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Mercredi 1er avril 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 41

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président, puis de Mme Catherine Quéré Vice-Présidente

– Table ronde sur les Objectifs du développement durable, avec la participation de M. Serge Michailof, consultant, ancien directeur à la Banque mondiale et à l'Agence française de développement (AFD) ; M. Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS, ancien ambassadeur en République Démocratique du Congo et au Ghana, économiste ; M. Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l'AFD, et M. Frédéric Bontems, directeur du développement et des biens publics mondiaux à la direction générale de la mondialisation au ministère des affaires étrangères et du développement international.

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les Objectifs du développement durable, avec la participation de M. Serge Michailof, consultant, ancien directeur à la Banque mondiale et à l'Agence française de développement (AFD) ; M. Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS, ancien ambassadeur en République Démocratique du Congo et au Ghana, économiste ; M. Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l'AFD, et M. Frédéric Bontems, directeur du développement et des biens publics mondiaux à la direction générale de la mondialisation au ministère des affaires étrangères et du développement international.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il y a quelques semaines, nous avons pris la décision d’organiser une table ronde sur les Objectifs du développement durable (ODD) qui prendront le relais, fin 2015, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ces derniers ont été fixés par la Déclaration du millénaire du 8 septembre 2000 que les membres des Nations unies se sont engagés à réaliser : éliminer l'extrême pauvreté et la faim, assurer l'éducation primaire pour tous, promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, réduire la mortalité des enfants de moins de cinq ans, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH, le paludisme et d'autres maladies, assurer un environnement durable, mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Un processus de consultation est en cours pour définir les ODD. Leur liste définitive sera arrêtée lors du sommet spécial sur le développement durable qui se tiendra à New York en septembre 2015.

La France est engagée au plus haut niveau dans la définition de ces objectifs et de l'agenda de leur mise en œuvre. Par ailleurs, la société civile a pu contribuer à la réflexion sur la définition de la position française à travers les Assises du développement et de la solidarité internationale qui ont eu lieu fin 2012 - début 2013 et qui ont donné lieu à la publication d'un document sur l'agenda post-2015.

La table ronde organisée aujourd'hui est centrée sur les priorités que notre pays entend défendre dans le cadre de la définition des ODD : renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ; accès universel à l'eau potable et à l'assainissement ; accès à une éducation de qualité pour tous tout au long de la vie ; promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes ; accès de tous à la santé, notamment grâce à une couverture sanitaire universelle ; accès de tous à un travail décent, à une énergie durable, à un cadre de vie décent, et connecté aux services, aux infrastructures et aux biens culturels ; préservation des biens publics mondiaux ; promotion d'une gouvernance démocratique.

En votre nom, j’ai le plaisir d’accueillir M. Serge Michailof, consultant, ancien directeur à la Banque mondiale et à l'Agence française de développement (AFD), M. Pierre Jacquemot, président du Groupe de recherche et d'échanges technologiques (GRET), chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), ancien ambassadeur en République démocratique du Congo (RDC) et au Ghana, M. Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l'AFD, et M. Frédéric Bontems, directeur du développement et des biens publics mondiaux à la direction générale de la mondialisation au ministère des affaires étrangères et du développement international.

Je vous propose de commencer notre table ronde en écoutant les intervenants avant de passer aux questions des groupes politiques et des députés.

M. Frédéric Bontems, directeur du développement et des biens publics mondiaux à la direction générale de la mondialisation au ministère des affaires étrangères et du développement international. Au préalable, je précise que mes fonctions au ministère des affaires étrangères et du développement international me conduisent à coordonner l’équipe qui négocie les ODD pour la France.

On nous avait demandé d’intervenir sur les ODD, analysés sous l’angle du développement durable et de l’aménagement du territoire. Dans le temps de quelques minutes qui m’est imparti, je vais essayer de vous livrer les quatre idées qui me semblent les plus importantes.

Cet agenda des ODD qui prendra le relais des OMD en 2015 innove sur trois points : il est universel, transversal et transformatif. Son caractère universel implique que, contrairement aux OMD, il concerne tous les pays du monde : les États-Unis ou la France comme le Bénin ou le Burkina Faso. Son caractère transversal signifie qu’il intègre tant le domaine du développement social et économique que celui de l’environnement et du climat ; il s’inscrit dans la filiation des conférences des Nations unies sur le développement durable, Rio et « Rio + 20 ». Enfin, cet agenda se veut transformatif, c'est-à-dire qu’il ambitionne de changer les modèles économiques des sociétés, en encourageant des modes de production différents.

Cet agenda a une double nature. D’un côté, il s’agit d’une sorte de charte qui exprime une vision partagée de l’avenir collectif que nous voulons dessiner pour tous les pays et il est donc plus déclaratif que normatif. Personne n’imagine que tous les gouvernements du monde, quelle que soit leur orientation politique, auront comme priorité de mettre en œuvre l’ensemble du programme défini par l’agenda post-2015. De l’autre côté, cet agenda définit les objectifs de la communauté internationale du développement, c'est-à-dire de l’ensemble des agences bilatérales, multilatérales, généralistes ou sectorielles qui interviennent en matière de développement. Il a ainsi une dimension plus précise puisqu’il va organiser la politique de solidarité internationale et de développement pour les quinze ans à venir.

Comment la France s’est-elle organisée pour participer aux travaux de cet agenda ? Nous avons travaillé dans le cadre d’un groupe interministériel comprenant le ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI) mais aussi le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) qui a joué un rôle extrêmement important, assistant à toutes les sessions de négociations à New York. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le Président, la société civile a été impliquée à travers les Assises du développement et de la solidarité internationale. Tout au long des négociations, nous avons aussi organisé de multiples rencontres et discussions avec les associations et la société civile, afin de faire valoir leurs positions.

Lors de ces négociations, nous avons été animés par un double souci : défendre des objectifs ambitieux et qui soient conformes à nos grandes orientations nationales. Nous voulions intégrer la dimension climatique qui est présente à la fois à travers un objectif dédié et une prise en compte transversale dans tous les objectifs. Nous voulions aussi retenir tous les aspects du développement durable, notamment les modes de consommation et de production durables, la protection des écosystèmes, l’économie circulaire, etc. Cet agenda devait néanmoins rester conforme aux grandes orientations que la France suit pour elle-même : les visées universelles ne doivent pas entrer en contraction avec nos projets nationaux. Il me semble que nous y sommes très largement parvenus.

L’aménagement du territoire n’est pas pris en compte en tant que tel dans l’agenda mais il est plutôt envisagé sous l’angle de l’égalité d’accès aux services publics, particulièrement à l’eau et à l’énergie. On le retrouve également à travers le thème de la préservation des écosystèmes terrestres, notamment dans l’ODD n° 15. À New York, le débat sur le rôle des collectivités et autorités locales a été complexe : d’une part, nous ne voulions pas opposer les villes et les campagnes ; d’autre part, nous étions face à 190 pays dont les organisations territoriales et les structures de pouvoir sont extrêmement variées. Nous sommes parvenus à une rédaction qui n’est pas forcément très heureuse, celle de l’ODD n° 11 : « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et soutenables. » Quant à l’ODD n° 16, il porte sur les aspects de gouvernance, de droits de l’homme, d’État de droit, et l’une de ses cibles énonce la nécessité de « faire en sorte que le processus de prises des décisions soit souple, ouvert à tous, participatif et représentatif à tous les niveaux. » Les collectivités territoriales sont directement concernées.

