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Mercredi 27 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 51

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président puis de Mme Catherine Quéré Vice-présidente

– Table ronde sur le financement de la lutte contre le changement climatique, avec la participation de M. Antoine Michon, sous-directeur du climat et de l’environnement à la direction du développement et des biens publics mondiaux du ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), M. Tancrède Voituriez, directeur de programme Gouvernance à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC Climat, et M. Stanislas Dupré, directeur du think tank 2° C II

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur le financement de la lutte contre le changement climatique, avec la participation de M. Antoine Michon, sous-directeur du climat et de l’environnement à la direction du développement et des biens publics mondiaux du ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), M. Tancrède Voituriez, directeur de programme Gouvernance à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC Climat, et M. Stanislas Dupré, directeur du think tank 2° C II.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Au cours des auditions ou des tables rondes que nous avons organisées dans le cadre de la préparation et du suivi des conférences climatiques internationales, la question du financement de la lutte contre le changement climatique a été souvent abordée. De nombreuses interrogations ont été soulevées sur les montants et les mécanismes de financement ainsi que sur les engagements réels des différents protagonistes.

Aujourd’hui, nous accueillons : M. Antoine Michon, sous-directeur du climat et de l’environnement à la direction du développement et des biens publics mondiaux du ministère des affaires étrangères et du développement international, qui fera un panorama des trois processus de négociation qui se déroulent de façon parallèle sur le climat et sur le développement, M. Tancrède Voituriez, directeur de programme Gouvernance à l’IDDRI, qui évoquera les enjeux du financement de la lutte contre le changement climatique et les conséquences spécifiques sur la COP 21 ; M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC Climat, qui dressera le panorama des financements climatiques en France et dans le monde ; et, enfin, M. Stanislas Dupré, directeur du think tank 2 °C II. M. Dupré présentera la méthodologie d’évaluation de la performance climatique des actifs d’un portefeuille, et évoquera la portée des dispositions votées dans le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte.

M. Antoine Michon, sous-directeur du climat et de l’environnement au MEADI. Mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter, dans le court temps qui m’est imparti, un panorama général des trois processus de négociations qui sont en cours cette année et qui touchent aux questions liées au développement et au climat : premièrement, le processus sur le financement du développement, qui se conclura à Addis-Abeba au mois de juillet, et s’inscrit dans la suite des conférences précédentes de Monterrey et de Doha sur le financement du développement ; deuxièmement, le processus post 2015 sur l’agenda du développement, qui vise à établir, en septembre prochain à New York, le nouvel agenda pour le développement pour la période 2015-2030 et prendra la suite des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) adoptés en 2000 ; troisièmement, la COP 21 de Paris, en décembre, dont l’objectif sera d’établir un accord universel sur le climat pour la période post 2020.

Ces trois processus, dans laquelle la France est engagée – avec un positionnement différent – sont à la fois séparés et étroitement connectés, notamment à travers la question du financement. À Addis-Abeba, l’objectif sera d’essayer de mettre en évidence les liens étroits existant entre le financement du développement et le financement du climat. À New-York, il s’agira d’intégrer de manière transversale dans cet agenda du développement l’enjeu climatique. Enfin, à Paris, il s’agira de concilier l’objectif du respect de la limite des deux degrés avec le développement économique et social – un des enjeux de la convention Climat.

Aujourd’hui, où en est-on ?

La négociation d’Addis-Abeba a été engagée dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la base d’un texte proposé par deux « cofacilitateurs », norvégien et guyanais. On a retrouvé dans la discussion les clivages assez habituels entre les pays du G 77 et les pays développés, en particulier sur le niveau d’engagement des pays développés sur l’aide publique au développement, ou sur les liens entre climat et développement. Les pays du G 77 demandent que le financement du climat soit additionnel au financement de l’aide au développement.

Dans cette négociation, notre objectif est de bien identifier et d’encourager les synergies qui existent entre les actions de développement et celles qui permettent de lutter contre le dérèglement climatique, et de bien mettre en évidence que les différents instruments qui concourent au développement économique bénéficient aussi au climat. Mais il faudra aussi rassurer les pays en développement sur notre engagement dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement. Ce processus, qui va se poursuivre au cours de trois prochaines séances de négociation, doit aboutir à la mi-juillet.

À New-York, l’agenda a déjà été largement écrit par un groupe de travail qui a rendu ses travaux l’année dernière. Il a été repris dans un rapport du secrétaire général des Nations Unies. La négociation reprendra, mais il y aura sans doute très peu de changements par rapport au texte qui a été approuvé. Nous disposons donc aujourd’hui d’un cadre, qui sera formellement adopté par les chefs d’État et de gouvernement lors de l’Assemblée générale de septembre, avec dix-sept grands objectifs pour le développement. Six d’entre eux sont proprement environnementaux ; l’un d’entre eux portera sur le climat.

Cet agenda du développement a comme spécificité d’intégrer de manière bien équilibrée les trois dimensions du développement durable, social, économique et environnemental, d’être universel, en permettant de dépasser les clivages Nord-Sud traditionnels, et d’offrir une vision vraiment partagée du développement à l’horizon 2030. Il servira très certainement de cadre aux interventions des bailleurs de fonds. On y retrouve, et c’est un de ses intérêts, au-delà d’un objectif spécifique pour le climat, des cibles « climat » à l’intérieur de plusieurs objectifs, sous la dimension « énergie », la dimension « ville », la dimension « forêt ». Ces cibles témoignent de l’intégration de l’enjeu climatique dans l’ensemble des politiques de développement.

À Paris, la discussion est engagée depuis 2011, et l’on devrait aboutir en décembre prochain à un accord universel sur le climat. La France est dans une position particulière, étant à la fois pays « hôte » et présidente de la Conférence. Nous sommes là pour faciliter les convergences et les consensus, ce qui implique de notre part un travail bilatéral très intense. Vous avez sans doute noté que le Président de la République, plusieurs ministres, dont le ministre des affaires étrangères, ont mis le climat à l’agenda de leurs déplacements à travers le monde et organisé plusieurs rencontres – le Président de la République était tout récemment dans les Caraïbes – spécifiquement dédiées au climat. Mais cela implique aussi de mener un travail dans des enceintes multilatérales, le G 7, le G 20, ou dans des réunions informelles que la France, avec la présidence péruvienne, a commencé à organiser au niveau des négociateurs, et qu’elle organisera très prochainement dès le mois de juillet au niveau des ministres.

En matière de finances, l’enjeu est triple : tout d’abord, crédibiliser les engagements pré 2020, qui ont déjà été pris ; ensuite décider, à Paris, de ces financements pour la période post 2020, avec, sans doute, un horizon de long terme ; enfin, contribuer à réorienter l’ensemble des flux financiers vers l’économie à bas carbone.

Sur le pré 2020, la crédibilisation de l’engagement des 100 milliards par an, il y a deux enjeux.

Le premier est que l’on parvienne à une comptabilisation, sinon négociée, du moins partagée entre bailleurs et récipiendaires ; des travaux sont en cours, afin d’harmoniser les méthodes de comptabilisation. Le deuxième enjeu est de donner aux pays en développement des indications sur notre trajectoire, à partir d’aujourd’hui, 2015, et au moins jusqu’en 2020, pour qu’ils sachent ce qu’ils peuvent attendre en matière de financements, publics et privés, d’ici à 2020.

Sur le post 2020, pour ce qui est en discussion dans le cadre de la négociation de l’accord, il y a au moins quatre enjeux principaux.

Le premier enjeu porte sur le chiffre et le niveau d’engagement. Établira-t-on un chiffre post 2020, similaire à l’engagement des 100 milliards ?

Le deuxième porte sur les cycles, et notamment les cycles d’engagement. Voudra-t-on établir un réengagement régulier des pays donateurs sur des montants financiers ? Et si l’on décidait d’adopter un système de cycles, quelle en serait la fréquence ? Quels en seraient principes ? Quels liens seraient alors établis avec l’adaptation et avec l’atténuation ? Certains pays demandent l’établissement d’un lien direct entre les engagements pris en matière d’adaptation, les engagements pris en matière d’atténuation et, bien entendu, les engagements financiers. Enfin, quelle transparence, quels mécanismes de revue pour ces cycles d’engagements financiers ?

Un troisième enjeu est lié à la question de la différenciation, qui traverse la négociation. D’abord, qui paie ? Les pays développés dits « de l’annexe I » souhaitent que la palette des pays donateurs s’élargisse, notamment aux pays émergents et aux pays en mesure de financer des actions d’atténuation et d’adaptation. Ensuite, qui reçoit ? Établit-on des catégories privilégiées de récipiendaires, par exemple des pays vulnérables, des pays les moins avancés auxquels on allouerait en priorité certaines sommes. Ces questions sont ouvertes et sont en discussion.

Un quatrième enjeu porte sur les institutions. Il existe aujourd’hui plusieurs mécanismes financiers mis en place dans le cadre de la convention, des fonds spécifiques comme le fonds d’adaptation ou le fonds pour les pays les moins avancés (les PMA). Ces fonds sont-ils pérennes ? Seront-ils fondus ou intégrés au sein du Fonds vert qui est établi cette année ? Ces questions sont en discussion et sont ouvertes. Mais les réponses qui seront apportées sur ces différents sujets dépendront en partie des réponses qui seront apportées sur d’autres sujets, notamment les engagements en matière d’atténuation, ou les questions de transparence et de revue.

Les discussions sur la mobilisation des acteurs privés et la réorientation des flux financiers se déroulent très largement en dehors de la négociation, mais elles font partie de l'ensemble des discussions que l’on souhaite voir aboutir à Paris. Pour nous, il y a trois enjeux principaux.

Le premier est d’accroître, de développer les engagements volontaires des « champions » parmi les acteurs privés qui s’étaient manifestés en septembre 2014 au sommet de New-York, et qui sont susceptibles de prendre de nouveaux engagements, plus importants.

Le deuxième est d’intégrer la problématique climat à l’intérieur du système financier, à la fois à travers des acteurs comme les agences de notation, mais aussi à travers des mécanismes pris par les régulateurs.

Le troisième est que les politiques publiques prennent en compte l’enjeu climatique. Cela nous renvoie à toutes les questions de prix du carbone, de subventions aux énergies fossiles, et plus largement aux mécanismes incitatifs à l’investissement vert.

M. Tancrède Voituriez, directeur de programme Gouvernance de l’IDDRI. Mesdames et messieurs les députés, je commencerai par trois généralités concernant les négociations sur le financement du climat.

Premièrement, il existe un certain décalage entre les négociations qui portent sur le financement, et celles qui portent sur les contributions en tant que telles. L’accord de Paris, contrairement à ce qui se passait avant celui de Copenhague, comportera des contributions nationales, établies pour l’instant sans référence ou avec une référence très limitée au principe de responsabilité commune et différenciée. La grande modernité de l’accord de Paris sera sans doute que ce principe se trouvera quelque peu estompé. Tous les pays, de manière bottom-up, participeront au pot commun en annonçant leurs contributions pour l’atténuation ou l’adaptation. Mais ce n’est pas le cas en matière de finance, où la responsabilité commune et différenciée reste très présente.

Deuxièmement, l’attente suscitée par les INDC (Intended Nationally Determined Contributions), ces contributions nationales, a quelque peu éclipsé les discussions sur le financement. Les discussions sur le financement sont moins matures que les discussions sur les contributions.

Troisièmement, la chronologie est particulière. On va commencer la séquence par une négociation sur les financements du développement durable, qui abordera les questions de financement du climat sans que l’on connaisse ni les objectifs du développement durable dont la liste sera finalisée en septembre, ni l’ensemble des contributions nationales.

En matière de financement du climat et de négociation sur le financement du climat, plus particulièrement, je distingue principalement trois grands sujets, qui sont liés entre eux : d’abord, la réorientation et la réallocation des flux financiers, publics et privés – on parle en anglais du shifting trillions ; ensuite, le Fonds vert pour le climat ; enfin, la place du financement dans l’architecture de l’accord de Paris.

Commençons par la mobilisation et la réallocation des flux financiers, qui atteignent en effet des milliers de milliards. Les discussions commencent par l’estimation des besoins. En gros, ne serait-ce que pour financer des infrastructures bas carbone, il nous faudrait 100 000 milliards d’ici 2030, c’est-à-dire sur quinze ans. Le PIB mondial étant de 100 000 milliards par an, 15 % du PIB mondial annuel devraient donc prendre la forme d’investissements dans des activités bas carbone.

Finalement, ce n’est pas beaucoup, dans la mesure où l’investissement dans le PIB mondial est d’un peu plus de 20 %. Donc, contrairement aux idées reçues, il ne faut pas beaucoup plus d’argent, mais il faut qu’une partie des investissements qui s’élèvent à quelque 20 000 milliards par an dans le monde soient réalloués à hauteur des trois quarts vers des activités bas carbone. Et pour que ces investissements soient alloués vers les bons endroits, il faut des cadres juridiques nationaux incitatifs. L’argent n’étant pas très cher en ce moment, il n’est pas difficile de mobiliser des fonds, la question qui se pose est de les orienter vers les bons secteurs.

C’est là que les difficultés surgissent : pour allouer ces investissements dans les bons secteurs, il faut des signaux et des cadres de réglementation et de régulation. Or ceux-ci ne sont pas homogènes à travers le monde. Et on investit toujours beaucoup d’argent dans des activités très intensives en carbone.

La CCNUCC, la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique – en anglais l’UNFCCC, United Nations Framework Convention on Climate Change – ainsi que la Banque mondiale et un think tank qu’on appelle le Climate Policy Initiative (CPI), ont estimé le niveau des investissements climat – ou finance climat. Le problème est que ces estimations sont très disparates. Ainsi, l’UNFCCC annonce jusqu’à 600 milliards par an, mais la CPI et la Banque mondiale en annoncent plutôt la moitié : 300 milliards par an. Pour vous donner un ordre de grandeur, l’aide publique au développement, 150 milliards, en représente encore la moitié. Le financement climat se situe donc entre 300 et 600 milliards par an. Or, en 2014, selon la Banque mondiale, les investissements dans les énergies fossiles atteignaient encore 1 000 milliards. Quoi qu’il en soit, il y a beaucoup d’argent à gagner à moindre coût. Ce n’est pas davantage de dettes, c’est simplement de l’argent qui est mieux utilisé.

Le financement climat représente 300 ou 600 milliards selon le périmètre, lequel n’est pas clairement établi. Cela suscite beaucoup de discussions techniques et donc de discussions politiques : que mettre dans le périmètre du financement climat ? Faut-il y mettre les tarifs d’achat d’électricité renouvelable par exemple ? Si oui, à quelle hauteur et avec quelles références de prix ? C’est très compliqué.

Dans ces 300 ou 600 milliards par an, 60 % sont de l’investissement privé, et 40 % de l’investissement public ou des dépenses publiques. Dans ces 40 %, la grande majorité prend la forme de financement concessionnel, c’est-à-dire en dessous du taux d’intérêt du marché – ce peut être au seuil de l’aide publique au développement (APD) ou entre le seuil de l’APD et le taux de marché. L’essentiel du financement climat public international ressemble ainsi à de l’aide publique au développement. Cela pose problème : comment comptabiliser l’APD non climatique et l’APD climatique ? D’où une nouvelle querelle, évidemment très politique, sur la méthode.

Il y a trois manières de faire, qui ne sont pas convergentes :

D’abord, l’approche de l’OCDE et du Comité d’aide pour le développement (CAD), qui a été élaborée à partir des marqueurs de Rio. Ces marqueurs sont très qualitatifs. Imaginons que je travaille à l’AFD (Agence française de développement) et que mon projet ait pour ambition d’atténuer ou de produire des résultats en matière d’adaptation. Je cocherai une case différente selon que je considère que ce projet est significativement ou principalement tourné vers tel ou tel objectif. Évidemment, cela provoque des controverses.

Ensuite, la France, par le biais de l’AFD et du Club International des Finances du développement IDFC (International Development Finance Club), propose une méthodologie alternative, plus objective. Celle-ci ne vise pas à apprécier l’impact climatique d’un projet, mais à montrer, à partir des émissions évitées, l’impact réel de ce projet.

Enfin, une troisième méthode, plus mystérieuse, sur laquelle on fait des études, a été développée par la Banque mondiale. Sur cette base, jusqu’à 80 % des projets de la Banque mondiale sont « amis du climat », alors qu’avec d’autres mesures comme les marqueurs de Rio, le pourcentage tombe à 20 ou 30 %. Cela pose quelque problème.

Toutes ces discussions techniques mettent en évidence qu’il est impossible de dissocier les discussions sur le financement du développement des discussions sur le financement du climat. De nombreux projets de financement de développement ont des effets sur le climat, et beaucoup de projets d’atténuation ont des effets sur le développement. Ainsi, aujourd’hui, l’Agence française de développement, avec sa méthodologie, annonce que 50 % de ses projets sont compatibles avec des objectifs climatiques.

Je tiens à préciser que dans cette masse de 300 ou 600 milliards, l’essentiel, soit 90 %, sont des investissements d’atténuation ; l’adaptation représente moins de 10 %. Or l’adaptation devient un sujet et un motif de revendication croissant de la part des pays en développement. Ceux-ci se doutent qu’on ne va pas atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique à deux degrés, que ce réchauffement atteindra plutôt trois ou quatre degrés, et que les impacts de ce réchauffement sur le climat seront très importants. Plutôt que de se focaliser sur la négociation de contributions qui seront sans effet, ils préfèrent négocier tout de suite une masse d’argent dédiée à l’adaptation. Les montants et les estimations des montants dédiés à l’adaptation vont donc aller croissant. Or le point de départ est très bas. Cela risque d’entraîner des difficultés pour les bailleurs internationaux, notamment la France.

J’en viens à mon deuxième grand sujet : le Fonds vert pour le climat, qui est une initiative symbolique et politique.

On ne sait pas à quoi ce fonds va servir. Il n’a pas d’objectifs très spécifiques, hormis l’atténuation et l’adaptation. Le concernant, on a commencé à discuter d’argent, bien davantage que d’objectifs.

Les critères de mobilisation de ce fonds ne sont pas clairs non plus. Y aura-t-il un droit de tirage pour les pays en développement et les banques nationales de développement, sur la base du principe de responsabilité commune et différenciée ? S’agira-t-il d’un fonds du type « fonds pour l’environnement mondial », hébergé par une institution multilatérale ? Les pays en développement n’en veulent pas.

Enfin, on n’arrive pas à mobiliser les fonds privés. Les privés ne veulent pas financer dans le climat à hauteur de ce que l’on attend d’eux. Il ne pourra s’agir que de financements conjoints, ce que l’on appelle de la finance mixte, de la blended finance.

Dernier grand sujet : la place du financement dans l’architecture de l’accord.

Il y a trois pistes ou trois options, qui toutes procèdent de la distinction entre la mobilisation des fonds et la fourniture des fonds. Il pourrait y avoir des objectifs globaux de mobilisation des fonds ; des objectifs de fourniture des fonds établis sur la base du principe de responsabilité commune et différenciée, avec un calendrier et des cycles d’engagement sur cette fourniture de fonds ; enfin, des principes pour guider la mise en œuvre et la dépense du Fonds vert, qui restent encore à établir.

M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC Climat. Mesdames et messieurs, je vais continuer à peindre sur la toile qu’ont commencé à brosser M. Michon et M. Voituriez, en vous parlant des flux réels et des besoins de financement – au niveau mondial et en France.

D’où viennent les chiffres cités par M. Voituriez ? Quand on parle de finance climat, on parle d’investissements dans du dur, dans du matériel, dans de l’infrastructure tangible, donc de projets d’investissement. On se consacre essentiellement à l’étude des flux que je qualifierais de « durs » en excluant généralement ceux que je qualifierais de « mous », qui sont liés à la recherche et développement, à la formation, à l’information, à l’éducation, etc. Ce n’est pas que ces derniers aient une importance négligeable dans la lutte contre le changement climatique. Mais on regarde essentiellement là où l’on a des chiffes. Et il se trouve que l’on a plutôt des chiffres sur du dur, sur de l’infrastructure, sur des projets d’investissement.

On regarde surtout les projets qui participent à la lutte contre le changement climatique – atténuation et adaptation. Cela dit, comme l’a rappelé M. Voituriez, la plupart des projets concernent plutôt le secteur de l’atténuation, et donc de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

On ne traite donc qu’une partie des flux financiers. En général, tout ce qui est mou est oublié. Les projets non capitalistiques ne sont pas non plus pris en compte, ou ils sont peu ou mal traités. Il convient donc de toujours avoir à l’esprit que l’on ne parle que d’une partie de la question, la plus documentée.

