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Mardi 10 février 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition de M. Dominique Potier sur son rapport d’évaluation et de révision du plan Écophyto : « Pesticides et agro-écologie : les champs du possible »

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Dominique Potier sur son rapport d’évaluation et de révision du plan Écophyto : « Pesticides et agro-écologie : les champs du possible ».

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, je tiens à vous faire part du plaisir que j’éprouve à accueillir de nouveau notre collègue Gilbert Sauvan, qui n’a pu participer à nos travaux pendant plusieurs mois.

Nous auditionnons aujourd’hui notre collègue député Dominique Potier, membre de la commission des affaires économiques, qui a rendu au Premier ministre un rapport d’évaluation et de révision du plan Écophyto intitulé « Pesticides et agro-écologie. Le champ des possibles ». Je rappelle que le plan Écophyto, lancé dans le cadre du Grenelle de l’environnement, visait à réduire de moitié la consommation de produits phytosanitaires dans l’agriculture d’ici 2018.

Nous avions auditionné, le 17 juillet 2013, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, sur l’agro-écologie – et il avait alors évoqué la révision du plan Écophyto. Il a procédé récemment à des annonces reprenant les conclusions de votre rapport et dévoilant ce que l’on pourrait appeler un plan « Écophyto 2 ».

La commission avait entendu M. Serge Bardy lorsqu’il avait rendu son rapport sur la filière papier. Je crois qu’il est important que notre commission auditionne les parlementaires lorsqu’ils rendent des rapports sur des thématiques qui relèvent de ses compétences.

M. Dominique Potier. Si je suis membre de la commission des affaires économiques, c’est pour y défendre mes conceptions sur l’agro-écologie et je suis fier de présenter les conclusions de mon rapport devant la commission du développement durable, dont je suis les travaux et dont je partage l’esprit.

La mission que m’a confiée le Premier ministre se situait à mi-parcours, soit cinq ans, de la mise en œuvre de l’engagement 129 du « Grenelle de l’environnement », et à la croisée de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la maîtrise des pesticides. Celle-ci prévoyait, à échéance de cinq ans, une révision du plan ainsi qu’une évaluation des politiques nationales. Le Gouvernement français a procédé, au sein de ses services, à cette évaluation outil par outil ; il a aussi souhaité confier à un parlementaire une mission qui permettrait de dire des choses que l’administration ne pouvait dire sur elle-même.

La France connaît une période de transition de l’État-providence, de l’appareil productif et de l’écologie ; c’est au point de rencontre de ces deux dernières que se situe l’agro-écologie, promue par Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. « Écophyto » et la gestion des pesticides sont à la pointe de cette démarche, à la fois comme indicateur et comme condition de réussite – car, si ce plan échoue, c’est que l’agro-écologie n’aura été qu’un discours.

Les conclusions ont été présentées il y a deux mois devant le Premier ministre, Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et M. Stéphane Le Foll. Un comité d’orientation stratégique a avalisé la charpente du rapport, et le Gouvernement a fait siennes la plupart de ses propositions. L’année 2015 a été donnée comme date de départ pour l’agro-écologie.

Le rapport prend acte d’un relatif consensus sur ces questions au sein des différentes familles de pensée représentées au Parlement. Des travaux du Sénat ont abouti à des propositions relatives aux phytovictimes, dont certaines ont été reprises dans la loi d’avenir pour l’agriculture – je pense à la phytovigilance. Un certain nombre de nos collègues ont également travaillé sur ces sujets : Bertrand Pancher ; Antoine Herth, qui avait, à la demande de François Fillon, remis un rapport sur les biotechnologies ; Brigitte Allain, qui a conduit avec moi de nombreuses auditions. Sur tous les bancs, je constate un grand pragmatisme et une relative indulgence envers l’échec de la France à tenir les ambitions affichées par le Grenelle. L’objectif, je le rappelle, était de réduire de 50 %, entre 2008 et 2018, l’usage et la consommation de pesticides dans notre pays.

Où en sommes-nous, cinq ans après ? En 2012, un palier a été atteint, puis, en 2013, une reprise de 9 % de la consommation a été observée, ce qui donne, en moyenne annuelle depuis 2008, de 2 à 3 % d’augmentation. Force est donc d’admettre l’échec. Mais chacun, par-delà les clivages politiques, s’accorde sur le fait qu’il faut chercher à comprendre ce qui n’a pas marché, et reconnaît humblement que les transitions exigent du temps et qu’une volonté ferme est nécessaire pour avancer.

Il convient de souligner tout d’abord que les intuitions des acteurs du Grenelle étaient fondées et qu’elles ont été confortées par la suite des événements. Un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a confirmé la corrélation entre l’exposition aux pesticides et le développement de cancers ou de maladies endocriniennes. Cela doit nous conduire à ne pas attendre vingt ans pour protéger toutes les populations exposées à ces produits.

Nous avons ensuite découvert que, si nous nous sommes laissés obséder par les effets des pesticides sur la qualité de l’eau, les études sur l’air sont encore balbutiantes et doivent être approfondies, tandis que la microbiologie des sols demeure largement une terra incognita(Sourires). Il reste à mettre en évidence comment, à long terme et même à doses d’exposition minimes, les sols sont affectés.

Enfin, l’évolution des marchés européens a montré à quel point ceux-ci sont sensibles à la question des pesticides dans l’alimentation. Coca Cola, par exemple, est plus exigeant dans ses contrats à long terme que les directives européennes elles-mêmes. Cela répond à une demande des consommateurs et nécessite une évolution de nos pratiques de production.

La prise de conscience par les agriculteurs du risque pour eux-mêmes est significative. Ils ont formé, en lien avec l’État, 200 000 personnes à ces questions, dont 95 % d’agriculteurs et 5 % de jardiniers amateurs ou de gestionnaires d’espaces publics. L’ensemble des outils mis en place – bulletin de santé végétal, Certiphyto, fermes Dephy (acronyme de « Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires »), etc. – ne pouvait cependant donner de résultats rapides.

Par ailleurs, l’évolution des structures de production agricoles, influencée par la politique agricole commune (PAC) dont le virage agro-environnemental ne date que de 2013, a constitué un facteur d’échec. Nous avons connu deux années où les prix des matières végétales étaient très favorables, ce qui a primé sur toute autre considération, tandis que les conditions climatiques, particulièrement mauvaises au printemps 2013, ont motivé un traitement accru aux pesticides.

Il nous faut donc agir en nous fondant sur des principes. Sur la base de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, dite « loi Labbé », et avec l’accord de Mme Ségolène Royal, il convient d’accélérer la mise en œuvre des interdictions d’utilisation des phytosanitaires dans les espaces publics, en établissant un mémento pédagogique et réglementaire à l’intention des intercommunalités. L’interdiction portera aussi sur la vente en libre-service de ces produits aux jardiniers amateurs. Il s’agit là de mesures immédiates propres à sensibiliser aux risques que représentent ces produits et de préparer leur interdiction future.

Cependant, l’essentiel de notre action doit porter sur l’agriculture, et en particulier sur le blé, le colza, la vigne et l’arboriculture, qui représentent 60 % de l’utilisation des pesticides.

Nous préconisons de maintenir le principe d’une réduction de moitié, en procédant en deux étapes.

Pour les cinq premières années, l’objectif est l’amélioration des usages. Cela consiste à réduire le gaspillage, en utilisant mieux les pesticides, au bon moment, à la bonne dose, avec des règles d’application et du matériel différents. Un accord a été passé avec les instituts de recherche des coopératives, Arvalis-Institut du végétal et InVivo AgroSolutions, et nous discutons encore d’ajustements à la marge avec Orama. Cela doit conduire à une réduction de 20 % de l’usage des produits, tout en conservant nos structures de production, et sans perte de parts de marché.

Nous proposons également de mettre en place une surveillance tous azimuts des impacts : cessons d’être obsédés par la seule qualité de l’eau, quand nous savons que celle de l’air et la microbiologie des sols ne sont pas moins importantes ! Quant à l’alimentation, elle doit faire l’objet de nouveaux indicateurs. Bref, il ne saurait y avoir de politique phytosanitaire qui ne s’inscrive dans un plan global d’agro-écologie : on ne peut pas prendre les problèmes isolément.

L’entreprise doit être au cœur de notre action. Le premier plan Écophyto a privilégié les organismes de développement, de recherche et d’infrastructures, mais c’est au niveau des entreprises, des exploitations, des administrations locales ou encore des jardiniers amateurs, que se prennent les décisions. Nous devons mieux accompagner les décideurs, grâce à des aides et des conseils, et proposer aux deux filières les solutions de nature à favoriser la mise en œuvre commune des moyens disponibles au niveau territorial. Par ailleurs, le rapport suggère une fiscalité en légère augmentation, mais dont les recettes soient entièrement recyclées au bénéfice de la transition agroécologique.

Notre action s’exercera nécessairement dans un cadre européen, car nos producteurs se trouvent placés dans une situation insupportable. Certains produits qui pénètrent le marché français sont soumis à des règles sanitaires bien moins contraignantes que les nôtres. C’est le cas, en particulier, des importations en provenance de plusieurs pays de l’Union européenne, mais aussi de pays tiers, la Chine notamment, dont certains se livrent à la fraude fiscale aux redevances sur les produits phytopharmaceutiques et à la contrefaçon de molécules. Il nous faut donc lutter pour l’harmonisation des contraintes, ainsi que pour celle des produits, qui ne sont pas les mêmes, par exemple, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Belgique. Il y va de notre capacité à concilier transition et maintien de nos chaînes de production.

Pour atteindre la baisse de 20 % ou 25 % qu’il s’agit d’atteindre dans cette première étape, le rapport préconise la mise en œuvre de mesures déjà connues. Les produits de biocontrôle, qui représentent actuellement de 3 à 5 % de la substitution à l’agrochimie, pourraient voir cette part passer à 10 % ou 15 % à un horizon de cinq à dix ans selon les experts. Le plan Écophyto a par ailleurs largement ignoré la question de l’équipement ; or, dans les vignes, l’utilisation de machines adéquates permet de réduire de 40 % la consommation de produits. Des progrès importants restent également à accomplir dans le domaine de la génétique, s’agissant notamment de la résistance aux produits.

Mais la question essentielle demeure à mes yeux celle de l’allongement des rotations de cultures. Une des causes de notre échec est liée à l’un des traits majeurs de l’évolution de la « ferme France » : l’agrandissement des exploitations, qui s’est souvent accompagnée d’une spécialisation nuisible à la biodiversité. La défense de celle-ci, par exemple à travers les plans « protéines végétales » et « Ambition bio », est une réponse à la dépendance aux pesticides et un moyen de réduire structurellement le poids des biodépresseurs.

Dans la perspective d’une réduction de 50 % d’ici 2020, date de la réforme de la PAC, il est souhaitable que la régulation foncière et la politique d’installation contribuent à garantir cette biodiversité économique, importante pour nos paysages comme pour l’environnement. Je propose même que l’allongement des rotations et la diversité des cultures deviennent un élément d’éco-conditionnalité dans la future PAC, ce qui ne manquera toutefois pas de se heurter aux intérêts de certains bassins de production. Je demande également l’harmonisation des normes européennes : en arboriculture et viticulture, les doses d’homologation sont actuellement liées à la surface cadastrale, alors que seule la surface foliaire est pertinente. Un outil informatique d’aide à la décision permettrait de calculer le taux de conversion et de réduire d’autant l’impact sur l’eau et les sols.

Je n’énumérerai pas les 68 préconisations du rapport, et me bornerai à en citer encore deux en guise de conclusion. La première est que soit nommé un délégué interministériel, coordonnant l’action des ministères de l’agriculture et de l’écologie, et ayant autorité sur les programmes afin de mieux utiliser les ressources, très importantes, des agences de l’eau. La seconde est que les nouvelles régions soient l’échelon retenu pour la mise en œuvre de ces mesures, afin que celles-ci s’articulent bien avec les actions relevant des fonds européens.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Cher collègue, je vous remercie de cette présentation, et vous poserai cette première question : l’échec du plan Écophyto est-il lié, selon vous, à un manque de moyens financiers ? C’est un aspect que vous n’avez guère évoqué, me semble-t-il.

M. Michel Lesage. Les enjeux évoqués par le rapport de notre collègue sont multiples : qualité de l’eau, de l’air, des sols, paysages, biodiversité. Le titre lui-même, « Les champs du possible », reprend celui de l’ouvrage d’un militant paysan breton, André Pochon, qui a beaucoup écrit et montré dans la pratique que l’agroéconomie peut être une réalité.

La compréhension des raisons de l’échec du plan Écophyto conditionne la réussite des nouvelles propositions. Une transition prend toujours beaucoup de temps, les agriculteurs qui s’y sont attelés le savent. La réduction des intrants est indispensable au développement de l’agro-écologie, particulièrement en ce qui concerne les pesticides, les produits phytosanitaires, mais aussi les engrais en général et l’eau elle-même. La diversification des cultures tient une place cruciale, comme André Pochon l’a montré, mais elle rencontre un certain nombre d’obstacles et ses progrès sont très faibles. Ces obstacles sont-ils liés au fonctionnement global de la filière ? Plusieurs études de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) soulignent que le développement de nouvelles pratiques est conditionné par la présence de débouchés commerciaux durables. Cela nécessite la création de filières de production, mais aussi l’implication des consommateurs.

Les directives et règlements européens relèvent d’une logique économique. Or, sans le « verdissement » de la PAC, pour lequel la France milite avec constance, les objectifs visés seront difficiles à atteindre. Par ailleurs, la formation continue et le conseil aux agriculteurs constituent des enjeux importants, mais il ne faut pas oublier la formation initiale et l’accompagnement au quotidien Cela concerne les animateurs territoriaux, les aires d’alimentation des captages, les conseils, les coopératives et le secteur privé. Par ailleurs, le rapport ne semble pas évoquer les diagnostics d’exploitation et de territoire. Y a-t-il des propositions à ce sujet ?

Afin d’encourager les politiques environnementales, les pouvoirs publics cherchent à articuler plusieurs instruments réglementaires avec les aides, les incitations économiques et les taxes ou redevances. Quid de la fiscalité écologique et du rôle du système financier ? Enfin, la démarche contractuelle met les acteurs et les territoires – dont le rôle me semble primordial – au cœur de l’action : comment coordonner tous ces leviers afin de rendre plus efficace un système complexe ?

Mme Valérie Lacroute. Mon groupe n’ayant pas pris position sur le rapport, je m’exprimerai donc en mon nom propre pour faire état d’une expérience réalisée en Seine-et-Marne, département constitué à 60 % de terres agricoles. Vingt-cinq agriculteurs se sont engagés dans le cadre du réseau Dephy afin de mettre en œuvre le plan Écophyto, et le taux d’utilisation des produits phytosanitaires a pu être ainsi réduit de 25 %, parfois de 30 %, mais l’apparition d’adventices a fini par causer des pertes, en termes de quantité comme de qualité.

Dans le cadre du plan départemental de l’eau, certains agriculteurs ont testé des mesures de réduction de moitié des produits phytosanitaires, moyennant compensation des pertes économiques au cours de la phase d’adaptation. À l’usage, les mesures se sont révélées élitistes, et peu d’agriculteurs ont réussi à modifier significativement leur système de culture en cinq ans. Des problèmes se sont posés : pertes économiques, apparition de maladies dangereuses comme l’ergot des céréales, développement de l’ambroisie. Les cultivateurs de Seine-et-Marne sont toujours prêts à expérimenter, mais à condition que cela ne mette en péril ni les exploitations ni les filières. Ils ont donc besoin d’être rassurés sur le plan Écophyto 2 annoncé par le ministre de l’agriculture.

M. Bertrand Pancher. Le rapport dresse un double constat que chacun peut partager : le morcellement des organisations, et l’omertà sur les risques liés aux produits phytosanitaires. Beaucoup d’agriculteurs sont pris de panique devant le changement de modèle auquel ils sont confrontés, tant celui de demain diffère de celui d’aujourd’hui, et légiférer trop vite peut avoir pour effet de pousser certains acteurs de premier plan à se refermer sur eux-mêmes.

L’échec du plan, cependant, est davantage quantitatif que qualitatif. Les volumes globaux n’ont que peu changé, mais l’amélioration est spectaculaire pour les produits les plus dangereux : l’utilisation des agents chimiques cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques a diminué de 80 % s’agissant de ceux classés CMR 1 et de 20 % s’agissant de ceux classés CMR 2.

La mise en œuvre du plan Écophyto a donné lieu à débat : fallait-il rendre obligatoires toutes les mesures ? Cela s’est révélé impossible, car l’évolution de la recherche n’a pas été au rendez-vous. Il a donc été convenu qu’il fallait se limiter à faire ce qui était possible. Certains objectifs du nouveau plan laissent perplexes, car l’on passe de l’incitation à l’obligation assortie de sanctions, ce qui tétanise la profession, alors même que le rapport ne fait qu’effleurer les autres pistes envisageables, telles que la contractualisation et la régionalisation – souhaitables, mais sous réserve d’être affinées et pratiquées à l’échelon le plus adéquat. L’assurance est également un mécanisme très important, et certaines incertitudes devraient être levées au sujet du réseau Dephy. La question de la formation et celle de l’information sont, quant à elles, stratégiques. Enfin, dans le domaine de la consommation, le financement des filières courtes et de l’agriculture biologique reste incertain, tandis que les contrôles demeurent insuffisants.

Mme Brigitte Allain. Le rapport ne dit pas assez que les pesticides sont des poisons pour la biodiversité comme pour les humains, à commencer par les utilisateurs eux-mêmes. Notre collègue Dominique Potier évoque les impératifs économiques, mais beaucoup de jeunes agriculteurs s’interrogent aujourd’hui, et s’inquiètent pour leurs enfants. La transition peut être amenée soit par la coercition, soit par la pédagogie et la participation. C’est cette dernière voie que le rapport privilégie, et nous devons insister auprès du Gouvernement, car la démarche préventive est toujours la moins coûteuse, et le plan présenté par le ministre me laisse sur ma faim, à cet égard.

Les régions, responsables de la mise en œuvre des mesures agroenvironnementales dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural, proposent des programmes moins ambitieux que par le passé ; nous devons intervenir pour que ces plans soient revus à la hausse. Les contrats de circuit court, qui permettent d’associer agriculteurs et citoyens, ne sont pas assez mis en valeur dans le rapport. Quant aux outils tels que les groupements d’intérêt économique et environnemental, ils concourent bien à la formation, mais il faut s’appuyer, au-delà, sur les organismes nationaux à vocation agricole et rurale, pionniers en la matière.

Enfin, il faut, dès à présent, exiger un moratoire européen pour interdire l’usage des néonicotinoïdes, très dangereux pour la santé humaine comme pour la biodiversité et pour les insectes pollinisateurs, garants de la pérennité de la production.

M. Jacques Krabal. Je salue la volonté de consensus qui caractérise ce rapport. Ces sujets doivent être abordés, en effet, non dans la confrontation, mais dans l’écoute. Les problèmes de santé ne sont pas connus des seuls consommateurs : ils le sont aussi des agriculteurs eux-mêmes. Il ne faut pas négliger les efforts et les progrès réalisés depuis de nombreuses années par les artisans de la terre, et que le rapport ne souligne pas assez. On ne peut non plus ignorer la question de la plus-value économique, qui est, elle aussi, signe de santé sociale.

Je constate que les objectifs fixés en matière de produits phytosanitaires sont strictement quantitatifs, alors que leur utilisation est fortement liée aux conditions climatiques ainsi qu’à de nombreux autres paramètres.

La plupart des pays membres de l’Union européenne prônent la réduction de l’impact des produits phytosanitaires, au lieu de se focaliser sur la réduction de leur usage. Pourquoi la France se prive-t-elle de tels objectifs, alors qu’ils sont recommandés par une directive européenne et par le plan Écophyto ? Comment ces indicateurs vont-ils s’intégrer au plan Écophyto 2 ?

Aucun moyen n’est à négliger pour que notre agriculture soit capable d’assurer une production suffisante et d’équilibrer la balance commerciale du pays tout en préservant l’harmonie des territoires. Mais la pression fiscale exercée sur les agriculteurs par de nouvelles taxes ne saurait être l’unique solution : le groupe RRDP préfère une démarche incitative à une écologie punitive.

Il faut valoriser davantage l’agriculture biologique, les circuits courts, les plantations de haies et les systèmes vertueux. L’objectif de l’agriculture de demain devra être l’alimentation durable. Pour cela, il faut faire coexister tous les systèmes agricoles afin qu’ils soient à la fois respectueux de la santé humaine et des ressources naturelles. Ainsi, comment le projet de loi sur la biodiversité et le plan Écophyto 2 s’inscrivent-ils dans cette perspective ? Car, comme l’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le renard et le bouc : « En toute chose il faut considérer la fin. »

M. Florent Boudié. Élu d’une région viticole prestigieuse, dont je suis fier (rires), j’observe, monsieur le rapporteur, que vous indiquez que les zones arboricoles et viticoles concentrent les plus forts taux d’usage de pesticides. Plusieurs de nos collègues ont souligné que les agriculteurs étaient pris de peur panique devant les risques sanitaires encourus, certes, mais aussi devant les perspectives d’évolution rapide de leur modèle d’exploitation. Comment concilier les enjeux environnementaux avec les intérêts économiques d’une profession qui a déjà consenti beaucoup d’efforts et connaît des difficultés ? Comment accompagner, en d’autres termes, la filière viticole : en passant par les interprofessions, comme le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) ? Ou également par les syndicats viticoles, qui travaillent sur les cahiers des charges et auxquels la question des pesticides pourrait être associée ?

Par ailleurs, les cultivateurs sont désormais confrontés à des problèmes de voisinage et à des conflits d’usage. L’an dernier, une école a été contaminée à Villeneuve, dans les Côtes-de-Bourg, et la question de la protection de lieux accessibles au public a été posée. Enfin, de nouveaux habitants, poussés par la pression foncière, s’installent dans des zones viticoles et réagissent très vivement à l’exposition aux pesticides. La filière viticole ne pourra faire l’économie d’une évolution extrêmement rapide sous la pression des populations.

M. Claude de Ganay. À l’occasion de la présentation du plan Écophyto 2, le ministère de l’agriculture s’est montré très favorable aux recherches interdisciplinaires sur les pesticides. Les agriculteurs sont également demandeurs. Selon plusieurs recherches, effectuées notamment par l’INRA, les pesticides de la famille des néonicotinoïdes sont responsables de la mortalité accrue du cheptel apicole français. Le débat relatif à un moratoire portant sur ces substances revient régulièrement, notamment dans les enceintes parlementaires. La semaine dernière, le Sénat a d’ailleurs rejeté une motion de résolution tendant à proscrire l’usage des néonicotinoïdes en France ainsi que dans l’Union européenne. Ce sujet a-t-il été abordé dans le rapport ? Est-il prévu d’en faire un axe de recherche particulier ?

M. Yannick Favennec. Ne serait-il pas préférable de privilégier la réduction de l’impact des produits phytopharmaceutiques plutôt que de se limiter à la réduction de leur usage ? Au sein de l’Union européenne, seuls le Danemark et la France ont choisi cette seconde voie, et la France ne dispose toujours pas d’objectifs d’impact, alors que ceux-ci sont demandés par une directive européenne et par le plan Écophyto.

La pression fiscale excessive exercée sur les utilisateurs du fait de la hausse de la redevance pour pollution diffuse (RPD) et de la création de nouvelles taxes ne résoudra rien et risque, au contraire, de nuire encore plus à la compétitivité de notre agriculture par rapport à nos concurrents européens.

Mme Geneviève Gaillard. Cela fait des années que le débat sur les pesticides est engagé. Il a fallu attendre que le lien entre ces produits et la santé soit établi – et ce, depuis peu, d’ailleurs – pour que les professionnels en prennent conscience. Certains d’entre eux, parmi lesquels les grandes entreprises chimiques, ont refusé pendant des années de changer leurs pratiques. Souvenez-vous des produits organophosphorés et organochlorés, dont certains existent encore ! Certes, des progrès ont probablement été réalisés, mais pas par tous. Il faut pousser les collectivités à atteindre le « zéro phyto ». Quant à la SNCF, elle a mis énormément de temps à renoncer à l’usage de certains produits dangereux.

Dans votre propos, monsieur le rapporteur, vous n’avez mentionné qu’in fine la biodiversité, dont je rappelle qu’elle est l’« assurance-vie » de nos productions agricoles.

Enfin, quel lien faites-vous entre la Charte de l’environnement, qui a constitutionnalisé le principe « pollueur-payeur », et l’augmentation limitée de la fiscalité que vous suggérez ?

M. Julien Aubert. À mes yeux, la question essentielle est celle de l’application des règles phytosanitaires. Dans ma circonscription de Vaucluse, une reconversion en agriculture biologique de vignes mères et de greffons est actuellement conduite. La vigne est attaquée par la flavescence dorée ainsi que par une cicadelle appelée Scaphoideus titanus. Or, il nous est interdit, dans le cadre des traitements obligatoires, d’utiliser des insecticides biologiques. Il y a là un no man’s land juridique, et certaines pépiniéristes me disent que, faute de dérogation, ils seront condamnés à disparaître.

À la faveur de plusieurs hivers doux, la mouche asiatique Drosophila suzukii commet des ravages dans les vergers d’une dizaine de départements. Dans le Vaucluse, la production d’huile d’olive a baissé de 80 % ! En ce qui concerne la cerise, il m’a été indiqué que, faute de pouvoir recourir au diméthoate – produit qui, certes, présente des risques s’il est absorbé en grandes quantités – ce fruit va disparaître. Il faudra alors importer des cerises de Turquie, pays où l’utilisation de ce produit est autorisée.

Nous partageons tous le souci de la biodiversité et d’un environnement sain, mais comment éviter la disparition de certains produits dans le contexte de l’application de normes trop restrictives ?

M. Dominique Potier. Très bonne question !

Mme Françoise Dubois. Quel regard portez-vous sur la perception de la démarche agroécologique par les jeunes agriculteurs qui s’installent ? Il me semble qu’ils ne peuvent la méconnaître, étant donné qu’il s’agit d’un marché en pleine expansion. Et le fait qu’un certain nombre d’agriculteurs soient aussi apiculteurs vous paraît-il susceptible de jouer un rôle positif ?

M. Gérard Menuel. Diminuer de moitié le taux d’utilisation des pesticides est certes un objectif ambitieux, mais je rappelle que la baisse, au cours des dix années précédant le Grenelle de l’environnement, avait déjà atteint 40 %, et que cette baisse a justement été freinée par certaines interdictions. Dans le secteur de la pomme de terre, où dix à douze traitements annuels sont nécessaires contre le mildiou, des expériences ont été conduites, dont il ressort que des capteurs d’air permettent un traitement plus pertinent. Certains pays européens cultivent la variété Fortuna, qui ne nécessite que trois traitements annuels. Cependant, il s’agit d’un produit génétiquement modifié, sujet sensible dans notre pays.

Le rapport ne souligne pas assez l’intérêt du recours à des produits protecteurs des cultures. Si la formation semble satisfaisante « sur le papier », sa mise en œuvre laisse à désirer. Quant aux investissements matériels, ils demeurent trop souvent l’apanage des grandes exploitations. Par ailleurs, il faut accentuer la recherche-développement dans le domaine des biomolécules, où la France a pris du retard.

Je souhaite enfin m’assurer qu’aucune des nouvelles mesures qui seront prises ne viendra complexifier encore le dispositif des certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP).

M. Jean-Louis Bricout. Ce rapport, dont je vous félicite, a le mérite de montrer qu’il peut exister un autre modèle économique viable, reposant sur la limitation du gaspillage par l’amélioration de l’utilisation des produits. Si chacun s’accorde sur les objectifs fixés par le rapport ainsi que sur la nécessité de changer de modèle, l’exercice est économiquement difficile pour les agriculteurs. D’où l’importance de la pédagogie et de la communication, pour lesquelles le système scolaire a un rôle essentiel à jouer, et en particulier les lycées agricoles. Enfin, au regard des enjeux, monsieur le rapporteur, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) vous paraît-elle adaptée ?

M. Michel Heinrich. Depuis des années, l’utilisation des produits phytosanitaires a diminué ; vous considérez, monsieur le rapporteur, qu’une nouvelle baisse de 20 % ne compromettrait pas le niveau de production en volume. Par contre, vous ne vous prononcez pas sur les conséquences d’une réduction de moitié, alors que l’agriculture contribue, je le rappelle, pour plus de 10 milliards d’euros à notre balance commerciale.

Par ailleurs, vous évoquez les volumes mais non les molécules. Or, la toxicité n’est pas seulement affaire de quantité.

Enfin, les détracteurs du rapport redoutent une perte de compétitivité du fait de l’augmentation des taxes. Qu’en pensez-vous ? Vous indiquez que le produit de ces taxes sera consacré à la transition agroécologique des entreprises, mais cela concerne-t-il les fabricants de produits phytopharmaceutiques ?

M. Gilbert Sauvan. Le fait que ce rapport émane d’un agriculteur en renforce la crédibilité. Les collectivités territoriales, qui représentent 5 % des utilisateurs, doivent être exemplaires, et il y a lieu de se montrer exigeant à leur égard. Dans mon département, les services du conseil général, que je préside, ont atteint le « zéro phyto », de même que ceux des trois quarts des communes. Dans toutes ces collectivités, on n’utilise plus de désherbants au bord des routes, dans les cimetières ni dans aucun lieu public.

Pour les agriculteurs, le problème est la garantie d’un rendement suffisant. Allonger la durée de rotation des cultures est souhaitable, mais les surfaces foncières disponibles ne sont pas toujours suffisantes. Je connais un jeune agriculteur qui a innové et développe la culture de lentilles et de pois chiches dans un endroit où la production traditionnelle est plutôt celle de fruits et légumes ; beaucoup souhaiteraient s’engager dans l’écoagriculture, mais le premier obstacle est d’ordre économique. Dans un contexte de compétition européenne et internationale, les entreprises doivent rester viables financièrement.

M. Jean-Pierre Vigier. Le rapport se fixe pour objectif la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires en France. Cela vous paraît-il compatible, monsieur le rapporteur, avec la compétitivité de notre agriculture ? Les autres pays à forte production agricole adopteront-ils les mêmes orientations ? Et ce plan n’induit-il pas des charges supplémentaires pour nos agriculteurs, alors que leur revenu a encore baissé ?

M. Jean-Jacques Cottel. Quelles sont les possibilités d’harmonisation de la réglementation entre pays européens ? Vous avez évoqué la proximité de la Belgique, où celle-ci est très différente. Collectivités territoriales comme agriculteurs s’interrogent sur l’adaptabilité du modèle et sur le coût des matériels nécessaires à la transition écoagricole.

M. Guillaume Chevrollier. Il n’y a pas lieu de stigmatiser l’utilisation de produits phytosanitaires en liant systématiquement celle-ci à des problèmes de santé publique. Les agriculteurs reprochent au plan Écophyto 2 son aspect par trop technocratique, attendent de l’administration qu'elle fasse confiance aux chefs d’entreprise qu’ils sont, et réclament de la souplesse dans l’application des normes. Il serait risqué, à cet égard, de se démarquer à l’excès du modèle européen ; or, lorsque celui-ci fixe, par exemple, un taux de 50 %, la France a tendance à faire du zèle et à aller jusqu’à 100 %. Nos agriculteurs sont confrontés à la double exigence de l’économique et de l’environnemental, et il ne faudrait pas que la mise en œuvre du plan Écophyto 2 porte atteinte à la compétitivité des exploitations agricoles.

Mme Sophie Rohfritsch. Il me paraît souhaitable de raisonner en termes de filières, de cultures et de territoires, de façon à bien mesurer les impacts incriminés au lieu de fixer des objectifs purement quantitatifs. Seule une approche globale permettra de déterminer des méthodes compatibles avec la compétitivité de notre agriculture.

M. Christophe Priou. Au sein de cette commission comme ailleurs, nous avons vu sur ce sujet, quels que soient les gouvernements, beaucoup de rapports rester lettre morte. À ce titre, la comparaison entre les espoirs provoqués par le Grenelle de l’environnement et les résultats montre qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. En 2012, le ministre Stéphane Le Foll avait tenté de relancer le plan Écophyto, puis reconnu que les agriculteurs ne s’appropriaient guère les outils proposés. Dans le cadre de l’application du nouveau plan, nous risquons d’être confrontés à un millefeuille composé de six interlocuteurs différents : Europe, État, régions, départements, communautés de communes – à travers les schémas de cohérence territoriale (SCOT) – et communes – qui gardent la compétence en matière de droit des sols. Quelle sera la collectivité de référence ?

M. Laurent Furst. Les agriculteurs se plaignent régulièrement d’être confrontés à trop de paperasse. Ne craignez-vous pas, monsieur le rapporteur, qu’avec la mise en œuvre du plan Écophyto 2 ce ne soit l’overdose ?

L’objectif final est louable et partagé, mais, dans la période transitoire, notre compétitivité ne risque-t-elle pas de souffrir, alors que l’Allemagne nous dépasse déjà pour certaines productions, comme les fraises, les asperges ou la viande porcine ? Sommes-nous bien sûrs que nos concurrents font les mêmes efforts que nous ?

La France ne prend aucune précaution particulière lorsqu’elle importe du miel chinois, alors qu’elle impose à ses apiculteurs des contraintes draconiennes. Ne faudrait-il pas vérifier la composition des produits eux-mêmes, plutôt que des intrants ? Cela garantirait l’équité entre nos produits et les produits importés.

S’il est vrai qu’en France nous mesurons la qualité de l’air et celle de l’eau, nous mesurons mal la santé des sols. Les indicateurs manquent, mais j’en veux pour preuve la disparition massive des lombrics, dont l’utilité n’est plus à démontrer.

Enfin, puisque vous avez voté la réforme des régions, vous devez désormais vous dire « Acalien » – adjectif formé sur « Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine » – et non plus Lorrain car la Lorraine n’existe plus ! (Rires).

M. Dominique Potier. Mais la Lorraine est éternelle… (Sourires.). Vos questions sont précises et appellent des réponses appropriées.

Le président m’a interrogé sur les moyens financiers ; des études des services de l’État prévoyaient la mobilisation de 500 millions d’euros de recettes fiscales. Le montant actuel du produit de la redevance pour pollutions diffuses (RPD), acquittée par les producteurs et refacturée aux utilisateurs, s’élève à 110 millions d’euros, dont 70 millions vont aux agences de l’eau et 40 millions sont gérés par le dispositif Écophyto. Nous avons voté une augmentation de la part de son assiette portant sur les produits CMR2 pour un montant de 30 millions d’euros en 2016, soit 20 % d’augmentation d’une redevance qui pèse en tout et pour tout 0,85 % de la valeur ajoutée des entreprises agricoles.

Le rapport préconise une baisse globale de 10 millions d’euros de toutes les dotations des structures et la réinjection de ces 10 millions dans les entreprises agricoles, selon le même ratio que pour les agences de l’eau : 7 millions d’euros iraient ainsi directement aux entreprises. Ce système est plus proche des cotisations volontaires obligatoires (CVO) que d’une fiscalité punitive. J’avais suggéré de porter la redevance à 1 %, voire à 1,5 %, ce qui aurait rapporté entre 100 et 150 millions d’euros, mais la doxa d’aujourd’hui veut qu’il n’y ait pas de fiscalité supplémentaire.

La mutualisation des moyens doit donc constituer un des principaux leviers d’action. L’argent des agences de l’eau, celui du FEADER et les recettes de la RPD doivent être gérés par les régions, avec quelques mesures nationales claires et des mesures régionales adaptées à l’orientation technico-économique des exploitations agricoles (OTEX), au contexte pédoclimatique et aux filières. Ainsi, plutôt que des moyens supplémentaires, je préconise une utilisation des fonds plus propice à la transition agroécologique des entreprises.

Le choix qui a été fait de ne pas séparer le conseil de la vente m’est reproché par de nombreuses associations écologistes. Je mise, pour ma part, sur une responsabilisation de toute la chaîne de distribution telle que définie par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. La séparation du conseil et de la vente et l’interdiction « aveugle » de celle-ci sont deux voies que j’ai écartées, comme incompatibles avec la compétitivité de nos produits. Cela aurait abouti à remplacer une production française certes perfectible, mais souvent plus vertueuse que les produits concurrents. Le ministre le répète à l’envi, l’objectif n’est pas la décroissance de l’agriculture française, mais l’amélioration de ses résultats sur les plans environnemental et économique.

Parmi les freins à la diversification figurent des impasses techniques que la science n’a pas résolues à ce jour, comme, par exemple, la mise au point d’espèces compatibles avec certains types de sols. L’obstacle principal tient au fait que les fruits de la recherche ne trouvent pas de débouchés. Le deuxième pilier, à travers le FEADER, ainsi que les aides directes du plan « protéines végétales », viennent soutenir cette diversification, mais, à l’instar de l’agriculture biologique, les moyens me semblent insuffisants. Notre balance commerciale, soutenue par nos exportations de blé et de produits fins à haute valeur ajoutée, comme les vins ou les fromages, s’améliorerait beaucoup si nous étions autonomes dans le domaine de l’alimentation protéique de nos troupeaux.

Je propose de multiplier par dix la formation et l’accompagnement. Aujourd’hui, nos deux mille fermes Dephy, toutes tailles et tous modes d’exploitation confondus, constituent un laboratoire dans lequel est expérimentée la voie vers le « moins 50 % ». Le taux de baisse constaté, au bout de deux ou trois ans, est de 10 à 12 %, et je ne peux que saluer, comme exceptionnels, les résultats dont fait état Mme Valérie Lacroute en Seine-et-Marne. Les groupes Dephy, pilotés par les coopératives, obtiennent les meilleurs résultats en termes d’environnement, de production et de revenu. L’agriculture de double performance que j’appelle de mes vœux est celle de l’excellence et de la précision. C’est pourquoi je recommande de passer de 2 000 à 3 000 fermes-laboratoires, de façon à multiplier les contextes pédoclimatiques et les filières explorées. À partir de ces 3 000 fermes, nous pourrons former 30 000 agriculteurs, qui démultiplieront cette diffusion du savoir selon un facteur sept, en vue du rendez-vous de 2025.

Conseil, accompagnement, moyens donnés aux chambres d’agriculture, aux coopératives et à tous les distributeurs : il s’agira d’une mobilisation équivalente à celle qui, au lendemain de la guerre, nous a permis de relever le défi de la productivité. À cette fin, nous avons actionné un levier qui fait débat, et que je n’avais pas choisi au départ : les certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP), que les distributeurs de ces produits, qu’ils soient privés ou coopératifs, devront afficher en nombre suffisant pour diminuer de 20 % au terme de cinq années l’impact phytosanitaire sur leur territoire. Lorsque le résultat ne sera pas atteint, l’intéressé sera soumis à une taxation de 11 euros par nombre de doses unité (NODU) – nouvel indicateur qui fait la synthèse entre quantité et toxicité et permet de dépasser le débat entre l’une et l’autre. Vous avez raison, monsieur Heinrich : dans les dernières décennies, nous avons diminué la quantité de 40 %, mais aujourd’hui nous disposons, avec le NODU, d’un indicateur plus fin.

Il existe, sur le marché du biscuit, des coopératives pionnières dont les exigences vont au-delà de la réglementation nationale, et qui voient leurs ventes augmenter. Terrena, par exemple, expérimente des relations avec des producteurs correspondant à des chaînes de production à haute valeur ajoutée. Ceux-là feront sûrement mieux que les 20 % demandés et pourront vendre leurs acquis à des entreprises qui, elles, n’auront pas encore atteint l’objectif. Cette stimulation par le monde de l’entreprise, assortie d’une pénalité relativement faible, est, de la part du ministre, une audace que je salue.

J’ai proposé néanmoins de limiter le marché interentreprises afin d’éviter les effets pervers. Le contexte n’est pas celui des certificats d’économie d’énergie : il existe dans ce secteur une éthique et une culture professionnelles qui rendent inconcevable un « marché du droit à polluer ». Il faut donc des régulations d’une autre nature, et j’espère que le décret sera rédigé dans cet esprit.

À Mme Valérie Lacroute, j’indique que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, sera compétente pour délivrer les autorisations de mise sur le marché. Elle dispose désormais de moyens dans le domaine de la pharmacovigilance, permettant la surveillance des effets épidémiologiques des produits sur la santé et l’environnement après leur mise sur le marché. Lors de la discussion de la loi, nous avions défendu des amendements qui rompaient avec le dogme, hérité de la précédente législature, qui voulait que les agences de l’État ne puissent pas augmenter leur masse salariale. C’était absurde, puisque l’ANSES a des clients européens et répond à des demandes d’expertise rémunérées. Elle pourra désormais recruter les personnels dont elle a besoin et devenir un accélérateur de progrès dans nos territoires.

Mme  Brigitte Allain a parlé de poison. J’ai rappelé, dans l’introduction du rapport, l’importance du rapport de l’INSERM. Je rencontre les entreprises, les grands groupes de l’industrie chimique et de l’agroalimentaire, et je leur explique à chacune de nos rencontres que leur compétitivité n’est pas menacée par la première phase du plan Écophyto 2. Quant à la deuxième phase, elle comportera des réformes qui préserveront l’égalité des chances entre les entreprises. Le revenu agricole, en effet, diffère considérablement d’une région à l’autre et d’une production à l’autre. Si nous savons rééquilibrer les aides européennes en faveur de la diversité des agricultures, alors nous renouerons avec la compétitivité pour toutes les formes d’agriculture et pour toutes les entreprises agricoles.

J’ai écrit également, dans le préambule du rapport, qu’il nous faut faire des choix qui dépassent notre seul pays. Comme M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation au Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, je crois à un monde futur dans lequel tous les écosystèmes et toutes les agricultures auraient leur place et sauraient nourrir l’humanité, ce qui n’interdira évidemment pas des échanges internationaux fondés sur le modèle du commerce équitable, garant de la juste rémunération des producteurs.

Les plus éminents agronomes m’ont tous dit que la « course aux armements chimiques » constituait une impasse. C’est ce qui a pu être évité à La Réunion qui, par la mise en œuvre de bonnes pratiques, a su gagner des parts de marché d’avenir et constitue aujourd’hui un modèle d’agro-écologie pour la zone de l’océan Indien.

Nos propositions ne sont pas coercitives et n’ont pas pour ambition de révolutionner la réglementation. Il ne s’agit que d’instaurer une pénalité de 11 euros, et certaines inquiétudes exprimées au sujet de la fiscalité relèvent du fantasme, tant la hausse est modérée. Sur le plan réglementaire, il n’y a aucun ajout, et les quelques communiqués que j’ai pu lire lors de la sortie du rapport relevaient plutôt du réflexe de Pavlov ; ils n’ont d’ailleurs pas résisté au dialogue que j’ai pu avoir avec les parties concernées, qui ont convenu que les propositions avancées étaient raisonnables et susceptibles de faire consensus.

J’ai préconisé l’application de la réglementation relative aux néonicotinoïdes. La France a décidé de demander un examen express, à l’échelon européen, des risques de perturbations endocriniennes susceptibles de résulter de l’utilisation de ce produit. Souvenons-nous du cas de l’amiante : il serait grave de dire que les néonicotinoïdes ne posent pas problème. J’invite cependant toutes les parties prenantes au débat à tempérer leurs propos. Il faut accélérer les études scientifiques ad hoc afin que le public soit informé et que les apiculteurs disposent demain des outils dont ils auront besoin. Quelques mois sont nécessaires pour trouver un point d’équilibre. Pour ma part, je n’ai pas signé la résolution anti-néonicotinoïdes : je pense qu’il y aura des restrictions d’usage, dans certaines conditions, pour certains produits, et que, dans d’autres cas, l’usage sera maintenu de façon très réglementée. De fait, certaines solutions de substitution auraient un impact sanitaire deux à trois fois plus négatif.

Je pense répondre ainsi à ce que M. Julien Aubert évoquait au sujet de l’interdiction de certaines molécules ou de leur usage. Il faut être ferme en cas de danger. Lorsqu’une filière est en péril, il faut s’appuyer sur la recherche pour trouver des solutions. Pour cela, nous avons besoin de clusters de recherche ainsi que d’une architecture coopérative européenne de recherche-développement. Les start-up françaises sont très puissantes : elles sont d’ailleurs achetées par des multinationales. N’aurions-nous pas intérêt à préserver la présence de cette précieuse matière intellectuelle sur notre territoire ? Évitons les prises de positions trop hâtives susceptibles de nous faire renoncer à certains produits pour en importer d’autres qui n’offrent aucune garantie sanitaire supplémentaire.

Les impacts des phytosanitaires sont peu connus, car on ne sait pas les mesurer aujourd’hui. La seule attitude raisonnable consiste à diminuer les usages tout en affinant notre connaissance des impacts, sans opposer les premiers aux seconds.

Une des recommandations du rapport incite l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) à introduire des clauses environnementales dans les appellations d’origine contrôlée (AOC) afin de prendre en compte les problèmes posés par le voisinage des exploitations. Aujourd’hui, les considérations environnementales sont absentes des travaux de l’Institut. Ainsi, la tradition est maintenue au détriment de la modernité, alors que des solutions intelligentes pourraient être trouvées.

La question du voisinage n’est pas propre à la Gironde, et la loi d’avenir pour l’agriculture a déterminé les bonnes conduites à tenir à proximité des habitations. Le rapport va plus loin : j’évoque les lisières urbaines, qui doivent être redécouvertes dans les documents d’urbanisme comme zones-tampon afin d’éviter des conflits à l’avenir. Pour l’arboriculture, les panneaux récupérateurs donnent d’excellents résultats. De bonnes pratiques, du matériel adapté et, peut-être, une planification spatiale apporteront des solutions à terme.

À M. Julien Aubert, j’indique que la proposition 68 du rapport porte sur l’homologation des usages orphelins. Il s’agit de productions marginales, de l’ordre de quelques milliers de tonnes, qui ne sont pas homologuées car aucun industriel ne souhaite financer leur mise sur le marché. Le dispositif serait financé syndicalement, par un prélèvement assis sur les cotisations pour l’industrie pharmaceutique.

Je précise à Mme Françoise Dubois que j’ai eu un dialogue précieux avec les Jeunes Agriculteurs. J’ai rencontré leur conseil d’administration et leur vice-présidente chargée de l’environnement, qui m’a assuré que leur génération sera productrice d’aliments, d’environnement et de santé. C’est cette génération qui fera la révolution culturelle de l’agrobiologie. Il faudra cependant penser à pouvoir l’installer par la régulation foncière, d’ailleurs évoquée dans le rapport.

M. Gérard Menuel s’est inquiété d’une éventuelle complexification du dispositif des certificats d’économie de produits phytosanitaires. Même s’il paraît complexe à Coop de France, qui a pourtant participé à sa conception, il est en réalité d’un usage assez pratique, et je suis sûr que Coop de France saura établir et valoriser les fiches actions. Ce groupement conteste, par ailleurs, l’objectif de 20 % en cinq ans et demande qu’il soit ramené à 15 %, mais ce sujet relève du ministère chargé de l’agriculture.

À M. Jean-Louis Bricout, qui a évoqué une pédagogie nécessaire, je réponds qu’une dynamique positive en ce domaine, comme dans celui de la transition énergétique ou du redressement productif, peut rassembler les différentes parties par-delà leurs divergences de vues. C’est un défi français.

Sur les taxes, je ne partage pas l’avis de M. Michel Heinrich. Lorsque le taux est limité à 1 % et que le produit est affecté pour 70 % à des aides au changement de matériel, il s’agit plutôt d’un investissement d’avenir que d’une taxe punitive ou discriminante. En revanche, il est parfaitement vrai que l’harmonisation européenne des produits peut avoir un effet très discriminatoire – particulièrement dans les zones frontalières puisque, à quelques kilomètres de distance, on peut utiliser ou non certains produits, ou des semences génétiquement modifiées. Il faudrait soit interdire partout, soit n’interdire nulle part.

M. Gilbert Sauvan a évoqué les collectivités exemplaires, au premier chef desquelles je citerai les régions Poitou-Charentes et Bretagne. Cette dernière, « tétanisée » par les nitrates, a souhaité être pionnière pour les phytosanitaires, et a montré que c’était possible dans un climat plutôt humide, favorable aux mauvaises herbes. Le rapport à la mémoire des morts conduit à devoir réfléchir davantage à l’interdiction de tout phytosanitaire dans les cimetières, car il y a un aspect culturel à prendre en compte.

Je comprends les inquiétudes de M. Guillaume Chevrollier au sujet des pratiques administratives et des normes. Si je suis partisan de la simplification, je ne le suis pas moins de la régulation. Or j’observe que, derrière certaines demandes de simplification, se cache en réalité une volonté de dérégulation, qui revient à laisser l’avantage aux plus puissants. Il faut savoir faire le départ entre les bonnes et les mauvaises normes, et notre collègue Frédérique Massat est d’ailleurs chargée d’une mission de simplification administrative.

Je suis d’accord avec Mme Sophie Rohfritsch qui a évoqué une approche par filières et par territoires : c’est exactement ce que je préconise, car il n’y a pas de modèle unique.

Je veux bien admettre, avec M. Christophe Priou, que tous les rapports n’ont pas la même utilité, particulièrement lorsqu’ils ne sont pas suivis… Je veux lui dire que, sur ces sujets extrêmement sensibles, le Gouvernement m’a laissé carte blanche. On critique volontiers le fonctionnement du Parlement sous la Ve République, mais je puis témoigner de la confiance et de la liberté dont j’ai pu jouir pour mes travaux. Il appartient néanmoins au Gouvernement de décider ensuite – et j’observe avec satisfaction qu’il a retenu une majorité de propositions du rapport.

À ceux qui me demandent quels niveaux de collectivités seront responsables, je réponds sans hésiter : les communautés de communes et les régions agrandies.

M. Laurent Furst a dit qu’il faut éviter les mauvaises concurrences et simplifier pour préserver l’équité. Je partage pleinement son avis, par ailleurs, sur l’attention qui doit être portée aux vers de terre… (Sourires.)

Je concède à Mme Brigitte Allain que le rapport n’insiste pas assez sur le thème de l’alimentation comme moteur du changement. À cet égard, je vous renvoie aux propositions  50 et 51, qui visent à organiser un dialogue des filières afin d’éviter que le caprice des consommateurs, encouragé de façon démagogique par certains acteurs de l’agroalimentaire, ne crée des impasses de production. Lorsque, par exemple, un acheteur de pommes allemand propose à un producteur de la vallée de la Drôme de se limiter à deux molécules, il le contraint à traiter massivement ses fruits pour résister aux bioagresseurs. Or, un panel de trois molécules, négocié intelligemment au sein de la filière, aurait permis de diviser les doses par deux. Dans ce dialogue de filière, l’État a à jouer un rôle d’animateur plus que d’arbitre, puisque la liberté du commerce est en jeu.

Je confirme que les modifications des habitudes alimentaires constituent un véritable instrument de changement. J’accueille M. Nicolas Hulot dans ma circonscription après-demain et vais le faire dialoguer avec la chambre d’agriculture, les syndicats de tous horizons, le conseil général et le conseil régional. Nous allons réfléchir avec lui à des solutions qui permettent de valoriser non seulement le bio, lequel ne pourra jamais répondre à l’ensemble de la commande publique, mais aussi des produits dits intégrés de niveau 1 ou 2. La commande publique, les circuits courts, l’éveil des consommateurs sont autant de moteurs puissants.

Je conclurai en faisant le lien avec la mission confiée à M. Guillaume Garot sur le gaspillage alimentaire. Nous avons une démarche écophytosanitaire, agroécologique, qui prône – 20 à – 25 % de pesticides, un ministre qui annonce 50 % de fermes pratiquant l’agro-écologie dans cinq à dix ans, tandis que M. Garot nous rappelle, de son côté, que 20 à 25 % de la nourriture produite est jetée « entre la fourche et la fourchette ». Pour réussir la transition, nous devons agir sur les deux fronts : lutter contre le gaspillage, changer nos pratiques alimentaires, hiérarchiser nos choix de consommateurs, mais aussi créer une alimentation de qualité, environnementale comme gustative, de nature à garantir à notre pays les capacités de production lui permettant de se nourrir lui-même et de tenir sa place dans l’économie-monde.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie beaucoup pour cette présentation.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 10 février 2015 à 17 h 15

Présents. – Mme Laurence Abeille, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Michel Lesage, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. – Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Serge Bardy, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. – Mme Brigitte Allain, M. Philippe Noguès