Où en sommes-nous et quelle est la suite des travaux prévus ? En juillet dernier, dans le cadre du groupe de travail des Nations unies, nous avons adopté une liste de dix-sept objectifs qui sont associés à quelque 170 cibles plus précises. C’est beaucoup. Quand on négocie à 190 pays, il est toujours plus facile d’ajouter que de retrancher. En tant que négociateurs français, nous avons le sentiment que ces objectifs reprennent 90 % ou 95 % de nos souhaits et ne contiennent rien d’insupportable. Nous sommes donc plutôt satisfaits du résultat. Nous sommes actuellement engagés dans un travail sur les indicateurs associés à ces objectifs, qui va se poursuivre jusqu’au début de l’année prochaine dans le cadre d’un groupe de travail des Nations unies auquel la France participe très activement. Il reste quelques débats sur les cibles associées aux indicateurs, mais ils devraient être relativement limités. En septembre prochain, devrait donc être adopté un agenda très proche de sa version provisoire actuelle.

M. Pierre Jacquemot, président du GRET, chercheur associé à l'IRIS. C’est en ma qualité de président du GRET, une organisation non gouvernementale (ONG) française spécialisée dans le développement, que je vais m’exprimer ici. Je vais exposer le point de vue partagé par les organisations françaises émanant de la société civile. Parmi les documents qui vous sont distribués, vous trouverez un texte de Coordination Sud, l’organisation qui « chapeaute » les ONG françaises impliquées dans les questions internationales.

En premier lieu, je voulais indiquer notre appréciation générale du travail effectué sur les ODD. Nous saluons le travail de consultation tout à fait exceptionnel qui a été mené depuis deux ans. Nous saluons aussi le choix de faire des ODD un enjeu universel, sachant que les pays du Nord sont, eux aussi, concernés par les inégalités. Dans les propositions qui sont faites, le secrétaire général des Nations unies insiste sur la dignité. Davantage que la lutte contre la pauvreté qui est la thématique générale, la conquête de dignité nous paraît être un enjeu extrêmement fort.

En ce qui concerne l’ambition transformatrice des ODD, il faut signaler que les travaux effectués n’ont pas vraiment cherché à analyser la raison du creusement des inégalités dans le monde en général et dans chaque pays en particulier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut s’interroger sur la capacité des seuls ODD à remédier aux inégalités flagrantes qui existent à l’échelle internationale comme à celle qui existe au niveau des pays ou des territoires.

Les ODD sont au nombre de dix-sept. D’aucuns, qui s’expriment notamment dans la presse anglo-saxonne, estiment que c’est beaucoup trop. Pour notre part, nous préconisons de les maintenir tels qu’ils sont. Si nous commençons à détricoter le dispositif, nous risquons de voir les uns ou les autres retirer les problématiques de genre, de climat ou autres, qui ne plaisent pas à tout le monde. Nous plaidons pour le maintien des dix-sept ODD tels qu’ils sont ainsi que des cibles qui leur sont associées.

Entre autres motifs de satisfaction, nous avons celui de retrouver des approches qui sont voisines de celles de la France sur les questions de développement : par le droit, par les socles de protection sociale, et par les territoires. Les droits humains, sociaux et économiques sont très présents dans les ODD, ce qui traduit une évolution qui nous semble tout à fait favorable et qui rejoint le travail qui a été effectué par le Parlement français avec l’adoption, en juillet dernier, de la loi sur le développement et la solidarité. L'approche par les socles de protection sociale, qui nous tient beaucoup à cœur, se retrouve dans plusieurs ODD et repose sur l’idée que, pour accéder aux biens publics, un minimum requis doit être garanti d’une manière ou d’une autre. Quant à l’approche par les territoires, elle laisse penser qu’il n’y a pas de formule universelle : il y a des approches universelles mais les options politiques et pratiques doivent être adaptées aux réalités locales selon le principe de l’appropriation.

S’agissant des thèmes, nous insistons sur ceux qui nous sont particulièrement chers : l’économie paysanne et familiale ; l’accès pour tous à l’éducation, à la santé, à l’eau potable et à l’assainissement ; la lutte contre le dérèglement climatique. L’économie paysanne et familiale, qui a fait l’objet de nombreux travaux l’année dernière, peut permettre la résorption du chômage rural. En outre, l’ensemble de la planète – en particulier les villes –, peut bénéficier de ses activités liées à l’alimentation. Dans les ODD actuels, on retrouve assez bien tous ces thèmes qui nous paraissent devoir être mis en exergue.

À chaque ODD ainsi qu’à leurs cibles sont associés des indicateurs de suivi. Ce travail extrêmement lourd et complexe ne sera pas terminé en septembre 2015 et il se poursuivra en 2016. À l’initiative de la France, des travaux avaient été conduits dans ce domaine, il y a quelques années. On ne peut fixer des objectifs sans prévoir un système qui permette de mesurer les performances des différents pays, au fil du temps.

La cohérence est une autre question clé. On ne peut pas avoir une politique agricole commune (PAC) qui diverge des préconisations que nous formulons à l’échelle internationale ou pour les pays pauvres. Il en va de même en matière de climat ou de commerce.

Venons-en à la question du financement. Pour réaliser les ODD entre 2016 et 2030, les besoins de financement sont absolument considérables : on parle de 2 à 3 trillions de dollars par an pendant quinze ans, sachant que l’aide publique internationale actuelle est de l’ordre de 140 milliards de dollars. L’écart est énorme. Ces estimations hypothétiques montrent qu’il va falloir mobiliser des ressources tout à fait exceptionnelles.

C’est d’abord aux États eux-mêmes, qu’il revient de trouver leurs propres sources de financement des ODD. Nous constatons qu’il existe une fâcheuse tendance à rechercher des ressources au plan international alors que d’énormes gisements pourraient être mobilisés grâce à des évolutions dans le domaine fiscal – moins de droits de porte et plus de droits internes –, à une meilleure utilisation des ressources venant des migrants, à une lutte efficace contre les fuites de capitaux. Selon les dernières statistiques, parues il y a quinze jours, l’Afrique perd 50 milliards de dollars par an du fait de la fuite des capitaux.

Si le développement durable doit d’abord être financé par des ressources domestiques, il est évident que celles-ci ne suffiront pas. Nous collaborons à la réflexion générale sur les mixages qui permettent d’associer diverses ressources – privées, publiques, issues de l’économie sociale et solidaire – afin de construire des modèles de financement adaptés. Les ressources publiques sont de plus en plus faibles, particulièrement en France : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vient de classer notre pays parmi les mauvais élèves en matière d’aide publique au développement. Ces ressources publiques servent à garantir la prise de risque par des opérateurs privés, ce que l’on appelle l’effet de levier ou catalytique. Les réflexions sur la co-création de projets par le public, le privé et le monde associatif nous paraissent intéressantes.

Chaque année, lors de l’examen du volet relatif à l’aide publique de la loi de finances, vous insistez sur les garanties de redevabilité et de transparence. Comme à vous, ces garanties nous sont chères car nous considérons qu’il faut rendre compte de l’efficacité de ces ressources.

Enfin, il m’appartient de dire que les ONG françaises jouent un rôle majeur à la fois sur le terrain et par le biais de leurs nombreuses innovations. Or, en termes de financements, le sort qui leur est réservé n’est pas à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre.

M. Serge Michailof, consultant, ancien directeur à la Banque mondiale et à l'Agence française de développement. Je vais m’exprimer en tant que consultant individuel, chercheur associé à l’IRIS et enseignant, c'est-à-dire en tant que « parfait irresponsable » : je ne représente aucune institution. Depuis dix ans que j’ai quitté toute fonction officielle, je travaille sur la situation de pays fragiles, dont certains émergent d’un conflit alors que d’autres, comme le Niger dont je suis rentré hier matin, n’en sont toujours pas sortis. Je voudrais me placer dans la perspective des agences de développement qui observent la situation de ces pays qui nous posent de plus en plus de problèmes.

Les OMD de l’an 2000 ont beaucoup de défauts qui ont fait leur succès : définis au cours d’un processus descendant (top-down) et piloté par un comité très restreint de personnes du comité d’aide au développement et par Jeffrey Sachs, ils sont restés très simples et facilement compréhensibles. Ils ont une dimension systématique, c'est-à-dire qu’ils s’appliquent à tous les pays en voie de développement, quel que soit leur niveau effectif de développement.

Leur simplicité a fait leur faiblesse. Leur polarisation sur les seuls aspects sociaux est un produit de l’histoire : il fallait se faire pardonner les dérives de l’aide au développement des années 1980 et 1990, durant lesquelles des politiques d’ajustement structurel ont littéralement mis à bas les secteurs sociaux. Les OMD sont focalisés sur la lutte contre la pauvreté, un objectif très simple. Les principaux responsables sont identifiés, l’aide publique au développement étant un acteur et un responsable fondamental.

Dans ce contexte, les OMD ont été une véritable boussole : ils ont dirigé les flux de l’aide internationale vers certains sujets qui paraissaient majeurs à la collectivité internationale. Réalistes, ils n’ont rien de vœux pieux. En cela même, ils portent une assez lourde responsabilité dans la mesure où ils ont oublié certains éléments essentiels de la lutte contre la pauvreté. Ils ont oublié le rôle de la croissance économique, alors que celle de la Chine a permis à elle seule d’atteindre les objectifs. Ils ont oublié – ce qui est très grave à mon sens – que la lutte contre la pauvreté passe d’abord par le développement de la petite paysannerie, dans les pays les plus pauvres. Cet oubli a renforcé les distorsions en matière d’allocations d’aide publique au développement, au détriment de l’agriculture.

Si la focalisation des ODD sur les secteurs sociaux était louable, elle a créé des habitudes et des dépendances dans des pays qui sont incapables de soutenir l’effort budgétaire correspondant alors que l’aide internationale ne peut s’engager sur le long terme. Les OMD ont aussi écarté le problème des bidonvilles : l’afflux des nouveaux arrivants équivaut au nombre estimé des personnes qui en partent chaque année. Enfin, dans le secteur de la santé, ils ont complètement laissé de côté le problème de la maîtrise de la fécondité. Rappelons qu’au Niger, la population double tous les dix-huit ans.

Venons-en aux ODD. Je crains qu’à vouloir corriger les défauts précités et se fixer des objectifs beaucoup plus ambitieux, nous n’en arrivions à une situation très problématique.

D’abord, à la place d’un processus descendant très simple et très critiquable, où une bureaucratie définit ex abrupto un nombre limité d’objectifs, nous avons une démarche participative qui, si je m’en réfère à internet, a impliqué un million de personnes, des centaines de groupes et d’institutions. Le mécanisme relève de l’usine à gaz. On voit bien que ce sont les bureaucraties des Nations unies, sous leur pire aspect, qui ont été ici aux manettes.

Ensuite, on a cherché à fusionner les OMD, les ODD issus de la conférence de Rio et d’autres objectifs, tout à fait nobles, qui se rapportent aux droits de l’homme. Résultat : la confusion règne ; des objectifs de nature microéconomique ou se référant aux biens publics mondiaux se mêlent à des vœux pieux et à des déclarations de bonnes intentions. On lutte à la fois contre l’insécurité routière, la pauvreté et le changement climatique.

La méthode choisie a conduit à une prolifération d’objectifs et de cibles – respectivement dix-sept et 169. On perd de vue les réelles priorités, en tout cas celles des pays qui me concernent. Le message, lui, perd de sa clarté : au-delà de cinq objectifs, on ne les a plus en tête, alors quand on en a dix-sept… Le manque de clarté, l’absence de priorités, le mélange d’objectifs de nature différente rendent pratiquement impossible le retour à un recoupement d’objectifs cohérent. Sur internet, j’ai trouvé au moins une dizaine de tentatives de recoupement des objectifs dont aucune n’est vraiment satisfaisante.

La volonté de fixer des objectifs identiques à tous les pays, quel que soit leur niveau de développement économique, relève de l’utopie. La responsabilité, quant à l’atteinte ou non des objectifs, s’en trouve complètement diluée. Les concepteurs ont dû reconnaître qu’il fallait adapter les objectifs au niveau de développement économique, ce qui veut dire que les pays concernés risquent d’adopter une approche à la carte : ils vont picorer les objectifs qui les intéressent et oublier les autres. Je connais bien la Chine ; j’ai passé dix ans de ma vie aux États-Unis ; je travaille sur le Sahel depuis quarante ans ; je suis allé quinze fois en Afghanistan depuis douze ans. Et je ne vois pas comment on peut fixer des objectifs identiques à tous.

La semaine dernière, par exemple, j’ai participé à des séances de travail avec les responsables du plan de développement nigérien. Ils se demandaient s’ils devaient signaler le fait qu’une centrale à charbon allait être construite au Niger ? Ils se posent une telle question alors que la Chine construit une centrale à charbon par semaine !

Certains ODD ont un côté « vœu pieux » qui frôle le ridicule, alors que les OMD étaient concrets et très ciblés. Pour autant, les omissions graves des OMD n’ont pas toutes été correctement corrigées. Qu’y a-t-il sur un développement agricole accéléré, fondé sur le paysannat, et sur une condamnation sans équivoque des achats ou locations de terres par les pays riches dans les pays pauvres ? Rien de bien convaincant. Le problème des bidonvilles et des quartiers non intégrés est abordé, mais les mesures n’ont pas le caractère contraignant que j’aurais aimé trouver. Y a-t-il des objectifs ambitieux de régulation de la fécondité ? Je n’ai trouvé que des allusions vagues, à droite et à gauche. Qu’en est-il des pays les moins avancés (PMA), de ceux qui sont extrêmement fragiles en raison de conflits récemment terminés ou non encore achevés ? Je n’ai rien trouvé sur la nécessité de renforcer leur secteur régalien ni sur les réformes nécessaires et urgentes dans le domaine de la sécurité.

Pour résumer, je trouve que cette opération est beaucoup trop ambitieuse, et qu’il aurait fallu établir une typologie des pays pour distinguer ceux de l’OCDE, les pays émergents, les pays à revenu intermédiaire, les PMA, et les pays déstabilisés par un conflit récent ou en cours.

Les États-Unis et la Grande-Bretagne plaidaient pour une reprise des OMD corrigés de leurs erreurs manifestes. Cette approche aurait été d’autant plus réaliste et raisonnable que, selon mon expérience personnelle, c’est le temps et la durée des efforts qui comptent en matière d’aide au développement. Le Niger, par exemple, n’aura atteint aucun des OMD. Il aurait fallu repartir des OMD pour fixer huit à dix objectifs réalistes.

S’agissant de la position française, je la connais par le rapport du ministère des affaires étrangères de 2013. Les priorités qui y sont définies me semblent raisonnables, sous réserve d’un regroupement des pays selon une typologie simple et de la prise en compte des omissions des OMD. J’en déduis que nous avons été prisonniers d’une mécanique qui relève de l'usine à gaz, que nous n’avons pas pu nous en dégager, que nous avons fait pour le mieux. Mais je ne suis pas très satisfait et je ne dois pas être le seul, si j’en juge d’après l’article de The Economist que je viens de découvrir.

M. Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l’Agence française de développement. J’interviens ici à un double titre. J’ai été l’un des membres du panel mis en place par Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, afin de préparer les ODD. Présidé par les présidents indonésien et libérien et par le Premier ministre britannique, ce panel rassemblait une quinzaine de personnes. Le processus des ODD a été initié par le rapport rédigé par ce panel, dont on retrouve la quasi-totalité des idées dans le document final, à certains éléments près. En 2011 et 2012, avec l’appui du secrétariat général des Nations unies, nous avions lancé une consultation extraordinairement large sur ces ODD, ce qui me permet de nuancer les propos de Serge Michailof : bien qu’il y ait eu une très grande concertation, notamment avec la société civile, le point de départ du processus était relativement concentré, sans pour autant être non démocratique ou déjà négocié.

La seconde fonction qui explique ma présence ici, c’est celle de président de Convergences, un mouvement qui milite pour les OMD depuis une petite décennie. Les 6, 7 et 8 septembre prochain, Convergences réunira quelque 7 000 personnes pour sa conférence annuelle qui offrira l’occasion d’amorcer le travail d’internalisation des ODD par tous les partenaires de la société civile.

Ce processus des ODD a abouti au concept de la double universalité dont certains points sont très importants pour les gouvernements et les représentations parlementaires.

L’élargissement de l’agenda, abondamment critiqué par Serge Michailof, va permettre d’insister sur l’approche par les droits, une revendication fondamentale de la société civile. Rappelons que les OMD étaient perçus comme des objectifs technocratiques élaborés par les agences de développement, et que leur légitimité était très faible dans la société civile, aussi bien celle des pays du sud que celle des pays industrialisés. Le processus réhabilite le critère de croissance économique et identifie un objectif spécifique lié à la création d’emplois et à l’accès à l’emploi. De ce fait, l’agenda des ODD s’appuie sur les trois piliers du développement durable – l’économie, l’environnement et le social – et il introduit une approche par les droits.

Cet agenda est universel car il s’applique également aux pays de l’OCDE. À partir de 2016, le Gouvernement français et les parlementaires vont être interpellés sur la façon dont ils contribuent à l’atteinte des ODD sur le sol français. « C’est ridicule, comment peut-on avoir les mêmes objectifs que le Burkina Faso ? » m’objecterez-vous. La France n’aura pas les mêmes objectifs que le Burkina Faso, ce serait un non-sens. En revanche, la France va être interpellée sur sa politique de l’emploi – pour citer un sujet qui fait un peu mal – sur l’égalité des sexes, sur l’environnement, sur le changement climatique, sur la biodiversité. Elle sera amenée à formuler des objectifs et des contributions. Sous l’effet de cet agenda global, les ministères français concernés – environnement, transports, affaires sociales – devront répondre sur la manière dont ils s’intègrent dans ce processus onusien.

Pourquoi en est-on arrivé là ? Je peux témoigner, pour avoir vécu le processus ayant conduit à la définition d’objectifs universels, qu’il s’agit d’une revendication fondamentale des pays en développement, notamment africains. Pour les pays pauvres, il est humiliant d’être les seuls auxquels on fixe des objectifs internationaux : ils n’ont cessé de le répéter pendant toute la durée de la concertation car ils y voient une forme de tutelle coloniale inacceptable. Il faut vivre avec cette réalité politique. Il n’aurait pas pu y avoir des OMD 2, parce que les pays en développement auraient refusé des objectifs qui leur auraient été spécifiquement attribués. On peut s’en indigner, dire que c’est confus, mais c’est comme ça. Il ne pouvait être question de redéfinir des OMD plus ou moins bons pour les pays en développement, le choix se situait entre la suppression des OMD ou l’élaboration d’ODD globaux.

Autre aspect que je souhaiterais souligner : il est très difficile de vouloir le beurre, l’argent du beurre, l’estime du crémier et la main de la crémière. À partir du moment où l’on conteste le caractère descendant des OMD, leur faible légitimité politique, leur manque de prise en compte des préoccupations des populations, et que l’on engage une vaste consultation de la société civile, il faut en accepter les conséquences. En sortant d’un système perçu comme autoritaire et néocolonial et en négociant avec 190 États, on obtient un produit qui reflète la diversité et les ambitions de la planète. C’est le fruit d’une négociation où chacun doit tenir compte des objectifs de l’autre. Il va falloir passer sur des défauts qui sont différents de ceux des OMD. Les ODD sont plus modernes et en résonance avec la société mondiale contemporaine que les OMD, mais ils ont d’autres défauts qu’il va falloir gérer.

Outre cette question de la double universalité, qui me semble inévitable, je voudrais évoquer le partenariat global. Enfonçons encore une fois cette porte ouverte : ni l’aide publique au développement, ni les financements publics ne sont à la hauteur du défi des ODD. Je vous propose de vous référer au scénario macroéconomique qui sous-tend les ODD et qui figure dans le rapport du panel de haut niveau. Selon ce scénario, si la planète conserve un rythme de croissance de l’ordre de 4 % par an en moyenne – 6 % dans les pays en développement, 2 % dans les pays de l’OCDE – et si un processus de répartition équitable de cette richesse se met en place, alors on peut éliminer l’extrême pauvreté sur la planète dans les quinze ans.

Les deux conditions vont de pair : sans une croissance moyenne de 4 %, les ODD ne seront pas atteints, ce n’est même pas la peine d’en parler ; sans politiques redistributives fortes, ils ne seront pas atteints non plus. Pour la réalisation de la première condition, les politiques publiques sont très importantes, mais les financements publics sont presque marginaux et le comportement des acteurs privés est absolument essentiel. Dans le partenariat global qui est appelé pour la mise en œuvre de ces ODD, les acteurs privés vont jouer un rôle primordial, alors qu’ils étaient dans une quasi zone d’ombre des OMD.

Qu’attend-on des acteurs privés ? On attend d’abord qu’ils réorientent les flux financiers mondiaux. Ce mouvement est en cours : les investissements privés vers les pays les plus pauvres de la planète – c'est-à-dire des pays comme le Niger ou la RDC – ont quadruplé au cours de la dernière décennie, mais ils sont encore très insuffisants par rapport aux besoins.

On attend ensuite qu’ils contribuent à la mise en place de services aux populations, qui vont permettre de lutter efficacement contre la pauvreté. C’est tout l’agenda de la « Base de la pyramide » (Bottom of the pyramid – BOP) qui correspond à la fraction la plus vaste mais aussi la plus pauvre de la population mondiale. Il s’agit de la fourniture par des acteurs privés, à but lucratif ou non, des services essentiels : accès à l’énergie, à la santé, à l’éducation... La sphère est très large.

On attend enfin une montée en puissance de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qui se rapporte à leurs pratiques : manières d’investir, comportements vis-à-vis de leurs salariés, clients et fournisseurs, attitudes en matière d’environnement, etc. Cette activité demande à la fois une régulation internationale mais aussi une transformation volontaire des pratiques des acteurs car il est impossible de réguler tous les sujets qui entrent dans le champ de la RSE.

Ces ODD nous ouvrent à de nouvelles ambitions, tout en étant porteurs de défaillances. C’est avec tristesse que l’on doit accepter chaque critique formulée par Serge Michailof. Mais une fois ces critiques formulées, que faire ? Il faut saisir les opportunités qui s’offrent : faire émerger certaines préoccupations de politiques publiques dans l’agenda national français, valoriser la contribution de notre pays à l’amélioration du bien-être mondial. Il faut travailler sur la convergence de la politique française avec les politiques internationales. Intéressons-nous aux possibilités offertes par l’approche par les droits, qui est une façon de travailler sur la problématique des régimes autoritaires et des libertés publiques dans les pays en développement, et qui ouvre des perspectives de légitimité qui n’existaient pas autrefois. Il faut travailler sur la croissance économique et son rôle dans le développement, introduire la question du secteur privé et des partenariats multi-acteurs.

Ces idées ne sont pas forcément toutes nouvelles mais elles peuvent faire progresser l’agenda du développement. Certes, nous avons 170 cibles et dix-sept objectifs que personne n’est capable de mémoriser. Est-ce vraiment si important ? Nous avons cette chance extraordinaire d’être mobilisés collectivement autour d’un objectif fantastique : l’élimination de l’extrême pauvreté en l’espace d’une génération. Si nous avons la chance de vivre cet événement grâce aux ODD, nous n’aurons pas perdu notre temps.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vais maintenant passer la parole aux représentants des groupes, en commençant par Chistophe Bouillon, pour le groupe SRC.

M. Christophe Bouillon. Je voudrais remercier à la fois le président d’avoir organisé cette table ronde et les intervenants d’avoir tenu des propos sans concession qui permettent d’ouvrir largement la discussion.

Se fixer des objectifs c’est bien ; se donner les moyens de les atteindre, c’est mieux. La question du financement des ODD se pose, en effet, quand on voit combien il est difficile d’alimenter le Fonds vert, destiné à aider les pays pauvres à lutter contre le réchauffement climatique. Êtes-vous optimistes sur l’issue de la conférence sur le financement du développement durable qui doit se tenir à Addis-Abeba en juillet 2015 ?

Comment articuler ces objectifs avec la conférence sur le climat, dite COP 21, qui va avoir lieu à Paris, avec le forum mondial de l’eau qui va de dérouler en Corée ou avec l’Exposition universelle qui va se tenir à Milan sur le thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie » ? Vous avez évoqué l’idée de lier les ODD à ces rendez-vous cruciaux. Ajoutons que les Nations unies ont choisi de faire de 2015 l’année internationale de l’agriculture, en posant notamment la question du foncier et de l’affectation des sols.

À raison, Serge Michailof a évoqué le bilan des OMD : avant de lancer de nouveaux objectifs, il est utile de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les précédents n’ont pas été atteints. Quels freins et obstacles ont empêché d’atteindre les OMD ? Des progrès n’ont-ils pas néanmoins été constatés, notamment en termes de santé et d’accès à la nourriture ? Quels ont été les progrès mesurables par rapport aux objectifs chiffrés ?

Quelle est votre vision de la précarité énergétique, une notion essentielle qui est liée aux ODD et aux problématiques du changement climatique et des réfugiés climatiques ? Les événements récents montrent que cette question viendra, elle aussi, contrarier les ODD.

M. Laurent Fabius, que nous recevions récemment en audition commune avec la Commission des affaires étrangères et celle des affaires européennes, évoquait le lien qui existerait entre le climat et le SIDA ou d’autres maladies. Qu’en pensez-vous ?

Comment envisagez-vous le rôle des femmes dans le développement, que vous avez évoqué par le biais de l’agriculture familiale ?

Pour permettre le financement des ODD, la planète doit conserver un rythme de croissance de l’ordre de 4 % par an, dites-vous. Qu’entendez-vous par croissance ? Êtes-vous favorable à la croissance verte ? Comment la définissez-vous ? Quelles sont vos réflexions sur le modèle économique et notamment sur la mesure de progrès humain ?

La corruption figure parmi les freins et obstacles à la réalisation des ODD. L’aide, qui existe même si elle n’est pas à la hauteur des enjeux, se perd parfois comme l’eau dans le sable. Vous avez évoqué l’évasion fiscale, mais que pensez-vous de la corruption qui sévit dans certains pays et sur certains continents ?

Enfin, j’aimerais connaître vos avis sur les nouvelles orientations de l'AFD, notamment sur la priorité donnée aux énergies renouvelables et sur la concentration des aides utilisées comme levier pour les ODD.

M. Martial Saddier. Les députés UMP font leurs les 17 objectifs définis en l’an 2000 afin de lutter contre la pauvreté et les inégalités. Si ces questions sont urgentes, elles s’inscrivent aussi dans la durée et, pour cette raison, concerneront d’autres majorités. C’est donc avec humilité que nous devons aborder ce défi considérable qu’est la diminution des écarts de pauvreté à l’échelle mondiale.

Nous prônons également une évaluation qui serve de base aux objectifs fixés pour la période 2015-2030. Un arbre cache la forêt, puisque le boom économique de la Chine, lors de la précédente décennie, a largement pesé sur des indicateurs mondiaux qui affichent une réduction de la pauvreté, une baisse des mortalités infantile et maternelle ainsi qu’un recul de la faim et des maladies : en dépit de ces chiffres, les inégalités restent fortes d’un continent à l’autre.

Des élus, au Parlement et dans les territoires, se sont engagés dans ce combat, par exemple – on l’a rappelé – au Niger, où une commune de 50 000 habitants est jumelée avec la mienne. La coopération décentralisée peut-elle, selon vous, jouer un rôle dans la réduction des inégalités ?

Le défi est aussi de trouver des financements et de susciter l’adhésion des populations, à commencer par la nôtre, sans pour autant nous ériger en donneurs de leçons. Comment associer en amont les citoyens, les professionnels et les élus dans cette démarche, afin de trouver des leviers financiers ? Les différentes majorités se sont attelées à cette tâche, comme en témoigne, par exemple, le Grenelle de l’environnement. Sous l’impulsion du Président Chirac, du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et de Jean-Louis Borloo, alors ministre délégué à la ville, ce sont près de 12 milliards d’euros qui avaient été mobilisés au titre du plan de rénovation urbaine : c’est là une feuille de route dont notre pays pourrait continuer à s’inspirer, mais qui pourrait servir de modèle dans les continents où les populations souffrent le plus. Quoi qu’il en soit, l’évaluation des objectifs doit être au cœur du bilan de la période 2000-2015, car elle a vocation à crédibiliser les moyens mobilisés pour 2015-2030.

Comment, enfin, ne pas parler des questions de justice et de sécurité ? Pour revenir sur la coopération décentralisée, nous ne pouvons plus nous rendre au Niger, compte tenu des risques. Ces questions feront-elles partie de la feuille de route pour 2015-2030 ?

Enfin, cette dernière associera-t-elle, dans une vision globale, les problèmes de qualité de l’air et l’élévation des températures ?

M. Bertrand Pancher. Je vous remercie, messieurs, pour ces analyses qui apportent un « air de fraîcheur ». Je vous encourage à tenir bon, car les responsables politiques et l’opinion se réveilleront forcément à un moment ou à un autre. Peut-être pourrions-nous envisager des réunions de ce type avec l’ensemble des parlementaires et avec des membres du Gouvernement, afin de définir notre propre Agenda 21. La ville dont je suis maire vient d’ailleurs de lancer le sien, alors que personne n’y croyait au départ ; aujourd’hui, chacun se félicite du partage en réseau des objectifs.

Rien ne se fera sans un déclic au niveau national. Or, depuis plusieurs années, la crise nous assomme, si vous me passez l’expression : nous ne raisonnons plus qu’en termes de pouvoir d’achat et de croissance, en omettant le développement durable. Au train où vont les choses, la prochaine campagne électorale risque fort de virer à un concours d’imbécillités sur les « trois I », l’immigration, l’intégration et les impôts. (Sourires)

Or le développement du futur est d’abord humain, autrement dit à la fois économique, social et environnemental. Avez-vous des idées pour nous aider à réveiller les consciences ? Faudra-t-il empiler, sur le seuil des maisons des responsables politiques, les cercueils des victimes décédées en Méditerranée ? (Murmures sur divers bancs) Convient-il, selon vous, de changer de braquet ?

Quels financements innovants et crédibles préconisez-vous ? La taxation aux frontières peut-elle être une piste ?

En matière de régulation, notamment avec la RSE, la France a un rôle à jouer : elle peut mobiliser l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et influer sur les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les grands groupes internationaux s’engagent tous dans les processus dont nous parlons, au vu de leur écho dans l’opinion, et des règles se mettent en place auxquelles il faut cependant donner, sous peine d’affaiblir nos entreprises, une vraie dimension internationale, que ce soit à l’échelle de l’Europe ou du monde : quid de l’évolution de la régulation, de ce point de vue ?

Quoi qu’il en soit, je réitère mes remerciements et mes félicitations pour votre engagement.

Mme Geneviève Gaillard. Je m’associe à ces remerciements. Depuis plus d’une dizaine d’années, les inégalités vont croissant et la pauvreté, loin de reculer, atteint désormais des pays développés, dont le nôtre. Les écosystèmes continuent de disparaître en dépit des actions engagées pour les préserver ; la corruption fait toujours des ravages ; la démographie, dans certains pays reste galopante ; enfin, l’aide au développement, par exemple en provenance de l’AFD, ne prend pas toujours en compte les questions de développement durable. Les organisations non gouvernementales, d’ailleurs, sont de plus en plus nombreuses au sein des territoires les plus pauvres, où elles effectuent un travail remarquable.

L’agenda, a suggéré M. Bontems, est transformatif dans la mesure où nous avons à changer nos modes de production et de consommation. Le système d’économie libérale dans lequel nous vivons permettra-t-il de passer à une vitesse supérieure sur ces questions ? Pour ma part je ne suis guère optimiste, même si j’ai envie d’y croire. Quel est votre propre sentiment ? L’agenda dont nous parlons commencera-t-il à porter ses fruits dans les années qui viennent ?

M. Jacques Kossowski. Les pays du bassin méditerranéen, notamment dans sa partie sud, font face à ce qu’il est convenu d’appeler un « stress hydrique » en partie lié au réchauffement climatique : d’ici une trentaine d’années, leurs ressources en eau devraient fortement diminuer. Or les États concernés, notamment au Maghreb, ne semblent pas disposer des moyens publics suffisants pour financer un accès à l’eau et à son assainissement.

Lors de la conférence « Rio + 20 » en 2012, de nouveaux financements sont apparus dans le cadre d’une politique de coopération internationale pour le développement. Quels types de financements innovants peut-on envisager dans le secteur de l’eau ? Des taxes visant certaines activités qui ont profité du développement économique de l’espace méditerranéen vous paraissent-elles envisageables ? On évoque, par exemple, une taxe sur les navigations maritimes, de plaisance et de croisière.

Toutes les réformes seront de toute façon bienvenues si l’on veut éviter, avec l’eau, les guerres que l’on a connues avec le charbon et le pétrole. De fait, la situation peut vite dégénérer si un peuple manque d’eau.

M. Yannick Favennec. Selon The Economist, le travail des différentes commissions chargées d’actualiser les objectifs du Millénaire est si étendu, et parti sur de si mauvaises bases, qu’il risque d’échouer. Si les OMD ont permis des résultats décents qu’il ne faut toutefois pas surestimer – la réduction de moitié de la pauvreté dans le monde étant due avant tout au bond économique de la Chine –, les nouveaux ODD, fixés à l’horizon 2030, paraissent illimités. Les groupes de travail proposent en effet 169 cibles regroupées en 17 objectifs : les pays en développement estiment que les aides au développement seront d’autant plus élevées que les objectifs sont nombreux, ce que The Economist juge irréaliste car les besoins se chiffrent, au bas mot, entre 2 000 et 3 000 milliards de dollars par an.

En revanche, des programmes de transferts ciblés permettraient sans doute d’éliminer, dans les quinze prochaines années, l’extrême pauvreté, laquelle touche encore un milliard de personnes dont les revenus sont inférieurs à 1,25 dollar par jour. Pour ce faire, un tel objectif ne devrait-il pas constituer une priorité absolue au sein d’une liste simplifiée ?

M. Gilles Savary. Le terrorisme et les déstabilisations politiques constituent une nouvelle donne au sein de pays où subsistent des poches de grande pauvreté. Dans ces conditions, que devient l’aide au développement ? Trouve-t-elle sur place une capacité d’absorption, notamment institutionnelle ? Sur quoi l’appuyer ? Est-on sûr qu’elle n’est pas détournée à d’autres fins, sachant que le financement des armes, lui, ne pose visiblement aucun problème ? On parle beaucoup des objectifs sociaux et environnementaux, mais la paix pourrait être un objectif aussi… (Approbations sur divers bancs)

Dans le cadre de la lutte contre certaines endémies, notre pays a institué une taxe sur le kérosène, dont on se désespère qu’elle reste isolée : un élargissement à d’autres compagnies aériennes est-il envisagé ? Des actions sont-elles menées auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ? Des recommandations ont-elles été faites ? Air France, dont le taux de marge est tombé à environ 1 %, milite, en effet, contre l’application unilatérale de cette taxe, arguant qu’elle crée une distorsion de concurrence.

M. Yves Albarello. Le rapport sur les ODD pour l’Afrique définit un certain nombre de cibles, pour une aide globale de 120 milliards de dollars, soit vingt fois moins que l’enveloppe nécessaire. Dès lors, comment faire mieux avec moins ? Comment les acteurs privés pourraient-ils être associés ? S’ils le sont sous une forme non lucrative, les objectifs seront-ils atteints ? Et s’ils le sont sous une forme lucrative, quid de la sécurité et de la stabilité politique au sein des pays considérés ?

Enfin, quelques cibles précises ne seraient-elles pas préférables à un inventaire à la Prévert ?

M. Jean-Marie Sermier. Depuis des décennies, les aides au développement ne cessent d’augmenter, avec le même constat d’échec. Le temps n’est-il pas venu de changer de paradigme ? Les pays concernés veulent s’en sortir et ils ont des atouts, notamment le climat et les sols. L’agriculture est donc pour eux un secteur essentiel mais, alors même qu’ils sont producteurs, ils ont beaucoup de mal à organiser la transformation et la distribution : ne devrions-nous pas encourager les grands groupes internationaux – parmi lesquels des groupes français de grande qualité – à y investir massivement pour structurer ces circuits ? Des groupes tels que Danone ou Andros seraient à même de le faire, selon une logique gagnant-gagnant.

M. Laurent Furst. Nous partageons tous un certain nombre d’objectifs, en termes de croissance – 4 % à l’échelle mondiale –, de résorption de la pauvreté, de qualité de l’air et de l’eau, d’accès aux soins pour tous et de lutte contre la pollution des mers ; mais j’aimerais que l’on parle, de temps à autre, d’un pays qui va mal et qui s’appelle la France. (Murmures)

Le PIB par habitant, on l’oublie trop souvent, y est en recul, plus de 9 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, 5 millions de personnes sont privées d’emploi et la dette dépasse les 2 000 milliards d’euros, soit plus de 30 000 euros par Français. Notre pays emprunte cette année plus de 180 milliards d’euros : cela n’est possible qu’en raison du niveau historiquement bas des taux d’intérêt, niveau sans lequel le budget de l’État ne serait plus finançable. Bref, j’aimerais que l’on parle un peu du développement durable en France – en prenant les deux mots de cette expression dans leur pleine acception. Au lieu d’agiter en permanence de belles idées pour la planète, occupons-nous du bien-être de nos concitoyens ; faute de quoi nous aurons des réveils douloureux. (Murmures)

Les hauts fonctionnaires que vous êtes peuvent-ils nous donner les moyens alloués par la France au titre des objectifs de développement durable, y compris au sein de son administration ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les responsables de l’AFD, que nous avons auditionnés, nous ont donné des éléments d’information sur ce dernier point. Votre intervention, monsieur Laurent Furst, me semble s’adresser plutôt aux membres de notre commission qu’à nos invités du jour.

M. Guillaume Chevrollier. Il faudra du temps, vous l’avez dit, pour atteindre les 17 objectifs que vous avez rappelés : de ce point de vue, l’efficacité n’appelle-t-elle pas une réduction du nombre des priorités ? J’en relèverai deux. Selon la Banque mondiale, le nombre de déchets urbains ménagers augmentera, au niveau mondial, de 70 % d’ici à 2025. Une telle progression aurait des répercussions sensibles sur le coût de leur traitement, notamment dans les pays à faibles revenus, où la mise en décharge reste la solution privilégiée, avec les conséquences que l’on sait sur l’environnement.

L’autre priorité est l’investissement dans l’agriculture familiale, en Afrique notamment, où la population rurale croîtra de 300 millions de personnes d’ici à 2030. Cette agriculture est donc au cœur des enjeux de lutte contre la pauvreté, de sécurité alimentaire et de préservation et d’aménagement du territoire.

M. Christophe Priou. Les objectifs définis sont-ils amendables ? Il faut insister, non seulement sur les projets eux-mêmes, mais aussi sur ceux qui les portent. Jean-Louis Borloo, qu’évoquait Martial Saddier, avait ainsi mené à bien et le Grenelle de l’environnement et le Grenelle de la mer ; récemment, dans le cadre de ses nouvelles activités, il a créé une fondation pour l’accès à l’eau et le développement de l’électricité en Afrique. Des initiatives de ce genre peuvent-elles s’insérer dans la concrétisation des objectifs de développement durable ? Sont-elles de nature à optimiser les aides ? Les retours d’expérience montrent en effet que l’action des hommes peut s’avérer plus déterminante que les dépenses elles-mêmes. Ma région, par exemple, a conclu un partenariat avec la Guinée en matière de production de sel et de riz : si les moyens sont restés modestes, l’énergie des hommes a porté ses fruits.

M. Michel Heinrich. Les questions que je souhaitais poser ont déjà été formulées. Aussi je ferais seulement une remarque : sur les objectifs, les intentions ne me semblent jamais suivies par des actes, qu’il s’agisse, par exemple, des fonds verts ou des droits des communautés autochtones.

M. Jean-Pierre Vigier. Les objectifs du développement durable seront adoptés cette année à l’ONU ; ayant une vocation universelle, ils doivent être partagés par le Sud et le Nord. Je rappelle certaines des priorités du programme : réaliser le développement et la prospérité ; garantir l’éducation des jeunes et des enfants ; protéger les écosystèmes ; garantir une gestion saine des ressources naturelles. Ma question sera très simple, mais c’est à mon sens la première qui doit être posée : aussi louables et ambitieux soient-ils, les ODD ne sont-ils pas difficiles à atteindre au vu, notamment, du budget qui vous est alloué ?

M. Jacques Alain Bénisti. Je fais miennes certaines des questions qui viennent d’être posées. Sur les 169 cibles, seules 49 ont été jugées « scientifiquement rigoureuses » par certains experts. Quel est votre sentiment sur ces doutes ? Les travaux de l’ONU aboutiront-ils, malgré tout, à la définition d’objectifs concrets, limités quant à leur nombre, ambitieux et lisibles, afin d’être appliqués dans tous les pays, compte tenu de leurs ressources et de leurs niveaux de développement respectifs ?

M. Frédéric Bontems. Merci pour ces questions, qui me paraissent toutes pertinentes et justifiées ; au reste, elles rejoignent celles que nous nous posons tous les jours, et l’on ne peut leur apporter de réponses simples.

Le nombre de cibles est-il raisonnable ? Vous avez vous-mêmes exprimé ce matin, mesdames et messieurs les députés, des préoccupations sur : l’agriculture familiale, la gestion des déchets, la mer, la lutte contre la corruption, le rôle des collectivités locales, la coopération décentralisée, la santé, l’éducation, le climat, l’immigration, l’énergie, l’eau, la responsabilité sociale des entreprises, le développement économique et la gestion des conflits ; cela fait déjà beaucoup. Encore sommes-nous dans une réunion entre acteurs politiques français ayant une vision et des références partagées, et se voyant interpellés, par leurs électeurs, sur des sujets similaires : imaginez la complexité d’une réunion entre 190 pays ayant chacun des référentiels, des acteurs de terrain et des partenaires différents. Cette complexité, Jean-Michel Severino l’a dit, est le prix à payer pour un agenda réellement partagé. Le fait extraordinaire, de ce point de vue, est qu’un consensus ait pu émerger depuis un an et demi, aux Nations Unies, sur cet agenda que les pays membres se sont pleinement approprié. Aussi les pays du G77, au premier rang desquels la Chine, soulignent-ils qu’un équilibre politique a été trouvé, auquel il ne faut pas toucher.

L’intérêt scientifique d’un certain nombre de cibles n’est pas démontrable, c’est vrai ; mais si nous entreprenons de plaider pour la limitation de leur nombre, la première cible qui disparaîtra sera celle qui correspond à l’objectif 16, relatif à la gouvernance, à l’État de droit et à la gestion des conflits. Cela appauvrirait donc l’ensemble de l’approche. Plusieurs groupes des Nations Unies travailleront jusqu’en mars prochain ; la France y joue un rôle très actif, notamment sur la définition d’indicateurs précis et sur l’affinement des cibles.

Sur le bilan des OMD, nous disposons de nombreuses données. On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ; reste que des progrès sensibles ont été accomplis. Ils sont liés, bien sûr, à la croissance économique soutenue de certains pays émergents, comme la Chine et l’Inde, mais pas seulement : les progrès en matière d’accès à l’éducation ont été très rapides, par exemple, au Burkina Faso, et l’atteinte des OMD est fort satisfaisante au Rwanda. La limite de cette approche, au demeurant, est qu’elle est plus quantitative que qualitative : cela appelle des ajustements qu’il serait trop long de détailler.

Vous avez été nombreux à nous interroger sur le climat et sur les conflits – et la fragilité des États face à eux. D’après les rapports internationaux – notamment de la Banque mondiale –, ce sont précisément les deux causes susceptibles de faire échouer les OMD et d’annihiler la totalité des progrès réalisés depuis quinze ans – les pays les plus en retard dans la mise en œuvre des OMD étant les pays fragiles qui connaissent un conflit. C’est dire la dimension transversale de l’agenda.

Sur les moyens, l’aide publique au développement n’est qu’une petite partie de la réponse. Une conférence se tiendra à Addis-Abeba, en juillet prochain, sur le financement du développement et de l’agenda post-2015 ; un premier texte sur ses conclusions commence à circuler, qui précise que les ressources domestiques constituent la première source de financement. En ce domaine, la communauté internationale peut agir, à travers la lutte contre la fraude fiscale et pour la transparence, ou contre l’érosion des bases fiscales et le transfert illicite de profits. Le même texte indique que d’autres flux doivent être mobilisés, y compris internationaux, lesquels peuvent être publics mais aussi privés, qu’il s’agisse des investissements directs des entreprises ou des transferts de fonds des travailleurs migrants.

L’aide publique au développement a atteint, l’an dernier, un pic historique – même si c’est moins vrai pour la France. Cependant, son impact reste très variable selon les pays : pour les moins avancés d’entre eux, elle représente 60 % des transferts extérieurs nets et 30 % des dépenses budgétaires ; elle y est donc un apport essentiel, qu’il faut maintenir, dans la mesure où les ressources domestiques et les flux privés resteront faibles, même s’ils peuvent jouer un rôle non négligeable. Pour les pays à revenus intermédiaires, l’APD ne représente que 2 % des transferts extérieurs nets ; elle doit alors, de notre point de vue, agir comme un catalyseur, pour favoriser les apports extérieurs et aider ces pays à évoluer vers un modèle de développement plus durable et plus conforme aux aspirations des populations. Le développement, aujourd’hui, suppose donc une coalition d’acteurs locaux, et des bases institutionnelles solides.

Présidence de Mme Catherine Quéré, vice-présidente

M. Pierre Jacquemot. Le travail sur les ODD a des effets très bénéfiques sur la mobilisation des acteurs. On constate depuis deux ans, aussi bien dans les milieux académiques qu’au sein des collectivités et des ONG, un réel engouement pour ces questions. La prolifération des travaux et la mobilisation soutenue tiennent aussi à un calendrier serré, entre la conférence d’Addis-Abeba en juillet, celle de New-York en septembre et la COP21 à Paris en novembre-décembre.

Nous pouvons d’autre part être fiers d’être français, car nos thèses sont très présentes : j’y reviendrai. Quant aux moyens, on compte moins sur l’aide publique classique – l’objectif d’y consacrer 0,7 % du revenu national brut restant un horizon « mythique » – que sur d’autres ressources. Dans l’un des documents qui vous ont été distribués, un tableau fait la synthèse de tous les financements susceptibles d’être mobilisés dans le cadre des ODD : les financements nationaux peuvent être publics – à travers la fiscalité ou la lutte contre la corruption – ou privés – à travers la bancarisation croissante d’un certain nombre de pays et la lutte contre les fuites de capitaux ; on peut aussi compter sur des financements publics internationaux, qu’il s’agisse de l’aide publique ou de fonds dédiés – et l’on peut sur ce plan nourrir, comme je le suggérais, une certaine fierté d’être français à l’évocation des fonds mondiaux contre le SIDA, la tuberculose ou le paludisme –, comme sur des financements innovants – à l’instar du Fonds vert –, sur des fonds privés internationaux – les transferts de flux des migrants représentant près de 400 milliards de dollars qui peuvent, pour une large part, appuyer des investissements dans les pays d’origine – ou sur des investissements directs étrangers. Enfin, les financements mixtes sont légion ; j’ai dressé une liste non exhaustive de ceux qui relèvent de l’économie sociale et solidaire, des mécanismes de garantie ou des obligations à impact social. Hier, nous avons aussi appris que 50 % des investissements de l’AFD sont climatiquement compatibles, autrement dit qu’ils ont un impact direct sur les objectifs climatiques – étant entendu que les autres 50 % ne sont évidemment pas incompatibles avec eux.

On assiste par ailleurs à une mutation significative du capitalisme privé, en particulier français, dont témoignent par exemple le renforcement des mécanismes de responsabilité sociétale et environnementale, l’adhésion à des certifications, par exemple de l’OCDE ou de l’Organisation internationale du travail (OIT) en matière sociale, ou la reconnaissance des investissements socialement responsables. Les responsables d’agences de développement, réunis hier à Bercy, ont d’ailleurs évoqué l’importance de ce concept dans la définition des mécanismes de garanties financières à l’échelle internationale. Bref, la dynamique engagée nous paraît intéressante, à condition bien entendu que l’État joue son rôle de régulateur et que la vigilance reste de mise.

Je parlais de la fierté d’être français. Le Conseil mondial de l’alimentation, placé auprès de la FAO – l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a adopté, en octobre dernier, de nouvelles directives relatives à l’investissement agricole responsable afin de lutter contre l’accaparement des terres, phénomène qui, depuis une dizaine d’années, a touché 50 millions d’hectares, soit la taille de notre pays. Si les mises en valeur concernent, selon les estimations, un tiers des concessions, les dégâts et les échecs ont été importants, par exemple avec les agrocarburants. À l’initiative de la France – qui dispose, depuis 1997, d’un comité technique « Foncier et développement » associant administration, chercheurs et autres intervenants –, a été mis en place un mécanisme de plus en plus contraignant pour les investissements étrangers, avec des résultats tangibles dans un certain nombre de pays.

En ce qui concerne la parité entre hommes et femmes, les résultats sont probants, depuis une quinzaine d’années, en matière de scolarité. Soit dit en passant, les parlements qui, dans le monde, accueillent le plus de femmes sont africains ; celles-ci sont même majoritaires au sein du Parlement rwandais. Ces évolutions ont bien entendu été conquises par les femmes elles-mêmes, à travers leurs luttes et les pressions qu’elles ont exercées. Au demeurant, l’indicateur le plus pertinent, pour juger des 17 objectifs, est la place des femmes car cela a un impact immédiat sur la scolarisation, la santé, la microfinance ou la nutrition des enfants. S’il y avait un seul objectif à préserver, je le dis, sans démagogie et avec l’objectivité du professeur, ce serait donc celui-là.

M. Serge Michailof. La notion de « pays en voie de développement » n’a plus de sens : il faut plutôt parler de « pays émergents », lesquels posent à la planète, en matière de développement durable, des problèmes qui pourraient devenir dramatiques. Si la croissance mondiale s’établit à 4 % dans les quinze prochaines années, selon l’objectif retenu, elle sera essentiellement tirée par ces pays, qui par ailleurs font peu d’efforts en matière environnementale, même si les choses commencent à changer en Chine.

L’aide au développement ne relève pas de la charité : l’enjeu n’est pas de faire passer « la Corrèze avant le Zambèze » (Murmures), mais de relever un défi mondial. J’ajoute que certains pays en voie de développement glissent lentement vers la faillite. Les conséquences dramatiques d’un tel processus sont déjà visibles en Afghanistan, mais la situation est très préoccupante aussi en Irak, en Syrie, en Lybie ou au Yémen. Pour les représentants de la communauté internationale, que je viens de rencontrer à Niamey, la question est seulement de savoir si le Niger tiendra le choc pendant trois, cinq ou sept ans... L’implosion peut d’ailleurs se produire très rapidement : on l’a vu au Mali, où nous n’en sommes qu’aux prémices. J’ajoute que ces pays sont au centre d’enjeux géopolitiques : on ne les aide pas par charité, je le répète, mais pour éviter une accélération des migrations incontrôlables, comme celles qui arrivent de Syrie et de Libye. Bref, aider certains pays revient à s’aider soi-même et à prévenir des risques considérables.

De ce point de vue, je reste très déçu par les ODD : les enjeux environnementaux me préoccupent, bien entendu, mais ils ne sont pas du tout centraux dans les pays sahéliens. L’ambassadeur des États-Unis au Niger m’a dit que l’objectif, dans ce pays, était de développer le secteur privé, lequel comprend 4 000 emplois marchands formels, sur un total de 18 millions d’habitants. Le Niger est aujourd’hui classé parmi les derniers pays du monde au regard de l’indice de la Banque mondiale mesurant la facilité de faire des affaires : une progression dans ce classement ou un quadruplement du nombre d’emplois marchands ne changeraient donc strictement rien au problème. Ces pays dépendent entièrement de l’aide internationale, qui finance 80 % des budgets d’investissement et une bonne partie des budgets de fonctionnement.

Quant à l’argument selon lequel la multiplication des objectifs permettrait l’augmentation des moyens, la réalité est autre. Dans le cas du Niger, l’augmentation des aides à l’éducation et à la santé s’est traduite par une réduction drastique des aides au développement agricole. Ont été financés des secteurs sociaux dont la soutenabilité, en l’absence de mécanismes fiscaux susceptibles de garantir des transferts sociaux durables, est illusoire ; si bien que ce pays doit désormais faire face, comme ses voisins, à des charges sociales insoutenables. Compte tenu de la montée des risques sécuritaires, on assiste aussi, depuis trois ans, à un dégonflement des ressources allouées aux secteurs sociaux – santé, éducation et développement agricole – au profit des dépenses de sécurité, qui sont de toute façon incontournables. Ce pays se retrouve donc étranglé financièrement : ou il transfère ses ressources sociales pour les allouer à la sécurité, ou il ne le fait pas, et des groupes tels que Boko Haram le « phagocyteront ». Bref, je ne me retrouve pas dans les ODD tels qu’ils ont été définis au niveau des Nations Unies, avec la novlangue que l’on connaît ; cela dit, puisque nous y sommes engagés, essayons d’en tirer le meilleur parti.

Les enjeux géopolitiques français, en tout état de cause, relèvent d’objectifs climatiques assignés à des pays émergents et à revenus intermédiaires, dont le développement pose déjà des problèmes environnementaux dramatiques ; quant aux pays en voie d’implosion, ils relèvent d’un agenda spécifique, dont les premières étapes doivent être la réforme des secteurs de sécurité, la consolidation du domaine régalien et le développement des secteurs créateurs d’emplois, à commencer par l’agriculture et le développement durable, entendu au sens large ; mais force est de constater que les financements font défaut.

Mme Catherine Quéré, présidente. Messieurs, je vous remercie pour ces éclairantes analyses. Je vous prie d’excuser le départ de certains de nos collègues mais l’imbrication de nos réunions les a conduits à partir avant que vous n’ayez répondu à leurs questions. Mais soyez assurés qu’ils liront vos réponses dans le compte rendu écrit de nos débats.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 1er avril 2015 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Gérald Darmanin, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Yves Caullet, Mme Florence Delaunay, M. Philippe Duron, M. Alain Gest, M. Christian Jacob, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud