadre du projet de loi sur la réforme ferroviaire, réclame depuis de nombreuses années la création d’un registre national des infrastructures ferroviaires. Le secrétaire d’État chargé des transports a d’ailleurs lui-même souligné qu’aucune erreur de commande n’avait été commise mais que l’existence d’un tel registre aurait évité des retards dans les travaux et permis que les deux entreprises publiques s’accordent. Le regroupement de la SNCF et de RFF au sein d’une seule entité nous permet de penser que ces questions ne se poseront plus à l’avenir. Mais pourquoi la création de ce registre utile, pourtant prescrit par la réglementation européenne, tarde-t-elle tant ?

M. François-Michel Lambert. Le groupe écologiste considère également l’affaire comme dénuée de substance. C’est particulièrement le cas pour moi qui, venant de l’industrie, mesure l’ampleur de projets aussi révolutionnaires. Imaginons qu’il ait fallu modifier du tout au tout le système informatique du groupe SNCF. Quelle entreprise d’une dimension comparable ne se trouverait pas confrontée, au terme d’une telle modernisation, à quelques problèmes techniques mineurs dont la résolution entraînerait un léger surcoût ? Vous nous avez indiqué que l’adaptation des quais représentait 1,5 % du montant de la commande actuelle. Mais dans vingt ans, après que de nombreuses commandes de ces matériels auront été livrées, cette proportion diminuera progressivement pour ne plus représenter que 0,1 % du total, autant dire un épiphénomène au regard de ce qui est en jeu : la transformation profonde de notre système ferroviaire.

Le scandale réside donc dans la polémique qui a fait rage alors qu’elle n’avait pas lieu d’être – une députée allant jusqu’à demander la démission du président de la SNCF, que j’assure de toute ma confiance. Je rappelle aussi à mes collègues de droite qu’un ancien ministre des transports, M. Dominique Bussereau, s’est permis de jeter de l’huile sur le feu en affirmant que ces adaptations allaient coûter bien davantage que 50 millions d’euros – propos repris par certaines voix extrêmes – au lieu d’expliquer, comme l’ont fait ceux qui n’avaient pas accès aux médias, ce qu’apportent les nouveaux matériels.

Plusieurs questions méritent cependant d’être posées. Vous l’avez rappelé, la séparation de RFF et de la SNCF a provoqué des dysfonctionnements et des coûts. Nous devons le garder en mémoire au moment d’examiner le projet de loi portant réforme ferroviaire, alors que nous nous trouvons confrontés dans ce cadre à une opposition plus systématique que constructive.

Se pose également la question du modèle économique retenu lorsque des trains commandés par la SNCF et propriété de celle-ci sont financés par les régions, celles-ci ayant également dû verser à l’entreprise 100 millions d’euros supplémentaires au titre d’études prévues par le cahier des charges de commande de ces trains. Il est temps que ce système ferroviaire très consommateur en énergie et en fonds publics évolue.

Enfin, comment transmettre un message positif, dans cette France qui s’autoflagelle en permanence, sur la révolution de l’offre ferroviaire quotidienne à laquelle nous nous apprêtons avec l’arrivée de matériels aussi extraordinairement performants que sont le Régiolis et le Régio2N ? Dans ma ville, Gardanne, presque chaque matin des voyageurs restent à quai parce que les trains actuels n’ont pas la capacité suffisante pour les embarquer : bien qu’ayant été rénovée il y a quatre ans à peine, la ligne est déjà saturée. Les nouveaux matériels permettront de résoudre ce problème. Comment faire savoir que la France évolue grâce à l’investissement de toutes les régions – de gauche comme de droite – dans de nouveaux matériels, au profit du transport quotidien ?

M. Olivier Falorni. Une polémique aussi précipitée que déplacée s’est déclenchée après que le Canard enchaîné a révélé que la commande de nouveaux TER d’un gabarit supérieur au précédent demanderait l’élargissement de 1 300 quais, pour un coût de 50 millions d’euros. Quelques jours plus tard, les conclusions d’un audit nous apprenaient qu’aucune erreur n’avait été commise et que les trains Régiolis d’Alstom et Régio2N de Bombardier étaient conformes aux normes européennes, notamment en termes de gabarit.

Je comprends que quand on modifie une composante du système ferroviaire aussi déterminante que les trains, il faille, pour maintenir la cohérence d’ensemble, adapter les autres et notamment les quais dès lors que les conditions d’exploitation évoluent. Mais tout en étant conscients de la nécessité d’adapter un réseau aussi ancien que le chemin de fer français aux impératifs de sécurité et d’accessibilité des trains, nous pouvons légitimement penser que cet épisode aurait été mieux anticipé si la communication et la coordination entre la SNCF et RFF n’avaient pas été fautives.

J’ose espérer que la réforme que nous examinerons dans les jours qui viennent permettra de remédier au schéma kafkaïen de notre système ferroviaire, caractérisé par une gouvernance partagée entre RFF, propriétaire du réseau, la SNCF, exploitant, et les régions, autorités organisatrices de transport. Ainsi, alors que des travaux avaient eu lieu en gare d’Aytré en 2009 – année même où le cahier des charges déterminait la largeur des futures rames Régiolis –, cinq ans plus tard à peine, en 2014, RFF a dû raboter les quais pour pouvoir y faire passer les nouveaux TER…

Gageons que la réforme ferroviaire mettra fin à ces dysfonctionnements, améliorera les relations entre les futures SNCF Réseau et SNCF Mobilités et nous évitera ce que les Rochelais vivent depuis des années et dont j’ai déjà parlé ici même : le pont-route qui enjambe les voies au-dessus de la gare de La Rochelle tombe en ruine, mettant en danger les habitants qui l’empruntent. Il convient d’agir au plus vite afin de le sauver et de préserver l’intégrité des usagers. Je tremble chaque fois que je suis sur ce pont, et j’ai honte lorsque je descends du TGV en gare de La Rochelle, contre-exemple absolu en matière d’accessibilité : chaque année, plus de deux millions de voyageurs y passent, obligés de suivre un parcours du combattant puisqu’il leur faut emprunter de longs escaliers dans un sens puis dans l’autre pour pouvoir gagner leur wagon.

Le manque de dialogue entre la SNCF et RFF, dont les relations se sont dégradées depuis que la SNCF conteste le montant des péages qu’elle doit acquitter à RFF, explique-t-il à lui seul l’immobilisme qui règne aujourd’hui en matière d’accessibilité ?

M. Jean-Jacques Cottel. On a beaucoup insisté sur les problèmes de communication entre RFF et la SNCF. Je soulignerai pour ma part l’absence de communication entre la SNCF et ses usagers, en me félicitant que le projet de loi portant réforme ferroviaire crée de nouvelles instances de concertation telles que le Haut Comité du ferroviaire et le Comité des opérateurs du réseau.

Je prendrai l’exemple récent de l’annonce, sans la moindre concertation, de la suppression de deux dessertes par TGV sur la ligne à grande vitesse Nord, l’un à 17 heures 22, l’autre à 18 heures 32, au départ de Paris Nord en direction d’Arras, préfecture du Pas-de-Calais, mais aussi Lens et son musée, Douai, Valenciennes et Hazebrouck. Alors que les élus se battent pour rendre leur territoire plus attractif, on supprime des moyens de transport, vecteurs de développement économique et touristique. Je pense à tous les usagers qui paient cette ligne au prix fort et dont les conditions de déplacement vont se dégrader puisqu’ils devront voyager dans des trains moins nombreux et donc bondés – sans parler du report sur la voiture que provoquera cette évolution. Monsieur le président Guillaume Pepy, confirmez-vous ces deux suppressions de TGV ? Si c’est le cas, usagers et élus résisteront fermement à cette mauvaise initiative pour défendre l’attractivité et l’accessibilité de leur territoire.

M. Guillaume Chevrollier. Alors que les Français doutent de leur avenir, il est regrettable que la polémique susdite ait contribué à affaiblir l’image de deux grandes entreprises publiques et celle de notre pays à l’étranger. Comment éviter et anticiper ce type de crise ? Comment en tirer les leçons ? Le problème aurait-il été évité si la réforme ferroviaire, qui instaure un gestionnaire d’infrastructure unifié, avait déjà été en vigueur ?

D’autre part, la réforme permettra-t-elle de faire baisser le tarif des billets de TGV, prohibitif pour nombre de familles ? Nos concitoyens seront très déçus si ce n’est pas le cas, dans la mesure où la réforme ne remet pas en cause les avantages tarifaires dont jouissent les bénéficiaires de régimes spéciaux sur vos lignes. Enfin, lorsque des quais font l’objet de travaux d’aménagement, il faut veiller à garantir leur accessibilité aux personnes handicapées et à mobilité réduite.

M. Yannick Favennec. Les travaux sur la ligne à grande vitesse Paris-Bretagne ont été à l’origine pour les usagers de bien des désagréments – changements d’horaires, retards répétés, allongement des temps de parcours – qui peuvent se comprendre compte tenu de l’ampleur de ce chantier. Pour les compenser, la SNCF vient d’annoncer le lancement d’une nouvelle offre commerciale réservée à cette ligne ; elle se traduit par une baisse du prix des billets de l’ordre de 20 %. S’agit-il d’une offre ponctuelle, ou la réforme ferroviaire permettra-t-elle une baisse généralisée des tarifs ? Plus globalement, cette réforme permettra-t-elle de mieux répondre aux attentes des clients, pour ce qui concerne notamment la régularité et la qualité du service ? La desserte par TGV de certaines villes moyennes, et notamment celle de Laval, sera-t-elle augmentée, et à tout le moins maintenue ?

Mme Suzanne Tallard. En résumé, l’affaire qui nous réunit n’en est pas une en ce qu’il est parfaitement normal d’adapter les quais aux nouveaux matériels. En revanche, il est tout à fait regrettable que RFF et la SNCF se soient livrés pendant plusieurs années à un jeu de ping-pong, et que l’annonce des travaux nécessaires ait été faite par le Canard enchaîné ; une communication en temps utile des deux entreprises publiques aurait évité cette polémique.

Selon le calendrier fixé par le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, « le TGV du futur » circulera à partir de 2018, les premiers essais étant prévus en 2017. Ce nouveau train sera élaboré sur le site Alstom d'Aytré. Étant donné les difficultés d’arbitrage persistantes entre certains choix stratégiques, pensez-vous que le calendrier prévu puisse être tenu ? Quel est le type de rames envisagé ?

M. Martial Saddier. Les journalistes ne sont strictement pour rien dans cette affaire. Puis-je rappeler à mes collègues de la majorité que les deux personnalités qui ont crié le plus fort sont le président, socialiste, de l’Association des régions de France et Mme la ministre de l’environnement ?

Lors du débat, au sein de notre commission, sur le projet de loi portant réforme ferroviaire, nous avons obtenu, collectivement, le renforcement de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). Cette Autorité rend, chaque année, un avis public relatif à la sécurité et à la compatibilité des matériels roulants. Or, par quatre fois ces quatre dernières années, l’ARAF a souligné dans ses avis l’absence, en France, de registre national de l’infrastructure ferroviaire, s’interrogeant même sur la base légale de la procédure de vérification de la compatibilité des matériels. L’ARAF a demandé, de manière réitérée, la mise en œuvre du registre national avant la date limite imposée par la décision européenne correspondante et par le décret national qui y oblige. Pourquoi ces avis sont-ils restés sans suite ? Qui est censé les appliquer ? Va-t-on enfin le faire, et le plus vite possible ?

M. Jean-Louis Bricout. La semaine prochaine, notre assemblée examinera en séance publique le projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Je suis le rapporteur pour avis de ce texte au nom de notre commission. Nos travaux ont montré que les retards les plus importants concernent le secteur ferroviaire, en raison, notamment, des difficultés éprouvées dans la répartition de la charge financière des aménagements nécessaires. La coordination est visiblement insuffisante, et la question est d’autant plus importante à régler que la loi prévoit, pour chaque acteur, des calendriers d’accessibilité qui devront être respectés. Une fois la réforme ferroviaire entrée en vigueur, RFF et la SNCF travailleront plus facilement côte à côte ; comment envisagez-vous cette nécessaire coordination ? Dans un domaine connexe, quelle évaluation pouvez-vous faire de la formation de vos agents au service des personnes handicapées ? Investissez-vous dans des solutions numériques ?

Mme Valérie Lacroute. Hier, 3 juin, a eu lieu la 7e Journée mondiale de la sécurité routière aux passages à niveau. Je remercie nos deux invités d’avoir dépêché près la gare de Saint-Pierre-lès-Nemours des équipes chargées de sensibiliser automobilistes et piétons au danger potentiel des passages à niveau. Ce fut aussi pour moi l’occasion de mettre à nouveau l’accent sur l’indispensable suppression du passage à niveau de Nemours-Saint-Pierre. Ce dossier est en sommeil depuis trente ans, le coût actualisé des travaux étant estimé à 50 millions d’euros. (Murmures) Nous espérons que la réforme ferroviaire contribuera à l’aboutissement du projet, mais notre inquiétude est grande qu’en raison de son montant faramineux, il ne soit repoussé aux calendes grecques.

Mme Martine Lignières-Cassou. Ayant entendu le président de RFF retracer la chronologie des événements, j’ai retenu l’existence d’un réel dysfonctionnement dans la communication entre son entreprise et la SNCF, mais aussi que la question a, enfin, été réglée en 2013. Je peine donc à comprendre pourquoi la polémique a éclaté un an plus tard seulement. Faut-il trouver une explication dans l’imminence de l’examen du projet de réforme ferroviaire par le Parlement ? Ou serait-ce que la soif de dénigrement de nos institutions est telle que l’on fait feu de tout bois ? Tout cela est proprement stupéfiant et j’aimerais connaître votre interprétation. Je constate que dans cette salle, aujourd’hui encore, certains continuent de se dire inquiets du montant des travaux.

Par ailleurs, l’assouplissement légal à venir aura-t-il pour effet que vous rééchelonnerez la mise en accessibilité des gares et des quais aux personnes handicapées ?

M. Alain Leboeuf. Je remercie nos invités pour la limpidité de leurs explications. Quel regrettable épisode ! Alors que nous avions l’occasion de vanter nos matériels qui, comme vous l’avez souligné, permettront d’améliorer les capacités d’accueil et surtout l’accessibilité de tous, la polémique a transformé un excellent argument de vente en un désastre de communication pour notre industrie. Quel gâchis !

M. Jean-Yves Caullet. Comme mon collègue Jean-Marie Sermier, je tiens à dire mon entier soutien à ceux qui, au sein de la SNCF et de RFF, ont la responsabilité de faire, pendant que ceux qui ont le pouvoir de dire et de commenter en usent sans limite et parfois sans réfléchir. Il serait bon, aussi, que chacun songe à balayer devant sa porte : ceux qui demandaient la création d’une commission d’enquête parlementaire sur cette affaire n’avaient pas exactement le ton qu’ils adoptent aujourd’hui. Aussi bien, nous devrions nous associer pour faire revenir le calme.

Messieurs les présidents, comment, en l’état actuel du projet de réforme ferroviaire, l’EPIC de tête pourra-t-il éviter que se reproduise le manque flagrant de communication dont il a été fait état ?

M. Laurent Furst. Au cours des derniers mois, le système ferroviaire français a connu deux crises d’importance inégale : le dramatique déraillement survenu à Brétigny-sur-Orge il y a un an et la crise technico-médiatique qui nous réunit aujourd’hui. Aucun de ces deux épisodes ne permet d’appuyer la réforme ou de la combattre. L’accident de Brétigny appelle des mesures de sécurité ; la péripétie actuelle renvoie à la pertinence des choix. Au-delà, se pose la question de la réactivité du système ferroviaire français, nécessaire pour conserver la confiance de nos concitoyens et préserver l’image du groupe SNCF et de notre industrie ferroviaire à l’international. Quelles leçons, messieurs les présidents, avez-vous tiré de ces deux crises ? Quelles mesures avez-vous pris pour mieux anticiper les incidents de toute sorte possibles ?

M. Jacques Rapoport. Le registre national des infrastructures ferroviaires, qui n’existait pas, est maintenant prescrit par un règlement communautaire. Il est en cours d’élaboration et nous respecterons le calendrier prévu par la réglementation européenne. La prescription a pour objet d’indiquer aux opérateurs ferroviaires quels critères techniques les trains doivent respecter pour utiliser les infrastructures. Cependant, la précision demandée n’est pas au centimètre près, quai par quai ; aussi, je ne suis pas convaincu que, tout utile qu’il soit, le registre réglera tous les problèmes.

De la polémique qui s’est déclenchée je tire trois enseignements. Le premier, c’est que nous, opérateurs, devons, inlassablement, dialoguer avec les parties prenantes. Nous faisons déjà beaucoup mais il nous faut faire toujours plus. Le dossier qui nous occupe avait été examiné en détail, en mars 2013, par le conseil d’administration de RFF, en présence de deux présidents de région siégeant en qualité d’administrateurs. Il est donc parfaitement transparent, mais cela ne suffit pas. Nous devons donc, jour après jour, faire toujours plus d’efforts.

Ensuite, la réforme ferroviaire empêchera-t-elle que des épisodes de cette sorte se reproduisent ? Les difficultés rencontrées entre 2008 et 2011 tiennent à ce que nos deux entreprises sont non seulement séparées mais qu’elles ont des intérêts exactement opposés : un bras de fer constant s’est donc joué pour déterminer laquelle payerait quoi, qu’il s’agisse des péages, des travaux ou des investissements. Pourtant, dans les faits, elles sont mariées, l’une ne pouvant fonctionner sans l’autre. La séparation décidée en 1997, en réalité uniquement juridique et financière, a conduit à un affrontement. La réforme ferroviaire annoncée crée un groupe public intégré, chapeauté par une holding qui aura tous les pouvoirs, dont elle n’abusera pas. Tous les problèmes communs au système seront donc réglés par la tête de groupe comme dans tout autre établissement public du même type, La Poste par exemple. C’est ainsi que le problème se résout. La réforme crée un groupe et non une entreprise unique, à la fois pour respecter la réglementation communautaire et pour que chaque opérateur soit responsable de ce qu’il fait, dans une logique de production. La stratégie revient à la tête de groupe.

Enfin, je reconnais volontiers que se pose à nous le problème de l’accélération de l’accessibilité. C’est que les difficultés techniques sont considérables et les coûts d’aménagement des gares terrifiants. Il ne s’agit pas d’équipements de confort : les quais doivent être accessibles à tout instant et les ascenseurs servant aux personnes handicapées, qui sont dans la chaîne de transport, doivent avoir la même disponibilité que les trains, soit 99,5 %. Si la mise en accessibilité a pris du retard, ce n’est pas par mauvaise volonté mais en raison d’une complexité technique redoutable et de coûts prodigieux. Il nous appartiendra de mettre en œuvre le programme d’accessibilité que la loi impose à toute autorité opératrice de transports de définir. Si l’on peut tirer une leçon de ce déferlement médiatique injustifié, c’est que nous devons travailler ensemble, car le système ferroviaire ne peut le faire seul, chacun le sait. Cela vaut aussi pour les passages à niveau ; il en existe 15 000 en France, et je n’ose calculer la somme totale que représenterait leur suppression si chacune coûtait 50 millions d’euros… Seul un travail collectif peut permettre de faire progresser les questions en suspens.

M. Guillaume Pepy. MM. Philippe Duron, Jean-Marie Sermier et François-Michel Lambert ont évoqué les dégâts que ce « vrai-faux » scandale a produits à l’étranger mais aussi dans le pays. Ils ont raison. Cette affaire, qui tient de la farce ou de la bévue, éclipse l’immense effort consenti par les régions pour acheter ces nouveaux trains modernes. C’est désolant, alors qu’elles ont déjà acheté 216 nouvelles machines et s’apprêtent à en recevoir d’autres, incontestablement plus confortables et plus accessibles, conformément aux critères définis il y a huit ans par un groupe de travail des régions. Il nous faudra, avec les régions, remonter la pente. Je sais déjà que, sur le terrain, les trains Régiolis sont plébiscités, comme l’est le Francilien en Île-de-France.

M. Philippe Duron a mentionné le comble-lacune. Quel que soit le gabarit, il reste toujours quelques centimètres entre un quai et un train ; le dispositif de comble-lacune consiste, au moment de l’entrée en gare, à déployer des palettes qui compensent cet espace. Mais le mécanisme étant déclenché par un œil électrique, il suppose que les quais soient parfaitement rectilignes et en excellent état.

Pour renouveler les trains d’équilibre du territoire (TET), une première commande de 531 millions d’euros a été passée à la demande du Gouvernement. Financée par l’Agence des financements des infrastructures de transport (AFITF), elle permet l’achat d’une cinquantaine de machines. Ces nouveaux trains sont destinés à circuler dès cette année sur certaines lignes de moyenne distance. La commande à venir concerne des grandes lignes telles que Clermont-Ferrand-Paris, Limoges-Toulouse ou Bordeaux-Nice. La décision relève du ministère des transports. À ce stade, il a fait savoir qu’il ne voulait pas la réutilisation de rames TGV existantes. Une première solution consiste à acheter des automotrices électriques modernes, en analysant soigneusement le rapport qualité-prix car la série achetée ne sera pas très longue. La seconde solution est de conserver locomotives et voitures, et plusieurs constructeurs peuvent proposer des matériels de ce type. Nous attendons la décision du ministère des transports, dans les prochains mois je l’espère. Je rappelle néanmoins que le financement du renouvellement des trains Corail était assis sur le produit de l’écotaxe.

Je veux redire, monsieur Jean-Marie Sermier, que dans l’affaire qui nous occupe les régions ne sont pas en cause. Toutes sensibilités politiques confondues, elles se sont mises d’accord pour acheter les nouveaux matériels – le Régio2N qui est un train à très grande capacité, et le Régiolis, train plus polyvalent, utilisable quand le trafic est moins dense. Les régions consentent un effort immense : un train vaut 10 millions d’euros et elles ont commandé 216 Régiolis et 83 Régio2N, pour un investissement total proche de 3 milliards d’euros.

Comme l’a indiqué M. Jacques Rapoport, les régions ont appris qu’un problème se posait à la fin de 2011, quand le « dialogue de sourds » entre les deux établissements a pris fin. Elles sont alors entrées, à juste titre, dans une grande colère, nous reprochant de ne rien leur avoir dit plus tôt. À ce moment, nous avons mis les bouchées doubles pour rattraper ces quelques années de retard et, je vous l’ai dit, cet épisode n’a pas d’impact sur la mise en service des trains Régiolis. Le rapport d’audit remis au ministre contient les échanges de courriers et les comptes rendus de comités de pilotage dans lesquelles les régions se sont émues de ce problème et ont fait pression pour qu’il soit résolu.

Vous êtes, monsieur François-Michel Lambert, un spécialiste des autoroutes ferroviaires. Vous le savez donc : à chaque fois que l’on met des camions sur des trains il faut adapter les infrastructures aux wagons, qu’il s’agisse du wagon français de Lohr Industrie ou de wagons suisses ; même pour ces derniers, des adaptations sont nécessaires, bien que plus réduites. C’est un classique de l’industrie ferroviaire : l’introduction de nouveaux matériels suppose d’adapter l’infrastructure.

Les frais facturés par la SNCF pour exercer la maîtrise d’ouvrage et l’assistance aux régions sont élevés. Pour cette raison, certaines régions ont décidé de se passer de son concours technique et juridique et se sont constituées en association pour acheter, seules, du matériel roulant, en appliquant le code des marchés publics ; je n’y vois pas d’inconvénient.

Aurions-nous pu mieux anticiper ? a demandé M. Olivier Falorni. Dans les leçons à tirer de cet épisode, il en est une particulière : une entreprise qui a pour nom SNCF a une exigence de transparence bien supérieure à celle de la presque totalité des acteurs économiques. Je réfléchis avec Transparency International à l’idée de publier régulièrement en ligne l’ensemble des documents afférents au service public, tels que les courriers échangés avec l’État et les élus sur des questions d’intérêt général. La loi sur l’accès aux documents administratifs le permet après un certain délai, et ce sont des éléments de débat public ; pourquoi ne pas réfléchir à une transparence bien supérieure, à l’avenir, dans les missions de service public que nous exerçons et le dialogue avec les parties prenantes ?

Monsieur Jean-Jacques Cottel, vous avez mentionné la desserte d’Arras sans rendre entièrement compte du sujet. Oui, nous avons proposé, à la demande du conseil régional de Picardie qui souhaitait une redistribution de la desserte, qu’à partir de 2015 deux sillons actuellement utilisés par le TGV servent à la circulation de TER entre Paris et Creil. Ce transfert ne s’explique ni par vice, ni par bêtise, ni par appât du gain mais par une analyse qui nous permet de dire que nous pouvons transporter le même nombre de voyageurs entre Paris et Arras en doublant les rames à d’autres horaires, et de proposer au conseil régional de Picardie de mettre à la disposition des passagers deux trains de 1 200 places pour desservir la gare de Creil. Cette proposition est mise en débat. Les personnes concernées à Arras se sont déclarées plutôt défavorables à cette proposition et vous avez relayé leur mécontentement. Mais les personnes qui font la navette tous les jours entre Paris et Creil sont également intéressées par cette proposition, parce que l’on ne peut d’un coup de baguette magique étendre le nombre de sillons horaires à la gare du Nord. Le débat aura lieu avec les élus, entre ceux qui soutiennent le principe du maintien du TGV et ceux qui sont d’accord pour transférer deux sillons au TER entre Paris et Creil à ces horaires-là ; il sera mené à son terme par
Mme Barbara Dalibard, responsable des TGV, et par M. Alain Le Vern, responsable des TER. La décision devra être prise avant le 15 décembre.

Mme Suzanne Tallard, M. Guillaume Chevrollier et M. Yannick Favennec ont posé des questions liées à la tarification. Les tarifs TGV sont incontestablement perçus comme étant plutôt élevés, je le reconnais. Pour pouvoir baisser les prix, il faut réduire les coûts ; autrement, on aggraverait la gigantesque dette du système ferroviaire. Notre projet est donc de réduire nos coûts pour pouvoir baisser les prix et limiter les devis que nous proposons aux autorités organisatrices.

La baisse des prix que nous proposons en Bretagne est un test destiné à mesurer si l’on suscite ainsi l’amélioration de la fréquentation. Cette offre concerne une région dans laquelle de nombreux travaux ont eu lieu, qui, par les délais d’acheminent prolongés qu’ils ont suscités, ont donné le sentiment d’une dégradation du service. La réduction sera appliquée pendant huit mois. Elle est de 20 % sur le prix d’appel et de 10 % sur les autres prix. Nous mesurerons à la fin de l’année si la baisse des prix a dynamisé le trafic.

Monsieur Yannick Favennec, la ligne nouvelle Bretagne-Pays-de-Loire fait l’objet d’une convention signée alors que M. François Fillon était premier ministre et qui précise les dessertes. Elle sera respectée.

Nous avons travaillé avec Alstom au projet de « TGV du futur » qui doit se matérialiser à partir de 2018, madame Suzanne Tallard. Le cahier des charges initial a fondamentalement changé. À l’origine, il s’agissait de construire le plus beau train du monde ; l’inconvénient est que si chaque exemplaire du nouveau TGV coûte entre 30 et 35 millions d’euros, il n’est pas surprenant que les tarifs soient ensuite jugés peu attractifs. Aussi avons-nous élaboré un nouveau cahier des charges visant à la fabrication d’un TGV au coût par siège de 30 % inférieur. Cela suppose d’augmenter le nombre de places sans rendre les rames inconfortables. Cela se peut en prévoyant des sièges à la structure plus fine et en remplaçant les voitures-bar par des chariots roulants. Il faut inventer de nouveaux matériels permettant de transporter 600 à 650 personnes et non plus 500 voyageurs comme c’est le cas maintenant. En réduisant ainsi le coût par siège, on peut proposer des prix plus bas. Tel est le défi posé à Alstom.

Au sein de l’EPIC de tête, monsieur Jean-Louis Bricout, un petit nombre de personnes auront pour responsabilité la fonction système, autrement dit celle de penser le système ferroviaire dans son entièreté et non plus par morceaux, ce qui évitera les mésaventures ultérieures dans le fonctionnement général du groupe. Cette réflexion se fera de manière ouverte : les entreprises ferroviaires privées y seront associées.

Je ne saurais vous dire, madame Martine Lignières-Cassou, pourquoi l’affaire a eu un tel écho. Le proche examen du projet de réforme ferroviaire a pu jouer. On comprend qu’une affaire comme celle-là puisse déclencher l’ironie ; la surprise est venue du passage presque instantané du rire au « vrai-faux scandale », si vite qu’il a été impossible de revenir aux faits et de s’y tenir.

M. Laurent Furst a rappelé la tragédie de Brétigny-sur-Orge. Le 12 juillet prochain, un an après l’accident, nous présenterons à notre conseil d’administration respectif le bilan des mesures décidées pour qu’un tel accident ne puisse se reproduire. Avant cela, les familles des victimes nous diront quelle cérémonie du souvenir elles souhaitent, le cas échéant, voir organisée.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie, messieurs, pour ces échanges de grande qualité. Leur tonalité dit le sens des responsabilités qui anime les commissaires. Ayant entendu vos explications, ils portent sur ce qui s’est passé un jugement équilibré. Je remercie notre collègue M. Jean-Marie Sermier, qui a souhaité, dès que nous avons eu connaissance de ce que rapportait la presse, la tenue d’une audition conjointe des présidents de RFF et de la SNCF – une première pour notre commission.

Étant donné le regard critique porté par les médias sur notre système ferroviaire, il me paraît nécessaire de souligner à mon tour l’importance de ce service public et le rôle éminent de ses salariés, qu’ils soient ouvriers, cadres ou dirigeants.

Je tiens aussi à rappeler la place de la SNCF à l’international. Le groupe est l’un des leaders mondiaux de la mobilité des personnes, de la logistique et du transport de marchandises. Les contrats internationaux représentent 25 % du chiffre d’affaires global du groupe SNCF, soit plus de 23 milliards d’euros. La SNCF est leader sur le marché de la grande vitesse en Europe.

Acteur majeur du transport public de voyageurs, sa filiale Keolis réalise 47 % de son chiffre d’affaires à l'international. À Melbourne, Keolis exploite le plus grand réseau de tramway au monde avec 250 km de lignes et près de 500 tramways. Keolis exploitera à partir du 1er juillet les trains de la banlieue de Boston, le plus gros marché ouvert à la concurrence dans le suburbain en Amérique du Nord. La société vient de remporter son plus gros contrat au Royaume-Uni pour l'exploitation d'un réseau qui représente 22 % du marché ferroviaire voyageur britannique. En Angleterre, où elle est présente depuis 1996, elle exploite trois franchises en partenariat avec Go-Ahead et une avec FirstGroup, et plus d'un voyage sur trois s'effectue sur un des services opérés par Keolis et ses partenaires. Kéolis vient de remporter avec son partenaire Go-Ahead une nouvelle franchise, le réseau Thameslink Southern and Great Northern. Ce contrat de sept ans représente un chiffre d’affaires annuel de 1,3 milliard d'euros.

Keolis a signé avec Shanghai Metro Group, en avril dernier, un accord prévoyant la création d'une société en joint-venture pour l'exploitation en commun de réseaux ferrés de transport urbains, en Chine et dans les pays émergents.

Par ailleurs, Systra, filiale commune à la SNCF et à la RATP, est le n° 3 mondial de l'ingénierie des infrastructures de transport public. Systra, présent dans le Golfe depuis 2003, y est devenu la société d’ingénierie de référence dans le domaine des transports publics. Deux contrats remportés récemment en sont l’illustration. Le 3 avril 2014, un contrat stratégique d'un montant de 170 millions d’euros a été signé pour le management de projet et la supervision de la réalisation de la première phase du métro de Doha au Qatar. D’autre part, le consortium Systra/Parsons/Egis a remporté en août 2013 le très gros contrat PMC des lignes 1, 2 et 3 du métro de Riyad pour 425 millions d’euros en tout, la part de Systra étant de 123 millions d’euros.

Je me devais de souligner l’action menée par la SNCF et ses filiales à l’international. Son importance est sans commune mesure avec une affaire hyper-médiatisée, et depuis dégonflée.

M. Laurent Furst. Il était utile d’entendre rappeler le développement de ces filiales de la SNCF – mais qui en sera le propriétaire une fois la réforme ferroviaire aboutie ? Par ailleurs, le magnifique succès de Keolis au Royaume-Uni donnera à la SNCF l’occasion de faire l’analyse comparée transparente de ses coûts de production à Londres et en France ; elle sera du plus grand intérêt.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Messieurs les présidents, je vous remercie.

—fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 4 juin 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, M. Michel Heinrich, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Bertrand Pancher, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, Mme Françoise Dubois, M. Claude de Ganay, M. Christian Jacob, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Antoine Herth, M. Christophe Léonard, M. Gilles Savary, M. Lionel Tardy