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Mercredi 28 janvier 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Christophe Bouillon Vice-Président, de Mme Elisabeth Guigou, Présidente de la Commission des affaires étrangères, et de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission des affaires européennes

– Réunion, non ouverte à la presse, conjointe avec la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes, avec Mme Hakima El-Haite, ministre déléguée chargée de l’environnement du Royaume du Maroc, sur la politique marocaine dans le domaine du développement durable, ses priorités pour la conférence Paris climat 2015 (COP 21) et la Présidence marocaine de la Conférence des parties de 2016 (COP 22)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes, se sont réunies avec Mme Hakima El-Haite, ministre déléguée chargée de l’environnement du Royaume du Maroc, sur la politique marocaine dans le domaine du développement durable, ses priorités pour la conférence Paris climat 2015 (COP 21) et la Présidence marocaine de la Conférence des parties de 2016 (COP 22).

La séance est ouverte à seize heures vingt.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous sommes très heureux d’accueillir Mme Hakima El-Haite, ministre déléguée chargée de l’environnement du Royaume du Maroc, pour une réunion fermée à la presse et commune avec la Commission du développement durable et la Commission des affaires européennes.

Merci, madame la ministre, d’avoir dégagé du temps lors de votre visite à Paris pour vous rendre devant nos Commissions. Nous espérons que cette audition nous permettra de mieux comprendre la façon dont le Maroc appréhende les enjeux de l’environnement et prépare à la fois le rendez-vous de la conférence sur le climat (COP21) qui se tiendra à Paris à la fin de cette année, et celui de 2016 au Maroc, votre pays ayant été désigné pour présider la COP22.

Nos trois Commissions sont très impliquées dans la préparation de ces conférences. Nous avons constitué un groupe de travail réunissant les députés spécialistes de ces sujets, pour faire tout ce qu’il est possible de faire au titre de la diplomatie parlementaire. Notre travail vise, dans un premier temps, à mieux comprendre les positions des pays parties.

Vous êtes vous-même, madame la ministre, une spécialiste de l’environnement, ce qui vous a permis d’exercer des responsabilités dans ce domaine. Vous avez été directrice générale de l’Agence urbaine de Fès, vous avez fondé une entreprise spécialisée dans l’ingénierie de l’environnement, et vous avez également eu des activités associatives.

Votre ministère joue un rôle clé dans la définition de la stratégie de développement durable au Maroc. Le Parlement marocain a adopté une loi-cadre qui doit déboucher sur un plan d’action concernant tous les secteurs de l’économie. Par ailleurs, votre pays a lancé un plan d’investissements verts, décliné en plans sectoriels.

Le Maroc est engagé depuis longtemps dans les négociations sur le climat. Il est signataire de la convention-cadre de 1992, a accueilli la COP7 à Marrakech en 2001, et a ratifié le protocole de Kyoto en 2002. Votre pays est par ailleurs un pont avec l’Afrique subsaharienne : votre influence en Afrique contribuera très certainement à l’élaboration d’un consensus au sein du groupe africain.

Je vous invite à présenter les actions conduites au Maroc dans le domaine du développement durable, vos objectifs, ainsi que votre évaluation des résultats de Lima et ce que vous attendez de la conférence de Paris.

Je suis particulièrement heureuse de vous recevoir car j’apprécie beaucoup votre action : vous êtes une de ces femmes marocaines qui font honneur à leur pays et aux femmes en général. À un moment où les relations bilatérales entre nos deux pays connaissent quelques difficultés, nous avons tous à cœur de les surmonter le plus rapidement possible.

Mme la présidente Danielle Auroi. Le Maroc est un partenaire majeur de la logique euro-méditerranéenne, si importante pour le dialogue Nord-Sud. Vous nous direz, Madame la ministre, ce que, vu du Maroc, on pense de l’Europe de l’énergie, cette nouvelle politique européenne, soixante ans après l’Europe du charbon et de l’acier, et en particulier de la logique d’interconnexion des réseaux en matière d’énergies renouvelables. Le Maroc est concerné par cette logique, dans la mesure où sa production d’électricité photovoltaïque est importante.

Vous participez activement, dans le cadre de l’Union de la Méditerranée, à la stratégie du développement urbain durable ou encore à la gestion durable de la ressource en eau. Pouvez-vous nous dire quelques mots de ces programmes, s’agissant du Maroc ?