Pourquoi les estimations divergent-elles ? Pour un certain nombre de raisons, qui sont essentiellement des problèmes de périmètre. On ne parle pas toujours de la même couverture sectorielle ; on regarde parfois l’énergie, parfois l’ensemble de l’économie, etc. Il est difficile de savoir ce qui relève, ou ne relève pas, du climat. Est-ce qu’une centrale à gaz est un projet climat, ou pas ? On pourrait trouver autant de réponses que de personnes dans la salle. On ne parle pas toujours de la même couverture spatiale, voire du même horizon temporel. Or plus l’horizon temporel s’accroît, plus les besoins augmentent. Cela peut alors accroître l’addition lorsque l’on raisonne en flux annualisés.

Cela dépend également de la part du climat estimée dans un investissement donné. Est-ce que l’on raisonne en marginal ou en absolu ? Par exemple, j’investis aujourd’hui dans l’éolien. C’est un investissement vert. Mais est-ce que je considère mon investissement total comme un investissement climat ? Dois-je prendre seulement en compte le surcoût éventuel entre l’éolien et une solution de référence, par exemple celle qui aurait été adoptée en l’absence de toute incitation ?

Voilà pourquoi nous trouvons autant de divergences dans les chiffres qui nous sont donnés. Néanmoins, des sources existent : le Comité permanent sur les finances de la CCNUCC (en anglais, le Standing Comittee of Finance de l’UNFCCC), a publié en 2014 une étude, qui devrait être renouvelée tous les deux ans, et qui a le mérite de faire consensus ; d’autres organismes publient des chiffres, comme la CPI ou la New Climate Economy, dont a parlé M. Voituriez tout à l’heure.

Dans l’étude de l’UNFCCC, je retiendrai trois chiffres, ou plutôt trois fourchettes. Certes, il n'est pas toujours facile de savoir quelles sont les années qui ont été prises en compte. Pour autant, au début des années 2010, le total de la finance climat au niveau mondial se situait entre 340 et 650 milliards de dollars par an. C’est une fourchette très large – mais vous devez garder en tête les raisons qui font que ces chiffres paraissaient parfois diverger. Le total des financements climat Nord Sud variait entre 40 et 175 milliards de dollars par an, et la part de ceux transitant par des institutions publiques entre 35 et 50 milliards de dollars par an.

Comment relier cela au débat sur la mobilisation de 100 milliards de dollars par an, pour laquelle les attentes, en vue de la Conférence de Paris, des pays du Sud sont très fortes ? Le montant se situe entre les deux derniers montants que j’ai donnés : l’ensemble des financements qui partent du Nord pour aller au Sud, et la part publique de ces financements. Je précise que personne n’imagine aujourd’hui que l’ensemble de ces financements viendra du public ; il y aura donc une part de public et une part de privé. Je précise également que je n’ai pas comptabilisé le Fonds vert. La raison est très simple : d’après les chiffres du Comité permanent sur le financement, le Fonds vert n’est pas encore opérationnel.

Pour gagner du temps, je ne parlerai pas des énergies fossiles ni des subventions aux énergies fossiles. On pourra y revenir au cours de la séance de questions, si vous le souhaitez.

Vous remarquerez que j’ai avant tout parlé des flux réels – et non de flux qui sont des objectifs, du type des 100 milliards de dollars par an. J’en viens maintenant à l’autre côté du problème, à savoir les besoins.

En ce domaine également, les estimations varient beaucoup. Je vous conseille de garder en tête 1 000 milliards de dollars – ou un trillion – par an. C’est un ordre de grandeur assez pratique, même si ce n’est qu’un ordre de grandeur (et que les chiffres peuvent varier de 1 à 9).

Pour être plus précis, un rapport de la New Climate Economy mentionne le chiffre de 90 000 milliards de dollars d’investissements totaux dans le monde d’ici à 2030. Que ces investissements soient verts ou qu’ils ne le soient pas, ces chiffres restent à peu près les mêmes : 89 000 milliards de dollars dans un cas, et 93 000 milliards de dollars dans l’autre. Soit, dans les deux cas, 4 000 milliards de dollars par an, et donc dans l’ordre de grandeur du millier de milliards par an.

Certaines estimations, je vous le signale, prennent en compte les investissements qui devront être faits en tout état de cause dans les énergies fossiles. Quand on fait du vert, on doit toujours avoir une petite partie d’énergies fossiles résiduelle. Même en faisant du renouvelable, on peut désirer avoir du gaz en soutien sur le renouvelable. Cela fait partie de l’équation.

Une grande partie de ces investissements devront être faits quoi qu’il arrive. Faire du bas carbone ou faire du haut en carbone, ce n’est pas si différent que cela en termes de chiffres globaux de financement. On devra de toute façon réinvestir dans des moyens de production énergétique, ne serait-ce que pour répondre aux besoins de développement, et pour remettre en service des installations qui arriveraient en fin de vie.

Il faut par ailleurs prendre en compte l’existence d’un effet d’éviction. Si on investit dans l’efficacité énergétique, on a moins besoin d’investir dans des moyens de production. C’est peut-être aussi cela qui permettra de réduire la facture.

Quand on entend parler de milliers de milliards de dollars, on se dit que c’est beaucoup d’argent. Mais finalement, au niveau mondial, faire « vert », cela représente moins de 5 % de la formation brute de capital fixe. C’est donc faisable. Et ce qui est vrai au niveau mondial est vrai au niveau français.

Nous avons une étude équivalente au niveau français, à savoir un panorama des financements climatiques sur des données 2011 – les dernières données disponibles. On travaille aujourd’hui à une mise à jour sur les données 2013 et sur les données 2014. Le panorama de la finance climatique en France 2013-2014 devrait répondre à ce qui figure aujourd’hui dans l’article 48 bis du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. C’est en tout cas l’ambition qu’on s’est fixée.

En France, on retrouve à peu près les mêmes caractéristiques qu’au niveau mondial. Les flux financiers actuels représentent à peu près 20 à 25 milliards d’euros par an qui se répartissent ainsi : 40 % sur les énergies renouvelables, 40 % sur l’efficacité énergétique et 20 % sur les transports.

Les besoins, sur lesquels se sont penchés un certain nombre d’organismes comme la Cour des Comptes, ainsi que le débat national sur la transition énergétique, sont estimés entre 40 et 60 milliards d’euros par an. Je précise que les périmètres ne sont pas forcément les mêmes. Mais en tout état de cause, il manque entre 20 et 25 milliards d’euros par an à peu près.

On peut se dire qu’il faudrait doubler notre effort, et que c’est impossible. On peut aussi se dire qu’en France, la formation brute de capital fixe est de 400 milliards d’euros par an et que l’enjeu principal, c’est donc de déplacer 5 % de la formation brute de capital fixe pour y arriver. Mais faire basculer les investissements implique de donner les incitations adéquates.

Notre étude ne dit pas qu’il suffirait de trouver ces 20-25 milliards. Elle ne s’intéresse pas non plus à l’efficacité de l’utilisation de ces fonds. Mais dans tous les cas, ce qu’il faut retenir, c’est que c’est faisable.

En conclusion : gardez en tête les 100 milliards de dollars et les 1 000 milliards de dollars par an. Certes, il reste des progrès considérables à faire sur le suivi des financements climat. Néanmoins, les ordres de grandeur sont déjà là. Tous les chiffres que l’on vous a donnés sont à peu près cohérents, et cela suffit pour travailler.

Enfin, et c’est le troisième message-clé : cette transition est gérable. Il s’agit avant tout de rediriger des flux financiers, et pas tellement de trouver de l’argent supplémentaire. Pour y parvenir, il convient d’envoyer les bons signaux économiques. On pourrait, par exemple, mettre un prix sur le carbone afin de rediriger une partie des investissements du haut carbone vers le bas carbone. Mais si c’est nécessaire, ce n’est certainement pas suffisant.

M. Stanislas Dupré, directeur du think tank 2° C II. Je vais vous parler de la mobilisation et de la réallocation du capital, ainsi que du secteur financier. Celui-ci se trouve en amont de la chaîne. De fait, les investisseurs institutionnels, les banques et leurs régulateurs ont une influence assez importante sur la façon dont les capitaux sont alloués.

Je me focaliserai sur la question du reporting, ou de l’information communiquée par les investisseurs, à la fois aux régulateurs et à leurs clients. Notre mission est de voir comment les objectifs climatiques peuvent être intégrés dans le fonctionnement du secteur financier. Nous avons été créés pour cela.

On appelle cela le « concept d’investissement 2° » - un investissement cohérent avec l’objectif de réduction du réchauffement climatique à 2 degrés. On a un budget carbone disponible sur le siècle au niveau international. Ce budget est traduit en scénarios climatiques impliquant des changements économiques : pour schématiser, plus d’activités vertes et moins d’activités grises. De façon plus technique, des organisations, comme l’Agence internationale de l’énergie, transcrivent ce concept dans des scénarios technologiques conduisant à développer davantage d’énergies renouvelables, la capture du carbone, différentes technologies…

La recherche et développement (R&D) a une place importante dans ces scénarios technologiques, alors qu'elle est assez peu présente dans les chiffres qui sont en général communiqués. On considère globalement que celle-ci ne représente que quelques pour cent des investissements mobilisés. En revanche, le décalage entre ce qu’il faudrait faire et ce qui est fait est beaucoup plus important en matière de R&D qu’en matière d’investissements en infrastructures – l’ordre étant de 1 à 10. Si on regarde les scénarios dans le détail, on s’aperçoit que la majorité des réductions d’émissions qui doivent avoir lieu sur le siècle sont liées à des technologies qui n’existent pas encore, et pour lesquelles il faudrait faire dès maintenant des investissements en R&D. Je vous invite à garder en permanence ces éléments en tête, car aujourd’hui ils sont totalement absents du débat public sur les questions de mobilisation des investissements.

Ces scénarios technologiques sont traduits en besoins d’investissements, par l’Agence internationale de l’énergie, mais aussi en besoin de financements, et là, on dispose de beaucoup moins d’informations. Or la façon dont le secteur financier va investir – en actions, en obligations, en création de crédits – pour financer ces nouveaux investissements se retrouve, en fin de compte, dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels en réallocation de leurs actifs.

Cela va dans deux directions : dans l’une, les objectifs climatiques fixés par les pouvoirs publics ont un impact sur le rendement et les risques des actifs détenus par les investisseurs ; dans l’autre, la façon dont les investisseurs institutionnels allouent leur portefeuille d’actifs a un impact sur la disponibilité et le coût du capital, sur les flux d’investissement et, in fine, sur la réussite des objectifs climatiques. C’est cette dynamique que l’on appelle « l’investissement deux degrés ».

Chez 2° C II, nous avons trois objectifs : essayer de définir des indicateurs pour mesurer comment ce double système fonctionne ; comprendre le fonctionnement des processus d’investissement au sein du secteur financier pour voir comment ceux-ci peuvent intégrer des objectifs climatiques ; enfin, travailler avec le régulateur pour voir comment la réglementation financière peut favoriser cette transition au sein du secteur financier.

Nos membres sont à la fois des pouvoirs publics comme le gouvernement français, des institutions financières, à la fois publiques et privées, des associations environnementales, des universités. Globalement, notre travail consiste à mettre en relation, sur des aspects très techniques, des organisations financières – qui peuvent être des investisseurs, des banques, des agences de notation, par exemple – et des gouvernements, comprendre comment améliorer le système et aller dans le même sens.

Je terminerai sur la question de l’impact climatique des portefeuilles d’investissement. Le projet sur la transition énergétique pour la croissance verte porte, à l’issue de son examen par votre assemblée la semaine dernière, une disposition qui va contraindre les investisseurs à mesurer l’impact de leur investissement sur le climat, à essayer d’influencer l’allocation d’actifs des investisseurs pour avoir un effet sur le coût et la disponibilité du capital, et donc contribuer au financement de la transition énergétique.

Globalement, ce qui a été voté rend obligatoire une pratique qui avait commencé à être mise en place en 2005 de façon pilote, à la fois en Suisse et en Angleterre. Cette pratique consiste à mesurer les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités indirectement financées par le secteur financier et, in fine, par les épargnants. Les investissements des entreprises, des collectivités locales, voire des particuliers peuvent être concernés.

En 2007, ces expériences pilotes ont été traduites à l’échelle du Groupe Caisse d’Épargne dans un programme qui couvrait tous les produits d’investissements ; une étiquette a été testée pendant un an et diffusée au sein du réseau au consommateur. Cette expérience s’est terminée au moment de la crise financière. À l’époque du Grenelle de l’environnement, il était envisagé de rendre ce type d’étiquette obligatoire. Mais finalement, le projet a été abandonné.

Entre 2007 et il y a à peu près un an et demi, on peut dire qu’il y a eu une sorte de « traversée du désert en matière de pratiques. En revanche, d’assez nombreuses associations environnementales se sont mobilisées pour faire de la pédagogie sur ces questions.

Un reportage, diffusé en prime time sur France 2, a mis l’accent sur le sujet et sur l’impact des banques sur le climat. Cela a mobilisé les leaders d’opinion.

Une autre association, qui est de nos membres, a publié en 2011 un rapport mettant en avant le fait que le contenu en carbone des réserves de pétrole de gaz et de charbon était beaucoup plus important que ce que l’on pouvait rejeter dans l’atmosphère si l’on voulait respecter les objectifs climatiques. L’idée sous-jacente était que, potentiellement, il y avait une sorte de bulle financière liée à l’investissement dans ces actifs, qui éclaterait si les objectifs climatiques étaient mis en place.

Ce rapport a eu un écho certain dans les médias et a contribué, à partir de 2014, à mobiliser les investisseurs sur cette question de l’impact climatique des portefeuilles. De fait, au cours des mois qui viennent de s’écouler, des investisseurs ont annoncé qu’ils allaient « décarboner » leurs portefeuilles à partir des méthodes qui avaient été développées une dizaine d’années plus tôt. Enfin, une loi obligeant les investisseurs français à le faire sur tous leurs portefeuilles a été adoptée.

On en est là aujourd’hui ; quelles sont les prochaines étapes ?

Première étape, le décret d’application, qui doit être publié à la fin de l’année. Les enjeux sont énormes. Le problème est qu’une bonne partie des annonces qui ont été faites reposent sur des méthodes à la fiabilité incertaine : on peut faire des choses qui ont du sens, et d’autres qui n’en n’ont absolument pas. Je vous incite donc à la plus grande vigilance à tous les stades de la rédaction de ce décret d’application.

Deuxième étape, les incitations : une fois que les investisseurs rendront des comptes sur l'impact climatique de leurs portefeuilles, il n’y aura pas de raison spécifique d’améliorer cet impact climatique. Globalement, il est assez peu probable que les épargnants descendent manifester dans la rue en demandant que leur portefeuille soit plus vert. D’où l’importance de la fiscalité.

Nous allons publier le mois prochain, avec France Stratégie, un rapport qui fait le point sur l’efficacité et les objectifs liés à la dépense fiscale sur l’épargne – à peu près 10 milliards d’euros par an. En un mot, est-il techniquement possible de mettre en cohérence les incitations fiscales avec les objectifs climatiques, en s’appuyant notamment sur ces nouvelles obligations d’information ? Je suis à votre disposition pour en discuter après sa parution, si vous le souhaitez.

La troisième étape consiste à mobiliser les partenaires européens. Si les investisseurs réallouent leurs actifs de manière isolée, l’impact sera faible sur les marchés financiers mondiaux. D’assez nombreuses annonces ont été faites lors de la Climate Week de New-York. De nombreuses annonces, très intéressantes et très regardées, ont été faites la semaine dernière à Paris.

Quatrième étape : la tenue du G7 le mois prochain. Nous sommes en train d’y travailler avec le gouvernement allemand. Dans le communiqué final, il sera vraisemblablement fait mention de la question de l’investissement 2° C, et de l’objectif de mobiliser les investisseurs publics sur cette question. Les États-Unis et le Japon n’y sont pas très favorables. Pour l’instant, c’est dans le texte. On verra ce que cela va devenir.

Tout cela nous amène à la COP. Il serait intéressant qu’en parallèle des négociations, les gouvernements fassent des annonces sur cette question de la mobilisation du secteur financier.

Je ferai une dernière remarque de méthodologie. D’une certaine façon, on met la charrue avant les bœufs en imposant des obligations d’information, en incitant certains à s’engager, alors que les méthodes de calcul ne sont pas stabilisées. Nous sommes en train de mener avec la Commission européenne et de nombreux partenaires, venant notamment du secteur financier, un travail visant à définir une méthode scientifique. Il serait également important que, dans les années à venir, les pouvoirs publics se mobilisent pour développer des standards internationaux en la matière, investir dans la recherche, définir les scénarios climatiques et mieux comprendre de quels investissements on a besoin et où. Aujourd’hui, il y a un déficit criant de mobilisation sur ces méthodes et sur la production de données correspondantes.

Enfin, le but – et c’est peut-être le changement qu’apportera cette COP – est de donner au secteur financier un rôle actif dans la mise en œuvre des objectifs climatiques, au même titre que les secteurs industriels.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai vu que dans votre think tank, vous aviez comme partenaire le groupe AXA. Or, la semaine dernière, M. Henri de Castries a annoncé une politique de désinvestissement dans le charbon à hauteur de 500 millions d’euros, et un engagement plus important en matière d’investissements verts à hauteur de 3 milliards d’euros d’ici 2020. Dois-je y voir l’influence de votre think tank sur le groupe AXA ?

M. Arnaud Leroy. Je pense très sincèrement, monsieur le président, que le travail mené par 2 °C II – que l’on a reçu plusieurs fois à l’Assemblée nationale, notamment au sein du groupe « changement climatique » – a contribué à cette évolution du groupe AXA. Celui-ci s’intéresse à la question climatique sous un aspect assurantiel, et voit dans le changement climatique un risque majeur, à terme, pour son activité.

Je suis ravi que l’on ait cette discussion aujourd’hui. C’est un peu la conclusion de M. Dupré sur la nouveauté du secteur financier, et sur ce que celui-ci peut apporter au débat climatique. En effet, pendant très longtemps, nous nous sommes focalisés sur les fameux 100 milliards du Fonds vert.

Je pense qu’au-delà des investissements en infrastructures énergétiques, il faut que le gouvernement se mette à l’écoute des convergences, et en tout cas des parcours parallèles de développement durable. L’investissement sera de plus en plus lié à l’adaptation au changement climatique : construction d’infrastructures capables de résister à des événements climatiques majeurs ; modification de la politique de l’eau dans les zones où l’on a financé pendant très longtemps la construction de puits, mais qui subissent aujourd’hui des sécheresses conséquentes.

Je n’ai pas de solutions, mais je crois qu’il faut réfléchir. Je rentre de New-York, où nous avons rencontré l’ensemble des ambassadeurs des pays francophones d’Afrique, notamment subsaharienne. La crainte est grande que la réunion d’Addis-Abeba de juillet ne soit un échec. Car un échec à Addis-Abeba menacerait de facto la réussite de la prochaine réunion de Paris. Le ministre, Laurent Fabius, lorsque nous avons discuté avec lui, se souciait de cette réussite et s’inquiétait de l’enchevêtrement des agendas.

Je crois aussi qu’il faut prendre en considération l’évolution des flux financiers. Dans votre présentation, vous n’avez pas abordé la question des flux Sud-Sud, qui concerne notamment la Chine, le Brésil, et la Russie quand elle le peut. La Chine souhaite la création d’une banque internationale qui viendrait concurrencer la Banque mondiale ou d’autres instruments qui luttent contre le changement climatiques. C’est un élément qu’il faudra prendre en considération.

Selon moi, il faudra tenir un discours de vérité sur la question du paiement différencié. Car c’est bien de cela que l’on parle, et l’accord sino-américain sur le climat montre que l’approche de la responsabilité différenciée a évolué. Les Brésiliens eux-mêmes, qui ont été très longtemps à l’origine de blocages, ont fait une proposition. Celle-ci vaut ce qu’elle vaut, mais cela prouve qu’ils ont ouvert la porte à la négociation.

Il y a encore beaucoup de travail, mais je suis optimiste. Je pense que l’on peut aboutir à Paris parce qu’il y a un besoin. De nouveaux alliés – notamment une partie du secteur financier et une partie du secteur industriel – se sont manifestés. Ils veulent que cela avance. Il faut dire – et répéter – que nous jouons notre survie. Il en va de l’avenir de la vie sur terre : les scénarios développés par le GIEC ne relèvent pas de la science-fiction !

En dernier lieu, je remarque que vous avez très peu mentionné le rôle de l’Union européenne dans ces négociations. Pouvez-vous nous en parler ? Par ailleurs, nous savons qu’il y a des problèmes budgétaires au niveau européen. Il fut un temps, on avait fléché 20 % de l’enveloppe 2014-2019 sur les changements climatiques. Pourra-t-on en récupérer une partie pour abonder, notamment, le Fonds vert ?

M. Martial Saddier. Au nom des députés UMP, je vous remercie pour la qualité de vos interventions. Nous souhaitions rappeler que nous ne sommes pas devant un problème franco-français, mais devant un problème mondial, dans lequel la France a déjà pris sa part. Tout le monde reconnaît le rôle moteur et le rôle d’entraînement joué par notre pays tant au niveau mondial qu’européen.

La France produit 1 % des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’elle contribue à peu près à hauteur de 4 % du PIB mondial. Elle fait partie des pays industrialisés les moins émetteurs de gaz à effet de serre – 14 % en dessous du plafond d’émissions auquel nous nous étions engagés à Kyoto. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous ne devons pas continuer à jouer ce rôle moteur, et à poursuivre les efforts accomplis depuis quinze ans sous toutes les majorités et par tous les Présidents de la République, qu’il s’agisse de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy ou du Président François Hollande.

En 2009, les États réunis à Copenhague avaient décidé de créer un Fonds vert pour le climat et de mobiliser à cette fin 100 milliards de dollars par an. Nous en sommes à peu près à 9,3 milliards d’euros. Il y a donc encore beaucoup de chemin à parcourir, même si personne ne remet en cause l’objectif des deux degrés. Il faut dire que dans un certain nombre de territoires en France, l’élévation de température est proche des deux degrés.

Permettez-moi, pour terminer, de soulever quelques interrogations. Mais je le dis à la majorité actuelle, il n’est pas question de montrer du doigt qui que ce soit. Depuis quinze ans, les mêmes débats ont lieu à l’Assemblée nationale et de par le monde.

Tout d’abord, on observe un décalage entre le moment où nous discutons sur le fond de textes qui vont avoir une influence sur le climat, et leur financement. Par exemple, nous avons discuté d’une loi sur la transition énergétique, mais nous avons renvoyé tout le volet financier au projet de loi de finances. Et vous voyez bien que le ton change, entre le moment où nous discutons avec un ministre de l’environnement et le moment où nous discutons avec Bercy.

De la même façon, au niveau mondial, l’ensemble des analyses et des notations sont basées sur des critères économiques et n’ont qu’une faible connotation environnementale.

Ensuite, le monde et la France sont partagés entre le souci d’afficher l’objectif des deux degrés pour ne pas décourager ceux qui font des efforts, et celui d’envisager ouvertement leur éventuel dépassement et les conséquences qui en découleraient pour favoriser une prise de conscience. Il y a donc un débat entre l’atténuation et l’adaptation. Peut-être que le fait de ne pas trancher est une bonne excuse pour ne rien faire. Cela expliquerait que de grandes nations ne veulent toujours pas s’engager. Mais je le dis au nom des députés UMP, ce n’est pas le cas de la France, qui a prouvé son engagement dans la lutte contre l’évolution du climat, toutes tendances politiques confondues.

Les députés UMP prendront toute leur part dans ce défi pour la France, pour l’Europe et pour le monde.

M. Stéphane Demilly. Messieurs, l’UDI vous remercie également pour vos interventions.

À quelques mois de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique et au lendemain du colloque Business and Climate qui s’est tenu la semaine dernière à l’Unesco à Paris, il était important que notre commission se réunisse pour échanger autour d’un sujet à la fois central et de crispation, à savoir le financement de la lutte contre le changement climatique.

Quand on sait que pour limiter le réchauffement de la planète à deux degrés, il faudrait, selon certains observateurs, investir 700 milliards de dollars de plus chaque année d’ici à 2030, on mesure l’ampleur du challenge.

Avant de venir à cette réunion, nous avons consulté quelque documentation, et aujourd’hui, nous avons entendu beaucoup de chiffres, notamment de la part de M. Voituriez. Mais il y a de quoi y perdre son latin ! Les chiffres sont tous très différents, avec des écarts parfois très impressionnants.

Ces remarques faites, je souhaiterais connaître l’avis de nos invités sur un certain nombre de points.

Premier point : le financement public. Les chiffres actualisés du FMI font état de 5 000 milliards d’euros d’accompagnement financier direct ou indirect aux énergies fossiles – ce que l’on appelle d’ailleurs abusivement des subventions – pour une bagatelle de près de 10 millions d’euros par minute ! Mais si l’ampleur de ces montants est impressionnante, ce n’est pas une découverte.

L’un des sujets importants abordés par la COP 21 sera le basculement des financements vers les énergies renouvelables. À peine une quarantaine de pays sur les 196 parties à la COP 21 ont, pour le moment, rendu publique leur contribution. Je suis conscient de la difficulté de l’exercice, notamment pour M. Antoine Michon, mais je serai très intéressé d’avoir un point d’étape à ce stade de la préparation de la Conférence de Paris.

Deuxième point : l’implication des entreprises et du monde de la finance. Le colloque Business and Climate auquel je faisais allusion a réuni plusieurs centaines de dirigeants d’entreprises, dont la moitié du CAC 40. Il s’est conclu par un Climate Finance Day, très prometteur pour l’avenir, ces acteurs ayant parfaitement compris que le développement économique était désormais étroitement lié au développement durable. En ces temps de croissance atone, il va de soi que l’innovation, l’investissement dans les énergies renouvelables, en d’autres termes la transformation de notre économie en une économie décarbonée, sont devenus des vecteurs de croissance.

Les énergies vertes représentaient dans le monde 7,7 millions d’emplois en 2014, soit une croissance de 18 % selon le dernier rapport annuel de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA ou International Renewable Energy Agency). Cette agence considère par ailleurs que le doublement du mix énergétique mondial à l’horizon 2030 conduirait à un total de 16 millions d’emplois dans le secteur du renouvelable.

D’un autre côté, l’investissement dans les énergies fossiles est désormais classé comme un facteur de risque financier par les banques et par les assurances. Plusieurs grands groupes se sont ainsi engagés à décarboner leurs activités et à se désinvestir des énergies fossiles pour investir parallèlement dans les énergies vertes. Le directeur général du groupe Caisse des dépôts, un des bras armés financiers de l’État, a déclaré s’engager dans cette voie.

Le rôle de l’État actionnaire est ici clairement en question, en raison notamment du soutien qu’il apporte au charbon, via des entreprises au capital desquelles la France participe. Il serait intéressant que M. Benoît Leguet, directeur de CDC Climat Recherche, puisse détailler pour nous les modalités de l’engagement pris par M. Pierre-René Lemas.

Mme Laurence Abeille. Je pense qu’il était très important de tenir aujourd’hui ce débat, tellement les questions financières sont importantes en matière de lutte contre le changement climatique. Mais vos interventions ont suscité chez moi deux remarques et plusieurs questions.

Première remarque : dans un langage extrêmement compliqué, truffé de termes anglais, vous avez parlé de milliards de milliards de dollars. Des questions extrêmement importantes peuvent ainsi être abordées d’une manière que la plupart de nos concitoyens ne comprennent pas. Cela crée un fossé entre les uns et les autres. Pour moi, c’est un problème politique : de tels débats doivent pouvoir redescendre dans la société.

Deuxième remarque : vous avez fait la distinction entre le financement « dur » et financement « mou » et précisé que la finance climat n’allait pas vers la recherche et développement (R & D). Or, même si cela doit prendre beaucoup de temps et d’argent, il conviendrait de renforcer la R & D pour lutter de façon effective contre le changement climatique. Il ne faut pas se contenter de faire de l’adaptation, il faut être plus ambitieux. Cela nous redonnera peut-être l’espoir de sauver la planète.

J’aimerais donc que vous nous en disiez un peu plus sur le manque de financements en R & D, en insistant peut-être sur ses conséquences. On parle bien des milliards et des milliards de dollars qu’il faut investir. Mais a-t-on mesuré les milliards et les milliards de dollars que pourrait coûter l’inaction dans ce domaine, ou simplement l’adaptation ?

Vous avez déclaré que vous parleriez des énergies fossiles dans la suite du débat. Je pense en effet que nous sommes plusieurs à avoir des questions là-dessus. Évidemment, nous souhaitons faire basculer les financements consacrés aux énergies fossiles vers la transition énergétique. Mais je me méfie beaucoup du terme « décarboné ». Comme vous le savez sans doute, les écologistes préfèrent, de loin, que l’on utilise celui de « décarboné de façon durable ». En effet, on ne souhaite pas que les financements aillent vers l’énergie nucléaire, mais vers les énergies renouvelables et la transition énergétique.

Par ailleurs, je m’inquiète de tout ce que l’on dit à propos du Fonds vert pour le climat. Je souhaiterais que vous nous donniez quelques précisions. Comment faire pour que les sommes annoncées soient bien mises sur la table ? Il doit bien avoir des moyens de contraindre les pays à respecter les engagements qu’ils ont pris, et à alimenter ce fonds. Pourquoi, finalement, est-ce un échec ?

Je souhaiterais maintenant vous parler du plan Juncker et des critères d’écoconditionnalité – que l’on pourrait peut-être appeler critères de « climatoconditionnalité ». En effet, ne pourrait-on pas s’interroger, au-delà de ces critères, sur la pertinence d’une relance de la croissance, sachant que la recherche d’une croissance ininterrompue génère elle-même la dégradation de la planète ? Y avez-vous réfléchi ?

Enfin, j’irai très vite sur les taxes comportementales. Est-ce que la mise en place de telles taxes au niveau mondial ou au sein d’un bloc de pays serait une perspective envisageable à court ou moyen terme ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Un petit clin d’œil par rapport à « décarboner » et « décarboner de façon durable » : nous avons accepté, pas plus tard qu’hier, lors du vote sur la transition énergétique, à la fois la stratégie bas carbone, inscrite dans la loi, et les budgets bas carbone.

M. Patrice Carvalho. Comme notre collègue Leroy l’a fait remarquer, nous parlons aujourd’hui de l’avenir de la vie sur terre. 100 milliards avaient été prévus pour nous aider à agir. Comme on le constate aujourd’hui, on en est très loin ! Et j’ai bien peur que la COP de Paris, tout comme celle de Varsovie ou celle de Lima, ne se réduise à des effets d’annonce et n’ait qu’un intérêt politique pour le Gouvernement, dans un contexte d’élections régionales désastreuses. Tout cela est un peu compliqué, et je ne suis pas persuadé qu’il y ait derrière une vraie volonté de changer la situation et de limiter l’élévation de la température sur la planète.

Le seul moyen d’y parvenir serait de contraindre les pays à agir en ce sens. Inutile d’expliquer aux Chinois qu’il faut à tout prix investir sur l’environnement. D’ailleurs, nos propres industriels quittent la France pour installer leurs usines en Chine, en partie pour ne pas avoir à se mettre aux normes européennes et françaises en matière d’environnement. Il faut dire que dans la grosse industrie, la mise aux normes entraîne des investissements très importants.

Cela me conduit à vous faire cette remarque : il y de grands producteurs de bois en France, et nous savons gérer nos forêts. Or aujourd’hui, notre bois traverse la France et la Belgique pour aller à Anvers, puis en Chine et revenir en France. Quel exemple de développement durable ! Il suffirait de développer localement la filière bois et de vendre notre bois en France ou dans les autres pays d’Europe – qui sont quand même plus près.

Les exemples ne manquent pas : il est difficile de progresser en matière de développement durable. Vous ne convaincrez pas un industriel qu’il va gagner plus d’argent en investissant beaucoup plus pour des résultats obligatoirement plus faibles, même s’il le fait au nom de l’environnement. On voit bien comment se comportent la Chine, les États-Unis, l’Allemagne – que les Verts citaient en exemple – et la Pologne. Pensez au charbon allemand et polonais. En fin de compte, on fait l’inverse de ce qu’il faudrait.

Alors, oui pour le développement durable et pour les énergies renouvelables. Mais encore faut-il y mettre les moyens. On ne le fait pas pour la géothermie, ni pour l’énergie marémotrice, ni pour les éoliennes, etc. Tout cela montre qu’il n’y a pas beaucoup d’évolution dans ce domaine. Encore une fois, il faudrait exercer de fortes contraintes sur les industriels et sur les pays et, par exemple, refuser d’acheter en Chine si on n’a pas la garantie que ce n’est pas produit dans des conditions acceptables pour l’environnement. D’ailleurs, il en est des produits comme des humains : des gens meurent au travail dans des conditions lamentables, dans des pays qui exportent des vêtements de haut de gamme dans notre belle Europe. Il y a de quoi se poser des questions…

M. Jacques Kossowski. Messieurs, d’après ce que j’ai lu, le prix du CO2 sur le marché européen de quotas d’émission est actuellement trop faible pour développer des investissements bas carbone. Aussi, certains économistes préconisent d’orienter vers des projets bas carbone une partie des 1 100 milliards d’actifs que prévoit de racheter la Banque centrale européenne.

L’idée est que les États européens définissent ensemble une valeur sociale du carbone (VSC), donnant un prix suffisamment élevé à la tonne équivalent CO2 évitée dans le cadre de nouveaux investissements. Ainsi, une entreprise souhaitant mener un projet bas carbone se verrait certifier par un organisme indépendant le tonnage de CO2 susceptible d’être évité grâce à ce projet. L’entreprise pourrait alors utiliser ce certificat carbone pour rembourser une partie de ses emprunts auprès du système financier.

La BCE apporterait sa garantie à ce système en s’engageant à racheter ces certificats carbone au prix de la VSC. Comme l’affirme Étienne Espagne, chargé de mission pour France Stratégie, organisme de réflexion rattaché au Premier ministre, la transition énergétique n’attendrait pas, et les nouveaux investissements se feraient en intégrant d’emblée une forte valorisation du carbone. J’aimerais avoir votre point de vue sur ce dispositif. Selon vous, celui-ci a-t-il une chance de voir le jour ?

Mme Catherine Quéré, vice-présidente, remplace M. Jean-Paul Chanteguet à la présidence de la Commission

Mme Martine Lignères-Cassou. J’ai été très intéressée par vos propos, mais je trouve qu’à six mois de la COP 21, le débat sur les financements manque de maturité. Cela m’inquiète. Ensuite, d’après ce que vous nous avez dit, l’essentiel des financements proviendra d’une réallocation des flux financiers existants. Je me demande donc à quoi va servir le Fonds vert au niveau mondial. Enfin, toujours selon vous, le lien sera de plus en plus étroit entre financement, développement et climat. Pourtant, on exclut de la stratégie du développement ce qui est mou, et notamment l’éducation et la santé. Or Esther Duflo, dans ses derniers travaux, défend une approche globale du développement. Je m’interroge donc sur l’efficacité des politiques publiques que l’on va pouvoir mettre en place.

M. Laurent Furst. Vos interventions m’ont inspiré quelques réflexions. D’abord, alors que l’Europe émet environ 9 % des gaz à effet de serre au niveau de la planète, les nouveaux pays en développement en émettent plus de 40 %. Or ces pays n’ont pas les moyens de financer une reconversion, de l’habitat, de l’industrie ou du secteur tertiaire. C’est pourtant là où, dans l’absolu, le rendement de l’argent investi serait le plus important.

Ensuite, je suis heureux que vous ayez abordé la question de la recherche. En effet, j’ai l’impression que nous avons les moyens technologiques de créer de la croissance propre. Selon moi, ce n’est pas la décroissance qui va sauver la planète, mais la croissance propre qui passera par des systèmes peu polluants, garantissant la sécurité sanitaire et assurant un mode de vie collectif agréable et prospère.

Enfin, on découvre actuellement beaucoup de pétrole et de gaz, notamment en Arctique car la fonte des masses glaciaires les rendent accessibles. On peut penser que l’homme consommera jusqu’à la dernière goutte de pétrole ou de gaz, à moins que les technologies n’évoluent et ne rendent le pétrole et le gaz eux-mêmes obsolètes. D’où cette question : la véritable solution n’est-elle pas d’intensifier la recherche et la généralisation de nouvelles technologies ?

M. Jean-Louis Bricout. Un récent rapport publié par les ONG agissant dans le secteur de l’environnement vient nous rappeler que depuis 2005, le système bancaire a financé à hauteur de 373 milliards d’euros l’industrie du charbon ; la part des trois banques françaises, BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole, est d’ailleurs de 28 milliards. Cela classe la France au quatrième rang des pays financeurs d’une énergie responsable de 44 % des émissions mondiales en CO2.

En revanche, en matière d’investissements propres, les banques sont beaucoup plus frileuses. Ce n’est pas sans poser souci puisque celles-ci ont évidemment un rôle majeur à jouer en ce domaine. Qu’en pensez-vous ? Constatez-vous une évolution dans leur approche de ces thématiques ? Comment pouvons-nous en faire des alliés, dans la perspective du sommet sur le climat qui se tiendra en décembre prochain ?

M. Guillaume Chevrollier. Vous avez fait le lien entre la lutte contre le réchauffement climatique et l’aide publique au développement. C’est évidemment fondamental, car les deux ont des conséquences en matière de flux migratoires, ainsi que des conséquences économiques et humanitaires parfois dramatiques.

Les deux sont également liées sur le plan du financement. Elles mobilisent beaucoup d’argent public, comme les 100 milliards du Fonds vert pour le climat, qui proviennent des États. On parle d’instituer une taxe internationale sur les transactions financières, mais une telle mesure ne sera pas suffisante. Par ailleurs, cette taxe ne doit pas se substituer aux aides publiques des États. Quoi qu’il en soit, nos concitoyens sont en droit de savoir comment tous ces engagements vont être financés et quelles autres pistes de financement vous proposez – sans menacer la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des Français.

M. Yannick Favennec. Messieurs, j’ai trois questions à vous poser. Premièrement, à moins de 200 jours de la grande conférence environnementale des Nations Unies qui aura lieu à Paris en décembre, les entreprises et les milieux économiques vous semblent-ils suffisamment sensibilisés et mobilisés ?

Deuxièmement, les grandes entreprises et les établissements financiers sont-ils prêts à passer à l’action ? Comment s’assurer que les engagements pris seront bien respectés

Troisièmement, comment faire pour orienter la finance mondiale vers la lutte contre le changement climatique ?

M. Jean-Pierre Vigier. Les changements climatiques figurent parmi les principales menaces environnementales, sociales et économiques qui pèsent sur notre planète. Dans les pays en développement, des milliers de personnes pourraient retomber dans la pauvreté sous les effets du changement climatique.

Les pays développés, lors de la Conférence de Copenhague en 2009, se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 afin de financer la lutte contre le changement climatique dans les pays du Sud. Mes collègues en ont parlé, mais je souhaiterais vous poser une question qui est à la base de toute discussion : en 2015 et à la veille de la COP 21, pensez-vous sincèrement que cet objectif pourra être tenu ?

M. Jean-Marie Sermier. Les acteurs économiques acceptent désormais quasiment tous les conclusions du GIEC, et ils sont prêts à financer les investissements et l’innovation économique décarbonée. Cela me semble tout à fait normal : ils imaginent que cette économie leur ouvrira un certain nombre de marchés, et leur assurera une certaine rentabilité financière. Mais in fine, qui va payer ? Ce ne sont pas les entreprises elles-mêmes, mais leurs clients et donc les citoyens.

Les propositions qui ont été faites le 22 mai dernier, comme l’institution d’une taxe TVA sur les transports aériens ou d’une taxe sur les transactions financières, en sont l’exemple : c’est finalement la société qui va payer. On voit bien qu’il y a un fossé entre vos propos et ceux des participants à ces groupes de travail internationaux, et le grand public. N’est-il pas temps de passer d’un discours très technocratique à un discours plus populaire ?

M. David Douillet. Les chiffres avancés ce matin sont hallucinants ! Pourra-t-on honorer les objectifs fixés, compte tenu de la situation financière des pays et, plus généralement, de l’économie mondiale ? De leur côté, les entreprises privées ne sont pas à l’abri d’une crise financière comme celle de 2008. Bien sûr, il faut se fixer des objectifs et de grands objectifs. Mais ceux-ci me paraissent tellement immenses que j’ai d’énormes craintes.

Comme mes collègues Chevrollier et Furst, j’essaie de trouver des pistes. Ne pourrait-on pas imaginer un nouveau modèle économique mondial auquel participeraient l’ensemble des États, conscients du rôle qu’ils ont à jouer pour sauver la planète ?

M. Jacques Alain Bénisti. Vous nous avez parlé du Climate Finance Day, qui a eu lieu le vendredi 22 mai à Paris. Ce fut l’occasion de faire le point sur les verrous à faire sauter pour que le secteur financier s’engage un peu plus dans la lutte contre le changement climatique. Mais si l’enjeu reste toujours le même, l’ambiance a sensiblement évolué en six ans : tous les acteurs économiques acceptent désormais les conclusions des rapports du GIEC et soutiennent l’objectif un peu plus politique de limiter à deux degrés le réchauffement en cours. Reste que le système bancaire finance l’industrie du charbon – depuis 2005, près de 400 milliards d’euros. La part des trois banques françaises (BNP Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole) avoisine aujourd’hui les 28 milliards d’euros, ce qui place la France au quatrième rang des pays financeurs d’une énergie responsable de 44 % des émissions mondiales de CO2.

Le milieu de la finance commence donc à prendre conscience de son rôle, et surtout à s’engager dans le retrait des projets charbon – enfin ! Mais ces engagements sont-ils concrets, selon vous ? S’agit-il de vœu pieux ?

Par ailleurs, une vingtaine de pays ont converti en contributions leurs promesses de dons au Fonds vert pour le climat. Cela représente 4 milliards de dollars, montant nettement trop faible pour commencer à financer des projets. Comment pensez-vous pouvoir associer davantage les fonds privés ? Pour l’instant, ceux-ci sont quasiment inexistants de ces différents financements.

M. Antoine Michon. J’aborderai deux points sur lesquels plusieurs questions ont été posées.

Premier point : les contributions des États.

À ce stade, quarante pays ont présenté des contributions. Nous espérons que la très grande majorité des pays l’auront fait avant la COP. La France soutient d’ailleurs certains pays en leur apportant une aide d’expertise technique pour qu’ils réalisent ces contributions. Nous pensons qu’entre juin et septembre, nous connaîtrons les contributions des grands pays émergents et de beaucoup de pays en développement d’Afrique et d’Amérique latine.

Ces contributions sont souvent très intéressantes et je vous invite à en prendre connaissance.

De nombreux pays en développement qui se sont industrialisés ou sont dans une période d’industrialisation, tout en étant dans une période de croissance de leurs émissions, adoptent des mesures très importantes, beaucoup plus radicales que dans les pays développés. Ils ont complètement intégré le fait qu’il n’y aura pas de développement pour eux sans prise en compte de l’enjeu climatique.

Regardez aussi celles de pays comme le Gabon ou l’Éthiopie. Ces pays se fixent des objectifs très ambitieux alors qu’ils ont très peu d’émissions. Malgré des besoins de développement énormes, ils font le choix politique d’un développement durable complètement soutenable. Le journal Le Monde d’hier ou d’aujourd’hui a fait paraître sur le sujet un article très significatif sur l’Ethiopie.

Deuxième point : le Fonds vert pour le climat.

Quelques clarifications s’imposent. On confond en effet souvent le Fonds vert avec les 100 milliards – qui ont d’ailleurs été adoptés en même temps.

Les 100 milliards, c’est un engagement politique intrinsèque au fonctionnement de la négociation. C’est un engagement pris par les pays développés – en raison de leur responsabilité historique dans les phénomènes climatiques – d’apporter un soutien aux pays du Sud. Il s’agit plus précisément de 100 milliards annuels en 2020, de source publique et privée – sans que l’on sache encore quelle sera la part de l’une et de l’autre source.

Le Fonds vert, c’est 10 milliards de capitalisation initiale – une capitalisation pour quatre ans, à laquelle nous nous sommes engagés l’année dernière. Cela représente à peu près 2,5 milliards de décaissement annuel.

Dans les quatre années qui viennent, la contribution du Fonds vert aux 100 milliards atteindra donc à peu près 2,5 milliards par an.

Mme Martine Lignères-Cassou. Le Fonds vert va participer aux 100 milliards ?

M. Antoine Michon. Oui, mais seulement pour 2,5 milliards, aux côtés d’autres sources, comme par exemple les contributions bilatérales. Pour vous donner une idée, la contribution française bilatérale aux 100 milliards est d’un montant équivalent, puisqu’elle atteint aujourd’hui à peu près 2,5 milliards.

Sans doute doit-on s’attendre en 2018 à une recapitalisation du Fonds vert, peut-être d’un montant supérieur. Mais ce sont les ordres de grandeur.

Les premières contributions ayant été versées au Fonds vert, celui-ci a atteint un niveau suffisant pour être opérationnel. Cela s’est passé la semaine dernière, et c’était donc un moment important. Maintenant, il faut que les pays présentent des projets qui seront soumis au conseil d’administration. Nous espérons que les premières décisions de financement interviendront avant la fin de l’année. Le mécanisme est en train de se mettre en place. C’est un mécanisme assez novateur, qui a été négocié entre les pays.

M. Tancrède Voituriez. Certes, ces milliards de dollars peuvent donner le tournis. Et puis c’est très compliqué, d’autant que les chiffres divergent. Mais c’était un peu le but de notre exposé que de répondre aux interrogations des uns et des autres.

En fait, derrière les chiffres, il y a des discussions politiques, qui portent sur le périmètre du financement climat. En effet, on ne sait toujours pas ce que c’est que le financement climat. On sait malgré tout qu’il ne coûte pas beaucoup plus cher d’investir dans du bas carbone que dans du conventionnel. C’est une bonne nouvelle. Mais il y aussi une mauvaise nouvelle, qui est que, en dépit de cela, la réallocation vers du bas carbone ne se fait pas. Peut-être aurait-il été finalement beaucoup plus simple de constater qu’il manquait beaucoup d’argent et donc d’aller en chercher, que de s’apercevoir qu’il n’en manque pas beaucoup mais que l’on n’arrive pas à réallouer les fonds.

Maintenant, on peut se demander pourquoi il faudrait conserver l’objectif des deux degrés, si la hausse de la température atteint déjà trois ou quatre degrés à certains endroits. Les deux degrés ont tout de même une vertu : obliger à se projeter à un horizon très lointain, à faire des exercices, à monter des scénarios de transition ou de modification de l’économie. Par exemple, pour maintenir les deux degrés en 2050, il faudrait réduire les émissions au moins d’un facteur quatre en Europe ; on serait alors dans un tout autre monde. Se livrer à ces exercices permet de secouer un peu les économies et les sociétés, et de leur montrer que l’on ne discute pas d’un changement de trajectoire à la marge, mais d’un monde qui change à grande vitesse. C’est cela, le signal des deux degrés.

Ensuite, il est exact que la recherche, la technologie et l’innovation ne sont pas comptabilisées actuellement dans le périmètre de la finance climat. Mais l’innovation n’arrive pas comme cela. On n’augmentera pas les dépenses de R & D sur de nouvelles technologies s’il n’y a pas véritablement de consensus, s’il n’y a pas d’engagement pour renoncer à certaines trajectoires et en explorer d’autres. Une injonction vers plus de R & D, sur du bas carbone ou sur de l’atténuation, sera sans effet puisqu’il faut que ces investissements et cette innovation rapportent suffisamment. Or aujourd’hui, on juge que n’est pas le cas.

Par ailleurs, il faut abandonner l’idée, qui a été véhiculée, d’une nouvelle Révolution industrielle. Il n’y aura pas une « super technologie » comme il y a eu le moteur à explosion ou l’électricité. Il y a des grappes de technologie qu’il va falloir coordonner, et qui vont éventuellement ouvrir des sentiers de transition très vertueux en termes de carbone. Mais même cela ne se commande pas par des budgets de recherche et développement. C’est hélas un peu plus compliqué.

Passons au cadre d’investissement qui pourrait permettre cette réallocation.

On insiste beaucoup sur le prix du carbone. Celui-ci a de nombreux inconvénients, mais dans les manuels, il a beaucoup d’intérêt : il rend objectivement très chères des technologies qui, sinon, ne le seraient pas. La taxe carbone, quant à elle, n’est pas suffisante pour atteindre des objectifs de réallocation et de décarbonation profonde.

L’alternative, la normalisation, peut avoir une certaine efficacité mais elle est plus difficile à mettre en place. Elle prend du temps, car elle suppose des accords sectoriels qui dépassent les pays. Mais des initiatives ont été prises et des discussions sont en cours sur l’acier, le ciment, les autres éléments qui entrent dans le périmètre du système ETS européen – ou, en français, système communautaire d’échanges et de quotas d’émissions (SCEQE).

Plutôt qu’une taxe carbone à cinq euros, on pourrait imaginer de mettre en place des accords sectoriels avec des références technologiques obligeant, par exemple, à produire du ciment de telle ou telle manière. Même si cela nécessite une coordination beaucoup plus large que la négociation d’un prix carbone avec un ajustement aux frontières, il ne faut pas l’exclure. Les accords sectoriels réglementaires permettent à un pays d’imposer un ajustement aux réglementations intérieures. Selon l’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), il est en effet possible d’avoir des réglementations internes plus élevées que ce que l’on observe à l’extérieur.

En dernier lieu, je tiens à préciser que ce n’est pas la taxe carbone qui fait fuir les industries européennes hors d’Europe. Cette taxe est à 5 euros et, pour l’instant, cela ne change rien au problème de compétitivité des industries européennes.

M. Benoît Leguet. Je commencerai par quelques précisions complémentaires sur les énergies fossiles.

D’abord, le chiffre de 5 000 milliards de dollars a été cité. Mais attention, ce n’est pas un coût budgétaire : c’est le coût des externalités liées aux subventions aux énergies fossiles. Le coût budgétaire pour les États est d’un autre ordre de grandeur : 500 milliards de dollars.

Ensuite, bien évidemment, une subvention aux énergies fossiles, c’est un prix négatif du carbone. Donc, si l’on veut un prix du carbone, il faut commencer par enlever les prix négatifs. Cela dit, si ces subventions sont mises en place, c’est aussi pour de bonnes raisons, et notamment pour gérer un certain nombre de conséquences sociales.

Maintenant, je vais essayer de faire l’impossible synthèse entre les différentes contributions et questions qui ont été apportées au débat, que je résumerai entre contraintes et innovation, recherche et développement.

Je partirai d’une métaphore. Si l’on est sorti de l’âge de pierre, ce n’est pas parce que l’on était à court de pierres ; il y en a encore beaucoup. On en est sorti grâce à la recherche et à l’innovation, qui nous ont permis de mettre au point d’autres technologies. C’était il y a quelques centaines de milliers d’années. Aujourd’hui, la situation est légèrement différente. Certes, on peut espérer que des technologies vont arriver – technologies « miracles » ou amélioration des technologies existantes. Mais il faudra de toutes les façons sortir du pétrole avant d’en avoir épuisé la dernière goutte. Pour y parvenir, on peut supposer qu’un certain nombre de contraintes seront tout de même nécessaires. Donc ce n’est pas technologie « ou » contraintes, c’est technologie « et » contraintes. Il faut les deux.

J’en viens au Climate Finance Day, évoqué par un certain nombre d’entre vous.

Je tiens tout d’abord à faire une rectification : la Caisse des dépôts n’a pas annoncé qu’elle désinvestissait du charbon ou du fossile. Nous avons pris des engagements qui sont de nature différente, mais qui sont, selon moi, beaucoup plus efficaces.

Nous avons annoncé que nous allions mesurer l’empreinte carbone de notre portefeuille, et rendre public le chiffre avant la fin 2015. Une fois cette empreinte carbone mesurée, nous allons la réduire d’ici à 2020 : de l’ordre de 30 % à 35 % sur le secteur immobilier, et de 15 % sur les infrastructures.

Pour réduire les émissions d’un portefeuille, il y a plusieurs façons de faire. Vous pouvez évidemment vendre des participations carbonées et racheter des participations moins carbonées. Mais si vous travaillez sur le long terme, vous pouvez engager un dialogue actionnarial avec les entreprises dont vous détenez une part du capital et leur demander d’adopter des résolutions climatiques. C’est plutôt cette voie que nous allons privilégier, en engageant un dialogue actionnarial bien compris dans l’intérêt de nos participations et de la gestion du risque. Évidemment, si l’on n’arrive pas à instituer un dialogue actionnarial fructueux, d’autres voies seront sans doute envisagées, comme le désinvestissement ou l’allègement du portefeuille sur certains segments de l’économie. Les engagements qui ont été pris par la Caisse des dépôts visent donc plutôt le long terme. Mais cela commence maintenant.

Par ailleurs, l’un de vous a demandé si la mobilisation des acteurs était suffisante, et comment s’assurer que les engagements seront respectés.

La mobilisation des acteurs est-elle suffisante ? Oui et non. À l’occasion du Climate Finance Day, un certain nombre d’acteurs ont pris des engagements. Est-ce suffisant ? Non, mais c’est un très bon premier pas.

J’observe qu’il y a un an, on n’aurait pas imaginé d’organiser ce genre de manifestation avec les investisseurs, les banquiers, les assureurs et les régulateurs. Mais cette année, la communauté financière est venue, non pas pour parler d’une seule voix car il y a encore beaucoup de discussions d’ordre technique en son sein, mais pour parler de la même chose : climat et carbone.

Il faudra suivre les engagements qui ont été pris. Cela peut demander un peu de matière grise et un peu de technique. Mais je suis confiant sur le fait que les députés, la société civile et de nombreux acteurs nous y aideront.

Enfin, est-ce que l’objectif de 100 milliards de dollars par an est tenable ? Oui, ça l’est tout à fait – reportez-vous aux chiffres que nous vous avons donnés. Ils sont d’ailleurs déjà là. Ou plus exactement, si on veut les trouver, on les trouvera. Reste à savoir où l’on mettra le curseur. Mais encore une fois, ce n’est pas la question posée sur le long terme. Les 100 milliards par an, c’est un geste, un engagement politique. Comme au patinage artistique, c’est une figure imposée. Si l’on rate cette étape, on ne pourra pas continuer. La vraie question est celle des 1 000 milliards ou, en d’autres termes : comment réallouer le capital vers du bas carbone ? Ne nous trompons pas d’objectif.

M. Stanislas Dupré. Je ne pourrai pas non plus répondre à toutes les questions, mais je vais me pencher sur quelques-uns des points qui ont été soulevés.

D’abord, quel regard porter aujourd’hui sur la mobilisation de la finance ? J’ai l’impression qu’il y a une très bonne dynamique de mobilisation. En revanche, une partie du signal est peut-être mal interprétée par les acteurs. Parfois, il y a des malentendus. On a parfois aussi tendance à se leurrer sur l’importance de ce qui est annoncé.

Ensuite, j’aimerais revenir sur un sujet déjà abordé par M. Leguet, et faire remarquer que réallouer des actifs financiers dans un portefeuille, ce n’est pas la même chose qu’investir dans l’économie réelle. Si vous voulez, par exemple, désinvestir des portefeuilles financiers des énergies fossiles et que cela ait un impact sur l’économie réelle, il faut atteindre une masse critique et que d’autres investisseurs fassent la même chose que vous.

Il est intéressant de constater, quand on travaille cette question sur le plan technique, qu’il n’y a personne à l’échelle mondiale, et a fortiori au sein de la Banque de France, du Trésor ou ailleurs, qui cherche à comprendre quel est l’impact du secteur financier sur le financement de l’économie. Il n’existe pas de modèle pour cela : on peut parler de « trou noir ». Or pour comprendre l’impact environnemental, il faut d’abord comprendre l’impact sur les investissements et sur l’activité économique. Et on est bien en mal de le faire.

Si l’on fait un bilan à date en rapport avec cette question, on voit qu’une dynamique est amorcée au niveau des banques. Il y a effectivement de vrais investissements qui ne trouveront pas de financement, notamment dans le secteur du charbon. Cela s’explique en partie par la conjoncture économique de ce secteur, qui n’est pas bonne et qui facilite les annonces.

Quelles seront les prochaines étapes ? D’après moi, une mise en cohérence plus nette du secteur public bancaire sur ces questions. Et sans doute en discutera-t-on au G 7 le mois prochain.

À propos des investisseurs, je dirais qu’ils ont beaucoup plus tendance à faire des annonces « Canada Dry ». Ils annoncent qu’ils vendent des actifs mais, finalement, cela ne change pas grand-chose. La voie suivie par la Caisse des dépôts et présentée par M. Leguet semble beaucoup plus intéressante, mais elle est aujourd’hui minoritaire.

Autre point : le risque carbone semble être la prochaine bulle qui affole le secteur financier, si l’on se réfère aux déclarations de certaines banques centrales, des investisseurs, etc. Il faut voir qu’il y a aujourd’hui beaucoup de communications sur le sujet. Certes, des investigations réelles sont faites, notamment par la Banque d’Angleterre. Certes, les analystes et les agences de notation font des calculs sur ce que pourrait être l’impact d’un scénario « deux degrés ». Mais dans le cœur de leur modèle, le pourcentage de chances qu’ils prennent en compte est proche de zéro. C’est un élément à garder en tête : on commence à s’y intéresser, mais ce n’est pas encore intégré dans les modèles.

Par ailleurs, il me semble crucial, pour les décideurs politiques – notamment les parlementaires – de se former dans les années à venir sur ces questions. Ceux d’entre vous qui s’y intéressent devraient suivre des formations d’une journée ou deux. Nous sommes prêts à vous les dispenser gratuitement. Cela vous permettrait d’interpréter les signaux, de comprendre ce qui change vraiment, et d’allouer de la manière la plus efficiente possible des crédits publics qui sont contraints.

Je vais vous donner deux exemples pour appuyer mon propos.

Premièrement, si le projet de loi sur la transition énergétique oblige les investisseurs à rendre des comptes sur leur empreinte carbone, il n’y a quasiment aucun investissement qui ait été fait jusqu’à présent par les pouvoirs publics, à l’échelle mondiale, pour développer des méthodes en la matière. Quant à ceux qui ont été faits par le secteur privé, ils sont très faibles. Se pose donc aujourd’hui la question de la mise en œuvre effective de cette obligation. Je pense qu’avec une meilleure compréhension de ces questions, on aurait pu anticiper la situation.

Deuxièmement, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a vu ses subventions réduites. Elle a dû rogner sur ceux de ses budgets consacrés à cette question, au moment où des injections massives de crédits auraient pourtant été nécessaires. L’ADEME fait au mieux avec les crédits dont elle dispose, mais je trouve qu’il y a là une contradiction dans les choix faits par l’État, qui appuie en même temps sur la pédale de frein et sur la pédale de l’accélérateur.

Ensuite, je ne suis pas sûr de partager totalement l’analyse de M. Voituriez sur le côté « volontariste » de la R&D. J’ai travaillé dans le secteur du ciment et il est clair qu’il faudrait y intégrer une nouvelle technologie pour que celui-ci puisse décarboner comme cela est prévu dans les scénarios. Or, quelles que soient les contraintes qui seront mises sur ce secteur en termes de négociations dans les dix, vingt ou trente années à venir, cela n’aura que peu d’influence sur les investissements de R&D. En effet, les émissions se matérialiseraient au-delà de quinze ou vingt ans, et le secteur financier n’a pas cette capacité d’anticipation. Cela signifie que dans ce secteur, il faudrait que des investissements en R & D soient décidés maintenant pour que la décarbonisation puisse se mettre en place dans vingt ans. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Quand je travaillais pour ce secteur, à l’échelle mondiale, on investissait dans ce domaine moins que mon salaire – qui, à l’époque, n’était pas très élevé. Il y a donc encore de gros efforts à faire.

Je terminerai mon propos sur le rôle joué par l’Europe. Il est clair que c’est elle qui est la plus à même de se mobiliser et d’intervenir là où il le faut. Il me semble donc important que les actions menées au niveau national s’articulent avec celles qui sont menées au niveau européen.

Mme Catherine Quéré, présidente. Je vous remercie pour votre participation à cette table ronde.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 27 mai 2015 à 9 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Jacques Alain Bénisti, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Serge Bardy, Mme Chantal Berthelot, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Denis Baupin, M. Philippe Noguès