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Mercredi 10 décembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Présentation, ouverte à la presse, du rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris (MM. Yves Albarello et Alexis Bachelay, rapporteurs)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a présenté le rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris (MM. Yves Albarello et Alexis Bachelay, rapporteurs).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Avant d’aborder le sujet qui nous réunit ce matin, je donne la parole à M. Martial Saddier qui a souhaité s’exprimer.

M. Martial Saddier. La semaine dernière, tous les grands quotidiens ont consacré des pages entières au problème de la qualité de l’air, en particulier à Paris, et présenté des informations scientifiques sur l’origine des émissions de particules fines. Je suis abasourdi par le manque de sérieux des propos tenus hier sur ce sujet par Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, alors même qu’elle s’apprêtait à s’envoler pour le Pérou où doit se dérouler la conférence sur le climat de Lima (COP 20). « J’ai été moi-même très surprise, surtout des chiffres qui ont été utilisés, a-t-elle indiqué. On nous a fait croire que les feux de cheminée polluaient plus que les voitures diesel ». Comment une ministre de la République peut-elle se permettre, en 2014, de remettre en cause des faits scientifiques établis ainsi que le travail des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA), organismes scientifiques indépendants ? Il s’agit d’un manque de sérieux sans précédent concernant un sujet extrêmement grave relatif à la santé publique. C’est aussi une nouvelle reculade, comparable à celle qui a eu lieu sur la taxe poids lourds.

Je m’étonne aussi que Mme Ségolène Royal reprenne à son compte l’idée du « fonds air bois » déjà mis en place dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie. Dans son projet de loi relatif à la transition énergétique, elle n’avait pourtant pas voulu généraliser cette initiative, prise sous une autre majorité, pour laquelle l’attribution de fonds de l’État avait été obtenue grâce à l’un de ses prédécesseurs, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, puis confirmée par Mme Delphine Batho !

Monsieur le président, j’estime qu’il serait bon que Mme Ségolène Royal vienne s’expliquer devant notre commission et devant le Parlement sur ce sujet qui concerne la santé publique et qui fait l’objet d’un contentieux entre notre pays et l’Union européenne.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous en venons maintenant à notre ordre du jour. En juillet 2012, notre commission a créé une mission d’information afin d’assurer le suivi de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, dont M. Yves Albarello et M. Alexis Bachelay sont les deux corapporteurs. Après nous avoir présenté un rapport d’étape le 3 juillet 2013, ils sont parvenus au terme de leurs travaux et nous présentent aujourd’hui leurs conclusions.

M. Yves Albarello, corapporteur. Le Grand Paris, projet d’une complexité inédite, constitue un enjeu national, et doit permettre de résoudre trois problèmes majeurs de la capitale et de l’Île-de-France : la saturation du réseau de transport, le nombre insuffisant de logements, et les difficultés que rencontre la « ville éclatée ». Le Grand Paris est aujourd’hui une réalité : le premier coup de pioche a été donné au mois de juin dernier pour le prolongement jusqu’à Mairie de Saint-Ouen de la ligne 14 qui doit, à terme, constituer l’épine dorsale du projet en s’étendant du nord au sud, de Saint-Denis-Pleyel à l’aéroport international d’Orly.

Deux annonces sont venues récemment donner une nouvelle impulsion au Grand Paris. D’une part, le Président de la République a confirmé, lundi dernier, alors que M. Jean-Christophe Fromantin et M. Bruno Le Roux lui présentaient le rapport de la mission d’information de notre assemblée sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025, que notre pays déposerait un dossier auprès du Bureau international des expositions (BIE). Or il faut savoir que le volet transport du Grand Paris et la liaison « Charles-de-Gaulle Express » sont des conditions sine qua non pour obtenir les faveurs du BIE. D’autre part, le Premier ministre a annoncé la concrétisation du Grand Paris dans une communication du 13 octobre 2014.

À ce jour, pratiquement tous les décrets nécessaires à l’application de la loi du 3 juin 2010 ont été publiés sauf celui qui concerne son article 13 relatif aux modalités du versement par les établissements publics d’aménagement d’une participation à la Société du Grand Paris.

Le syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) et la Société du Grand Paris (SGP) sont les deux acteurs principaux d’une gouvernance complexe en matière de réseaux de transport.

Présidé par M. Jean-Paul Huchon, président de la région, le STIF, autorité organisatrice des transports de tout le territoire, Transilien compris, dispose d’un budget de 5,4 milliards d’euros alimenté par le versement transport (VT) à hauteur de 3,6 milliards, et par des subventions provenant de la région et des départements franciliens. L’État et la région ont conclu, le 26 janvier 2011, un accord « historique » sur la mise en œuvre du projet de rocade par métro. Ils ont confié au STIF la maîtrise d’ouvrage de la « ligne orange » qui correspond désormais au tronçon de la ligne 15 allant de Saint-Denis-Pleyel à Champigny, couplé au prolongement de la ligne 11 jusqu’à Noisy-Champs.

La SGP est un établissement public industriel et commercial de l’État dont le directoire est présidé par M. Philippe Yvin, et le conseil de surveillance par M. André Santini – ce conseil comprend le président du conseil régional, le maire de Paris, les sept présidents des conseils généraux concernés, et des représentants de l’État. La SGP a pour mission d’élaborer le schéma de transport, d’acquérir le matériel, et de mettre en place les infrastructures qui seront à terme transférées au STIF. Elle peut également conduire des opérations d’aménagement et de construction.

La SGP bénéficie de trois recettes fiscales affectées : une part de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) ; une taxe spéciale d’équipement, taxe additionnelle aux taxes locales – taxe d’habitation, taxes sur le foncier, cotisation foncière des entreprises –, et une part de la taxe locale sur les bureaux. En 2013, le produit de ces recettes était respectivement de 60, 117 et 168 millions d’euros. En 2014, les recettes prévisionnelles de la SGP s’élèvent à 530 millions d’euros, avec un produit attendu de la taxe sur les bureaux de 350 millions d’euros en raison de la suppression du prélèvement effectué préalablement au profit de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). La loi de 2010 prévoit également que l’État dote le capital de la SGP à hauteur de 4 milliards d’euros afin que cette dernière puisse lever des emprunts sur les marchés financiers et recevoir les participations des aménageurs.

Selon le rapport d'activité de la SGP pour l'année 2013, et suite aux annonces faites le 6 mars 2013 par le Premier ministre de l'époque, M. Jean-Marc Ayrault, relatives au Nouveau Grand Paris, les dépenses à la charge de la SGP à l’horizon 2030 devraient s'élever, compte tenu du périmètre de sa maîtrise d'ouvrage, à 25,525 milliards d'euros. Ce montant comprend 22,625 milliards d'euros pour la réalisation des nouvelles lignes 15, 16, 17 et 18, et les prolongements de la ligne 14 au nord, de Mairie de Saint-Ouen jusqu'à Saint-Denis-Pleyel, et au sud ; 450 millions d'euros de contribution au financement du prolongement de la ligne 14 au nord de Saint-Lazare jusqu'à Mairie de Saint-Ouen ; 2 milliards d’euros de contribution au financement d’opérations du plan de mobilisation sur la période 2013-2017, et 450 millions d'euros pour l’adaptation des réseaux existants.

Entièrement souterrain, le premier tronçon de trente-trois kilomètres du Grand Paris Express – la partie sud de la ligne 15 entre Pont de Sèvres et Noisy-Champs – devrait être lancé en 2015 pour un montant de 5,286 milliards d’euros. Pour son financement, la SGP a déposé un dossier auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) afin d’obtenir un prêt de 1 milliard d’euros.

La coordination entre STIF et SGP s’est améliorée depuis les conflits de 2010, notamment grâce à l’introduction du plan de mobilisation pour les transports en Île-de-France qui a joué un rôle fédérateur.

Les six lignes du Grand Paris Express se composent de quatre nouvelles lignes, et du prolongement des lignes 14 et 11 déjà en service.

La sécurité du Grand Paris Express est évidemment une préoccupation partagée par tous les acteurs. Elle comporte trois volets, relatifs à la sécurité du système de transport, à la sécurité civile dans les gares et les trains, et à la sécurité publique du réseau. En la matière, la répartition des compétences « à la française » est évidemment particulièrement complexe : le préfet de police est responsable en surface à Paris, les préfets le sont dans les départements, mais les réseaux souterrains relèvent de la police des transports. Pour tenter une coordination, une convention de coopération a été signée en septembre 2013 entre le préfet de région, le préfet de police, et les sept préfets de département.

Le 19 juillet 2013, un protocole de financement État-région Île-de-France a permis de doter le plan de mobilisation de 7 milliards d’euros de crédits d’engagement et de 6 milliards d’euros de crédits de paiement sur la période 2013-2017. Pour compléter ce financement, le Premier ministre s’est engagé, le 13 octobre dernier, au versement par l’État de 1,4 milliard d’euros sur la période 2015-2020 dans le cadre du volet « transports » du contrat de projets État-région.

La desserte des aéroports constituait un maillon manquant : il est essentiel de relier correctement nos aéroports à la capitale et au reste d’un pays classé première destination touristique mondiale. L’aéroport d’Orly deviendra, au sud, le terminus de la ligne 14 prolongée, au nord, jusqu’à Saint-Denis-Pleyel, ainsi que le terminus de la ligne 18. La gare « Orly » du Grand Paris se situera entre les deux terminaux de l’aéroport.

L’aéroport Charles-de-Gaulle, aujourd’hui deuxième aéroport européen, pourrait un jour dépasser celui de Londres-Heathrow. Nous ne pouvons pas nous contenter de n’offrir aux touristes qu’une liaison avec la capitale par le RER et ses multiples correspondances, ou par l’autoroute A1, saturée et sale. Un premier projet de liaison « Charles-de-Gaulle Express » (CDG Express) engagé en 2006 au profit d’un groupement dirigé par Vinci, désigné comme concessionnaire pressenti, a été abandonné à la fin de l’année 2011. En novembre dernier, le Premier ministre a nommé M. Vincent Pourquery de Boisserin, ingénieur général des ponts, des eaux et forêts, coordonnateur interministériel pour le CDG Express. Au mois de juin, une société avait été créée entre Aéroports de Paris (ADP) et Réseau ferré de France (RFF), dotée d’un capital de 12 millions d’euros, afin d’étudier la faisabilité d’une ligne dédiée et directe entre l’aéroport et la gare de l’Est. D’un montant de 1,6 milliard d’euros, ce projet pourrait être financé pour 20 % par ADP, ce qui permettrait de lever un emprunt notamment grâce à la Banque européenne d’investissement (BEI). Je rappelle que le CDG Express a aussi été retenu pour bénéficier des financements du plan Juncker. Le calendrier prévisionnel de réalisation prévoit un démarrage des travaux en 2017 pour une mise en service à la fin de l’année 2023, sachant que l’Expo aurait lieu en 2025.

Vos deux rapporteurs estiment qu’il est essentiel de conserver une place pour les autres modes de transports. Le Grand Paris ne doit pas être unimodal. Le raccordement du Grand Paris Express au réseau routier et autoroutier doit être pertinent. Il faut ouvrir des parcs relais près des gares, adapter les trajets des lignes de bus, et synchroniser l’ensemble des horaires, ce qui n’est pas une mince affaire. Le développement des lignes de bus doit aussi passer par un « verdissement » des véhicules. La RATP a lancé une étude afin que, d’ici à 2025, tous les bus de la région parisienne soient à « zéro émission carbone ».

L’article 2 de la loi du 3 juin 2010 dispose que les grands ports maritimes du Havre et de Rouen « constituent la façade maritime du Grand Paris ». Il s’agit de créer un Grand Paris jusqu’à la mer. Un groupement d’intérêt économique, HAROPA, a été créé en janvier 2012 entre les ports du Havre, de Rouen et de Paris, et l’objectif est de mettre en place, d’ici à la fin de l’année, un schéma stratégique d’aménagement et de développement de la vallée de la Seine à horizon 2030. Sur cette base sera conclu un contrat de plan interrégional État-régions pour la période 2015-2020. En avril 2013, le Gouvernement a désigné un délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, M. François Philizot, qui préside un comité directeur comprenant un préfet coordonnateur et les présidents des conseils régionaux des trois régions concernées.

M. Alexis Bachelay, corapporteur. La deuxième partie de notre rapport d'information est relative aux gares du Grand Paris.

L'Île-de-France compte actuellement 383 gares pour le Transilien, 65 gares RER-métro, 300 stations de métro, 6 gares parisiennes et 3 gares TGV en grande couronne – Roissy, Massy et Marne-la-Vallée. La mise en œuvre du Nouveau Grand Paris comportera un volet « gares » composé de 72 gares sur les 200 kilomètres du futur réseau – 69 seront nouvelles, et il y en aura même au total 73 si une gare de la ligne 18 est implantée à Saint-Quentin-Université. Ces gares cristallisent tous les défis du Grand Paris : le défi du nouveau réseau qui doit s'articuler avec celui déjà en service, le défi de l'évolution des mobilités en Île-de-France et du développement indispensable de l'intermodalité, les enjeux fonciers et d'aménagement urbain, les défis techniques, et les problèmes de gouvernance.

La localisation des gares fait aujourd'hui consensus. Elle a été confirmée en 2011 lors de l'accord entre l'État et la région puis, le 6 mars 2013, par le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault. Les rapporteurs notent toutefois que la question des dimensionnements est loin d'être tranchée. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont par ailleurs amenés à nous demander si l’intermodalité était suffisamment prise en compte par les projets et les acteurs. Si l'objectif est clairement reconnu par tous, le bilan que nous tirons des auditions est plutôt mitigé. Chacun reconnaît la complexité du problème, liée au grand nombre d'acteurs impliqués : STIF, SGP, collectivités, SNCF, RATP et RFF. Il nous est, en conséquence, apparu indispensable que le STIF monte en compétence sur ce dossier afin de coordonner l'ensemble des enjeux de mobilité. Par sa dimension transversale, il est le plus à même d'affronter les tensions, pour ne pas dire les « dissensions » qui persistent entre la SGP et les acteurs du dossier. Nous avons insisté sur la nécessité pour tous de trouver les moyens de coopérer, notamment grâce à des outils juridiques nouveaux à caractère contractuel. Dans un univers techniquement et juridiquement complexe, alors que chacun cherche à faire financer par l'autre le plus de dépenses possible, il est nécessaire d'optimiser les flux de transport, notamment ceux en provenance de la grande couronne, qui pourront bénéficier du réseau du Grand Paris grâce à l'intermodalité.

La troisième partie de notre rapport est principalement consacrée à l'insertion du réseau dans le tissu urbain et dans l'aménagement du territoire. La loi du 3 juin 2010 a créé les contrats de développement territorial (CDT). Ces contrats sui generis, outils de planification et de programmation, sont, au niveau local, de véritables projets stratégiques de territoire. Ces CDT sont nécessairement élaborés autour de chacune des gares du Grand Paris, mais, au-delà, de nombreux territoires ont fait le choix de cette contractualisation. Vous trouverez un bilan de l’état d’avancement de ces CDT dans notre rapport d'information : neuf projets ont déjà abouti, et cinq autres ont été validés. La quasi-totalité des personnes auditionnées a porté une appréciation positive sur cet outil juridique. La question des financements est toutefois posée car, si les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions, il existe un risque que ces projets restent lettres mortes. La Caisse des dépôts et consignations ainsi que d’autres acteurs pourraient jouer un rôle en la matière.

Notre rapport d'information traite également du volet « logement » de la loi du 3 juin 2010 dont l’article 1er posait « l'objectif de construire chaque année 70 000 logements géographiquement et socialement adaptés en Île-de-France ». Cet objectif est plus ambitieux que celui fixé par le projet de schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) de 2008, qui prévoyait la construction de 60 000 logements par an sur la période 2008-2030. À ce jour, ils n’ont pas été atteints. Notre rapport compare, département par département, la construction moyenne sur la période 2001-2011 aux objectifs annuels de production, autrement dit « territorialisation de l'objectif logement » (TOL), sachant que la sous-production de logements a plutôt eu tendance à s'aggraver après 2011. À Paris, durant cette période, le rythme annuel de construction s'est élevé à 2 931 unités alors que l'objectif TOL est fixé à 4 500. Dans les Hauts-de-Seine comme en Seine-Saint-Denis, l’objectif TOL prévoit la livraison de 11 600 logements alors que seulement 5 333 ont été produits dans l'un, et 5 312 dans l'autre. L'insuffisance de l'offre de logements a motivé le lancement par le Premier ministre, le 13 octobre dernier, d'un plan de mobilisation pour l'aménagement et le logement en Île-de-France. Parmi les mesures proposées, je retiens la création d'une opération d'intérêt national (OIN) dite « multisites », la création de Grand Paris Aménagement en remplacement de l'Agence foncière et technique de la région Île-de-France pour piloter l'OIN, la mise en place de l'Établissement public foncier d'Île-de-France, fusionnant les quatre établissements existants, des mobilisations spécifiques pour un certain nombre de projets, et une aide de l'État aux maires bâtisseurs.

Nul ne sait aujourd'hui si ces mesures suffiront à atteindre les objectifs fixés. Il est en revanche certain que « l'effet levier » du Grand Paris pourrait être considérable, notamment autour des gares. En additionnant les périmètres se situant dans un rayon de 400 mètres autour de soixante-neuf nouvelles gares du Grand Paris Express – ce qui exclut les trois stations intermédiaires de la ligne 11 entre Rosny-Bois-Perrier et Noisy-Champs –, nous obtenons un territoire de 138 kilomètres carrés qui est plus vaste que les 105 kilomètres carrés de Paris intramuros. Cela donne la mesure de l'enjeu que constitue la création d'un nouveau réseau et de nouvelles gares pour répondre à la crise du logement.

Le creusement des futurs tunnels posera des problèmes de servitude en tréfonds qui sont réglés par la création, dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, d'une servitude d'utilité publique dérogatoire s'appliquant à partir de quinze mètres en dessous du sol naturel. Sans cette disposition, la SGP aurait dû demander plus de huit cents expropriations en sous-sol, avec tous les risques juridiques que cela aurait comporté en termes de contentieux.

M. Yves Albarello, corapporteur. Nous consacrons la dernière partie de notre rapport à l'environnement. Je rappelle que la loi du 3 juin 2010, votée avant le Grenelle 2 de l'environnement, a fait de l'évaluation environnementale un élément déterminant des décisions relatives aux infrastructures de transport. Elle prévoit la consultation de l'Autorité environnementale sur le projet de schéma d'ensemble du réseau de transport, et rend obligatoire l’évaluation environnementale dans chaque dossier d'enquête publique des projets d'infrastructure. La SGP a ainsi été amenée à modifier son dossier d’enquête publique relatif à la ligne 15 sud suite à un avis critique émis par l’Autorité environnementale en 2012.

Le problème de la gestion des déchets de chantier est complexe. Un projet de plan régional de prévention et de gestion des déchets de chantier du bâtiment et des travaux publics (PREDEC), approuvé par le conseil régional, prévoit un moratoire sur le stockage des déblais. Les travaux du Grand Paris pourraient produire entre 60 et 80 millions de tonnes de déblais qu'il faudra bien gérer localement. En effet, nous sommes tous partisans de l'économie circulaire : il n'est donc pas question d'exporter dans d'autres régions les déchets du Grand Paris. Nos auditions nous amènent cependant à constater que la région ne dispose pas de suffisamment de capacités de stockage pour entreposer les terres excavées par les tunneliers. En la matière, la Seine-et-Marne, qui couvre la moitié de la région, prend largement sa part, mais tous les départements ne jouent pas le jeu. Nous avons saisi par courrier le président de la SGP pour attirer son attention sur le sujet.

La présence massive de gypse dans le sous-sol francilien pose un autre problème important. Les terres sulfatées sont en effet polluantes pour les nappes phréatiques. Ce danger est bien réel, et nous ne savons pas où ces terres pourraient être stockées aujourd'hui. En tout état de cause, nous ne souhaitons pas que les entreprises adjudicataires gèrent seules les exutoires de déchets et choisissent par exemple, comme cela se produit trop souvent, de pratiquer des exhaussements de terrain de moins de deux mètres sur des terres agricoles. Certains acteurs n'hésitent pas à opter pour le dépôt sauvage plutôt que pour le stockage dans les lieux dédiés mais coûteux – les installations de stockage des déchets inertes (ISDI) ou les installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND). Ces gougnafiers sont de véritables bandits qui font du trafic de déchets et polluent la région parisienne.

Le Grand Paris ne pourra être un projet vertueux que si une réflexion est menée pour limiter les déplacements de déchets et le bilan carbone qui en résulte.

Il faudra également tirer parti des déblais excavés pour combler le déficit structurel de matériaux de construction en Île-de-France. Nous avons envisagé de saisir le président Jean-Paul Chanteguet afin que notre commission organise une table ronde sur la question des filières de recyclage car nous avons été très surpris de constater que ces matériaux n'étaient pas utilisés. Les chantiers des grandes infrastructures ne s'adressent malheureusement pas aux grandes centrales de recyclage.

Il est aussi impératif d'encourager les innovations dans le domaine du recyclage. Demain, des solutions innovantes permettront de diviser par trois les rotations de camions derrière un tunnelier en réduisant le volume des déblais.

Le Grand Paris, ce sont aussi des enjeux énergétiques. L'Île-de-France ne produit aujourd'hui que 10 à 11 % de l'énergie qu'elle consomme, et ses besoins vont considérablement augmenter. En 2030, le niveau de consommation d'électricité aura progressé de 30 % par rapport à l'année 2011, soit l'équivalent du double de la croissance tendancielle, uniquement du fait du déploiement du Grand Paris. Les besoins électriques supplémentaires liés à la dynamique du Grand Paris sont estimés à 2 200 mégawatts à la pointe du soir.

Plusieurs facteurs « énergivores » contribueront en effet à une augmentation significative des besoins électriques. Il faudra compter avec la dynamique démographique et les 1,4 million d'habitants supplémentaires vivant sur le territoire francilien, mais aussi alimenter le réseau du Grand Paris Express ainsi que les 500 000 mètres carrés de data centers qui s'implanteront demain dans l'enceinte du Grand Paris.

Pour répondre à ces besoins et inscrire le Grand Paris dans la transition énergétique, nous devrons développer les énergies renouvelables. L'Île-de-France a la chance d’être l'une des régions françaises les plus propices à la production d'énergie géothermale. Il faudra développer des réseaux de chaleur et rendre par exemple obligatoire le chauffage des nouvelles gares grâce à cette énergie. Les CDT devront également favoriser le recours à la géothermie. L’Île-de-France présente aussi un potentiel important pour la production de biogaz par méthanisation des déchets organiques, ce gaz pouvant également servir à l'alimentation des réseaux de chaleur ou d'électricité, ou comme carburant.

Vos rapporteurs sont convaincus que l'intégration de la transition énergétique par tous les acteurs du Grand Paris est une condition de sa réussite en termes de qualité de vie comme de rayonnement international.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Avant de laisser s’exprimer les orateurs inscrits, je donne la parole aux représentants des groupes politiques.

M. Jean-Yves Caullet. Votre rapport d’information regorge de prétextes qui auraient pu inciter les uns ou les autres à s’arrêter en chemin, mais malgré cela, le Grand Paris progresse quelle que soit la majorité en place. C’est une fierté car cela démontre que notre pays peut porter de grands projets malgré les difficultés conjoncturelles qu’il rencontre. C’est un exemple, car cela prouve que nous sommes capables de fédérer des énergies. C’est un espoir, car des projets de même ampleur pourraient naître dans d’autres domaines et bénéficier de la même façon d’un soutien politique dans la continuité.

Le contrôle parlementaire est essentiel à la stabilité du processus de convergence à l’œuvre. Compte tenu de la dispersion possible des intérêts et des problématiques, il est fondamental que le Parlement, dans son rôle de représentation générale du peuple, conduise ce projet avec les divers acteurs. J’espère que de futures missions d’information de notre commission viendront régulièrement faire le point sur l’avancée du projet.

La desserte aéroportuaire de l’Île-de-France ne concerne pas une seule région mais la France entière. En tant qu’élu de province, je considère que la question touche tout le pays qui utilise ces infrastructures.

L’intermodalité constitue le meilleur moyen d’optimiser les équipements nouveaux, de leur donner un impact maximal, et d’étendre leur zone d’influence.

Pourra-t-on déterminer les zones d’habitat ou d’activité qui se rapprocheront les unes des autres dans le futur grâce aux infrastructures du Grand Paris ? Si l’on traçait ces schémas « isochrones », je suis persuadé qu’ils dépasseraient largement les frontières du Grand Paris.

Je veux souligner l’importance du pôle scientifique et technologique de Paris-Saclay. Il est parfois difficile pour ceux qui sont pourtant tournés vers l’avenir, au cœur de la recherche, de renoncer aux lieux anciens. Ce projet progresse et son succès est lié à celui des nouvelles infrastructures.

Nous constatons aujourd’hui que naissent, dans un rayon de 300 kilomètres autour de la capitale, des projets d’extension ou de création de carrières, explicitement motivés par les besoins des chantiers d’infrastructures de la région Île-de-France. Il est impératif que nous menions une réflexion globale sur les matériaux, sur les filières de recyclage, et sur les méthodes de construction économes en ressources nouvelles. Il est inenvisageable qu’un rapport de subordination s’installe entre le Grand Paris et le reste de notre pays, que ce soit pour ce qui concerne la fourniture des matériaux ou le stockage des déchets. Il sera sans doute utile de discuter de ces questions avec des interlocuteurs extérieurs à la région Île-de-France.

M. Jacques Alain Bénisti. Les deux rapporteurs ont parfaitement pointé les problèmes et les dysfonctionnements qui pourront contrarier les objectifs de mise en service du Grand Paris Express. Je pense notamment au tronçon reliant Pont de Sèvres à Noisy-Champs, dont l’ouverture est prévue pour 2020.

Les gares d’interconnexion entre le Grand Paris Express et les RER, les métros et les trains sont prévues par la loi depuis plus de quatre ans, mais l’insuffisante coordination entre les divers partenaires risque d’entraîner des retards dommageables au projet. RFF a très clairement annoncé que les délais prévus pour l’ouverture des gares d’interconnexion ne seront pas tenus et que leur mise en service pourrait être repoussée de trois ans. Les études déjà engagées ont également pris du retard, ce qui aura pour conséquence de freiner l’avancée du projet.

Par essence, le projet du Grand Paris vise au développement des grands sites universitaires et au développement économique créateur d’emplois. Les 138 kilomètres carrés évoqués par M. Alexis Bachelay ne sauraient donc être destinés au logement. Il s’agira d’ailleurs aussi d’opérer un rééquilibrage entre l’ouest parisien, où se trouvent les entreprises, et l’est, où se concentrent les habitants.

Par ailleurs peut-être vaudrait-il mieux parler en mètres cubes pour mesurer les déblais résultant des travaux du Grand Paris Express. Il a été proposé que ces millions de mètres cubes soient évacués par le train et par la voie fluviale. La SGP a déjà consenti un effort considérable puisqu’il est prévu que 50 % des déblais seront transportés par voie ferrée. Notre commission devrait cependant insister pour que cette proportion passe à 80 %.

Je partage l’avis de nos rapporteurs concernant la géothermie qui pourrait alimenter les sites situés autour des gares.

M. Jean-Christophe Fromantin. Je remercie M. Yves Albarello d’avoir évoqué la candidature française à l’Exposition universelle de 2025, dont le dossier sera déposé en 2016, ainsi que le Président de la République l’a indiqué avant-hier lorsque nous lui avons remis le rapport de la mission d’information consacrée à ce sujet. Cette échéance exige que certains arbitrages soient rendus de façon urgente car notre dossier de candidature ne sera crédible que s’il comporte des réponses en termes de mobilité aux enjeux d’une Exposition universelle qui se construirait de façon polycentrique autour de plusieurs sites.

Le projet de Grand Paris me pousse à m’interroger sur la gouvernance des territoires. Au début de l’année prochaine, l’Assemblée aura à débattre des compétences territoriales lors de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « NOTRE », qui traitera notamment des intercommunalités et de leur articulation avec la métropole du Grand Paris. J’entends parler de gares, de CDT, d’objectifs de construction de logements. Certes, mais sans gouvernance politique, le risque de dissymétrie est grand. Comment imaginer que des CDT ne correspondent pas à des intercommunalités de proximité ? Est-il seulement envisageable qu’aucune cohérence territoriale n’existe entre une gare, un CDT et une intercommunalité ? Il semblerait logique que les intercommunalités épousent les territoires de projets, et que les problématiques ne soient pas traitées de manière isolée. Les rapporteurs ont-ils déjà amorcé une réflexion sur ce sujet ? Ont-ils prévu une suite à leur travail visant à faire converger les diverses gouvernances et les perspectives de projets tant en matière de transport que de logement ?

M. Jacques Krabal. Il n'est qu'à revenir aux chiffres pour se faire une idée du cadre de ce dont nous discutons ce matin. Nous sommes appelés à repenser l'aménagement d'un territoire qui génère près du tiers du PIB français, peuplé de 12 millions d'habitants, et où 8,5 millions de voyageurs empruntant quotidiennement les transports en commun. L’Île-de-France concentre 40 % du trafic national qui a progressé de 21 % en dix ans dans la région alors qu’il n’augmentait que de 10 % sur l’ensemble du réseau du pays.

Si ces chiffres donnent le vertige, la modernisation de l'existant et la part faite à l'innovation, notamment en ce qui concerne les interconnexions et l'interopérabilité, sont des enjeux capitaux en termes de qualité de vie pour les Franciliens et pour tous ceux qui seront amenés à transiter par ce réseau. Sont en jeu, la compétitivité globale dans le cadre de la mondialisation, et donc l’attractivité territoriale de tous les espaces géographiques concernés. L'intérêt est donc francilien et national, avec des objectifs globaux qui intègrent les problématiques environnementales et les exigences déterminées dans le cadre de la transition énergétique.

Si l’on ne peut qu’être satisfait des diverses avancées déjà enregistrées, je m’interroge toutefois sur les significations à donner à l'absence de présentation de l’état d'application de la loi du 3 juin 2010.

Mes questions seront simples. Existe-t-il à ce jour un état précis du montant des capitaux nécessaires pour entreprendre le projet déterminé dans la loi ? Qu'en est-il du contour et de l'architecture du réseau de transport de fret ferroviaire ?

L’article 1er de la loi de 2010 prévoit que le « réseau de transport est étroitement interconnecté avec le réseau préexistant […] ». Il précise : « Il doit permettre des liaisons plus rapides et plus fiables avec chacune des régions de la France continentale et éviter les engorgements que constituent les transits par la région d'Île-de-France. » Comment se fera l’interconnexion entre le nouveau réseau et l’ancien ? Existe-t-il déjà une carte précise ? Qu’en est-il des acteurs engagés et des financements ?

Le projet Charles-de-Gaulle Express est une nécessité, M. Jean-Yves Caullet l’a dit. Cela est également vrai des connexions avec l’aéroport d’Orly.

Dans ma circonscription de Château-Thierry, 5 000 personnes fréquentent le réseau qui les amène soit à la gare de l’Est soit à la gare du Nord. Vous comprendrez que je m’interroge sur la suite des événements. Les régions ou départements limitrophes du Grand Paris, comme la Picardie ou l’Aisne, seront-ils associés aux réflexions menées sur ce grand projet ? Nous espérons ne pas en être réduits comme le rat des champs à une invitation fort civile à déjeuner.

Mme Catherine Quéré. Rat des champs moi-même, j’avoue que le Grand Paris, très éloigné de ma circonscription, m’a longtemps laissée un peu indifférente. Toutefois après avoir participé à la mission d’information de notre assemblée sur la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025, j’ai pris conscience de l’importance de ce projet.

Vous nous avez distribué un document rédigé par la SGP qui comporte un calendrier des « horizons de mises en services » des diverses lignes du Grand Paris Express. Les délais annoncés seront-ils tenus ? Êtes-vous optimistes ? La candidature de la France pour l’organisation de l’exposition universelle n’aurait pas de sens sans l’existence d’une liaison entre l’aéroport Charles-de-Gaulle et le centre de Paris.

M. Jacques Kossowski. En 2013, près de soixante-deux millions de passagers ont transité par l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Une grande partie d’entre eux a dû se rendre à Paris dans des conditions difficiles car la ligne B du RER et les autoroutes A1 et A3 sont aujourd’hui saturées. Afin de préserver la compétitivité et l’attractivité de la capitale, la réalisation du projet CDG Express, qui mettra le centre-ville à vingt minutes du hub de Roissy, semble indispensable, de même que la liaison avec l’aéroport d’Orly. Il est urgent d’agir. Pouvez-vous nous donner des éléments précis sur l’état d’avancement de ces projets ?

M. Yannick Favennec. Dans le projet de rapport d’information qui nous a été distribué, les rapporteurs souhaitent, concernant l’enjeu majeur de l’interopérabilité, que la « répartition du financement des interconnexions, encore inconnue à ce jour, fasse l’objet de clarification, par exemple en incluant dans le volet “mobilité” du prochain contrat de projets État-région Île-de-France une enveloppe affectée à ce sujet ». Savent-ils où en sont les négociations sur le sujet ? Quel serait selon eux le montant idéal de ces financements ?

M. Philippe Duron. Il est essentiel que le Parlement suive de près les paramètres financiers du projet pour éviter une dérive de l’endettement de la SGP – comparable à celle de la dette de RFF –, ou les problèmes de coût de fonctionnement que pourrait connaître le STIF. Le coût global du projet atteint 43 milliards d’euros si l’on prend en compte le Grand Paris Express pour 28 milliards, et le plan de mobilisation pour les transports pour 17 milliards. La SGP sera amenée à rembourser un emprunt durant quarante ans, soit jusqu’en 2070. Il pourrait être judicieux de sanctuariser les recettes déjà affectées à la SGP, et d’envisager la création d’une recette nouvelle au-delà de 2020 pour pallier l’éventualité d’une insuffisance des ressources.

En matière de financement, nous avons abordé le coût des infrastructures mais très peu évoqué les matériels alors qu’ils nécessiteront de dépenser environ 6,5 milliards pour faire fonctionner l’ensemble des réseaux. Les coûts d’exploitation supplémentaires à la charge du STIF, qui sont estimés à 750 millions d’euros par an, ne doivent pas non plus être oubliés.

Le contrôle est un élément essentiel pour que le projet parvienne à son terme. L’évolution du Grand Paris doit faire régulièrement l’objet d’un suivi.

M. Claude de Ganay. Le projet du Grand Paris a déjà malheureusement pris un certain retard. La métropole du Grand Paris représente à elle seule un tiers du PIB national et irrigue économiquement de nombreux territoires limitrophes, comme le département du Loiret où je suis élu. Il faut donc impulser une nouvelle dynamique à une mécanique qui semble parfois manquer d’un pilote unique et d’une organisation plus centralisée en mesure de conduire les discussions avec les nombreux partenaires du projet et avec les élus locaux. Il est indispensable que l’État assume davantage son rôle dans le pilotage du projet en nommant un secrétaire d’État au Grand Paris, comme cela avait été le cas sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy. Rattaché au ministère de l’économie, plutôt qu’à celui des transports, ce secrétariat d’État disposerait des outils nécessaires pour agir efficacement et orienter les décrets encore nécessaires. Que pensez-vous de cette idée ?

M. Guillaume Chevrollier. La croissance du parc immobilier prévue grâce à la construction de logements autour des nouvelles gares du Grand Paris Express risque de se faire au détriment du parc ancien. Comment faciliter les restructurations, ou les démolitions et les reconstructions, pour renouveler le parc au lieu de privilégier uniquement la construction ? Comment prévoir un développement équilibré des zones entourant les soixante-douze gares du Grand Paris Express, et adapter la capacité des projets par rapport à la demande future ? Ces enjeux conditionnent la réussite d’un projet qui doit être l’occasion de refonder l’urbanisme grâce à des opérations mixtes habitat-travail dans une logique de développement durable.

M. David Douillet. Nos rapporteurs ont-ils une idée de la part que représenteraient les investissements privés, et en particulier ceux venant de l’étranger, dans l’investissement total nécessaire au Grand Paris ? Je pense aussi aux logements, aux entreprises et aux commerces liés au projet.

Où en est-on à ce jour, sur le plan juridique et fiscal, de la mise en place de la métropole du Grand Paris ?

M. Jean-Pierre Vigier. Le Grand Paris, projet ambitieux et utile, combine développement économique et développement durable. La question de son financement a toujours été au cœur des débats. Ses modalités semblent toujours en partie incertaines. Pensez-vous que nous finirons par avoir les moyens de nos ambitions tout en évitant, ce qui est essentiel, que le contribuable ne soit amené à mettre la main au portefeuille ?

Mme Valérie Lacroute. Ma circonscription n’est pas concernée par le tracé du Grand Paris Express ; j’espère qu’elle ne le sera pas non plus par les déchets du chantier.

La prochaine décision du STIF de fixer un tarif unique de 70 euros pour la carte Navigo m’inquiète car ce choix réduira les possibilités d’investissement du STIF et pèsera sur la qualité des services, la régularité, et les éventuels achats de trains supplémentaires utiles à la connexion entre les communes de grande couronne et Paris.

La loi de 2010 a confié la maîtrise d’ouvrage des lignes, ouvrages et installations à la SGP tout en précisant dans son article 20 que la gestion technique relèvera de la RATP. Il me semble nécessaire de clarifier le rôle de chacun en termes de gestion technique au moment où le STIF s’apprête à lancer des consultations pour rechercher de futurs exploitants des infrastructures.

M. Laurent Furst. Quel plaisir de voir ce matin l’œcuménisme politique conjugué au talent !

Parler du Grand Paris, c’est jongler avec les milliards d’euros. Pour ma part, je n'oublie pas que notre pays a 2 000 milliards d’euros de dettes, et que l’argent qui est aujourd’hui quasiment gratuit pourrait ne plus l’être demain. Il suffirait que les taux d’intérêt réels remontent un peu pour que la résolution de notre équation budgétaire devienne extraordinairement difficile. L’optimisme à l’égard des grands projets d’infrastructure doit donc être pondéré par la conscience que la situation que je viens de décrire peut survenir à n’importe quel moment.

Il me semble que le projet du Grand Paris, qui permettra de créer autour des nouvelles gares un territoire attractif plus étendu que ne l’est Paris intra-muros et d’accueillir 1,4 million d’habitants supplémentaires, pose une question à toute la nation. Aujourd’hui, tout ce qui fait la vie du pays est déjà concentré dans une véritable agglomération-monde au détriment des régions françaises. Or il me semble que ce projet renforce la centralisation et la concentration de la sève de la nation autour d’une seule agglomération sans que la question de l’équilibre entre le centre et les régions ne soit posée.

Le projet met manifestement en place des structures permettant les déplacements en rocade, mais l’augmentation considérable de la population en périphérie, pèsera aussi considérablement sur les liaisons vers un centre qui restera très attractif. Le profane que je suis s’interroge sur les dépenses qu’il faudra nécessairement engager à terme pour renforcer également le réseau en étoile forcément sollicité par les 1,4 million nouveaux habitants du Grand Paris.

Je soutiens ce projet remarquable mais je ne suis pas certain de la pertinence de l’organisation institutionnelle dans laquelle il se développe. On parle souvent du millefeuille administratif ; avec le Grand Paris, il s’agirait plutôt d’un dix mille feuilles !

M. Yves Albarello, corapporteur. Monsieur Jean-Yves Caullet, vous avez raison : l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle est bien la porte d’entrée de la France entière. Le réseau de transport du Grand Paris doit donc être interconnecté, notamment avec les lignes TGV de façon à ce qu’il irrigue tout le pays.

Le plateau de Saclay qui concentrera la science et le savoir français sera desservi par la ligne 18. Peut-être aurait-il été souhaitable que la mise en service de cette ligne s’effectue plus tôt. Il reste qu’elle est bien retenue dans le projet, et que ce territoire connaîtra un fort développement grâce à l’implantation d’entreprises et d’établissements d’enseignement supérieur.

Sans le contrôle parlementaire et le travail de suivi permis par la révision constitutionnelle de 2008, on pourrait par exemple craindre que les filières de recyclage de l’économie circulaire en restent au stade du discours. Nous sommes heureux d’avoir souligné l’importance de ce problème, et nous resterons vigilants sur ce sujet. Monsieur Philippe Duron, afin de surveiller l’évolution de la dette de la SGP, j’espère qu’un rapport d’information suivra celui-ci, et celui que nous avions déjà présenté lors de la législature précédente avec Mme Annick Lepetit.

Monsieur Jacques Krabal, vous nous avez interrogés sur le financement du projet. Sur ce sujet, je rends hommage à M. Gilles Carrez qui est à l’origine de l’affection à la SGP d’un certain nombre de recettes fiscales : l’IFER, la taxe sur les bureaux, et la taxe spéciale d’équipement. Les recettes ne sont actuellement pas toutes dépensées : elles permettront de lever l’emprunt sur le premier tronçon du Grand Paris Express qui sera complété par un prêt de la BEI.

N'oublions pas que nos prédécesseurs se sont posé les mêmes questions que les nôtres quand il a fallu investir pour les expositions universelles du tournant du XXsiècle ou construire le métro parisien. Gustave Eiffel a dû avoir bien du mal à imposer sa tour pourtant devenue le monument le plus visité du monde ! Devons-nous aujourd’hui nous arrêter dans notre élan alors même que l’économie de la France et celle de l’Europe souffrent de sous-investissement ? Nous avons l’opportunité extraordinaire de relancer notre économie ; nous ne devons pas avoir peur. Faudrait-il ne rien faire ?

M. Laurent Furst. Je n’ai pas dit cela !

M. Yves Albarello, corapporteur. Cette relance créera à terme 800 000 emplois, elle attirera 1,4 million de nouveaux Franciliens, et générera 1,2 % de PIB supplémentaire. Nous ne pouvons pas y renoncer. Nous devons tous y croire pour atteindre notre but ensemble.

Il est clair que Grand Paris ne pourra être un succès que si nous réussissons l’interopérabilité. Le nouveau réseau en rocade sera évidemment relié au réseau en étoile actuel.

Monsieur David Douillet, le montant des retombées économiques du projet est estimé à 70 milliards d’euros. C’est énorme !

Monsieur Jacques Kossowski, la liaison avec Orly s’effectuera grâce à la ligne 14 à l’horizon 2024. Les ingénieurs de la DATAR ont imaginé avec Roissy-Charles-de-Gaulle une magnifique plateforme aéroportuaire que les voyageurs ne parviennent pourtant ni à quitter ni à rallier simplement par le rail ou la route. Le Gouvernement a manifestement pris les choses en main afin d’améliorer l’accessibilité de l’aéroport grâce au CDG Express. M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, qui défend le tourisme avec acharnement, m’a confirmé il y a deux semaines le soutien apporté à cette infrastructure. Les travaux devraient commencer en 2017 pour une mise en service à la fin de 2023, et coûter 1,645 milliard d’euros.

M. Alexis Bachelay, corapporteur. Plusieurs questions ont été posées concernant le calendrier du projet. Je ne suis pas certain que l’on puisse aujourd’hui parler de retards, mais le risque que l’on rencontre des difficultés pour tenir tous les délais annoncés existe bien. Les retards sont le lot commun des projets d’infrastructures moins ambitieux : ils ne peuvent donc être catégoriquement exclus concernant un programme d’une telle ampleur, d’autant plus qu’il doit être mené dans des zones très denses tant en termes d’habitat que d’activité. Ce sujet constitue évidemment un enjeu majeur pour la SGP qui nous a fait part à plusieurs reprises de ces inquiétudes – j’ai déjà évoqué par exemple la question des tréfonds. Il nous paraît légitime que l’État prenne ses responsabilités, et fasse tout ce qui est en son pouvoir pour que le calendrier de ce projet exceptionnel soit respecté.

L’annonce par la RATP du report de 2017 à 2019 de la mise en service de la prolongation de la ligne 14 vers la Mairie de Saint-Ouen, premier projet du Grand Paris, constitue un réel motif d’inquiétude. Le législateur et le Gouvernement doivent rester à l’écoute de la SGP afin de l’aider à tenir les délais annoncés.

En matière d’interopérabilité, nous n’en restons pas aux vœux pieux, et nous mettons en avant des propositions. Nous suggérons par exemple que les financements non encore prévus soient inclus dans le prochain contrat de projets État-région au titre du volet « mobilité ». Le préfet de région a déjà son mandat de négociation. La SGP devrait fournir 30 % du financement nécessaire à l’aménagement des correspondances des gares du réseau Grand Paris. Il s’agit là d’un autre acte fort.

L’article 20 de la loi du 3 juin 2010 fait de la RATP le futur gestionnaire technique des infrastructures du Grand Paris Express. Les opérateurs qui aujourd’hui ne sont pas présents sur le marché francilien considèrent que la loi crée ainsi un risque de monopole de fait s’étendant à l’exploitation ; ils s’en sont ouverts aux rapporteurs. Sachant que la RATP s’engage dans la conquête de marchés extérieurs en France ou à l’international, le maintien d’un monopole sur son marché domestique pourrait devenir difficile. Il appartiendra au législateur de faire éventuellement évoluer les textes sur ce point.

Loin de moi l’idée de ne construire que des logements autour des nouvelles gares du Grand Paris. Si un rééquilibrage est-ouest semble indispensable, la construction de logements sera partout nécessaire, et nous devrons éviter que ne se créent, autour de certaines gares, des territoires sans logements, uniquement consacrés à l’activité économique. L’équilibre entre habitat et activité doit concerner chacun des sites. Évidemment, il faudra aussi veiller à la mixité sociale et urbaine car nous savons que la proximité des gares renchérit les prix de l’immobilier.

En 2010, il s’agissait d’abord de dresser la carte d’un réseau de transport autour duquel se construiraient des CDT assurant la cohérence de l’aménagement de l’ensemble. À l’époque, la réforme territoriale, l’émergence générale des métropoles, et les débats que nous connaissons aujourd’hui sur la gouvernance des territoires et celle du cœur de l’Île-de-France n’étaient pas d’actualité. Aujourd’hui, les élus ont constaté des dysfonctionnements et une dilution des responsabilités liée tant à l’empilement et à la multiplicité des niveaux de responsabilité qu’au rôle de l’État. L’enchevêtrement des compétences et l’accumulation des intervenants épuisent désormais les acteurs, y compris les élus locaux, dès lors qu’il faut porter le moindre projet en dehors de l’espace communal désormais trop restreint. Vos rapporteurs n’apportent évidemment pas de réponses à ces problèmes. Il me semble que notre commission pourrait toutefois travailler sur le rôle des métropoles et sur leur développement qui ne se fait pas nécessairement au détriment des territoires. Désormais, il n’y a plus de « désert français » derrière Paris et les métropoles.

Il reste que Paris fait partie des cinq ou six cents aires urbaines qui pèseront dans la mondialisation et dans l’univers connecté de l’avenir. Il nous appartient de lui donner les moyens de rayonner car les métropoles-monde concurrentes vont de l’avant. Le Grand Paris n’est donc pas un problème franco-français ; il constitue aussi un enjeu majeur d’attractivité.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie vivement les rapporteurs pour la qualité de leur rapport ainsi que ceux qui les ont accompagnés dans leur travail. La Commission continuera évidemment de suivre le dossier du Grand Paris dont les dimensions transport, logement, et environnement la concerne au premier chef. Nous sommes également prêts à organiser des tables rondes thématiques comme cela a été suggéré par nos rapporteurs.

La Commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 10 décembre 2014 à 9 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Yves Nicolin, M. Robert Olive, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Philippe Martin, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, Mme Suzanne Tallard

Assistait également à la réunion. - M. Philippe Noguès