Avec Christophe Bouillon et quelques autres, nous nous sommes rendus à Lima, où nous avons pu cerner la complexité des enjeux. Quelles sont vos priorités dans la lutte contre le changement climatique ? Selon vous, en quoi Paris doit être une étape essentielle pour permettre à la communauté internationale d’être plus solidaire avec les générations futures ? Que pensez, à cet égard, du Fonds vert ? Quelles autres formes d’incitation financière ou d’accès au financement verriez-vous pour les pays du Sud ?

M. Christophe Bouillon, vice-président. Depuis sa création, la Commission du développement durable suit les négociations internationales dans les domaines du climat et de la biodiversité, et nous avons délégué plusieurs de nos membres aux réunions interparlementaires qui se sont tenues dans le cadre de différentes négociations. Nous sommes particulièrement désireux de connaître la politique marocaine dans le domaine du développement durable, ainsi que vos priorités pour la conférence de Paris en décembre 2015, dans la mesure où la conférence des parties de 2016 sera présidée par le royaume du Maroc.

Nous souhaiterions tout particulièrement connaître les thèmes sur lesquels vous entendez mettre l’accent. Est-ce la question de la ressource en eau, celle de la désertification, celle de la gestion des déchets… ? Par ailleurs, quelles sont les conséquences économiques et sociales des changements climatiques au Maroc sur lesquelles vous comptez axer vos politiques d’adaptation et d’atténuation ?

Mme Hakima El-Haite, ministre déléguée chargée de l’environnement du Royaume du Maroc. Les relations entre nos deux pays sont structurelles, historiques, et j’espère que nous dépasserons rapidement les difficultés que vous avez évoquées, madame la présidente Élisabeth Guigou.

Le Maroc a engagé un processus d’adaptation au changement climatique dans les années soixante, alors que l’on ne parlait pas encore de changement climatique. C’est en effet à cette époque que le Maroc, parce qu’il connaissait des périodes de sécheresse récurrentes et qu’il arrivait que nos villes soient privées d’eau potable, a édifié les premiers barrages de la région. Pendant une décennie, notre pays a ainsi conduit une politique en vue de sécuriser son alimentation en eau potable. Nous avons compris par la même occasion que les bassins versants devaient être protégés, et nous sommes ainsi partis dans l’aventure de la reforestation, de la stabilisation des sols, afin de diminuer l’envasement des barrages. La culture du développement durable a tout d’abord existé chez nous en raison de besoins nationaux, pour répondre à des phénomènes naturels propres au Maroc.

Notre pays connaît une distribution irrégulière des précipitations, entre le Nord, où elles sont de 1 800 millimètres cubes par an, et le Sud, où elles sont de moins de soixante millimètres cubes. C’est ainsi que nous en sommes venus à la notion de plan national des ressources en eau. Ce plan s’est sophistiqué d’année en année, et l’alimentation en eau potable a ainsi pu être sécurisée. Alors que dans les années quatre-vingt-dix le taux d’alimentation en eau potable était inférieur à 30 %, il est de 100 % aujourd’hui. Sur cette politique de la ressource en eau, s’est ensuite greffée, pour assurer la sécurité alimentaire, une politique agricole, profitant elle-même des barrages.

Dans les années quatre-vingt-dix, le Maroc a connu une passe très difficile, avec un plan d’ajustement structurel. À partir de 2000, avec l’avènement de Sa Majesté le roi Mohammed VI, nous avons engagé une période de stratégies sectorielles. Il s’agit de stratégies ciblées, avec un objectif de rattrapage économique et social, dans un contexte où le potentiel en eau avait diminué, la facture énergétique avait été multipliée par quatre, les prix des denrées, du blé, du sucre, avaient augmenté. Face à la facture énergétique, une caisse de compensation avait été mise en place, mais une telle situation appelait d’autres solutions. À partir de 2003, nous avons donc commencé à cibler les stratégies. C’est ainsi qu’en dix années de règne, nous avons réalisé en termes d’indicateurs économiques et sociaux ce qui n’avait pu l’être en quarante ans : le PIB marocain a été multiplié par trois, le taux d’accès à l’eau potable est passé de 14 à 90 %, le taux d’électrification de 15 à 97,5 %, la pauvreté a diminué de moitié, passant de 17 à 8 %, l’extrême pauvreté a été pratiquement éliminée, le taux de scolarisation a augmenté…

Cette période d’accélération économique et sociale a eu – on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs – un impact important au plan environnemental. L’empreinte écologique a été significative, la biocapacité a diminué – une dégradation représentant un coût monétaire de près de 4 % du PIB. En même temps, la densification de la population, et sa concentration, à hauteur de 60 %, sur le littoral, de même que 90 % de l’industrie et 95 % du tourisme, engendrait d’énormes pressions.

Les lois environnementales ont commencé à voir le jour en 2003 avec la promulgation de la loi sur les études d’impact, qui impose à tous les projets, publics comme privés, une étude certifiant leur soutenabilité environnementale. Puis, le lancement de la charte nationale de l’environnement et du développement durable, en 2008, a donné lieu à l’intégration dans la nouvelle Constitution du Maroc en 2011 du droit à un environnement sain et au développement durable.

Les stratégies sectorielles concernent tout d’abord la politique de l’eau, sachant qu’est anticipé un déficit de 5 milliards de mètres cubes à l’horizon 2020. Il s’agit d’organiser la solidarité des régions et des agences marocaines au plan de la distribution et de la sécurisation de l’eau potable.

Le plan vert, ensuite, plan agricole lié à la politique de l’eau, vise à convertir les systèmes gravitaires d’irrigation en systèmes de goutte-à-goutte permettant d’économiser l’eau et en même temps d’intensifier la production. Ce plan traite également la question des pollutions par pesticides et autres.

La politique énergétique, initiée en 2010, est fondée sur l’objectif de 42 % d’énergies renouvelables – éolien, solaire et hydroélectricité – dans le mix énergétique marocain. Quand nous avons défini cette stratégie, les Marocains pensaient qu’elle était trop ambitieuse, que nous n’aurions pas les moyens d’atteindre cet objectif. Or nous sommes sur la bonne voie. Nous avons déjà réalisé une grande station d’énergie solaire à Ouarzazate, la première au monde, et nous avons lancé les deuxième et troisième étapes. Nous sommes en train de réaliser 500 gigawatts d’énergies renouvelables, et nous escomptons 2 000 gigawatts à l’horizon 2020.

Cette nouvelle tendance de la politique énergétique, entièrement durable, est elle-même une réponse à une problématique nationale, car nous étions dépendants à 97,5 % de l’extérieur pour notre consommation d’énergie. Cette facture pesait très lourd sur le budget de l’État, car celui-ci subventionnait l’énergie extérieure par une caisse de compensation, ce qui profitait aux industriels marocains mais aussi aux étrangers transportant des marchandises dans notre pays. Pendant des années, on se demandait comment mettre fin à ce système et aller vers des prix réels, sans affecter pour autant la couche sociale bénéficiant de la subvention du carburant.

Dans le cadre d’une nouvelle vision déclinée par la Constitution, a été promulguée, début 2014, une loi-cadre sur l’environnement et le développement durable, qui a posé trois principes majeurs : l’intégration de la protection de l’environnement dans toutes les politiques publiques et tous les projets de développement au plan national, l’intégration de la contrainte du changement climatique dans tous les projets, enfin la considération de la croissance verte comme une composante de la dynamique économique et industrielle marocaine. Les départements ministériels ont une année pour se mettre à jour et intégrer les exigences de cette stratégie. Des divisions ou directions ont été créées dans les ministères afin de mettre en œuvre ses recommandations et plans d’action.

Grâce à ce travail, nous avons été le premier pays à préparer un plan d’investissements verts, outil proposé à New York. C’est le « verdoiement » de toutes les politiques sectorielles, avec une convergence : les études ont en effet montré une perte de quatre points de PIB à cause du manque de convergence. Les départements ministériels ont constaté que cette stratégie permettait de réaliser des gains : si elle coûte 2 % à leurs budgets, les gains sont de 8 %. Je vous donne un exemple. Les exploitants agricoles du Maroc 95 % d’entre eux ont sont propriétaires de moins de cinq hectares , qui utilisaient du butane subventionné par l’État, ont été incités par une subvention à passer au pompage solaire. Ce projet a permis de réduire la subvention du butane, qui représentait 12 % des dépenses de la caisse de compensation. Ce sont des économies pour l’État. Il en va de même de la levée de la subvention sur les énergies fossiles : celle-ci avait perdu toute logique dans le contexte d’une stratégie de croissance verte. La question était posée depuis des années ; nous avons eu le courage de prendre la bonne décision.

