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Mardi 21 octobre 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Christophe Aubel, directeur de l’association Humanité et Biodiversité, Bernard Chevassus-au-Louis, administrateur, et Bernard Labat, chargé de mission.

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu MM. Christophe Aubel, directeur de l’association Humanité et Biodiversité, Bernard Chevassus-au-Louis, administrateur, et Bernard Labat, chargé de mission.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Depuis un an, la Commission du développement durable organise des rencontres avec des organisations environnementales qui ont rarement l’occasion d’être entendues en dehors des tables rondes thématiques, ce que je déplore. Nous avons ainsi auditionné, en décembre dernier, M. Bruno Genty, président de France Nature Environnement, et en février, M. Nicolas Hulot, président de la fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, et Mme Isabelle Autissier, présidente de WWF France.

Nous auditionnons aujourd’hui M. Christophe Aubel, directeur de l’association Humanité et Biodiversité, M. Bernard Chevassus-au-Louis, administrateur, et M. Bernard Labat, chargé de mission pour l’économie et le droit de la biodiversité.

L’association Humanité et Biodiversité inscrit son action dans le cadre global de la préservation de la biodiversité et mène une action en faveur du respect du vivant. Jusqu’en 2001, elle s’intitulait Rassemblement des opposants à la chasse (ROC) avant de devenir la Ligue ROC jusqu’en 2011, date à laquelle elle a pris son nom actuel. Elle est affiliée à France Nature Environnement ainsi qu’au comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

M. Christophe Aubel, directeur de Humanité et Biodiversité. Je remercie la Commission du développement durable de nous avoir invités. Avant de laisser à Bernard Chevassus-au-Louis et Bernard Labat le soin de vous expliquer en quoi investir pour la biodiversité constitue à nos yeux une voie d’avenir, je vais procéder à une présentation générale de notre association, Humanité et Biodiversité.

« La biodiversité nous concerne au premier chef car la biodiversité, c’est nous, nous et tout ce qui vit sur terre », c’est par cette phrase qu’Hubert Reeves, notre président, commence habituellement ses interventions destinées au grand public. Elle dit pourquoi la Ligue ROC née en 1976, sous l’égide de Théodore Monod, a pris en 2011 ce nouveau nom d’Humanité et Biodiversité.

La biodiversité nous intéresse parce que les humains nous intéressent. Nos statuts nous fixent comme principal objet le renforcement et la prise en compte par tous des synergies et des liens indissociables entre humanité et biodiversité.

Cet objectif repose sur une conviction forte, étayée par les scientifiques : nos sociétés se sont construites sur la biodiversité et les services qu’elle nous rend. Cela s’est vérifié dans le passé, depuis le Néolithique, cela se vérifie dans le présent et cela se vérifiera dans le futur. De cette conviction, découle une seconde conviction tout aussi importante pour l’association : la biodiversité nous concerne tous puisqu’elle met en jeu l’avenir de nos sociétés. Nous résumons notre approche de la manière suivante : la biodiversité partout, par tous et pour tous.

Ces deux convictions nous confèrent deux marqueurs spécifiques qui permettent de nous identifier dans le monde multiforme des associations de protection de la nature. Premièrement, nous considérons que la biodiversité n’est pas seulement une affaire d’espaces ou d’espèces à protéger mais le socle d’un développement soutenable des activités humaines. Deuxièmement, nous considérons que la mobilisation de tous est nécessaire pour répondre aux enjeux. Nous croyons au dialogue, au consensus, au compromis et nous nous efforçons toujours de les construire. Nos statuts indiquent ainsi que la préservation de la biodiversité doit se faire en tenant compte des dimensions économiques et sociales, formulation que vous ne rencontrerez pas de manière aussi explicite chez les autres associations de protection de la nature.

Humanité et Biodiversité est une association relevant de la loi de 1901, agréée au titre de la loi de 1976 sur la protection de la nature, reconnue d’utilité publique et habilitée par décret à prendre part au dialogue environnemental. Nous siégeons ainsi au Conseil national de la transition écologique au sein du collège des huit organisations non gouvernementales, au Comité national de la trame verte et bleue, au Comité national de suivi de la stratégie nationale pour la biodiversité ; nous avons proposé la désignation d’une personne au Conseil économique social et environnemental ; nous comptons un membre au Comité pour la fiscalité écologique et un autre au sein de la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises. Quant à nos adhérents, ce sont avant tout des individus.

Notre association est dirigée par un conseil d’administration de dix-huit bénévoles qui élit en son sein un bureau. Elle compte également une structure originale, un comité de réflexion regroupant écologues, juristes, philosophes et économistes, think tank qui nous alimente en propositions concrètes, construites et équilibrées destinées à faire évoluer les politiques publiques. Enfin, elle est animée par une équipe de salariés, efficace, je l’espère, malgré sa taille modeste – 4,5 équivalents temps plein, dont trois se consacrent au plaidoyer –, reflet du volume restreint de notre budget – 400 000 euros annuels, provenant pour 35 % de fonds publics, pour 45 % de fonds privés et pour 20 % de dons.

En termes de mode d’action, nous sommes d’abord et avant tout une association de plaidoyer.

Nous adressons celui-ci tout d’abord aux pouvoirs publics – Gouvernement, parlementaires, élus locaux. Nous participons au processus de construction des politiques publiques portées par le ministère de l’écologie mais aussi par le ministère de l’agriculture ; nous dialoguons avec le ministère du logement et de l’égalité des territoires et avec le ministère de l’éducation. Nous proposons des amendements aux textes de loi et échangeons régulièrement avec les associations d’élus. Notons ici que nous avons adhéré à la stratégie nationale pour la biodiversité et déposé un plan d’engagement qui a été validé, de façon à nous aussi contribuer à la mobilisation des acteurs que nous avons prônée.

Ce plaidoyer, nous l’adressons également aux parties prenantes, à la fois pour échanger avec elles et faire émerger des processus dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques mais aussi pour les accompagner dans leur appropriation des enjeux de la biodiversité. Citons, entre autres, pour vous donner une idée de la diversité des acteurs avec lesquels nous travaillons, nos actions auprès de la Confédération nationale des petites et moyennes entreprises et du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – guides, colloques –, nos formations au sein de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), nos interventions au conseil national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ou nos partenariats avec CCI France, l’établissement fédérateur des chambres de commerce et d’industrie, ou l’Union nationale des associations familiales de France. Nous menons également des actions de sensibilisation du public à travers des conférences qui, grâce à notre président, nous permettent de toucher des milliers de personnes mais aussi via notre site internet communautaire. Notre principal outil de communication, nous qui sommes dépourvus de chargé de communication, est notre revue annuelle, envoyée gratuitement à toutes les parties prenantes pour mettre en débat des idées qui contribuent au dialogue environnemental.

Outre nos actions de plaidoyer, nous animons le réseau des oasis nature : espaces grands ou petits que des personnes s’engagent à gérer de manière favorable à la biodiversité, à travers une charte de bonnes pratiques. Enfin, nous travaillons concrètement avec des partenaires privés à la fois pour leur apporter un tiers regard sur leur politique en matière de biodiversité ou de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et pour mener des travaux pratiques avec eux afin de les faire progresser dans la prise en compte de la biodiversité.

J’en viens aux sujets sur lesquels nous travaillons activement en ce moment : le projet de loi relatif à la biodiversité que nous espérons voir inscrit à l’ordre du jour au début et non à la fin du printemps 2015, le projet d’Agence française pour la biodiversité, qui nous tient particulièrement à cœur, la stratégie nationale pour la biodiversité, la trame verte et bleue, l’atlas de la biodiversité communale, le processus de modernisation du droit de l’environnement, qui ne devra pas se faire au prix d’une simplification dérégulatrice, le plan national santé-environnement, la préparation de la prochaine conférence environnementale, les questions relatives aux espèces dites nuisibles et au partage de l’espace entre usagers de la nature.

Pour conclure mon intervention, je vous raconterai deux histoires, qui illustrent ce qui est important à nos yeux dans la notion de biodiversité.

La première permet de montrer que la biodiversité n’est pas un catalogue d’espèces, juxtaposées les unes à côté des autres comme des timbres dans un album, mais repose sur des interrelations entre les humains, les espèces animales, et les milieux. La forte diminution des effectifs de requins sur la côte Est des États-Unis – ils ne représentent que 3 % à 10 % de ce qu’ils devraient être – a provoqué une prolifération par millions des raies, moins consommées par ces prédateurs, lesquelles ont liquidé la population de coquilles Saint-Jacques de la baie de Chesapeake, ce qui a eu des conséquences néfastes non seulement pour les pêcheurs mais aussi pour la fréquentation touristique.

La deuxième concerne le viaduc de Millau, par une photo duquel j’ai l’habitude de commencer mes conférences grand public pour le plus grand étonnement de l’assistance. Si cet ouvrage d’art, né du travail conjoint d’ingénieurs, d’architectes et d’ouvriers, a pu exister, c’est aussi grâce à la biodiversité : l’acier provient du fer, qui n’existerait pas si, il y a 2,3 milliards d’années, les algues bleues, en produisant de l’oxygène, n’avaient pas oxydé le fer dans l’océan primitif ; le pétrole, comme le charbon, est issu de la biodiversité du passé ; enfin, les algues à coque calcaire, il y a 150 millions d’années, ont formé en s’accumulant les sédiments que l’on exploite dans nos carrières pour produire du ciment.

M. Bernard Chevassus-au-Louis, administrateur de Humanité et Biodiversité. Je consacrerai mon exposé au capital naturel que constitue la biodiversité.

Le capital écologique de la planète continue de se dégrader, comme le montrent plusieurs indicateurs. Selon les dernières listes rouges relatives aux espèces menacées, sur les 2 000 à 3 000 espèces que compte la France, près d’un tiers est dans une situation préoccupante. Certaines espèces d’oiseaux nicheurs risquent, par exemple, de disparaître. Des facteurs ayant un impact négatif sur la biodiversité comme l’artificialisation des sols accélèrent la détérioration les milieux. La conférence de Nagoya a abouti à un constat partagé : nous n’avons pas réussi à freiner l’érosion de la biodiversité.

Cette dégradation a des conséquences économiques qui se feront ressentir à plus ou moins long terme. Comme notre dette financière, la dette écologique atteint des montants inquiétants, qui pèseront eux aussi sur les générations à venir. Une analyse des services rendus par les écosystèmes a pu montrer que les pertes économiques liées à l’artificialisation des sols s’élevaient à 2 milliards d’euros par an.

Il nous appartient de freiner cette dégradation car nous aurons besoin de ce capital naturel à l’avenir. Les progrès scientifiques et technologiques, liés notamment à la chimie de synthèse, ont laissé penser un moment que nous serions de moins en moins dépendants de la biodiversité, mais nous nous rendons compte aujourd’hui des effets pervers de certaines molécules de synthèse et avons une plus nette conscience des apports de la biodiversité. Il se développe ainsi des stations d’épuration fondées sur des processus naturels de filtration à travers des lits plantés de végétaux. La transition écologique devra également s’appuyer sur la mise en valeur de ce capital naturel, notamment avec l’essor du génie écologique ou le « verdissement » des métiers de la construction et de l’énergie. Pensons encore aux innovations que nous pourrons obtenir grâce au biomimétisme, dont nous avons un célèbre exemple avec la mise au point du Velcro à partir des picots des fruits de bardane. Il y a beaucoup à apprendre de certaines espèces vivantes en matière de nanotechnologies : elles savent accomplir à l’échelle nanométrique des actions que nous ne pouvons effectuer qu’à l’échelle du micron ou du millimètre. Certains végétaux sont ainsi capables, à température ambiante, en captant quelques rayons solaires, de casser une molécule d’eau : ils produisent alors de l’oxygène et épurent l’atmosphère.

Notre association n’a pas pour but de défendre la biodiversité en tant que telle : Hubert Reeves aime à dire qu’elle saura perdurer, et même sans nous, car il se trouvera toujours des espèces vivantes pour franchir des étapes que les humains ne seront pas parvenus à passer. Si nous la défendons, c’est parce que nous considérons qu’elle a été utile à l’homme, qu’elle lui est utile aujourd’hui et qu’elle lui sera sans doute encore plus utile demain. Cela implique de freiner son érosion en développant le capital naturel pour aujourd’hui et demain.

Il faut souligner que la méconnaissance de ce capital peut d’ores et déjà freiner certaines activités économiques. Ainsi la découverte d’une espèce protégée non signalée peut-elle provoquer l’arrêt des travaux sur un chantier de travaux publics, alors que le risque est bien moindre du point de vue géologique, le milieu physique étant beaucoup mieux connu.

On pourrait avancer que si ce capital naturel a une telle valeur, il suffit de laisser jouer les mécanismes du marché. Nous entendons montrer que cette ressource a des caractéristiques qui empêchent ces mécanismes de s’appliquer.

Tout d’abord, la biodiversité est un bien commun, qui n’est pas appropriable. Les services qu’elle rend peuvent même bénéficier à l’ensemble de la population de la planète : l’exemple le plus classique est la fixation du carbone qui contribue à l’amélioration de la qualité de l’atmosphère.

Quand bien même ces ressources seraient-elles appropriables, elles impliqueraient un très long retour sur investissement. Les matériaux dont le viaduc de Millau est constitué se sont formés dans un passé extrêmement lointain, comme Christophe Aubel l’a rappelé. Et, sur une échelle temporelle plus courte, les aménagements écologiques – haies, zones humides – sur les terres agricoles ne deviennent fonctionnels qu’après plusieurs dizaines d’années.

Enfin, il est difficile de prédire où les ressources liées à la biodiversité se situent.

Autrement dit, si nous voulons développer ce capital naturel, il faut le penser comme un bien commun au service des générations futures.

Pour mettre en place de bons mécanismes à même de gérer les biens communs liés au capital naturel, nous devons faire œuvre d’imagination, même si certains résultats ont déjà été obtenus. Les rares séries positives d’amélioration de la biodiversité sont liées aux eaux superficielles : la politique de l’eau a incontestablement eu un effet bénéfique sur le peuplement aquatique des grands fleuves.

Quant à l’ordre de grandeur des sommes qu’il faudrait mobiliser pour améliorer la biodiversité sur l’ensemble de notre territoire, nous estimons qu’il se situe autour de 1 milliard d’euros par an de dépenses publiques. Nos calculs nous ont permis de fixer un objectif de 40 % d’augmentation de cet effort sur dix ans, soit 400 millions d’euros par an. Cela vous paraît peut-être une somme considérable mais n’oubliez pas que la politique de l’eau, qui a abouti aux résultats positifs que l’on sait, mobilise chaque année depuis 1964 environ 2 milliards d’euros. Nos estimations sont cependant encore extrêmement incertaines.

M. Bernard Labat, chargé de mission au sein de l’association Humanité et Biodiversité. Je m’attacherai à exposer les pistes qui permettent d’établir un trait d’union entre le capital naturel et le capital financier. J’en citerai quatre principales, toutes d’actualité, qui n’épuisent toutefois pas le champ des possibles.

La première consiste à introduire la biodiversité dans le programme des investissements d’avenir (PIA).

Lancé sur la base des conclusions de la commission coprésidée par Michel Rocard et Alain Juppé, en 2009, ce programme a été initialement doté de 35 milliards d’euros, auxquels sont venus s’ajouter 12 milliards en 2013, soit 47 milliards au total, sur lesquels 15 milliards restaient encore à engager au début de l’été.

Le financement porte sur quatre domaines – enseignement et recherche, filières industrielles et PME, économie numérique et développement durable –, qui se déclinent en neuf programmes et trente-cinq actions. Dans cette architecture, on peut déplorer que la biodiversité n’ait pas sa place en tant que telle : elle n’apparaît que par le biais d’applications et usages industriels. Ainsi existe-t-il un appel d’offres « Biotechnologie et bioressouces », illustration du fait que le PIA cherche à pallier la faiblesse des dépenses de recherche et développement du secteur privé dans notre pays, de l’ordre de 50 milliards d’euros, alors qu’elles atteignent 83 milliards en Allemagne.

La perspective d’une intégration de la biodiversité est toutefois envisagée. Elle a été évoquée par la ministre de l’environnement à deux reprises, notamment dans le cadre du Conseil national de la transition écologique en juillet dernier.

La deuxième piste consiste à développer les fonds fiduciaires.

Leur principe consiste à mobiliser une ressource financière, à la placer sur les marchés, si possible dans une optique de long terme, et à affecter les revenus de ce placement à une cause selon des modalités de gestion fixées par avance. Ils existent sous deux formes : fonds dotés ou fonds d’amortissement permettant d’employer le capital.

Plus familiers du monde juridique anglo-saxon, où l’institution du trust a facilité leur mise en œuvre, ces fonds sont principalement employés dans un contexte international. Mis en place à l’initiative des États, ils sont gérés par les organismes internationaux comme la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement. C’est ainsi qu’ont été créés un fonds pour la reconstruction des Balkans ou encore un fonds pour la reconstruction de Haïti. Plus rarement, ils répondent à des objectifs environnementaux : citons le fonds fiduciaire pour la préservation des aires marines protégées en Méditerranée, dont la création a été annoncée par le ministre de l’écologie Philippe Martin et le prince Albert de Monaco à l’issue du Congrès sur les aires marines protégées en octobre dernier, ou encore les fonds plus modestes que sont le Micronesia Trust Fund et le Caribbean Biodiversity Trust Fund.

Cela nous conduit à soulever la question de l’opportunité de créer des fonds fiduciaires environnementaux au niveau national. Un rapport de la Conservation Finance Alliance indique qu’il existe une cinquantaine de fonds de ce type : gérant une somme cumulée de 518 millions, ils interviennent principalement en Amérique du Sud. En France, la question n’a rien d’incongru. D’une part, un ajustement du droit français, intervenu dans la loi du 19 février 2007, est venu assouplir le régime des fiducies dans le code civil. D’autre part, les actions menées par certaines fondations pourraient servir d’exemple : la Fondation de France octroie des aides directes à travers des appels à projets, y compris dans le domaine environnemental – elle se propose actuellement de financer un projet de recherche sur le thème « Écosystèmes, agriculture et alimentation » ; le Fonds français pour l’environnement mondial, créé en 1994, qui travaille en étroite collaboration avec l’Agence française de développement, a consacré 23 millions d’euros à une vingtaine de projets en 2013.

La troisième piste consiste à faire appel à l’épargne réglementée, qui suscite beaucoup de convoitises.

Sur les 4 000 milliards d’euros épargnés par les Français, le livret A représente 266 milliards et le livret de développement durable (LDD), 100 milliards. Les dépôts sont confiés à un gestionnaire, la Caisse des dépôts et consignations, pour financer le logement social, la politique de la ville, différents équipements. Indéniablement, ces affectations répondent à une utilité sociale, mais force est de constater que rien n’est prévu pour la biodiversité.

Ces produits sont devenus moins attractifs car leur rémunération s’est effondrée : ils ne rapportent plus que 1 %. Le relèvement de plafond opéré par les pouvoirs publics – de 6 000 à 12 000 euros pour le LDD – n’a pas suffi à enrayer le mouvement de décollecte. Au mois d’août, une diminution de 350 millions d’euros des versements a été enregistrée.

Pour leur permettre de regagner un peu d’attractivité, ne pourrait-on pas les rendre plus écologiques en affectant une part des dépôts au financement d’activités en lien avec la biodiversité ? Pensons à l’agriculture, à la foresterie, aux activités industrielles innovantes. Nous pourrions envisager un couplage des réflexions en cours sur les investissements socialement responsables. Le livre blanc sur le financement de la transition écologique supervisé par Dominique Dron évoquait très clairement la possibilité de faire appel à l’épargne réglementée. Pourquoi ne pas l’étendre à la biodiversité ?

La quatrième piste repose sur la fiscalité écologique.

Les mésaventures rencontrées récemment par le Comité pour la fiscalité écologique (CFE) ne doivent pas laisser penser qu’il faut y renoncer. Notre association, qui participe à ses travaux, a formulé plusieurs propositions, qui ont pris en compte les handicaps dont souffre la fiscalité en faveur de la biodiversité : elle est invisible statistiquement car elle est absente de la nomenclature Eurostat des taxes environnementales. Notre position est délicate en raison de la forte opposition collective à toute nouvelle taxation qui se manifeste au sein du CFE.

Pour être prudent, je me limiterai à faire part de trois impressions.

Premièrement, le débat est marqué par une opposition doctrinale entre fiscalité incitative et fiscalité de rendement. En matière de fiscalité environnementale, la préférence est bien souvent donnée à une fiscalité incitative, dont le but est d’influer sur les comportements néfastes à l’environnement pour les résorber. Pour ce qui est de la biodiversité, les choses sont plus compliquées : à bien y réfléchir, il n’est pas aberrant qu’une taxation opérée sur un usage potentiellement néfaste pour la nature puisse être réaffectée au milieu affecté. Je pense à la taxe de mouillage expérimentée dans le parc marin de Corse, qui pourrait être généralisée.

Deuxièmement, il ne faut pas s’interdire de recourir à une fiscalité de rendement, même si elle a mauvaise presse. La double logique d’internalisation des coûts, par la voie de la fiscalité et de la recherche d’un financement, voudrait qu’on retienne la solution d’une fiscalité affectée. Celle-ci suscite toutefois d’autres types de difficultés car elle rencontre de multiples oppositions, en particulier de la part du ministère des finances et du Conseil des prélèvements obligatoires – je vous renvoie à son rapport de juillet 2013. Pourtant, des possibilités existent. Je prendrai un seul exemple : ne serait-il pas logique d’affecter une part des 220 millions d’euros que rapporte chaque année la taxe de séjour à la protection de la biodiversité et des paysages, qui contribuent directement à l’attractivité touristique ?

Troisièmement, en matière de fiscalité relative à la biodiversité, nous sommes condamnés à un ensemble de petites mesures éclatées qui ne font pas système et qui n’ont ni l’efficacité ni le rendement de la taxation sur l’énergie ou le carbone – rappelons ici que 800 millions d’euros supplémentaires sont attendus de l’augmentation de deux centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques qui vient d’être annoncée. Parmi les mesures envisageables, citons la redevance pour destruction de services écologiques au prorata de certaines constructions ou de grands aménagements, le prélèvement sur les plus-values immobilières ou encore la taxation des bureaux vacants, que nous avons évoquée devant le CFE. Par ailleurs, il conviendrait de réagir à la sous-fiscalisation manifeste des usages du domaine public maritime français, le deuxième au monde, qui rapporte entre 15 et 20 millions d’euros. Nous attendons les conclusions de la mission Charpin en la matière.

Les pistes que je viens d’évoquer n’épuisent pas le champ des possibles. D’autres solutions sont envisageables, comme le financement participatif ou la réforme du mécénat d’entreprise.

Mme Geneviève Gaillard. Je remercie Christophe Aubel, Bernard Chevassus-au-Louis et Bernard Labat pour leurs passionnantes interventions qui montrent qu’en France, certains ont su véritablement intégrer la biodiversité parmi les défis à relever pour l’avenir. Notre débat intervient alors que la Conférence des parties vient de s’achever en Corée du Sud : devant le constat que la spirale d’impuissance demeure, il a été demandé aux États d’aller encore plus loin dans la protection et la restauration de la biodiversité.

Investir dans la biodiversité revêt une importance particulière. Mais cet impératif se heurte au fait qu’il est difficile de se projeter dans un monde où la biodiversité s’éteindrait peu à peu. En outre, la biodiversité apparaît comme quelque chose de banal : d’aucuns pensent qu’il y aura toujours suffisamment de « petites bêtes » pour venir nous embêter.

Les politiques en faveur de la biodiversité menées au plan national ne devraient-elles pas manier à la fois la carotte et bâton ? Elles sont aujourd’hui fondées sur le volontariat : or les élus ne sont pas toujours conscients des problématiques, les chefs d’entreprise préfèrent consacrer leur argent à autre chose et les citoyens ne se donnent pas vraiment les moyens d’agir, s’ils n’y sont pas obligés. Par ailleurs, on peut se demander quelles perspectives s’offrent à la protection de la biodiversité lorsque l’on constate que le budget consacré à l’écologie diminue de 6 % cette année, après avoir déjà subi une réduction l’année dernière. Comment rendre effectif le besoin d’investir dans la biodiversité ? Il me semble qu’il faudrait renoncer aux consensus mous pour entrer dans une dynamique plus forte. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, j’aimerais vous interroger sur l’Agence française pour la biodiversité. Son périmètre vous paraît-il suffisamment large ? Estimez-vous que nous aurons les moyens de la mettre en place ? Ne devrions-nous pas aller plus loin dans certains domaines, en particulier en matière de protection contre les espèces invasives ?

Quant à l’intégration de la biodiversité dans le PIA, elle ne semble pas beaucoup avancer. Affecter l’épargne réglementée à la biodiversité, pourquoi pas ? Faire appel à la générosité de nos concitoyens n’est pas une mauvaise idée, encore faut-il leur expliquer à quoi sert la biodiversité. Nous nous efforçons, comme vous, d’œuvrer à une meilleure connaissance des enjeux, mais cela n’a rien d’évident dans cette période de crise économique dont l’une des principales causes est certainement la diminution des ressources naturelles.

M. Yannick Favennec. Le rapport d’étape de la douzième conférence des Nations unies sur la diversité biologique vient de conclure que, sur la base des tendances actuelles, les pressions sur la biodiversité continueront de s’accroître, au moins jusqu’en 2020. Il souligne toutefois que nombre d’États ont mis en place des stratégies nationales.

En France, alors que le projet de loi relatif à la biodiversité, adopté par notre commission en juillet dernier, ne semble plus d’une actualité brûlante, pensez-vous que les conditions soient réunies pour favoriser une prise de conscience citoyenne des enjeux de la biodiversité comparable à celle qui s’est opérée en matière de changement climatique ? Je vous renvoie aux résultats d’un récent sondage : 80 % des résidents de l’Union européenne interrogés jugent la protection de l’environnement importante et 90 % estiment que le changement climatique est un problème grave.

Mme Viviane Le Dissez. Faire connaître la biodiversité ordinaire n’est pas chose facile, je le sais pour avoir tenté de le faire à l’échelon de mon territoire. Le capital naturel fait partie de l’environnement quotidien de nos concitoyens et sa valeur n’apparaît pas de manière évidente.

Vous avez émis des réserves concernant la future Agence française pour la biodiversité, prévue par le projet de loi relatif à la biodiversité dont nous espérons pouvoir débattre au printemps. Quel type de gouvernance envisagez-vous pour cette instance ?

Enfin, comment comptez-vous assurer l’application du principe de non-régression, compte tenu des réalités économiques et sociales qui s’imposent à nous ?

M. Christophe Priou. Dans les bâtiments du 101 rue de l’Université a lieu en ce moment une exposition consacrée au monde marin dont le titre, « La France en pointe », me paraît très flatteur au regard des conclusions de la mission Charpin, qui a montré que les moyens affectés à la sauvegarde des milieux marins étaient sous-évalués.

La protection du domaine maritime a été marquée ces dernières années par une grande avancée juridique : les collectivités locales, régionales, départementales qui se sont battues pendant quinze ans à la suite de la marée noire provoquée par le naufrage de l’Erika, ont vu le préjudice qu’elles avaient subi reconnu – et je rendrai ici à hommage au rôle qu’a joué Christophe de Margerie.

Cette protection nécessite de mettre en avant la création de parcs naturels marins et de davantage utiliser la gestion intégrée des zones côtières, qui lient paramètres économiques, sociaux et environnementaux.

Il faut insister sur l’existence d’outils positifs mais aussi déplorer que la multiplicité des mesures que nous adoptons rende l’application de certains dispositifs très difficile, ce qui affecte leur accueil par le grand public ou le public professionnel.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les mesures vous envisagez pour la protection du domaine maritime, qui revêt une grande importance tant en métropole qu’outre-mer ?

M. Patrice Carvalho. Nous sommes tous favorables à la protection de la biodiversité. Reste qu’il y a beaucoup d’éléments que nous ne maîtrisons pas du tout. Prenons l’exemple de la loi sur l’eau qui vise à restituer les rivières dans leur lit d’origine : son application va transformer des rivières dont la configuration date de près de trois cents ans, parfois en réduisant la largeur de leur lit de vingt mètres à un mètre, ce qui aura pour conséquence de modifier toute la biodiversité qui s’y était développée, voire de faire disparaître certaines espèces. Quelle est votre position ?

Que pensez-vous des conséquences pour notre biodiversité de l’introduction d’espèces appartenant à la faune ou à la flore étrangères ? Nos ormes sont déjà presque tous morts, nos chênes et nos hêtres sont en train de mourir, atteints de maladies venues d’ailleurs, nos écureuils roux ont disparu du fait d’une immigration massive d’écureuils venus d’Asie, nos écrevisses sont en voie de disparition, nos vers de terre sont dévorés par des vers exotiques.

Vous évoquez beaucoup les questions de financement, mais je suis tenté de vous répondre : « L’argent, pour quoi faire » ? À qui comptez-vous le prendre ? Aujourd’hui, les médias résonnent tous d’hommages à Christophe de Margerie. N’oublions pas que le groupe qu’il a dirigé est impliqué dans les marées noires, la catastrophe de l’usine AZF de Toulouse et le développement du gaz de schiste (Murmures divers). Ne conviendrait-il pas de taxer des grands groupes comme celui-ci ? Il me semble que ceux qui détruisent doivent être les premiers à devoir réparer. Je ne comprends pas très bien que cette piste ne figure pas parmi les propositions que vous nous avez présentées.

Mme Laurence Abeille. La spirale d’impuissance évoquée par Mme Geneviève Gaillard se double d’une spirale de désintérêt pour les grandes questions liées à la biodiversité et au dérèglement climatique. Nous, écologistes, le constatons avec effarement dans les différentes instances dans lesquelles nous siégeons et les différentes associations dans lesquelles nous militons. Les diminutions que subit le budget de l’écologie ne sont pas faites pour nous rassurer, pas plus que l’attitude du Premier ministre face à la condamnation de la France par la justice européenne pour non-respect de la directive « nitrates ». Nous déplorons qu’il préfère modifier les règles pour éviter une nouvelle condamnation plutôt d’assurer l’amélioration de la qualité des eaux alors que dans ce domaine comme dans d’autres, la question de la prévention est essentielle car les coûts, notamment budgétaires, deviendront si élevés qu’ils rendront la situation ingérable.

Nous sommes en faveur d’une fiscalité efficace et utile. Outre la création d’une redevance pour la pollution diffuse azotée, nous prônons une mise en œuvre effective du principe pollueur-payeur. Le problème est que les contribuables qui pourraient y être assujettis se montrent rétifs à ce type de fiscalité alors même qu’ils se déclarent favorables à la protection de l’environnement. Cette contradiction est liée en partie au fait que nous ne parvenons pas suffisamment à expliquer son bien-fondé. Votre association agit surtout en élaborant des plaidoyers. Quel autre type de communication envisagez-vous ?

Le désintérêt général pour la biodiversité se mesure également à la façon dont le projet de loi relatif à la biodiversité est traité. À l’heure actuelle, nous ne savons pas quand il sera débattu dans l’hémicycle. Même s’il ne repose pas sur une stratégie globale, il comporte quelques aspects positifs. Nous nous réjouissons d’avoir pu obtenir certaines avancées. Ainsi notre amendement visant à interdire la chasse à la glu, méthode de chasse non sélective, a été adopté en commission. Cela peut paraître anecdotique mais cela montre une volonté politique d’agir en faveur de la préservation des espèces protégées. Selon vous, quelles autres pratiques de chasse devraient être régulées pour préserver la biodiversité ?

Nous déplorons que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) n’ait pas été inclus dans l’Agence pour la biodiversité. Continuez-vous à faire pression pour qu’il soit intégré afin que la biodiversité terrestre soit mieux prise en compte ?

Nous œuvrons pour qu’un délit d’incitation à la destruction d’espèces protégées soit institué. Pensez-vous que cela contribuerait à lutter plus efficacement contre la destruction de certaines espèces victimes du braconnage ?

S’agissant de la biodiversité en milieu marin, nous nous battons contre le chalutage en eaux profondes. L’analyse des données de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) que vous avez menée avec d’autres ONG montre que cette pêche est extrêmement préjudiciable à la biodiversité sous-marine. Financée avec de l’argent public, elle n’a pourtant aucun intérêt économique, comme l’a souligné Guillaume Sainteny dans son rapport. Êtes-vous favorables à une interdiction de ce type de pêche ?

Un moratoire de deux ans a été institué sur les pesticides néonicotinoïdes impliqués dans la mortalité des abeilles mais aussi d’autres espèces d’insectes, qui disparaissent à toute vitesse. Nous regrettons qu’il ne concerne que certains types de produits et qu’il ne soit pas suffisamment long : à son expiration, les lobbies de l’agrochimie auront beau jeu de prétendre que leurs produits ne sont pas nocifs. Quelle est votre position ? Que préconisez-vous ?

M. Jacques Krabal. Vos interventions, messieurs, me paraissent d’autant plus utiles qu’en matière de biodiversité, la prise de conscience, même politique, n’a rien d’évident. Je n’ai pas entendu dans vos exposés de propositions en faveur de l’éducation à la biodiversité. Pour ma part, je considère que la prise de conscience ne peut passer que par ce biais-là.

S’agissant des financements, je souscris à la nécessité de valoriser la biodiversité. Que pensez-vous des travaux d’économistes qui visent à lui attribuer une valeur monétaire ? Comment calculer les plus-values environnementales et les impacts économiques positifs induits par la biodiversité ? Alors que notre pays traverse de multiples crises – crise économique, chômage massif, crise de la citoyenneté – comment concilier préservation de la biodiversité et développement économique et social de notre territoire ? La défense de la biodiversité se heurte souvent à l’invocation d’enjeux sociaux et économiques considérés comme étant plus importants. En tant qu’élu national mais aussi en tant qu’élu local, j’aimerais avoir des clefs pour mieux saisir ces enjeux.

Lors de votre intervention dans le cadre des Mardis de l’avenir, le 7 octobre dernier, vous avez souligné avec raison, monsieur Aubel, que l’ONU ne pouvait pas tout en matière de réchauffement climatique. Comment œuvrer pour la biodiversité à l’échelle des territoires dont nous sommes issus ?

Vous avez évoqué la problématique de la trame verte et bleue. Je passe sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour l’intégrer dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT) pour vous demander quelle place vous entendez accorder dans sa mise en œuvre aux agriculteurs et aux éleveurs, que nous considérons comme de véritables artisans de la biodiversité.

S’agissant de la fiscalité environnementale, je souscris à l’application du principe pollueur-payeur en cas de catastrophes.

Pour finir, j’aimerais avoir votre appréciation sur la loi relative à la transition énergétique. Des clivages sont apparus, notamment à propos de la sobriété ou de l’économie circulaire. Quels outils vous paraissent pouvoir porter une action forte en faveur de la préservation de la biodiversité ?

Mme Sylviane Alaux. Ma question s’adressera plus spécifiquement à Christophe Aubel et sortira peut-être du cadre de nos débats. J’ai appris que vous vous investissiez dans la défense des animaux en tant qu’êtres vivants pouvant souffrir, quelle que soit l’espèce à laquelle ils appartiennent, prise de position qui va dans le sens des travaux du groupe d’études parlementaire consacré à la protection des animaux et d’une proposition de loi à laquelle nous travaillons avec Geneviève Gaillard. Comment entendez-vous concrétiser ce combat ?

M. Jean-Pierre Vigier. J’aborderai un sujet concret et problématique : la présence du loup dans les territoires habités. En Haute-Loire, dont je suis élu, l’agriculture représente 40 % de l’activité économique : grâce à leur travail, nos agriculteurs entretiennent l’espace et maintiennent la vie sur les territoires ruraux tout en les rendant attractifs. Vendredi dernier, pour la première depuis un siècle dans notre département, des loups ont attaqué un troupeau de brebis et ont fait de très gros dégâts au sein du cheptel. Ces attaques fragilisent très fortement les activités agricoles. Selon nous, loups et animaux d’élevage ne peuvent cohabiter sur un même territoire. Nos anciens l’avaient bien compris : leur bon sens paysan les avait conduits à chasser le loup des territoires habités.

Pourquoi ne pas écouter nos agriculteurs qui souffrent de la destruction du fruit de leur travail ?

M. Olivier Falorni. Monsieur Christophe Aubel, permettez-moi de saluer à travers votre personne votre éminent président, Hubert Reeves, que l’on écoute toujours avec beaucoup d’intérêt. J’ai relevé dans l’un de ses écrits datant de 2011 la phrase suivante : « On peut dire, à plus d’un titre, que l’homme est, à notre connaissance, le résultat le plus litigieux de l’évolution biologique. » Je peux vous assurer que si nous sommes réunis ici, c’est pour l’avenir de notre planète et de nos enfants et petits-enfants…

Votre équipe est particulièrement engagée en tant que force de propositions afin de réformer notre économie pour le bien-être de l’humain. Je salue son implication car il est urgent d’agir : avec le changement climatique, la perte de la biodiversité constitue la menace environnementale la plus grave. C’est ainsi que 30 % des espèces végétales et animales pourraient disparaître d’ici à 2050.

De l’examen du projet de loi relatif à la biodiversité par notre commission, il est ressorti des avancées notables et des pistes novatrices, comme le renforcement des obligations réelles environnementales, l’alliance d’une activité agricole et de la prise en compte des enjeux environnementaux, à travers un amendement de notre collègue Joël Giraud, la gestion de la lumière artificielle la nuit, ou encore l’extension de l’interdiction des sévices aux animaux sauvages.

Toutefois, deux questions s’y rapportant continuent de susciter mon inquiétude.

Il s’agit tout d’abord de la gouvernance de l’Agence pour la biodiversité. Outre qu’elle n’a pas été dotée d’un conseil d’administration ouvert et équilibré, elle ne prend en compte que la biodiversité aquatique. Êtes-vous favorable à ce que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage soit intégré dans son périmètre ?

Il s’agit ensuite du rôle des régions. Sous l’impulsion du rapport Le Treut, qui a relevé les menaces pesant sur la biodiversité, quelques régions ont souhaité devancer le projet de loi en se dotant d’agences régionales pour la biodiversité. Tout cela reste encore très flou car chaque action devra trouver un financement auprès de partenaires. Ces structures attendent de l’État une clarification du rôle des régions. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

En outre, je déplore la baisse annoncée de 5,8 % du budget consacré à l’écologie, soit 410 millions en moins par rapport à 2014, alors qu’en 2015 devront être mis en œuvre deux textes importants, le projet de loi relatif à la transition énergétique et, espérons-le, le projet de loi relatif à biodiversité.

Enfin, que pensez-vous de la fronde de l’Association des maires de France qui dénonce de nouvelles ponctions opérées sur les agences de l’eau à travers le projet de loi de finances pour 2015 ?

M. Michel Lesage. Les actions en faveur de la biodiversité s’inscrivent dans des dispositifs à de multiples échelons nationaux et internationaux – conventions internationales, directives européennes. Elles impliquent de multiples acteurs : opérateurs nationaux – agences de l’eau, Office national de la chasse et de la faune sauvage, Office national des forêts, Agence des aires marines protégées – et collectivités locales – régions, départements, bloc communal. Dans un tel contexte, comment assurer l’efficacité de la gouvernance de la puissance publique ? Comment l’action de la puissance publique peut-elle articuler au mieux les aspects réglementaires liés aux missions régaliennes de police de l’environnement et l’incitation financière, dont la fiscalité écologique n’est qu’un des éléments ?

M. Guillaume Chevrollier. Votre association lutte depuis des années contre la chasse et pour la défense de tous les animaux. Elle a obtenu l’annulation par le Conseil d’État de certaines mesures prises à l’encontre d’espèces considérées comme nuisibles. Je profite de cette audition, en tant qu’élu d’un département rural, proche des chasseurs, et chasseur moi-même, pour vous faire part de quelques réalités de terrain.

Certaines espèces nuisibles à l’équilibre de l’écosystème méritent d’être régulées par l’homme, par les chasseurs en particulier. Prenons le cas des populations proliférantes de ragondins qui provoquent des dégâts sur les ouvrages hydrauliques, constituent une menace pour la faune et la flore aquatiques, et font courir des risques en matière de santé publique du fait de la transmission à l’homme de certaines maladies. D’autres espèces ont un impact négatif sur les activités économiques : en attaquant directement les cultures ou les élevages, elles entraînent des pertes de rendement.

Même si nous sommes tous favorables au maintien de la biodiversité, nous considérons qu’il importe de trouver un juste équilibre dans les priorités, en partant du principe que l’homme doit primer sur l’animal.

Par ailleurs, j’aimerais avoir votre avis sur le projet de statut juridique de l’animal, qui risque d’avoir des conséquences dommageables pour nos éleveurs.

M. Philippe Bies. Nous revenons sur la question de la biodiversité dans un contexte particulier, alors que la deuxième conférence des parties vient de s’achever en Corée et que l’année 2015 sera marquée par l’examen en séance publique du projet de loi relatif à la biodiversité, nous l’espérons tous, et l’organisation à Paris de la conférence pour le climat.

Dans leur déclaration commune, les ministres et chefs de délégation présents à Pyeongchang ont rappelé le lien entre changement climatique et biodiversité, la deuxième contribuant à atténuer le premier. Ils ont encore souligné la nécessité d’actions cohérentes, concrètes, concertées aux échelles internationale, nationale mais aussi locale.

Plus de la moitié de la population mondiale vivant dans des villes – proportion qui atteindra 70 % en 2050 –, c’est aussi dans ces espaces, dont l’empreinte écologique ne cesse d’augmenter et où les écosystèmes sont souvent fragilisés, que les défis de la préservation de nos ressources naturelles et de la biodiversité se posent.

Depuis deux ans, notre assemblée a œuvré en faveur de la biodiversité à travers la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, qui a permis de renforcer la valorisation de la biodiversité au sein des zones urbaines denses, à travers la loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires, et à travers le projet de loi relatif à la biodiversité que nous avons examiné en commission.

Mme Ségolène Royal a présenté un plan relatif à la reconquête des paysages et à la place de la nature en ville. C’est un premier pas qu’il conviendra de faire suivre d’autres avancées. La part que doivent prendre les villes dans la réalisation des objectifs d’Aïchi et du plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 passe par une valorisation de la biodiversité ordinaire et de la nature spontanée, par la promotion de la fonction nourricière de la nature – arbres fruitiers, baies, jardins partagés – en tous lieux du territoire urbain – dents creuses, friches, cœurs d’îlot. Elle passe également par l’intégration de la nature dans les bâtiments existants ou à construire, dans un objectif de tempérance climatique.

Ces éléments concrets sont peu abordés dans les conférences internationales. Dans un monde de plus en plus urbanisé, ils constituent pourtant des réponses aux enjeux liés au climat et à la biodiversité. J’aurais aimé connaître la position de votre association et ses préconisations sur cette question.

M. Michel Heinrich. Vous vous êtes prononcés à plusieurs reprises en faveur d’une réforme du droit de l’urbanisme afin de faire émerger un droit de gestion du territoire répondant à l’objectif très ambitieux, voire utopique, de réduire à zéro l’artificialisation. Les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) en cours d’élaboration dans chaque région constituent de véritables outils d’aménagement durable du territoire, car ils mettent en cohérence la trame verte et bleue avec l’aménagement du territoire, avant que les SCOT n’apportent une déclinaison locale. En quoi ces outils vous paraissent-ils insuffisants ?

M. Jean-Yves Caullet. La biodiversité est caractérisée par la diversité, l’abondance et la rareté. Comment arbitrer entre ces différents critères pour l’évaluer et la gérer ? Prenons l’exemple de l’aménagement des cours d’eau dans le Morvan : les seuils des moulins du XVIIIe siècle sont détruits pour rétablir la continuité hydraulique, au prétexte que les espèces piscicoles actuelles ne pourraient plus aussi facilement les franchir que leurs ancêtres (Sourires). Mais ne pourrait-on pas avancer que les petites retenues sont tout aussi riches du point de vue de la biodiversité, du fait de la prolifération des espèces qu’elles accueillent dans leurs eaux plus chaudes, que les cours d’eau de montagne ? Comment caractériser ce que nous souhaitons protéger, gérer, voire développer ?

Par ailleurs, le monde rural ne va-t-il pas finir par regretter d’être dans le camp de ceux qui n’ont pas tout détruit ? La pression des politiques qui visent à ne plus toucher à rien va surtout s’exercer sur les territoires qui ont su préserver l’environnement. Leurs populations, bien qu’attachées à la richesse du milieu dans lequel elles ont la chance de vivre, ressentent très vivement l’impression que l’on cherche à immobiliser leur développement pour compenser le fait que d’autres, en zone plus urbanisée, ont déjà largement détruit et artificialisé.

La transition énergétique suppose le recours à des ressources renouvelables comme le bois et donc à l’exploitation forestière. Celle-ci est toutefois rendue de plus en plus difficile par les dispositifs de protection des paysages et se heurte au problème de la prolifération des cervidés. Comment réguler ces populations alors que les chasseurs sont de moins en moins nombreux à pouvoir exercer une action de prédation, du fait du combat qu’a mené votre association ? Des personnes souhaitant mettre en valeur une source d’énergie renouvelable, favorable au climat et à la biodiversité, voient leur action contrecarrée par des personnes qui défendent les mêmes objectifs. Comment gérez-vous cette contradiction ?

Mme Sophie Rohfritsch. Le type de développement que nous avons choisi, allant vers de plus en plus d’urbanisation et de constructions, nous a amenés à tenter des remèdes trop cloisonnés pour être efficaces. À l’échelle de ma commune de 3 000 habitants, je tente de participer à la politique en faveur de la biodiversité – recours à un cheval cantonnier, mise en place de ruches et de nichoirs, fauchage –  mais cela me paraît microscopique au regard de ce qui devrait être fait.

Arrêtons de cloisonner, développons-nous autrement, loin des logiques de métropolisation, suivons la voie d’autres pays européens qui ont préféré mettre l’accent sur le développement des zones où vivent les gens plutôt que d’artificialiser à tout crin.

M.  le président Jean-Paul Chanteguet. J’aimerais revenir, cher Jean-Yves Caullet, sur vos propos concernant les chasseurs. Il me semble que vous prêtez un très grand pouvoir à l’ex-Ligue ROC en imputant la diminution du nombre de chasseurs à sa seule action, alors qu’il s’agit d’une tendance naturelle.

Avant de donner la parole aux représentants de l’association Humanité et Biodiversité pour répondre aux diverses questions, je m’attacherai à souligner deux problématiques.

Il y a quelque paradoxe à constater que l’essentiel du produit de la fiscalité – taxe d’habitation, impôts fonciers et non fonciers – va aux territoires artificialisés, qui portent atteinte à la biodiversité, alors que les territoires où le patrimoine naturel est préservé, du fait de l’absence d’artificialisation, n’en bénéficient pas. Nous devrions continuer à réfléchir à la mise en place d’une forme de solidarité écologique à même d’assurer une meilleure répartition des ressources financières.

Par ailleurs, pour mener à bien la dernière étape du triptyque « éviter, réduire, compenser », que pensez-vous des banques de compensation et des expérimentations menées par la Caisse des dépôts et consignations à travers sa filiale CDC Biodiversité ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis. Je rassemblerai mes réponses autour de trois thèmes transversaux : ne faudrait-il pas une politique plus volontariste en matière de sensibilisation à la biodiversité ? Quelle biodiversité voulons-nous ? Faut-il partager les territoires en fonction des usages et dédier certains à la biodiversité, ou avoir une vision plus intégrée ?

En matière de sensibilisation, je commencerai par un point biographique : biologiste de formation, je n’ai jamais entendu parler de changement climatique ou de biodiversité au cours de mes études universitaires – pourtant longues et fournies. Il faut laisser à la société le temps de s’approprier ces questions. Sensibiliser nos concitoyens réclame d’être acharné, enthousiaste et patient. Même si nous pouvons avoir l’impression parfois qu’il y a des flux et reflux et que nous avons du mal à nous faire comprendre, nous notons une prise de conscience lente et progressive. Si un jour nous devons avoir recours à des politiques plus volontaristes et à des réglementations, il faut bien voir qu’elles ne seront acceptables socialement que si ceux à qui elles s’appliquent en comprennent l’intérêt. Le pari de la stratégie nationale pour la biodiversité repose sur la mobilisation, la sensibilisation et le dialogue. Respectons-en le rythme, laissons le temps à l’appropriation de faire son œuvre. Nous avons la chance de vivre dans une société démocratique où la discussion prévaut. Nous avons la chance aussi que les questions liées à la biodiversité puissent être discutées à toutes les échelles. À cet égard, je considère que même à l’échelle d’une commune de 3 000 habitants, il est possible de mener des actions intéressantes avec des retours sur investissement.

Deuxièmement : quelle biodiversité voulons-nous ? La question a été posée à travers l’évocation des eaux stagnantes des biefs des petites rivières du Morvan ou encore de l’arrivée sur notre territoire d’espèces venues d’ailleurs. N’oublions pas que nos espèces font aussi des dégâts ailleurs : pensons aux ravages provoqués par nos crabes bretons sur les côtes américaines. Il faut se défaire d’une vision fixiste de la biodiversité. L’essentiel des peuplements de la France remonte à la fin de la dernière glaciation mais nous observons que la faune danubienne, composée d’espèces d’eau douce venue des bassins d’Europe orientale arrive lentement mais sûrement sur notre territoire. Nous ne sommes pas de ceux qui veulent imposer un état de référence. Il ne nous appartient pas de dire quelle doit être la biodiversité à tel endroit. Nous considérons qu’elle doit donner lieu à discussion, ce qui implique de mettre en débat les souhaits et les oppositions, d’exposer les problèmes liés à telle ou telle espèce, pour construire ensemble une biodiversité en tant que capital pour demain. Ce qui nous importe, c’est l’avenir et non pas la restauration par rapport à un état de référence qui s’imposerait à nous.

Troisièmement : faut-il dédier des espaces à la biodiversité ? C’est une conception que les écologistes défendaient jusque dans les années soixante-dix, considérant que protéger 15 % à 20 % des espaces permettait de maintenir l’essentiel de la biodiversité. Aujourd’hui, nous savons que ce raisonnement ne tient pas : la préservation de la biodiversité doit concerner l’ensemble d’un territoire, en interaction avec les activités humaines. Les villes mêmes, comme l’a souligné M. Philippe Bies, ne sont pas des espaces perdus pour la biodiversité. Les indicateurs d’abondance des oiseaux sont d’ailleurs plutôt meilleurs dans les zones périurbaines que dans les no man’s land agricoles, tout simplement parce que la diversification des habitats et la présence de ressources alimentaires facilitent l’installation des oiseaux nicheurs. L’idée qu’il y aurait des réserves de biodiversité, comme des réserves d’or à Fort Knox, que l’on pourrait mobiliser en vue d’une restauration dans dix ans, vingt ans ou un siècle, est fausse. Si demain, l’on veut revoir le système agricole de la Beauce en diversifiant les espèces, on ne fera pas venir des ouistitis de Nouvelle-Calédonie, on cherchera plutôt si, à proximité, des espèces adaptées à ce milieu ont été conservées. Nous considérons qu’il faut cultiver ce capital naturel partout au lieu de penser que d’autres, dans d’autres endroits, s’efforcent de le préserver.

Telle est notre position en matière de philosophie générale et d’enjeux de conservation.

M. Bernard Labat. Je reviendrai tout d’abord sur le principe de non-régression, que nous avons fait inscrire dans la feuille de route du processus de modernisation du droit de l’environnement supervisé par le sénateur Alain Richard. C’est un concept délicat car il est borné, à la manière d’un flipper ou d’un billard. Plusieurs repères permettent de poser la réflexion. Tout d’abord, il existe déjà dans le droit international : quand un traité succède à un autre, les dispositions les plus avantageuses doivent s’appliquer, y compris dans la période transitoire. En droit national, il y a quelques exemples timides d’inscription de ce principe dans la substance du droit : la constitution japonaise prévoit son application pour la protection des droits fondamentaux et des droits humains. Enfin, il y a la doctrine : Michel Prieur, professeur émérite à l’université de Limoges, y a consacré plusieurs études considérables. Par ailleurs, il ne faut pas s’interdire de constater des effets de seuil quantitatifs dans la succession des textes juridiques portant sur un même objet : on note ainsi une progression du caractère impératif des exigences pour la sécurité des véhicules à moteur, et, dans le droit de l’environnement, pour les eaux de baignade.

Des discussions que nous avons au sein de la Commission spéciale de modernisation du droit de l'environnement au sujet du principe de non-régression, il ressort clairement que son opportunité ne fait pas consensus. Certains estiment qu’il ne faudrait pas durcir la substance du droit. Nous considérons, pour notre part, qu’il importe d’aller plus loin.

J’en viens au domaine maritime, plusieurs fois évoqué. Beaucoup des objectifs politiques, y compris au niveau international, comme l’objectif des 10 % d’aires marines protégées fixé par la Convention sur la diversité biologique, se heurtent à un principe de réalité. Le programme des mers régionales mis en place par le Programme des nations unies pour l'environnement (PNUE) recouvre une quinzaine de conventions internationales régionales. Ces conventions comportent plusieurs protocoles, dont un protocole dédié à la pollution tellurique, principal facteur de pollution des zones marines. Le problème est qu’ils n’ont aucune efficacité. Ainsi le fait que l’Indonésie ait signé l’un d’eux n’a pas empêché le fleuve Citarum de devenir un véritable cloaque, entièrement recouvert de papiers, de morceaux de plastique, de métaux, et de déjections.

Au moment de la conférence environnementale de 2013, je m’étais posé la question de savoir s’il existait en France une industrie naissante de la dépollution marine. Ce secteur compte actuellement plusieurs entreprises disposant d’un véritable savoir-faire et je pense que certaines ont même déposé des brevets pour protéger leurs procédés. Il faudrait réfléchir à leur modèle économique et se donner la peine de favoriser leur essor car le développement de la pollution plastique en haute mer, liée en partie en l’inefficacité de l’action du PNUE en matière de pollution tellurique, appellera certainement des actions de dépollution en haute mer : il serait bon que notre pays dispose d’un temps d’avance en ce domaine.

M. Christophe Aubel. Je vais m’efforcer de répondre aux questions qui n’ont pu être encore abordées, en commençant par la chasse. Il est tentant de renvoyer l’association Humanité et Biodiversité à son ancien nom, « Rassemblement des opposants à la chasse ». Rappelons toutefois que, lorsque le ROC a été créé en 1976, à l’initiative de Théodore Monod, il suffisait d’acheter son permis de chasse pour chasser et qu’aucune espèce n’était protégée. Lorsque le monde de la chasse nous renvoie à cette appellation, c’est pour masquer le fait que, lui, n’a pas évolué autant que nous. Notre association se préoccupe toujours de la chasse, notamment à travers son action juridique. Et je soulignerai que si le Conseil d’État a accepté les recours que nous avons déposés, c’est bien parce que des problèmes de droit se posaient.

Par ailleurs, nous avons été à l’initiative de la table ronde sur la chasse lorsque M. Nicolas Sarkozy était président : c’est nous qui avons demandé à dialoguer avec les chasseurs, fidèles à notre principe de toujours rechercher le consensus et le compromis. Nous avons alors signé des accords avec le monde de la chasse, que nous n’avons jamais reniés. Je note que si l’ONCFS n’est pas intégré dans le périmètre de l’Agence pour la biodiversité, c’est que le monde de la chasse s’y oppose. Par ailleurs, il reste encore des points à régler en outre-mer, en Guyane, notamment, mais la solution ne passe pas forcément par la voie législative. Sachez que nous sommes toujours prêts au dialogue.

S’agissant de l’agriculture, je suis parfaitement d’accord pour dire que la trame verte et bleue ne peut être mise en place sans les agriculteurs. Elle ne consiste nullement à vouloir mettre la nature sous cloche. Pendant le Grenelle de l’environnement, j’ai passé des heures à négocier avec les représentants du monde agricole autour de ces problématiques. Je travaille beaucoup avec la FNSEA pour tenter de trouver des points d’équilibre. Il n’est pas possible de dire que les politiques publiques de la biodiversité se construisent sans le monde agricole : les instances de concertation lui sont toutes ouvertes. La loi relative à la biodiversité l’établit de manière claire et nette : elle prévoit que ses représentants siègent au Conseil national de la biodiversité. Depuis le Grenelle, je vois tout l’intérêt de ce dialogue et je ne cesse d’inviter le ministère de l’agriculture à le pousser aussi loin que le ministère de l’écologie a pu le faire.

Plusieurs questions ont porté sur la loi relative à la biodiversité. Nous considérons qu’elle présente de multiples intérêts et nous demandons qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour du Parlement le plus rapidement possible. Votre commission a adopté beaucoup d’amendements qui ont notre faveur, notamment au sujet de l’espace de continuité écologique. Sur d’autres, relatifs à la compensation, nous avons encore quelques incertitudes, nous devons continuer de les étudier.

Quant à l’Agence française pour la biodiversité, nous souhaitons toujours que l’ONCFS y soit intégré. Mais, même s’il est absent, nous soutenons le projet car il faut un opérateur pour accompagner, au niveau des territoires, les collectivités, les socio-professionnels, et les divers acteurs concernés et sensibiliser aux questions relatives à la biodiversité, dans le droit fil de l’action menée par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui a grandement contribué à faire émerger la problématique du climat.

Des améliorations devront être apportées à la composition du conseil d’administration de l’Agence, sans doute par voie réglementaire plutôt que par voie législative. L’État représente dans la rédaction actuelle du projet de loi la moitié de ses membres. Nous considérons que sa part devrait être réduite à un quart, pour laisser un autre quart aux collectivités territoriales, et une moitié à tous les autres acteurs, y compris les agriculteurs.

Un autre enjeu lié à l’agence est le PIA. Plusieurs fois l’engagement nous a été donné qu’il financerait des actions liées à la biodiversité et l’Agence elle-même. La réussite de cette instance dépendra des moyens qui lui sont consacrés car si l’on veut qu’elle apporte quelque chose en plus, on ne peut pas se contenter de lui transférer les moyens des établissements qu’elle regroupera.

En matière d’éducation, j’indiquerai seulement que nous travaillons avec le ministère de l’éducation et que nous signerons bientôt un partenariat avec lui. En tant qu’ancien instituteur, je ne peux qu’être convaincu de l’importance des actions éducatives.

S’agissant des banques de compensation, je rappellerai d’abord que la compensation est la dernière étape du triptyque « éviter, réduire, compenser ». Au sein du groupe de travail consacré à ce triptyque auquel nous participons dans le cadre du processus de modernisation du droit de l’environnement, nous avons appelé l’attention sur la mise en œuvre du principe de l’évitement dans les plans et programmes, notamment les plans locaux d’urbanismes (PLU) et les SCOT, ainsi que sur les améliorations à apporter au principe de réduction dans la réalisation des grands projets.

En matière de compensation, nous ne sommes pas hostiles aux expérimentations. Seulement, nous regrettons que les cinq projets retenus à la suite des appels à projets mis en place par le ministre autour de la compensation par l’offre n’aient donné lieu à aucune concrétisation, d’autant que le projet de loi semble entériner cette idée. Aux États-Unis, où ne se pose pas le problème de la pénurie de foncier, les mitigation banks peuvent fonctionner. En France, créer des actifs sous forme de maîtrise foncière soulève de multiples questions. Ces actifs correspondront-ils aux besoins réels de compensation ? Dans le Grand Ouest, où les zones humides risquent d’être affectées par l’extension de l’agglomération de Rennes ou la construction de la ligne à grande vitesse, nous doutons que les mesures relatives au foncier répondent aux enjeux. Nous considérons qu’il ne faut pas aller trop vite dans ces domaines.

J’en viens à l’aménagement du territoire, en précisant que ce n’est pas nous qui avons mis en avant l’objectif de « zéro artificialisation » mais notre fédération. Nous visons pour notre part un ralentissement des artificialisations, notamment à travers des dispositions fiscales, piste aussi explorée par le groupe de travail que présidait Guillaume Sainteny. Il nous semble qu’au XXIe siècle, l’aménagement du territoire ne doit pas seulement être envisagé dans le cadre d’un plan local d’urbanisme, qui se contente de déterminer là où l’on peut construire ou pas. Nous prônons une manière plus globale de l’envisager, qui repose davantage sur la dimension de projet, au-delà de la simple question de la construction. C’est ce que nous appelons un plan local d’aménagement et de gestion de l’espace (PLAGE), un dispositif qui n’a encore rien d’opérationnel mais qui permet de lancer le débat.

En revanche, nous soutenons le schéma régional de cohérence écologique (SRCE) en tant qu’outil d’aménagement du territoire. Je considère qu’après la loi de 1976, la deuxième grande étape a été la trame verte et bleue, qui donne une autre vision de la préservation de la biodiversité, en en faisant l’une des composantes de l’aménagement du territoire. Couplée aux SCOT, outil très intéressant, elle permet de répondre aux problèmes des arbitrages et des équilibres et d’aller au-delà des cloisonnements. Au niveau local, la loi Grenelle prévoit que les maires doivent préserver et restaurer les continuités écologiques dans les PLU, mais nous déplorons qu’ils manquent d’outils pour bien faire.

À cet égard, le projet de loi de décentralisation nous inquiète. Que les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) reposent sur des schémas uniques environnementaux intégrant les SRCE pose problème : perte d’opposabilité aux plans, choix difficile de l’échelle cartographique pertinente. Or il n’y a pas d’endroit pour débattre de ces questions, raison pour laquelle nous avons proposé que le Conseil national de la trame verte et bleue en soit saisi. Il importe de ne pas détricoter des SRCE qui sont tout juste en train de se mettre en place dans certaines régions. Le co-portage État-région a encore du sens dans cette première étape.

Plusieurs d’entre vous ont parlé de « spirale d’impuissance ». Je ne souscris pas entièrement à cette vision des choses. Hubert Reeves reprend volontiers la formule de Jean Monnet à propos de la construction européenne : « Ce qui est important, ce n'est ni d'être optimiste, ni d’être pessimiste, mais d'être déterminé ». Depuis plus de dix ans que j’occupe ces fonctions, je constate que les choses bougent. Notre réunion d’aujourd’hui en est un bel exemple. La première fois que j’ai appelé des députés pour évoquer les enjeux liés à la biodiversité, la plupart se contentaient de m’écouter poliment, à l’exception, je le dois dire, de M. le président Chanteguet qui m’a toujours prêté une oreille attentive (Sourires). Nous n’en sommes plus là. Beaucoup d’élus et d’entreprises se mobilisent. Certes, au regard de ce qui doit être entrepris pour enrayer la dégradation, il y aurait parfois lieu d’être découragé mais nous sommes toujours mu par notre combat. La sensibilisation au changement climatique a progressé. Pour la biodiversité, cette prise de conscience est moindre. Toutefois, une enquête de 2010 a montré que les Français étaient, avec les Brésiliens, les plus sensibilisés à ces enjeux au niveau mondial.

Concernant le statut de l’animal, notre association a toujours défendu la reconnaissance du caractère sensible de l’animal sauvage. Dans l’état actuel du droit, seuls les animaux ayant un propriétaire sont considérés comme étant dotés de sensibilité. Ainsi le chien est considéré comme un animal sensible mais pas le renard, la chèvre ou le chevreuil. Que l’animal soit considéré comme un bien meuble nous pose également problème, mais nous sommes conscients que la réponse juridique est délicate à élaborer. Il ne faut pas refuser de traiter ce sujet qui trouve un écho de plus en plus large dans la société et en disant cela, je pense à certaines oppositions qui se sont fait jour dans le monde agricole. Toutefois, nous tenons à nous démarquer de certaines associations qui utilisent la violence pour défendre la cause des animaux ou qui prônent une égalité entre humains et animaux.

Autre question : la France est-elle outillée pour répondre aux objectifs définis par la conférence des parties ? Je considère que la loi ne suffit pas. Le problème principal dans notre pays est la stratégie nationale pour la biodiversité : de multiples acteurs – collectivités et entreprises – se sont mobilisés pour déposer des plans mais il n’existe plus de plan interministériel depuis la fin de l’année 2013. Lorsque j’ai évoqué cette question devant Mme la ministre de l’écologie, elle s’y est montrée sensible. Comme le dit souvent Bernard Chevassus-au-Louis, personne ne veut de mal à la biodiversité mais il y a des politiques qui lui font du mal. Tout l’enjeu de la stratégie nationale est de parvenir à ce que les politiques sectorielles, qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’urbanisme, de l’industrie, se fassent avec la biodiversité et non pas contre elle.

Enfin, si nous avons insisté sur les questions liées au financement de la biodiversité, c’est qu’elles nous semblent peu débattues. L’élaboration de la loi de transition énergétique s’est accompagnée de réflexions sur son financement, pas celle de la loi sur la biodiversité. Il n’est pas anodin que la conférence bancaire et financière sur la transition énergétique ait changé d’intitulé : elle devait porter initialement sur la transition écologique. Pourtant, le livre blanc supervisé par Dominique Dron comporte des développements consacrés au capital naturel. Nous voulions appeler votre attention sur cet enjeu décisif – l’argent est le nerf de la guerre – car la biodiversité a besoin des politiques pour obtenir des changements. Nous sommes bien évidemment conscients des contraintes budgétaires. Cependant, la somme de 400 millions par an ne nous paraît considérable, surtout si on la compare à l’enveloppe du PIA.

M.  le président Jean-Paul Chanteguet. Il est vrai qu’à ce jour nous n’avons pas véritablement mené de réflexions sur le financement de la biodiversité. Outre le livre blanc de Dominique Dron, il faut rappeler les travaux de Gaël Virlouvet au sein de Conseil économique social et environnemental. Même si les outils de financement doivent être inscrits dans une loi de finances, rien n’empêche dans une loi d’évoquer des pistes pour des financements innovants, surtout lorsqu’elle comporte une dimension de programmation comme la loi relative à la biodiversité. Cela n’a pas été fait, je le regrette.

Je vous remercie, monsieur Aubel, monsieur Chevassus-au-Louis, monsieur Labat, pour cet échange de qualité.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 21 octobre 2014 à 17 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Alexis Bachelay, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, M. Jean-Jacques Cottel, M. Christian Jacob, M. Jacques Kossowski, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud