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Mardi 18 novembre 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président
et de M. Gilles Carrez Président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

– Audition, ouverte à la presse, commune avec la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Alain Vidalies, secrétaire d’État en charge des Transports, de la Mer et de la Pêche, sur les conséquences de la suppression de l’écotaxe poids lourds

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ont entendu M. Alain Vidalies, secrétaire d’État en charge des Transports, de la Mer et de la Pêche, sur les conséquences de la suppression de l’écotaxe poids lourds.

M. le président Gilles Carrez. Les bureaux de nos deux Commissions ont jugé nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, de vous interroger sur les conséquences, notamment sur les comptes publics, de la suppression de l’écotaxe poids lourds. Je rappelle que le produit brut prévu de cette taxe s’élevait à 1,2 milliard d’euros dont 760 millions d’euros devaient être affectés à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France – AFITF – et 160 millions d’euros aux départements. Or, chacun connaît les besoins en matière d’infrastructures de transports. Ces points ont certes été abordés il y a une quinzaine de jours lors de l’examen des crédits de votre ministère, en commission élargie, mais il était indispensable de revenir sur plusieurs d’entre eux, à commencer par le financement substitutif à l’écotaxe par le biais de la hausse de 2 centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE –, pour 2015, mais quid ensuite ? Viennent ensuite toute une série de questions qui tournent autour, ainsi celle de l’instauration d’une vignette pour les seuls poids lourds étrangers, la hausse de la TICPE ne concernant que très peu le transit international. Nous nous interrogeons également sur une éventuelle taxation spécifique des sociétés d’autoroutes, compte tenu des contraintes liées aux contrats de concession signés – nous avons d’ailleurs examiné plusieurs amendements sur ce sujet dans le cadre des articles non rattachés du projet de loi de finances. Se pose enfin le problème du dédommagement de la société Ecomouv’.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie le président Gilles Carrez d’avoir pris l’initiative de cette audition conjointe, que j’ai bien évidemment soutenue. Il est vrai que nous évoquons régulièrement, au sein de l’Assemblée, les difficultés posées par l’abandon de l’écotaxe poids lourds, puis du péage de transit poids lourds, mais également de façon plus large le financement des infrastructures de transport. Si des réponses ont été apportées par le projet de loi de finances pour 2015, de nombreuses questions restent posées pour demain, à commencer par celle de la très probable indemnisation de la société Ecomouv’ par l’État et sur le devenir des équipements matériels et informatiques financés par cette société.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des Transports, de la mer et de la pêche. Je vous remercie de m’avoir convié à venir m’exprimer devant vos deux commissions réunies. Le motif principal de votre invitation porte sur les conséquences des récentes décisions du Gouvernement de suspendre sine die l’écotaxe, puis de résilier le contrat Ecomouv’. J’aborderai surtout le financement des infrastructures car c’est l’un des principaux chantiers qui nous attend, en tout cas l’une de mes priorités.

Il conviendra de réfléchir à froid aux raisons de l’échec de l’écotaxe et du péage du transit poids lourds alors que l’objectif initial était largement partagé. Si l’intention originelle était bien d’appliquer le principe utilisateur-payeur ou pollueur-payeur, ce principe, de mon point de vue, a été détourné par l’existence d’un mécanisme de répercussion inapplicable en ce qu’il faisait peser la taxe sur toute la chaîne de production. Cet échec est aussi probablement dû à la méthode retenue : le contrat avec Ecomouv’ impliquait des charges de fonctionnement très importantes et sans doute aurait-il fallu réfléchir à deux fois avant de confier contractuellement le prélèvement de cette taxe à une entreprise privée.

Le Gouvernement a donc décidé de résilier le contrat de partenariat conclu avec Ecomouv’ le 20 octobre 2011. Dans la lettre de résiliation, il est rappelé que des doutes ont été émis sur la validité du contrat initial au regard des exigences constitutionnelles qui s’imposent à l’État lorsqu’il confie à des personnes privées la gestion de certaines activités. À ce jour, des discussions sont engagées avec Ecomouv’ ; vous comprendrez que je n’avalise aucun scénario ni chiffre pour le moment.

En ce qui concerne les personnels, tous les efforts seront faits pour aboutir à un reclassement des 190 salariés d’Ecomouv’. Nous allons accompagner les salariés de la société et les élus de l’agglomération de Metz pour essayer de trouver toutes les solutions possibles.

Un consensus existe sur le principe de la participation des transporteurs au financement des infrastructures. Un groupe de travail avec les transporteurs a été créé avec pour objectif de trouver des recettes de substitution au péage de transit poids lourds. J’ai présidé une première réunion le 16 octobre dernier et proposé une séquence en deux temps. D’une part, nous allons étudier une solution à moyen terme pouvant être mise en œuvre au 1er janvier 2016 afin notamment de faire contribuer aussi les transporteurs étrangers – je précise d’emblée, monsieur le président de la commission des Finances, qu’il est évidemment exclu d’envisager une solution dans laquelle seuls les transporteurs étrangers paieraient : c’est juridiquement impossible. D’autre part, afin de répondre aux besoins de financement des infrastructures pour 2015, le Gouvernement a proposé, dans le projet de loi de finances, une hausse de 4 centimes de la TICPE qui s’appliquera aux poids lourds et sera directement affectée à l’AFITF. Cette disposition a été adoptée par l’Assemblée en première lecture. Je suis donc en mesure de vous confirmer que l’AFITF disposera en 2015, comme prévu initialement, de 1,9 milliard d’euros pour les investissements.

Nos objectifs en matière de pérennisation du financement de l’AFITF sont clairs : outre la recette en provenance de l’augmentation de 2 centimes sur le litre de gazole, assumée par les véhicules légers, les négociations avec les transporteurs devront déterminer une recette pérenne. Plusieurs pistes sont à étudier, comme une éventuelle redevance d’usage à travers la création d’une vignette, proposée par une organisation de transporteurs et certains chargeurs. La piste des sociétés concessionnaires d’autoroutes a également été évoquée. Vous savez que le Premier ministre a engagé une concertation avec les sociétés d’autoroutes. Vous vous êtes également saisis de ce sujet en créant une mission d’information par laquelle j’ai d’ailleurs été auditionné le 22 octobre dernier. Bien évidemment, ce dossier fait partie des discussions en cours.

M. Jean-Yves Caullet. Vous avez bien retracé, monsieur le secrétaire d’État, le contexte dans lequel les travaux en cours ont été engagés.

Vous avez indiqué que plusieurs pistes étaient envisagées pour le financement de l’AFITF. Mais l’objectif en termes de recettes et de financement au-delà de 2015 peut-il d’ores et déjà être affiché ?

Vous avez ensuite rappelé que la difficulté initiale était le partage entre le financement par l’utilisateur et le financement par le contribuable. Or, force est d’admettre que les solutions choisies pour 2015, en l’occurrence l’augmentation des taxes sur le carburant, pèsent davantage sur le contribuable. Est-il imaginable, dans le cadre du groupe de travail que vous avez constitué, qu’une redevance d’usage comme la vignette soit fiscalement neutralisée ? Les transporteurs français s’acquittent des augmentations prévues sur la TICPE, les transports de transit ne la payent pas ou beaucoup moins puisqu’ils font leur plein ailleurs. Serait-il par conséquent possible, en cas d’instauration d’une vignette, que son prix soit défalqué des montants de TICPE de sorte que les transporteurs français ne paient pas deux fois ?

Enfin, le débat avec Ecomouv’ est en cours, nous avez-vous dit. Dans quels délais pensez-vous qu’il sera clos ? Quelle part y est consacrée aux salariés ? Plusieurs annonces ont été faites par voie de presse, qui posent question.

M. Guillaume Chevrollier. Alors que l’écotaxe est appliquée outre-Rhin depuis 2005, qu’elle rapporte plus de 4 milliards d’euros par an à l’État et qu’elle va être étendue le trimestre prochain à de nouvelles routes, cette même taxe tourne au cauchemar en France. Le Gouvernement a reculé à plusieurs reprises alors que cette taxe, votée à l’unanimité, répond au principe du pollueur-payeur qui a pour but d’inciter les chargeurs à privilégier les moyens de transport plus respectueux de l’environnement que la route, comme le rail, les canaux ou les liaisons maritimes. Mais elle aura été aussi la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans un contexte de matraquage fiscal généralisé, de chômage de masse et de difficultés de nos entreprises dont les perspectives demeurent très limitées. Au lieu de reculer et de supprimer ce dispositif, vous auriez pu y apporter les corrections nécessaires pour sa mise en œuvre.

Quel est le bilan aujourd’hui ? Le Gouvernement préfère taxer le diesel, sûr de ne pas avoir à craindre de manifestations d’automobilistes. Pour les Français, c’est une double peine, et qui au surplus touche particulièrement les habitants des territoires ruraux qui ne bénéficient pas des transports en commun et qui sont les plus tributaires de l’automobile. Voilà à quoi aboutit l’impéritie de ce gouvernement : une décrédibilisation du politique, de la parole de l’État – on annonce et on recule – et une facture des plus salées : outre le dédommagement d’Ecomouv’, que va-t-on faire des 173 portiques ? Quelles réponses apporterez-vous aux sociétés habilitées de télépéage qui se sont équipées de 600 000 badges à 150 euros pièce ? Quelle réponse entendez-vous apporter à la chute des investissements en matière d’infrastructures alors que le secteur des travaux publics est déjà en crise ? Et finalement, on se retourne vers les conducteurs des véhicules légers et en particulier dans les territoires ruraux…

M. Bertrand Pancher. Vous devez vous livrer à un exercice bien difficile, monsieur le secrétaire d’État : il vous faut commencer par justifier l’abandon de l’écotaxe alors qu’il est précisément injustifiable… Du reste, il y a quelques jours, un interlocuteur particulièrement bien renseigné – mais que je ne nommerai pas – me confiait dans mon bureau sa conviction que Mme Ségolène Royal n’avait même pas examiné le dossier avant d’annoncer l’abandon de l’écotaxe, sans quoi jamais elle n’aurait jamais pris une telle décision. Évidemment vous faites bien votre job, en soutenant notamment que les frais de fonctionnement étaient trop lourds ; mais chacun sait que l’écotaxe devait évoluer. Vous doutez que l’État puisse confier cette gestion à des entreprises privées, mais vous ne vous posez pas la question quand il s’agit de proroger les concessions des autoroutes…

J’en viens à mes questions. Qu’en est-il, le président Jean-Paul Chanteguet vient de l’évoquer, de l’entretien du matériel d’Ecomouv’ ? Que faire pour conserver ces bijoux de technologie afin qu’au moins ils puissent un jour servir à d’autres ? Une majorité, demain, plus courageuse, du moins je l’espère, pourrait chercher à les utiliser, à moins qu’on ne s’en serve dans le cadre d’autres opérations de mise à péage : environ 2 500 kilomètres d’autoroutes ne sont pas encore soumis à péage en France.

Ensuite, quel est le montant du chèque – 800 millions d’euros, 1 milliard, 1,2 milliard ? Et qui va payer ? On voit bien que vous faites traîner les choses pour faire en sorte que ce soit demain une autre majorité qui se charge de faire payer le contribuable. Mais l’AFITF est-elle vouée à continuer de payer le loyer ?

Enfin, de quelle manière pouvons-nous disposer d’un budget permettant, au moins pour l’AFITF, d’engager des projets d’infrastructures importants ? Vous avez rappelé le budget de l’agence, 1,9 milliard d’euros, ce qui ne correspond même pas aux montants nécessaires pour répondre à la première hypothèse de la commission Mobilité 21, à savoir le seul entretien des équipements existants. Autrement dit, on est en dessous de l’entretien courant, ce n’est même pas la peine de songer à des investissements nouveaux ! Augmentera-t-on encore la TICPE ? Créera-t-on une nouvelle vignette ? Ne sera-ce pas une nouvelle usine à gaz et votre intention n’est-elle pas de la voter puis, le temps de sa mise en œuvre, de passer la patate chaude à d’autres ? A-t-on une analyse d’impact pour savoir combien cela coûte et combien cela peut rapporter ?

M. François-Michel Lambert. Contrairement à ce que laisse entendre Bertrand Pancher, nous étions déjà, avec Ecomouv’, avec une usine à gaz et une technologie du passé : l’engagement pris devait courir jusqu’en 2025 avec des solutions qui s’apparentaient beaucoup à ce que les Allemands avaient mis en place il y a déjà dix ans, sans oublier qu’une enquête est toujours en cours au niveau du parquet de Nanterre sur les conditions dans lesquelles le contrat a été attribué à la société Ecomouv’. À ce sujet, l’ancien préfet Pierre Chassigneux, ancien président de la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France – SANEF – et ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, a tout de même fait valoir des arguments très forts depuis quelques années. Dans le même ordre d’idées, la commission d’enquête sénatoriale estime que « [les] choix faits […] amènent à de nombreuses interrogations et [que] des incertitudes majeures […] subsistent ». Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, dans le respect de la séparation des pouvoirs, où en est l’enquête judiciaire ?

À entendre Mme Ségolène Royal, l’écotaxe n’est pas supprimée puisqu’elle est inscrite dans la loi ; c’est le contrat avec Ecomouv’ qui serait seul suspendu. Elle est remplacée par une autre écotaxe : l’augmentation de 4 centimes sur le gazole pour les camions. Je crains que cette mesure ne corresponde pas tout à fait à l’objectif que nous poursuivions, à savoir l’application du principe pollueur-payeur. Or, il s’agit de le poursuivre avec des technologies modernes sans se limiter aux deux pistes que vous avez mentionnées. Il existe en effet des dispositifs « gagnant-gagnant » qui permettent une éco-conduite plus économique – sachant qu’un camion consomme en moyenne 33 ou 35 litres de gazole aux cent kilomètres, un gain de 10 % se répercute immédiatement sur les résultats de l’entreprise – tout en retraçant au mètre près le parcours emprunté, qu’ils communiquent instantanément. Ce système permettrait d’appliquer une écotaxe, une éco-redevance.

On parle souvent de l’Allemagne, mais il faudra bien un jour examiner de plus près l’état de ses infrastructures de transport. Je préfère pour ma part me référer à la Suisse, la première à avoir mis en place une éco-redevance, mais dans le cadre d’un plan global des transports de marchandises, dans lequel l’incitation des chargeurs et les transporteurs à augmenter la charge utile et vraiment embarquée des camions – ils sont passés progressivement de 28 à 40 tonnes autorisées – est allée de pair avec une structuration de l’offre alternative aux transports routiers.

Un amendement de notre collègue Gilles Savary prévoyait de lancer un schéma directeur logistique national : lier l’aménagement du territoire et la prise en compte des flux est indispensable pour obtenir une meilleure performance du transport routier et appliquer au mieux le principe du pollueur-payeur.

Enfin, comment les portiques peuvent-ils être réintégrés dans des projets nationaux ou territoriaux – je pense à Paris, l’Aquitaine ou l’Alsace qui voudraient les utiliser pour leurs propres actions de péage ?

M. Patrice Carvalho. Le Gouvernement, après plusieurs reculades, a lâché un peu vite sur un texte qui n’avait pas été compris bien qu’il ait été adopté à l’unanimité. Lorsqu’il s’était agi du mariage pour tous, il n’avait rien cédé, il est allé jusqu’au bout du débat. Je n’ai pas compris qu’il n’en ait pas été de même ici, que l’on n’ait pas expliqué le fond du problème à ces salariés qui manifestaient aux côtés de transporteurs qui, eux, allaient chercher des produits à l’étranger pour les rapporter en France… Nous avons été très mauvais en communication et nous en payons aujourd’hui les dégâts.

Je ne sais pas si Mme Ségolène Royal a lu ou non le dossier avant de prendre sa décision ; quoi qu’il en soit, et c’est un peu fort de café, alors que le président Jean-Paul Chanteguet avait été désigné pour rapporter sur cette question, on n’a même pas attendu qu’il remette ses conclusions pour balancer tout le travail fait par les députés… Bel exemple de démocratie, il y a de quoi être inquiet ! Et lorsque nous examinons le budget de l’écologie, on nous répond systématiquement que ce que nous proposons est déjà dans le texte, que ce n’est que du baratin et que nous ferions mieux de retirer notre amendement… Il serait bien temps de clarifier les choses, monsieur le secrétaire d’État.

La loi « Grenelle », adoptée à l’unanimité et qui posait le principe du pollueur-payeur – il est vrai qu’avec des camions de plus en plus lourds, l’effet de poinçonnement est de plus en plus fort et les routes tiennent de moins en moins longtemps : nous-mêmes le voyons dans nos villes et dans nos départements –, prévoyait initialement d’appliquer la redevance sur 15 000 kilomètres de routes, ce qui aurait dégagé 1,2 milliard d’euros de recettes destinées à l’AFITF et aux départements. Première reculade : seulement 4 000 kilomètres étaient désormais concernés pour une recette ramenée à 500 millions d’euros, les automobilistes devant payer à la place des poids lourds – c’est le plus fort : on fait payer des gens qui n’ont rien à voir avec le système prévu à l’origine ; ceux qui n’esquintent pas les routes vont devoir payer 2 centimes de plus par litre de gazole. Deuxième reculade : tout le dispositif est annulé et on augmente de nouveau le prix du litre de gazole de 2 centimes pour les automobilistes ! Je ne suis pas surpris que les gens n’y comprennent plus rien : il suffit d’arriver à détruire quelques sous-préfectures ou quelques préfectures pour obtenir gain de cause sur des mesures a priori incontestables !

Les automobilistes ne subiront pas que l’augmentation du diesel : ils devront s’attendre à celle de la taxe d’habitation et du foncier bâti, car il va bien falloir financer la réfection de ces routes départementales et communales ! Quant aux poids lourds, eux, ils ne s’acquittent plus que de la taxe à l’essieu et le gazole qu’ils consomment est détaxé ! Bravo ! On peut bien évoquer le transfert du transport modal vers le rail et la voie d’eau, mais tout est bien fait pour qu’on continue comme avant qu’on se retrouve, finalement, pourquoi pas, avec une augmentation du tonnage des poids lourds !

L’AFITF a perçu 400 millions de recettes en 2013 et devait en percevoir 750 millions par an. Les appels à projets lancés en 2013 montrent qu’une cinquantaine de collectivités et de syndicats de transports avaient posé leur candidature pour 117 projets. Le budget de l’AFITF est de 1,8 milliard d’euros ; mais pour réaliser les engagements pris par l’État, il en faudrait 2,2 milliards au minimum. Pour mettre en œuvre les objectifs de la commission Mobilité 21, soit 30 milliards d’euros d’ici à 2030, il faudrait 2,5 milliards d’euros de plus par an !

Ma question est donc double. Où irez-vous chercher les recettes complémentaires nécessaires ? Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur le versement des compensations à la société Ecomouv’, dont on sait très bien par qui elle est dirigée, et sur la solution envisagée pour les salariés concernés ?

M. Olivier Falorni. L’écotaxe poids lourds est définitivement enterrée et, avec elle, les 800 millions d’euros de recettes annuelles promises à l’AFITF. Je ne reviendrai pas sur les raisons ce fiasco, préférant évoquer ses conséquences. Au-delà de l’indemnisation de la société Ecomouv’, sur laquelle je reviendrai, il y a surtout la perte des recettes. Elle est énorme pour toutes les infrastructures et donc pour les milliers d’emplois concernés par la commande publique dans le secteur des travaux publics qui traverse une crise sans précédent avec un chiffre d’affaires en baisse de 25 % depuis sept ans et la destruction de 30 000 emplois. Certains projets pourraient être annulés et les sociétés de BTP seront contraintes de revoir leurs investissements si le Gouvernement ne précise pas ses intentions notamment en matière de compensations de l’écotaxe.

Vous l’avez annoncé : pour compenser le manque à gagner de l’écotaxe, les transporteurs routiers seront assujettis à la taxe carbone et à la compensation du péage de transit poids lourds et paieront ainsi les 4 centimes d’augmentation du gazole, comme tout le monde, à partir du 1er janvier 2015. Les sommes en jeu sont loin d’être neutres car il faudra apporter plus de 1 milliard d’euros.

La hausse du prix du gazole a deux sérieux défauts : elle ne touchera que très partiellement les poids lourds étrangers et mettra à mal le principe de la fiscalité écologique – ceux qui polluent doivent payer. En Allemagne, où ce principe est en vigueur, l’écotaxe rapporte 4,3 milliards d’euros par an. Devant les représentants de la profession des transports, vous vous êtes engagé à la fois sur le caractère provisoire de l’augmentation de la fiscalité sur le gazole et sur la recherche d’une solution alternative à l’écotaxe, qui s’y substituerait à partir du 1er janvier 2016. S’agit-il du principe de la vignette pour les poids lourds ? Si oui, comment envisagez-vous de l’appliquer ?

Le Grenelle de l’environnement, en choisissant l’écotaxe poids lourds, avait décidé que la charge de cette taxe ne devait pas peser sur les transporteurs routiers et devait mettre en œuvre le principe de l’utilisateur-payeur. Dès lors, et afin de respecter la doctrine du Grenelle, ne faudrait-il pas envisager un mécanisme faisant en sorte prix de la vignette soit répercuté sur le prix facturé au client, comme le sera la hausse de la fiscalité prévue pour le 1er janvier ? Par ailleurs, avez-vous envisagé la possibilité de la participation des sociétés concessionnaires d’autoroutes au financement de l’AFITF alors même que ces sociétés réalisent des bénéfices importants ? Avez-vous songé à une autre hypothèse, celle d’une renationalisation des autoroutes, comme l’a préconisé l’Autorité de la concurrence ?

En ce qui concerne la société Ecomouv’, pouvez-vous nous indiquer précisément quelles sont les conditions de sortie du contrat exorbitant qui lie l’État français avec la société italienne qui a engagé entre 800 millions et 1 milliard d’euros d’investissements ? J’ai lu que l’indemnité versée à Ecomouv’ pourrait être de l’ordre du milliard d’euros. Si tel devait être le cas, que deviendrait le budget de l’AFITF pour 2015 et quid des projets fléchés sur les nouvelles recettes et de la hausse du prix du carburant ?

M. Gilles Savary. Les trous de mémoire – assez fréquents en politique – de Guillaume Chevrollier m’invitent à revenir sur cette affaire des plus malencontreuses. Le Gouvernement n’a pas annoncé puis reculé : il a hérité puis a été lâché. Je vous rappelle qu’au sein de la mission d’information sur l’écotaxe poids lourds présidée par Jean-Paul Chanteguet, une majorité de vos amis politiques ont refusé de voter la publication du rapport et que le poids de la parole parlementaire s’en est trouvé diminué d’autant.

M. Bertrand Pancher. C’est vrai !

M. Gilles Savary. Je vous rappelle en outre que la répercussion forfaitaire était mise en place quand nous sommes arrivés aux affaires, par un décret pris le jour même de l’élection du Président de la République. Nous avons par conséquent eu un héritage très compliqué à assumer.

Je trouve néanmoins que l’abandon de l’écotaxe, j’y insiste, est des plus malencontreux. En renonçant à une taxe kilométrique, on passe à côté d’une fiscalité moderne, stable, durable et juste, comme celle qui aura cours dans la plupart des autres pays européens. La vignette encourage la circulation automobile : une fois qu’on l’a payée, on veut l’amortir. La taxe kilométrique, au contraire, incite à la rationalisation des parcours. Et quand on constate que tout le monde est taxé, les automobiles individuelles comme les poids lourds – ce qui est bien légitime – on en vient à regretter, monsieur Chevrollier, de n’avoir pas envisagé dès le départ une taxe kilométrique assise sur une base très large : tous les véhicules, y compris domestiques, devraient être très faiblement taxés et avec un mode de gestion si possible moins coûteux.

M. Bertrand Pancher. Tout à fait !

M. Gilles Savary. Nous en sommes arrivés à une pression fiscale identique sur les ménages et sur les poids lourds avec un dispositif qu’il va malheureusement falloir revoir car, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, et je vous en donne acte, si vous avez réglé l’urgence pour 2015, la fiscalité sur les carburants est par nature aléatoire : si le cours des carburants augmente, on nous demandera de faire jouer une TICPE flottante, comme on avait inventé la TIPP flottante, de façon à ne pas exposer notre industrie. Heureusement, vous nous annoncez, ce qui est très rassurant, qu’il faudra trouver une recette pérenne et non se satisfaire de ces augmentations de TICPE.

J’en viens à ma première question. On avait déjà connu l’abandon du CPE par M. Dominique de Villepin. Après l’abandon de l’écotaxe par un membre de l’exécutif, où en est la loi, est-elle abrogée ? Que vaut la parole parlementaire ? Quelle est cette curieuse façon de réguler la séparation de l’exécutif et du législatif ? C’est une question de fond, qui mérite d’être posée.

Ma deuxième question porte sur l’avenir des personnels. Une très bonne hypothèse a été émise par votre collègue ministre du Travail : affecter les douaniers au contrôle routier, activité pour laquelle nous manquons beaucoup de personnel. Or, les fraudes se développent de façon massive et le contrôle humain est irremplaçable. Ce redéploiement des personnels serait d’autant plus judicieux qu’il rapporterait de l’argent au budget de l’État. Ce processus est-il en cours ou bien la porte fermée par M. Michel Sapin l’est-elle définitivement ?

Enfin, il est question d’affecter les matériels et les portiques à la gendarmerie. Pour quelles missions et qui va les faire fonctionner ?

M. Charles de Courson. Et pour quel coût ?

M. Gilles Savary. Au passage, vous pourriez en garder un ou deux ; je suis persuadé que M. Alain Juppé en accepterait un pour le centre d’arts plastiques contemporains de Bordeaux : ce serait un souvenir pour l’éternité. Il y en a toutefois tellement que nous devons savoir ce que va en faire la gendarmerie.

M. Charles de Courson. Décidément, il est dans l’opposition !

M. Gilles Savary. Enfin, vous aurez observé que l’écotaxe a disparu mais pas les contreparties données aux routiers en échange de l’écotaxe, à savoir la circulation des camions de 44 tonnes et la baisse de la taxe à l’essieu – encore un héritage, mais que cette fois nous avons conservé.

M. Jean-Louis Bricout. Ma question concerne les relations entre le Gouvernement et la société Ecomouv’ – en particulier ses salariés. L’Italien Autostrade détient 70 % du capital d’Ecomouv’, le Français Thalès 11 %, la SNCF 10 %, SFR 6 % et Stéria 3 %. La société, installée à Metz, emploie 190 salariés, et quelque 130 fonctionnaires des douanes, recrutés pour la plupart entre 2012 et 2013 sont également installés à Metz pour assurer le recouvrement de la taxe. Alors que vous avez pu rencontrer les représentants des salariés, quel est l’état, monsieur le secrétaire d’État, de vos discussions avec eux ? Qu’en est-il d’un éventuel plan social qui semble désormais inévitable, ce que je regrette profondément ?

M. Yannick Favennec. Après l’abandon de l’écotaxe, le problème du financement des infrastructures de transport et par conséquent du budget de l’AFITF est plus que jamais posé. Pour mémoire, le Grenelle de l’environnement prévoyait le versement à l’AFITF et aux collectivités locales de l’intégralité de la recette nette de l’écotaxe, soit 900 millions d’euros, afin de développer les transports ferroviaires et fluviaux et l’entretien du réseau. Lorsque l’écotaxe est devenue péage de transit poids lourds, elle ne devait plus rapporter que 540 millions d’euros et elle est aujourd’hui remplacée par une taxe sur le gazole.

Si vous nous avez assurés, monsieur le secrétaire d’État, que le budget de l’AFITF serait maintenu en 2015 au même niveau qu’en 2014, soit 1,9 milliard d’euros, ce qui reste, comme le soulignait Bertrand Pancher, très insuffisant, qu’en sera-t-il au-delà de 2015 ? Plusieurs pistes ont été évoquées : création d’une vignette poids lourds, reconduction de la hausse des taxes sur le gazole ou prélèvement sur les bénéfices des sociétés d’autoroutes. J’ajouterai celle formulée récemment par Terra Nova : la mise en place d’une fiscalité exceptionnelle sur les maisons mères des sociétés d’autoroutes, qui permettrait une baisse moyenne des péages de l’ordre de 50 %.

Un exemple justifie mon inquiétude. Je suis l’élu d’un département rural, la Mayenne, dans lequel les infrastructures routières tiennent une place importante pour assurer l’attractivité et le développement économique. La route nationale 12 fait l’objet d’une étude de modernisation et de sécurisation et l’État s’est engagé à réaliser, dans le cadre du prochain contrat de plan État-région – CPER –, le contournement de la ville d’Ernée. Nous sommes venus, avec les élus locaux concernés, vous rappeler l’importance de ce dossier car nous craignons, notamment, que les 10 millions d’euros prévus initialement pour la RN 12 ne finissent par se réduire à la portion congrue.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous m’assurer que le budget de l’AFITF permettra à l’État d’honorer ses engagements routiers, notamment dans le cadre du prochain CPER 2015-2020 et en particulier dans la région des Pays de la Loire ?

Mme Eva Sas. À mon tour de regretter la suppression de la taxe poids lourds, décision à mon sens erronée. Je regrette également que les conclusions de l’excellent rapport de Jean-Paul Chanteguet n’aient pas été suivies. Enfin, comme Gilles Savary, je déplore le rôle négatif de certains collègues de l’opposition qui ont joué les pompiers pyromanes.

M. Bertrand Pancher. Il n’y avait pas que des députés de l’opposition.

Mme Eva Sas. Après avoir alimenté la grogne, les voilà qui dénoncent aujourd’hui l’augmentation du prix du diesel, ce qui est pour le moins paradoxal !

Sur le budget de l’AFITF, deux chiffres ont circulé, l’un de 2,3 milliards d’euros et l’autre de 1,9 milliard d’euros. L’écart correspond-il à une provision pour le dédit de la société Ecomouv’ ? Sur quelle mission budgétaire sera imputée la provision pour le dédit ? J’attends une réponse précise à cette question précise.

Ensuite, je rappelle, à l’instar de notre collègue Bertrand Pancher, qu’à l’issue de la commission Mobilité 21 dont le rapport a été adopté à l’unanimité, le Premier ministre s’était prononcé pour le scénario 2 et avait bien indiqué que le budget de l’AFITF correspondant était de 2,5 milliards d’euros par an : c’est donc ce montant que nous attendons. J’ajoute en contrepoint que, l’année dernière, le budget de l’AFITF était de 1,8 milliard d’euros et qu’il a été qualifié par son président, Philippe Duron, de budget de crise permettant à peine de financer les engagements de l’État ; et de fait, l’AFITF a dû renoncer au troisième appel à projets « Transports collectifs ».

Ma dernière question porte sur les sociétés d’autoroutes et le plan de relance autoroutier dans lequel l’Autorité de la concurrence voit une occasion historique de renégocier les contrats. Êtes-vous favorable, monsieur le secrétaire d’État, à cette renégociation voire, le cas échéant, à la dénonciation de ces contrats, ainsi que certains membres du Gouvernement l’ont évoqué ? Êtes-vous bien défavorable à la prolongation des concessions des sociétés d’autoroutes ? Tout le monde reconnaît, ici, que la privatisation des sociétés d’autoroutes était une erreur ; or, prolonger les concessions reviendrait à prolonger l’erreur.

M. Philippe Duron. La redevance poids lourds, nous en sommes tous conscients, était une idée intéressante qui allait au-delà de la tarification des infrastructures routières. Elle encourageait l’optimisation de la charge et aurait peut-être permis, ultérieurement, une modulation du trafic en fonction de la congestion ou de la pollution. Elle présentait toutefois certains inconvénients. Le système de répercussion n’était pas convaincant et avait dû être renégocié dans des conditions difficiles ; ce fut sans doute l’une des raisons de l’échec du dispositif. Un autre inconvénient tenait à l’étroitesse de l’assiette et au coût de perception, que beaucoup jugeaient excessivement élevé.

Je remercie le Gouvernement d’avoir fait preuve de réalisme et de réactivité : il a su trouver les moyens de refinancer l’AFITF à un niveau suffisant pour 2015. Je dirai à Eva Sas qu’il ne faut pas confondre l’année 2014 et l’année 2015. En 2014 nous avons ponctionné le fonds de roulement alors que pour 2015 nous disposons de recettes nouvelles qui alimenteront le budget de l’AFITF. Cependant, Bertrand Pancher et Eva Sas l’ont rappelé, la commission Mobilité 21 avait suggéré deux scénarios, et M. Jean-Marc Ayrault avait adopté celui à 2,5 milliards d’euros. Nous sommes par conséquent encore loin d’un optimum de financement.

Vous avancez, monsieur le secrétaire d’État, des pistes nouvelles pour faire face à ces besoins, comme la création d’une vignette. C’est une idée qui a du sens, et qui est relativement simple. Quels contours envisagez-vous pour cette vignette, quelles recettes prévisionnelles pourrait-on en attendre ? Seront-elles de même niveau que les recettes attendues de la TICPE et que la taxe gazole sur les poids lourds ? Enfin, seront-elles affectées à l’AFITF ou au budget général ? Dans ce dernier cas, nous aurions le même inconvénient que par le passé : nous retomberions dans les incertitudes de l’annualité budgétaire.

Mme Martine Lignières-Cassou. Je ne partage pas l’avis qui semble ici majoritaire déplorant l’abandon de l’écotaxe. On a en effet trop mélangé le moyen et la fin. Or, l’objectif que nous poursuivons tous est de donner les moyens à l’AFITF de réaliser les infrastructures routières, ferroviaires, d’aider les collectivités à moderniser leur réseau de transports – voilà le but.

Je ne suis pas choquée que l’on augmente le prix du diesel : pour l’heure, c’est une forme de subvention et l’on ne pourra pas assurer de transition écologique tant que perdureront les subventions aux énergies fossiles. On s’est trompé en appelant la taxe sur les poids lourds « écotaxe ». C’était une taxe d’usage, une taxe juste mais en aucun cas ce n’était une taxe écologique. L’augmentation du prix du diesel me paraît être davantage écologique, quant à elle, parce que, encore une fois, elle revient à alléger des subventions aux énergies fossiles, et nous en aurons besoin pour la transition écologique.

Je partage en revanche l’avis de tous mes collègues sur le fait que l’AFITF a besoin de financements dédiés afin d’être assurée d’une visibilité et d’une stabilité. Au-delà de l’annualité budgétaire, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite, comme mes collègues, que vous fixiez ce cap à l’AFITF.

M. Christophe Castaner. J’insisterai pour ma part sur l’importance de la décision du Gouvernement de suspendre l’écotaxe et d’empêcher un blocus annoncé. La situation économique justifiait cette mesure même si elle a pu paraître brutale. Il est important de rappeler que la discussion reste ouverte. Comme Mme Ségolène Royal, monsieur le secrétaire d’État, vous avez repris l’idée d’une vignette pour les poids lourds, étrangers dans un premier temps, peut-être avec une assiette plus large ensuite. M. Michel Sapin a été amené à préciser les conditions particulières de la réalisation de ce projet.

C’est sur ces modalités de mise en œuvre que je souhaite vous interroger. Comment faire en sorte que cette vignette ne gêne pas trop l’économie des transporteurs nationaux que nous devons accompagner et qui pourraient se trouver pénalisés, notamment lorsque leur activité reste circonscrite à l’intérieur de nos frontières ? Ensuite, quel serait le produit de cette mesure et quelle serait son affectation définitive ? Plus généralement, pour finir, comment pensez-vous qu’on puisse nourrir l’ambition d’une fiscalité écologique sans se heurter à l’écueil de l’écologie punitive – cet argument est en effet trop souvent mis en avant alors que des mesures fiscales sont nécessaires pour que nous puissions accompagner la transition écologique dont nous avons besoin ?

M. Thomas Thévenoud. Je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur les conséquences éventuelles de l’abandon de l’écotaxe sur la route Centre Europe Atlantique – RCEA –, route nationale à fort transit européen et l’une des plus dangereuses, des plus meurtrières de France. Le conseil général de Saône-et-Loire avait prévu d’attribuer les 3 millions d’euros de recettes de l’écotaxe qu’il devait percevoir chaque année, à la modernisation de la RCEA. Or, ces 3 millions, l’équivalent de 10 % du budget des routes du département, sont aujourd’hui perdus.

Deuxième conséquence éventuelle : le plan de relance et de modernisation de la RCEA annoncé par votre prédécesseur, M. Frédéric Cuvillier, prévoyait 440 millions d’euros sur onze ans. Quelle est la valeur de l’engagement de l’État ? Les travaux ont commencé cet été. Seront-ils poursuivis dans les années à venir ?

Enfin, l’abandon de l’écotaxe suscite une certaine inquiétude à propos du plan de relance autoroutier, Eva Sas y a fait allusion : nous ne savons pas vraiment où nous en sommes. Deux tronçons de la RCEA, du côté de Mâcon, dans ma circonscription, mais aussi du côté de Montmarault, dans l’Allier, étaient concernés par ce plan. Les acteurs économiques, les transporteurs routiers comptent sur ces travaux. C’est pourquoi je souhaite vous entendre, monsieur le secrétaire d’État, sur cette question importante pour le département que je représente.

M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, les hausses du prix du gazole prévues par le projet de loi de finances pour 2015 vont-elles se poursuivre les prochaines années ? Envisagez-vous de prendre des mesures de redressement de la compétitivité du transport routier français, qui s’effondre littéralement ? Nous ne représentons plus qu’à peine un tiers des parts de marché dans ce secteur contre plus de 60 % il y a vingt-cinq ans. Envisagez-vous un plan d’ensemble et pas seulement des mesures ponctuelles ?

Dans mon département, à côté de Châlons, se trouve la déviation de Chepy, sur la RN 44. On a construit deux ponts, achevés l’année dernière. On devait construire le troisième cette année et, l’année suivante, la bande de roulement. Tout est interrompu. 25 000 véhicules par jour passent sur la RN 44 ; et il y a ces deux superbes ponts. Que dit le peuple ? Que nous sommes en Union soviétique : on construit des ponts, rien ne passe ni dessus ni dessous… C’est fou ! Va-t-on enfin reprendre les travaux de la déviation de Chepy ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je répondrai à Martine Lignières-Cassou concernant l’éco-redevance. Deux principes étaient appliqués : le principe utilisateur-payeur, puisque l’on payait en fonction du nombre de kilomètres parcourus, et le principe pollueur-payeur, puisque le montant de l’éco-redevance était fonction de la norme Euro des véhicules. Si demain nous décidons de remplacer l’écotaxe par une vignette, ce ne sera pas du tout la même chose : les objectifs poursuivis ne sont pas du tout les mêmes.

En ce qui concerne cette vignette, monsieur le secrétaire d’État, avez-vous vérifié auprès des autorités de Bruxelles qu’il est bien possible de la mettre en place sans remettre en cause les péages payés par les poids lourds sur les autoroutes ? D’après ce qu’on nous a affirmé, une double taxation était jusqu’à présent impossible : si l’on mettait en place une vignette, il faudrait compenser aux transporteurs routiers les péages acquittés sur les autoroutes, ce qui représenterait tout de même une somme non négligeable de l’ordre de 2,4 milliards d’euros.

M. le secrétaire d’État. Comme plusieurs de ses collègues, M. Caullet m’a interrogé sur le financement de l’AFITF et sur les objectifs poursuivis au-delà de 2015. Le Gouvernement s’engage à assurer le financement des opérations de l’AFITF à hauteur de 1,9 milliard d’euros pour les années 2015, 2016 et 2017 dans le cadre d’un programme triennal garantissant les ressources de l’Agence – quand bien même ce niveau peut évidemment être discuté.

La question de la vignette a été abordée par plusieurs d’entre vous. Lorsque nous avons décidé la suspension sine die de l’écotaxe poids lourds, nous avons, avec la ministre de l’Écologie, discuté avec les transporteurs et leur avons déclaré que le principe de leur participation était maintenu. Il fallait par conséquent trouver d’abord une solution pour le budget de 2015, ensuite une solution pérenne. La solution retenue pour 2015, à savoir l’augmentation de 4 centimes de la taxe sur le gazole pour les transporteurs, peut se décomposer de la manière suivante : 2 centimes au titre du droit commun – ce qui était le moins dans la mesure où les véhicules légers étaient d’ores et déjà taxés dans le cadre du projet de loi de finances –, et 2 centimes qui correspondaient initialement à une compensation attribuée dans le cadre de la partie climat-énergie de la TICPE, le péage transit étant alors sur le point d’être mis en place. Ensuite, nous avons décidé ensemble de trouver une solution pérenne. La question – à laquelle je ne sais pas répondre aujourd’hui – est de savoir quelle est la part que les camions étrangers paieront au titre de l’augmentation de la taxe sur le gazole. Nous tâchons d’établir des statistiques, mais ce sera difficile et leur crédibilité ne sera pas évidente. En tout état de cause, l’objectif n’est pas de ne faire payer, je le rappelle, que les camions étrangers – le droit communautaire ne le permettrait pas –, mais bien de trouver une assiette permettant aussi aux camions étrangers de payer. Cette idée me paraît juste et si l’on trouve un système grâce auquel, à rendement équivalent, les camions étrangers en transit participent davantage, il sera retenu.

Parmi les pistes évoquées figure celle de la vignette. La profession des transporteurs est, vous le savez, très partagée. Cette idée est avancée par une organisation minoritaire, tandis que la plus importante s’interroge ; elle n’a en tout cas jamais manifesté d’enthousiasme particulier. Il est nécessaire d’expertiser toutes ces solutions ; c’est tout le sens du groupe de travail que j’ai mis en place. Nous aurons une réunion sur le sujet dès le mois de décembre.

Pour l’heure, l’idée du Gouvernement consiste à trouver une recette de substitution pérenne à l’augmentation de 4 centimes, car les deux solutions ne sont pas cumulatives. Je souhaite donc que la discussion que nous avons engagée aboutisse au mois de juin 2015 pour que nous puissions prendre des décisions budgétaires effectives pour 2016. Ce calendrier et ces objectifs sont partagés par les transporteurs. Notre but est donc d’obtenir des transporteurs une participation à hauteur de 350 millions d’euros par an, équivalent de la recette nette, aujourd’hui, dégagée par l’augmentation de 4 centimes de la taxe sur le gazole.

Vos questions relatives à la société Ecomouv’ ont porté sur le délai au terme duquel le débat sera clos, puis sur le montant de l’indemnisation éventuelle, enfin sur la situation des salariés.

Je ne suis évidemment pas en mesure de répondre à la question de savoir quand le débat sera clos. C’est un procès d’intention, monsieur Pancher, que de penser que la stratégie du Gouvernement consiste à faire traîner la procédure pour éventuellement faire payer l’addition par d’autres… Au demeurant, qui peut dire quand viendra le jour où ces « autres » viendraient au pouvoir ? Reconnaissez que cette perspective peut être très lointaine, et donc qu’une telle stratégie serait très aléatoire ! Nous sommes dans une phase de négociation, il ne faut pas ignorer les arguments juridiques invoqués de part et d’autre et chacun ici sait bien que les échanges sont confidentiels et peuvent déboucher aussi bien sur une procédure que sur une décision acceptée par les deux parties. En tout état de cause, on aurait tort d’y voir une stratégie d’évitement.

M. Chevrollier a mis en parallèle la réussite du dispositif en Allemagne et son échec en France, dans lequel il voit la marque de fabrique de l’impéritie du Gouvernement. En la matière, celui-ci s’est efforcé d’appliquer la loi et a pris les textes nécessaires à cette fin, alors même que le contrat avait été signé par d’autres ; il a respecté la parole de l’État. Et lorsque se sont produits des troubles – considérables – à l’ordre public, je n’ai pas eu le sentiment que ceux qui, aujourd’hui, nous reprochent notre attitude nous aient alors apporté un appui déterminé au point de faire basculer le rapport de force et de retrouver dans la société l’unanimité qui s’était dégagée parmi les députés au moment du vote de la loi.

Mme Eva Sas. Exactement !

M. le secrétaire d’État. Je le regrette ; peut-être faut-il y voir une faille dans nos comportements collectifs. Aurions-nous fait la même chose dans la situation inverse ? Peut-être. Reste que l’unité de la représentation nationale, acquise sur le principe au moment du vote de la loi, n’était plus au rendez-vous quand il s’est agi pour nous de l’appliquer. Certains étaient même en première ligne des manifestations et de la contestation dans les médias.

M. Bertrand Pancher. Ils étaient aussi bien à gauche qu’à droite.

M. François-Michel Lambert. Beaucoup plus à droite !

M. le secrétaire d’État. Effectivement, plus d’un côté, m’a-t-il semblé… Je tenais en tout cas, monsieur Chevrollier, à rappeler le contexte car vous avez employé des mots assez durs. Nous avons donc essayé d’appliquer la loi et nous avons été confrontés à des situations difficiles : au moment de la mise en œuvre du péage mais aussi de la formule plus restreinte du transit poids lourds, des mouvements très durs s’annonçaient.

Aussi la réflexion sur les causes de la situation actuelle ne saurait-elle se limiter à une appréciation basique sur l’impéritie du Gouvernement. Dès le début, dans cette affaire, il y avait des éléments porteurs de difficultés. Approuvez-vous donc l’idée, vous qui êtes un libéral affiché, que le législateur s’immisce dans les rapports contractuels pour expliquer aux transporteurs que, de toute façon, ce n’était pas eux qui allaient payer, mais les chargeurs ? Personne en tout cas n’avait compris cela au moment du vote de la loi. Mais c’est bien ce qui a fait l’unité sur le terrain ensuite, lorsque le producteur de légumes de tel ou tel endroit s’est aperçu que sa facture de transport augmenterait de 7 à 8 % à cause de l’écotaxe. J’ignore si l’on peut parler d’impéritie à propos de ceux qui ont conçu ce système, je serai beaucoup plus modéré, mais avouez que ce n’était pas forcément une idée de génie…

M. Pancher également a tenu quelques propos un peu politiciens sur Mme la ministre de l’Écologie. Lorsque nous avons dû prendre la décision de suspendre l’écotaxe, nous étions dans une situation très difficile, je le répète, à quelques jours d’une mobilisation qui pouvait à nouveau bloquer la France et qui n’aurait pas été sans lourdes conséquences économiques. La ministre – j’étais à ses côtés – a écouté les transporteurs, et elle a pris, en accord avec le Premier ministre, la décision nécessaire pour sortir de cette difficulté.

Vous me demandez qui va payer. Pour l’heure, je n’accrédite aucune thèse. Nous sommes dans une discussion juridique, notre responsabilité est de défendre les intérêts de l’État et donc, au-delà, les intérêts des contribuables. L’argument exposé dans la lettre de résiliation consiste à considérer que, certes, dans la décision du Conseil constitutionnel de 2003, il est possible pour l’État de confier ce type de mission à une entreprise privée, mais à la condition que l’État ait lui-même écarté toutes les autres possibilités juridiques envisageables pour justifier du recours exceptionnel à cette méthode. Le sentiment de professeurs de droit entendus par la commission d’enquête du Sénat est qu’il n’apparaît nulle part que l’État ait écarté, arguments explicites à l’appui, les autres solutions, notamment l’opportunité du double contrat qui pouvait s’imposer à la lecture de la décision du Conseil. Ce débat est honorable, sur le plan juridique, et nous entendons le mener au mieux des intérêts de l’État.

M. Lambert m’a demandé où en était la procédure judiciaire en insistant lui-même sur le respect de la séparation des pouvoirs… La réponse était donc dans sa question et je m’en tiendrai là !

En ce qui concerne le schéma directeur logistique national, vous avez raison, monsieur le député, de nous inciter à reprendre le travail. Et c’est bien la nécessité d’avoir une vision à moyen et long terme – ce principe en tout cas figure dans la loi – qui fait partiellement défaut aujourd’hui.

Pour ce qui est du sort des portiques, nous sommes dans une phase de réflexion. Je rappelle, non à l’attention des députés ici présents, mais parce qu’il m’arrive de lire à ce propos des considérations confuses, que ces installations n’ont qu’une fonction de contrôle et pas de télépéage. De nombreuses pistes de réflexion existent quant à leur réutilisation et je ne peux en accréditer aucune à ce stade.

M. Bertrand Pancher. Nous voilà bien avancés !

M. le secrétaire d’État. Le projet de loi de finances pour 2015, madame Sas, ne prévoit évidemment pas de crédits destinés à indemniser Ecomouv’. La question de leur imputation ne se posera que si une indemnisation apparaît inévitable.

M. Savary a eu raison de revenir sur le passé : il est tout de même singulier d’avoir pris un décret d’application de l’écotaxe en mai 2012… La période en tout cas est singulière, et l’on conçoit que cela puisse continuer à nourrir quelques réflexions.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur l’avenir des personnels. Pour ce qui est des douaniers, la question est celle d’une réaffectation et non de statut ou de maintien de l’emploi. Le débat se poursuit sur le sujet au sein du Gouvernement. Pour ce qui est des salariés d’Ecoumouv’ en revanche, du fait de la résiliation du contrat, le plan social est plus qu’une hypothèse, mais seule la société Ecomouv’ peut le mettre en œuvre ; mais si l’État n’est pas leur employeur, il a en l’occurrence reconnu une responsabilité particulière dans cette situation. J’ajoute que l’État est prêt à honorer les considérations particulières pour les salariés figurant dans le protocole qui avait été signé. Un travail de proximité est en cours pour trouver une solution avec les salariés, qui ont déjà été reçus à deux reprises, et les élus de l’agglomération de Metz.

Monsieur Favennec, le Gouvernement répondra à vos espoirs : dans le contrat de plan, comme je vous l’ai déjà annoncé, figureront bien les stipulations prévues et les sommes que vous avez vous-même évoquées.

Je confirme à M. Duron que l’idée est bien de garantir la somme de 1,9 milliard d’euros et des recettes pérennes fléchées vers l’AFITF.

Mme Lignières-Cassou a fait une observation qu’au fond je partage : un dispositif qui revient en fait à subventionner les énergies fossiles n’est pas ce qu’on peut souhaiter de mieux pour accélérer la transition énergétique.

M. Castaner est intervenu sur l’idée qu’il ne faudrait pas pénaliser les transporteurs. Nous n’avons pas de crainte de ce genre : le principe même de la participation des transporteurs ne fait pas débat. Cela rejoint la question de M. de Courson sur l’existence ou non d’un plan d’avenir. Dans le cadre de la discussion que nous avons engagée avec les transporteurs au sein du groupe de travail que nous avons mis en place, nous réfléchissons bien sûr à la formule de substitution à l’écotaxe, mais aussi à toutes les autres questions qui concernent la filière. Ajoutons qu’une augmentation de 4 centimes du prix du gazole n’est pas de nature à créer une distorsion de concurrence pénalisante pour les transporteurs français. À ce jour, compte tenu de l’augmentation de 4 centimes, le prix du litre de gazole est, hors TVA, de 1,06 euro en France, contre 1,16 euro aux Pays-Bas, 1,15 euro en Allemagne, 1,10 euro en Italie, 1,06 euro en Espagne et au Portugal, 1,03 euro en Belgique et 1,01 euro au Luxembourg. Cela peut effectivement présenter un risque ici ou là, mais pas au point de créer de véritables distorsions de concurrence.

Peut-être n’ai-je pas répondu à certaines questions très particulières ; je vous remercie en tout cas, messieurs les présidents, de m’avoir permis de m’exprimer sur ce sujet qui sollicite beaucoup mes services.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d’État. Nous aurons très certainement l’occasion de vous entendre une prochaine fois pour vous interroger encore sur ces dossiers qui ne manqueront pas d’évoluer.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 18 novembre 2014 à 11 h 30

Présents. - M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. François-Michel Lambert, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Yves Nicolin, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Gilles Savary, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Stéphane Demilly, Mme Françoise Dubois, M. Christian Jacob, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville

Assistait également à la réunion. - M. Xavier Breton