En 2005 a été lancée l’initiative nationale de développement humain, en vue de réduire les ségrégations sociales et de faire en sorte que le développement économique ait un plus grand impact sur le social, mais elle a longtemps piétiné. Nous sommes aujourd’hui passés aux évaluations des politiques publiques, qui nous permettent de mesurer l’impact de la création de valeur ajoutée sur le social, tout en nous inscrivant dans une philosophie de croissance verte.

De même, si le chantier des déchets a longtemps accusé du retard, on ne parle plus aujourd’hui, au Maroc, de déchets : on parle de ressource. Nous sommes en train de créer des centres de valorisation de matière. Une dizaine de filières industrielles sont en cours de création, pour les déchets dangereux et non dangereux. Cela a permis d’entraîner le secteur privé dans des investissements importants, de créer de l’emploi, et l’État a pu se désengager de chantiers de traitement de déchets dangereux pour lesquels il n’avait pas de compétences.

Notre stratégie de développement durable nous coûtera 2 % du PIB mais elle permet des gains au plan national, ainsi que la création de 250 000 emplois à l’horizon 2020 grâce à l’économie circulaire.

Dans ma déclaration à Lima, j’ai dit que nous étions en train de préparer un accord à Paris. Il faut garder en mémoire que les enjeux des différents groupes de pays parties ne sont pas les mêmes. Au sein même du groupe auquel le Maroc appartient, le Groupe des 77 plus la Chine, les enjeux sont divers. La COP21 devrait être la conférence qui apporte une réponse gagnant-gagnant à toutes les parties prenantes. C’est certes difficile, mais nous avons gagné du terrain à Lima en parvenant à instaurer une répartition de 50 % des fonds pour les mesures d’atténuation et 50 % pour les mesures d’adaptation. Les pays africains, fortement menacés par les changements climatiques, et où se trouvent quarante des cinquante pays les plus pauvres du monde, perdent 8 % de terres chaque année. On ne peut fermer les yeux sur leur situation. Limiter le réchauffement à moins de deux degrés Celsius, c’est l’objectif ultime. Pour l’atteindre, les mesures d’atténuation, je vous l’accorde, sont prioritaires. Nous nous attendons à ce qu’à la conférence Paris les engagements des pays soient clairs et échelonnées dans le temps, ainsi que leurs participations financières, et que les apports au Fonds vert soient clarifiés : il ne s’agit pas de donations mais d’engagements des pays industrialisés.

L’exemple marocain peut montrer aux pays africains qu’il n’y a pas besoin de 100 % d’apport initial pour financer les mesures d’adaptation, qu’une petite participation suffit pour enclencher l’investissement privé. Le Maroc a prouvé que, moyennant un euro de financement, nous pouvons faire appel à cinq euros d’investissement privé. Cette expérience est importante car les pays africains peuvent se projeter dans le Maroc, alors qu’ils ne se projettent pas forcément dans la France ou d’autres pays industrialisés. La COP21 devra également clarifier les besoins. Tels qu’ils ont été estimés, ils démotivent les pays industrialisés, qui se disent en crise. En tout état de cause, il n’y a pas besoin de 100 % de financement, et le plan vert, le plan solaire marocains en sont les meilleurs exemples. Les filières industrielles créées au Maroc grâce à une petite contribution de l’État ont fait gagner de l’argent à celui-ci

De Paris dépendra la COP22 au Maroc. J’espère que les critères d’éligibilité au Fonds vert seront clarifiés. Pour le moment, nous savons qu’il y a quelques 10 milliards de dollars dans le Fonds, mais non comment ils seront répartis. On nous demande des intended nationally determined contributions (INDC) d’ici à mars, alors que les pays africains sont dans l’incapacité d’y pourvoir à cette date ; le Maroc, qui est prêt depuis un an déjà, se mobilise pour les aider.

Je suis confiante quant à la possibilité que les négociations à Paris aboutissent à un accord qui soit opérationnel. Je reste donc sur le plan A, supposant que Paris va réussir. Si ce n’est pas le cas, nous devrons revoir les accords. À Lima, j’ai dit que Varsovie était la COP des concertations, Paris celle des décisions, et que le Maroc serait celle de l’action : j’espère qu’il nous reviendra d’opérationnaliser les accords de Paris.

M. Jean-Pierre Dufau. Vous avez, madame la ministre, montré le pragmatisme avec lequel l’environnement a été pris en considération dans votre pays. Comme M. Jourdain faisait de la prose, vous avez commencé par faire de l’environnement sans le savoir, avant d’en prendre conscience et d’être monté en pointe avec un dispositif particulièrement intéressant, adapté à votre pays mais pouvant faire école. Cette adaptation pragmatique est un élément frappant de votre exposé. Partis du développement, vous avez traité l’ensemble des problèmes liés au développement : il n’y a ainsi pas d’opposition entre le développement et le respect de l’environnement. C’est la même logique, la même dynamique : on ne peut faire l’un sans l’autre.

Si vous allez contribuer largement, et même à titre exemplaire, à la conférence de Paris, vous privilégiez une approche selon des enjeux différenciés. Vous considérez que ce n’est pas la contrainte qui permettra de réussir, mais plutôt une dynamique permettant à chacun de participer, de faire ce qu’il peut comme il peut ; cette addition de bonnes volontés donnera un résultat global. En même temps, nous sommes obligés de nous fixer des objectifs : les scientifiques ont démontré que les deux degrés, par exemple, étaient incontournables. Il risque d’être difficile de concilier votre démarche, dont je partage la philosophie, avec les objectifs à atteindre.

Entendez-vous faire profiter de votre expertise les autres pays du continent africain, pour lesquels le Maroc peut être une tête de pont exemplaire dans ce domaine ?

M. Michel Destot. Le Maroc, comme tous les pays du monde, est touché par l’urbanisation, une urbanisation pas toujours maîtrisée qui est l’un des nœuds du problème du développement. Le plan national marocain prend-il en considération ce problème ? Nous voyons bien, dans certains pays africains, la difficulté de maîtriser le phénomène, de même que les dégâts de l’absence de maîtrise.

La dimension environnementale doit être liée au développement social et économique. Dans les relations entre nos deux pays, l’Agence française de développement (AFD) a souhaité développer cette dimension écologique. Quel bilan faites-vous de cette action ?

Ma dernière question rejoint celle de M. Dufau et concerne votre rôle de leader sur le continent africain. On ne peut imaginer que la COP réussisse si tous les continents ne s’engagent pas. Comment les pays africains vont-ils venir ensemble à Paris en décembre ?

Mme Catherine Quéré. Les citoyens marocains, madame la ministre, se sont-ils accaparés de façon positive la politique environnementale ? Y sont-ils réceptifs ? Par ailleurs, quels sont, en dehors des énergies renouvelables, les systèmes qui produisent de l’électricité au Maroc ? Quel est le pourcentage des énergies renouvelables ? Avez-vous mesuré l’empreinte carbone de votre pays ? Enfin, avez-vous une politique de tri des déchets ?

M. Yannick Favennec. Le changement climatique représente une grande menace pour la croissance et le développement durable en Afrique, continent qui contribue pourtant le moins aux émissions globales de gaz à effet de serre. L’Afrique est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique, notamment à cause de la dépendance des rendements de l’agriculture à la pluie, de la pauvreté et du manque d’infrastructures. Les effets du changement climatique réduction de la production agricole, détérioration de la sécurité alimentaire, incidence accrue des inondations et des sécheresses, propagation des maladies sont d’ores et déjà évidents. Des mesures urgentes doivent être prises pour réduire les niveaux d’émission et permettre à l’Afrique de s’adapter au changement climatique. Quelles sont, selon vous, les mesures les plus urgentes ?

Mme Hakima El-Haite. Le Maroc a engagé il y a quelques années une politique de coopération Sud-Sud. Notre pays est une porte vers l’Europe et connaît un important phénomène de migration depuis le Sahel. Les flux migratoires au Maroc dépassent les 100 000 personnes. Nous avons régularisé cette année, dans le cadre de nos conventions relatives aux droits humains, la situation de 30 000 migrants, que nous avons intégrés à notre marché du travail. Le changement climatique et la dégradation des terres en Afrique a également un impact sur notre pays. Il était donc nécessaire de réfléchir à une politique migratoire nationale. C’est dans ce cadre que Sa Majesté Mohammed VI a décidé de renforcer la coopération Sud-Sud, en favorisant l’investissement dans les pays africains et en créant des projets de développement en Afrique. Le Maroc, par le biais de nombreuses institutions et entreprises, est aujourd’hui implanté dans beaucoup de pays africains ; c’est le cas, par exemple, de nos institutions financières, telles qu’Attijariwafa Bank, présente dans vingt-quatre pays africains.

Au sein du ministère de l’environnement, nous avons créé un centre de compétence sur les changements climatiques, qui travaille depuis un an avec plusieurs pays africains pour les accompagner dans leurs politiques de gestion des déchets, de traitement des eaux usées, d’économie circulaire… Après Lima, ce centre, grâce au soutien du Fonds vert et du Gouvernement allemand, a étendu ses activités au soutien à la préparation des INDC par les pays africains. Mme Girardin, que j’ai rencontrée ce matin, m’a parlé d’Expertise France, créé il y a deux jours avec le même objectif d’accompagner les pays africains à préparer leurs contributions. Le premier objectif est d’aider ces pays à bénéficier du Fonds vert et à opérationnaliser leurs projets.

Nous avons appris de nos échecs, comme des vôtres, et nous apprenons aussi des succès. Nous avons acquis une expertise, qui permettrait à nos entreprises, soit directement, soit dans le cadre d’une coopération triangulaire, par exemple avec les entreprises françaises présentes sur notre marché national, de se rendre dans les pays africains pour réaliser ces projets.

S’agissant du tri, nous n’avons pas, au Maroc, ni dans les autres pays africains, les moyens de prévoir cinq poubelles. Nous avons développé un modèle de deux poubelles, l’une pour les déchets organiques, l’autre pour les déchets non organiques. À la fin de l’année 2014, j’ai mis en place une écotaxe sur le plastique. Ces recettes sont entrées dans les caisses de l’État et seront redistribuées pour lancer le recyclage en 2015, à partir de Casablanca. Nous ne pratiquons plus la mise en décharge ; nous sommes dans la valorisation, dans toutes ses composantes.

Nous avons créé nos propres modèles. Dans le passé, nous avions tenté de transposer des modèles français, mais cela a été un échec. Je pense par exemple aux stations de compostage implantées au Maroc dans les années soixante, avec des technologies françaises : ces technologies n’étaient pas adaptées aux déchets marocains, en raison d’un taux d’humidité différent, d’un taux de matière organique différent, de l’absence de tri, et nous avons connu des cas de contamination.

Je salue l’AFD, auprès de laquelle j’ai d’ailleurs été consultante sur le projet de dépollution industrielle de la baie d’Agadir. Sa contribution à notre programme d’alimentation en eau potable a été très importante, ainsi que pour le traitement des eaux usées. En revanche, elle est encore très peu présente au ministère de l’environnement, sans doute parce que celui-ci est de création récente ; elle est davantage active auprès de l’office national de l’électricité et de l’eau potable, ainsi que du ministère de l’agriculture.

L’urbanisation est un problème sensible. Avec les sécheresses récurrentes, la dégradation des terres, la salinisation de l’eau dans plusieurs parties du territoire, la population rurale a commencé à migrer vers les villes. Ces dix dernières années, nous avons lutté contre la ceinture de bidonvilles qui se créait ainsi autour des villes marocaines, et ce avec des projets de ceintures vertes et de développement vertical, en lieu et place du développement horizontal qui a coûté très cher à l’État, pendant longtemps.

J’ai l’habitude de dire que le ministre le moins aimé, dans tous les gouvernements du monde, est le ministre de l’environnement, qui doit toujours évaluer et critiquer ses collègues. On ne peut protéger l’environnement sans impliquer les citoyens. Mon ministère n’ayant pas les moyens de toucher ceux-ci directement, nous passons par les universités, les écoles, les associations, dont j’ai fait des alliés d’excellence. Nous avons créé le forum des associations spécialisées dans l’environnement et nous accordons à ces associations un accès direct sur le site Web du ministère. Nous sommes également en train de conduire un programme d’éducation environnementale en milieu scolaire, et nous recevons les écoles. De même, nous préparons une campagne de communication en direction du grand public concernant le recyclage.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup. Vous avez été très éloquente, et je suis certaine que les choses vont bien avancer avec vous.

Mme la présidente Danielle Auroi. Merci. Vous avez été précise et avez su donner de l’espoir à chacun.

La séance est levée à dix-sept heures trente

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 28 janvier 2015 à 16 h 15

Présents. - M. Christophe Bouillon, M. Guillaume Chevrollier, M. Yannick Favennec, M. Arnaud Leroy, Mme Catherine Quéré, Mme Barbara Romagnan, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Louis Bricout, M. Christian Jacob, Mme Viviane Le Dissez, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud